Pointe de Grave
La pointe de Grave (en occitan : punta de Grava) est un cap marquant l'extrémité septentrionale du Médoc et du département de la Gironde. C'est également la limite nord des Landes de Gascogne, de la Gascogne, de la forêt des Landes et de la Côte d'Argent.
Le choronyme « Pointe de Grave » (avec une majuscule) désigne le hameau historique le plus au nord du Verdon-sur-mer, comportant entre autres, la cité du Balisage et la cité des Douanes.
Dépendant administrativement de la commune du Verdon-sur-Mer, ce verrou naturel faisant face à Royan et à la presqu'île d'Arvert est une des « portes » de l'estuaire de la Gironde, qui baigne sa côte orientale, tandis que sa rive occidentale est bordée par l'océan Atlantique.
Le site, qui s'inscrit dans le parc naturel régional du Médoc et le parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis comprend des espaces naturels préservés (cordon dunaire, forêt domaniale de la Pointe de Grave, marais du Logis et marais du Conseiller), des monuments (phare de Grave, phare Saint-Nicolas, phare de Cordouan), différents mémoriaux (monument aux Américains, aux membres de l'opération Frankton) et des infrastructures touristiques (Port Bloc et Port Médoc).
La pointe de Grave s'intègre à un ensemble géographique et touristique plus vaste, baptisé pointe du Médoc. Organisé en communauté de communes depuis 2001 (anciennement communauté de communes de la Pointe du Médoc), Le Verdon-sur-mer appartient à la communauté de communes Médoc Atlantique depuis le , qui comprend quatorze communes dont Soulac-sur-Mer et Saint-Vivien-de-Médoc.
Géographie évolutive et quelques repères historiques
De l'embouchure de l'Adour à la pointe de Grave s'étend un cordon dunaire quasi rectiligne de près de 250 kilomètres, seulement percé par la vaste échancrure du bassin d'Arcachon : il s’agit de la Côte d'Argent. La pointe de Grave en constitue la partie la plus septentrionale. Ses limites sont constituées, à l'est, de la pointe de la Chambrette (où se trouve le port industriel du Verdon, sur l'estuaire de la Gironde). Elles sont moins bien définies à l'ouest : pointe Saint-Nicolas (rocher Saint-Nicolas) ou dune de Tout-Vent, à hauteur de Maison de Grave, un peu plus au sud, sur l'océan Atlantique.
Façonnée par les éléments, la pointe de Grave a bien souvent changé de visage, au gré des tempêtes et des puissants courants océaniques et estuariens, qui font se déplacer les masses de sable de deux façons : transversalement ou longitudinalement (dérive littorale) à la côte[1]. Le village de Saint-Nicolas-des-Graves et son prieuré bénédictin situé à la pointe de Grave ont dû être abandonnés au milieu du XVIIIe siècle. Les habitants sont allés créer le village de Soulac qui eut à subir à son tour l'assaut des sables en 1771[2]. En souvenir de leur prieuré englouti, les bénédictins de l’abbaye Sainte-Croix donnèrent le nom de Saint-Nicolas-des-Graves à la chapelle édifiée dans le quartier du Sablonat au sud de Bordeaux[3]. Au XVIIIe siècle, la pointe de Grave s'étendait encore jusqu'aux rochers de Saint-Nicolas — aujourd'hui au large du phare Saint-Nicolas et du monument de Grave. Un phare est aménagé en 1830, mais, dès 1837, dans sa Statistique du département de la Gironde, François Jouannet indique que : « établi d'abord sur une tour en maçonnerie, à l'extrémité de la pointe, on a été obligé de le transférer à 440 mètres à l'ouest de la tour, parce que cette tour menaçait d'être bientôt ruinée par la mer (...)[4] »
Le phénomène d'érosion marine, particulièrement marqué entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, alerte finalement les autorités et en 1843, une campagne de travaux comprenant la création de brise-lames et d'épis terminés par des fascinages est mise en œuvre. D'imposants blocs de pierre sont transportés depuis les côtes charentaises par gabares et installés à l'extrémité de la pointe : d'où le nom de « Port Bloc » donné au plus ancien port du Verdon (d'où les passagers en provenance ou à destination de Royan prennent le bac). Comme ailleurs en Aquitaine (mais aussi, et pour les mêmes raisons, en Arvert avec la forêt domaniale de la Coubre et en Oléron avec la forêt de Saint-Trojan), les dunes sont fixées par la plantation de pins maritimes et de chênes-verts : c'est l'acte de naissance de la forêt des Landes et de la forêt domaniale de la pointe de Grave, qui forment un même massif.
Site stratégique de premier plan, la pointe de Grave a une histoire militaire particulièrement riche. C'est tout près de là (entre Soulac et Le Verdon), le , que débarque l'armée de John Talbot, que les Bordelais menacés par les Français ont appelé au secours, et qui sera finalement vaincue à Castillon quelques mois plus tard.
En 1777, le marquis de La Fayette, parti de Pauillac à bord de La Victoire, y fait une dernière halte avant de s'embarquer pour l'Amérique.
En 1917, pendant la Première Guerre mondiale, l'armée américaine du général John J. Pershing y débarque.
Les Allemands s'y installent en 1940 pendant la Deuxième Guerre mondiale jusqu'en 1945. Si la France est libérée en , des poches de résistance allemandes (ou forteresses) se sont constituées de part et d'autre de l'embouchure de la Gironde, à « Pointe de Grave » (capitulation allemande le ) et à Royan (capitulation allemande le , le jour même du suicide de Hitler).
En 2020, la pointe de Grave est un site touristique renommé, disposant de diverses commodités (tables de pique-nique, toilettes, etc.). Elle dispose de deux plages surveillées. L'une, la plage Saint-Nicolas, sur l'océan Atlantique (plage océane) est soumise à de forts courants (phénomènes de baïnes) et à la houle ; de ce fait, la baignade y est parfois dangereuse. L'autre, la plage de la Chambrette, sur l'estuaire de la Gironde, est abritée des courants. En marge des plages, des sentiers de promenade et des pistes cyclables ont été aménagés, permettant de découvrir le cordon dunaire et la forêt de pins environnante. La marina de Port Médoc, mise en service en 2004, donne sur l'embouchure de la Gironde. Ses abords abritent boutiques, bars et restaurants. Un petit train touristique relie la pointe de Grave au lieu-dit les Arros, aux confins de la station balnéaire de Soulac, et un service de bacs permet de rejoindre Royan et les autres stations balnéaires de la Côte de Beauté.
Histoire
Une présence humaine depuis des milliers d’années
La pointe du Médoc est habitée depuis très longtemps mais le plus souvent de manière sporadique et temporaire. Les hommes attirés par l’endroit stratégique à l’entrée de l’estuaire ont souvent été chassés par les éléments naturels, d’où la difficulté de trouver des traces très anciennes de leur passage, traces noyées et dispersées par les courants et les eaux, recouvertes par le sable. Les fouilles entreprises à Soulac laissent à penser que sa présence pourrait dater de 8000 av. J.-C., après la déglaciation, au Mésolithique moyen. À ce moment, le climat devient comparable au climat actuel[5].
Le Médoc n’a cessé en effet de se transformer au cours des millénaires. Le littoral médocain n’a pas toujours été tel qu’on le connaît aujourd’hui. Des documents datant de l’époque romaine, des portulans et cartes anciennes de la région sont le témoignage des changements de paysage[6].
Des ossements d’éléphants antiques (Palaeoloxodon antiquus) retrouvés à Soulac (au Gurp, un individu adulte jeune, et à l’Amélie, un individu juvénile sur les sites de la Glaneuse et de la Balise) prouvent l’ancienneté de ces terres.
Territoire inhospitalier, soumis aux tempêtes et à l’érosion, façonné par les vents et les eaux, les principaux changements du paysage sont la formation et le déplacement des marécages, l’avancée dunaire, un envahissement des terres par le sable, une variation continuelle du trait de côte avec formation de bancs de sable et de pointes ou caps, et même d’îles et d’îlots…
Avant le Moyen Âge, on constate que Cordouan est un plateau rocheux rattaché au continent (le phare n’existe pas encore). Soulac est sur l’estuaire de la Gironde et non en bordure d’océan. Le Verdon est une île[7].
La zone est surtout marécageuse, d’où la vocation, très tôt, d’y établir des marais salants. Sur le site de la Lède du Gurp qui est la zone médocaine la plus fouillée, les abords d’un marais ont été occupés pour y produire du sel (d’où le nom de Lède) depuis le Mésolithique (entre 8000 et 6000 av. J.-C.) jusqu’au début de l’Antiquité. L’étude des restes végétaux retrouvés sur place donnent des renseignements sur les paysages[8].
Quant aux déplacements de population, les exemples connus et parlants sont :
- celui du prieuré de Saint-Nicolas-de-Grave. Installé vers 1087, le prieuré est décrit comme détruit en 1259, gagné par les eaux et le sable. Il est reconstruit plus au sud et en retrait du rivage ;
- celui de Soulac : le village est abandonné au sable en 1741. Seul le sommet du clocher de la basilique Notre-Dame-de-la-fin-des-Terres émerge des sables et sert d'amer aux navigateurs : un nouveau village est édifié quelques kilomètres plus à l'est au lieu-dit le Jeune-Soulac. Au tout début, les hommes étant très mobiles (nomades), les lieux très changeants, peut-on confondre l’histoire de la pointe de Grave avec celle du Nord-Médoc, dit Bas-Médoc. On peut aussi la rapprocher de l’histoire des Landes de Gascogne dont le Médoc fait partie.
Au Paléolithique
Quand on connait la mobilité et les réseaux d’échanges des groupes humains vivant en Aquitaine au Magdalénien[9], rien n’exclut la présence possible et épisodique de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs nomades vivant dans le Médoc périodiquement, dès le Paléolithique, même s’ il est difficile de retrouver à cet endroit des traces tangibles du passage de l’Homme avant le Mésolithique. L’absence d’abris naturels constituait certes un environnement peu propice aux établissements humains mais on peut faire un rapprochement avec d’autres territoires ressemblants comme la Honteyre à Le Tuzan[10]. Dans ce qui pouvait être un désert sableux et marécageux avec une forêt primaire embryonnaire de chênes et de pins, on y a retrouvé un nombre important d’outils lithiques en silex taillés.
Il n’est qu’à rappeler aussi la proximité de sites préhistoriques :
- en Gironde, Le Caillou à Lapouyade[11], le roc de Marcamps et la grotte de Pair-non-Pair (sur l’estuaire à l’époque), les gisements de l’Entre-deux-Mers[12] : le talus de Saint-Germain-la-Rivière, l’abri Faustin à Cessac, l’abri du Morin à Pessac-sur-Dordogne, le site de Moulin-Neuf, avec l’abri Lespaux et les grottes de Jaurias à Saint-Quentin-de Baron… ;
- dans les Landes, Brassempouy (la dame de Brassempouy) ;
- la Dordogne, pas si éloignée.
Des populations nomades préhistoriques pourraient bien, entre 12000 et 9000 av. J.-C., s’être installées dans cette région du Médoc sableuse et plantée de pins, très ressemblante au Tuzan du point de vue de l’environnement même si on n’a pas pu retrouver d’objets lithiques datant de cette période pour en être sûr[13].
Datant de la période entre 9000 et 8000 av. J.-C., un certain nombre de silex aziliens ont été découverts à Soulac (sur le fleuve à l’époque) et sur l’étang d’Hourtin en formation, montrant l’installation temporaire de populations préhistoriques peu nombreuses cependant[14].
Au Mésolithique
Une occupation humaine est certaine dans le Bas-Médoc dès le Mésolithique : outillage microlithique (pierre taillée) retrouvé tout au long de la côte[14].
À cette époque, les hommes sont encore des chasseurs-cueilleurs qui commencent cependant à se sédentariser. Ils vivent sous un climat proche du nôtre et ne sont plus obligés de se déplacer en fonction des ressources du lieu. À la différence des populations nomades précédentes toujours à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux, ils commencent à pratiquer une agriculture itinérante, sur brûlis, ne se déplaçant plus que sur de très courtes distances, de terrains à terrains[15].
Les fouilles archéologiques ont montré l’existence aussi, déjà à cette époque, d’une exploitation et d’un commerce ancien du sel dans ce secteur pouvant expliquer aussi ce début de sédentarisation[16].
Le site archéologique de la dépression du Gurp témoigne de cette occupation humaine. L'étude des différentes couches géologiques notamment les couches huit à onze montrent de manière certaine (surtout à partir de la couche onze) qu'une activité anthropique s'est déroulée sur cette zone à cette période du Mésolithique, au préboréal, au boréal, industrie de type sauveterrien, semble-t-il. Des restes végétaux, bois travaillés, charbons, silex, traces d'animaux...ont été retrouvés sur ce site de la Lède du Gurp très riche en découvertes archéologiques, un des principaux sites de la façade atlantique en ce qui concerne le Mésolithique[16].
À l’Amélie, sur la commune de Soulac-sur-mer, au sud de la ville (dune et plage), un foyer mésolithique a été découvert : éclats de silex brûlé et fragments de charbon de bois[17].
Au Néolithique
Les traces de l’homme dans le Nord-Médoc, au Néolithique, sont plus nombreuses : des lames, haches de pierre, pointes de flèches, grattoirs ont été retrouvés à la plage Saint-Nicolas[18], au Grand Logis[19] (ancien lieu-dit situé au hameau du Logis aujourd'hui et que l'on peut retrouver sur la carte de l'état-major, de 1820 à 1866) et à la station des « Douves » à Saint-Seurin-de-Cadourne : on peut retrouver ces objets au musée d’Archéologie de Soulac ou au musée d'Aquitaine de Bordeaux. La pierre polie remplace progressivement la pierre taillée.
L'homme exploite au mieux son milieu naturel, il est agriculteur (blé, mil, riz, sorgho…), et, même s’il chasse encore, il est devenu éleveur en domestiquant des animaux comme le bœuf, la chèvre et le sanglier[20]. On a retrouvé des traces de troupeaux gravées dans les sédiments de cette époque, traces de chien, empreinte de pied de berger ainsi que trace de son bâton (ou d’une de ses échasses ?)[21].
Une cuve à saumure datant de cette époque de la Protohistoire (3000 avant notre ère environ) a été découverte sur la plage de la Lède du Gurp à Soulac-sur-mer attestant la présence de marais salants à cet endroit[22].
On a retrouvé aussi sur ce site, le plus riche d'un point de vue archéologique, des poinçons, des pointes de flèches, des fragments de hache polie, de la céramique…, et ce qui restait d'un petit dolmen : à l'intérieur, les restes d'au moins cinq corps, trois adultes et deux enfants[23].
D'autres outils lithiques ont aussi été retrouvés à l'Amélie, à la pointe de la Négade, à la Balise, aux Cousteaux, à la Glaneuse[24].
Âge du cuivre (ou Chalcolithique)
À l’âge du cuivre (ou Chalcolithique), continuant à travailler la pierre (taillée, polie), l'homme commence aussi à fabriquer les premiers objets de métal vers 2700 avant Jésus-Christ. Le cuivre étant un métal mou, ce sont, au début, des objets de petite taille : des objets de décoration, des objets du quotidien (tiges, alènes, petits poignards de soie, gobelets, …), des bijoux, pendentifs, perles en tôle roulée[25]… Les outils et armes furent longtemps faits de pierre ou d'os.
Cependant, on a pu trouver à la pointe du Médoc, en grand nombre, des outils et des armes faits de cuivre : une centaine de haches plates très minces, simples, sans rebords, quelques poignards à languette, une vingtaine de pointes de type Palmela, un très grand nombre de hachettes[26]… ont été découverts sur la plage de Montalivet, à Grayan, Bégadan, Hourtin, Soulac (La Glaneuse), Saint-Germain-d’Esteuil[27], pour un poids d’au moins une quinzaine de tonnes. La Gironde dont le sous-sol est dépourvu de cuivre occupe le premier rang en Aquitaine pour ce type de découvertes. Cela semble vouloir indiquer une importation massive à cette époque de minerai ou d’outils finis provenant d’autres régions. Les menus objets de cuivre ont pu être obtenus par échange, et non produits sur place. Les analyses des traces d’impuretés de ce métal (notamment d'arsenic qui durcit le cuivre) montrent qu’une partie de ce cuivre (cuivre arsenié) pourrait provenir de la péninsule Ibérique tandis que le reste contenant d'autres impuretés (antimoine, argent, nickel, cobalt…) pourrait provenir des régions voisines : Périgord, Limousin, Pyrénées-Atlantiques[28]… Avec cette accumulation inégalée d'objets de cuivre hors des régions cuprifères, on s’interroge aussi sur la nature des relations de l'homme de cette période avec ses fournisseurs potentiels en cuivre. L’évolution qui fera plus tard du Médoc et de ses marges l’une des plus grandes régions métallurgiques du bronze moyen en France s’amorcerait-elle dès l’aube de l’âge des métaux[29],[30] ?
Âge du bronze et les Médules
Avec le travail du cuivre, au début par simple martelage, l'homme est devenu métallurgiste. Il s'aperçoit bientôt que le métal est plus facile à travailler si on le chauffe, qu'on peut le mouler. Entre 3000 et 1000 av. J.-C. environ, il commence à faire des alliages, ajoute de l'étain au cuivre pour obtenir le bronze. Cette découverte leur permet de fabriquer des armes et des outils plus solides, plus résistants.
Le Médoc est une région des plus prospères durant cette période de l'âge du bronze marquée par une occupation humaine très dense : l’activité pastorale est attestée par des pistes d’empreintes de bœufs, chevaux et petits herbivores (moutons, chèvres…). Elle se double d’activités artisanales, relevant en particulier de la métallurgie du bronze : des moules de hache et d’enclume ont été retrouvés à la Lède du Gurp. À l’Amélie, des vases datables du bronze moyen médocain ont été retrouvés. À la pointe de la Négade, on rencontre quelques tessons épais et quelques silex taillés datables pour la plupart de la même époque.
C’est à cette période du bronze moyen, avant l'arrivée des Gaulois (Bituriges Vivisques) que les terres nord-médocaines se seraient fortement développées, avec notamment l’installation du peuple des Médules (Meduli), qui a donné son nom aux habitants du Médoc. Les Médules étaient un peuple aquitain (proto-basque), préceltique que Jules César décrira comme un peuple n'ayant rien à voir avec les Gaulois, plutôt proches des Ibères dont ils diffèrent par le langage, les coutumes et les lois[31].
Le Médoc est la région d'une production massive de haches à rebords à tranchant étroit et à bords rectilignes : le docteur Ernest Berchon[32] recensa près d’un demi-millier de ces « haches à double coulisse »[33] pour lesquelles il proposa le terme de « hache médoquine »[34]. Cette terminologie de hache de type médocain a depuis été adoptée par la communauté scientifique pour désigner ce type de hache si particulier.
La forme des haches découvertes dans tout le Médoc sur une cinquantaine de sites différents, de Saint-Estèphe jusqu'à Saint-Laurent et même Caudéran, a évolué au fil du temps avec cent vingt-six haches retrouvées qui comportaient un talon (environ 13 %). Les premières découvertes ont souvent été faites dans des champs par des viticulteurs lors du travail de la vigne[35].
Âge du fer, époque gauloise : les Bituriges Vivisques
La région s’enrichit et se développe encore à cette époque notamment avec l’arrivée des Bituriges Vivisques, un peuple celte venant de la Gaule celtique. Ce peuple constitue une partie des Bituriges et a été déplacé de la région de Bourges à l’embouchure de la Gironde.
Ils sont installés le long de l’océan, laissant aux Médules la partie estuaire. De fait, leur territoire se retrouve enclavé dans celui des Aquitains (proto-basques, non gaulois) sans pour autant appartenir à leur confédération. Par ailleurs, comme l'indique Strabon, ils ne paient pas d'impôts aux Aquitains, les deux peuples semblant vivre côte à côte en parfaite intelligence. Il parle à leur propos de forges en très grand nombre[36].
Les Bituriges Vivisques vont fonder au Ier siècle av. J.-C. un port que les Romains font prospérer sous le nom de Burdigala (Bordeaux aujourd'hui).
Il est difficile de caractériser l'habitat de cette époque. Si de nombreux sites datant de l'âge du fer ont été repérés dans le Nord-Médoc (route de Dépée à Grayan-et-l'Hôpital, le Gurp, La Glaneuse, la Négade, l'Amélie… à Soulac-sur-Mer, le nord du bourg à Talais, à Gaillan, Brion à Saint-Germain-d'Esteuil…) grâce à la nature du mobilier (rejets domestiques), tout au plus peut-on supposer l'existence d'habitats en nombre important sans pouvoir vraiment parler d'agglomérations[37],[38].
L'âge du fer est la période qui suit immédiatement l'âge du bronze, à partir de 1000 environ avant Jésus-Christ. La métallurgie du fer fut rendue possible grâce à l'invention technologique que sont les fours, car le fer nécessite pour être travaillé des températures plus élevées que le bronze. Les Gaulois travaillaient aussi bien, en cette période, d'autres métaux comme l'or des rivières aurifères (orpaillage) ou l'or trouvé dans de « petites mines » des montagnes, or qui leur servait notamment à fabriquer leurs monnaies, vers 300 avant notre ère. Beaucoup de cet or venait du Limousin. Le minerai de fer venait plutôt du Centre et du Centre-Ouest de la France. La provenance de l'argent, que les Gaulois utilisaient aussi, est un peu plus mystérieuse. Les mines d'argent étant rares en Gaule, on pense que, peut-être, ils le retiraient de la galène (sulfure de plomb)[39].
Ils étaient métallurgistes (fer, or, argent, plomb…) et artisans d'une manière plus générale : forgerons, mais aussi tisserands (travail du cuir…), ils travaillaient aussi le bois (tonneaux cerclés…)… Ils étaient agriculteurs (céréales, légumineuses, plantes oléagineuses…) et éleveurs (vaches moutons, porcs…).
À l'évidence, à l'âge du fer, la production de sel s'intensifie sur toute la zone.
Les ossements d’au moins un individu datant de cette époque ont été découverts à la Lède du Gurp.
Les modifications incessantes de paysages au fil des siècles, entre océan, estuaire, marais, îles, …rendent difficile la restitution de la pointe du Médoc à cette période de l’âge du fer, qui débute vers 800 av. J.-C. … La Garonne est, semble-t-il, alors divisée en deux bras. Le bras nord est à peu près au même endroit que l’estuaire actuel. Sur le bras sud, on retrouve Soulac formant une île à l’embouchure, Le Verdon formant une autre île.
Le magnifique sanglier-enseigne de Soulac-sur-Mer retrouvé en excellent état et présenté au musée d'archéologie de la ville semble provenir de cette tribu des Bituriges.
Des monnaies datant de l'âge de fer (-725 à -25 environ) ont été découvertes sur diverses plages confirmant l'existence de sites à vocation commerciale prononcée, notamment le commerce de l'étain. Il s’agit de monnaies celtiques (gauloises) en or, argent, bronze ou potin (à la Glaneuse), de monnaies à la croix, de monnaies de type négroïde (des Volques Tectosages installés dans la région de Toulouse), d'oboles, de monnaies ibériques (à l’Amélie), de monnaies de Carthage (à la Négade)[40].
Grâce à Posidonios d'Apamée et à son voyage en Gaule jusqu'à l'estuaire de la Gironde, on connaît mieux la géographie de la région et surtout les mœurs et la structure sociale des Gaulois. Ils buvaient de l'hydromel mais surtout de la cervoise : il n'y avait donc pas encore de culture de la vigne dans le Médoc ; celle-ci, peu répandue encore, ne dépassait guère les abords de Marseille.
Les descriptions datant de cette époque distinguaient les Celtes qui commerçaient avec les Grecs, des Galates, peuples guerriers qui étaient considérés comme éloignés de la civilisation.
Posidonios montre cependant que les Celtes commerçaient également avec leurs parents galates. Ils leur fournissaient des produits méditerranéens reçus des Grecs, en échange de matière première (minerais surtout) et de services (mercenariat essentiellement), etc. : « Le plus souvent, les marchandises sont transportées par des voies fluviales, les unes utilisées pour la descente, les autres pour la montée » : est-ce valable pour l'estuaire de la Gironde[41] ?
Mais on sait que les Gaulois ne négligeaient pas non plus le voiturage sur terre dans les plaines faciles à traverser. Un réseau de routes très dense constituées de petites pierres tassées et damées reliait les chefs-lieux des différents peuples bien avant l’arrivée des Romains.
La guerre des Gaules, les Aquitains, « les Aquitaine »
En 59 av. J.-C., Jules César devient proconsul de trois provinces romaines : la Gaule cisalpine, la Gaule narbonnaise et la Dalmatie. Profitant de cette position, il décide d'achever la conquête des Gaules en exploitant la division des Gaulois. Ces derniers, malgré une culture commune, se répartissent alors en une soixantaine de peuplades. De 58 à 50 av. J.-C., Jules César mène des expéditions militaires successives contre toutes ces tribus. Cette conquête va être appelée la guerre des Gaules.
Les Bituriges sont parmi les derniers à être soumis à l'autorité romaine vers 50 avant Jésus-Christ.
Juste après le siège d'Alésia qui a lieu en 52 av. J.-C., Jules César se rend en 51 en Quercy, dans le Lot d’aujourd’hui, livrer la dernière bataille de la guerre des Gaules : Uxellodunum. Il poursuit son voyage en Aquitaine, offre des postes de députés aux Gaulois désormais soumis, Gaulois qui lui donnent aussi des otages[31].
Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César, cependant, ne mentionne nullement le peuple gaulois des Bituriges, d'origine celtique habitant au sud de la Gironde et de la Garonne. Il dénomme globalement la région « Aquitania » et la dit peuplée des Aquitains, non gaulois, de langue et culture proto-basques. Ceci va alimenter, et alimente encore, une querelle des historiens, beaucoup proposant des thèses diffusionnistes. On sait qu'à l'époque de l'âge du fer (Aquitaine protohistorique), les Bituriges étaient relativement isolés, enclavés sur le territoire des Médules, mais semblant bien s'entendre avec eux, se partageant le territoire. Comme Strabon sembla le signifier un petit plus tard, les Bituriges Vivisques vivaient sur le territoire des Aquitains comme des étrangers, sans leur payer aucun tribut.
Le premier empereur romain, Auguste crée en 27 av. J.-C., la province romaine de Gaule aquitaine avant d'adopter définitivement, en 15 av. J.-C., administrativement, la dénomination « Aquitaine ».
L'administration impériale partage par la suite, vers l'an 300 apr. J.-C., la Gaule aquitaine en trois provinces : l'Aquitaine première (capitale Bourges des Bituriges cubes), l'Aquitaine seconde (métropole Burdigala des Bituriges Vivisques) et l'Aquitaine troisième, dite Novempopulanie (capitale Eauze des Élusates).
Antiquité, époque gallo-romaine
Certains ont cru reconnaître l'île d'Antros (citée par Pomponius Mela) dans l'île située à l’embouchure de la Gironde et qui serait devenue l’actuelle pointe de Grave, ou bien même dans l'île du rocher de Cordouan, ou dans l'île de Jau, mais la position géographique de cette île est très controversée, d'autres la situant même à l'embouchure de la Loire[42].
La défaite de Vercingétorix à Alésia, puis la toute dernière victoire de Jules César à Uxellodunum, marquent la fin de la guerre des Gaules, en l’an 51 avant Jésus-Christ. La période de paix relative qui s’ensuivit — il y eut en vérité quelques révoltes — est connue sous le nom de Pax Romana : elle dura environ deux siècles. Durant cette période, Burdigala se développe et devient une des villes les plus importantes de l’Empire romain.
La culture de la vigne, connue de certains peuples gaulois, s’est longtemps cantonnée sur le littoral méditerranéen, près de Marseille, tirant son origine de la colonisation phocéenne. Les Romains la cultivaient depuis trois siècles avant notre ère. Ce n’est que vers 50 apr. J.-C. que les premiers plants de vigne apparaissent dans le Bordelais à la suite de l’occupation romaine. C'est durant cette première période de l'occupation romaine de la région bordelaise dite du Haut-Empire romain que des notables de Burdigala plantent leurs propres vignes afin de concurrencer les négociants de la Gaule narbonnaise et d'Italie.
Les récits d'Ausone (IVe siècle) repris et commentés par l’abbé Baurein vers 1784, donnent du Médoc l'image « d'une contrée prospère aux richesses prodiguées par les eaux estuariennes » (huîtres et sel)[43]. Les maisons de l'extrémité du Médoc n'étaient couvertes que de roseaux. Jacques Baurein cite M. Bullet qui dans ses Mémoires sur la langue celtique affirme que « "Soul" première syllabe du mot Soulac signifie paille, chaumière ou maison couverte de paille ». D'où aussi le nom du hameau « les Huttes »[44].
L'huître locale, naturelle, non cultivée à l'époque gallo-romaine, est l'huître plate (Ostrea Edulis), communément appelée belon. Très appréciée des Romains, nommée par eux « callibléphare » (belle paupière) pour le bord festonné de son manteau, elle était expédiée jusqu'à Rome.
Pendant très longtemps encore, la récolte des huîtres ne se fera que sur des gisements naturels. Ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle que va se développer une première culture d'huîtres dans les réservoirs des marais salants. Les naissains étaient récoltés sur les rochers, les huîtres juvéniles étaient élevées en bassin[45].
La pointe de la Négade renferme des vestiges de l'époque gallo-romaine.
Une amphorette gallo-romaine entière a été trouvée à l’Amélie. Deux pièces de monnaies antiques usées mais sans trace d'oxydation ni de patine ont été découvertes en 1970 lors du dragage de l'anse de Port Bloc : un sesterce en laiton à l'effigie de Vespasien (empereur de 69 à 79), un dupondius en laiton représentant Hadrien (empereur de 117 à 138).
On peut aussi noter la proximité du site de Brion, à Saint-Germain-d'Esteuil, où les fouilles ont fait apparaître un théâtre, les traces d'un temple, d'un édifice public et d'une voie romaine, des habitations…, toute une ville gallo-romaine. Des amphores et des monnaies celtiques et romaines ont été découvertes aussi sur le site.
Serait-ce la ville de Noviomagus citée par Ptolémée dans sa Géographie ?… D'autres ayant émis l'hypothèse de Soulac pour cette même ville[46].
Selon Pline le Jeune, le Bas-Médoc est « un pays où l'on ne peut ni naviguer comme sur la mer, ni marcher comme sur terre » : la région est assez inhospitalière. On suppose qu'elle est très ressemblante aux Landes de Gascogne, sableuse et marécageuse, avec un mode de vie agro-pastoral à laquelle s'ajoute toujours la production de sel (marais salants) et une activité ostréicole et viticole.
La domination romaine en Gaule prend fin en 486 à la suite de la bataille de Soissons. Clovis défait Syagrius. Ce dernier s'enfuit et se réfugie à Toulouse, se mettant sous la protection d'Alaric II, roi des Wisigoths. Ce dernier, peu amène et affable, le livre enchaîné aux envoyés de Clovis venus le réclamer.
Clovis Ier est roi de tous les Francs depuis 481. Il n'a de cesse dès lors d'agrandir son royaume. La complaisance des Wisigoths lors de l'épisode concernant Syagrius n'empêche pas Clovis de se rendre maître de leur royaume d'Aquitaine.
Après la bataille de Vouillé, en 507 contre Alaric II, Clovis s'empare de Burdigala, puis en 508 de toute l'Aquitaine, la ville de Toulouse comprise.
Le vignoble
Les premiers plants de vigne dans le Médoc datent donc de l'époque gallo-romaine (vers l'an 60 apr. J.-C. environ).
Si les plus grands crus classés sont sur le territoire du Haut-Médoc, le Bas-Médoc (ou Nord-Médoc : la partie du Médoc la plus proche de l’embouchure de la Gironde, près de la pointe de Grave) possède aussi de grands vins, moins réputés, sur de plus petites propriétés dites paysannes, sans péjoration. Les vins du Nord-Médoc ont l'appellation « médoc » (AOC) sans plus de précision. Ce sont les vins produits au nord d'une ligne allant de Saint-Yzans-de-Médoc à Saint-Germain-d'Esteuil. Hors de ces deux communes, on trouve des vignes à Blaignan, à Bégadan, à Saint-Christoly, à Lesparre, à Vensac, à Valeyrac, jusqu'à Saint-Vivien… Jusqu'en 1960 environ, on vendangeait aussi au Verdon, au lieu-dit Les Huttes[47]. Les cépages de ces vins rouges sont le cabernet sauvignon, le petit verdot, le malbec et le merlot, les vignes poussant sur des terrasses de dépôts de gravier alluvionnaires, légers, favorables au cabernet ou profonds et argileux, favorables au merlot[48].
Le fameux classement des grands crus du Médoc date de 1855 : il est l'œuvre du syndicat des courtiers qui l'élaborèrent à l'occasion de l'Exposition universelle en se fondant sur les prix pratiqués. Il eut en quelque sorte force de loi et a résisté depuis à toutes les critiques des contestataires.
Que d'aléas cependant peuvent nuire à cette culture de la vigne. Beaucoup de facteurs agissent sur la qualité des vins : les fortes chaleurs, les gelées, l’excès de pluies…, favorisent le développement des maladies cryptogamiques. Certains insectes et acariens sont aussi de véritables ravageurs de la vigne.
La première infection de l'histoire eut lieu de 1852 à 1863 : l'oïdium. Le soufrage eut finalement raison de ce fléau.
La période qui suivit, de 1863 à 1883, fut une période de prospérité pour le vignoble médocain. Durant ces vingt années, il y eut d'excellents millésimes, tel celui de 1874.
Dès 1880, s'annoncent à nouveau des jours sombres avec l'apparition du phylloxéra que l'on traitera avec des insecticides. Une nouvelle maladie cryptogamique apparaît aussi vers 1880 : le mildiou. Il faudra utiliser du sulfate de cuivre et la fameuse bouillie bordelaise pour en venir à bout[49]. Ce produit fongicide, mélange d'eau, de sulfate de cuivre et de chaux doit sa fabrication à une découverte fortuite. Les viticulteurs médocains avaient pris l'habitude de pulvériser un mélange de sulfate de cuivre et de chaux sur leurs vignes afin de dissuader les chapardeurs. Un professeur de la faculté de sciences de Bordeaux, Alexis Millardet, fit l'observation que les vignes du château Ducru-Beaucaillou à Saint-Julien-Beychevelle n'attrapaient pas de maladies contrairement à d'autres parcelles. Il en fit part au régisseur du domaine et avec son ami, le biologiste Ulysse Gayon, mit au point en 1885 ce mélange cuprique enrayant le mildiou.
La Lébade (ou Levade)
Ce territoire du Bas-Médoc aux nombreux marécages fut désenclavé par la construction de la Lébade (ou Levade en Haut-Médoc), voie difficilement datable mais, semble-t-il, antérieure au Moyen Âge, menant de Bordeaux à Cordouan dont la D1215 d'aujourd'hui empreinte principalement le tracé.
Cette description « jusqu'à Cordouan » que l'on trouve dans certains écrits tend à prouver l'ancienneté de cette voie. Cordouan était déjà une île (rattachée au continent qu'à marée basse) à l'époque gallo-romaine. Le géographe romain Pomponius Mela parle déjà d'une « île flottante » pour désigner Cordouan sans que l'on sache très bien ce qu'il a voulu dire par là. Parle-t-il d'un effet d'optique?
L'indépendance de son tracé vis-à-vis des églises des villages et de centres médiévaux aussi importants que Castelnau-de-Médoc ou l'Hôpital plaide donc pour une origine antérieure à l'époque médiévale. De plus, son orientation vers la pointe de la Négade près duquel ont été trouvés des restes funéraires datant de l'âge du bronze pourrait laisser penser à une origine protohistorique.
Ce mot «Lébade» veut dire «levée» sous-entendu "de terre" : il vient du gascon, langue dont l'origine étymologique est le mot vascon (de Vasconie) . Au Moyen Âge, il désignait des chemins non empierrés contrairement aux voies romaines. La Lébade du Médoc, une simple surélévation de terre, permettait ainsi de traverser à pied les zones marécageuses. Elle était également appelée à cette époque "Lou gran camin bourdelès". Des écrits du XVIIIe siècle parlent de "vieux chemin de Bordeaux à Soulac".
Elle restera inchangée jusqu'en 1747. Louis-Urbain Aubert, marquis de Tourny, intendant de Guyenne l'aménagera de manière à en faire une route royale[50].
La Lébade de l'époque partait de l'extrémité nord de la rue Sainte-Catherine à Bordeaux, déjà dénommée "Porte du Médoc" au XIIe siècle. Cette "Porta Medoca" a été détruite en 1770 afin de permettre la construction du Grand Théâtre. La Lébade s'orientait ensuite au nord-ouest en empruntant la « rua deu Burga » aujourd'hui les allées de Tourny. Au bout de celles-ci elle franchissait la barrière Saint-Germain (Sent-German) disparue également lors de la suppression des remparts. Elle suivait le tracé des rues Fondaudège, Croix de Seguey, Ulysse Gayon et rejoignait Eyzines puis le Taillan. Elle traversait ensuite la Jalle de Blanquefort, rejoignait Arsac où elle franchissait la Louise pour rejoindre Avensan (voir photo ci-contre).
C'est ici que la route actuelle (D1215) quitte l'ancien tracé désormais en forêt et devenu pare-feu, préférant passer par Castelnau. D'Avensan, elle rejoignait Saint-Laurent puis Lesparre.
Au-delà de Lesparre, la Lébade suivait la route actuelle jusqu'au Gua (gué sur le chenal du Gua, à Saint-Vivien-de-Médoc) puis par un brusque coude, continuait en ligne droite jusqu'à la Graouse, à Vensac (selon un cheminement bordé au sud, puis partiellement repris par la ligne à haute tension, appelé chemin rural no 21 de la Reine), puis allait à Martignan (Grayan-et-l'Hôpital) puis suivait la D 101 (aujourd'hui D1215), quittant brutalement son orientation vers l'Amélie pour bifurquer vers le bourg de Soulac. Elle transitait par Lilhan (hameau de Soulac) d'où elle rejoignait le Vieux Soulac en ligne droite.
Cette partie de la Lébade de Lesparre à Soulac était connue sous le nom de Chemin de la Reyne[50].
Au Moyen Âge, il existait d'autres grands axes routiers permettant de rejoindre Soulac. Le plus important était celui qui longeait l'estuaire de la Gironde (D2 aujourd'hui, de Eysines à Saint-Vivien-de-Médoc) et qui était contrôlé par la forteresse de Blanquefort. Un autre chemin longeant le littoral atlantique était emprunté par les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle : il était désigné sous le nom de Voie de Soulac, voie des Anglais ou plus simplement voie du littoral.
Les Huns - les Wisigoths
L’Empire romain est menacé par les invasions barbares dès le début du Ve siècle. Les Huns, menés par Attila se tournent vers l’Europe après leur échec de conquête de la Perse. Si les Huns ne sont pas arrivés jusqu’en Aquitaine arrêtés en 451 dans leur progression aux champs Catalauniques, ils ont poussé devant eux d'autres peuples germaniques qui, à leur tour, ont abandonné leurs terres et se sont déplacés vers l’ouest.
Les Vandales sont les premiers à envahir la Gaule romaine dès 406. En 408, ils investissent Burdigala. Ils dévastent l’Aquitaine mais ne s’y installent pas, continuant leur route vers l’Espagne.
En 412, d'autres Germains, les Wisigoths avec à leur tête le roi cavalier Athaulf, investissent l’Aquitaine. Après avoir pillé Rome en 410 puis la Provence, ils se rendent maîtres de Burdigala en 414.
Parmi tous les peuples barbares, les Wisigoths se distinguent par une longue période d'occupation de l'Espagne et de tout l'Occident romain, de l'année 418 à l'année 725 environ. Cependant, ils ne sont restés qu'une centaine d'années en Aquitaine.
Le peuple wisigoth était à ses origines un peuple arien niant la divinité du Christ.
Dans la région, les Wisigoths incendièrent Burdigala, démolirent la cathédrale Saint-André comme ils purent le faire pour bien d'autres lieux de culte. La cathédrale Saint-Pierre d' Angoulême fut ainsi détruite alors que la ville était déjà en piètre état après le passage des Vandales. Ainsi, ils s'attirèrent la colère des évêques et des religieux qui en appelèrent à Clovis et aux Francs pour les chasser d'Aquitaine.
Le Royaume wisigoth a marqué les esprits des habitants de son immense territoire qui s'étendait un temps de la Loire au détroit de Gibraltar, incluant les trois-quarts de la péninsule Ibérique : leur capitale était à Tolosa (à l’endroit de la Toulouse actuelle). Cependant très peu de traces de leur passage ont été retrouvées en Aquitaine pour une centaine d'années d'occupation.
Ce n'était pas un peuple particulièrement bâtisseur : le plus souvent, il empruntait le cadre de vie romain, ses espaces et ses édifices. Ceci est peut-être la raison du peu de choses que l'on connaît de la vie des Wisigoths. Athaulf lui-même, leur roi souverain, s'est romanisé : il épousa Galla Placidia, fille de l’empereur Théodose Ier, qu’il avait prise en otage.
Dans leurs tombes, on a surtout retrouvé, comme à Toulouse, des parures métalliques : plaques-boucles de ceinture et fibules, une partie de celles-ci étant exposée au musée de Cluny, situé dans le 5e arrondissement de Paris.
On leur attribue cependant en Occitanie la construction d'un palais (palais du roi des Wisigoths ?) construit sur le site de l'ancien hôpital Larrey au centre-ville de Toulouse, ainsi que trois ou quatre villes nouvelles en Espagne : Recopolis, Vitoria, Olite, et peut-être Toro.
Le peuple wisigoth, à l'exemple de leur chef, se romanise lui aussi rapidement : ils parlent bientôt la langue des Romains, le latin, un latin vulgaire et populaire, et adoptent aussi leur religion, le catholicisme[51]. Le latin des Wisigoths évolue au fil du temps pour devenir du roman vers le VIIe siècle. L'Aquitaine est complètement pacifiée par les Wisigoths vers l'année 413.
Assimilés aux populations locales, grâce notamment à des mariages mixtes, les Wisigoths deviennent un peuple fédéré des Romains en signant le fœdus de 418 proposé par l’empereur romain Honorius : il leur est reconnu le droit de s'installer en Aquitaine en échange de leur aide contre les Huns. Ce sera finalement en 475 que le royaume wisigoth sera définitivement indépendant, à la suite du traité de Clermont entre Euric et Julius Nepos, empereur romain. Ce traité durement critiqué par Sidoine Apollinaire, qualifié de honteux, précipitera la chute de l'Empire romain d'Occident finissant, en 476, lors de l'abdication de Romulus Augustule.
La culture wisigothe, germanique, est à l’origine (en Espagne, en particulier) de nombreux mots utilisés encore de nos jours : des patronymes en -ez comme Fernandez, Rodriguez, Alvarez, Gonzalez…, des noms en -ic (Frédéric…), en -os, en -us, en -ens… ainsi que beaucoup de mots évoquant la guerre (dont le mot guerre lui-même) et les combats.
Qualifiés de barbares, les Wisigoths étaient certes des guerriers, mais comptaient aussi parmi eux des savants, des écrivains (comme Isidore de Séville, auteur des Étymologies) des architectes, des sculpteurs et des orfèvres (comme les auteurs des couronnes votives du trésor de Guarrazar).
Sur le site archéologique de Recopolis, on a retrouvé les restes d’une basilique de type arien dont le culte qui y était pratiqué isola un temps les Wisigoths des populations chrétiennes.
Apportant stabilité et sécurité, les Wisigoths étaient relativement bien acceptés par la population locale. Ils étaient bien organisés administrativement et économiquement avec une agriculture développée et un réseau de villas puissantes datant des Romains (Montmaurin, Valentine…). Leur commerce avec l'Afrique du nord leur permettait d'acquérir des produits de luxe, des tissus, certaines denrées alimentaires qui leur manquaient…
Accompagné de sa cour, Euric a fait de fréquents séjours à Burdigala. Craignant une attaque par la mer de la part des Saxons, il avait posté son amiral Namiatus, avec sa flotte, à Oléron, afin de surveiller l'embouchure de la Charente et celle de la Gironde[52]. Mais ce furent finalement les Francs (un autre peuple germanique) qui mirent fin à l'occupation wisigothe de l'Aquitaine : les Wisigoths seront chassés par eux, en 507, après une centaine d'années d'occupation de la Gironde[53].
C'est la victoire de Clovis sur Alaric II, tué lors de la bataille de Vouillé en 507, qui sonne le glas du royaume de Toulouse. Celui-ci aura laissé relativement peu de traces en Gironde malgré près d’un siècle passé sur le territoire et la succession de huit rois : Athaulf, Sigéric, Wallia, Théodoric Ier, Thorismond, Théodoric II, Euric et Alaric II.
Moyen Âge
Depuis le Moyen Âge, Le Verdon est connu pour être une commune très maritime dont la rade est abritée des vents dominants d'ouest. Les navires désirant quitter l'estuaire de la Gironde y stationnaient avant de prendre la mer. Les habitants du Verdon vivaient essentiellement à cette période de la pêche et de l'ostréiculture, de la terre ou de l'exploitation du sel des marais salants[54]. Ces marais salants du Nord-Médoc aménagés par les bénédictins de l’abbaye Sainte-Croix de Bordeaux produisaient quantité de sel dont la vente était taxée. Les navires souhaitant se ravitailler à terre débarquaient quelques marins qui, avec l'aide d'un petit canot, remontaient le chenal de Rambaud jusqu'au bourg. Ce chenal servait également à l'expédition du sel des marais.
L'érosion des vents et des flots tant océaniques qu'estuariens a façonné cette pointe, engloutissant tantôt des terres, engraissant parfois les marais, balayant les dunes sableuses qui formaient dès le Moyen Âge le paysage principal[55].
Dès le VIe siècle, divers peuples pénètrent en Médoc, tels les Francs, les Arabes, puis les Normands.
Les Francs et la Vasconie
Pour chasser les Wisigoths, les évêques aquitains (les Wisigoths ont détruit la cathédrale Saint-André!) en appellent au chef des Francs, Clovis qui s’est converti au catholicisme.
Après la bataille de Vouillé, en 507, ce dernier entre triomphalement, précédé par son armée, dans Burdigala. Laissant passer l’hiver, il parvient en 508 à repousser les Wisigoths au-delà des Pyrénées : l'Aquitaine est intégrée au royaume des Francs.
Clovis, au départ roi des Francs saliens puis roi de tous les Francs durant trente ans, meurt en 511. Ses descendants, les Mérovingiens du nom d'un ancêtre (légendaire?) Mérovée vont se disputer son territoire durant de nombreuses années.
Profitant de ces dissensions, les Vascons (peuple proto-basque comme les Aquitains) venant de Navarre en Espagne mènent des attaques contre le royaume franc mérovingien.
En 602, les Mérovingiens créent un duché en Aquitaine, le duché de Vasconie afin de maintenir leur autorité sur les populations locales. Genial en devient le premier duc comme l'atteste la Chronique de Frédégaire.
En 670, Loup Ier de Vasconie devient duc d'Aquitaine et de Vasconie.
En 675, à la mort du roi des Francs Childéric II, une partie de ce duché devient duché d'Aquitaine, les Vascons s'installant plus au sud. Eudes d'Aquitaine, le fils de Loup 1er, lui succède de 681 à 735. Hunald 1er est à son tour duc d'Aquitaine et de Vasconie jusqu'en 745, après avoir prêté serment de fidélité à Charles Martel.
Hunald Ier se retirant à l'île de Ré, son fils Waïfre n'a de cesse cependant de lutter lui aussi pour l'indépendance de l'Aquitaine.
L'Aquitaine absorbe complètement le duché de Vasconie en 1063 à la suite de la bataille de La Castelle.
Duché d'Aquitaine, puis duché de Guyenne
En 675, Childéric II , roi d'Austrasie, puis roi de tous les Francs depuis deux ans est assassiné à l'âge de vingt ans dans la forêt de Lognes, n'ayant pas d'héritier. L'Aquitaine jusqu'alors sous la tutelle d'un duc d'Aquitaine et de Vasconie devient indépendante (Voir carte ci-dessous) jusqu'en 781.
Un temps appartenant au royaume d'Aquitaine avec pour souverains les rois carolingiens Louis le Pieux (781-814), fils de Charlemagne, puis Pépin Ier d'Aquitaine (817-832), l'Aquitaine et la Gascogne seront intégrées au Royaume de Charles II le Chauve en 843 lors de la partition de l'Empire de Charlemagne par le Traité de Verdun.
La région redeviendra un duché en 877, objet de luttes de possession entre les comtes du Poitou, les comtes de Toulouse et les comtes d'Auvergne. Cette dispute du territoire est parfaitement illustrée par le combat que se livrent les Guilhelmides et les Ramnulfides, familles pourtant apparentées, de 828 à l'an 902. Ces derniers réuniront le duché d'Aquitaine avec celui du Poitou en 854, avec Poitiers pour capitale et Ramnulf Ier comme premier duc. Cette lignée (Maison de Poitiers-Aquitaine) mènera tout droit à Aliénor d'Aquitaine, comtesse de Poitiers et de Gascogne, duchesse d'Aquitaine de 1137 à 1204. Cette même année de 1137, alors qu'elle hérite du duché d'Aquitaine, elle l'apporte en dot au Royaume de France en épousant Louis VII le Jeune. Divorçant puis se remariant avec Henri II Plantagenêt, le duché devient possession de la couronne d'Angleterre en 1154.
Le duché d'Aquitaine prendra le nom de duché de Guyenne au moment du traité de Paris conclu le qui met fin au conflit albigeois. Raymond VII, comte de Toulouse, cédait alors la plus grande partie du Languedoc à la France de Louis IX, dit Saint Louis.
Ce duché de Guyenne sera âprement disputé par les deux couronnes de France (les Valois) et d'Angleterre (les Plantagenêt) notamment lors de la guerre dite de Guyenne (1294-1297) puis lors de la guerre de Cent ans.
En 1329, le roi Édouard III d'Angleterre rend hommage à Philippe VI de Valois pour la Guyenne devenant vassal du Roi de France.
La rivalité entre les couronnes de France et d'Angleterre ne s'arrête pas pour autant et aboutit à la guerre de Cent Ans en 1337 lorsque Édouard III prétend au trône de France : sa mère, Isabelle de France, était fille de Philippe IV le Bel.
Le 8 mai 1360, lors du traité de Brétigny, la France perd de nouveau la souveraineté sur la Guyenne et la Gascogne entre autres, au profit des Anglais. L’essentiel sera reconquis par du Guesclin dans les années 1370 à 1380 à l'exception de la Guyenne (donc de la Gironde) qui restera une possession anglaise des Plantagenêt jusqu'en 1453.
Les Arabes (ou Sarrasins, ou Maures)
Vers 681, Eudes d'Aquitaine, fils de Loup 1er, devient duc d'Aquitaine et de Vasconie. Il doit faire face, à partir de 719, à l'invasion omeyyade (Sarrasins) : il obtient une première victoire à la bataille de Toulouse en 721.
Les Omeyyades d’Espagne lancent alors une offensive conduite par le général Abd al-Rahman qui franchit les Pyrénées, ravage l’Aquitaine, défait, en 732, les troupes d’Eudes d'Aquitaine et de Vasconie dans une bataille sanglante, la bataille de Bordeaux. Ils se rendent maîtres de la ville. Les troupes du Duc d'Aquitaine sont même poursuivies, prises à revers, subissant de très lourdes pertes.
Le duc d'Aquitaine en fuite demande de l'aide à Charles Martel (maire du palais), son ancien ennemi. Celui-ci réunit une armée et la rencontre a lieu en octobre 732 près de Poitiers, donnant la victoire aux Francs. Selon la formule, « Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers ».
Après cette bataille de Poitiers, les Francs souhaitent maintenir leur souveraineté sur l'Aquitaine.
L'Aquitaine cependant lutte ardemment pour son indépendance. À la mort de Charles Martel en 741, Hunald Ier, fils d'Eudes d'Aquitaine s'est soulevé contre Pépin III, dit le Bref, sans succès. Il abandonne le duché à son fils Waïfre, en 745, se retirant dans un monastère de l'île de Ré. Ce dernier continue la lutte s'alliant même avec Griffon, le demi-frère de Pépin le Bref. Waïfre et Pépin le Bref meurent tous les deux la même année, en 768, et l'Aquitaine ravagée passe entièrement sous la domination des Francs de Charlemagne[56].
Les Normands (ou Vikings)
En 799, le royaume franc de Charlemagne est la cible d'un premier raid barbare venant de la mer. Il est perpétré par un peuple scandinave, les Vikings. On les appelait aussi Normands, littéralement les Hommes du Nord, d'où le nom du duché de Normandie donnée à la région où ils s'installeront enfin, en 911. Charles III le Simple, roi de Francie, accordera à leur chef Rollon, ce territoire autour de Rouen en contrepartie de l'arrêt des pillages.
Cette première incursion de 799 en territoire franc ne sera que le début d'une longue série d'autres attaques de leur part, jusqu'en 911. Elle eut lieu à Noirmoutier semble-t-il, île qui sera investie plusieurs fois encore, en 820, en 830 et qui leur servira de base en 843.
En 810, Louis Ier le Pieux qui n'est encore que roi d'Aquitaine fait fortifier l'embouchure de la Charente. En 813, l'île de Bouin aujourd'hui disparue est pillée et incendiée.
Les Vikings remontent la Garonne jusqu'à Toulouse en 844. Ils attaqueront Paris en 845 : la capitale sera ciblée plusieurs fois, en particulier de 885 à 887, épisode connue sous le nom de siège de Paris.
Ils ont établi ponctuellement des bases sur l’île de Ré, à Taillebourg sur la Charente, sur les berges de l’Adour, à Bayonne, ce qui leur permettait de mener des raids un petit peu partout sur la façade atlantique, notamment sur le Poitou et la Charente. Ils pillaient les régions traversées en remontant les fleuves, on a l’habitude de dire sur leurs drakkars. Pourtant, ils utilisaient toute une gamme de bateaux plus ou moins grands dont le knarr particulièrement adapté à la navigation en haute mer, sur les océans.
En 852, leurs offensives se concentrent de nouveau sur la Gironde.
À l'automne 863, une flotte nombreuse semble avoir envahi le bassin de la Garonne.
Les barbares se répandent en Gascogne et Aquitaine, dévastant tout sur leur passage, pendant une vingtaine d'années. Bordeaux est pillé au moins trois fois : en 848, 861, 863 ou 866. Combattus, ils seront refoulés de l'intérieur des terres et chassés plus tard du rivage, sauf sur la côte landaise[57].
Leur installation en Normandie ne stoppera pas pour autant certains pillages de la Bretagne et des pays de la Loire et même du Poitou ( à Saint-Michel-en- l'Herm) jusqu'en 1017 semble-t-il, notamment dus à des chefs vikings autres que Rollon, tel Ragenold... Leur expansion et leur implantation durable en France et de par le monde donnera un nom à cette période, l'Âge des Vikings.
La Francie, du royaume des Francs au royaume de France
Après le traité de Verdun de 843, l'Aquitaine est intégrée dans le royaume de Francie occidentale. Charles II le Chauve en devient le roi.
Ce traité consacre la division de l'Empire carolingien de Charlemagne en trois parties confiées à chacun de ses petits-fils : outre la Francie occidentale de Charles II le Chauve qui représentait approximativement les deux tiers occidentaux de la France actuelle, la Francie médiane fut confiée à Lothaire Ier, la Francie orientale à Louis II le Germanique. Bientôt les parties médianes et orientales abandonneront cette dénomination de « Francia » : dès lors, certains historiens la remplaceront par France pour désigner la Francie occidentale. On peut donc dater le nom de France après 843. Il tire son origine du nom Francia en latin, c'est-à-dire Francie, le pays des Francs, ce peuple germanique qui s'est installé en Gaule romaine à partir du Ve siècle (Francs saliens).
Ce n'est pas pour autant que la dénomination de Gaule sera totalement abandonnée au profit du mot France. Ce nom de Gaule a continué à être utilisé après l’avènement des Francs (de Clovis en 481) et était encore utilisé pendant le règne de Charlemagne. Gallia et tous ses dérivés nominatifs, vocatifs, ablatifs, accusatifs...(Gallus, Gallicus, Gallicǎ...) ont très longtemps été employés par les gens lettrés qui ont continué à utiliser exclusivement le latin dans leurs écrits.
Le mot gaulois est encore utilisé de nos jours et souvent avec une connotation positive : n'entend-on pas toujours parler de "nos ancêtres les Gaulois"? bien que notre lignée ne débute pas avec les Gaulois étant issue d'un mélange de tout un tas de cultures. Cela est peut-être dû à Astérix et Obélix mais surtout aux dirigeants de la Troisième République qui ont entretenu cette croyance en évoquant sans cesse notre bonne vieille nation gauloise : les livres d'histoire des écoliers de l'époque commençaient toujours par des pages sur les Gaulois.
Le mot gallicisme est aujourd'hui utilisé pour désigner tout emprunt fait à la langue française. Le coq gaulois est devenu un symbole national de la France.
On va ainsi glisser de la Francie au royaume de France à partir de cette date de 843.
En 877, le duché d'Aquitaine, fief mouvant de la Francie, sera intégré dans le royaume d'Aquitaine. Ce duché se décomposera en deux duchés, le duché de Gascogne (ancien duché de Vasconie) au sud de la Garonne et le duché d'Aquitaine (plus tard appelé Guyenne) ayant pour capitale Bordeaux. En 1058, les deux duchés se réuniront.
Le temps des Seigneurs
Quand on pense au Moyen Âge, on ne peut s'empêcher de penser au temps des Seigneurs. Le Médoc a eu aussi ses « châteaux forts » dont le plus proche de la Pointe de Grave est celui de Lesparre. Le seul vestige classé au titre des monuments historiques reste la Tour de l'Honneur datant du XIVe siècle, pièce maîtresse d'un système défensif de quatre tours dont trois ont disparu.
Le système féodal a une origine germanique : toutes les terres conquises par les Francs, dès le IXe siècle, étaient confiées à un chef indépendant en récompense des services rendus à la guerre. Ainsi apparut pendant un certain temps le titre de Duc des Francs qui sera finalement supprimé par les Capétiens. Ce titre fut notamment attribué à deux grandes familles de la noblesse franque, les Arnulfiens d'Austrasie et les Robertiens de Neustrie avant leur accession au pouvoir (Roi des Francs).
Les invasions barbares permirent à ces chefs de se rendre indépendants de leurs gouvernants. Les autorités romaines elles-mêmes donnèrent cette charge de duc à des chefs barbares.
Les Carolingiens après les Mérovingiens ont repris à leur compte ce système. Charlemagne placera de vastes territoires sous le contrôle des missi dominici (envoyés du maître). C’est à peu de chose près le début du système binaire d’allégeance : suzerain, vassal. Ce système s'est mis en place progressivement au Moyen Âge avec l'apparition de la noblesse féodale, notamment avec l'un des plus anciens titre de noblesse, celui de duc dont l'origine remonte à l'Empire romain, duc qui était placé à la tête d'un duché : ainsi le duché d'Aquitaine constitué en 675, fief mouvant de la Francie occidentale.
Ainsi, petit à petit, du XIe siècle au XIIe siècle, les populations du Saint Empire romain germanique se sont rassemblées autour d'ensembles fortifiés défendus par un seigneur : seigneuries cisterciennes, prémontrées…
La seigneurie de Lesparre
La seigneurie de Lesparre connut un essor au XIIe siècle. On connaît cependant un seigneur de Lesparre dès l’an 1100, Gaucelm Gombaud. Deux de ses fils lui succèderont, Raimond Gombaud et Pierre Gombaud.
À cette époque du XIIe siècle, le château de Lesparre dominait le Bas-Médoc, il formait l'un des principaux fiefs des ducs de Guyenne. Les domaines annexés au château s'accrurent rapidement dans les deux siècles qui suivirent jusqu'à compter une trentaine de paroisses au milieu du XIVe siècle.
Au XIIIe siècle, la seigneurie occupe une grande partie du Médoc. Elle s'étend surtout à l'ouest, tout le long de l'Atlantique, mais nulle part, semble-t-il, elle n'atteint les rivages de la Gironde. Classés en barons, les Seigneurs de Lesparre tenaient le château de Lesparre et les terres alentour en fief du Duc d'Aquitaine[58].
Une première forteresse en bois est édifiée à l'emplacement d'un temple gallo-romain. Cette place forte est déjà mentionnée dans la charte de 1100.
Le château fortifié des seigneurs de Lesparre comportant quatre tours de trente mètres de haut environ sera construit quant à lui vers 1320. Il n'en reste aujourd'hui que la Tour de l'Honneur, classée Monument Historique en 1913.
Pendant trois cent ans, de 1152 (mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec le roi anglais Henri II Plantagenêt) jusqu'en 1453 (Bataille de Castillon et fin de la Guerre de Cent Ans) la seigneurie de Lesparre (duché de Guyenne) restera sous la domination des Anglais.
Le duché sera âprement disputé par les royaumes de France et d'Angleterre notamment lors d'un conflit armé de 1294 à 1297 : la Guerre de Guyenne. En 1299, le Traité de Montreuil et en 1303, le Traité de Paris décident de la fin du conflit mais ne changent rien à la prédominance anglaise. En 1329 cependant, le roi Édouard III d’Angleterre également duc d’Aquitaine (Guyenne et Gascogne) devient vassal pour la Guyenne de Philippe VI de Valois.
Pendant toutes ces années, on peut noter la naissance au château en 1216 du célèbre troubadour Aimeric de Belenoi neveu d'un autre troubadour originaire de la région, Peire de Corbian.
Cénebrun IV de Lesparre (ou Sénebrun ou Gaucem-Brun)
Parmi les seigneurs de Lesparre des plus connus, on peut citer Cénebrun IV de Lesparre (parfois écrit Sénebrun). Ce dernier a hérité du titre de sire de Lesparre équivalent à celui de comte ou baron à la mort de son père en 1324. Trop jeune pour gouverner, il sera un temps épaulé par son oncle Bernard.
L'historien François-Joseph Rabanis (1801-1860) dit que les seigneurs de Lesparre étaient vassaux des ducs d'Aquitaine.
Sire de Lesparre au début de la Guerre de Cent Ans (1337-1453), Cénebrun IV soutiendra comme ses ancêtres la couronne d'Angleterre.
Le roi Édouard III d’Angleterre lui accorde des droits tels celui de haute, moyenne et basse justice, celui de guet et de garde, celui de bris sur les côtes du Médoc...
Cénebrun participera à plusieurs expéditions contre les Français durant cette Guerre de Cent Ans, à Auberoche en Périgord, à Poitiers lors de la chevauchée de Lancastre, à Limalonges (bataille de Lunalonge) sous les ordres du sénéchal de Guyenne...
Quand Cénébrun décède en 1362, c'est son fils Florimont qui lui succède[59].
Florimont de Lesparre
Florimont de Lesparre dans la continuité de son père, prête allégeance à Édouard de Woodstock, Prince d’Aquitaine, dit le Prince Noir.
En 1365, le roi de Chypre, Pierre 1er de Lusignan n'a de cesse de demander la participation des souverains étrangers à une croisade dans un but d'ailleurs plus économique que religieux. Il reçut à Angoulême l'aval du Prince Noir lors d'un répit des combats de la Guerre de Cent Ans.
Florimont participera à cette croisade d'Alexandrie. Sa mère, Jeanne de Périgord, était de la célèbre famille des Talleyrand-Périgord. Le cardinal Hélie de Talleyrand-Périgord (1301-1364), oncle de Florimont, avait reçu de nombreuses légatures des papes avignonnais dont Urbain V qui prêcha cette croisade.
Entre le roi de Chypre, Pierre de Lusignan et Florimont s'établirent des relations d'intimité et de confiance réciproques qui devaient se terminer brusquement et d'une manière désagréable pour tous les deux.
Florimont participe à la délivrance du château de Kurt (ou Kourt) assiégé par les Turcs. Il s’apprête à une nouvelle expédition contre Tripoli en Syrie lorsqu’il se dispute avec Jean Mustri (ou Monstry), amiral de Chypre, dignitaire qui possédait toute la confiance du roi, Pierre de Lusignan. Ce dernier refuse alors que Florimont embarque avec lui pour Tripoli. Vexé, Florimont rompt son serment d'allégeance et n'hésita pas à envoyer, lui simple chevalier, une lettre de défi au roi de Chypre. Le duel envisagé n'eut finalement pas lieu grâce à l'intervention du pape Urbain V qui prêcha une réconciliation[60].
En 1367 lorsque la Première guerre civile de Castille s'internationalise, l'Angleterre entreprend une expédition en Espagne : Florimont rentré au pays prend toute sa part au conflit aux côtés du Prince Noir.
En 1369, la guerre a repris entre Anglais et Français en Guyenne : Florimont participe au sac de Limoges, en 1370.
Par la suite, Florimont connaîtra de nombreuses mésaventures. Son bateau sera arraisonné par un navire espagnol alors qu'il se rendait en Angleterre : il sera fait prisonnier une première fois de 1377 à 1379, à Burgos.
En 1385, Florimont est cette fois-ci emprisonné brièvement à Londres en raison d'une dette contractée auprès de Nicolas Brembre, conseiller de Richard II. Ce dernier, fils du Prince Noir, est né à Bordeaux : il est roi d'Angleterre et Duc d'Aquitaine depuis 1377, à l'âge de dix ans.
En 1394, année probable de son décès, Florimont combattra une dernière fois aux côtés de Richard II, en Angleterre. Sans enfant, la seigneurie passe aux mains de la famille de son beau-frère, les de Madaillan : sa sœur Rose avait épousé Guillaume-Aramon de Madaillan, sieur de Rauzan. Leur fils Guillaume-Amanieu de Madaillan, sire de Lesparre, sera Maire de Bordeaux en 1404.
La "guerre de Guyenne" continua au XVe siècle : redditions de Bordeaux en 1451 et 1452, cependant que la seigneurie de Lesparre fait de la résistance. L'expédition de "l'Achille anglais" John Talbot en Aquitaine se termine par la Bataille de Castillon en 1453. La Guerre de Cent Ans prend fin[61] ainsi que la prédominance anglaise sur la Guyenne.
Le château sera ensuite la propriété d'autres familles : à la Maison d'Albret qui aida à reprendre la Guyenne (le roi Charles VII nomma Amanieu d'Albret, comte d'Orval en Normandie, sire de Lesparre) , à la Maison de Foix, à la Maison de Clèves (propriété de Jacques de Clèves, duc de Nivernais en 1536), à la Maison de Matignon (le maréchal Jacques II de Goyon de Matignon décéda au château de Lesparre en 1598), la Maison d'Épernon et enfin, en dernier lieu à la Maison de Gramont. Quasiment en ruine, il sera vendu comme bien national à la Révolution et démantelé peu après.
Aliénor d'Aquitaine
Née en 1122 (ou 1124?) à Belin (ou à Bordeaux?), c'est en 1130 qu'Aliénor hérite du duché d'Aquitaine, son frère aîné Guillaume Aigret étant décédé en bas âge. Elle descend des Ramnulfides (Maison de Poitiers-Aquitaine ) comtes de Poitiers depuis l’année 854 (Ramnulf Ier), puis ducs d'Aquitaine.
En 1136, les seigneurs d'Aquitaine lui jurent allégeance alors qu'elle n'a que quatorze ans. Son père Guillaume X, duc d’Aquitaine avait de son vivant arrangé son mariage avec Louis, fils de Louis VI le Gros, héritier du trône de France. Le mariage eut lieu à Bordeaux à la cathédrale Saint-André en 1137 alors qu'elle n'a que quinze ans : elle est couronnée reine des Francs, à Bourges. Son époux, seize ans quant à lui, est couronné Roi de France sous le nom de Louis VII : il sera surnommé le Jeune, puis le Pieux. Aliénor lui apporte en dot la Guyenne, la Gascogne, le Poitou, la Saintonge... Le Royaume capétien s'étend dès lors au sud jusqu'aux Pyrénées.
Aliénor ne s’entend cependant pas avec son mari qui la pense infidèle. Au retour de la deuxième croisade destinée à porter secours aux États chrétiens de Palestine menacés par les Turcs, croisade à laquelle participe aussi Aliénor plus ou moins contrainte, une séparation est envisagée. Aliénor est accusée d'adultère, on lui prête une liaison avec son oncle et ancien tuteur, Raimond de Poitiers, prince d'Antioche qui les a accueillis une dizaine de jours, au printemps, lors de cette croisade. L'épisode est connu sous la dénomination d'incident d'Antioche en référence au premier incident d'Antioche du premier siècle de toute autre nature. Il est à l'origine de la légende noire qui poursuivra et poursuit de nos jours encore les récits de la vie d'Aliénor malmenée par l'historiographie.
Après 15 ans de mariage et deux filles (Marie de Champagne et Alix de France, cette dernière est née en 1151, une seule année avant son divorce), le second concile de Beaugency sollicité par le roi, prend pour prétexte une consanguinité éloignée pour annuler le mariage le 21 mars 1152.
Aliénor a le droit de reprendre sa dot et le Royaume de France perd plus de la moité de son territoire. Elle avait sans doute déjà en tête d'épouser Henri Plantagenêt, petit-fils par sa mère d'Henri Ier, roi d'Angleterre, car tout est allé très vite. Ce dernier avait été aperçu rôdant à la cour de France, en août 1151, à l'occasion du règlement d'un conflit réclamant sa présence. Le , huit semaines seulement après l'annulation de son premier mariage, Aliénor l'épouse à Poitiers. Cet Henri, futur roi d'Angleterre, est âgé de dix-neuf ans seulement, plus jeune qu'elle de onze années.
Le , ils sont couronnés roi et reine d'Angleterre : le Médoc devient une partie d'un vaste ensemble territorial, dit « Empire Plantagenêt », et passe sous influence anglaise.
Aliénor donnera naissance à cinq fils et trois filles de 1153 à 1166. Mais Aliénor est excédée par le manque d'écoute et surtout l'infidélité d'Henri II Plantagenêt : il est le père de nombreux bâtards.
En 1173, elle complote contre lui avec ses fils Richard, Geoffroy et Henri le Jeune.
Arrêtée, elle sera emprisonnée pendant une quinzaine d'années à Chinon, puis à Salisbury, puis dans divers autres châteaux d'Angleterre.
Après la mort d'Henri II, le 6 juillet 1189, elle est libérée par ordre du nouveau roi, son fils Richard Ier Cœur de Lion qui s'était entre temps rallié à son père. Celui-ci avait été désigné Duc d'Aquitaine en 1172, succédant à Aliénor et à Henri II Plantagenêt, il le restera jusqu'en 1199, date de sa mort.
Aliénor est alors très active, voyage, fait libérer les prisonniers d'Henri II et leur fait prêter serment de fidélité au nouveau roi. Elle gouverne même à la place du roi de 1189 à 1191 alors qu'il est parti pour la troisième croisade. Elle le rejoint pour préparer son mariage cette même année, mais revient précipitamment pour empêcher son plus jeune fils, Jean sans Terre, le mal-aimé, de trahir son frère Richard. Elle n'y parviendra qu'un temps.
Richard, quant à lui, sera fait prisonnier en Autriche lors de son retour de croisade par le duc Léopold V de Babenberg, à la suite de manœuvres du roi français Philippe II Auguste. Il est livré à l’empereur Henri VI du Saint-Empire. Aliénor devra réunir une forte rançon pour sa libération.
Richard mourra finalement en 1199 de gangrène, des suites de sa blessure à Châlus.
Aliénor prend aussitôt parti pour son dernier fils Jean : à 77 ans, elle parcourt tout l'Ouest de la France, rallie l'Anjou qui s'était prononcé pour le comte de Bretagne, et fait prêter serment à Jean sans Terre dans son duché d'Aquitaine. En juillet 1202, Philippe II dit Auguste déclarera Jean sans Terre félon, et saisira ses domaines continentaux.
Aliénor, malade, finira sa vie retirée à l'abbaye de Fontevraud, à partir de l'année 1200. Elle y mourra le 31 mars 1204, à l'âge de 82 ans, et y sera inhumée.
La Guerre de 100 ans
La Guerre de Cent Ans va opposer la dynastie des Plantagenêt à celle des Valois de 1337 à 1453, durant en fait 116 ans, entrecoupés de périodes de paix.
Ce conflit a pour première origine la rancune des Capétiens à la suite de la perte d'une partie de leur territoire après le mariage d'Aliénor et d'Henri Plantagenêt : ils n'auront de cesse de vouloir récupérer l'Aquitaine. La rivalité entre les rois d'Angleterre et les rois de France est cependant déjà très ancienne, certains la faisant débuter au règne d'Henri Ier, roi des Francs, de 1031 à 1060, à propos de la Normandie dont le duc est Guillaume le Conquérant. Une grave crise économique due à la hausse des impôts prélevés par les seigneurs créant une instabilité dans tout le pays, est la seconde raison de ce conflit.
Le duché de Guyenne
Le duché de Guyenne n'existait pas avant 1259, le territoire faisait partie intégralement du duché d'Aquitaine. Le nom n'apparaît que lors du Traité de Paris entre la France et l'Angleterre. Dès lors, et malgré cet accord, la Guyenne sera un continuel sujet de dispute entre les deux royaumes.
Le conflit avait déjà commencé le siècle précédent à la suite du mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec le souverain anglais Henri Plantagenêt, de 1159 à 1259, épisode de l'histoire dénommé la Première guerre de Cent ans. Après les conflits de succession pour le titre de duc d'Aquitaine notamment entre les deux fils d'Aliénor, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, l'Aquitaine reste anglaise. Henri III, Édouard 1er, Édouard II et enfin Édouard III sont ducs d'Aquitaine de 1216 à 1362.
Le traité de Paris (1259)
Lors du traité de Paris en 1259 qui met fin à la première guerre de Cent Ans, Louis IX, dit Saint-Louis avait obtenu que le roi d'Angleterre Henri III Plantagenêt, fils de Jean sans Terre et petit-fils d'Aliénor d'Aquitaine, devienne son vassal pour l'Aquitaine.
En 1308, Édouard II d'Angleterre épouse Isabelle de France , la fille de Philippe IV le Bel afin d'apaiser les tensions, mais sans succès. Au contraire même, ce mariage donne au roi anglais des prétentions encore plus grandes, le souhait d'accéder au trône de la France. D'où le conflit de Saint-Sardos en 1324. Les anglais sont défaits mais ne perdent pas leurs possessions en Aquitaine, sauf l'Agenais.
Le problème de la souveraineté sur la Guyenne se pose toujours alors qu'Édouard III (fils d'Édouard II et d'Isabelle d France) se trouve être le vassal de Philippe VI de Valois : la cérémonie d'allégeance eut lieu en 1329 après bien des tergiversations. La fin du conflit notamment à propos de l'Agenais conduira directement au déclenchement de la Guerre de Cent Ans en 1337.
Ce conflit interminable comportera une quantité importante de batailles, de sièges, de traités et de trêves dont celle de Bordeaux en 1357.
Le traité de Brétigny (1360)
Le traité de Brétigny en 1360 permet de stopper un temps la Guerre de Cent Ans : trêve de neuf ans.
Jean II le Bon, prisonnier des Anglais depuis 1356 (Bataille de Poitiers) est libéré après quatre années passées en résidence surveillée à Bordeaux d'abord, puis pour terminer à Londres où il était beaucoup moins bien traité afin de faire pression sur le régent Charles de France (futur roi sous le nom de Charles V le Sage).
Les Capétiens récupèrent une petite partie de l'Aquitaine mais Guyenne et Gascogne restent anglaises. Lors de ce traité, Édouard III d'Angleterre prend le titre de Seigneur d'Aquitaine. Son territoire est alors immense, sa province s'étire de la Loire aux Pyrénées avec Bordeaux comme capitale.
Édouard de Woodstock dit le Prince Noir, la principauté d'Aquitaine
Édouard de Woodstock, fils aîné d'Édouard III d'Angleterre, Prince de Galles, s'est rendu célèbre par ses actes d'héroïsme. Il était de la bataille de Crécy à 16 ans, en 1346. C'est lui qui a sauvé son père lors de l'embuscade de Calais et qui a fait prisonnier le roi de France Jean II le Bon, près de Poitiers.
En 1362, Édouard III d'Angleterre récompense son fils en transformant pour lui le duché d'Aquitaine en principauté : de fait
Édouard de Woodstock devient Prince d'Aquitaine. Les historiens le désigneront plus tard sous le nom de Prince Noir au XVIe siècle peut-être à cause de la couleur de son armure (ou bien de la terreur qu'il inspirait?).
Ses chevauchées vont marquer les esprits et il bénéficiera d'une véritable vénération à Bordeaux : avec sa femme Jeanne, la duchesse de Kent, il établira autour de lui une cour menant une vie somptueuse fêtant chaque victoire dans ses nombreux châteaux (le château de Lormont par exemple). Beaucoup cependant lui reprocheront le sac de Limoges en 1370.
Bertrand du Guesclin, la reconquête
Suite à l'épisode sanglant de Limoges, le roi Charles V avait nommé Bertrand du Guesclin au poste de connétable de France. Quoique fait prisonnier à la fin puis libéré contre rançon, celui-ci s'était déjà illustré lors de la guerre de succession de Bretagne (guerre des deux Jeanne) : ses succès lui valurent le surnom de Dogue Noir de Brocéliande. Afin de libérer le royaume des grandes compagnies, il avait négocié avec une partie des mercenaires les entraînant dans la première guerre civile de Castille. Il est alors fait de nouveau fait prisonnier en 1367 par le Prince Noir à la bataille de Nájera.
Libéré et nommé connétable de France, il va n'avoir de cesse de chasser les anglais utilisant souvent la ruse pour se rendre maître des châteaux.
En 1374, Du Guesclin aidé du duc d'Anjou se tourne vers la Guyenne et reconquiert de nombreuses villes alors que le Prince Noir s'est retiré en Angleterre en 1371.
Le Prince Noir quitte la Guyenne
Malade (dysenterie?), ce dernier a laissé son frère Jean de Gand, duc de Lancastre, administrer l'Aquitaine en tant que Régent : son père non encore décédé est malade (mort en 1377) et son fils Richard n'a que 4 ans, à l'époque[62].
Le Prince Noir décède en 1376, à 45 ans. Le titre de Prince d'Aquitaine n'est plus donné après lui, l'Aquitaine redevient duché. Son fils Richard, né à Bordeaux deviendra le nouveau roi d'Angleterre en 1377 succédant à son grand-père sous le nom de Richard II, à l'âge de 10 ans. Il est le nouveau duc d'Aquitaine jusqu'en 1390. Le Prince Noir contrairement à son fils, n'aura jamais été roi d'Angleterre à cause de la longévité de son père. Avant sa mort, il s'était assuré de la loyauté de Lancastre pour faire monter son fils Richard sur le trône. En âge de gouverner seul (émancipation en 1386, mais contrôle du Parlement et des Lords Appellant), Richard II confie en 1390 le duché d'Aquitaine à Jean de Gand Lancastre qui en assurera l'administration jusqu'à sa mort en 1399, le roi décédant lui-même en 1400.
Édouard de Woodstock s'intéressa à la pointe de Grave, c'est lui qui fit édifier sur le plateau de Cordouan la tour qui porta son nom, la Tour du Prince Noir aujourd'hui disparue.
La fin de la guerre de Cent Ans, de 1399 à 1453
Le règne de Richard II d'Angleterre ne fut pas un long fleuve tranquille, il inspira William Shakespeare. Arrivé au pouvoir très jeune, accusé par la suite d'incapacité voire de folie pour ses prises de décision, il doit compter sur la surveillance des nobles anglais siégeant au Parlement. Les décisions de l'admirable Parlement en 1386 débouchent sur un conflit avec les Lords Appellant et sur l'impitoyable parlement de 1388.
Richard II sera détrôné en 1399 par son cousin Henri de Lancastre, le fils de Jean de Gand, qui règnera sous le nom d'Henri IV d'Angleterre. De fait, Henri IV devient le nouveau duc d'Aquitaine et le restera jusqu'à sa mort en 1413. Son fils Henri V puis son petit-fils Henri VI lui succèderont jusqu'en 1453, fin de la guerre de cent Ans : l'Aquitaine redevient une possession française.
Au XVe siècle, les français de leur côté, souhaitent toujours récupérer la pleine souveraineté sur toute l'Aquitaine et plus particulièrement sur la Guyenne en ce qui concerne la pointe de Grave : celle-ci est souvent le théâtre de scènes de pillages.
C'est à cette époque que sévissent les Écorcheurs. Leurs troupes armées se réclamant parfois du roi Charles VII ou d'autres grands seigneurs profitent des conflits de la guerre de Cent Ans pour semer la mort et la désolation. C'est ainsi qu'en 1438, l'armée du lieutenant général Charles II d'Albret accompagnée du cruel chef de bande espagnol Rodrigue de Villandrando, dit l'Empereur des brigands, ou simplement l'Écorcheur, va attaquer Bordeaux sans réussir cependant à entrer dans l'enceinte de la ville. Ils vont piller et rançonner cette même année de 1438 de nombreuses villes du Médoc et de Guyenne dont Blanquefort.
Semant la dévastation durant de longues années, ces groupes sont en effet parfois à la solde du roi de France Charles VII qui souhaite se rendre maître de la Guyenne harcelant les occupants anglais. Ces mercenaires ne sont cependant pas des plus fidèles au roi et au gré des récompenses participent aussi au conflit entre Armagnacs et Bourguignons.
La campagne de Charles VII pour libérer la Guyenne s'avère plus difficile encore et plus longue que la conquête de la Normandie. En effet, les Bordelais et les Médocains (Seigneurie de Lesparre) considéraient les Anglais comme des amis, des clients privilégiés dans le commerce du vin. L'intervention française est très mal ressentie par la population qui souhaite plutôt rester sous tutelle anglaise. Leur appel au secours est entendu par le roi Henri VI d'Angleterre, duc d'Aquitaine qui envoie une armée de secours : celle-ci débarque à Soulac le 19 octobre 1452.
Les troupes anglaises sont alors sous les ordres du général John Talbot. Celui-ci, surnommé « l'Achille anglais », et le « roi-Talbot » par la population, reprend le contrôle de la Gironde, se donnant le titre de lieutenant-général de Guyenne.
Une ultime bataille, la bataille de Castillon eut lieu le 17 juillet 1453 entre les armées de Charles VII de France et celles d'Henri VI d'Angleterre. Ce dernier, pour affirmer ses prétentions, s'était lui-même prétendu roi de France, à la place de Charles VII, sous le nom d'Henri II. Les troupes anglaises subissent cependant une lourde défaite devant les troupes des frères Jean Bureau et Gaspard Bureau, victoire acquise grâce à l'utilisation massive, pour la première fois en Occident, de l'artillerie.
John Talbot, le vieux serviteur et soldat anglais, de « toutes les batailles, ou presque » de la fin de la Guerre de Cent Ans, âgé de soixante-six ans environ, reçoit un coup de couleuvrine qui tue son cheval et lui brise la jambe. Il est achevé par des archers bretons.
Cette victoire à Castillon est décisive pour les Français et met fin à la guerre à la guerre de Cent Ans. Bordeaux est définitivement reprise le 19 octobre suivant. Le Médoc redevient français.
La peste noire
Cette époque médiévale a été marquée par l'effroyable pandémie de peste noire qui débute à Bordeaux en 1348 : « ...de soudains tas de cadavres dans les rues. Des populations sidérées. De toutes parts, la mort omniprésente...des millions de morts, c'est l’épidémie ayant le plus marqué la mémoire collective des Européens par son ampleur, sa soudaineté et sa létalité. »[63]. Le Médoc n'a bien sûr pas été épargné.
La Guyenne après la guerre de Cent Ans
La succession au trône de France à la mort de Charles VII en 1461 ne fut pas aussi évidente que cela. Si Louis, l'aîné de ses enfants lui succède prenant le nom de Louis XI, le cadet Charles de France n'a de cesse de demander des prérogatives complotant même contre son frère. Afin de le calmer et de l'éloigner, Louis XI octroie à son frère en apanage plusieurs territoires : Charles est successivement nommé Duc de Berry, de Normandie et enfin de Guyenne en 1469. Ce dernier gouvernera la Guyenne moins de trois années mourant à vingt-cinq en 1472, certains diront d'empoisonnement.
La Guyenne à cette époque représente un grand territoire administré alors par de nombreux gouverneurs. Le gouvernement général de Guyenne deviendra bientôt gouvernement général de Guyenne et de Gascogne agrandissant encore davantage le territoire : la Guyenne se compose alors de la Basse-Guyenne (capitale Bordeaux) et de la Haute-Guyenne (capitale Montauban). La Basse-Guyenne est divisée elle-même en sept provinces dont le Bordelais ou Petite Guyenne. Les autres provinces sont le Bazadais, l'Agenais, le Périgord, le Condomois, le Rouergue, et le Quercy.
Dès 1776, Jacques Necker ministre des Finances de Louis XVI mène de nombreuses réformes administratives, il modernise les généralités de Bordeaux (Basse-Guyenne) et de Montauban (Haute-Guyenne), elles-mêmes divisées en sénéchaussées.
La création des départements à la Révolution française amènera la disparition de la Guyenne en 1790 : elle sera divisée en cinq départements correspondant à peu de choses près à ceux d'aujourd'hui : la Gironde, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, le Lot et l'Aveyron.
Le monastère de Cordouan
Vers 1085, l'abbé Étienne et le prieur Erménalde, originaires de l'abbaye bénédictine de Saint-Rigaud, en quête d'un endroit à l'écart afin de fonder un ermitage, décident de s'installer à Cordouan[64] :
« Étienne, abbé de Saint-Rigaud, et Erménalde, prieur du même monastère, faisons savoir à tous que voulant, par amour pour la paix, nous soustraire au tumulte orageux des affaires du siècle, nous sommes arrivés, sous la protection divine, dans un îlot de l'Océan occidental. Comme nous avions résolu de nous y fixer à cause de sa solitude profonde, nous apprîmes que cette île appartenait à l'église de Cluny »
L'abbaye de Saint-Rigaud était une abbaye bénédictine (ordre obéissant à la règle de Saint-Benoît, comme Cluny) fondée par un ermite, Eustorge. Cet ermitage, bien que tout proche de Cluny, avait su résister à son influence hégémonique.
On peut être étonné que Cordouan comme le dit l'abbé Étienne ci-dessus, fut à l'époque la propriété de l'ordre de Cluny, établi si loin de la pointe de Grave. De fait, cet ordre de Cluny est un grand ordre bénédictin qui fut créé par Guillaume 1er d'Aquitaine, dit le Pieux, qui était alors duc d'Aquitaine, mais aussi comte d'Auvergne et de Mâcon, région héritée de son père. Le duché d'Aquitaine était plus vaste que l'Aquitaine telle qu'on l'entend aujourd'hui et allait jusqu'aux confins du duché de Bourgogne.
Aussitôt qu'il eut fondé l'abbaye de Cluny par la charte de fondation de 909, il la plaça sous l'autorité du pape Serge III. Quand Étienne de Saint-Rigaud parle du « tumulte orageux des affaires du siècle », peut-être fait-il référence en ce qui concerne la religion, à la pornocratie pontificale qui a débuté avec ce pape, mais terminée en 963. Les problèmes pontificaux ont cependant longtemps perduré avec la nomination des papes jusqu'en 1004 par l'empereur Othon II, puis Othon III, empereurs du Saint-Empire. Ces papes étaient régulièrement opposés à des antipapes nommés par la famille romaine des Crescentii. Cette famille était une branche de la famille des Théophylactes, celle-là même qui avait la mainmise sur la papauté depuis le pape Serge III.
En 1085, quand l'abbé Étienne et le prieur Erménalde s'exilèrent à Cordouan, il y avait toujours des problèmes de papauté avec la nomination de Urbain II, élu pape cette même année, et celle de Clément III, antipape. Côté politique, Étienne peut faire aussi allusion au grand désordre de l'époque avec l'affaiblissement de l'autorité des rois carolingiens qui devaient lutter contre la seconde vague d'invasion des Vikings, des Sarrasins et des Magyars (Hongrois) au Xe siècle, et la prise de pouvoir de puissants seigneurs qui se sont constitués en principautés.
En 1085, la dynastie capétienne a remplacé la dynastie carolingienne. Robert II, le Pieux a succédé à son père Hugues Capet en tant que roi des Francs : un de ses plus grands combats fut d'asseoir sa domination sur le duché de Bourgogne d'où, peut-être aussi, le « tumulte » dans la région de Cluny dénoncé par l'abbé Étienne.
Guillaume le Pieux fit à l'Ordre religieux de Cluny de nombreuses concessions, lui donna de nombreux territoires, de nombreuses villas, lui permettant de prospérer, en construisant de nombreux monastères ou prieurés. On peut ainsi penser que, peut-être, avait-il fait don de ce petit territoire de Cordouan à l'Abbaye de Cluny, où depuis de nombreuses années des ermites religieux s'étaient réfugiés guidant les marins en allumant des feux.
Sachant que l'îlot de Cordouan appartenait à l'abbaye de Cluny, Étienne et Erménalde s'empressèrent d'écrire à l'abbé de Cluny, Hugues, pour avoir l'autorisation de s'y installer :
« Nous écrivîmes aussitôt à l'abbé Hugues, pour lui demander son consentement ; et, peu après, nous reçûmes une réponse remplie des paroles les plus douces et les plus encourageantes, avec l'autorisation de bâtir un monastère consacré aux apôtres Pierre et Paul, et soumis à l'abbé de Cluny. »
Quelques années après l'abandon de Cordouan de l'abbé Étienne, le cartulaire de l'abbaye de la Grande-Sauve, daté de 1092, mentionne que des moines sonnaient une cloche et allumaient un feu en cas de danger pour les marins. Apparemment donc, le monastère ne fut pas tout à fait abandonné par les moines, après son départ pour fonder le prieuré de Saint-Nicolas.
Le prieuré de Saint-Nicolas de Grave
Après trois années environ passées à Cordouan, vers 1087, la vie étant trop périlleuse sur l'île, Étienne et Erménalde décident d'aller s'installer juste en face, sur le continent. Ils établissent leur ministère au lieu-dit « Grave », tout près du phare Saint-Nicolas actuel, accompagnés d'un autre religieux, Guillaume (apparemment le frère d'Étienne), qui les avait rejoints entre temps.
« Or, il était venu là, dans le dessein de s'y fixer avec nous, un religieux de Cluny, nommé Guillaume, mon frère à moi Étienne, homme laborieux, habile à la pêche, et sachant se faire à tous les genres d'occupations. Il faisait des filets, construisait des poissonnières, et nous procurait ainsi au centuple l'abondance des promesses divines. Les habitants des contrées voisines, entendant parler de la vie que nous menions, aspiraient comme à une consolation, à jouir de nos entretiens. Mais comme on ne pouvait aborder sans péril de faire naufrage, nous étions dans des transes continuelles, craignant de voir quelques-uns de ces braves gens périr en s'exposant ainsi à cause de nous. Désireux d'écarter ce péril, de l'avis des moines et sur les instances des princes, nous passâmes de cette île en un lieu qui en est peu éloigné et dont le nom est Grave. Là, avec la permission de ceux auxquels le lieu appartenait, nous construisîmes, comme nous pûmes, un oratoire et des cellules. »
Les moines y aménagent donc un oratoire, comme le dit le texte ci-dessus traduit du latin, mais aussi des « poissonnières » (pêcheries?) et des salines.
À partir de 1322, Saint-Nicolas de Grave n’apparaît plus dans la liste des biens de l’abbaye de Cluny.
La tour du Prince Noir
Pendant l'occupation anglaise, le Prince Noir, Édouard de Woodstock, prince d'Aquitaine, prince de Galles et duc de Cornouailles, (fils aîné du roi Édouard III d'Angleterre), qui gouverne la Guyenne de 1362 à 1371, ordonne la construction d'un édifice sur ce même rocher de Cordouan, tour qui sera appelée la Tour du Prince Noir. Au sommet de celle-ci, un ermite allume de grands feux et prélève un droit de passage sur les navires entrant dans l'estuaire en gros de sterling ou en monnaie d'Aquitaine. Le Prince Noir fait aussi construire une chapelle juste à côté, « Notre-Dame de Cordouan ».
Au XVIe siècle, deux siècles après sa construction, la Tour du Prince Noir est abandonnée : elle est en ruine. Les maçonneries de la « Tour des Anglais » s'étaient, avec le temps, de plus en plus dégradées demandant des réparations trop onéreuses. La construction d'un nouveau phare fut décidée.
Cartographie
C'est le début (fin du Moyen Âge) d'une importante cartographie donnant une idée plus précise des paysages de la pointe de Grave. L’embouchure de la Gironde est une zone stratégique pour le port de Bordeaux. Aussi, de nombreuses cartes sont dessinées à l’usage des navigateurs : portulans de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. Certaines de ces cartes sont commandées par les pouvoirs publics aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les plus anciennes cartes marines sur lesquelles apparaissent la pointe du Médoc et la Gironde datent du XIVe siècle, cartes étrangères au départ (portugaises, puis hollandaises), la production française ne se développant que durant le XVIIe siècle[65].
Il peut être intéressant de comparer le portulan de Guillaume Brouscon en 1548 à celui de Jean Guérard en 1627 (à une centaine d'années de distance), ce dernier donnant un aspect du Médoc très ressemblant au Médoc actuel : est-ce un réel changement de paysage en si peu de temps, ou plutôt, une précision grandissante des cartes?
Le fort de Girofle (ou de Gérofle) et le fort de la Chambrette
Au XVIIe siècle, durant le long règne de Louis XIV (1643-1715), et après de nombreux conflits (Guerre de Trente Ans, Guerre franco-espagnole, Guerre de Dévolution, Guerre de Hollande), une des priorités du roi est de protéger le royaume des attaques ennemies. Depuis 1655 déjà, à l'âge de vingt-deux ans, Sébastien Le Preste, dit Vauban, est devenu responsable des fortifications. À partir de 1665, ce dernier donne à la France une ceinture de fer. Chargé de protéger les frontières, il s'attache aussi à établir ou à améliorer les fortifications des villes, des ports… Entre 1688 et 1724, Claude Masse, ingénieur et géographe du roi Louis XIV eut pour mission de dresser les cartes les plus précises de toute la côte atlantique, de la pointe du Médoc jusqu'au Pays basque afin d'organiser er prévenir la défense contre un éventuel débarquement ennemi. François Ferry, autre ingénieur du roi Louis XIV, fut nommé directeur des fortifications pour la façade atlantique : il s'est vu confier la mission de protéger Bordeaux. Le réseau défensif imaginé par Vauban doit toujours s'intégrer au modelé du terrain, utiliser les spécificités des sites, notamment profiter des dénivelés. En 1685, il est décidé d'intégrer le château des Rudel dans une citadelle, à Blaye. Cette construction de la Citadelle confiée à François Ferry, sous la direction de Vauban, est complétée par l'édification de deux forts, Fort Paté et Fort Médoc, permettant en cas d'attaque ennemie de croiser leurs feux, interdisant tout passage vers Bordeaux. Finalement, ils ne servirent qu’une seule fois, en 1814, lors d’une tentative d’invasion anglaise.
Ce « verrou de Vauban » sera complété par une série d’éléments défensifs construits à l’embouchure de l’estuaire, à la pointe du Médoc, pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Deux forts furent construits à cette période à la Pointe de Grave, forts dont on peut voir l'emplacement sur la carte de Cassini : Fort Girofle, en bordure de l'océan et, à la même latitude, Fort Chambrette sur la Gironde, dotés d'une importante batterie de canons.
Cependant, une carte de Belleyme datée de 1775 (planche No 2) n’indique plus que les « ruines de la Batterie du Fort Girofle », qui défendait la passe sud, côté océan, ainsi que les « Ruines de la Batterie du Fort Chambrette », sur la rivière[66]. Il est probable que Fort Girofle a disparu le premier sous les eaux, la côte non protégée à cette époque étant régulièrement rongée par l'océan. Quant au fort de la Chambrette, on trouve trace d'une reconstruction de fortifications en 1816, puis en lieu et place, sera édifié le Fort du Verdon, en 1878, tel qu'on peut le voir encore aujourd'hui. En 1895 enfin, une digue de protection, appelée « digue de Port-Bloc » du fait qu'elle était constituée de blocs de pierres simplement coulés, fut réalisée. C'est de cette digue formée de blocs que le petit port qu'elle délimitait tirera son nom[67]. Alors que le fort avait été construit en bordure d'estuaire, cette digue a quelque peu éloigné le fort de la rivière. À noter que la dénomination" de Girofle" est parfois transformée en « de Gérofle » sur certaines cartes et dans certains écrits mais sur tous les actes d'état civil du Verdon, notamment lors des recensements de la population, le lieu-dit est bien écrit « Girofle ».
Les habitations
Les habitants de la pointe du Médoc se sont regroupées aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les hameaux dépendants encore de la ville de Soulac : Le Verdon (autonome qu'en 1874), Le Logis (mais le bout de la pointe a plutôt un habitat dispersé), les Grands Maisons et le Royannais. Des maisons de sauniers se trouvaient également isolées dans les zones de marais salants. Un poste de douane fut établi dès les années 1740 pour percevoir la gabelle mais aussi pour surveiller les navires au mouillage dans la rade.
Le sel
L’exploitation des marais salants depuis le Moyen Âge, aménagés par les Bénédictins de l’abbaye Sainte-Croix de Bordeaux, alimentés par les eaux de mer à la pointe du Médoc, était menacée au début du XVIIe siècle, à cause de l'envasement des trois chenaux d'alimentation (chenal du Verdon dit de Rambaud, de Soulac, de Neyran) comme le montrent certains documents. Tant bien que mal, à cause des problèmes de l'entretien de ces chenaux, l'activité pourra tout de même se maintenir tout au long du XVIIIe et au début du XIXe : quand on consulte les actes de naissance de Soulac de cette période, on trouve un nombre important de naissances d'enfants de sauniers. Au XXe siècle, beaucoup de ces marais salants furent aménagés en réservoirs à poissons comme on peut le voir sur plusieurs cartes postales.
En 1599, un édit du roi Henri IV inaugure pour la première fois, l'assèchement des marais de France pour que pâturage et labourage deviennent, selon le mot de Sully, les « deux mamelles de la France »[68]. Le savoir-faire en la matière n'est pas français, les travaux sont confiés en Guyenne à l’ingénieur hollandais Humphrey Bradley : il est nommé « Maître des digues et canaux du Royaume ». Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, des travaux incessants et des aménagements successifs seront nécessaires pour préserver les terres des eaux envahissantes[69].
Ces terres nouvelles recevront des noms rendant hommage à ces hollandais, alliés des Français à cette époque des guerres de religion, du côté des protestants : « Petite Flandre » ou « polders de Hollande »[70].
Plus localement, on parle plutôt de « mattes », le terme matte désignant des terres gagnées sur l’estuaire, drainées et cultivées depuis le XVIIIe siècle. Un réseau de fossés collecte les eaux douces vers des chenaux avant d’être évacuées dans l’estuaire de la Gironde (chenal de Talais, chenal de Neyran)[71].
Au XVIIIe siècle, le sel perd son rôle primordial de monnaie qu'il avait acquis au Moyen Âge. Cette perte d'importance sociale et commerciale du sel entraîne la disparition de sa production, conduisant à la libération de nombreuses zones de marais salants, en partie poldérisés. Le littoral Atlantique, particulièrement affecté par cette décision, dispose cependant de dizaines de milliers d'hectares de marais qui seront dédiés à l'ostréiculture. Celle-ci connaît toutefois une dépendance importante des naissains récoltés en mer sur les rochers ou par dragage. Les gisements naturels sont ainsi surexploités et s'épuisent. Dans les années 1850, tous les gisements français sont plus ou moins touchés par des interdictions d'exploitation[45].
Certains bassins sont dédiés à la pisciculture à la fin du XIXe.
Une chapelle royale, puis l'église actuelle : Notre-Dame-du-bon-Secours et de Saint-Louis
En 1712, une chapelle royale est érigée pour apporter un secours spirituel aux marins, au hameau du Verdon, à la suite de nombreux naufrages. La qualification de « royale » est due à une Déclaration du Roi Louis XIV, datée du 31 janvier 1690, interdisant aux marguilliers et aux paroissiens d'entreprendre quelques travaux que ce soit sans une autorisation préalable[72].
Le maître d’œuvre est un dénommé Buissière du Verdon, sans plus de précisions. On donnera à cet édifice religieux réclamé à cor et à cri par les marins, le nom de Notre-Dame-du-Bon-Secours et de Saint-Louis. Les travaux ne furent complètement achevés qu'en 1723. Sa construction a été financée par un prélèvement sur les navires entrant et sortant de l'estuaire selon leur tonnage (décret du Conseil du Roi Louis XIV, de 1712). Mal entretenue, elle est dite en mauvais état dès 1726. En 1793, après la Révolution, elle semble abandonnée, ne donnant lieu à plus aucun office. Des soldats s'occupant des différentes batteries encore en place y sont provisoirement logés.
Revenue au culte dans les années 1820, Le Verdon est alors érigé en paroisse autonome en 1849, se détachant de la paroisse de Soulac pour les célébrations. Notre-Dame-du-Bon-Secours et de Saint-Louis est restaurée par Joseph Teulère (architecte du phare de Cordouan) en 1789.
En 1853, la construction d’une église en lieu et place de l’ancienne chapelle jugée trop petite (chapelle visible sur le plan cadastral de 1833, accompagnée d'un cimetière au nord), est envisagée. Le conseil municipal de Soulac (dont dépend encore Le Verdon, érigé en commune qu'en 1874) n’adoptera cependant le projet qu’en 1867, et les premiers travaux ne débuteront qu’en 1871, selon les plans de l’architecte Édouard Bonnore[73]. Ce dernier, qui est né en 1820 à Lesparre, fut élève de Jules Bouchet (1799-1860), le célèbre architecte et dessinateur parisien. Il conçut les plans de nombreuses églises (ou de rénovation d'églises) du Médoc et de Gironde : Saint-Vivien, Saint-Christoly-Médoc, Queyrac, Carcans, Bégadan, Saint-Caprais-de-Blaye…
Cette date de 1872 et le nom de Bonnore, l’architecte, sont inscrits en plusieurs endroits dans l’église. Cette dernière fut livrée au moment où Le Verdon était en train de devenir commune autonome. S'ensuit une étonnante et difficile passe d'armes entre les deux communes de Soulac et du Verdon. Pendant plusieurs années, elles ne s’entendent pas sur le qui doit payer quoi, ne se mettent pas d’accord sur qui a commandé les travaux, des malfaçons venant compliquer le problème. L’entrepreneur Kotniski ne reçoit pas le solde de toutes ses factures. Personne ne veut prendre en charge les travaux de réparations à la suite des malfaçons constatées.
Comme la plupart des églises construites en France dans la seconde moitié du XIXe, l'église du Verdon est de style néogothique. Son plan est en forme de croix latine. L’église comporte une nef de trois travées suivie d’un transept (formant les bras de la croix latine) puis du chœur dans la partie prolongeant la nef. Une simple grille assure la séparation du chœur de la nef. La nef, le transept et le chœur sont tous trois voutés d’ogives. Les fonts baptismaux sont situés à l’entrée à gauche. Un monument à la mémoire des morts de la guerre 1914-1918 a été érigé dans un des bras du transept. De nombreuses baies ornées de verrières dont les vitraux ont des formes géométriques donnent le jour dans l'église. Dans le chœur à cinq pans, on trouve des baies aveugles surmontées elles aussi de vitraux. Certains de ces vitraux encore en place ont été réalisés par Jean-Baptiste Leuzière (1817-1889), maître verrier à Bordeaux, et son fils Pierre, né en 1844, qui ont travaillé dans de nombreuses églises de la région. Des vitraux ont été cependant endommagés pendant la Seconde Guerre mondiale : le remplacement ou la restauration de ces derniers ont été accomplis par l'atelier Gustave Pierre Dagrant[74] (1839-1915), après guerre : bien que décédé depuis longtemps, sa signature a continué à être apposée par ses successeurs.
Un monument aux morts a été élevé, en avant de l'église, en 1922, face à l'entrée principale. C'est une sculpture de Frédéric Balthazar, dit Freddy, Stoll représentant un poilu au garde-à-vous, le dos tourné à l'entrée de l'église, en bout de la place. Les inscriptions sont sur le monument « LE VERDON SUR MER À SES ENFANTS MORTS POUR LA FRANCE » et sur la plaque commémorative, on retrouve les noms des morts de 1914-1918, de 1939-1945, de la guerre d'Indochine (1946-1954) et de la guerre d'Algérie (1954-1962.
Le « Versailles de la mer », le « phare des rois », le « roi des phares »
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le magnifique phare de Cordouan n'usurpe pas tous les surnoms, tous les qualificatifs qu'on lui donne régulièrement. Le moindre article, le moindre reportage, la moindre évocation sont emplis de louanges, d'éloges on ne peut plus mérités. Extérieurement déjà, l'un des plus anciens et le plus remarquable des phares isolés en mer, dresse son élégante et imposante silhouette de 68 mètres de haut, au large de l'embouchure de la Gironde. Outre cet aspect général qui séduit immédiatement, toutes les décorations extérieures et intérieures sont de réelles beautés qui attirent le regard. Il en va ainsi de toutes les menuiseries en chêne massif et des ferrures en bronze poli. Au premier étage, l'appartement du Roi, au second étage, la chapelle et ses quatre beaux vitraux suffisent pour programmer une visite. Que dire de la perspective de puits lorsqu'on gravit les 301 marches, puis du magnifique panorama à 360 degrés qui vous est offert lorsqu'on est tout en haut? Cette audacieuse et imposante construction, au beau milieu de l'Océan Atlantique, fait honneur à la science et à l'art des ingénieurs français.
L'origine du nom de « Cordouan » n'est pas avéré. On a pu penser que celui-ci se rattachait au nom de la ville de Cordoue dont les relations commerciales avec Bordeaux sont attestées par des chroniqueurs du XIIIe siècle. Ceci n'a pas pu être prouvé.
Par contre, l'île de Cordouan apparaît :
- en 1367, sur la mappemonde de Domenico et Francesco Pizzigano, connus sous le nom des frères Pizzigani (en) avec l'appellation de "Cordo"
- sur la mappemonde peinte sur parchemin par ordre de Henri II sur des données recueillies sous le règne de François 1er, en 1542, sous le nom de "Cordan"
- en 1545, dans le plan joint au manuscrit intitulé « Cosmographie » de Jean Alfonse et Paulin Secalart, sous le nom de "Ricordane"
- en 1586, dans la carte annexée aux instructions hollandaises de Lucas Janszoon Waghenaer, sous le nom de "Cordam"[75]
- sur la carte de Cassini (vers 1737 : triangulation des côtes de Poitou et Gascogne) sous le nom de "Cordonan"[76] : il est possible, lorsqu'on consulte les cartes postérieures à celle-ci, que le « n », selon la police de caractères utilisée, ou parce qu'il a été écrit négligemment, puisse à un moment donné avoir été confondu avec un « u ».
- sur les différentes cartes du XVIIIe (Voir bibliothèque Gallica) sous le nom de "Courdouan"[77],[78] avant de trouver enfin, fin XVIIIe, la graphie de Cordouan[79].
Aux alentours du IXe siècle, le plateau rocheux de Cordouan était rattaché à la terre de la pointe de Grave, séparé seulement par un étroit chenal au moment des hautes mers, tel que semble le prouver la nature même des rochers : calcaires lutétiens. Cette particularité fait que la commune du Verdon peut revendiquer la paternité du phare, d'autres communes souhaitant parfois se l'approprier. Il se trouve sur le territoire de la commune du Verdon-sur-Mer, sur la parcelle numéro 1 du cadastre, et les verdonnais en tirent une très grande fierté.
Petit à petit, à cause des marées et des forts courants, le platin de Grave, tel que l'on nomme cette partie entre le phare de Cordouan et le Rocher de Saint-Nicolas, s'est plus ou moins désagrégé, formant désormais la passe sud, rendant impossible la possibilité de se rendre à pied à Cordouan, même en période de basse mer.
Longtemps, les hommes ont surtout navigué de jour, utilisant pour se guider tous les repères qu’ils pouvaient identifier sans ambiguïté, repères appelés amers par les marins : clochers, tours, collines, montagnes, rochers, maisons… La navigation s’est donc développée au début par les côtes, cabotage, puis à l’estime. Pour naviguer de nuit, par contre, les seuls points de repères visibles étaient les étoiles, notamment l’étoile polaire, et les constellations, ainsi que toutes les lumières repérables et identifiables venant de la terre. Encore fallait-il pour pouvoir naviguer de nuit que le ciel soit dégagé, qu’il ne fasse pas mauvais temps. Concernant l’étoile polaire, elle occupe toujours la même position, pratiquement au-dessus du pôle Nord, et est suffisamment lumineuse pour avoir servi de guide aux marins depuis l’Antiquité. L’équivalent pour l’autre hémisphère est l’étoile nommée Sigma Octantis, la plus proche du pôle sud céleste mais qui n’est pas très lumineuse : les marins des mers du sud utilisaient plutôt l’étoile Beta Hydri pour trouver la direction du pôle sud, d’une moins grande précision que l’étoile polaire pour le pôle nord. Le développement d’instruments astronomiques et d’outils au Moyen Âge tels l’astrolabe nautique, la boussole et surtout le compas, a permis de mieux se repérer en mer. L’utilisation du gouvernail d’étambot au XIIe, puis l’invention de la caravelle par les Portugais ont facilité les manœuvres, et permis au XVe siècle les Grandes Découvertes. C’est dans ce contexte aussi que les hommes, en France, aux alentours du XVIIIe, développent des ports de commerce colonial et créent de nombreuses tours à feu pour guider les marins et signaler les écueils et les hauts fonds. Cependant, on estime que plusieurs tours ont été construites bien avant, sur l’îlot de Cordouan, à partir du VIIe siècle à cause de la dangerosité de l’endroit. Certains évoquent ainsi, au VIIIe siècle, une tour sarrasine (peut-être pour mieux étayer l'hypothèse de l’origine du mot Cordouan, venant de Cordoue). Cette dernière aurait été occupée par des ermites qui alertaient les marins du danger en « sonnant du cornet »[80].
Au IXe siècle, sous le règne de Louis Le Pieux, (Roi d'Aquitaine de 781 à 814, puis Roi des Francs, Empereur d'Occident jusqu'en 840), une tour avec un fanal (grosse lanterne) marquait l’entrée de l'estuaire à l'intention des navires : des fanaux médiévaux ont ainsi été longtemps entretenus par des ermites qui sont venus s'installer sur l'îlot.
Bien que le mot « phare » existe depuis au moins l'Antiquité, on a tardé à l'utiliser en France, on parlait encore au XVIIe de tours à feu, puis au début du XIXe, il était toujours question de « tours », sans plus de précision (voir cartes anciennes).
« Phare » vient du nom de l'ancienne île de Pharos (aujourd'hui rattachée au continent), où était édifié le phare d'Alexandrie en Égypte, une des Sept Merveilles du monde.
Rabelais semble avoir été le premier à avoir utilisé le mot « phare » en français en 1546, dans le Tiers Livre, puis en 1552 dans le Quart Livre[81].
Longtemps, pour Cordouan, on a parlé de la tour du Prince Noir, puis de la tour de Cordouan. La dénomination « Phare de Cordouan » est postérieure même à la commande du phare, en 1584.
Sur la carte de la Guyenne de Pierre de Belleyme datant du début du XIXe siècle, il est toujours écrit « Tour de Cordouan »[82].
L'historien Jules Michelet, dans son livre « La Mer », écrit en 1861, parle ainsi des phares :
« Les ténèbres disparurent de la face de nos mers. Pour le marin qui se dirige d’après les constellations, ce fut comme un ciel de plus que la France fit descendre...Elle varia la couleur, la durée, l’intensité de leur scintillation...aux uns, elle donna la lumière tranquille, qui suffit aux nuits sereines ; aux autres, une lumière mobile tournante, un regard de feu qui perce aux quatre coins de l’horizon. »
Jules Michelet a eu tout le loisir d'observer le phare de Cordouan lorsqu'il séjourna six mois sur la côte charentaise, en 1859 : il pouvait l'apercevoir en ouvrant sa fenêtre dès le matin, il en fit une description brillante :
« L’audace, en vérité, fut grande de bâtir dans le flot même, que dis-je ? dans le flot violent, dans le combat éternel d’un tel fleuve et d’une telle mer… Il est cependant lui seul la lumière de cette mer…Pendant six mois de séjour que nous fîmes sur cette plage, notre contemplation ordinaire, je dirai presque notre société habituelle, était Cordouan. Nous sentîmes combien cette position de gardien des mers, de veilleur constant du détroit, en faisait une personne… »
Le phare de Louis de Foix
Jacques II de Goyon, seigneur de Matignon, maréchal de France (qui décèdera au château de Lesparre) est nommé gouverneur de Guyenne en 1584. Il se préoccupe à son tour de la sécurité de la navigation dans l'estuaire. Il passe commande du phare de Cordouan à l'ingénieur-architecte Louis de Foix, phare qui sera achevé de construire en 1611 : ce dernier ouvrage subsiste en partie aujourd'hui.
À la fin du XVIe siècle, Cordouan n'est plus du tout rattaché à la terre ferme, c'est devenu une île : la difficulté pour Louis de Foix d'acheminer les matériaux en bateau sur le chantier en est l'attestation.
Louis de Foix, dont on dit qu'il est originaire de la région dont il porte le nom, n'est pas n'importe qui : c'est un ingénieur architecte reconnu, d'un réel mérite : il a travaillé en Espagne, notamment à la construction du Palais de l'Escurial. Il est nommé par le roi Henri III, en 1582, ingénieur de la Tour de Cordouan. Il signe le 2 mars 1584, en présence de son ami Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, le contrat par lequel il s'engageait à construire le phare en deux ans. Malheureusement, les mécomptes de toutes sortes ne manquèrent pas : difficultés des travaux en pleine mer, manque de fonds, guerres de religion…Son œuvre absorba plus de dix-huit ans de sa vie et la somme prévue des dépenses et frais de travaux fut considérablement dépassée : plus de trois fois les prévisions du marché. Louis de Foix, n'étant plus payé malgré de nombreuses réclamations, ruiné par ses avances de fonds et les dettes qu'il avait contractées pour continuer les travaux, disparaissait après 1602 (vers 1604?), sans qu'on sut ce qu'il était devenu, ni les lieux de sa mort et de sa sépulture. Certains affirment qu'il fut inhumé secrètement sur l'îlot même de Cordouan.
Son fils, Pierre de Foix, reprend sa succession mais ruiné, il transmet le flambeau à François Beuscher, ancien conducteur de travaux de Louis de Foix qui termine son œuvre en 1611 (sous le règne de Louis XIII), soit 27 ans après la signature du contrat. C'est François Beuscher qui acheva la plate-forme et le parapet préservant la tour des fureurs de la mer.
Moins de cinquante ans plus tard après l'achèvement des travaux, vers 1645, l’état du phare, soumis aux intempéries, s’est fortement dégradé. La foudre a détruit le fanal. Colbert, alerté de la colère des marins depuis que le feu n’est plus allumé par les gardiens, envoie le chevalier de Clerville pour une inspection. Durant trois ans, de 1665 à 1667, des travaux de réparations sont effectués par un architecte nommé Dominique.
En 1717, la lanterne dont la combustion était à l'huile à l'origine, connaît de nouveaux problèmes : le feu a calciné tout le pourtour en pierre. Il est alors décidé de remplacer, à l'exemple des anglais, la combustion à l'huile qui en est responsable par une combustion au charbon.
L'utilisation du charbon pour faire fonctionner le fanal présenta rapidement de terribles inconvénients : les gardiens du feu étaient obligés de l'acheminer au sommet de la tour dans des paniers, c'était très usant, très inconfortable. Chaque nuit, la quantité de charbon à transporter était conséquente : plus de cent kilos! Il apparut dès lors nécessaire de revenir au fonctionnement à l'huile.
Menaçant de s'effondrer, présentant un réel danger, toute la partie haute fut démolie en 1719. Le phare ainsi abaissé d'environ sept mètres n'était plus visible d'aussi loin, et les marins se plaignirent de nouveau.
La lanterne détruite en 1719 fut alors rétablie en 1726 : pose d'une lanterne en fer, remplaçant celle en pierre, à la même hauteur qu'auparavant avec une .
C'est à cette époque, en 1722, que la tour de Cordouan qui dépendait jusque là de l'intendance de La Rochelle passa dans celle de Guyenne, dépendant désormais de la généralité de Bordeaux.
En 1739, afin d'améliorer l'accès au phare, une chaussée de débarquement pierrée d'environ 260 mètres fut construite. Celle-ci, découverte à marée basse, a été dégradée par les éléments mais est toujours en place. Elle a été nettoyée et consolidée tout récemment en 2020. De gros blocs de ciment acheminés par hélicoptère ont été posés sur les côtés pour la protéger.
De la tour de Louis de Foix au phare de Cordouan
Architecte et ingénieur, Joseph Teulère (1750-1824) séjourna de longs mois à Cordouan, apportant de nombreuses améliorations à la tour. S'inspirant des progrès de l'époque en matière d'éclairage public (réverbères) il s'attache à l'amélioration des réflecteurs. Il est à l'origine des réflecteurs paraboliques et du mécanisme à feu tournant qui seront perfectionnés par Augustin Fresnel. C'est lui qui exhaussa la tour de vingt mètres en 1788 et 1789, intervenant seulement sur le troisième étage. Les travaux portent alors le feu à soixante mètres au-dessus des hautes mers. C'est cette nouvelle tour qui constitue le phare actuel[83].
En juillet 1823, Augustin Fresnel, le grand ingénieur de la Commission des phares de France installe lui-même à Cordouan le premier appareil lenticulaire de sa conception. Il avait pratiqué des essais de sa lentille auparavant, en 1822. Ce dispositif avait notamment été testé sur l'Arc de Triomphe. Admiratif, l'historien Jules Michelet en parle dans son livre « La Mer » :
« une lampe forte comme quatre mille, et qu’on voit à douze lieues »
Vers 1800, une commission des phares est créée.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les phares de la Pointe de Grave ont été réquisitionnés par les Allemands. Curieusement, à la fin de la guerre, ils ont tout détruit, sauf les phares. Sans doute, ils en avaient trop besoin, en un endroit si dangereux, afin d'assurer la nuit, la propre sécurité de leurs bateaux de la Kriegsmarine. Ils avaient repeint entièrement en vert-de-gris le phare de Cordouan (même à l'intérieur!), sans doute pour tenter de le dissimuler le jour aux avions alliés.
Depuis, après guerre, de nombreux travaux d'entretien, de réparation, voire de restauration ont été entrepris à Cordouan sous la surveillance du Ministère de la culture (monument historique) et de l'administration des Phares et Balises.
Ce fut d'abord des travaux d'intérieurs à partir des années 1950, puis des travaux extérieurs dans les années 1980 : le sel, les embruns, les assauts de la mer (houle ou vagues) attaquant la pierre, on refit les maçonneries s'assurant de l'étanchéité, terminant pour la partie basse par la réalisation d'une couronne en béton armé.
Son feu
Chaque phare est unique ne serait-ce que par le signal lumineux qu’il envoie aux marins. Il est nécessaire que ce signal soit bien identifiable, qu’il soit repérable et compris par les usagers de la mer. Selon l’endroit, le feu des phares peut être fixe, orienté en n’éclairant qu’une direction, ou bien rythmé avec des périodes d’occultation et des temps d’éclairage plus ou moins longs, parfois de couleur ; certains sont dits « à éclairs, ou « à éclats».
Entrer dans l’estuaire de la Gironde est si difficile que c’est une conjonction de plusieurs phares, en plus des bouées, qui indique les passes. Outre Cordouan, on trouve le phare de la Coubre à La Tremblade, le phare de Saint-Nicolas, le phare de Grave, le phare de Terre-Nègre, à Saint-Palais-sur-mer. Il y avait aussi autrefois le phare de Vallières à Saint-Georges-de-Didonne qui a fonctionné jusqu’en 1969. À la Palmyre, en 1960, à l'emplacement de l'ancien phare, a été construit un radiophare.
Cordouan est un phare à occultations : sa lumière est fixe (ampoule de 250 watts) mais trois panneaux de couleur passent devant celle-ci selon des écarts réguliers, et la lampe s'allume et s'éteint selon un tempo bien établi. En douze secondes, on a trois secondes et six dixièmes de lumière longue, une seconde et deux dixièmes d’obscurité, une seconde et deux dixièmes de lumière courte, une seconde et deux dixièmes d’obscurité, trois secondes et six dixièmes de lumière longue, un seconde et deux dixièmes d’obscurité… Ce tempo s’agrémente de couleurs qui indiquent des zones autour du phare. Les trois panneaux d’occultation sont colorés : un vert et un blanc qui indiquent les passes, un rouge pour le secteur interdit à la navigation. La portée de la lumière longue (blanche) est d’environ quarante kilomètres grâce à la lentille de Fresnel. La portée du feu est légèrement diminuée pour les secteurs vert et rouge[84].
Outre son feu, l’unicité du phare de Cordouan tient pour beaucoup aussi de son lien étroit avec les Rois.
La chapelle royale Notre-Dame de Cordouan
Si le projet, initié par Henri III en 1584, ne prévoyait pas encore l’adjonction d’une chapelle, les évènements vont précipiter les choses. En pleines guerres de Religion, il s’agit de rendre hommage à son successeur, le « bon roi Henri » qui vient de se convertir au catholicisme. Comme c’est le cas lors de la construction des châteaux royaux, Louis de Foix ajoute alors à son projet, en 1593, l’aménagement d’une chapelle « royale » dans la tour même de Cordouan, au deuxième étage. On ne pourra jamais cependant qualifier cette chapelle de palatine, aucun roi en personne n’ayant fait le déplacement jusqu’à Cordouan. Tel était pourtant sans doute le but, mais ni Henri III qui fut assassiné en 1589, ni Henri IV qui fut assassiné en 1610 n’auront le temps ni le loisir de se rendre à Cordouan, la tour n’étant terminée qu’en 1611. Baptisée Notre-Dame de Cordouan, la chapelle fut la salle aménagée en dernier, au second étage.
Chacun s’accorde à dire qu’elle est très belle. Faite de pierre blanche (de Saintonge), elle comporte quatre magnifiques vitraux groupés par deux représentant Saint Pierre (Petrus), Saint Michel, Sainte Sophie et Sainte Anne (parfois écrit « Saint Anne », prénom épicène). Elle est voutée, circulaire, épousant la forme du phare, son sol est pavé de marbre (gris rayé de larges bandes noires). Elle comporte cinq niches et un oculus. L’autel est de marbre blanc.
Deux énormes coquillages, de part et d’autre, tiennent lieu de bénitiers. Les bustes qui se trouvaient dans deux des niches, ceux de Louis XIV et Louis XV, ont été enlevés à la Révolution. Des Rois, ne subsiste dans cette chapelle que deux monogrammes sur les murs, au dessus des vitraux, celui d’Henri III (HDV III : Henri de Valois, le troisième) et celui d’Henri IV (HDB IIII, Henri de Bourbon, le quatrième).
Bien que peu utilisée, cette chapelle a servi à faire quelques célébrations : au XVIIIe siècle, un moine du couvent des Récollets de Royan venait tous les dimanches et jours de fête, selon le temps, y célébrer une messe. Depuis, plusieurs mariages ont été célébrés au phare dont un en grande pompe, terminé par un feu d'artifice, avec quatre-vingt invités : le nombre en avait été limité. Il y eut aussi des baptêmes et des pèlerinages mariaux, le dernier le 5 mai 2018.
L'appartement du Roi ou salle des Rois
L’appartement du roi, au premier étage, juste en dessous de la chapelle, est «un appartement » carré, une salle d'apparat qui était dédiée aux Rois lors de leur hypothétique visite. Le sol est en marbre. C'est une salle voûtée décorée de colonnes ioniques.
Elle est ornée de quatre bustes en bronze depuis 1902, dont trois rendant hommage à des anciens Directeurs des Phares et Balises :
- Augustin Fresnel , Directeur de 1819 à 1827. Son frère Léonor lui succédera à ce poste ;
- Léonce Reynaud, Directeur de 1846 à 1878, successeur à ce poste de Léonor Fresnel ;
- Léon Bourdelles, Directeur de 1895 à 1899 ;
- Charles-François Beautemps-Beaupré était, lui, ingénieur hydrographe. Il a répertorié les canaux de navigation.
Cette magnifique salle équipée d'une cheminée, puis d'une deuxième cheminée pour faire le pendant (non fonctionnelle, décorative), a été utilisée un temps par les gardiens comme cuisine.
On peut depuis la salle des Rois, avoir une vue sur le plateau et la mer. Elle communique avec l'extérieur sur une galerie faisant le tour du phare, ce qui n'est pas possible à tous les étages.
Une inscription de trois lettres entrelacées (MLT) a été faite dans la pierre en 1852 : MT pour Marie-Thérèse et L (sur le M) pour Louis XIV.
Les autres salles
- Le vestibule au rez-de-chaussée. Cette salle carrée comporte des petites niches ayant un temps servies aux gardiens comme chambres à coucher. Désormais, leur lieu de vie, cuisine et chambres, se trouve à l'extérieur du phare, dans la cour (couronne du phare).
C'est ici que se situe l'entrée de l'escalier à vis permettant d'accéder à l’appartement du Roi et à la Chapelle. Cette entrée est décorée de motifs à feuilles, fruits… Au-dessus de la porte, un visage sculpté, et cette inscription : « Ce phare a été restauré sous le règne de Napoléon III MDCCCLV ». De fait, on trouve d’autres plaques dans le phare rappelant les nombreuses restaurations : 1665, 1727, 1789 (signature de Jean Besse aîné, responsable des tailleurs de pierre)…
Toutes les autres salles, si elles ne sont pas « royales » sont très belles aussi. On trouve, à partir du troisième étage :
- la salle des Girondins. En hommage aux députés girondins pendant la révolution, cette salle est la première salle construite lors de l’élévation de la tour de vingt mètres, sous la responsabilité de Joseph Teulère ;
- la salle du contrepoids, au quatrième étage. Comme son nom l’indique, cette salle abritait jusqu’en 1987, le contrepoids servant à rythmer le feu de Cordouan ;
- la salle des lampes au cinquième étage. C’était là qu’on stockait tout le matériel d’éclairage, notamment les différents combustibles utilisés au fil du temps : bois, charbon, blanc de baleine, huile, pétrole…, groupes électrogènes ;
- la chambre de veille au sixième étage. Cette pièce toute lambrissée du sol au plafond autrefois équipée de lits, était utilisée par les gardiens chargés de la surveillance de la lanterne.
Le phare fut aussi décoré, au fil des rénovations de niches, de pierres ciselées : masques de lions, fleurs, fruits, macarons, volutes, têtes féminines…
Le gardiennage
On l'a vu, le gardiennage et l'entretien des feux de Cordouan ont longtemps été assurés par des ermites religieux. Ils sonnaient en outre une cloche, dit-on, au passage des bateaux, et ont très vite perçu un droit d'entrée dans l'estuaire de la Gironde.
Sous le pontificat de Grégoire IX (1227-1241), les deux ermites qu'il a installés à Cordouan disent ne pas avoir assez d'aumônes pour suffire aux réparations nécessaires. Au XVIe siècle, en 1576, des taxes sont toujours prélevées pour pourvoir aux réparations de la Tour.
À l'époque de la Tour du Prince Noir , les Anglais perçoivent un droit sur les navires transportant du vin : une charte de 1409 autorise l'ermite Galfridus de Lesparra à percevoir une telle taxe. Ce dernier n'était pas, de fait, si seul sur l'îlot de Cordouan ayant besoin de bras pour manipuler « la tonne de bois » nécessaire, en une nuit, au fonctionnement du feu[85].
En 1593, alors que la nouvelle « Tour de Cordouan » est en construction, Henri IV taxent les bateaux entrant et sortant de la Gironde afin d'en assurer le financement et pouvoir ainsi payer Louis de Foix, l'architecte.
Sous Louis XIV, pendant une dizaine d'années, de 1645 à 1655, la tour est en très mauvais état, le feu n'est plus entretenu. Rétabli tant bien que mal, ce dernier conservera un fonctionnement aléatoire jusqu'aux travaux de sauvegarde ordonnés par Colbert, de 1661 à 1665. Ce dernier crée un premier réseau des phares français qu'il place sous la direction de Vauban[86].
À la Révolution, en 1791, il est créé un service unique de signalisation maritime nationale qui déclare le service public et supprime le droit perçu pour le passage des bateaux. Le 15 septembre 1792, une loi confie la surveillance des phares, amers, tonnes et balises au Ministère de la Marine et l'exécution des travaux nécessaires, au Ministère de l'Intérieur.
En 1806, enfin, Napoléon 1er crée le Service des Phares et Balises, sous la direction générale des Ponts et Chaussées.
Ce sera un décret de 1848 (Louis-Napoléon Bonaparte sera élu Président de la République le 20 décembre) qui organisera rigoureusement le gardiennage des phares. Ce décret prévoit la nomination d'un maître de phare et de gardiens, avec grille de salaires.
En 1953, quatre électromécaniciens effectuent le gardiennage : trois sont en poste au phare, le quatrième agent est en repos dans sa famille pendant quatorze jours. Ce système de roulement nécessitait donc la présence au phare du même gardien pendant six semaines consécutives. Celui-ci allumait les feux, surveillait les groupes électrogènes, entretenait les locaux et le matériel[87]. Cette organisation rendant la vie des gardiens de phare et de leur famille très compliquée et difficile fut heureusement assouplie. On passa à deux gardiens seulement, en poste durant deux semaines, puis en repos pendant une semaine.
En 1981, le Service des Phares et Balises émet l'hypothèse de mettre fin au gardiennage du phare jugée trop onéreux, pour le remplacer par un moyen plus moderne de guidage. Une association de sauvegarde qui se met immédiatement en place, intervenant auprès des ministères de la Culture et de la Mer et des Conseils généraux et régionaux, obtient le maintien en activité du phare.
En 2010, la gestion du phare est transférée au Syndicat mixte pour le développement durable de l’estuaire de la Gironde (SMIDDEST). Il reste la propriété de l'État : le ministère de la Mer et le ministère de la Culture s'assurent du bon entretien du phare et de sa fonction de signalisation maritime.
Le gardiennage, l'accueil du public, la promotion du site et les projets culturels, la surveillance et la préservation du plateau rocheux, sont de la responsabilité du SMIDDEST.
Le phare de Cordouan, site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO
Classé monument historique la même année que Notre-Dame de Paris en 1862 (voir base Mérimée), le phare de Cordouan a présenté sa candidature dès 2016 pour être inscrit au Patrimoine Mondial de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).
Les élus de Gironde et de Charente Maritime avaient mis en avant cette proposition de candidature souhaitant amener un élan populaire autour de celle-ci.
En Gironde, sept sites seulement sont déjà classés par l’UNESCO dont la citadelle de Blaye, le Port de la Lune, le village médiéval de Saint-Émilion, ou la Basilique Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, à Soulac.
Le 31 janvier 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron choisit officiellement Cordouan pour concourir au nom de la France. C’était déjà une première victoire pour le Syndicat Mixte poour le Développement Durable de l'Estuaire de la Gironde (SMIDDEST) qui a déposé la candidature, un seul site par an et par pays pouvant concourir.
Le phare de Cordouan possédait beaucoup d’atouts laissant espérer un résultat positif à cette sollicitation : c’est le plus ancien phare de France, inauguré en 1611, l’unique phare en mer encore en activité. Il reçoit environ 20 000 visiteurs par an[88]. Jusqu'en 2021 un seul phare était inscrit au Patrimoine mondial de l'humanité, il s'agit de celui de la Corogne en Espagne, la tour romaine dite d'Hercule.
Un gros chantier de rénovation du phare de Cordouan avait été lancé pour soutenir la candidature dès 2010, la fin des travaux étant prévue en 2021. L'État, les deux départements de Gironde et de Charente-Maritime ainsi que la Région ont participé aux dépenses évaluées à neuf millions d'euros. Ces travaux concernaient principalement la chapelle entièrement restaurée et repeinte et l'étanchéité extérieure.
La décision de l'Unesco devait être connue durant l'été 2020 lors d'une réunion de l'Assemblée générale, en Chine. Malheureusement, pas de chance encore pour Le Verdon, aucune résolution n'a pu être prise en 2020, toutes les réunions programmées ont dû être annulées pour cause d'épidémie de coronavirus (Covid-19).
La bonne nouvelle est enfin tombée le 24 juillet 2021 : réuni ce jour à Fuzhou, ville-préfecture de la province chinoise du Fujian, le comité du patrimoine mondial de l'UNESCO inscrit le phare de Cordouan sur la liste des sites exceptionnels considérant qu'il remplissait bien les critères de sélection.
La révolution française, les girondins (ou brissotins, ou rolandistes ou buzotins)
Tout le monde connaît le rôle des girondins pendant la Révolution française : le nom provient de la région d'origine des premiers députés de ce groupe : Pierre Victurnien Vergniaud, Élie Guadet, Armand Gensonné, Jean-Antoine Lafargue de Grangeneuve, Jean-François Ducos…
À l'époque, en 1789, on parlait moins de girondins que de brissotins du nom de leur leader Jacques Pierre Brissot. D'autres préféraient leur donner le nom de rolandistes ou rolandins, dénomination choisie dans la région lyonnaise lors du soulèvement contre la Convention nationale afin qu'il n'y ait pas de confusion entre régions.
Le terme rolandiste est dérivé du nom de Manon Roland (dite Madame Roland) qui était l'égérie du groupe des girondins poussant son mari Jean-Marie Roland de la Platière à se rapprocher des jacobins : ce dernier fréquentera la Société des amis de la Constitution qui deviendra le Club des jacobins.
D'autres enfin désignaient le groupe les buzotins du nom de François Buzot, député de l'Eure mais très engagé et très connu comme l'un des principaux orateurs des girondins.
Alors que le Tribunal révolutionnaire se prononce pour l'exécution de Manon Roland, son mari Jean-Marie Roland, proscrit, et François Buzot, recherché, préfèreront le suicide à la guillotine : le premier choisira une mort spectaculaire en s'empalant sur son épée, le second se donne la mort dans un bois près de Saint-Émilion, à Saint-Magne-de-Castillon.
Madame Roland aurait prononcé avant de monter sur l'échafaud cette phrase célèbre : « Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! ».
De fait, l'appellation de girondins ou girondistes ne se généralisera que postérieurement à la Révolution : cette expression n'est popularisée qu'au XIXe siècle faisant suite, notamment, à la publication par Lamartine de son Histoire des girondins.
Création des départements : disparition des provinces de Guyenne et de Gascogne
Ce n'est qu'en 1790 que le département de la Gironde est créé. Cependant, durant trois années environ, de 1793 à 1795, il va être débaptisé afin d'effacer toute trace des girondins tombés en disgrâce et qui ont été arrêtés : on va l'appeler un temps le département du Bec-d'Ambès.
La province de Guyenne est alors divisée en six départements correspondant à peu près à ceux d'aujourd'hui bien qu'incomplets : la Gironde (au sud en partie de l'estuaire du même nom), la Dordogne, le Lot-et-Garonne, le Lot, les Landes et l'Aveyron.
À ceux-ci s'ajoutera le Tarn-et-Garonne, créé en 1808 en rognant sur les départements limitrophes.
Comme on peut le constater sur la carte de droite, le département de la Gironde fut créé en prenant une moitié en Guyenne, une autre moitié en Gascogne.
La Gironde sera elle-même divisée en 1790 en sept districts dont le district de Lesparre, ce dernier étant partagé en sept cantons dont celui de Saint-Vivien.
Cette division du territoire aquitain en départements puis districts et cantons conduit de fait à la disparition des entités politiques de Guyenne et de Gascogne. L'utilisation du mot "gascon" perdure cependant encore de nos jours surtout en raison du parler occitan auquel il fait référence.
Girondins et montagnards
Les girondins se sont violemment affrontés aux montagnards, incarnés par les figures de Robespierre, Danton ou Marat, que ce soit au Club des jacobins dont la plupart sont membres, à l’Assemblée législative ou à la Convention.
Élus à l'Assemblée législative au suffrage censitaire, en 1791, ils sont alors pour la plupart d'entre eux pratiquement inconnus au moment de leur élection du point de vue national : en effet, l'Assemblée constituante de 1789, d'un commun accord, a refusé à ses membres la possibilité de se présenter à cette première assemblée. Localement, par contre, issus pour la plupart d'entre eux de la bourgeoisie bordelaise, ils occupaient souvent des places importantes dans l'administration du territoire. Ils ont rapidement formé un groupe parlementaire autour de Brissot et Vergniaud, groupe politique et de pensée, appelé le plus souvent « les Brissotins ».
Les girondins, un groupe influent
Ce groupe politique influent des girondins rallie à sa cause beaucoup d'autres membres importants de l'assemblée lors de la Convention : ainsi Nicolas de Condorcet, député de l'Aisne, François Buzot, député de l'Eure, Jérôme Pétion de Villeneuve, Maire de Paris, député d'Eure-et-Loir, Charles Jean Marie Barbaroux, député des Bouches du Rhône, l'écrivain Jean-Baptiste Louvet de Couvray, Maximin Isnard, député du Var, Louis-François-Sébastien Viger, député du Maine-et-Loire, Marc David Lasource, député du Tarn qui a siégé tout d'abord avec les montagnards, Charles Éléonor Dufriche-Valazé, député de l'Orne, Jean-Denis Lanjuinais, député d'Ille-et-Vilaine…
Jean-Nicolas Pache qui fut ministre de la Guerre et Maire de Paris, un moment proche des girondins, prit ses distances vis-à-vis du mouvement, mais aussi des hébertistes (les « exagérés ») : il est signataire de la pétition demandant l'expulsion des vingt-deux girondins de la Convention, pétition signée par trente-cinq sections révolutionnaires de la Commune sur quarante-huit.
Jacques Pierre Brissot était originaire de Chartres : il s'était déjà fait connaître à Paris, dès 1789, en créant un journal républicain « Le Patriote français ».
Jean-Marie Roland de la Platière, alors inspecteur des manufactures de Lyon, venait juste de monter à Paris en 1791 pour défendre ses idées sur le commerce et l'industrie. Dans son secteur, il participa à l'Encyclopédie méthodique en rédigeant des articles. Il fut un des ministres girondins, ministre de l'Intérieur et de la Justice. Son épouse, Madame Roland, passionnée par les évènements en cours, crée un salon où elle reçoit de nombreuses personnalités influentes en politique. François Buzot qui fréquentait son salon était originaire d'Évreux. Il avait été élu député du Tiers État lors des États Généraux réunis par Louis XVI, en 1789. S'il a siégé plus tard parmi les girondins à cause de l'influence de son amie Manon Roland, il ne fut pas élu à l'Assemblée Légistative du fait qu'il avait participé à la Constituante : il prendra part aux grandes décisions politiques lors de son élection à la Convention.
Les autres députés girondins, moins connus, exerçaient des fonctions diverses en Gironde.
Pierre Victurnien Vergniaud était avocat, administrateur du département (président du Parlement de Bordeaux), c'était l'orateur de la Gironde.
Élie Guadet était président du tribunal criminel. Jean-François Ducos et Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède étaient négociants à Bordeaux, Armand Gensonné était procureur de Bordeaux, Jean-Antoine Lafargue de Grangeneuve était avocat.
Guerre ou pas guerre?
Faire la guerre ou non est la question qui divise le plus les girondins et les montagnards. Pendant des mois, c'est le débat qui anime le club des Jacobins et l'Assemblée nationale législative, ou la Convention, en 1791 et 1792.
La tournure des évènements a fait fuir à l'étranger tous les défenseurs de la monarchie, les nobles, les seigneurs et princes dont Condé et les frères du roi Louis XVI, le comte de Provence, futur Louis XVIII et le comte d'Artois, futur Charles X.
Cette émigration s'est organisée et la plupart des exilés ont constitué ou rejoint des groupes armés stationnés non loin des frontières françaises : l'armée de Condé à Worms, celle des frères de Louis XVI à Coblence.
Les girondins défendent l'idée de faire la guerre aux contre-révolutionnaires, à cette armée des émigrés (ou des Princes) dangereuse car prompte à s'allier avec les armées étrangères. En effet, la Révolution française fait peur aux souverains étrangers qui craignent une contagion sur leur territoire.
Coblence est devenue le symbole de la contre-révolution. Brissot déclare devant l'Assemblée fin 1791 :
« Le mal est à Coblentz…Le pouvoir exécutif va déclarer la guerre : il fait son devoir, et vous devez le soutenir quand il fait son devoir… »
Le 9 novembre 1791, l'Assemblée législative décrète que tous les émigrés doivent rentrer en France. Dans un premier temps, Robespierre se prononce pour la guerre contrairement à l'antibelliciste montagnard convaincu Jacques-Nicolas Billaud-Varenne. Modifiant sa position, il rejoint cependant ce dernier et s'oppose nettement à Brissot dans plusieurs discours : dans l'immédiat, rien ne menace la France au point de se lancer dans l'aventure d'une guerre contre les puissances européennes.
Robespierre déclare début janvier 1792 :
« La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d'un politique est de croire qu'il suffise à un peuple d'entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. »
Les montagnards n'ont plus de cesse alors de se prononcer contre la guerre qu'ils considèrent comme un piège. Jean-Paul Marat avait écrit dans son journal, l'Ami du peuple à la fin de l'année 1791 :
« Je tremble... que l'Assemblée, hâtée par les jongleurs prostitués à la Cour, ne se prête elle-même à entraîner la nation dans l'abîme. »
Finalement la guerre
Finalement, c'est Louis XVI lui-même jouant un double jeu après sa tentative de fuite à l'étranger qui propose de faire la guerre au roi de Bohême et de Hongrie le 20 avril 1792 à la grande surprise des girondins. Le terme «Bohême et Hongrie» désigne à cette époque le Saint-Empire romain germanique auquel s'ajoutent toutes les possessions de la Maison de Habsbourg-Lorraine dont l'archiduché d'Autriche, un fief du Saint-Empire. L'empereur du Saint-Empire Léopold II venant de décéder c'est justement, après une période de flottement, François 1er, l'archiduc d'Autriche qui lui succède. Ce dernier change de nom en devenant empereur : il devient François II. Cette guerre sera d'ailleurs pour cette raison la plupart du temps désignée sous le nom de guerre contre les autrichiens.
Jusqu'à présent, la Constitution de 1791 prévoyait un regard du roi sur les décisions prises par l'Assemblée avec les formules appropriées «le roi examinera» et le «le roi consent et fera exécuter» mais elle accordait aussi au roi un droit de veto durant quatre années.
Le 13 juin 1792, Louis XVI utilise ce droit et s'oppose aux dernières lois votées par l'Assemblée ainsi qu'il l'avait déjà fait sur la loi concernant les prêtres réfractaires : il s'agit de la loi instituant la dissolution de la garde du roi, celle du recours à Paris de 20 000 gardes nationaux. De plus, il congédie les ministres girondins : Roland, Joseph Servan, Étienne Clavière...
Le 20 juin 1792 , les sans-culottes parisiens descendent dans la rue l à l'initiative des girondins mécontents du renvoi de leurs représentants. La date n'est pas choisie au hasard : c'est l'anniversaire du serment du Jeu de paume de 1789 et celui de la tentative de fuite du roi (fuite de Varennes) un an plus tôt le 20 juin1791. Journée voulue pacifique, les manifestants investissent cependant le palais des Tuileries obtenant du roi qu'il coiffe le bonnet phrygien et boive à la santé de la Nation. Ce dernier reste cependant inflexible en ce qui concerne le retour au pouvoir des ministres girondins.
La chute de la royauté (10 août 1792), la proclamation de la République (21 septembre 1792)
La déclaration de guerre de la France conduit à une première coalition entre les Autrichiens et la Prusse.
L'invasion du pays par les prussiens (marche sur Paris en passant par la Lorraine) provoque une grande émotion et une grande peur. Pour combattre les prussiens, fin 1791, le roi met sur pied une unité militaire envoyée au front, l'Armée du Rhin. C'est en son honneur que Rouget de Lisle écrit le «Chant de guerre pour l'armée du Rhin» rabaptisé plus tard la Marseillaise. Dans tous les départements de France, se sont en effet constitués des comités révolutionnaires et ce sont les fédérés marseillais qui ayant adopté ce chant comme chant de marche l'entonneront et le feront connaître lors de la prise des Tuileries.
Le 11 juillet 1792, devant l'avancée des prussiens en direction de Paris, l'assemblée législative déclare la patrie en danger, partout on sonne le tocsin. Le manifeste de Brunswick adressé au peuple de Paris fin juillet de la même année va radicaliser un peu plus les révolutionnaires qui déclarent le roi et la reine complices de l'ennemi.
Le 10 août 1792, c'est l'insurrection menée par la Commune de Paris renforcée de volontaires de Brest et Marseille.
Les insurgés attaquent les Tuileries puis prennent possession des lieux malgré une défense acharnée des Gardes suisses.
Le roi et sa famille sont arrêtés puis enfermés dans la prison du Temple.
Les girondins respectueux de la Constitution, plutôt légalistes, n'ont jamais souhaité tous ces débordements. Favorables à une monarchie constitutionnelle, ils ont négocié en vain jusqu'au bout avec le roi.
Le maire de Paris lui-même, Jérôme Pétion de Villeneuve né à Saint-Magne de Castillon en Gironde, n'avait pas pris toute la mesure de la manifestation du 10 août à laquelle il ne participe d'ailleurs pas.
Le 2 septembre 1792, Danton fait une déclaration restée célèbre devant l'Assemblée :
Le 21 septembre 1792, le lendemain de la victoire de Valmy, une nouvelle assemblée baptisée Convention nationale proclame la République.
La convention girondine
L'influence des girondins était prépondérante à la Convention où ils étaient majoritaires jusqu'à leur chute, de sorte que l'on parle parfois de Convention girondine pour la période allant de ses débuts le 21 septembre 1792 jusqu'au 2 juin 1793. Malgré cette majorité, les girondins ne peuvent pas empêcher les révolutionnaires exaltés de perpétrer les massacres de septembre qui ont suivi la proclamation de la République. Certains attribuent cette tuerie à l'influence de la presse notamment à Marat qui dans l'Ami du Peuple en appelle au massacre des ennemis de la Révolution. Lors du procès du Roi, les girondins seront accusés de passivité.
Jacques-René Hébert, le plus violent adversaire des girondins
Hébert qui n'avait pas réussi à se faire élire à la Convention nationale se montrait dans son journal le plus violent, le plus virulent, le plus grossier, le plus outrancier, le plus ordurier…, les qualificatifs manquant pour définir son intempérance. Il n'a pas de mots assez durs, assez violents, quand il s'en prend au Roi, à la Reine, au Dauphin, les affublant de surnoms les plus extravagants. Pendant des semaines, le Père Duchêne va répéter que les girondins sont des traîtres, des vendus, des scélérats.
Il écrit en parlant des girondins :
« Nous avons détruit la royauté, et, foutre, nous laissons s’élever à sa place une autre tyrannie plus odieuse encore. La tendre moitié du vertueux Roland mène aujourd’hui la France à la lisière comme les Pompadour et les Du Barry. Brissot est le grand écuyer de cette nouvelle reine ; Louvet son chambellan ; Buzot le grand chancelier, Vergniaud le grand maître des cérémonies ; Guadet son échanson. Telle est, foutre, aujourd’hui la nouvelle cour qui fait la pluie et le beau temps dans la Convention et dans les départements »
Le procès puis la mort du Roi (21 janvier 1793)
La Convention fut une période de rivalité exarcerbée entre les girondins et les montagnards.
Adoptant le plus souvent une attitude modérée, les girondins furent alors la cible outre les montagnards, de tous les extrémistes, les jusqu'au-boutistes excitant les sans-culottes et tout le petit peuple : les exagérés (Jacques-René Hébert, et son journal « Le père Duchesne »), les enragés (Jacques Roux) , la Société des républicaines révolutionnaires (Pauline Léon et Claire Lacombe)…
Faisant suite à l'affaire de l'armoire de fer révélée au public le 20 novembre 1792 et à la trahison supposée de Louis XVI, les montagnards et Robespierre demandent un jugement et une condamnation du roi afin d'asseoir définivement la République.
Pressée par les évènements, l'invasion de la France s'ajoutant à la guerre civile (insurrection en Vendée), la Convention va mettre en place le 1er janvier 1793 un Comité de défense générale dont Brissot devient président. Ce comité vient s'ajouter au comité de sûreté générale et de surveillance créé le 2 octobre 1792 après la proclamation de la République.
Le 3 décembre 1792, la Convention après une argumentation de Robespierre qui prend appui sur les idées de Saint-Just («On ne peut régner innocemment ») se déclare compétente pour juger le roi.
Le procès du roi se déroulera du 6 au 26 décembre 1792. Les girondins qui souhaitaient l'apaisement votent cependant pour beaucoup, sous la pression, la mort du roi. Le plus souvent cependant leur vote est assorti d'une demande de sursis selon la proposition de Jean-Baptiste Mailhe.
L'histoire retiendra que la mort du roi fut votée à une voix de majorité mais il y eut en fait plusieurs votes. Certains soutiendront que cette voix prépondérante de majorité n'était autre que celle du propre cousin du roi, Louis-Philippe d'Orléans, dit Philippe Égalité. Parmi les girondins ayant voté la mort du roi sans conditions on peut citer des noms connus à Bordeaux : Armand Gensonné, Jean-François Ducos fils, Pierre-Anselme Garrau, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède, Alexandre Deleyre...
La Commune de Paris, les journées d'émeute des 31 mai et 2 juin 1793
Début 1793, considèrant la révolution française comme un grand danger pour elles, surtout après l'exécution du roi Louis XVI le 21 janvier, les monarchies européennes entrent en guerre contre la France : c'est la guerre dite de première coalition. La toute nouvelle République est bientôt attaquée de toute part. Le Royaume-Uni, les Provinces-Unies, l'Espagne, les royaumes de Sardaigne et de Sicile, le Portugal...rejoignent l'Autriche et la Prusse. En France même, il y a un début de guerre civile avec notamment le soulèvement de Vendée.
La défaite française à la bataille de Neerwinden le 18 mars 1793 a pour conséquence la trahison du général Dumouriez qui avait été nommé ministre des Affaires étrangères par les girondins.
Devant l'urgence et la contestation de plus en plus grande de leurs décisions par les montagnards et le Club des Jacobins, les girondins élisent le 21 mai 1793 une commission ad hoc pour tenter de déjouer tous les complots en train de se tramer notamment au sein des sections et de la Commune de Paris : la Commission extraordinaire des Douze.
Cette création entraîne de facto les journées d’émeute des 31 mai et 2 juin 1793 organisées par la Commune.
La dictature des montagnards, l'arrestation des girondins
Face à l'éternel conflit entre montagnards et girondins, beaucoup de députés choisissent la modération en siégeant au sein d'un groupe appelé, par opposition à la Montagne, la Plaine ou le Marais. Après l'exécution du Roi, l'un d'entre eux, Bertrand Barère, propose la création d'un nouveau comité, le Comité de Salut public dont la mission sera de sauver la nation mise en péril par la guerre civile et les ennemis de l'extérieur. Il est créé le 6 avril 1793, la Convention lui confiant les plus grands pouvoirs. Les girondins sont sous représentés au sein du comité avec deux membres seulement sur neuf au début.
Rapidement, Danton plutôt modéré au sein de ce comité et qui veut faire arrêter les massacres se voit dépassé par les idées révolutionnaires de Robespierre.
Suite à la journée d'émeute du 2 juin 1793, les montagnards se rendent maîtres de la Convention. Ils vont instaurer une sorte de dictature afin, disent-ils, de sauver la Révolution. Robespierre va alors instaurer un véritable régime de terreur faisant exécuter tous les Indulgents.
Le Tribunal révolutionnaire est rétabli : toute personne suspecte est arrêtée, condamnée, en général guillotinée, parfois fusillée.
Les girondins sont d'abord placés en résidence surveillée. Devant l’évolution de la situation, plusieurs girondins réussissent à échapper à ce qu'ils considéraient comme un acte illégal puisque les motifs de leur arrestation ne leur avaient pas été notifiés. Cependant vingt-et-un députés girondins furent arrêtés alors que cent quarante environ sont proscrits[89].
Jean-Pierre-André Amar fut chargé le 3 octobre, au nom du Comité de sûreté générale, de rédiger un acte d’accusation contre les girondins. Ce texte développait les évènements des dernières années. Les actes des girondins y étaient déformés, dénaturés et mis en relief de manière à les accabler en les présentant comme des conspirateurs hostiles à la République ayant tenté de faire avorter la Révolution afin de rétablir la monarchie en sauvant le « tyran », n’hésitant pas à lancer le pays dans les horreurs de la guerre civile. Les girondins y apparaissaient comme une « faction de traîtres liberticides » nuisibles pour la France et à la solde de l’étranger.
Le procès des vingt-et-un députés arrêtés à Paris (particulièrement Brissot, Vergniaud, Gensonné, Viger, Lasource, etc.), qui occupa les audiences du Tribunal révolutionnaire des 24 au 30 octobre 1793, fut une mascarade. Tous furent condamnés à mort (à l'exception de Valazé qui se suicida dans la salle) et guillotinés, le 31 octobre 1793.
Comme beaucoup d'autres grands faits historiques, la Révolution eut un côté très positif, avec de nombreux bienfaits faisant évoluer la société : abolition des privilèges, Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, adoption d'une constitution appelant à une grande liberté (presse, opinion…), à l'égalité des droits, à la fraternité, au respect de la propriété… Elle eut aussi son côté noir et obscur avec la Terreur, le vandalisme, l'iconoclasme… Ce fut l'abbé Henri Grégoire qui dénonça le premier la destruction des œuvres d'art en parlant de vandalisme, en référence au peuple barbare du Haut Moyen Âge. À Bordeaux, la Terreur, ce fut 301 personnes guillotinées sur la place Nationale (ex place Dauphine, place Gambetta aujourd'hui) en moins d'un an. À Cordouan, tous les bustes en marbre des Rois ont disparu : Henri III, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV : subsistent seulement dans la chapelle royale, les monogrammes d'Henri III et d'Henri IV, et ceux entrelacés de Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche dans l'appartement du Roi. De chaque côté de l'escalier, on peut voir encore dans la chapelle royale, les niches où logeaient les bustes de Louis XIV et Louis XV.
Un développement spectaculaire au XIXe siècle
La pointe de Grave connaît un développement spectaculaire au cours du XIXe siècle : plantation de pins pour stabiliser les sables, travaux de défenses côtières avec la construction d’épis, construction de la jetée de la pointe et de Port-Bloc, reconstruction du fort de la Pointe de Grave, construction des phares de Grave et de Saint-Nicolas…
On note la présence en consultant les cartes du début du XIXe siècle, d'un premier sémaphore sur la dune de Saint-Nicolas au lieu dit la Claire. Il sera reconstruit en 1864 avec deux logements pour les gardiens.
Le Verdon qui n'était qu'un hameau de Soulac est érigée en commune indépendante en juillet 1874.
À noter que 1874 sera aussi l'année de la construction de la voie ferrée Bordeaux-Le Verdon qui permettra un désenclavement de la commune et d'envisager un avenir portuaire : celle-ci commencée par tronçons depuis Bordeaux en 1868 n'arrivera au Verdon qu'en 1875 et à la Pointe de Grave, en 1902.
La sécurité de la navigation à la Pointe de Grave est à cette époque à l'ordre du jour du ministère de la Guerre et de la Marine qui contrôle le territoire. Plus tard, le Port autonome de Bordeaux et l’Office national des forêts cogèreront les terrains de la pointe de Grave.
Le problème se posait alors, dès le début du siècle, de baliser la passe sud de plus en plus utilisée par les petits navires, coupant au plus court, s'évitant le long détour qui consistait à contourner Cordouan
On décide de la construction (ou de la reconstruction) de deux phares, le phare de Grave et le phare Saint-Nicolas.
Le phare de Grave
En 1860, le phare de Grave, plusieurs fois détruit, est reconstruit en dur. Une première tour en maçonnerie avait été édifiée en 1838 qui fut détruite par l'érosion marine. Précédemment, depuis 1823, plusieurs tours équipées de fanaux avaient été construites, parfois en bois.
Le phare était situé à l'époque derrière le cordon de dunes, plus près de l'estuaire que de l'océan. Le continuel recul de la côte, près de deux kilomètres au XVIIIe siècle, l'a considérablement rapproché de l'océan, comme on peut le voir aujourd'hui. La tour est de forme carrée et s'élève à 28 mètres. Il faut monter 120 marches pour accéder à la lanterne : les 86 premières marches sont faites de pierre et, dans la partie la plus haute, on compte 34 marches métalliques. En 1860, il est construit de part et d'autre du phare deux logements de gardiens.
L'électrification du phare en 1954 permettra le remplacement du pétrole utilisé depuis 1911 pour faire fonctionner la lanterne, ainsi que l'automatisation. Le phare est transformé en musée depuis 1999 : dénommé « Musée du Phare de Cordouan et des Phares et Balises », cinq salles accueillent le public. Une grande partie est consacrée au Phare de Cordouan montrant à travers plusieurs maquettes son évolution. Dans la cour, depuis 2011, « le Matelier », bateau chargé d'assurer les relèves du phare, amenant les gardiens ou les ramenant à Port-Bloc, y est exposé. Pendant plus de trente années, de 1962 aux années quatre-vingt-dix, parfois dans des conditions périlleuses à cause du mauvais temps, il a ainsi fait des navettes entre le phare et le port transportant hommes et provisions. Il était utilisé aussi par le Service des Phares et Balises en tant qu'annexe des baliseurs, en particulier dans l'estuaire jusqu'à Pauillac.
Le phare Saint-Nicolas
Le ministère des Travaux Publics, sous la Troisième République, vote des crédits, en 1871, pour la construction d'un phare, le phare Saint-Nicolas, juste après la construction d'un autre phare sur l'estuaire, le phare de Richard[90].
Il est raisonnable de penser que le nom « Saint-Nicolas » fut le nom donné et choisi par les moines du prieuré de Grave qui s'est installé à proximité : il daterait donc des alentours de 1090 (installation du prieuré Saint-Nicolas-de-Grave). C'est, en effet, peu probable, que le nom d'un saint fût choisi avant cette installation pour désigner un endroit isolé de forêt, au lieu-dit La Claire. Le rocher du même nom, Rocher Saint-Nicolas, situé légèrement plus au sud, émergeant à marée basse, et qui est le début de l'îlot de Cordouan, aurait donc reçu son nom postérieurement à cette date.
Construit au milieu de la forêt, le phare Saint-Nicolas, lui aussi, s'est de plus en plus rapproché de l'océan avec l'érosion marine. D'une hauteur moindre, un peu plus de douze mètres, son feu, contrairement aux deux autres phares de la Pointe de Grave, est fixe et orienté : il n'éclaire que d'un côté de manière à être bien repérable des navires. Il était gardé jusqu'en 1936 (année de son déclassement), le gardien logeant dans une maison contiguë au phare, détruite en 1964. Fonctionnant au pétrole depuis sa construction, il fut électrifié en 1948. Pour accéder au feu, il faut gravir 32 marches en bois, mais arrivé en haut, on ne peut profiter d'aucun panorama, le phare n'ayant pas de galerie à son sommet comme à Cordouan ou au phare de Grave.
La lutte contre l'érosion marine
De tout temps, la pointe de Grave, cap fragile, a dû faire face à l'érosion marine. Le trait de côte a varié au fil des siècles, il n'est qu'à consulter les cartes anciennes pour s'en rendre compte. Pour se protéger, les pouvoirs publics ont longtemps pensé que construire digues et épis suffiraient à protéger le littoral atlantique de la pointe du Médoc.
Au XIXe siècle et pendant plus de cent trente ans, jusqu'au début de la seconde guerre mondiale, le service des Ponts et Chaussées entreprend de gros travaux de construction de brise-lames. Afin de limiter les effets des courants, empêcher la mer d'emporter le sable et lutter contre l'avancée de l'océan, ils édifient tout d'abord de nombreux épis.
À partir de 1839, c'est 13 épis qui seront construits entre le bout de la pointe et la plage de la Claire ainsi qu'un épi tout au bout (voir carte ci-dessous). D'autres travaux entrepris par l’État vers 1845 consisteront à ajouter d'autres épis jusqu'aux Huttes : sept épis seront construits après le Rocher Saint-Nicolas en allant vers Soulac (Voir carte).
C'est en même temps, entre 1844 et 1846, que la jetée du bout de la pointe fut construite. Des sondages furent effectués pour déterminer l'orientation et la profondeur de l'ouvrage. Le projet initial prévoyait une longueur de 900 mètres, mais elle ne fut aménagée, comme un épi, que sur une longueur de 169 mètres. On s'aperçut alors de problèmes de courant qui creusait la côte, côté rivière : le problème fut résolu en ajoutant une digue, à l'est et perpendiculairement à la jetée, en 1848. À son extrémité, un amer fut installé indiquant l'entrée de l'embouchure de la Gironde et l'accès à Port-Bloc.
On peut encore voir, sur cette jetée de la Pointe de Grave, ce qu'il reste de la voie de chemin de fer utilisée pour pratiquer un enrochement à l'aide de gros blocs de pierre ou de béton, de part et d’autre de la jetée, côté océan et côté rivière, ainsi qu’à son extrémité. En fait, tout un réseau de rails, aménagé par les Ponts et Chaussées, longeait autrefois la côte avec des bifurcations jusqu’aux plages, permettant de continuer à protéger la côte de l'érosion marine. Une de ces voies traversait même Soulac pour rejoindre la cimenterie fabriquant les blocs de béton.
Au tout début, et pendant de longues années, ce sont des chevaux qui tiraient ces wagons sur les rails (voies étroites de 60) comme on peut le voir sur de vieilles cartes postales.
La responsabilité des travaux de protection de la côte est transférée au Port autonome de Bordeaux (PAB) à partir de 1939. Son statut de port autonome date de 1920. Très rapidement, les voies étroites sont remplacées par des voies métriques et le cheval est remplacé par des draisines à moteur Diesel tirant des wagons découverts sur lesquels les blocs et tout le matériel nécessaires aux travaux étaient chargés .Une station de pesage pour les wagons se trouvait tout près de la Cité des Douanes. Le réseau relativement dense des voies du Port autonome à la Pointe de Grave convergeait vers les ateliers du Port autonome où étaient faits l'entretien et la réparation du matériel.
Toutes les voies furent réquisionnées par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale : elles furent affectées à la construction des blockaus du Mur de l'Atlantique.
Tous ces travaux sur la côte nécessitèrent d'autres aménagements particuliers. En effet, les matériaux étaient livrés à Port Bloc qui ne s'appelait pas encore ainsi, n'étant qu'une anse non protégée. Celle-ci fut donc aménagée en port afin de faciliter l'acheminement de tous les matériaux nécessaires à la défense côtière : rails, traverses des voies, blocs de pierre, rochers… Ceux-ci, une fois déchargés étaient ensuite directement livrés sur place par les voies déjà aménagées : ils étaient utilisés pour la construction des épis, des digues, jetées, éperons…
Port Bloc
La première digue du port a été construite entre 1851 et 1855. Elle fut réhaussée en 1877.
En 1895, une longue digue faite de gros blocs en pierre est ajoutée dans le prolongement du port afin de protéger des eaux le fort situé à proximité.
L'origine du nom « Port Bloc » vient justement de tous ces blocs de pierre qui ont transité ici avant d'être transférés par voie ferrée sur toute la côte, de la pointe jusqu'aux Huttes, au début. Administré d'abord par les Ponts et Chaussées, il dépendra du Port autonome de Bordeaux à partir de 1939. Des pêcheurs y installeront leurs bateaux.
Par ailleurs, l'arrivée en 1875 du chemin de fer au Verdon entraîna l'aménagement d'un ponton tout près de l'entrée du port, servant aux voyageurs pour embarquer (ou débarquer) sur les bateaux reliant la Pointe de Grave à Royan. En 1877, ce ponton se trouvait juste à gauche en sortant du port : il aura disparu avant janvier 1928 (note du Conseil Général). Des bateaux à vapeur qui ont pour noms « L'Union », le « Satellite », la « Magicienne » ou le « Goéland » ont transporté des voyageurs depuis cette zone d'accostage jusqu'en 1927.
En 1928, le port est aménagé pour accueillir le bac le « Cordouan », mis en service en 1935 : l'accostage nécessite alors la construction d'une cale inclinée. Une esplanade est aussi aménagée avec parkings, bancs et plantations d'arbres.
En 1936, le baliseur du Service des Phares et Balises est autorisé à stationner dans le port lors de son transfert de Royan à la Pointe de Grave. Une place lui est dédiée dans la partie sud du bassin. Sur le port, fut aussi aménagé un espace de stockage des bouées baptisé « le cimetière » par les marins du baliseur : en fait, celles-ci étaient remisées là, la plupart dans l'attente d'une restauration : sablées, puis repeintes, elles étaient le plus souvent réutilisées.
Au début de l'année 1945, alors que la Pointe de Grave est toujours occupée par l'ennemi (Poche de la Pointe de Grave), le port est bombardé, les jetées et la cale du bac sont en partie détruites. Le bac le « Cordouan » que les Allemands avaient réquisionné pour diverses missions de transport de troupes et de véhicules est coulé dans le port même. Il sera renfloué l'année suivante[91].
En 1953, les douanes maritimes s'installent à la Pointe de Grave et leur vedette d'intervention rapide « Directeur Général Collin de Sussy » mouille dans le port.
En 1953 toujours, est construit dans Port Bloc un ascenseur à bateau afin d'y remiser et protéger le canot de sauvetage de la nouvelle Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (SCSN) : le « Capitaine de Corvette Cogniet ».
Port Bloc est le port emblématique et historique de la Pointe de Grave. Après guerre, dans les années 1950 et suivantes, en particulier, il était très animé, connaissant une forte activité. Les habitants de la Pointe se rendaient alors à la plage à Port Bloc en famille, les enfants y apprenaient à nager car c'était plus difficile de le faire à l'Océan, à cause des vagues.
Il est possible aujourd'hui de se rendre compte de la forte affluence de plagistes, et de la grande animation de "Port Bloc-Plage" à cette époque, en consultant les vieilles cartes postales : apparemment, les flaques d'huile aux reflets irisés, bleuâtres, que l'on voyait parfois à la surface de l'eau (pollution par les bateaux à moteur) ne rebutaient personne, ne faisaient pas peur aux parents de voir leurs enfants attraper des maladies. Parfois, les enfants se positionnaient sur les marches du fond du port, munis d'une canne à pêche, afin d'attraper des éperlans mais aussi, le plus souvent, des loches, moins appétissantes. L'exploit consistait pour certains, plus grands, à traverser le port à la nage dans le sens de la largeur puis parfois de la longueur, au milieu des bateaux, risquant la blessure par une hélice, ou autre. Les bateaux servaient souvent de plongeoir. Est-ce que tout cela serait encore envisageable de nos jours, en dehors des périodes de Fêtes de la mer où sont organisés et autorisés divers jeux dans l'eau du port (compétitions de natation, courses aux canards, joutes…?). Est-ce aujourd'hui passible d'une amende comme dans beaucoup d'autres endroits? Toujours est-il qu'à l'heure où les eaux de baignade sont analysées méthodiquement sur tout le littoral (avec à la clef des interdictions en cas de pollution), on ne voit plus guère de baigneurs nager dans les ports.
Ce qui explique que les familles avec enfants habitant la Pointe de Grave se rendaient régulièrement à la plage, à Port Bloc, avant-guerre puis après-guerre dans les années cinquante et soixante, était l'éloignement des autres plages. Peu de familles encore avaient une voiture à cette époque. Les habitants du hameau pouvaient à la rigueur se rendre à pied par les digues à la plage de la Claire, la plage océane la plus proche, mais celle-ci n'était pas surveillée. Ce n'était quand même pas évident avec de jeunes enfants ou des poussettes. Se rendre à la plage de la Chambrette, en longeant l'estuaire n'allait pas de soi non plus : il fallait longer la partie envasée, sur le sable, Port Médoc aujourd'hui. Par la route, c'était trop long. Il a fallu attendre une première démocratisation de la voiture au cours de la décennie 1960 à 1970 pour voir un peu plus de véhicules stationnant devant les maisons, pratiquement que des voitures françaises : des Renault 4 CV, Frégate et Floride, les Renault Dauphine et 4 L qui avaient beaucoup de succès, les R8, puis R16, des Citroën 2 CV, Tractions avant, DS, Ami 6, puis Ami 8, des Peugeot 403, puis 404, des Panhard…
Les bateaux de pêche stationnant dans le port étaient nombreux : 17 patrons de pêche en 1948. C'était des va-et-vient du bac « Le Cordouan » : une partie du Port Bloc était réservée à l'embarquement pour le bac qui transporte les voitures et leurs passagers vers Royan. C'est ici que stationnaient les bateaux-pilotes qui guident les gros porteurs pénétrant dans l'estuaire, le bateau-dragueur du chenal de la Gironde, les puissants bateaux de la SNSM qui assurent les sauvetages en mer, ceux du service de Balisage du chenal de l'estuaire et de toute la façade sud-atlantique, afin d'assurer la sécurité de la navigation. En outre, quelques bateaux de plaisance apportaient leur charme à ce port très actif.
Il n'était pas rare, à marée basse, de retrouver, après guerre, des cartouches, obus…, ou autre munitions dites « historiques » enfouies dans le sable ou la vase du port. Souvent, les enfants pourtant prévenus, les ramassaient inconsciemment et les ramenaient à la maison. On trouvait aussi beaucoup de ces cartouches dans les blockhaus qui étaient des terrains de jeux priviligiés des enfants de la pointe…et le lieu de rendez-vous des jeunes amoureux. Il arrivait que certaines de ces munitions étaient non explosées et c'était bien évidemment dangereux : pourtant, sur bien des cheminées de cette époque, trônaient des culots de cartouches mais aussi, parfois, des cartouches entières non percutées.
Le fort de la pointe de Grave, dit aussi du Verdon, ex-fort de la Chambrette, ex-fort de Grave sur d'anciennes cartes
Au XVIIIe siècle, sur l'anse de la Chambrette située sur l'estuaire de la Gironde, avait été construit un premier fort, au même endroit : il portait le même nom que celle-ci, le « Fort de la Chambrette ». Il était le pendant d'un autre fort, situé à peu près à la même latitude, mais près de l'océan, le « Fort de Girofle » (écrit ainsi sur les registres du recensement, mais parfois dit de « Gérofle »). Les deux forts ayant été détruits, celui de la Chambrette qui était dit en ruines est reconstruit en 1816, pratiquement tel qu'on peut le voir aujourd'hui. Il était à l'époque près du rivage mais les aménagements de Port Bloc l'en ont éloigné, notamment lors de la construction d'une digue de protection en 1895. Long d'environ deux cent mètres, il était entouré de profonds fossés larges d'environ sept mètres.
- Mur d'enceinte et caponnière
- Créneau de pied, détail
- Mur d'enceinte de deux cent mètres de long environ, vue sur escalier pas de souris
- Caponnière
De 1877 à 1888, le fort de la Pointe de Grave sera réaménagé selon le principe du général Raymond Adolphe Séré de Rivières. Selon son système, les quelques 200 forts construits en France à partir de 1873 (lorsqu'il est nommé secrétaire du Comité de Défense) sont linéaires, semi-enterrés, canalisant l'ennemi vers une seule ouverture où une armée restreinte peut l'attendre.
Le fort sera occupé par l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien que bombardé par les Alliés en 1945, le profil du fort à moitié enterré, bien protégé par une DCA (défense contre l'aviation), fait qu'il a relativement peu souffert. Propriété du ministère des Armées, il est transformé pour accueillir une colonie de vacances réservée aux enfants de militaires à partir des années cinquante. Les salles de casernement sont réaménagées en salles d'activités et en dortoirs de huit à dix lits.
- Entrée unique du fort.
- Intérieur du fort de la pointe de Grave.
- Mur d'escarpe perpendiculaire à Port Bloc
À partir de 1966, ce centre est géré par l'Institution de gestion sociale des armées (IGESA) jusqu'en 2018, réservé plus particulièrement aux enfants de 10 à 14 ans et aux adolescents. Ces derniers auront la possibilité pendant plusieurs années de s'initier au parachutisme[92]. Depuis 2018 le centre semble être à l'abandon.
La forêt domaniale de la pointe de Grave
La forêt domaniale de la pointe de Grave fait partie intégrante de la forêt des Landes de Gascogne qui est un massif forestier couvrant trois départements : la Gironde, les Landes et le Lot-et-Garonne. Formant un triangle, les sommets pourraient être matérialisés par la Pointe de Grave (au nord), Hossegor (au sud) et Nérac (à l'est). Près du littoral atlantique, la forêt est principalement domaniale mais, la plupart du temps en Gironde, elle appartient à des propriétaires privés.
À la Pointe de Grave, on trouve essentiellement deux essences : le pin maritime (Pinus pinaster, ou Pin des Landes) et le chêne vert. Une partie de la forêt des Landes est d'origine naturelle. L'idée de planter une forêt dans les Landes de Gascogne a mûri au XIXe siècle pour plusieurs raisons.
La première était de fixer les dunes mobiles du littoral qui menaçaient les villages d’ensablement. L'ingénieur des Ponts et Chaussées, Nicolas Brémontier prit connaissance des travaux entrepris sur la côte, qu'il reprit à son compte.
Afin de préserver la forêt, Brémontier avait implanté son premier atelier de semis de pins (Forêt de Rabat) à la Pointe de Grave, en 1801. Fort de son influence à Paris, et écouté par de gros investisseurs (les dérivés de la résine seraient indispensables dans la révolution industrielle), il sut convaincre le gouvernement de la nécessité de semer des pins maritimes dans les Landes.
En 1857, est votée une loi dite « Loi relative à l'assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne » soutenue par l’empereur Napoléon III. Celle-ci oblige les communes des Landes de Gascogne à assécher et assainir, sur leur territoire, toutes les zones marécageuses. Elle prévoit également pour tous les propriétaires une obligation de mise en exploitation de ces grandes étendues. Or, le pin maritime est une rare culture qui pousse correctement sur ces sols. Sur le littoral, cet arbre est déjà utilisé pour fixer les dunes. Il est parfait aussi pour drainer l'eau.
D'autres ingénieurs des Ponts et Chaussées sont bien connus dans la région pour avoir œuvré à cette mise en valeur de la forêt des Landes tels François Jules Hilaire Chambrelent et Henri Crouzet… On peut citer aussi les frères Desbiey, les précurseurs, bien connus à La Teste-de-Buch et à Arcachon.
Avant 1857 et la plantation des premiers pins maritimes, les Landes de Gascogne, pour une grande partie, étaient une zone de marécages. On avait l'habitude de dénigrer ce territoire, proche d'une grande agglomération, Bordeaux, en le disant malsain, l'accusant d'être le vecteur du paludisme (appelé aussi malaria, ou « fièvre des marais »), ainsi que celui d'autres maladie telle la peste. Inversement, on prédentait que les pins avaient des propriétés curatives, médicinales : bons pour les maladies respiratoires, les maladies urinaires…, ayant des propriétés antiseptiques.
Le projet fut combattu, à l'époque, notamment par les habitants du cru, et plus particulièrement la population agropastorale. Ces derniers ne comprenaient pas cette propagande, se trouvant très bien sur leur territoire qu'ils ne trouvaient pas si dangereux : la preuve, ils y travaillaient tous les jours pratiquant l'élevage d'ovins. La plantation de cette pinède se fera malheureusement au détriment des bergers landais. Ces derniers, très mécontents, ont dû se résigner : sans vouloir faire de jeu de mots, ils deviendront résiniers. Une kyrielle d'épithètes seront désormais accolées à cette culture du pin : il sera qualifié « d'arbre d'or » et l'essence de térébenthine et la colophane deviendront « l'or blanc » des Landes de Gascogne.
Alexandre Léon qui s'enrichit en exploitant de grandes parcelles replantées de pins, exportait en Angleterre des poteaux de pins bruts, dans les années 1860. C'est peut-être lui qui est à l'origine de l' équation : pin maritime égale arbre d'or des Landes[93].
Si on a cessé de cultiver le pin pour sa résine vers 1990, on continue aujourd'hui d'exploiter la forêt pour son bois. Cette forêt, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est presque la même que celle résultant de la loi de 1857. Par endroits cependant, en particulier autour du Bassin d'Arcachon, on assiste à une déforestation, résultat d'une urbanisation rampante. Heureusement, ce danger amènent des défenseurs de la nature à se constituer en assocciations afin d'atténuer le phénomène : on peut citer, par exemple, l'ADDUFU (Association de Défense des Droits et de la Forêt Usagère) qui a été créée en 1920. Seule la ville de La Teste-de-Buch a conservé en Gironde ce statut de forêt usagère. L'exploitation à outrance de la forêt amène aussi parfois sa dégradation, amoindrissant la biodiversité, perturbant le cycle de l'eau et le climat[94].
L'industrie de la résine du pin aura duré aussi longtemps que ses produits dérivés (térébenthine, colophane, goudron de pin, noir de fumée…) se sont bien vendus : ces derniers, de moins en moins utilisés, ont été supplantés par les produits issus de la distillation du charbon, puis du pétrole. Mais la moindre utilisation n'est pas la seule raison de l'arrêt de la production de résine en Aquitaine car l'industrie chimique s'en sert toujours pour la fabrication de nombreux produits : laques, adhésifs, peintures, vernis, marquages routiers, cosmétiques, et même dans les chewing-gums… La térébenthine est majoritairement importée du Brésil. La colophane vient essentiellement de Chine qui s'est lancée dans une surexploitation de la résine de pin : la concurrence, le moindre coût sont pour une bonne part la raison de l'arrêt du gemmage en forêt des Landes et de Gascogne. Mais retour de bâton, la surexploitation des chinois touche à sa fin. Leur production de résine est passée de 700 000 tonnes à 450 000 tonnes entre 2011 et 2012, avec des prix qui ont grimpé de 240 %. Afin de relancer le gemmage, une association de chercheurs et d'industriels a vu le jour en 2010. Celle-ci a initié un projet européen, SustForest Plus (Stratégie et réseaux de collaboration pour la multifonctionnalité, la conservation et l'emploi sur le territoire du Sud de l'Europe grâce à l'extraction de résine) proposant une gestion durable de la forêt. Trois pays ayant des forêts de pins sont concernés : la France, l'Espagne et le Portugal. Le gemmage en France, et plus particulièrement en forêt des Landes, devrait bientôt renaître ; de nouveaux procédés d'exploitation, plus modernes, étant même en phase d'expérimentation [95].
Déjà un petit hameau à Maison de Grave
Au XIXe siècle, la commune du Verdon, devenue autonome, se développe rapidement avec la construction de nouvelles maisons. On dénombre de plus en plus d'ostréiculteurs profitant de la prolifération de l'huître portugaise. On compte 187 maisons au cadastre en 1882. Un moulin à vent fonctionnait encore à cette époque comme on peut le voir sur les cartes : il était situé sur l'ancienne route de Soulac, juste avant le hameau des Grands Maisons, en partant du Verdon, sur la gauche (lieu-dit Le Moulin). Il est mentionné aussi au cadastre une tuilerie, au hameau du Logis, et une briquèterie au lieu-dit Beauchamp, près de Soulac.
À Pointe de Grave, un véritable petit hameau, en pleine forêt, voit le jour à Maison de Grave : la construction de ces bâtiments est liée aux travaux de défense de la côte contre l’érosion initiés en 1840 (Maison de l'ingénieur, logements pour les conducteurs et le forgeron, une forge transformée plus tard en logement de gardiens, un atelier de charpentier, des remises pour les wagons, pour le bois…)[96].
L'ostréiculture
L'huître n'a pas attendu 1866 pour se développer dans l'estuaire de la Gironde puisque, dès l'Antiquité, il a été établi que les girondins en consommaient, mais…cette année là, un évènement fortuit va amener le développement grandissant de l'ostréiculture à la pointe nord du Médoc : la prolifération de l'huître portugaise (ou huître creuse).
Selon une tradition bien établie, la magallana angulata, de son nom scientifique, a proliféré dans l'estuaire à la suite du déchargement de la cargaison pourrissante du bateau à vapeur « Le Morlaisien », en provenance de l'embouchure du Tage. Son capitaine, Hector Barthélémy Patoizeau[97] jeta à la mer, entre Talais et Saint-Vivien-de-Médoc, ce qui lui restait d'huîtres les croyant totalement avariées. L'huître portugaise s'est bien acclimatée à son nouveau milieu, s'y est reproduite.
Cette huître a l'avantage par rapport à l'huître plate qui était jusque là consommée d'arriver à maturité dans l'année, produisant un effet d'aubaine pour tous les candidats ostréiculteurs.
Une partie des bassins de décantation des marais salants est alors réutilisée, organisée en pêcheries pour cette industrie. Durant un siècle environ, de 1870 à 1970, les verdonnais ont ainsi récolté des huîtres sur les bancs naturels baptisés, en langage vernaculaire (propre à la Gironde), les crassats. Tout le monde pouvait y aller et il y avait beaucoup de monde! Il fallait seulement respecter les dates d'ouverture (vers le ) et les dates de fermeture (fin mars). La pêche est restée assez désorganisée, assez anarchique jusqu'à la fin des années cinquante : on détroquait sur le bord du chenal, beaucoup n'avaient pas de cabanes. Le est créé le Syndicat des Ostréiculteurs et Expéditeurs de Le Verdon-sur-mer. En 1954, le Port autonome se décide à accorder des concessions (25 à 30 ares).
Malheureusement, les déboires de l'ostréiculture médocaine commenceront lors de la construction du terminal pétrolier . En 1970, l'activité sera interdite à cause de la pollution des sols et de l'estuaire : taux en cadmium trop élevé, entre autres.
Avec la fin de l'aventure pétrolière, beaucoup ne désespéraient pas de pouvoir relancer l'ostréiculture dans les eaux de l'estuaire. Une expérimentation débute en 2012 : des huîtres sont de nouveau élevées dans les marais. Des analyses montrent que le taux en cadmium reste alors en dessous du taux autorisé. Les autorités, sanitaires en particulier, ont donné l'autorisation d'une relance de l'activité en 2014, après une trentaine d'années d'interruption. Celle-ci ne concerne cependant pas tout l'estuaire mais seulement les bassins d'affinage situés dans les marais, à la pointe du Médoc.
Sx ostréiculteurs s'y sont installés : la première commercialisation eut lieu lors des fêtes de fin d'année en 2014. L'activité pourrait bien créer, du moins c'est ce qui est envisagé, une quarantaine d'emplois[98].
La pêche : poissons, crustacés, coquillages
La pêche a de tout temps été une activité importante des verdonnais. Sitôt la Libération, elle s'est organisée notamment avec la création d'une pêcherie en 1950 à Pointe de Grave. Le problème de cette époque et des précédentes était la conservation des poissons. Il fallait vite revenir au port car il n'y avait pas de glace sur les bateaux. Il fallait consommer ou vendre le poisson rapidement et il y avait beaucoup de pertes. La fabrication sur place au Verdon de pains de glace a été un progrès permettant l'ouverture d'une, puis de deux pêcheries à Pointe de Grave. En 1948, 17 patrons pêcheurs pour autant de bateaux étaient inscrits maritimes auprès du Syndic des gens de mer : la majorité des bateaux stationnaient à Port Bloc. Les mareyeurs prévenus de l'arrivée des pêcheurs se pressaient auprès des bateaux à la descente de la marchandise.
Certains pratiquent la pêche aux casiers (nasses), de mai à octobre pour capturer les crustacés : crevettes (ou chevrettes), homards (très nombreux après guerre), langoustes, araignées, gros crabes (dits tourteaux ou dormeurs, très présents aussi), le crabe vert (dit aussi enragé).
On pêche au Verdon plusieurs sortes de crevettes, la rose dite « santé » ou « bouquet » et la grise commune, dite « bouc », localement. Dans l'estuaire, on pêche aussi la crevette blanche, translucide (Palaemon longirostris) : à marée très basse, il n'est pas rare, derrière les digues, de voir de nombreux pêcheurs poussant des haveneaux. Depuis les années 1990, une crevette exotique, d'origine asiatique (Palaemon macrodactylus (en)), s'est mélangée à la population locale. Heureusement, du moins pour le moment, le bassin de la Garonne semble préservé de l'envahissement d'une espèce invasive qui colonise déjà de nombreux cours d'eau français : la crevette tueuse.
D'autres pêchent (ou pêchaient) au carrelet : il y avait deux estacades de carrelets installées à demeure à la pointe du môle. D'autres pêchent au filet, à la traîne, au chalut; ou au filet tendu à marée basse (dans la vase pour ne pas être dégradé par les crabes) et relevé à marée haute, pêche dite « à la courtine » localement. D'autres enfin pêchent à la ligne.
Les principaux poissons pêchés au Verdon étaient et sont, les thons, les mulets dits « mules », les bars ou loups, dits « loubines » ou « brignes » au Verdon, les maigres, dits mégrats ou maigrats en gascon, les raies, les anguilles, les congres, les éperlans (en fait les faux éperlans, ou athérines), les soles et céteaux (ou séteaux), les anchois, les lottes (ou baudroies)…
Enfin, au Verdon, on pêche et on a beaucoup pêché les coquillages : huîtres, moules, tellines, dits « lavagnons » localement, patelles dits « berniques » couteaux (solens), coques, dits sourdons, les palourdes, les bigorneaux…
La pêche, en général, est exercée par des professionnels inscrits maritimes, mais elle peut aussi être pratiquée à titre récréatif avec une réglementation très stricte : on peut, par exemple, être condamné à payer une très forte amende (plus de 22 000 euros) pour avoir vendu le produit de sa pêche.Celui-ci doit être réservé au pêcheur lui-même et à sa famille : on peut consulter le règlement en vigueur pour la pêche maritime de loisir (susceptible d'évoluer) publiée par la Direction départementale des territoires de la mer de la Gironde de la Préfecture de la Gironde, service maritime et littoral. Les restrictions portent sur les zones de pêche (on ne peut pas pêcher à pied n'importe où), la nature des poissons ou des coquillages pêchés (on ne peut pas pêcher n'importe quoi, les pibales, saumons, esturgeons, raies brunettes, grandes aloses, anguilles argentées… sont, par exemple, interdits à la pêche récréative), la grosseur des prises, les quantités prélevées, le matériel utilisé… Il existe des réglementations spécifiques à la pêche à pied, à la pêche en bateau ainsi qu'à la pêche sous-marine.
La pêche à pied, qui se pratique sur le rivage de la mer sans recours à une embarcation ou à un quelconque engin flottant, n'est soumise à aucune formalité administrative particulière.Le ramassage des coquillages est interdit. La pêche sous-marine dans l'estuaire de la Gironde est interdit. Il faut bien sûr respecter les tailles de poissons minimales qui sont autorisées. Certains poissons sont interdits à la pêche, la pêche du bar commun est limitée à trois spécimens par jour et par pêche. La pêche de loisir en bateau est très réglementée.
La pêche dans les ports ne doit pas occasionner de gêne et ne peut se faire qu'à la ligne, sauf autorisations particulières[99].
Le début du XXe siècle jusqu'en 1939 : la Belle Époque, la guerre 1914-1918, l'entre-deux-guerres
L'affaire Dreyfus (de 1894 à 1899) amènera une crise et de grands changements politiques et sociaux en France, avec la formation dès 1899 du gouvernement de défense républicaine de Pierre Waldeck-Rousseau qui durera près de trois ans : c'est le gouvernement qui a tenu le plus longtemps sous la IIIe République.
La liberté d'association (loi du 1er juillet 1901) et l'avènement du parti radical seront suivis de nombreux évènements et lois qui bouleverseront le quotidien des Français.
On peut citer en vrac sous la Troisième République (1870 à 1914), la loi de la séparation des Églises et de l'État, la querelle des Inventaires, l'école laïque et obligatoire (Lois Jules Ferry depuis 1882), le service militaire de deux ans, puis trois ans en 1913 (la loi de Maurice Berteaux supprime le tirage au sort, les remplacements, les exemptions), une réforme fiscale, la loi sur les retraites à 65 ans… La République radicale (1898-1914), héritière de la Révolution, prend parfois aussi pour référence la philosophie des Lumières. À la gauche du parti radical, dans l'opposition, on trouvait la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) de Jean Jaurès qui donnera naissance au parti socialiste.
On peut citer parmi les nombreux gouvernants de l'époque, outre Waldeck-Rousseau, un républicain modéré qui est à l'origine de la progression du radicalisme en nommant le premier des membres du parti radical dans son gouvernement, le très anticlérical Émile Combes qui abolit la religion d'État, ferme près de 2500 écoles privées religieuses, rompt avec le Vatican, Georges Clemenceau qui héritera des surnoms de «briseur de grèves» et de «premier flic de France» de la part du nouveau syndicat « révolutionnaire » la Confédération générale du Travail (CGT, création en 1895). Cinq gouvernements (en cinq ans!) se succèderont de 1909 à 1914 : ceux d'Aristide Briand, Joseph Caillaux, Raymond Poincaré, Gaston Doumergue, René Viviani.
Outre l'école républicaine qui inculque aux élèves l'idéal républicain, on trouve les symboles de la République partout : bustes de Marianne, drapeaux tricolores. Des élections sont planifiées, régulières, aussi bien au niveau national que municipal. Le sentiment national et républicain est exacerbé.
Cette période allant de la fin du XIXe siècle jusqu'en 1914 est qualifiée rétrospectivement et avec un peu d'exagération de Belle Époque mêlant insouciance et frivolité. C'est certes un chrononyme mais ces quelque vingt-cinq années (depuis l'exposition Universelle de 1889) correspondent sûrement à une période d'enracinement du modèle républicain. Dans un contexte de croissance économique, de rayonnement culturel, les Français sont dans l'ensemble heureux et unis. Ils profitent tout particulièrement des progrès de moyens de transports, notamment du développement ferroviaire. Une association soulacaise créée en 2001 tente de faire revivre pendant deux journées du mois de juin l'atmosphère de ces années 1900 : un train à vapeur venant de Bordeaux s'arrête en gare de « Soulac-les-Bains » après des arrêts dans presque toutes les gares du Médoc ; les passagers accompagnés de musiciens sont habillés en costume d'époque (mode vestimentaire de l'Art nouveau : ce dernier sera remplacé par l'Art déco après la guerre 14). On peut découvrir les dames en robes longues sur simple jupon avec froufrous et falbalas, chapeaux parfois extravagants, sacs-manchons, ombrelles, éventails, boas…, des hommes en complet (pantalon, veste, gilet) noir ou sombre et canotier… puis sur la plage, les maillots de bain d'époque, culottes bouffantes s'arrêtant au genou avec robe légère et courte pour les dames, et sortes de grenouillères pour les hommes.
Ce rayonnement en France (le péril viendra de l'extérieur!) expliquera peut-être l'Union Sacrée de 1914, à l'aube de la Première Guerre mondiale, l'assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914 pouvant être une seconde explication de cette union « pour la guerre ». Même l'opposition nationaliste de Maurice Barrès et la CGT de Léon Jouhaux se prononcent pour l'union sacrée. Les voix discordantes, celles de Charles Rappoport et de Pierre Monatte, sont très minoritaires.
Une voie ferrée pour désenclaver le Médoc
Dès 1852, il fut envisagé de construire une voie de chemin de fer de Bordeaux jusqu'à Soulac. Cette fin de siècle, le XIXe, offre en effet l'opportunité de développer concomitamment le train et les stations des bords de mer, transformant celles-ci en stations climatiques. Finies les diligences et les malle-postes!
En 1857, une première concession pour la construction d'une voie ferrée Bordeaux-Le Verdon est accordée par l'empereur Napoléon III. On peut lire dans le bulletin des Lois de l'Empire français du deuxième semestre, tome dixième :
« N° 5087- Décret impérial qui approuve la Convention, passée, le 17 octobre 1857, pour la concession d’une ligne de Chemin de fer de Bordeaux au Verdon, NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, EMPEREUR DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir, SALUT. Sur le rapport de notre ministre secrétaire d’état au département de l’agriculture, du commerce et des travaux publics ; Vu la soumission présentée par les sieurs Barincou, Bergmiller, Michel Chaine, Degane, Lefèvre-Laroche, Princeteau et Tabuteau pour la concession d’un chemin de fer de Bordeaux à Le Verdon (Gironde)… »
Toutefois, les souscripteurs renoncent l'année suivante, et un nouveau décret impérial annule la concession le 15 juin 1861. Un autre décret impérial du 4 mars 1863 déclare la ligne d'utilité publique et en prescrit la mise en adjudication. La concession du Chemin de fer de Bordeaux à Le Verdon est adjugée le 2 juin 1863 à messieurs Poujard'hieu, Barman, et Jarry-Sureau. Les concessionnaires forment la Compagnie du chemin de fer du Médoc. Les travaux débutent en 1865 avec un tronçon Bordeaux-Saint Louis jusqu'à Macau. En 1873, la ligne atteint Lesparre, en 1874, Soulac et enfin en 1875 Le Verdon.
La ligne de Chemin de Fer venant de Bordeaux Saint-Louis arrive enfin à la Pointe de Grave en 1902.
La Compagnie du Chemin de Fer du Médoc ayant des difficultés de trésorerie, elle sera rachetée par la Compagnie des chemins de fer du Midi et du Canal latéral à la Garonne par un traité signé le 3 mars 1910. En 1917, une connexion est faite avec la ligne de ceinture ce qui permet de relier les deux gares de Saint-Jean et de Saint-Louis. La ligne sera électrifiée en 1934. L'exploitation de la ligne est intégrée dans les services de la SNCF en 1938, l'ensemble des actifs ferroviaires de la compagnie du Midi (créée en 1852 par les frères Pereire) est nationalisé.
En 1968, la Gare de Ravezies remplacera la gare Saint-Louis (905 mètres plus loin vers le Nord, au Bouscat) tout en conservant le nom de Saint-Louis jusqu'en 2008. En 2012, la gare de Ravezies est à son tour fermée.
Les bacs Pointe de Grave - Royan
Les passages d'eau en bateau ont contribué, comme le train vers le sud, à désenclaver le Médoc vers le nord, cette fois-ci, en direction des Charentes. Plus particulièrement, en 1935, la mise en service du bac le « Cordouan », permettra le transport de tous les véhicules, ouvrant une nouvelle ère au développement de la région.
Avant le bac Le Cordouan
Très tôt, il est apparu nécessaire d'établir des liaisons régulières pour rejoindre notamment la ville de Royan très attractive, située juste en face de la Pointe de Grave. Les liaisons terrestres en passant par Bordeaux obligeaient à faire un détour de plus de 200 kilomètres, alors que seulement six kilomètres environ séparent les deux villes, à vol d'oiseau.
La ville de Royan connut un essor au XIXe siècle, en même temps que se développe la vogue des bains de mer, ces derniers le plus souvent recommandés à des fins thérapeutiques. La mode des séjours à la mer est lancée, au début, par la société mondaine, des personnalités qui partagent leur vie entre la capitale, les grandes villes et la campagne. L'aristocratie bordelaise se montre très intéressée par la station balnéaire de Royan qui a une réputation de luxe avec de belles villas et un très beau front de mer : c'est pour eux un lieu de villégiature. C'est à la même époque que la navigation fluviale se développe avec l'apparition de bateaux utilisant l'énergie de la vapeur pour se mouvoir, application de la découverte (le fardier, premier véhicule à vapeur) faite par Nicolas Joseph Cugnot, en 1770. Les pionners en matière de navigation à la vapeur sont, s'appuyant sur le travail et les expériences de Denis Papin, le français Claude de Jouffroy d'Abbans, puis l'américain Robert Fulton : ils mirent en application l'utilisation de la vapeur pour la propulsion des roues à aubes mues précédemment manuellement.
La vapeur au service du transport de passagers fut expérimentée sur les cours d'eau américains par John Fitch, d'où certainement l'idée d'exporter ce modèle américain en France et en particulier sur l'estuaire de la Gironde.
Pour l'histoire, le premier « steamer » autorisé à naviguer sur le fleuve fut mis à flot en 1818 : il s'appelait « La Garonne », construit à Lormont sous brevet américain, brevet déposé sous le nom de « steam boat ». Ce bateau fonctionnait au moyen de « deux roues à pelles placés au centre et en dehors ». En suivant, en 1820, avec le même brevet, fut construit à Bordeaux « Le Triton » autorisé à naviguer sur l'océan.
Désormais, il sera plus facile de se rendre à Royan depuis Bordeaux ou Le Verdon : avant la vapeur, en effet, on utilisait pour les traversées de l'estuaire les bateaux de pêche ou des bateaux à voiles. Un ponton flottant d’embarquement était installé à la sortie de Port Bloc, sur la gauche, peu avant l'éperon de la jetée de la Pointe, ponton détruit en 1928.
De nombreuses compagnies maritimes à vapeur vont alors voir le jour à Bordeaux. Tout d'abord, elles furent créées pour se déplacer d'une rive à l'autre, telle la Compagnie des Hirondelles, en 1865 : il n'y avait, en effet, à cette époque, qu'un seul pont, le Pont de Pierre, fini de construire en 1821, seul et unique jusqu'en 1965! Très vite, ces compagnies desservent de nouvelles destinations plus éloignées : vers l'amont (Service du Haut de la rivière) et vers l'aval (Service du Bas de la rivière). Ce dernier service était assuré en 1895 par la compagnie maritime « Gironde et Garonne » : l'embarquement pour Royan se faisait depuis la Place des Quinconces. Les Bordelais avaient baptisé toute cette flottille de bateaux à vapeur, les « Gondoles de la Garonne », à la suite de l'apparition de la Compagnie des Gondoles et de la Compagnie des Abeilles, le monopole de gestion de ces bateaux-bus ayant été refusé à la Compagnie des Hirondelles[100].
L'arrivée du train au Verdon en 1875, puis à la Pointe de Grave en 1902, va permettre un développement local du tourisme et l'organisation des traversées facilitées vers la ville de Royan.
Des petits bateaux à vapeur vont proposer, avant 1900, des services réguliers aux voyageurs depuis la zone d'accostage à la sortie de Port Bloc, jusqu'en 1927 : « l'Union », « le Satellite », « la Magicienne » : patron Rivet, apparemment échouée à Royan lors du raz-de-marée de 1924, remplacée par le bateau « le Goëland ».
Depuis 1920 cependant, un autre bateau (celui de M. Poma, marin à Blaye) assurait déjà un service public subventionné par le Conseil général, une liaison maritime entre Pauillac et Blaye pouvant raccourcir le trajet de contournement. En 1930, des avenants étaient signés dans l'attente du service du bac, à l'étude. Il existait même, à cette époque, un troisième service public de franchissement de la Gironde subventionné par le Conseil Général (convention prévue jusqu'en 1942), l'entreprise Vigneaud Georges dont le navire reliait Saint-Christoly (Saint-Christoly-de-Médoc depuis 1898) à Mortagne, en Charente-Maritime (Mortagne-sur-Gironde depuis 1895).
Le 28 février 1927, une convention est signée entre le préfet (Conseil Général, département de la Gironde) et un entrepreneur privé, un marin, Jules Etcheber, qui met son bateau à disposition contre des subventions. L'objet en est l'exploitation du service public fluvial de transports de voyageurs et marchandises entre la Pointe de Grave (Gironde) et Royan (Charente inférieure, à l'époque). La convention est révisable chaque année. Arrivée à expiration le 15 mai 1928, la nouvelle convention doit s'occuper du problème du ponton-débarcadère, à l'extérieur de Port-Bloc qui a disparu le 29 janvier 1928. C'est à cette date que le Port autonome de Bordeaux a autorisé l'entrepreneur à utiliser ses installations de Port Bloc. Il est à penser que le bateau de Jules Etcheber était un vapeur acheté à la Compagnie des Hirondelles, à Bordeaux datant de 1894 (Hirondelle no 11) : ce bateau est déclaré dans l'annuaire de la Marine marchande avec comme armateur Etcheber Père et Fils, à Pauillac.
Un problème surgit dès la première année entre le Conseil Général et la Compagnie du Midi qui gérait la voie de chemin de Fer, Bordeaux-Pointe de Grave. Cette dernière avait traité un accord directement avec la Compagnie maritime Bordeaux-Océan. Elle délivrait aux voyageurs bordelais des billets de train incluant une traversée de l'estuaire, jusqu'à Royan. On pouvait donc se rendre dans cette ville depuis Bordeaux, mais en n'utilisant que cette compagnie maritime : il n'était nullement proposé d'utiliser le service public subventionné par les départements.
L'entreprise Etcheber se plaint alors de pertes de recette importantes, notamment durant l'été, causées par cette défection des passagers venant de Bordeaux par le train. Elle se dit aussi gênée par le peu de temps dont elle peut disposer à l'accostage au ponton. À l'occasion de cette nouvelle convention de 1928, monsieur Jules Etcheber précise qu'il rétrocède à partir du 15 mai son entreprise à son fils Maurice Etcheber, marin à la Pointe de Grave, pour des raisons familiales et de santé impérieuses.
Le bac Le Cordouan en 1935
Le bac Le Cordouan commencera son service en 1935. Ce tout premier bac, transportant tous les véhicules, est le bateau qui va marquer l'histoire locale pendant de nombreuses années, il restera inoubliable de tous ceux qui l'ont connu et emprunté.
Après la destruction du ponton situé à la sortie du port, en 1927, des autorisations sont demandées afin de pouvoir faire entrer ce futur bac dans Port Bloc même. Des aménagements sont nécessaires dont la construction d'une cale inclinée. En 1928, en même temps que la cale d'accostage, on crée des parkings, on aménage les abords en plantant des arbres, en mettant des bancs pour accueillir le public.
Cette même année de 1928, le conseil général dit que la question de la traversée de la Gironde à l'aide d'un moyen de transport puissant, qui permettra le passage de tous les véhicules routiers, est à l'étude et n'a point encore été résolue, espérant une solution dans un avenir proche.
Aux termes d'une nouvelle convention avec le conseil général en date du 9 janvier 1930, le service public du passage d'eau à Pointe de Grave est toujours confié à l'entreprise privée Etcheber (Maurice), à Pauillac, pour une durée de deux années supplémentaires à compter du 15 mai 1929, moyennant l'allocation d'une subvention forfaitaire annuelle de 60 000 francs : à noter la contribution de la Compagnie ferroviaire du Midi pour 4 000 francs, le port autonome de Bordeaux ayant refusé quant à lui d'apporter une quelconque contribution financière[101].
Le 18 avril 1935, l'entreprise Etcheber exploite toujours le service public fluvial de Pointe de Grave à Royan signant un quatrième avenant à la convention de 1930. Le conseil général inscrit au budget supplémentaire un crédit prévisionnel de 30 000 francs, montant approximatif du déficit d'exploitation jusqu'à la fin de l'année. Il est noté que les nouveaux avenants doivent permettre de continuer le service jusqu'à que le bac le Cordouan en construction soit en état de fonctionner.
En effet, en cette année 1935, le bac Le Cordouan est toujours en construction aux Chantiers de la Gironde, co-financé par les départements de Gironde, de Charente Inférieure et la Compagnie du Midi. Il ne sera mis en service que le 14 juillet de cette même année.
La gestion provisoire du bac est confiée en premier au Port autonome de Bordeaux, la Compagnie du Midi ayant décliné l'offre. Les deux départements concernés sont chargés d'aménager les cales d'embarquement et de débarquement.
Le Cordouan restera le seul en fonctionnement jusqu'en 1960, malgré les projets dès le début, d'ajouter un second bateau, projet toujours repoussé pour coûts trop élevés.
Le Cordouan jouera un rôle historique en 1940, utilisé par les Allemands pour transporter en Gironde leurs troupes, leurs véhicules et matériels. Coulé en 1945, le Cordouan sera renfloué en 1946 et reprendra du service de longues années encore.
Ce bac restera à jamais dans la mémoire des verdonnais. Des plus vénérables, ne serait-ce que par sa solidité et sa longévité, c'est le bateau qui a tout connu, et notamment la guerre 1939-1945. Pendant plus de trente années, il a fait un nombre incalculable de rotations entre Port-Bloc et la cale de Royan, presque sans s'arrêter, pourrait-on dire. Il a transporté tout au long de sa carrière un nombre tout aussi impressionnant de véhicules et de passagers. Lors de la débâcle de 1940, il fut bombardé par un avion allemand alors qu'il transportait des troupes polonaises en déroute : par miracle, il ne fut pas touché. Toujours en peine débâcle, les 20 et 21 juin 1940, 27 parlementaires de la Troisième république émigrés à Bordeaux, dont George Mandel, Jean Zay et Pierre Mendès-France l'emprunteront afin de rejoindre, depuis Port Bloc, le paquebot le « Massilia ». En rade dans l'estuaire, il était en partance pour Casablanca, au Maroc. La facture que présenta l'entreprise Etcheber pour cette opération s'éleva pour les deux journées, à 2 028 francs de l'époque : 28 passagers, puis 32 passagers, à 5 francs l'un, 12 voitures automobiles, 10 tonnes, puis 30 tonnes de vivres et bagages.
Comme nombre d'autres bateaux, le « Cordouan » fut réquisitionné par les Allemands et servit à leurs déplacements de troupes et de véhicules : le maréchal Erwin Rommel monta à son bord afin d'inspecter les dispositions prises lors de la construction du Mur de l'Atlantique. Il fut aussi utilisé par l'occupant pour mouiller des mines à l'entrée de l'estuaire, afin d'en interdire l'accès à d'autres bateaux. Sabordé par les Allemands dans Port Bloc à la fin de la guerre, il fut renfloué et réparé. C'est le seul bac de Pointe de Grave où il eut été possible de vivre la scène culte du film Titanic puisque ce fut le seul qui donnait la possibilité aux passagers d'accéder au gaillard avant, ce qui était très apprécié par les voyageurs.
Le Cordouan finit sa vie bien tristement au fin fond du port de Bordeaux : rouillé, abandonné, il fut finalement détruit après 1970, après tant de louables et généreux services.
Sur une vieille carte postale, on peut lire ses caractéristiques : tonnage, 600 tonnes, longueur, 42 mètres, largeur, 12 mètres, 20 voitures environ (mais il fut ensuite aménagé pour en accueillir un peu plus), 300 passagers maximum, 22 hommes d'équipage.
Le 1er janvier 1939, il était décidé de confier, à nouveau, la gestion du bac, après concours, à un entrepreneur privé, lequel exploiterait « à meilleur compte que le Port autonome ». Et c'est l'entreprise Etcheber (Maurice) de Royan qui est à nouveau choisie pour deux années, pour 400 000 francs d'économie! Maurice Etcheber gèrera le service du bac « Le Cordouan » pendant la guerre 1939-1945, et jusqu'en 1960.
Parallèlement à la mise en service du bac le « Cordouan », le Conseil général de Gironde subventionnait non loin de là, depuis 1934, un autre service public, toujours en place aujourd'hui en 2021 : un service de bac entre Lamarque et Blaye. Le bateau d'alors s'appelait « Les Deux-Rives ». Réquisitionné par les Allemands en 1941 comme beaucoup d'autres bateaux à l'époque, il fut utilisé par ces derniers entre La Pallice et l'île de Ré jusqu'en 1945. Revenu sur la Gironde, il a repris du service avant d'être remplacé par le « Côtes de Blaye » en 1980 (bateau construit en 1970, ex Duchesse Anne). En 2014, ce dernier est à son tour remplacé par un bac amphidrome, le « Sébastien Vauban » qui continue les allers et retours entre les deux communes.
Une gare du bac pouvant servir de salle d'attente en cas de mauvais temps fut construite en 1957 ; les alentours sont de nouveau aménagés pour tenir compte de l'augmentation du trafic, les parkings sont corrigés, permettant une meilleure gestion des files de voitures en attente d'embarquement. Des toilettes publiques modernes équipées de lavabos sont aussi aménagées, en sous-sol, en avant de la gare, Des bancs sont disposés tout le long du quai, face à la cale, permettant aux spectateurs d'assister aux embarquements et aux débarquements. Des arbres sont plantés tout le long des parkings. Des jumelles d'observation publique (longues-vues panoramiques) avec monnayeurs sont disposées en bout du quai, à l'entrée de Port Bloc, permettant d'observer le magnifique panorama depuis le port du Verdon (môle d'escale) d'un côté et toute la côte charentaise de l'autre, de Mortagne jusqu'à Saint-Palais : vue sur Pontaillac, Royan, Saint-Georges-de-Didonne, Meschers, Talmont…
En 1960, l'entrepreneur privé, accusé de mauvaise gestion et ayant mis fin à ses jours, le Conseil Général choisit à nouveau le Port autonome comme gestionnaire provisoire du service. La gestion proprement dite, sur le terrain, était confiée à un régisseur des dépenses et des recettes nommé par le Département. Cette gestion fut un peu plus structurée en 1972 par la création d'une Régie départementale des Passages d'Eau de la Gironde, avec à sa tête un Directeur, un capitaine d'armement, un mécanicien d'armement.
En 2021, c'est toujours le Département de Gironde qui gère les bacs, la dénomination Conseil Général depuis la Révolution française ayant été changée en Conseil départemental, en 2015.
La compagnie Bordeaux-Océan
On peut dire quelques mots sur la Compagnie Bordeaux-Océan qui a, un temps, fait concurrence au service public. C'était une importante Compagnie maritime du début du XXe siècle possédant toute une flottille de bateaux à aubes et à vapeur. Son siège était à Bordeaux, mais elle intervenait sur tout l'estuaire et sur le fleuve : on pouvait acheter des billets en kiosque. Elle fut fondée en 1869 sous le nom de Compagnie Maritime Gironde-et-Garonne. En 1886, elle absorbe les trois compagnies de Bordeaux, les Hirondelles, les Gondoles et les Abeilles qui assuraient diverses traversées de la Garonne. Elle offrait aux voyageurs, en plus des transports d'une rive à l'autre, la possibilité de voyager très loin de Bordeaux, vers le haut de la Garonne (jusqu'à Langon, La Réole ou Agen) et vers le bas de l'estuaire (jusqu'à Pauillac, Mortagne et Royan). Elle changea de nom en 1900 pour devenir la Compagnie Maritime Bordeaux-Océan et, de fait, elle organisait des voyages d'agrément depuis Bordeaux jusqu'à l'océan en plus de toute une série de destinations sur la Gironde et la Garonne.
Parmi les bateaux de la compagnie (la plupart à roues et à vapeur), on peut citer : le « Félix » ; le « France », qui transporta trois Présidents de la République : Patrice de Mac-Mahon, Félix Faure et Émile Loubet ; le « Laprade », réquisitionné en 1914 comme chasseur de sous-marins ; le « Gironde-et-Garonne » no 1 et le « Gironde-et-Garonne » no 2 ; le « Girondin » ; le « Lot-et-Garonne » et le « Ville de Royan »[102].
Après la guerre de 1914-1918, deux anciens bateaux à roues de voyageurs du bas de la rivière : le National (ex Empereur) et le Girondin (ex Princesse Mathilde) furent vendus par la compagnie Bordeaux-Océan à celle des remorqueurs de la Garonne : ils terminèrent leur carrière affectés au remorquage. Le « raz-de-marée » de 1924 endommagea ou détruisit une partie de la flotte de cette Compagnie Bordeaux-Océan.
Les encaisseurs
Les encaisseurs des années soixante et soixante-dix et même un peu plus tard, n'étaient pas équipés de caisses enregistreuses modernes et informatisées, comme aujourd'hui. Ils transportaient en bandoulière une sacoche et une caisse enregistreuse à manivelle et à bandes, ce qui pouvait tout de même être pratique pour faire payer à même le bateau. Tous les soirs, les bandes étaient portées au service gestionnaire pour dépouillement. Le nombre de passagers, le nombre de véhicules, camions, vélos.., aller simple ou aller-retour, étaient comptabilisés afin de contrôle et de statistiques, dès le lendemain. Gare aux encaisseurs ayant oublié de mettre une bande dans leur caisse enregistreuse : après avertissements, ils pouvaient être mis à pied pour faute professionnelle. Ce fastidieux dépouillement quantitatif nécessitait l'emploi de plusieurs personnes à plein temps : le résultat devait correspondre au centime près à la somme enregistrée par le compteur.
L'après Cordouan
En 1960, le bac « Côte d’Argent », construit à La Pallice, est mis en service. Il devait remplacer le Cordouan qui commençait à donner des signes de fatigue. Malgré sa capacité d'embarquer environ soixante véhicules, il ne suffisait pas cependant, à empêcher la saturation l'été, avec des files d'attente interminables de voitures allant parfois jusqu'à l'allée de Rabat, et ce, malgré une organisation sur plusieurs files. À Royan, de même, il y avait des files de véhicules tout au long du bord de mer. L'organisation sur plusieurs files n'allait d'ailleurs pas sans problèmes, les gens se disputant, se passant devant en changeant de file sans autorisation. Les placeurs (et amarreurs) durent adopter, afin d'éviter les bagarres, un système d'affichage sur le pare-brise de grands cartons numérotés indiquant l'ordre d'arrivée. Il arrivait que l'on eut besoin d'utiliser un deuxième jeu de 100 numéros, ce qui peut donner une idée du nombre de véhicules qui attendait le bac suivant. En juillet et août de l'été 1962, on fut obligé de faire appel à nouveau au Cordouan pour désengorger le trafic, dans l'attente encore d'un nouveau bateau. La journée inaugurale du bac « Côte d'Argent » fut rocambolesque : le capitaine qui n'était pas habitué à manœuvrer un bateau équipé de propulseurs à la place des hélices, heurta violemment la cale de Royan provoquant une grave avarie de coque. Les invités occupés à manger sur le pont des voitures furent renversés ainsi que toutes les tables. Dès le lendemain, le bateau partait en réparation à La Rochelle[103].
En 1964, on construit un autre bac, « la Gironde » pour répondre et toujours à l'augmentation du trafic, notamment l’été. C'est le début de la traversée assurée par 2, parfois 3 bateaux en même temps afin de juguler les longues files d'attente en période estivale, le Cordouan reprenant parfois du service.
En 1968, c’est « le Médocain » qui prend le relais, après le 14 juillet car retardé par un mouvement social : il donne l'image d'un « fer à repasser » avec un pont supérieur pour accueillir encore plus de voitures : environ 25 véhicules légers pouvaient monter sur le pont laissant un peu plus de places, en bas, pour les camions. Les semi-remorques de 17 mètres (nouvelle norme routière) avaient en effet du mal à embarquer, le pont ne faisant que 15 mètres : des manœuvres étaient donc nécessaires[104]. Le fait de fonctionner avec trois bateaux (le Côte d'Argent, la Gironde, le Médocain) permettait un plus grand nombre de rotations et beaucoup moins d'attente pour les passagers. Il était aussi plus aisé en période non estivale d'envoyer les bateaux à tour de rôle à Bordeaux pour vérifications, réparations et maintenance (peintures, contrôles de sécurité…) : souvent, un des bateaux s'arrêtait en période hivernale.
Puis, un autre bac, « Le Verdon » est opérationnel avant la mise en service de bacs amphidromes. Il fut baptisé le 18 août 1978 et avait la particularité d'être beaucoup plus large que les autres : il pouvait accueillir plus de voitures du fait de sa largeur, et permettait aux grands camions avec remorques de se garer sans faire de manœuvres (gain de temps). Des places pour les voitures se trouvaient aussi sur une cale plate, sous les aménagements passagers. Il était aussi plus puissant (deux propulseurs arrière de plus de 1000 chevaux) et était équipé d'un troisième propulseur d'étrave (à l'avant) qui permettait de mieux se positionner, plus facilement, lors des accostages.
De nos jours, deux bateaux effectuent les rotations : les bacs amphidromes "l'Estuaire" (construit en 2009) et "la Gironde", deuxième du nom (construit en 2002), d'une capacité de 138 véhicules environ de tourisme chacun[105].
La traversée dure environ 20 à 25 minutes pour une distance de 6 kilomètres (un peu plus de 3 milles), de cale à cale, à vol d'oiseau : cependant, les bateaux n'empruntent pas toujours cette ligne droite car devant jouer avec les courants.
De très nombreuses personnalités ont de tout temps emprunté le bac, en particulier l'été. Lors de leurs tournées estivales, notamment, beaucoup de vedettes de la chanson se produisant à Royan et de plages en plages, sur tout le littoral atlantique, faisaient la traversée, accompagnés de leurs véhicules de production (Johnny Hallyday, Richard Anthony, Sylvie Vartan…). Il y avait toujours beaucoup d'animation, un attroupement autour de leurs voitures, sollicités qu'ils étaient pour des autographes et des dédicaces. On peut citer aussi un journaliste et animateur de radio et de télévision célèbre, Léon Zitrone (vedette d'Intervilles, entre autres) qui était un habitué, car ayant de la famille au Verdon.
Il arrivait aussi que des cirques entiers venant de la côte atlantique (Lacanau, Montalivet, Soulac..), ou de Charente, en sens inverse, louent le bac (ou plusieurs) pour le seul passage de tous leurs véhicules de logistique et d'animaux :
- Amar, cirque d'origine algérienne, aux camions rouges, tous barrés des quatre grandes lettres A, M, A, R, peintes en jaune,
- Pinder, et ses rutilants camions américains datant de la Seconde guerre mondiale,
- Bouglione quittant le Cirque d'Hiver (somptueux décor entre autres de la Piste aux étoiles, en alternance avec le cirque Pinder) installant ses chapiteaux dans toute la France lors de tournées, pour faire profiter tous les spectateurs des numéros parisiens,
- le Cirque Jean Richard, à partir de 1972, (rachat de Pinder)…
Qui ne se souvient aussi des nombreuses et bruyantes caravanes publicitaires fréquentes à cette époque des années soixante, faisant aussi la tournée des plages, et empruntant les bateaux : la marque italienne Gelati Motta et ses petits pots de glace (avant d'être imités par Miko et Gervais dans les années soixante-dix), très à la mode à cette époque, lors de leurs lancements, le « As-tu ton Tuc? » joué sur quatre notes (de klaxon), sur plusieurs tons et au mégaphone, dans toutes les rues du Verdon…?
Le passage de ces cirques, de ces caravanes publicitaires…occasionnaient de grands embouteillages (une seule route pour accéder à la cale du bac à la Pointe de Grave) et une longue attente pour les autres usagers.
Un habitat dispersé et varié
Lors de cette période (après 1900), de nouvelles habitations ne cessent d’être construites sur cette langue de terre afin d’y loger la population travaillant surtout dans le domaine maritime ou forestier, comme le prouvent les divers recensements de la population.
Toutefois, mis à part le quartier du Logis (toujours écrit ainsi sur les actes d'état civil et non le Logit avec un « t » comme sur certaines cartes) formant un petit hameau, le restant des habitations de la pointe est encore assez dispersé dans la forêt, en bordure de l'océan, sur le Port-Bloc…
Jean Larrieux, ancien Maire du Verdon de 1965 à 1976, dit, parlant de l'habitat à la Pointe de Grave :
« Ces constructions (dont la Gare de la Pointe, N.D.L.R.) étaient en bois, mais l’intérieur était doublé en briques : la Marine interdisait les constructions en dur et limitait leur hauteur pour ne pas gêner le tir des canons de 240 qui étaient sur le fort... Une vingtaine d’habitations formait le village de la Pointe. Côté mer, devant la gare, il y avait la maison du conducteur des Ponts et Chaussées, une maison d’un entrepreneur de travaux publics, les deux logements du Phare de Grave et quelques autres particuliers dans la forêt jusqu’à Maison Carrée (logement de fonctionnaire des Ponts et Chaussées). En plus, les baraques des pêcheurs, les deux hôtels et la maison du gardien du fort. Au phare Saint-Nicolas : le gardien et sa femme. »
Lui-même, fils du chef de gare, habitait une maison de fonction détruite aujourd’hui, tout près du Monument des Américains[106].
L'Office national des Forêts et le Port autonome de Bordeaux, propriétaires avec l'Armée de la majorité des terrains de Pointe de Grave n'autoriseront plus, après guerre, de reconstruire en forêt ou sur le domaine maritime. Cependant, en l'an 2000, au cœur de la forêt domaniale, le Grand Port maritime de Bordeaux a revendu au Conservatoire du littoral, 40 hectares de terrains entre Saint-Nicolas et les Cantines constituant le site de Maison de Grave, qui constituait déjà un petit hameau en 1840. Depuis 2012, après de lourds travaux de restauration et d’aménagements, la Maison de Grave a été confiée à un exploitant privé : on y trouve désormais un restaurant, deux gîtes (maison de l’Ingénieur et maison du Pèlerin) et un centre équestre[107]…
En consultant les archives départementales de la Gironde, on peut constater de nombreuses naissances à la Pointe de Grave (écrit avec une majuscule, choronyme de la pointe de Grave) : actes d’état civil de Soulac avant 1874, actes du Verdon de 1875 à 1911, et du Verdon-sur-mer après cette date[108].
Pointe de Grave comptait 109 habitants au recensement de 1896, la population passe à 173 habitants en 1906 (Le Logis compris).
De 1926 à 1933, près de 1 000 ouvriers[109] (environ 700 d'après le dossier inventaire du Patrimoine d'Aquitaine) sont venus participer à la construction du môle d’escale dont un grand nombre d’étrangers (Espagnols, Portugais, Italiens, Algériens, Polonais, Yougoslaves, Russes, Allemands, Africains…). Tous ne sont pas repartis à la fin du chantier, certains se sont mariés et sont restés au Verdon-sur-mer, ou dans la région[110].
La guerre 1914-1918 : première guerre mondiale
Le 28 juin 1914, à Sarajevo, en Bosnie, des nationalistes serbes assassinent l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie et son épouse Sophie. Cet attentat qui se déroule si loin de chez nous, et qui nous concernait au fond très peu, va, par le jeu des alliances, être l'évènement déclencheur de la Première Guerre mondiale, surnommée la Grande Guerre. La mauvaise entente avec l'Allemagne durait de toute façon depuis un certain temps : on commençait déjà à parler de défense nationale depuis au moins 1911 et la crise d'Agadir, au Maroc.
Avant la déclaration de guerre
Bien que controversée (d'autres guerres ont duré plus longtemps et ont connu aussi un très lourd bilan humain), cette appellation « Grande Guerre » résume assez bien l'émoi de la population devant les villes et les villages rasés, les sols ravagés, les forêts détruites, les usines bombardées, plusieurs générations de jeunes anéanties, cette jeunesse décrivant depuis le front, dans ses lettres à la famille, une « grande boucherie ». Les larmes, le chagrin, la peur, la haine, le courage…, la maladie, la souffrance, la mort, le deuil, l'héroïsme…, les mots manquent pour évoquer ces quatre années de guerre.
Si l'on s'en tient pourtant à notre région, de nombreux jeunes médocains (et des moins jeunes aussi d'ailleurs), partis au front, n'en sont jamais revenus vivants ; pour toutes les familles concernées, ce fut un véritable drame, mais le pays en lui-même, les paysages… n'ont pas eu à souffrir de cette guerre, ils n'ont pas connu toute cette désolation que l'on connaîtra à notre tour lors de la Seconde Guerre mondiale : les combats se sont déroulés loin de chez nous.
Cet attentat de Sarajevo nous concernait si peu que la presse n'en fera écho que quatre jours plus tard, le 1er juillet. Beaucoup ignoraient jusqu'au nom de la ville, les moyens de communication tels qu'on les connaît aujourd'hui n'existant pas encore. La radio et le téléphone, en 1914, n'étaient qu'à leur tout premier développement, personne parmi la population n'en disposait. Le seul moyen pour s'informer était donc de lire les journaux, les publications périodiques…, mais la presse écrite, elle-même, avait des difficultés pour collecter les informations et faire part des évènements : la télégraphie sans fil (TSF), elle aussi à ses débuts, n'était pas encore très performante.
En Gironde, on disposait de plusieurs grands quotidiens régionaux. En 1872, le journal La Petite Gironde avait remplacé le journal La Gironde fondé en 1853.
En cette année 1914, on parle davantage dans la presse du Tour de France que de l'assassinat du couple princier. Qui pouvait imaginer qu'un conflit austro-serbe déboucherait sur un conflit mondial?
La Petite Gironde mentionne pourtant dans ses colonnes : de « violentes manifestations anti-serbes ont éclaté en Bosnie » et « l’état de siège et la loi martiale ont été décrétés à Sarajevo », mais personne n'y prête vraiment attention.
Le président de la République, Raymond Poincaré, lui-même, n'a pas jugé utile de modifier son emploi du temps. Son prochain voyage à la cour impériale de Russie du vingt au vingt-trois juillet n'est pas reporté et se déroulera comme prévu.
Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès, député socialiste qui n'avait de cesse de militer pour la paix, mais pour autant très ouvert au débat sur la « défense nationale » pressentant la guerre possible, est assassiné. L'évènement amène le Président à prôner l'Union sacrée lors d'un discours aux députés.
Le 4 août, lors des obsèques de Jean Jaurès à Paris, un certain Adrien Marquet, futur maire socialiste de Bordeaux, futur ministre, lui rendra un hommage public.
L'Allemagne ayant déclaré la guerre à la Russie (qui s'était mobilisée pour défendre la Serbie), la France, alliée de la Russie, se mobilise à son tour, le 1er août[111].
La mobilisation, le 1er août 1914
Le gouvernement français (René Viviani est alors Président du Conseil, Raymond Poincaré, le Président de la République) publie un décret de mobilisation (préparation à la guerre de l'armée et de la marine) dans l'après-midi du 1er août . Cette mobilisation doit être effective dès le lendemain, le 2 août.
Jean Larrieux, ancien Maire du Verdon-sur-mer, raconte :
« Le 2 août, les cloches du Verdon sonnent à toute volée. Mon père est mobilisé sur place (38 ans et 2 enfants). Trois habitants de la Pointe partent le lendemain avec d'autres Verdonnais. Ils embarquent à la gare du Verdon en chantant la Marseillaise. Le nom de beaucoup d'entre eux est gravé dans le marbre du Monument aux morts. »
Partout, il est vrai, dans les gares, dans les rues, tous les hommes désignés pour aller au front, sont le jour de leur départ, acclamés et encouragés. Beaucoup entonnent le chant national pour montrer leur courage et ne pas émouvoir davantage leur famille : épouses, parents, enfants… La vérité est que tout le monde est triste, empli d'appréhension : la peur au ventre, il fallait tout de même « aller à la riflette ».
L’expression « la fleur au fusil » pour décrire l'insouciance de ces futurs soldats au moment de leur départ, cache une triste vérité : derrière une fanfaronnade de façade, il y avait une véritable crainte, une peur de l'avenir.
L'Empire allemand déclare la guerre à la France, le 3 août 1914
Au début, c'est la Bataille des frontières. L'armée française doit très rapidement battre en retraite devant des troupes allemandes appliquant le plan Schlieffen, plan stratégique consistant surtout à une concentration des forces, évitant la dispersion.
C'est le moment que choisit le gouvernement français pour se réfugier à Bordeaux, craignant de voir les troupes allemandes fondre sur Paris. Déjà, depuis le 29 août, jour où un bombardement eut lieu sur la capitale (attaque qui a fait un mort et seize blessés), le bruit courait d'un possible exil du gouvernement de la France. Et, en effet, le 3 septembre, le président Raymond Poincaré et son gouvernement s’installent dans la métropole girondine. En 1870 déjà, Bordeaux était devenue la capitale temporaire de la France, elle le sera une troisième fois, en 1940.
L’arrivée du gouvernement à Bordeaux provoque l'exode de 20 000 personnes environ vers la ville, des Parisiens pour la plupart. La ville de Paris n’est pas pour autant laissée à l’abandon : le général Joseph Gallieni, à la retraite depuis quelques mois, reprend du service et assure être prêt à tout pour la défendre.
De ce gouvernement, on peut peut-être citer le nom de Marcel Sembat qui a une rue à son nom à Bordeaux et à Bègles. Socialiste, en place grâce à l'Union Sacrée, il faisait de réguliers sauts à Paris afin de rencontrer Gallieni et de définir avec lui une stratégie sur la zone de front, en tant que Ministre des Travaux Publics. Pacifiste comme Jaurès, il avait écrit un livre "Faites un Roi sinon faite la paix" persuadé que seul un pouvoir absolu pouvait se lancer dans une guerre, une République devant avoir une politique de paix. Il choisit Léon Blum pour être son chef de cabinet alors que ce dernier siégeait au Conseil d'État.
À la fin du mois de novembre, alors que le danger de l'invasion de Paris par l'armée allemande n'est toujours pas écarté, le gouvernement réfléchit déjà à un retour dans la capitale : celui-ci aura finalement lieu le 12 décembre 1914, après trois mois et demi environ d'exil[112].
Pendant ce temps, les troupes franco-britanniques avaient arrêté puis finalement repoussé les Allemands lors de la bataille de la Marne, dans la semaine du 5 au 12 septembre 1914, bataille qui a marqué les esprits, en partie à cause de ses fameux taxis. Cette victoire n'était malheureusement que le prélude à l'enlisement du conflit sur le front ouest, la guerre de mouvement se transformant rapidement en guerre de position, en guerre de tranchées.
L'année 1916, la plus meurtrière
Pour rompre le front, des offensives allemandes d'un côté, des offensives françaises et alliées de l'autre, se soldent par des milliers de morts et de blessés, sans vraiment faire bouger les lignes. La bataille de Verdun, pour ne pas dire le carnage de Verdun, dura pratiquement toute l'année 1916, du 21 février au 18 décembre (neuf mois et vingt-sept jours) : au bout du compte, ce sont environ 163 000 soldats français tués ou disparus, 143 000 allemands. Cette même année de 1916, une autre bataille tout aussi meurtrière eut lieu sur le front de la Somme, du 1er juillet au 18 novembre : environ 67 000 soldats français tués ou disparus, 206 500 britanniques, 170 100 allemands.
Le nombre de blessés, la plupart invalides, lors de ses deux batailles, est estimé à plus d'un million en tout.
Le 25 février 1916, au premier jour de la mise en place du front de Verdun, le général Joseph Joffre en avait confié le commandement au général Pétain.
Devant la violence des combats, ce dernier avait organisé la rotation rapide des unités engagées via la Voie Sacrée. Celle-ci verra passer plus de la moitié des effectifs terrestres de l'armée française, des centaines de véhicules tous les jours, transportant troupes ou matériel.
Dans l'attente des renforts américains
Le général Joffre, commandant en chef des armées depuis le début du conflit, en septembre 1914, est très critiqué après Verdun (amère victoire!). Une semaine plus tard, le 25 décembre, il est remplacé par Robert Nivelle : il part avec le grade de maréchal, une dignité qui avait été supprimée sous la Troisième République, rétablie pour la circonstance.
Nivelle décide d'une offensive, le 16 avril 1917 au Chemin des Dames, les pertes sont énormes une nouvelle fois : 30 000 morts environ, du 16 au 25, et 100 000 blessés. Sa stratégie est très critiquée et lui-même est remplacé le 15 mai 1917 par Philippe Pétain qui monte en grade. Ce dernier indique aussitôt son intention de cesser les coûteuses offensives, voulant "attendre les américains et les chars".
Les États-Unis, jusque-là, s'étaient seulement engagés auprès des démocraties en leur vendant armes, munitions, véhicules motorisés (ambulances et camions dérivés de la Ford T…), matières premières, produits industriels et alimentaires… et en envoyant combattre de nombreux citoyens volontaires dans les forces alliées. Mais, en janvier 1917, la situation change : l'Allemagne décrète la « guerre sous-marine à outrance ». Elle attaque désormais les navires commerçant avec la Triple-Entente (France, Royaume-Uni et Russie). Elle intervient même sur le territoire américain grâce à son réseau d'espionnage dirigé par Franz von Rintelen et effectue plusieurs sabotages aux États-Unis, encore neutres, afin d' empêcher la livraison de matériel aux puissances de l'Entente. L'attentat allemand le plus spectaculaire eut lieu le 30 juillet 1916 lorsque le dépôt de munitions de Black Tom Island à Jersey City fut détruit. La déflagration fut suffisante pour briser les vitres sur une distance de 40 kilomètres : on estime généralement sa force à 5,5 sur l’échelle de Richter et l’explosion endommagea la statue de la Liberté, à tel point que la visite du bras et de la torche du bâtiment en est depuis lors interdite. Il y eut aussi l'affaire du « télégramme Zimmermann», une véritable déclaration de guerre du ministre allemand, via le Mexique.
Le Président des États-Unis, Woodrow Wilson demande au Congrès le 2 avril 1917 de déclarer officiellement la guerre à l'Empire allemand malgré sa réticence jusque-là, du fait de la présence russe dans l'Entente. L'Empire russe, au niveau institutionnel, ne différait guère de l’Empire allemand. Il avait organisé des pogroms contre les Juifs, opprimé les Polonais, au point qu'en 1908, avec l'émigration, Chicago était la troisième ville polonaise du monde, après Varsovie et Lodz. De façon générale, la Russie était jugée autoritaire et théocratique. Heureusement, la Révolution russe encourage le rapprochement avec les États-Unis qui décident finalement de rompre avec leur politique isoliationniste.
Les Américains entrent en guerre en 1917
Dès janvier 1917, la déclaration de guerre allemande ("guerre sous-marine à outrance") exaspère le gouvernement américain et lui fait perdre patience. Le 27 février, puis le 1er mars, deux cargos américains, "l'Orléans" et "le Rochester", arrivent au large du Verdon et s’engagent dans l’estuaire de la Gironde pour neutraliser les sous-marins allemands contrôlant le port de Bordeaux.
La déclaration de guerre est officialisée par le Congrès des États-Unis, le 6 avril 1917.
Le 13 juin 1917, 177 Américains dont le général John Pershing, commandant en chef du corps expéditionnaire, en américain l'American Expeditionary Force (ou AEF), débarquent à Boulogne-sur-Mer dans la liesse populaire. Pershing est acccompagné de George Patton (promu capitaine juste avant son départ) qu'il a choisi comme assistant personnel.
Symboliquement, une des premières préoccupations de John Pershing fut d'aller se recueillir sur la tombe de La Fayette, au cimetière de Picpus, à Paris. Contrairement à certaines convictions bien ancrées, ce n'est pas lui qui aurait prononcé à cette occasion, le célèbre « La Fayette, nous voilà ! », mais le colonel Charles Egbert Stanton. Celui-ci, membre de son état-major, était intervenu juste avant lui. Dans ses mémoires de guerre, Pershing précise qu'il n'avait pas l'intention de parler lors de cette cérémonie, mais que poussé à la tribune, il avait dû improviser "un speech". Il précise ne pas avoir «avoir souvenance d'avoir dit quelque chose d'aussi beau...c'est à lui (Stanton, N.D.L.R.) que doit revenir l'honneur d'une phrase si heureuse et si bien frappée. »
Cet évènement donne le coup d’envoi du déploiement des soldats américains sur le sol français.
Pendant plusieurs jours, à partir du 26 juin 1917, une vingtaine de navires, transportant hommes, infirmières, matériel…arrive à Saint-Nazaire.
Le port de Bordeaux est désigné pour devenir le Quartier Général de la Base no 2 des "Services of Supply (en)" (Services d'approvisionnement de l'armée américaine).
Le 9 août, une seconde base américaine est créée à Bordeaux et, en septembre, débutent les travaux d’aménagement du port de Brest. Au total, entre juin 1917 et novembre 1918, l’armée américaine aura utilisé pour ses débarquements, 85 cales existantes et en aura construit 83 nouvelles dans les ports français.
Les principaux ports utilisés par les Américains pour les hommes et pour les approvisionnements sont :
- groupe nord (ou de la Basse-Loire) : Saint-Nazaire, Nantes et Brest
- groupe sud (ou de la Gironde) : Bordeaux, Bassens, Pauillac, La Pallice et Le Verdon
- groupe de la Manche : Le Havre, Caen, Grandville, Saint-Malo et Rouen[113].
Dans les faits, si la première division américaine venue combattre en France est arrivée le 28 juin 1917, les américains, sous le commandement du général Persching, ne s'engageront sur le front qu'au mois de novembre.
Les premiers navires américains sont arrivés à Bordeaux et à Bassens en août et septembre 1917. Ils ont pris position, pour la ville de Bassens, aux appontements aménagés pour la circonstance dits de « Old Bassens » et « New Bassens ». À partir de mars 1918 jusqu’en août 1919, ce sont 739 navires américains qui investiront l’estuaire.
Bordeaux et la Gironde ont été profondément marqués par les Américains au cours de cette guerre. Outre les ports, des camps, des hôpitaux, une station de TSF, à Marcheprime, "Bordeaux-Lafayette", la première usine Ford en France…et même des cimetières, ont été installés dans la région.
Au-delà des aménagements qu’il a fallu créer pour loger les hommes (militaires et civils), les infirmières, les chevaux…, pour garer les véhicules et pour stocker tout le matériel et les tonnes de marchandises, c’est tout cet afflux humain qu’il a fallu gérer. Rien qu'en Gironde, cela représentait environ 5 000 américains en 1917. Le nombre croît à environ 100 000 personnes en octobre 1918 pour atteindre 125 000 en avril 1919.
Il est alors aisé de comprendre que la sympathie envers « les Sammies » ait pu souffrir à un moment donné d'une si nombreuse présence.
Les prix, l’emploi, le ravitaillement, sans compter les troubles liés à l’alcool et à la prostitution, ont quelque peu refroidi, effrité au fil du temps, la fraternité qui s'était faite spontanément à leur arrivée[113].
À partir du 3 juin 1919, le Général Pershing, à l'occasion d'une tournée de huit jours, a rendu visite à ses troupes dans les bases américaines, dont Bassens. Il a rassemblé autour de lui, les ouvriers des ports et les régiments de dockers :
« Je veux que votre port décharge les navires plus promptement qu’aucun autre port voisin ; je vais organiser un concours parmi vous afin de faire savoir en Amérique quelle est l’organisation qui fonctionne avec le plus de succès ; quel est celui d’entre vous qui accomplit le mieux son devoir. Que chaque homme marche à sa tâche avec enthousiasme et cela signifiera le succès, la victoire… »
Si le général Pershing ne s'est pas rendu en personne au Verdon afin de visiter ses troupes cantonnées sur le port, préférant rester sur une des huit principales bases de la côte atlantique, Bordeaux-Bassens, c'est à la Pointe de Grave qu'il fut décidé d'élever un monument à sa gloire et à celle des américains, afin de les remercier de leur aide précieuse.
Le monument commémoratif « À la gloire des Américains »
Le phare de Cordouan, monument emblématique de la Pointe de Grave depuis 1611, sous le règne de Louis XIII, a été éclipsé un temps, pendant quatre petites années de 1938 à 1942 par un autre monument, gigantesque (75 mètres de haut), le "Monument aux Américains".
Ce monument commémoratif fut érigé afin de montrer notre reconnaissance au peuple américain venu combattre à nos côtés, en 1917. Il était aussi censé rendre hommage au marquis Gilbert du Motier de la Fayette, héros de la guerre d'indépendance des États-Unis, guerre qui a établi un premier lien entre les deux nations. Le Médoc avait déjà un attachement particulier avec le marquis de La Fayette. Ce n'est pas exactement de la Pointe de Grave qu'il s'est embarqué pour l'Amérique en 1777 sur le bateau "La Victoire" mais de Pauillac, juste à côté. La Fayette a de toute façon croisé au large du Verdon avant de rejoindre le port basque de Pasaia pour le grand départ.
En 1919, très peu de temps après l'armistice, une souscription publique, côté français et américain, est lancée afin de financer ce projet ambitieux et très dispendieux. Il est estimé à plusieurs millions de francs (plus de quatre millions en tout cas), la participation de l'État français étant d'un million et demi de francs. Devant la difficulté pour trouver les sommes nécessaires au financement, la souscription ne suffisant pas, le projet sera revu à la baisse : de nombreuses décorations (bas-reliefs, statues…), aménagements…sont supprimés, ajournés ou modifiés.
Le , le président français Raymond Poincaré se rend à la Pointe de Grave pour poser la première pierre. Lors de cette cérémonie, les États-Unis sont représentés par leur ambassadeur Hugh Campbell Wallace.
Malgré l'enthousiasme lors du lancement du projet, cinq années plus tard, en 1925, devant la difficulté pour rassembler les fonds, les travaux n'ont toujours pas commencé.
Lles travaux débutent au cours de l'été 1926, l'argent nécessaire à la construction de la partie principale étant enfin réuni. Le monument ne sera terminé qu'en 1938, vingt ans après la fin de la guerre!
La mise en œuvre du projet avait été confiée au sculpteur et peintre Albert Bartholomé qui a réalisé le dessin de la croix de guerre 1914-1918. Ce dernier va solliciter l'architecte en chef des monuments historiques André Ventre pour concevoir les plans du monument. On fait appel au sculpteur et verrier Henri-Édouard Navarre et au sculpteur montalbanais déjà célèbre, reconnu et consacré Antoine Bourdelle pour les décorations. Bourdelle devait élaborer une statue en bronze de vingt mètres de haut représentant « La France » identifiée à Athéna, statue qui devait être placée face à l'Océan, regardant l'Amérique. Devant les restrictions de budget, ses mensurations furent réduites et aucune des différentes duplications de la statue ne fut installée au Verdon.
Le monument aux Américains, construit en bout de pointe, était en béton armé afin de bien résister à toutes les intempéries, avec une assise profonde. Un escalier monumental menait jusqu’au vestibule, accessible par deux portes.
Ce hall donnait sur deux vastes salles d'égales dimensions (14 m X 6 m X 7 m de hauteur) : la salle La Fayette et la salle Pershing.
On retrouvait dans la première salle des portraits du célèbre marquis, auvergnat d'origine. Un tableau d’Hubert Robert représentait son départ pour l'Amérique. La salle était emplie de tout ce qu'on avait pu trouver le concernant, à la manière d'un petit musée : mobilier, objets divers, reliques…ainsi qu'une correspondance avec sa famille et avec George Washington, commandant de l'armée continentale depuis 1775, au début de la guerre d'indépendance américaine, futur président des États-Unis.
Dans l'autre salle, on trouvait tout ce qui concernait l'intervention américaine sur le théâtre de guerre en 1914-1918. De nombreux documents rendaient hommage aux soldats américains et notamment aux aviateurs volontaires de l’escadrille La Fayette intervenus précocement, en 1916, alors que les américains ne s'étaient pas encore engagés officiellement dans le conflit. Tout ce qui rendait compte de la coopération avec les États-Unis y était exposé et expliqué : illustrations, photos, graphiques… sur le matériel, l'équipement, l'armement, l'organisation de l'American Expeditionary Force.
Un logement pour le gardien avait été aménagé en sous-sol. Il n'y avait rien au dessus des salles mise à part une charpente métallique pour l'ascenseur et un pendule de Foucault, la hauteur du bâtiment permettant une telle installation. Tout en haut, point de lanterne comme prévu au départ (le monument devait être conçu comme un phare), mais une grande plate-forme d'où l'on pouvait admirer un magnifique panorama à 360 degrés (estuaire, océan, forêt…) aménagée en salle de repos.
L'inauguration eut lieu le 4 septembre 1938 juste avant les accords de Munich censés éviter une nouvelle guerre mais qui n'avaient vraiment convaincu ni contenté personne. Cette cérémonie fut fortement commentée dans les journaux et par la presse en général. De nouveaux médias comme la radio et les cinémas qui diffusent des actualités avant le film, relayent l'information. Le gouvernement français était représenté par Georges Bonnet, le ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d'Édouard Daladier. Les États-Unis avaient dépêché sur place William Christian Bullitt, leur ambassadeur en France.
Certains évoquent la présence de Louis Rothschild, alias Georges Mandel, ministre des Colonies à l'époque, une figure locale. D'autres parlent de John Kennedy, fils de l’ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, Joseph Patrick Kennedy, dit Joe. Ce dernier n'a eu qu'un fils prénommé John, le futur président des États-Unis, âgé de 21 ans, en voyage dans toute l'Europe, à l'époque.
Le président de la République Albert Lebrun, lui, n'a pas fait le déplacement contrairement à Raymond Poincaré pour la première pierre.
Le 30 mai 1942, à peine quatre années après son inauguration, le monument est dynamité par les Allemands qui occupent le Médoc et qui ne peuvent pas supporter un symbole aussi humiliant[114]. Il fallut qu'ils s'y prennent à deux fois car la construction en béton armé de l’architecte André Ventre était solide et résistait bien à l’explosif. Le quartier avait auparavant été évacué. Du monument, seuls subsistent un buste de La Fayette conservé aujourd'hui à la mairie du Verdon et un bouclier sculpté d'Henri Navarre, en bronze, qui a été inséré dans la stèle commémorative bâtie à la hâte en 1947.
La promesse formulée par le gouvernement français de reconstruire le monument ne fut en effet jamais tenue : la stèle actuelle, beaucoup plus sobre (ce n'est plus un monument!), signale l’emplacement de l’ancienne construction et la reconnaissance de la France envers notre allié américain[115].
Morts pour la patrie
Bien que le département de la Gironde n’ait pas été un théâtre de guerre, 9 000 Bordelais, soit plus d’un homme sur quinze, et 22 634 Girondins ont perdu la vie durant le conflit.
C'est au total, 32 Verdonnais qui mourront pour la patrie lors du conflit de 1914-1918.
Leurs noms est inscrit sur le monument aux morts du Verdon-sur-mer, en bout de la place de l'église :
Albert Robert, Babut Charles, dit Élie (décédé le 25 septembre 1915 à Ville-en-Tourbe dans la Marne des suites de ses blessures), Bacles Pierre Charles (tué à l'ennemi le 25 septembre 1915 à Ville-sur-Tourbe dans la Marne), Blanchereau Christian Amédée (tué le 28 mai 1918 au Moulin de Quincampoix dans l'Aisne), Blanchet Jean Adrien (tué à l'ennemi le 3 juin 1916 à Fleury dans la Meuse), Brozy René (tué à l'ennemi le 6 septembre 1914, à Écriennes dans la Marne), Brun Pierre (décédé le 28 septembre 1916 à Bray-sur-Somme, dans l'ambulance 1215 des suites de ses blessures contractées sur le champ de bataille dans la Somme), Callen Frédéric Antoine (disparu le 15 février 1916 à Cappy dans la Somme), Coularis Guillaume (disparu à Saint-Vincent en Belgique, le 22 aoùt 1914), Dabis Léonard (tué à l'ennemi le 18 novembre 1916 à Velusina en Serbie), Dabis Martin (décédé des suites de ses blessures le 19 juillet 1918 à Pierrefonds dans l'Oise), Doucet Jacques (décédé le 1er octobre 1915 au Verdon-sur-mer des suites d'une maladie contractée en service), Durand Gaëtan, Fauchery Albert Nicolas* (tué à l'ennemi par éclats d'obus le 4 juin 1916 à la cote 287 dans la Meuse), Lamarque André (décédé le 21 octobre 1918 à Villers Cotterets dans l'Aisne des suites d'une maladie contractée en service), Lambert Raymond (décédé le 9 mai 1915 au Mont-Dore dans le Puy-de-Dôme des suites de ses blessures de guerre), Landureau Jean (disparu dans la perte du cuirassé "Bouvet" coulé par une mine le 18 mars 1915), Latour Fernand (décédé des suites de ses blessures contractées au service le 17 avril 1917 à Vendresse-et-Troyon dans l'Aisne), Laurent Joye Eugène Léon (disparu le 30 juillet 1916 au combat de la Somme), Manizan Louis (tué à l'ennemi le 23 juin 1915 à La Fontenelle dans les Vosges), Marchais Jean (décédé le 20 juillet 1916 à Belloy en Santerre dans la Somme), Martin Pierre Barthélémy, dit Barthélémy (décédé des suites de ses blessures le 8 mars 1919 à Moret, Seine-et-Marne), Martin Jean, Martin Léon (tué à l'ennemi le 24 août 1914, à Etain, Meuse), Masmondet Jean (tué à l'ennemi le 30 avril 1917 à Craonnelle dans l'Aisne), Moresmau Jean Joseph (tué à l'ennemi près de Saint-Hilaire le Petit dans la Marne, le 10 octobre 1918), Prévot Guillaume Paul (décédé le 23 septembre 1914 à Ribérac en Dordogne des suites de ses blessures de guerre), Pucheu Octave (mort au combat le 25 septembre 1916 à Souain dans la Marne), Puiraveau Justin Fernand (disparu dans la perte du torpilleur 325, le 22 janvier 1919 à Royan), Rooy Jean (décédé le 24 mai 1916 à Fleury devant Douaumont dans la Meuse), Tard Élisée (décédé à Aubigny-en-Artois dans le Pas-de-Calais, des suites de ses blessures, le 6 juin 1915), Vergnaud Émile.
*Fauchey Albert Nicolas, sur l'acte d'état civil
Conséquences de la guerre
La fin du conflit de 1914-1918 fut dramatique sur le plan sanitaire avec une pandémie de grippe espagnole décimant les populations et les garnisons, notamment pendant le mois d'octobre 1918. Au Verdon, on note sur les registres d'état civil une quinzaine de décès déclarés à l'infirmerie militaire du fort de Pointe de Grave. De même, on note une douzaine de décès sur les navires le plus souvent militaires en rade du Verdon (anglais, brésiliens, norvégiens, américains, français…). Cette grippe espagnole causera encore plus de morts que la guerre elle-même (10 millions de morts environ), certains avançant le chiffre peut-être un peu exagéré de cinquante millions de morts[116].
Pendant la Grande Guerre, la grippe espagnole ne fut d'ailleurs pas la seule maladie à tuer davantage que les combats eux-mêmes, pourtant sanglants et meurtriers, qualifiés de "grande boucherie". Il y eut une épidémie de fièvre typhoïde les premiers mois de guerre, puis des "diarrhées des tranchées" et des dysenteries bacillaires dues à une nourriture avariée et une eau polluée, des leptospiroses…, et aussi des morts du typhus, la "maladie des pouilleux" et ce, malgré la grande vigilance des autorités sanitaires françaises averties, ayant donné des consignes comportementales très strictes pour prévenir et enrayer la maladie.
Les pertes militaires furent dues aussi aux armes chimiques utilisées lors de ce conflit, pertes estimées à 90 000 morts et 1 250 000 gazés (le gaz moutarde ou ypérite était le plus mortel). Beaucoup décèderont les mois ou les années suivant la fin de la guerre, souvent oubliés dans les décomptes de victimes. Comment ne pas penser aussi lorsqu'on évoque toutes les horreurs de cette guerre, à tous ces soldats blessés rentrant du front dans leurs foyers avec de graves séquelles? Outre les gazés, on trouvait des amputés, des mutilés du visage, des aveugles, des défigurés (environ 338 000, dont 15 000 touchés au visage)…, ces derniers que le colonel Picot désignera sous le terme de "gueules cassées".
Cette horrible guerre laissera aussi, côté population civile, environ 600 000 veuves et un million d'orphelins, pupilles de la Nation.
L'entre-deux-guerres (1918-1939) : la reconstruction, les Années folles, le Front populaire
En 1918, la France est certes victorieuse (armistice du 11 novembre) mais elle est complètement ruinée. Outre le bilan humain, près de 1 400 000 victimes parmi les Français les plus jeunes et les plus aptes au travail, les régions du Nord et de l'Est de la France sont complètement dévastées. Au sortir de la guerre, on ne parle plus que de reconstruction et de désobusage. Des villages entiers ont été rayés de la carte dans l'Aisne, la Marne, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, le Nord, la Somme, le Pas-de-Calais. Beaucoup ne seront jamais reconstruits. Le Médoc peut être considéré comme privilégié, outre bien évidemment les familles touchées et meurtries par le décès d'un ou plusieurs de ses enfants morts sur le front de la guerre : aucun combat ne s'est déroulé sur son sol épargnant les paysages.
Comme partout en France, le Verdon va connaître quelques années difficiles avant que la vie ne reprenne vraiment ses droits de travail et d'insouciance. On va d'ailleurs appeler cette période, à partir de 1920, les Années folles, un autre chrononyme comme l'était celui de la Belle Époque.
Le travail, c'est d'abord la construction du môle en 1927 avec l'arrivée de nombreuses familles sur le territoire, c'est le Port autonome de Bordeaux qui embauche pour l'entretien des côtes, c'est le Balisage, les douanes… C'est aussi la forêt (résine, …), l'entretien des marais, c'est l'installation de nombreux commerces et artisans… Beaucoup d'enfants, au sortir de l'école (classes de fins d'étude) faisaient leur apprentissage chez un patron (mécanique, restauration, commerce, couture…).
C'est le début de l'âge d'or de la pêche aux huîtres et de la pêche tout court (crevettes, poissons, coquillages…).
L'insouciance, c'est surtout les dancings : celui de la plage et "le Casino" construit dans les années trente. C'est la chasse plus particulièrement la chasse à la tourterelle. C'est le football, l'Union sportive verdonnaise (USV) est créée en 1934. On pense de nouveau à faire la fête : organisation de carnavals, de fêtes des écoles, de fêtes foraines, de concours de plage, de concours de pêche…
Cette période correspond aussi à un nouveau développement du tourisme : on peut venir en train à la Pointe de Grave depuis 1905, la traversée par bac de l'estuaire, vers Royan, devient un service public subventionné par le Conseil Général de Gironde. C'est le retour de la vogue des bains de mer. L'air marin, iodé, est alors recommandé par les médecins des villes pour soigner de nombreuses maladies, notamment respiratoires : neurasthénie, asthme, tuberculose…La natation est aussi recommandée à cette époque pour les articulations : arthrite, arthrose…
Le Front populaire en 1936 donnera aussi un important coup de pouce au tourisme, au développement des loisirs, du sport et de la culture en France. Cette coalition des partis de gauche (SFIO, Parti radical et parti communiste) et autres partis antifascistes emmenée par Léon Blum au tout début, et qui gouverna le pays deux petites années, vota les congés payés de quinze jours, la semaine de quarante heures et les conventions collectives… Le girondin Léo Lagrange donna une impulsion toute particulière aux loisirs (sport, tourisme, distraction et culture) dont les masses populaires et laborieuses pouvaient enfin profiter grâce à tout ce temps libéré.
Malheureusement, ce bien-être sera de courte durée se terminant par la déclaration de guerre de 1939. Contrairement à la première guerre mondiale, le Médoc sera ce coup-ci gravement impacté : moins de morts mais plus de destructions.
Le raz-de-marée du 9 janvier 1924
Dans la nuit du au , une tempête exceptionnelle balaie les côtes de France. Du Finistère à Biarritz, les dégâts sont considérables. Les bateaux sont coulés dans les ports, fracassés contre les quais, en perdition quand ils sont en mer, même les gros navires. Les terres sont inondées, l'eau envahit les maisons, les arbres sont arrachés. Tout est désolation comme après un épisode de guerre. La presse de l'époque décrit le phénomène en le désignant du terme de «raz-de-marée». Cette qualification est sans doute impropre car il n'a pas été noté de séisme sous-marin. Cela montre néanmoins la violence de l'évènement qui a marqué l'esprit des contemporains.
Il s'agit plus sûrement d'une violente tempête qui a frappé tout le littoral atlantique associée à une dépression très creuse sur l’Atlantique nord. Dans le cas de celle-ci, des coups de vent très forts soufflant en rafales et venant de l'océan (sud-ouest) ont généré des vagues de grande taille qui ont submergé l'intérieur des terres.
Les relevés de vitesse des vents étaient peu nombreux à l'époque malgré le fait que l'amiral anglais Francis Beaufort ait imaginé une échelle des vents depuis 1805. Plusieurs services de météorologie avaient vu le jour au XIXe siècle avec pour précurseurs François Arago et Urbain Jean Joseph Le Verrier. Ce dernier créa le premier réseau météorologique, en 1855, approuvé par l'empereur Napoléon III, dans le but d'esssayer d'alerter les marins en avance de l'arrivée d'une tempête. L'Observatoire de Paris est plus vieux encore, fondé en 1667, mais il s'occupait davantage d'astronomie que de météorologie. Avant 1900, des observations du temps existaient bien sûr, depuis l'Antiquité même, mais il y avait beaucoup d'empirisme, peu de mesures, beaucoup de dictons. Les ballons-sondes datent de 1898. La diffusion du premier bulletin météorologique eut lieu en 1922 depuis la tour Eiffel, deux ans seulement avant le raz de marée. L'ordinateur et le satellite seront au XXe siècle d'une très grande utilité, au service du développement de l'observation des phénomènes météorologiques. Météo-France verra le jour en 1993.
La tempête de 1924 était associée à de fortes pluies. La mer dépassait le niveau supérieur des plus grandes marées d’équinoxe. On signale alors des vagues de sept à huit mètres. Les pertes humaines sont très importantes, on compte de nombreux noyés emportés par l'océan. Ce sont parfois de simples curieux s'étant trop approchés, balayés par des "vagues scélérates", des déferlantes des plus dangereuses dont, parfois, on ne se méfie pas assez car imprévisibles. Par endroit, les dunes sont rongées par les vagues sur une dizaine de mètres. Dans les ports, c'est un spectacle de désolation. En mer, de grands navires sont en détresse, les marins décrivant des éléments déchaînés comme ils n'en ont jamais vus.
À l'heure du bilan, on ne compte plus les épaves de bateaux sur les plages, les dégâts considérables tout au long de la côte : quais, digues, routes, maisons, poteaux téléphoniques et télégraphiques…tout est plus moins détruit, effondré, en ruine[117].
À la sortie de la voûte de la poterne, au phare de Cordouan, des repères sur la maçonnerie témoignent des hauteurs atteintes par la mer lorsque les vagues sont poussées par les vents de tempête : ainsi lors de ce fameux « raz-de-marée » du , la mer a atteint 8,50 mètres au-dessus du zéro des cartes marines.
La cause de ce "tsunami" reste très hypothétique. Toutefois, à la place d'un séisme qui l'aurait provoqué, on pense plutôt à un important éboulement à la limite du plateau continental, éboulement qui aurait engendré un important mouvement de masse d’eau[118].
Un autre phénomène rappelant un raz-de-marée, mais sans tempête, avait eu lieu le 24 décembre 1892, dans le golfe de Gascogne. Le port des Sables-d’Olonne s’est soudain vidé, les marins ont alors quitté les bateaux pour rejoindre les quais. Quand la mer est revenue à grande vitesse et avec violence, les bateaux ont rompu leurs amarres, ils se sont entrechoqués, ont heurté le quai passant parfois par dessus les digues, le môle…Le phénomène a duré un certain temps puis tout est rentré dans l’ordre[119].
À Royan, le même épisode avait été observé : des vagues de plus de trois mètres de haut soulevaient les bateaux, puis le resssac, pour ceux qui parvenaient à passer par-dessus le môle, les entraînait vers la haute mer[120].
De telles vagues génèrent en effet, en relation avec la typologie des fonds marins du plateau continental (bancs de sable, écueils…) ce que l'on appelle un courant d'arrachement (comparable à un système de vidange), bien connu sur la façade atlantique sur les plages sous le nom de courant de baïne. Ce courant fait tous les ans de nombreuses victimes sur le littoral atlantique entraînant les baigneurs vers le large.
Le port autonome de Bordeaux
Un projet de l'extension du port de Bordeaux en créant un avant-port au Verdon-sur-mer voit le jour en 1910, une proposition de la Chambre de Commerce.
Dans l'esprit de ses concepteurs, cet avant-port devait permettre aux paquebots d'éviter de remonter l'estuaire sur près de cent kilomètres avec tous les dangers et tous les frais (dragage, pilotage… ) que cela représentait. Outre l'aspect économique et le gain de temps, l'avantage d'établir un tel port à cet endroit est la profondeur de l'estuaire, plus de douze mètres de tirant d'eau, permettant aux gros navires une facilité pour accoster, rapidement, sans aucune difficulté, sans besoin de manœuvrer.
Le plan projetait aussi d'améliorer, en même temps, toutes les infrastructures permettant aux voyageurs de pouvoir rejoindre Bordeaux s'ils le désiraient : routes, voies ferrées…
Dès 1914, il est donc décidé de construire au Verdon-sur-mer, un môle d'escale. À cause de la guerre, le projet sera reporté.
Les travaux ne commenceront effectivement qu'en 1926, décidés par le port autonome de Bordeaux nouvellement institué deux années auparavant, en 1924. L'inauguration aura lieu
Dès l'année suivante, en 1934, le port autonome obtient l'électrification de la ligne de chemin de fer jusqu'à la gare maritime.
En 1960, le môle est transformé en terminal pétrolier en utilisant les piliers en très mauvais état mais toujours en place. Le port pétrolier sera lui-même abandonné en 1974[121].
Dès la fin de seconde guerre mondiale, le Port autonome développera ses structures à la Pointe de Grave avec la construction d'un atelier, l'emploi de personnel, local la plupart du temps, sauf dirigeants. Il va investir dans l'achat de matériel, notamment afin de lutter contre l'érosion ou l'ensablement de la côte. En effet, en 1939, le port autonome a hérité de cette responsabilité en lieu et place des Ponts et Chaussées.
Tous les jours ou presque, des draisines tirant des wagonnets vont circuler durant de longues années sur les voies ferrés construites à cet effet, sur des digues longeant la côte, au plus près de l'océan, pour aller enrocher et lutter contre les éléments.
La port autonome sera régi ensuite par un décret de 1965. Une nouvelle réforme entraînera sa transformation en grand port maritime, le . Cette nouvelle loi de 2008 qui supprime les ports autonomes comme bon nombre d'autres établissements publics est de fait une privatisation et une ouverture à la concurrence. Ses infrastructures se répartissent sur six sites : Le Verdon-sur-mer, Pauillac, Blaye, Ambès, Bassens et Bordeaux.
Depuis la transformation du Port autonome de Bordeaux en Grand Port maritime, abandonnant à son sort le site du Verdon qui aurait pu être pour lui un atout car en eau profonde, le port de Bordeaux rétrograde régulièrement dans le classement des ports français. Ses activités diminuent sans cesse, il abandonne une partie de ses infrastructures, vend des terrains, s'appauvrit…Il se situe, selon les classsements, à la 7e ou 8e place des ports français, rattrappé par le port de La Rochelle. Il faut dire que l'abandon du projet méthanier, mauvais choix, a été aussi un coup dur pour le Grand Port maritime de Bordeaux dont il tarde à se remettre.
Le môle d’escale du Verdon
La gare maritime du Verdon où ont accosté un temps les plus grands paquebots transatlantiques a fait la fierté des verdonnais jusqu'à sa fin tragique. De fait, la commune, de 1933 jusqu'à l'occupation en 1940, n'a pas eu le temps de savourer très longtemps son succès touristique. Sept petites années pour le môle, quatre pour le monument aux américains, la malédiction a sapé une nouvelle fois tous les efforts faits pour rendre la pointe du Médoc attractive.
La construction du môle d'escale du Verdon-sur-mer fut une véritable prouesse technique, un chantier "pharaonique" de cinq années où les dernières innovations en la matière furent déployées. Ainsi, il fallut enfoncer dans le sol sous-marin, très profondément (huit mètres environ) pas moins de 90 piles en béton armé pour consolider l'ouvrage, assurer sa stabilité, prévenir l'affouillement.
Des amortisseurs hydrauliques furent mis en place afin que les gros paquebots, en accostant, ne fragilisent pas l'ouvrage. Un peu moins de mille ouvriers se relayèrent sur le chantier, pour une grande partie de la main d'œuvre étrangère. Les premiers travaux commencent en 1926. Le chantier est gigantesque et attire une main d’œuvre étrangère, européenne, nombreuse. Des journaux de toutes les régions publient des annonces pour recruter des ouvriers. Espagnols, Portugais, Italiens, Yougoslaves… se font embaucher dans les entreprises qui construisent l’édifice. Des baraquements spéciaux sont construits aux abords pour les héberger[122].
L'ouvrage mesurait un peu plus de 300 mètres de long (dont cinq tronçons de soixante mètres reposant chacun sur douze piles) et les bateaux, selon leur longueur, leur hauteur de quille, leur jauge, pouvaient accoster d'un côté ou de l'autre du môle (deux quais). La profondeur était moindre côté plage, douze mètres environ au lieu de quatorze. Reposant sur les piles, une plateforme en béton armé de 38 mètres de large.
Le môle fut appelé localement «gare à terre», gare maritime, faisant référence aux bâtiments qui lui furent associés :
- La gare pour les voyageurs, très luxueuse, d'un pur style art déco, directement à proximité des quais, se composait d'un hall, salle des pas perdus, d'une salle d'accueil des voyageurs, salle de réception et d'attente, … Il y avait également un salon où l'on pouvait boire et se restaurer, un bureau des douanes, un bureau de poste[123]…
À l'extérieur, un parking, des grues de chargement et de déchargement, puis une voie routière et une voie ferrée sur un long viaduc courbe de 372 mètres afin d'accéder au môle depuis la terre ferme ou de le quitter.
- Plus loin, le long de la route d'accès au môle, un long bâtiment, genre bâtiment industriel, permettait d'entreposer les marchandises débarquées des bateaux ou en attente d'embarquement.
Le chantier considérable demanda le transport sur place de tonnes et de tonnes de matériaux : blocs de pierre, béton, gravier, moellons, acier…, des wagons et des wagons entiers.
Grâce au viaduc, les trains s’approchaient au plus près de l’escale. L'année suivant la mise en service de la gare, en 1934, le chemin de fer fut équipé d'une des premières lignes électrifiées de la SNCF.
Après quatre ans de travaux, le môle est inauguré le 22 juillet 1933. La Compagnie Générale Transatlantique a dépêché pour l'occasion un des fleurons de sa flotte, le Champlain transportant huit cent passagers en provenance de New York. Deux trains au départ transportèrent six cent d'entre eux à Paris, Bordeaux ou Lourdes avant que le bateau ne regagne Le Havre, son port d'attache.
De nombreuses personnalités politiques, maritimes…invitées du Port autonome de Bordeaux étaient présentes lors de ce premier jour. Le gouvernement français était représenté par Pierre Appell, sous-secrétaire d'État aux travaux publics et au tourisme à l'époque dans le premier cabinet d'Édouard Daladier. La presse de l'époque se répand alors en récits élogieux sur Le Verdon. Le Port Autonome publie des plaquettes promotionnelles, les compagnies maritimes font de la publicité autour de cette destination. Le Verdon attire durant cette courte période énormément de touristes et même de nouveaux habitants. La vie associative y est fortement développée.
Plus d’une soixantaine de paquebots transatlantiques feront escale (débarquant touristes et passagers) ainsi que des navires de commerce notamment venant d’Océanie, avec des peaux pour l’usine de Mazamet. Chaque escale était une source d’animation pour le village. Les terrains à proximité de la gare maritime sont sujets à la spéculation.
L’une des dernières escales de paquebot est celle du "Massilia" en juin 1940 qui embarquera quarante parlementaires alors repliés à Bordeaux (gouvernement de Paul Reynaud) tentant de rejoindre Casablanca pour y constituer un gouvernement. C'est depuis Le Verdon aussi que la Banque de France mettra à l'abri une partie de la réserve d'or française en le chargeant sur le croiseur le Primauguet.
Pendant la seconde guerre mondiale, le long entrepôt appelé "gare à terre" sera réquisitionné par les Allemands puis utilisé encore par les Américains durant l'après-guerre.
Le môle qui avait été construit en partie avec des dommages de guerre allemands sera dynamité et détruit, revers de fortune et triste retour des choses, par les troupes d’occupation allemandes, le 11 novembre 1944. Toutes les tentatives de remises en état ont échoué après-guerre, malgré les efforts de la municipalité du Verdon. Depuis, les vestiges de cette gare maritime ultra moderne pour les années 1930, ne seront réutilisés qu'après des travaux de déblaiement, en 1966, permettant de créer un appontement pétrolier inauguré en 1967. L’aventure du pétrole durera 20 ans et s’arrêtera à son tour[124].
Les « piscines » et l'érosion marine
Après-guerre, les plages qui se formaient naturellement derrière les digues étaient très appréciées des familles habitant le Médoc et des touristes.
La mer, à marée haute ou par temps de tempête, passait par-dessus toutes ces digues construites et entretenues par le port autonome, constituant en se retirant des retenues d'eau que l'on nommait localement "les piscines". La population pouvait s'y baigner pratiquement sans danger pour les enfants contrairement aux baïnes de l'Océan.
On trouvait ces "piscines" à la Claire, à Saint-Nicolas, aux Cantines, tout au long de la côte jusqu'à Soulac. Tous les étés, beaucoup de monde fréquentait ces plages, on "allait aux piscines" jusqu'à ce que, malheureusement, les digues soient petit à petit, en moins de 20 ans, recouvertes par le sable, le port autonome (PAB) ayant cessé de procéder à l'enrochement et à l'entretien des jetées.
En quelques années seulement, toutes les constructions élaborées pour lutter contre les éléments (digues, rails, épis…), et même des blockhaus allemands ont disparu, ensevelis sous le sable, montrant à l'échelle humaine ce que pouvait représenter un tel phénomène d'enfouissement. Cela nous permet de mieux comprendre comment la ville de Soulac a pu disparaître complètement, totalement ensablée en 1744. La quantité de sable déplacé, la rapidité de l'évènement expliquent l'impossibilité des hommes de pouvoir réagir à une époque où on n'avait pas les moyens techniques d'aujourd'hui : des alertes avaient eu lieu précédemment au XIVe siècle (trois mètres d'épaisseur de sable au niveau de l'église), en 1659 (la voûte a cédé sous la pression du sable), en 1737 (les portes sont obstruées…)…[125] En un seul jour de tempête, l'océan peut transporter des tonnes et des tonnes de sable à des kilomètres de distance : exemple de la tempête Klaus à l'origine de la formation d'une île à l'embouchure de la Gironde, le 25 janvier 2009.
Chaque année, maintenant, l'hiver passé, les municipalités des communes proches de l'océan doivent seules procéder au désensablement des rues, des jetées, des fronts de mer…ou au contraire, au réensablement pour éviter que des habitations disparaissent dans l'océan. Elles luttent comme elles le peuvent contre l'avancée des eaux et des sables vers l'intérieur des terres.
Le phénomène d'érosion est bien illustré par l'épisode emblématique de l'évacuation de l’immeuble "Le Signal" à Soulac-sur-mer. Ce bâtiment résidentiel de 78 appartements est devenu le symbole de l'érosion marine dans le nord-Médoc. En 1970, il était à deux cent mètres environ de l'océan. Depuis, la plage avance de plus de quatre mètres tous les ans, le trait de côte a reculé d'une quarantaine de mètres devant l'immeuble[126]. Le sable des dunes à Soulac, à l'Amélie, à Montalivet, à Lacanau…, tout au long du littoral au sud de la pointe est avalé par l'océan…pour aller se déposer à l'embouchure de la Gironde.
Les photos ci-dessous montrent l'ensablement des plages au nord de la plage des Cantines…
Une nouvelle île comme dit plus haut s'est même formée en 2009 près du plateau de Cordouan. Un banc de sable de quatre mètres environ au-dessus de la mer est assez soudainement apparu. D'une surface approximative de quatre hectares, à un endroit repéré autrefois comme un haut-fond, (environ trois mètres) cette île sans nom peut donner une idée de la quantité extraordinaire de sable déplacée[127].
Le combat contre la nature à la Pointe de Grave n'est pas sans rappeler un autre combat, celui de Benoît Bartherotte, depuis 1985, pour sauver une autre pointe, celle du Cap-Ferret. Inlassablement, le styliste et homme d'affaires girondin défend sa propriété des assauts de l'océan en déversant des tonnes de roche devant chez lui.
Il en a fait un défi personnel en construisant, tout seul, à ses frais, une digue, une immense muraille de pierres qu'il faut sans cesse entretenir. Cette digue de près de cinq cent mètres a pour but de protéger sa propriété et les habitations qui s'y trouvent[128]. Ses importants investissements personnels pour lutter contre l'érosion marine sont toutefois controversés, certains l'accusant de déplacer le problème un peu plus loin. Benoît Bartherotte dit avoir grandi avec cette phrase : « Contre la nature, on n'y peut rien, mais moi, si!»[129]. Grâce à l'allongement du musoir, la mer en effet ne vient plus ronger la dune.
Les autorités reconnaissent aujourd'hui que Benoit Bartherotte a sauvé la pointe du Cap-Ferret[130] même si le problème a été déplacé vers la plage dite des blockhaus dans la partie ouest de la pointe. La seule solution pour résoudre ce problème semble bien l'allongement vers le sud de la digue en question plutôt que de réensabler inlassablement la plage, projet aussi coûteux (14 millions d'euros) pour moins de résultat, une grande partie du sable étant repris rapidement par la mer.
Une question grave se trouve ainsi posée : faut-il, comme on le faisait autrefois, protéger le littoral, ou ne faut-il plus le faire comme aujourd'hui?
Dans les années quatre-vingt- dix, la défense quasi-systématique des côtes contre l'érosion marine est remis en cause, notamment dans un document de travail du ministère de l'Environnement de décembre 1995.
Cette étude tend à démontrer que l'évolution des littoraux est inéluctable à cause principalement de l'élévation du niveau de la mer (1 millimètre par an).
Les vents, les courants, la houle, le clapot…même en dehors des phénomènes exceptionnels que sont les tempêtes mettent en suspension des sédiments qui sont transportés ensuite à plusieurs kilomètres de distance. Les nombreux ouvrages transversaux (épis) ont stabilisé la ligne de côte pour ne mieux le déplacer qu'un peu plus loin, chez le voisin, dit le rapport.
Pourtant, en ce qui concerne la pointe de Grave, le Port autonome de Bordeaux faisait un travail certes très onéreux et lourd mais qui semblait nécessaire aux yeux de la population. De la jetée de la pointe jusqu'à Soulac, la dune était protégée.
Comment peut-on imaginer que la pointe de Grave ou la pointe du Cap-Ferret disparaissent un jour sous les eaux ou le sable, sans que personne n'ait rien à redire? Benoît Bertherotte semble bien avoir démontré que certaines zones, plus sensibles que les autres, doivent être protégées de manière urgente. Si l'on ne construit plus d'ouvrages transversaux trop longs (épis), construisons du moins des ouvrages longitudinaux (digues). Quand c'est nécessaire, que des quartiers entiers sont menacés de disparaître, on voit bien que les autorités doivent bien s'y résoudre. C'est ce qui s'est passé à l'Amélie où la commune de Soulac a été obligé de trouver des solutions pour que tout le lieu-dit ne glisse sur la plage. Comme Soulac, d'autres communes tout au long du littoral aquitain et landais se démènent pour ne pas être emportées par l'océan qui sape les dunes incessamment. À Montalivet, à Lacanau, à Biscarrosse et sur bien d'autres plages encore, on est obligé de procéder chaque année à des réensablements et les coûts sont exhorbitants. Certains qualifient ce travail de "tonneau des Danaïdes" car tout le sable déplacé est très vite repris par l'océan. Compter sur un réensablement naturel est pour l'instant illusoire car il faut bien que le sable vienne de quelque part : si une station retrouve du sable celui-ci vient en général de chez le voisin qui en manque à son tour.
Certes, comme dit le rapport ministériel, il y a cinquante millions d'années, le Bassin parisien et le Bassin Aquitain étaient recouverts d'une mer profonde à cause du réchauffement de la planète et de la fonte des glaces… mais ne doit-on pas justement tout faire pour reculer l'échéance qu'une telle éventualité ne se reproduise? Certes, l'entretien des digues coûtaient très cher mais pendant près d'un siècle, les paysages du Nord-Médoc avaient été préservés, ils demeuraient inchangés. On se demande si dans d'autres pays, comme aux Pays-Bas par exemple, on va aussi baisser les bras à cause du prix à payer, et laisser à la mer une grande partie du territoire, en particulier les zones poldarisés (un sixième du pays environ). Les sommes à dépenser ne seront plus de deux millions d'euros environ par an pour l'entretien des digues (comme en 2007) mais de plusieurs milliards d'euros d'un coup pour tenter de sauver ce qui peut l'être[131].
La politique actuelle est de dire qu'il ne faut pas contrarier la nature : on ne peut rien contre la montée des eaux étant donné la pénurie des sédiments qu'elle engendre. Définir des zones non constructibles, exproprier tous les habitants proches des bords de mer n'est pourtant pas une proposition applicable partout. Où cela va-t-il s'arrêter? La ligne de côte serait ainsi reculée périodiquement, mais jusqu'où? Cette proposition n'est applicable que dans des zones où aucune construction n'existe. Comment accepter un droit de propriété limité dans le temps? Laisser libre cours à la nature peut avoir des conséquences graves sur l'économie des communes situés en bordure de côte. Peut-on abandonner à leur sort toutes les stations estivales, tirer un trait sur toute une économie locale et régionale? Les agriculteurs et éleveurs de l'arrière lido sont eux-mêmes menacés par l'influence défavorable du milieu salé…
Ainsi, faut-il trouver un compromis entre "lutter systématiquement contre l'érosion" et "laisser libre cours à la nature", protéger ou ne plus protéger la côte, réfléchir à une politique globale permettant de définir où et quand on intervient, on entreprend des travaux de défense sans perdre de vue que cela peut avoir des conséquences sur une zone voisine [132].
À la Pointe de Grave, beaucoup regrettent la disparition de toutes ces constructions de protection de la côte initiées en 1839 par le service maritime des Ponts et Chaussées. Pendant des dizaines d’années et des dizaines d'années, le port autonome de Bordeaux a continué les travaux, a aménagé puis entretenu laborieusement des digues présentant un atout touristique non négligeable pour la région. Elles donnaient un aspect différent, atypique, très attrayant, singularisant le site, lui donnant l'aspect d'un front de mer que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur toute la façade atlantique.
Beaucoup d'habitants d'après-guerre ont la nostalgie de ce temps passé : on pouvait se promener sur les digues, au plus près de la mer, pendant des kilomètres et des kilomètres. Les enfants pouvaient descendre dans les rochers pour ramasser des coquillages, des étoiles de mer…ou pêcher de petits poissons dans les trous d'eau avec leurs épuisettes.
Désormais, la pointe de Grave ressemble, côté océan, à toutes les autres stations balnéaires vulnérables de la côte d'Argent : des dunes rongées par l'océan, des plages s'amenuisant à marée haute ou, au contraire, devenant immenses car s'ensablant (avec beaucoup de marche pour approcher l'eau)…
Un espoir subsiste cependant de voir certaines de ces "piscines" réapparaître, en allant vers Soulac, car l'océan transporte le sable de cette zone vers le nord. C'est ainsi qu'en 2019 et 2020, des digues malheureusement fortement dégradées et plus ou moins ensablées encore, ainsi que des rochers et des retenues d'eau ont réapparu aux Arros, aux Huttes, aux Cantines… Par contre, les plages de Saint-Nicolas, de la Claire et de la Pointe de Grave (du coup, on peut citer le bout de la pointe comme une nouvelle plage!) sont fortement ensablées.
Il est vraiment regrettable que le port autonome de Bordeaux n'ait pas continué à lutter contre l'océan. Les travaux de construction et d'entretien des digues avaient des retombées économiques évidentes pour Le Verdon, compensant le coût même de ces travaux. Cela représentait un nombre non négligeable d'emplois pour les Verdonnais et permettait, l'aspect esthétique et original aidant, un afflux de touristes. Cet attrait touristique important pour l'économie locale est devenu caduc aujourd'hui avec la disparition des digues et des piscines.
Des entreprises telles Vandewale, Colas…travaillaient à la côte, donnant du travail à la population.
Le port autonome à la Pointe de Grave était autrefois une institution reconnue par tous. Aujourd'hui, c'est une coquille vide bradant ses ateliers, ses installations, ses terrains…
De plus, en 2020, les travaux continuels de désensablement ou de réensablement qu'il faut sans cesse recommencer, ce qui est très décourageant, représentent chaque année pour les communes, des coûts exhorbitants que certaines ne peuvent même plus payer seules.
La drôle de guerre : septembre 1939 à mai 1940
La seconde guerre mondiale n’a ressemblé en rien à la première. À son tout début déjà, elle est qualifiée de « drôle de guerre ».
À la suite de l'invasion de la Pologne par les Allemands, la guerre est déclarée le 3 septembre 1939. Les cloches du Verdon sonnent une partie de l'après-midi. Il y a bien une mobilisation de l’armée française qui concerne près de cinq millions d'hommes, de 20 à 48 ans, mais la moitié seulement est combattante. Excepté pour ceux qui sont envoyés sur le front, l'impression n'est pas une impression de guerre : les combats ne sont pas totalement inexistants, mais ils ne prennent pas la forme de grande offensive. Les hostilités se réduisent à quelques escarmouches après la modeste offensive de la Sarre : une opération limitée de l'armée française sur le territoire du Troisième Reich, en septembre 1939, alors que les Allemands sont concentrés sur la campagne de Pologne. Les français voient ça de loin comme une guerre promenade car en traversant les villages allemands, les troupes françaises ne rencontrent aucune résistance frontale. Certains secteurs pourtant ont été minés par les Allemands, et leurs sous-marins sont opérationnels. Malgré mille cinq cent morts environ, soldats, marins, aviateurs.., la presse internationale est invitée à constater la victoire éclatante remportée par l'armée française! Oubliés ces centaines de soldats français tués d'où l'impression dans les campagnes qu'il ne se passe pas grand chose sur le front. La lente offensive française atteignit son sommet le 12 septembre avec une pénétration de huit kilomètres en Allemagne.
Sur le terrain, des mesures préventives avaient été prises avant guerre, en Gironde comme sur tout le territoire français. Les casemates et ouvrages des fortifications étaient occupés : leurs servants étaient en place, prêts à tirer. Le 24 août 1939, juste avant la déclaration de guerre, avait en effet été ordonnée l'alerte renforcée, les réservistes frontaliers le long des frontières du Nord-Est affectés aux unités de forteresse avaient été appelés. Le même jour, avait été transmis l'ordre de mise en sûreté, c'était au tour des réservistes non-frontaliers affectés aux unités de forteresse de prendre toutes les positions de combat. Le 27 août 1939, à minuit, commençait cette mobilisation partielle appelée "couverture générale" qui permettait de constituer vingt-cinq divisions devant se concentrer le long de la frontière. Tout ce dispositif de prévention aux frontières était appelé "fortification permanente" ou "régions fortifiées". En 1935, la presse la première le désigna sous le nom de Ligne Maginot, du nom du Ministre de la Guerre André Maginot qui s'était préoccupé dès 1922 de la défense des frontières françaises en construisant des forts.
« Au Verdon, c'est la Marine Nationale qui a pris position dès 1939 avant la débâcle : elle occupe le fort des Arros et le fort de Pointe de Grave jusqu'en 1940 et l'arrivée des Allemands. Certains soldats français faute d'assez de place dans les forts sont logés chez les habitants, dans les granges, sur de la paille, ou même chez eux s'ils ont des chambres libres. On leur offre le couvert et surtout de quoi se laver. Ils avaient établi des cuisines dans une boulangerie du bourg.
Devant Maison Carrée, un sergent-chef était responsable d'une batterie, une mitrailleuse. Il avait cinq ou six soldats sous ses ordres. Il avait fait creuser un emplacement au coin du chemin qui va à Saint-Nicolas. Il y avait une autre batterie aux Huttes. Dans l’attente de l’ennemi, les soldats français n’avaient rien à faire. On les voyait défiler dans les rues du Verdon avec leur barda sur le dos et de grosses bandes molletières.
Des chalutiers ont été armés. Certains remorquaient des ballons pour observer la rivière : un observateur montait sous les dirigeables.
Les étrangers dont les réfugiés espagnols en âge de porter les armes devaient signer un engagement pour aller au front en cas de besoin, sinon ils devaient regagner leur pays.
On vit bientôt arriver sur la commune de très nombreux soldats polonais, des centaines qui occupaient les pare-feux ou furent logés provisoirement chez l'habitant, leur pays ayant été écrasé par les Allemands en quelques jours. Ils cherchaient à rejoindre des bâtiments français ou anglais afin d'aller en Angleterre et poursuivre la guerre. Ils se sont débarrassés de tout leur matériel avant d'embarquer : voitures, camions, vélos, side-cars...ont été jetés à la mer ou confiés aux habitants. Quelques soldats polonais se sont installés sur place. »[133]
Mai - Juin 1940 : la débâcle
C’est dans ce contexte, alors qu'aucune bataille majeure n'a encore eu lieu en Europe de l'Ouest, que les Allemands lancent leur Blitzkrieg (Guerre éclair). Ils envahissent la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France, offensive connue sous le nom de Bataille de France, le 10 mai 1940. Les troupes de la Wehrmacht et leurs Panzerdivisions soutenues par la Luftwaffe avancent rapidement, les jours suivants, en direction de Paris.
La défense française s'écroule avec près de 100 000 morts, en raison surtout de la mauvaise statégie inspirée par les anciens chefs de guerre de 1914-1918 dont Philippe Pétain depuis 1928. En effet, la ligne Maginot, ligne de fortifications le long des frontières avec la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie, est complètement dépassée face à l'armement et à la tactique des Allemands. L'heure est à la mobilité, à la motorisation de l'armée, à l'usage massif d'engins blindés (chars d'assaut) regroupés en grande formation, et non plus à la guerre statique comme l'a bien compris l'adversaire. Une coupure rapide du système défensif français (percée de Sedan) fut obtenue en une cible précise grâce à une concentration des forces : forces terrestres blindées, artillerie, troupes d'élite, parachutistes et autres forces spéciales…mais aussi forces aériennes et maritimes.
Paris tombe aux mains des Allemands le 14 juin 1940 et est déclarée ville ouverte afin d'éviter sa destruction comme Budapest et Rotterdam. C'est alors la panique en France dans le monde politique et militaire. Certains se résignent à la défaite et réclament l'armistice : le général Weygand, le maréchal Pétain, l'amiral Darlan, Pierre Laval… D'autres sont partisans de ne signer qu'une simple capitulation et de continuer le combat : le président du Conseil Paul Reynaud, le général De Gaulle, le ministre de l'Intérieur Georges Mandel…
Paul Reynaud démissionne le 16 juin 1940 de son poste de Président du Conseil : le Président de la République Albert Lebrun nomme Philippe Pétain à sa place.
Le15 juin, dans la soirée, le général de Gaulle, alors sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale, était parti en mission à Londres.
Partisan de la poursuite de la guerre, il avait quitté le port de Brest à bord du contre-torpilleur Milan, avait débarqué à Plymouth le 16 juin au matin, et avait rejoint Londres. Le soir même, il revenait en France : il atterrissait à vingt-et-une heures trente à Bordeaux où le gouvernement et environ 200 parlementaires s'étaient replié, en fuite depuis le 11 juin devant l’invasion de Paris.
Cette journée du 16 juin fut riche en évènements. Ignorant que Paul Reynaud avait démissionné ce même jour, le général était venu lui proposer une entente avec le Royaume-Uni afin de continuer la guerre. Il était même convenu qu'un accord soit signé entre Paul Reynaud et Winston Churchill le lendemain, à Concarneau.
Alors qu'il se prépare à rejoindre la France, Churchill apprend que Reynaud a démissionné, que Pétain a été nommé à sa place, que De Gaulle n'appartient plus au gouvernement de la France après seulement dix jours dans ses fonctions, que le nouveau Conseil des ministres français a refusé l'accord.
Le général de Gaulle, reparti immédiatement en avion en Angleterre, accompagné de son aide de camp, Geoffroy de Courcel et Edward Spears, officier de liaison, prononcera le 18 juin son appel devenu célèbre mais relativement passé inaperçu sur le moment.
Le maire de Soulac-sur-mer, Louis Rothschild, plus connu sous le nom de Georges Mandel (du nom de sa mère afin de ne pas être confondu avec la célèbre famille de banquiers) avait démissionné de ses fonctions de ministre de l'intérieur le même jour que Reynaud le 16 juin, remplacé par Charles Pomaret. Il fut arrêté une première fois, le 17, sur ordre de Philippe Pétain pour trouble à l'ordre public, puis relâché.
Des paquebots sont réquisitionnés au Verdon dès le 18 juin pour embarquer les parlementaires qui le souhaitent à destination de l'Afrique du Nord. L'un d'eux, "Le Mexique" (ex Lafayette), paquebot de la Compagnie générale transatlantique, heurte le 19 juin 1940 une mine tout près du môle et de la plage de la Chambrette. Il coule sans faire de victimes : les marins ont pu regagner la terre ferme à la nage ou en canot. Ce sera finalement à bord du "Massilia", paquebot de ligne réquisitionné en pleine débâcle, que, le 21 juin 1940, 27 parlementaires partiront pour continuer la guerre depuis l'Afrique du Nord. Parmi eux, George Mandel, Jean Zay, ancien ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts, et Pierre Mendes-France, ancien sous-secrétaire d'État au Trésor. Ils seront tous arrêtés à leur arrivée le 24 juin à Casablanca. Ils furent considérés comme des déserteurs et fuyards, ramenés en France et condamnés à diverses peines. George Mandel fut livré à la milice qui l’abattit le 7 juillet 1944 de 16 balles dans le dos, dans la forêt de Fontainebleau.
L'exode
Depuis le 10 mai 1940, après la percée de Sedan et la bataille de France, c'est le chaos dans le pays et aux frontières du Nord. Les populations belges, luxembourgeoises, et françaises fuient l'avancée rapide des troupes allemandes. Cet exode est l'un des plus importants mouvements de population du XXe siècle en Europe. Huit à dix millions de civils s'exilent de façon massive, parfois sans but, soit près du quart de la population française de l'époque. Les habitants des villes se réfugient temporairement dans leur famille ou chez des connaissances dans les villages environnants, mais d'autres s'enfuient vers les régions du Sud, ne sachant où aller pour se protéger.
Souvent affamés, assoiffés parfois à cause du très beau temps de mai et juin 1940, toute une population apeurée sillonne les routes, survolée par les "bombardiers en piqué" allemands, les tristement célèbres Stukas.
C'est une arrivée massive de personnes en Gironde et dans le Médoc comme le prouve l'appel au préfet du docteur Fouchou, maire de Lesparre, le 16 juin 1940. Ce dernier se dit dépassé par le nombre des réfugiés, environ 900 au lieu des 600 prévus[134]. Bordeaux passe à plus d'un million d'habitants, triplant sa population, ne sachant plus où loger, ni comment nourrir ces nouveaux arrivants.
La France signe l'armistice le 22 juin 1940 qui prévoit la fin des hostilités mais aussi, dans sa convention, de couper en deux parties la France métropolitaine. L'Allemagne occupant le nord de la France et toute la côte atlantique jusqu'à la frontière avec l'Espagne. Le reste du pays étant déclaré zone libre (zone nono). En novembre 1942, la zone occupée sera rebaptisée « zone nord ». Entre les deux zones, la ligne de démarcation (Voir carte). Cette frontière mesure plus de mille kilomètres. Elle est matérialisée par des barrières, des barbelés, des guérites…et toute une signalisation indiquant les lieux de passage possibles. Certains secteurs sont minés pour dissuader de passer par côté[135].
Les départements de la Gironde et des Landes sont coupés en deux, privés d'une petite partie de leur territoire. La ligne passe approximativement de Castillon, à l'est de Libourne, jusqu'à Captieux, au nord de Mont-de-Marsan, ville qui est elle-même coupée en deux.
Il faut un laissez-passer délivré par les autorités allemandes (ausweis) pour traverser la ligne. Cette autorisation est très difficile à obtenir, le processus administratif est très lourd, les allemands ne le donnent qu'au compte-gouttes. Aussi, une filière s'organise avec des passeurs mais le risque est très important : les tribunaux militaires allemands ont tôt fait de vous condamner à la prison, voire à être fusillé. En 1941, près de 600 personnes sont arrêtées.
Cette ligne a été tracée d'après une étude sur carte du terrain, en repérant tous les obstacles naturels (rivières…) ou en suivant des routes, ce qui n'était pas toujours possible. Aussi, son tracé est parfois surprenant et incompréhensible car non établi sur place mais depuis l'Allemagne. En Gironde, elle coupe des communes en deux (ainsi Bazas et Langon), des propriétés en deux, et parfois même des maisons en deux comme à Saint-André-du-Bois[136].
Le 10 juillet 1940, l'Assemblée nationale (réunion de la Chambre des députés et du Sénat) vote une loi constitutionnelle qui accorde les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain.
Le régime est dès lors désigné sous le nom d’État français. Il s'établit à Vichy en zone libre. Le mot République disparaît des actes officiels.
Pétain se nomme lui-même "chef de l’État français". Il se substitue alors au président de la République Albert Lebrun qui, bien que n'ayant pas démissionné de son mandat, se retire de la fonction.
Le régime de Vichy met alors en œuvre une politique de collaboration avec les nazis et instaure des lois antisémites. En Aquitaine, il y aura quatre grandes rafles dont celle de Bordeaux le 10 janvier 1944, orchestrée par Maurice Papon. 335 personnes de confession juive seront déportés vers les camps d'extermination nazis. Les victimes habitaient surtout Bordeaux, lieu d'implantation d'une grande synagogue, et les communes alentour. Une vingtaine cependant venaient de la région du Bassin d''Arcachon dont la ville est dotée de son propre lieu de culte.
La collaboration de l'État français avec l'occupant ne concerne pas seulement la solution finale pour exterminer les juifs mais aussi la mise en œuvre de tout un processus policier, notamment la création d'une Milice française fin 1942, pour arrêter et déporter tous les opposants : résistants, gaullistes, communistes, anarchistes, francs-maçons…
L'Occupation
Les allemands vont très rapidement investir les territoires désignés pour être occupés par la convention de l'armistice du 22 juin 1940. Signée en forêt de Compiègne par le représentant du Troisième Reich (le général Wilhelm Keitel) et celui de la Troisième République (le général Charles Huntziger), celle-ci prévoyait l'occupation d'une partie de la France métropolitaine dont toute la façade atlantique. Cette présence allemande durera jusqu'au 20 avril 1945 en ce qui concerne la poche du Médoc, soit près de cinq ans.
La ligne de démarcation sera supprimée en novembre 1942, officiellement en février 1943, les allemands ayant décidé d'occuper tout le territoire français. Elle ne disparaîtra cependant pas tout à fait des cartes allemandes utilisée parfois comme point de contrôle pour la circulation des marchandises.
C'est le 26 juin 1940 que le bac Cordouan, en provenance de Royan, débarque les premiers Allemands au Verdon. D'autres arriveront par la route, depuis Bordeaux, les jours suivants.
Cette période d'occupation va être une période de trouble et de déchirement entre français qualifiée par certains d'années noires. Les uns vont choisir la collaboration, d'autres prôner la résistance. Beaucoup sont surtout résignés, craignant pour leur vie et celle de leur famille. Pendant près de cinq longues années, la vie ne sera plus du tout la même dans bien des régions de France. Le sentiment d'insécurité va grandissant au rythme des dénonciations, parfois calomnieuses, des déportations, des attentats, des représailles…Les restrictions, les pénuries, le rationnement…compliquent la vie de chacun.
Les 29 et 30 juin 1940, les troupes allemandes investissent en masse le Médoc après être entrées dans une ville de Bordeaux abandonnée quelques heures plus tôt par le maréchal Pétain.
Dès leur arrivée, les Allemands réquisitionnent de nombreuses résidences secondaires et toutes les maisons appartenant au Balisage et au Port autonome. Ils n'hésitent pas à évacuer aussi des habitants de leurs propres maisons, les contraignant à se débrouiller pour trouver un autre logement. Ils réquisitionnent les bicyclettes, le casino, la boulangerie et son fournil, les bateaux…
Ils installent une partie de leurs soldats dans l’ancien fort des Arros abandonné par l’armée française. Ils entament, sous la direction de l'organisation Todt, l'occupation, puis l'aménagement du Fort de la Pointe de Grave. Ce fort devient un maillon essentiel du célèbre mur de l'Atlantique. De nombreux autres ouvrages fortifiés sont érigés, six puissantes batteries sont mises en place, de même que divers obstacles sur la côte : pieux, chevaux de frise, barbelés, asperges de Rommel…Des mines flottantes sont dispersées sur l'océan et l'estuaire. C'est en tout 37 positions choisies par les Allemands en Nord-Médoc et 350 bunkers environ construits indifféremment sur les côtes océaniennes et estuariennes. À noter que les Médocains préfèrent utiliser le mot "blockhaus" plutôt que le mot "bunker". Au départ, dans la langue allemande, un blockhaus désignait une construction en bois mais c'est devenu un terme générique utilisé pour nommer tout type d'ouvrage militaire bétonné.
Les occupants implantent une Feldkommandantur à Lesparre et une Kommandantur au Verdon sur le site du groupe scolaire. Très rapidement, ils se heurtent à des actes de sabotage.
« Il fut demandé au garde champêtre de faire le tour du village avec son tambour pour faire un "avis à la population" sur requête des Allemands : les habitants avaient interdiction de se réunir à plus de trois dans la rue. Tout foyer possédant des armes devait venir les déposer à la Mairie. Certains, par crainte, ont bien ramené leurs fusils de chasse, d'autres les ont cachés. Au tout début de l'Occupation, un incident (un sabotage pour les Allemands) aurait pu avoir des suites dramatiques. Un enfant (mais on ne le sut qu'après la guerre) a coupé un câble téléphonique sur la route de Soulac. Finalement, la punition a consisté à placer, jour et nuit, tous les trente mètres, une sentinelle verdonnaise choisie parmi les habitants de 16 à 70 ans. Ceci a duré plusieurs jours tout au long de la ligne téléphonique de Soulac jusqu'à la pointe de Grave (au Royannais, aux Huttes, sur le chemin latéral,...) : les Allemands passaient à bicyclette pour contrôler la présence des sentinelles. Un autre évènement en juillet 1944 faillit aussi avoir des conséquences dramatiques : près du monument aux morts, une sentinelle de la Kriegsmarine qui montait la garde devant la Kommandatur fut blessé par balle. Les hommes du village ont été tous rassemblés sur la place de l'église, des camions étant prêts à embarquer des otages. Le Maire, Georges Poirier accompagné de Madame Tard, l'interprète choisie par la Kommandatur, parlementa longtemps, se montrant garant des verdonnais, le Maire se proposant comme seul otage. Il n'y a finalement pas eu de représailles, le bruit courant que le soldat s'était blessé lui-même, voulant éviter d'être envoyé sur le front russe. »[137].
Les Allemands tirent tout de suite profit de la configuration du site qui forme avec Royan un verrou naturel protégeant Bordeaux. La métropole girondine est le port d’attache des navires forceurs de blocus, des destroyers de la côte atlantique et le siège d'une importante base de sous-marins . Elle est aussi la ville où stationne la première armée allemande.
La construction du Mur mobilise des légions d’hommes, d’abord des volontaires allemands, puis des prisonniers espagnols, et même des ouvriers français, de la main d’œuvre locale réquisitionnée par les Allemands ou des requis du Service du Travail Obligatoire (STO. Les entreprises locales sont contraintes de collaborer : cimenteries, entreprises de travaux publics…Les travaux débouchent sur l’édification, à flanc de dunes ou en bordure d'estuaire, de blockhaus, de simples abris en béton pour la surveillance des côtes, de stations radar (dont une aux Arros de type "Mammut FuMO 52 Caesar"[138]), de soutes à munitions, de tourelles, de petits bunkers individuels de type Tobrouk[139].
La Résistance
Sur un aussi petit territoire fait de marécages, de forêt guère inextricable et de dunes et sable, il n'était pas facile de se cacher et d'organiser un maquis. Néanmoins, fin 1943, Hervé Nicoleau, alias "Michel Masson", connu des résistants sous le nom de "Michel", crée un groupe réduit mais actif de résistants qui mène de front des sabotages, des repérages, et l'aide aux aviateurs alliés en difficulté. Au mois de mai 1944, le maquis médocain est mieux organisé, les résistants plus nombreux multipliant les coups de main dans les environs. Quand Michel Masson est arrêté en 1944, son second Jean Dufour, dit "Jean", le remplace aussitôt[140].
Au début de l'été 1944, le quartier général (QG) des maquisards a été établi au lieu-dit "Les Vignes-Oudides", un peu à l'écart de la route de Hourtin, au sud de la commune de Lesparre. Cette route est celle qui va du lieu-dit St-Gaux sur la départementale 1215 (commune de Saint-Germain d'Esteuil) à Hourtin.
Ce QG était composé de trois maisons, au milieu des bois, distantes d'environ trois kilomètres de toute autre habitation. Un chemin à travers la lande puis un sentier muletier permettaient d’y accéder assez difficilement. Ce groupe de maquisards appartenait à l'Organisation Civile et Militaire (OCM), l’un des huit mouvements de la Résistance Intérieure française qui constituèrent le Conseil national de la Résistance (CNR) en mai 1943. Il comprenait aussi quelques réfractaires au Service du Travail obligatoire (STO) et quelques membres des Francs Tireurs et Partisans (FTP) communistes, obligés de se cacher car recherchés, souvent à la suite d'une dénonciation.
Au milieu d'une clairière, on trouvait une première maison de trois pièces, une cuisine et deux dortoirs, que les résistants avaient baptisée "le Flit". Cette maison servait de poste d'observation afin de prévenir toute approche. "Flit" est sans doute, pour brouiller les pistes, un savant mélange du mot "flic" (qui fait la police) et de l'expression locale, gasconne et bordeluche, "être au pit" qui signifie monter la garde, être aux aguets, assurer la surveillance. Dans les années cinquante, à l'école du Verdon, les élèves, quand ils se préparaient à faire quelques bêtises, désignaient un camarade pour "faire le pit" afin de prévenir si le maître arrivait. "Faire le pit" ressemblait à "faire le pet" (un mélange des deux?) mais avec, semble-t-il, une notion supplémentaire liée à l'emplacement, "le pit" désignant l'endroit stratégique où l'on se place, où l'on se met pour mieux surveiller.
Un peu plus loin de cette première maison qui servait d'observatoire, on trouvait une vieille grange abritant un troupeau de vaches. À quelques centaines de mètres de là, se trouvaient deux autres habitations[141].
Dès l'aube, aux premières heures du 25 juillet 1944, les troupes allemandes, quatre compagnies épaulées d'un groupe de la Schutzstaffell (SS), de la Geheime Feldpolizei, la police secrète de campagne et d'un détachement de miliciens français, soit trois mille assaillants environ, investissent toute une zone d'habitation aux alentours des Vignes-Oudides. Les allemands contrôlent les quartiers du sud de Lesparre, les lieux-dits "Conneau", les Bouchonnets", "Haut-Garnaout". Sur Saint-Germain-d’Esteuil, les lieux-dits "Saint-Gaux" et "Liard". Sur Vertheuil, le lieu-dit "Nodris". Ils interrogent la population.
Leur "action de nettoiement" se porte plus particulièrement, sans doute sur renseignement, sur les chemins environnants et les abords de cette fameuse route allant de St-Gaux à Hourtin, celle qui mène au campement des maquisards. Sur une longueur de cinq kilomètres environ depuis St-Gaux, tous les chemins et sentiers sont visités par des patrouilles, et les rares maisons d’habitation font l’objet de minutieuses perquisitions. Chaque route est contrôlée tout autour. Les Allemands parviennent grâce à ce ratissage à découvrir la cache des maquisards aux Vignes-Oudides. Les combats particulièrement féroces durent une partie de la matinée. Ils se soldent par la mort de Jean Dufour et de dix autres résistants tués, achevés ou fusillés sur place, mais aussi par la mort d'une centaine d'assaillants allemands. Six autres combattants du maquis, faits prisonniers, seront fusillés à Souge, d'autres seront déportés. Le maquis des Vignes-Oudides décimé, les quelques éléments qui ont pu se sauver vont rejoindre d'autres noyaux de résistance[142].
La résistance dans le Médoc, en effet, ne va pas s'arrêter après cette grave déconvenue. Les Allemands s'installent durablement dans ce qui va devenir la poche de la pointe de Grave, et ce, jusqu'au 18 avril 1945 : les habitants du Bas-Médoc vont vivre encore neuf mois d'occupation!
Si début août 1944, l’armée allemande est en déroute, si le 25 août 1944, Paris est libéré, tous les français n'ont pas encore cette chance. C’est, en effet, sans compter sur la stratégie allemande qui consiste à s’accrocher coûte que coûte aux ports en eau profonde : Le Verdon, Royan, La Rochelle, Brest, Dunkerque ou Saint-Nazaire…Pour les allemands, ces ports sont des positions stratégiques à défendre coûte que coûte.
Ils y établissent de véritables forteresses, en position d'attente de l'ennemi, comptant sur le génie militaire allemand pour inventer de nouvelles armes et retourner la situation en leur faveur.
Les Américains, quant à eux, délaissent ces zones pour accélérer leur avancée vers l'Allemagne.
Sur les états nominatifs du groupe Jean Dufour des Vignes-Oudides, on peut noter la présence depuis le premier juin, d'un cadre originaire du Verdon, PUIRAVEAU Roger, dit Dédé, chargé du ravitaillement, ce qui lui a peut-être permis d'éviter, ce jour du 25 juillet 1944, une mort certaine. Un autre de ses compagnons habitant Le Verdon lui-aussi (originaire de Saint-Germain d'Esteuil), Marcel Desblaches, 20 ans, n'a pas eu la même chance. Fait prisonnier avec cinq camarades, ils sont tous les six conduits au camp de Souge où ils seront fusillés le 29 juillet 1944, quatre jours plus tard. On peut citer d'autres habitants du Verdon ayant participé à ce maquis : Raymond Duler, André Dignan…
On peut dire un mot sur le sinistre camp militaire de Souge. Il était situé situé sur la commune de Martignas-sur-Jalle, tout près de Bordeaux. Prisonniers et otages (256 victimes ont été recensées) seront fusillés en ce lieu, de 1940 à 1944, avec ou sans jugement. Les allemands avaient tôt fait de qualifier "d'attitude anti-allemande" tout mouvement de désobéissance, avéré ou supposé. La répression était impitoyable, souvent pour l'exemple. Outre les actes de résistance, les allemand arrêtaient des personnes, souvent sur dénonciation, non pas pour les actes qu'elles avaient commis mais tout simplement pour ce qu'elles étaient ou ce qu'elles pensaient : communistes, syndicalistes, étrangers (espagnols adversaires du franquisme, par exemple)…
On attribue les atrocités de Souge (deuxième centre d'exécution en France de par le nombre de victimes) au fait que Bordeaux était pour les allemands une base stratégique de première importance où l'on trouvait tout à la fois un port, une base sous-marine, un aéroport, une poudrerie, des usines d’aviation… Les mouvements divers de navires de guerre, la présence de forces armées importantes notamment sur le Mur de l'Atlantique rendront les Allemands très sensibles aux actes de résistance et de sabotage[143].
Après le 25 juillet 1944 et la tragédie des Vignes-Oudides, plusieurs "régiments de résistance" sont reconstitués par les Forces Françaises Libres (FFL) venant de toute l'Aquitaine : ils vont être dirigés vers le Front du Médoc, début 1945.
On peut citer parmi les groupes de résistance prenant part à ce front, la brigade Carnot. Le lieutenant-colonel Jean de Milleret (alias Carnot), originaire de Montauban reçoit l'ordre, à la fin du mois de mars, de prendre contact avec le Bataillon de l'Armagnac de Maurice Parisot (maquis Panjas). Il met en place la Brigade Carnot (nom de guerre choisi par lui-même) dont il assure le commandement. En 2006, la ville de Montauban rendra un vibrant hommage à son héros et au bataillon du Tarn-et-Garonne donnant le nom de "giratoire des combattants volontaires de la Pointe de Grave" à un carrefour important de la ville. Ce bataillon est cité également sur la stèle des Arros.
À partir du 1er juillet, 1944, Jean de Milleret, dit Carnot, est nommé chef des Forces françaises de l'Intérieur (FFI) des Landes. Il sera par la suite le chef unique de toutes les opérations militaires des Pyrénées à Bordeaux. Léonce Dussarat, alias Léon des Landes, chef d'État-major depuis 1940 de l'Organisation militaire et civile (OCM) gardera le commandement sur le territoire landais. L'unité FFI de Carnot au départ des Landes donc, va rejoindre Bordeaux fin août 1944 attendant les ordres du colonel Henri Adeline. Ce dernier (alias Rousseau, puis Marty pendant la clandestinité) était le chef militaire de la région B (devenue 18e région militaire au sortir de la Résistance) qui recouvrait les départements de la Gironde, des Landes, des Basses-Pyrénées, de la Charente-Maritime, de la Vendée et des Deux-Sèvres, "B" étant la première lettre de Bordeaux. Le colonel de Milleret était le commandant de la Brigade Carnot mais il prendra aussi le commandement de toutes les unités supplémentaires qui lui seront adjointes, regroupées sous la dénomination de "Forces françaises de l'Ouest" (pas loin de cinquante bataillons au total et 30 000 hommes environ). Ces dernières avaient pour mission de bloquer les allemands (4 000 hommes environ) retranchés dans la poche de pointe de Grave, protégés par de puissantes fortifications. Ce Front du Médoc , à partir de septembre 1944, composé uniquement de forces françaises et coloniales, va parvenir tout seul à vaincre la résistance allemande au bout de huit longs mois d'opiniâtreté. Cette présence se terminera par de terribles combats, du 15 au 20 avril 1945.
Parmi les forces engagées sur le Front du Médoc, on peut mettre en exergue deux autres unités françaises ou coloniales ayant joué un rôle important dans cette reconquête : la colonne Duchez d'Arcachon et le bataillon Penthésilée formé à Talence.
Sous le commandement du colonel Édouard de Luze, coordinateur de la Résistance arcachonnaise, et sous la conduite du capitaine Robert Duchez, qui a donné son nom à la fameuse colonne, un groupe s’empare le 22 août 1944, d’armes lourdes et chasse les Allemands en déroute. Ils libèrent Arcachon ce même jour. La colonne de 300 hommes environ va rejoindre le front du Médoc.
Un verdonnais, Jean Augustin Parès qui était sergent au Corps Franc dans ce bataillon Duchez, est mort tragiquement des suites de ses blessures à l'hôpital Robert Picqué à Villenave d'Ornon, le 23 novembre 1944. à l'âge de 34 ans. Cinq jours auparavant, il avait été atteint par une rafale de mitraillette dans un chemin forestier sur la commune de Vensac.
Un autre bataillon intégré à la brigade Carnot peut être cité pour avoir participé au Front du Médoc : le bataillon Penthésilée. Arrivé sur place le 17 septembre 1944, il constituait l'ossature du septième régiment d'Infanterie Coloniale (RIC). Il avait la particularité d'avoir en son sein quelques combattants sénégalais, malgaches et même indochinois, algériens, marocains et tunisiens, en ce qui concerne l'Afrique du Nord…Il résultait du regroupement des différents Corps Francs de l'agglomération bordelaise, constitués d'une part de résistants volontaires et de jeunes patriotes. Son commandant était un intrépide baroudeur de la Légion étrangère qui s'appelait Jan Chodzko. Il avait obtenu une quarantaine de décorations pour ses faits d'armes et avait la particularité d'avoir une jambe de bois. C'est lui qui donna à ce bataillon le nom de "Penthésilée", du nom de la fameuse reine des Amazones en Turquie, qui aida Priam à la fin de la guerre de Troie et qui fut tuée par Achille. Chodzko a eu le mérite de coordonner l'action trop souvent dispersée des différents Corps Francs nés de la Résistance et de fondre en un même moule plus de six cents volontaires d'origines très diverses[144].
La poche de pointe de Grave
En 1944, alors que la Résistance harcèle sans répit les forces allemandes et que la pression des Alliés se fait de plus en plus forte, les Allemands cantonnés sur les côtes reçoivent l'ordre d'Hitler de se retrancher dans des poches de résistance. Ils vont s'efforcer de résister dans ce qui est convenu d'appeler la poche de Royan et la poche de la pointe de Grave (en allemand, Festungen Girondemündung Nord und Süd).
Le fort de la Pointe de Grave occupé par les Allemands est appelé Base 332 (Stützpunkt 332) dans leur dispositif défensif. Les fortifications sont complétées et améliorées avec la mise en place d'une batterie lourde (canon naval) de longue portée, trente à quarante kilomètres, à 40°, formée de deux pièces d'un calibre de 28 cm placées sur des plates-formes tournantes, elles-mêmes reposant sur voie ferrée[145]. Le système est complété par l'aménagement de fossés antichars et de champs de mines. Des canons antiaériens (Flak en allemand) statiques ou mobiles sont disposés sur toute la zone constituant la défense contre l'aviation (DCA). Des canons automatiques équipent la Luftwaffe, tel le Mauser MG 151. Le site des Arros qui en 1938 comportait une batterie française est aménagé en 1943 en véritable forteresse par les Allemands. Composé d'une vingtaine de bunkers construits dès 1941 afin de surveiller la côte (Mur de l'Atlantique), il est fortement armé et défendu, constituant avec le fort situé près de Port-Bloc le cœur de la résistance allemande.
Le front du Médoc va donc durer, on l'a vu, un peu moins de huit mois, ce qui n'est pas sans rappeler la guerre de position du début de la guerre. Les lignes françaises se contentent tout d'abord de bloquer l'ennemi l'empêchant de reprendre de l'ascendant en circulant avec leurs engins blindés sur la seule et unique route allant vers Bordeaux (le CD1). Malgré qu'ils soient plus nombreux, les français sont moins biens équipés, moins armés, moins entraînés, la plupart étant des volontaires issus de bataillons de la Résistance : Robert Escarpit les qualifient même de "va-nu-pieds", ce qui semble tout de même un peu exagéré mais montre bien la différence d'équipements. Durant cette longue période, les français attentistes gardent leur distance, stationnés à quelques kilomètres des troupes allemandes, au sud de Montalivet et dans la zone autour de Vensac. Ils se contentent d'escarmouches, d'actes de sabotage, de petits assauts, d'actes de défenses et de blocages…
Dès octobre 1944, le commandement des Forces françaises de l'Ouest sur le front de l'Atlantique est confié au général Edgard de Larminat. C'est ce dernier qui organisera la reprise de la poche de Royan (il sera d'ailleurs accusé de la destruction de la ville) et de celle de la pointe de Grave, à partir du 15 avril 1945. Pour cela, il aura fallu attendre, dans le courant du mois d'avril, l'arrivée de troupes régulières mieux armées et en particulier l'arrivée des forces alliées prenant la relève des FFI.
Le 13 avril 1945, la décision d'attaquer dès le lendemain est prise. Les combats amèneront la Libération de la pointe de Grave, presque huit mois tout de même après la libération de Paris. La ville de Bordeaux située qu'à une centaine de kilomètres avait été libérée le 28 août 1944! Seul le canton de Saint-Vivien est resté occupé après cette date.
La Libération
Le 15 avril 1945, le général de Gaulle voulant bouter les allemands hors de France et surtout gagner la guerre définitivement, lance l'Opération indépendance rebaptisée par la suite "Opération Vénérable". Elle vise à réduire les poches de Royan et de la pointe de Grave. Elle débute par un bombardement intensif de toutes les positions allemandes. Les américains engagent la Huitième Air Force dans la bataille bombardant à tout va depuis le ciel. Les Allemands se retrouvent sous une pluie de bombes venant indifféremment du ciel, de terre (dont l'artillerie lourde américaine), de la mer (les dix croiseurs de l'amiral Joseph Fortuné Ruë entre autres). Le colonel Adeline en Gironde et le général d'Anselme à Royan organisent l'avancement des troupes en direction de l'ennemi.
Le gouverneur militaire allemand de la zone Gironde-Sud, le contre-amiral Hans Michaelles, signera la reddition de son corps à Royan le 17 avril 1945. Concernant Royan, l'autre poche de résistance située juste en face de Pointe de Grave, un bombardement allié destiné à déloger les Allemands avait complètement dévasté le cœur de la ville, le 5 janvier 1945. Deux mille tonnes de bombes au napalm déversées à partir de plus d'un millier de bombardiers Lancaster (certains avancent le nombre de 1350 avions) avait anéanti la ville sans interrompre pour autant la résistance allemande : sans doute les Allemands avaient-ils pris toutes les précautions lors de l'annonce à la population d'un prochain bombardement. Beaucoup se demandent encore si cette destruction était bien nécessaire. La ville de Royan sera reconstruite à partir de 1947.
Soulac ne sera libéré que le 18 avril 1945 par la brigade Carnot composée d'éléments des FFI et commandée par le Général de Larminat. Le Verdon sera libéré le 19 avril.
Le 20 avril 1945, les troupes du colonel Jean de Milleret obtiennent la capitulation du fort de la pointe de Grave (Gironde Süd) au prix de lourdes pertes. Ce fut une guerre de six jours.
Les Allemands ont eu le temps de se venger en détruisant le môle d'escale du Verdon, toutes les infrastructures portuaires, le Monument aux Américains…Ils ont aussi coulé tous les navires présents dans les ports et sur l'estuaire, tous ceux qu'ils avaient réquisitionnés dont le bac Le Cordouan. La pointe de Grave offre un spectacle de désolation avec des trous de bombes impressionnants, de véritables cratères, dont certains sont encore visibles notamment lorsqu'on se promène en forêt. Tout est détruit sauf les phares, le grand hangar de la gare à terre au Verdon et le fort, protégé car en grande partie sous terre. Toutes les maisons du petit hameau de la Pointe de Grave concentré autour de Port Bloc et du phare de Grave dont les nombreux restaurants et hôtels ont disparu. Les blockhaus bombardés par les Alliés bien que très solides, en béton armé, avec des murs très épais, ne sont plus que vestiges.
Soumise à une intense pression militaire, la garnison allemande du fort fut aussi ravagée par une épidémie de diphtérie qui a diminué leur résistance et a, semble-t-il, facilité la victoire.
Morts pour la patrie
Douze Verdonnais sont morts pour la France en 1939-1945 (au combat, fusillés ou en camp de concentration) :
Arnaud Albert (22 ans, décédé le 12 juin 1940 à Mourmelon-le-Grand, dans la Marne), Arnaud Jean, Armagnac Christian Gustave Pierre (28 ans, décédé le 25 août 1940, à Seclin dans le Nord), Blanchereau Raoul (24 ans, décédé le 22 juin 1940 devant l'embouchure de la Tees, en Angleterre), Champsiaud Jean (30 ans, décédé le 19 mai 1940 à Avesnes, dans le Pas-de-Calais), Costes Edouard (21 ans, réfractaire du STO), Desblaches Marcel (20 ans, maquisard, fusillé au camp de Souge, le 29 juillet 1944), Le Bretton François (37 ans, résistant, habitant Le Verdon où il s'est marié en 1940, originaire de Crozon, déporté à Flossenbürg en Allemagne où il décède le 23 janvier 1945), Martin André (35 ans, décédé le 11 juin 1940 à Château-Thierry, dans l'Aisne), Parès Jean Augustin (34 ans, décédé le 23 novembre 1944 à l'hôpital militaire Robert Picqué, à Villenave-d'Ornon, résistant, Sergent au Corps Franc FFI du bataillon Duchez), Téchoueyres Gaston, Vignes Roger (30 ans).
L'après-guerre, de 1945 à 1953
En 1952, la géographe Micheline Cassou-Mounat, professeur à l'université de Bordeaux 3, donne une description assez précise du spectacle de désolation de la pointe de Grave, à la fin de la guerre.
« Le Bas-Médoc est sorti de la tourmente plus directement atteint que le reste du Bordelais : les digues rompues, les mattes inondées, la forêt incendiée, les bourgs en ruine, le quasiment neuf et magnifique monument aux Américains dynamité, le majestueux môle d'escale accueillant les paquebots depuis moins d'une décennie et qui faisait la fierté des habitants du Verdon-sur-mer, détruit. Jusqu'au fond des campagnes, évacuées et pillées, ravagées de trous de bombes, les dégâts ont été immenses donnant à ce coin de terre un aspect lamentable[146]. »
Des baraquements provisoires sont construits à Saint-Vivien-de-Médoc pour loger les populations sinistrées : une cité provisoire est ainsi installée à proximité de l'église en 1955. La plupart de ces baraquements ont été détruits en 1973[147].
Compte-tenu de sa position stratégique, la pointe du Médoc est appelée à se reconstruire rapidement. Tout au bout de la pointe, la construction de deux cités participe à une augmentation importante de la population. La Cité du Balisage dont 4 logements (2 maisons jumelles) avaient été construites probablement avant la Seconde Guerre mondiale, vers 1939, est complétée par 2 autres logements. La cité des Douanes, est construite vers 1954 : elle comporte vingt-trois logements. Deux maisons seront ajoutées dans les années 1960, au nord, pour loger les cadres dirigeants. Le développement du tourisme utilisant la Régie des Passages d'Eaux (bacs Le Verdon-sur-mer-Royan), va emmener une animation particulière du hameau de la Pointe de Grave.
La base américaine du Verdon-sur-mer
Après guerre, les Américains établissent une base miltaire américaine au Verdon jusqu'en 1958.
« D'abord logés dans des tentes, utilisant la gare à terre pour stocker leur matériel, ils ne tardent pas à s’installer définitivement en construisant des baraquements en dur, d'abord sur la dune de la plage derrière le chenal qui longe le chemin de la Batterie, puis à la Grande Combe. Là, ils vont établir comme sur toutes les bases militaires américaines de France un "Post Exchange" (PX), c'est-à-dire un magasin hors taxes qui employait la population locale comme le prévoyait les accords franco-américains. Les employés français étaient très bien payés. Ils avaient des avantages qui n'existaient pas en France : des versements à une retraite complémentaire, un treizième mois avec une prime pour ceux qui parlaient anglais. Ils changeaient d'échelon très régulièrement, avaient des primes de repas. Les salaires étaient payés par l'Intendance militaire française : un payeur de la Caserne Xaintrailles à Bordeaux apportait les enveloppes à chaque fin de mois et le Trésor américain payait la contrepartie. Au départ mobile (au moyen d'un camion ouvrant sur le côté), avec un magasin provisoire à la gare à terre et un stock déposé dans un blockhaus derrière la capitainerie, le PX fut ensuite construit en bois à la Grande Combe. Il comportait un self-service très bien approvisionné : on y trouvait tout ce qu'on peut trouver en grande surface. Un snack-bar, une laverie, un salon de coiffure...y étaient adjoints. Il y avait aussi un campement pour les véhicules amphibies, un dépôt d'essence en camions-citernes...Un service appelé "European Exchange System" (EES) s'occupait de l'approvisionnement. La majorité des marchandises provenaient d'un magasin central situé en Bavière dans le district de Moyenne-Franconnie, en Allemagne. Au PX, on trouvait des conserves, de la bière, du vin, des cigarettes, de l'habillement, des parfums, des montres, des bijoux, des médicaments, un rayon ménager, des appareils photos, des fusils de chasse, des postes de radio, des magnétophones, des tourne-disques...Comme c'était des magasins de l'Armée américaine, les prix défiaient toute concurrence, 20 à 25 % moins chers qu'en France ou aux États-Unis, et l'on pouvait commander par catalogue. Comme par enchantement, de nombreux foyers verdonnais se retrouvèrent équipés de postes de radio et de tourne-disques sur lesquels ils pouvaient écouter les disques américains non encore vendus en France, notamment les premiers disques d'Elvis Presley pas encore connu au Verdon. Il y avait aussi beaucoup de soldats noirs américains qui avaient leur propre musique de jazz et leurs trompettistes, sans oublier les soldats venant de l'Ouest américain reconnaissables à leur accent avec leurs chants cow-boys et auxquels il ne fallait surtout pas parler de jazz. Les verdonnais se sont habitués à voir des jeeps circuler dans les rues occupées par deux militaires chacun coiffé d'un casque sur lequel figuraient en gros deux lettres blanches : "MP" pour "Military Police". La police militaire américaine eut, en dehors de la simple police visant les militaires américains, à régler pas mal de conflits opposant leurs soldats à la population locale, dans les bars ou les bals. Les enfants se sont peu à peu habitués à voir les militaires lancer de leur camions des friandises. Ils les guettaient du bord des routes en criant : "Chewing-gum! Chewing-gum!" Outre la fameuse gomme, ils pouvaient lancer de l'arrière des camions ou par les vitres des voitures, des sachets de « milk » (lait en poudre), des bâtonnets de confiture...et autres bonbons colorés au goût pharmaceutique moins appréciés. Dès novembre 1954, l'armée américaine décide d'organiser des opérations NODEX (News Offshore Discharge Exercise), c'est-à-dire des opérations de débarquement sur la façade atlantique française. Cinq sites furent choisis dont Le Verdon. Ces manœuvres militaires mobilisaient plusieurs milliers d'hommes de toutes armes. Les débarquements avaient lieu sur la plage de la Chambrette et près du môle. Ce fut très spectaculaire. Il y avait des chalands LST (Landing ship tank), des Dukws et autres voitures amphibies qui fascinaient les enfants. Ces derniers, impressionnés, n'avaient pas l'habitude de voir des bateaux se poser sur le sable et se transformer comme par miracle en véhicules pouvant rouler sur la terre ferme. Des liberty ships mouillaient en rade, une flottille de bateaux LCM (Landing Craft Mechanized) a rejoint Port-Bloc, beaucoup d'engins bruyants et de camions ont rejoint les différents camps par les routes. À partir de 1955, les Américains ont fait un nouveau camp à Beauchamp jusqu'à la limite du cimetière de Soulac. Ce qui a le plus étonné les habitants du Verdon fut leur départ comme précipité : tout fut nettoyé très rapidement, démantelé, les Américains n'emportant pas tout avec eux. Ils creusèrent un immense trou et enterrèrent lavabos, sanitaires, restes de baraquement...et même des motos et des véhicules. Les baraquements démontés ont été transportés près du stade, en face du groupe scolaire où chacun pouvait se servir en bois, en pièces de charpente. »[148]
Le service des phares et balises
En 1936, une subdivision du service des phares et balises est créée à la pointe de Grave. À cette date, ce service qui existait précédemment sur le port de Royan a transféré ses compétences en Gironde, à Port Bloc. Un bâtiment est alors construit en brique pour servir d'atelier. Il a été par la suite agrandi. Une cité de 4 logements (2 maisons jumelles) est créée en 1938 pour loger le personnel (gardiens de phare, personnel navigant…), 2 logements supplémentaires seront construits après-guerre.
Le service des phares et balises est chargé d'entretenir les dispositifs d'aide à la navigation. Il a pour mission de signaler les dangers (écueils, hauts fonds…) et de baliser les routes maritimes et les chenaux d'accès aux ports. Ce service relève depuis 2010 de la direction interrégionale de la Mer (DIRM).
En 1806, devant l'accroissement du trafic maritime, Napoléon Ier avait souhaité un programme de balisage des côtes françaises et un service de surveillance performants. Il crée le premier, à cette fin, le «Service des Phares et Balises». Cette nouvelle administration, à ses débuts, était rattachée à l'École nationale des ponts et chaussées dépendant du ministère de l'Intérieur. Le premier directeur nommé fut Augustin Fresnel qui inventera le système lenticulaire pour les phares. Fresnel installera lui-même, à Cordouan, le premier appareil lenticulaire de se conception, en juillet 1823. Dès 1811, l'action de ce service était pilotée par la Commission des phares.
Le Service des Phares et balises de la Pointe de Grave est chargé de l'entretien des trois phares verdonnais (Cordouan, le phare de Grave, le phare Saint-Nicolas) et de la pose et du relevage pour réparations, des bouées (balises) disposées en mer sur la façade sud-atlantique et dans l'estuaire de la Gironde, afin d'assurer la sécurité de la navigation.
Le service dispose d'un bateau, dit baliseur, armé à Port Bloc. Alternativement, suivant l'entretien et le suivi des bateaux à Bordeaux, il utilise le bateau Charles Ribière. (le premier du nom, armé de 1921 à 1934, le second du nom, armé de 1934 à 1973) ou le bateau Jasmine jusqu'en 1964, corvette anglaise construite en 1941, transformée en 1948 comme baliseur à Caen. Dans les années cinquante, le service disposait d'un bateau annexe plus mobile, l'Ibis pouvant être utilisé pour le ravitaillement du phare de Cordouan. Il sera remplacé en 1962 par le bateau Le Matelier.
Le retour à Port Bloc du baliseur après la récupération en haute mer (pour entretien à terre, et réparation), d'une balise (remplacée par une autre en bon état de fonctionnement) a toujours été une aubaine pour les verdonnais : en effet, c'était l'assurance de repartir avec de très grosses moules sauvages distribuées gratuitement : très appétissantes, venant du grand large, elles s'étaient fixées naturellement sur la bouée afin de s'y développer.
L'endroit, près de Port Bloc, où sont stockées les grandes bouées métalliques pouvant atteindre une vingtaine de mètres de haut et pesant jusqu'à une quinzaine de tonnes a quelque chose de spectaculaire qui a toujours attiré l'œil des visiteurs. Très imposantes et colorées, rebondies, à côté parfois de longues et lourdes chaînes peintes en noir, métalliques elles-aussi , elles sont en attente pour la plupart d'être réparées et restaurées afin de reprendre du service. Le personnel qui nomme familièrement l'endroit "le cimetière" et qui est chargé d'entretenir ces bouées doit revêtir une tenue de scaphandrier au moment du sablage (jet de sable sous pression). Cette opération consiste à enlever la rouille et l'ancienne peinture abimée par l'eau salée et les embruns. On ne peut repeindre les balises que lorsqu'elles sont complètement décapées. Ce travail du sablage est sans doute appelé à disparaître, les bouées étant de plus en plus faites en plastique.
En 1973, le "Charles Ribière" est remplacé par le baliseur "André Blondel" qui a travaillé précédemment à Boulogne, à Dunkerque, puis au Havre.
La subdivision du Verdon-sur-mer assure les mêmes fonctions que Bayonne sur le département de la Gironde et une partie de l’estuaire du fleuve Gironde, y compris l’entrée du bassin d’Arcachon.
Depuis 1978, elle assure aussi le stockage et l’entretien du matériel Polmar Terre pour la façade Sud Atlantique, matériel spécialisé mis à la disposition des préfets pour lutter contre la pollution marine lorsque celle-ci atteint les côtes. Le plan Polmar Mer qui ne concerne pas Le Verdon est déclenché par le Préfet maritime pour des interventions en pleine mer.
Ce service appelé à lutter contre la pollution marine accidentelle, nommé "Centre Interdépartemental de Stockage et d'Intervention" (CISIP) dispose d’une trentaine d’agents assurant la gestion et la maintenance des matériels, personnel entraîné et formé à son déploiement.
En plus des navires dédiés, le baliseur océanique "Gascogne" et un mini-baliseur (18,70 mètres), le " Pointe de Grave" qui s'occupe davantage des balises portuaires, le CISIP dispose d'un bureau et d'un hangar afin de stocker tout le matériel nécessaire pour une intervention dans l'urgence.
Parmi les nombreux matériels entreposés, on peut citer les barrages flottants, les pompes à hydrocarbures…
Le dragage
L'estuaire de la Gironde, ses ports, ses chenaux de navigation, ses canaux… ont de tout temps été confrontés à l'ensablement ou à l'envasement perturbant la navigation des navires. Les hommes depuis toujours ont dû s'adapter ou bien pratiquer ce que l'on appelle le dragage.
Le dragage moderne n’est que le résultat de milliers d’années d’évolution, modifications et améliorations.
Les Romains étaient captivés par la technologie du dragage naval : ils ont pu réaliser de grands travaux bien aidés par la disponibilité de nombreux esclaves. Ils avaient de très bons ingénieurs qui ont utilisé le béton 2 000 ans avant Jésus-Christ. Après l’année 180, ils ont construit des phares sur la mer Méditerranée et l'océan Atlantique jusqu’à la mer du Nord. Cependant, sans dragage systématique, les ports qu’ils protégeaient étaient menacés puis détruits par l’accumulation de limon, de sable ou de vase. On ne sait s'ils ont pratiqué des opérations de dragage à la Pointe de Grave mais on a retrouvé des pièces de monnaie romaine dans l'anse de Port Bloc. Ceci prouve bien la présence des Romains dans le Médoc à l'époque de Vespasien et d'Hadrien, les deux empereurs à l'effigie de ces pièces de monnaie.
Au Moyen Âge, on pratiquait le dragage à partir de la terre ferme. Pour cela, on utilisait une sorte de charrue reliée à un axe rotatif, tirée par des hommes ou des animaux.
Au XVIIe siècle, le Français Denis Papin invente la pompe centrifuge, machine rotative capable d’aspirer une large quantité de substances en suspension dans l'eau, transportées ensuite à l'aide de tuyaux.
Au XVIIIe siècle, l'invention de la machine à vapeur par Thomas Newcomen et Thomas Savery, perfectionnée par James Watt (Machine de Watt) est la découverte qui fait énormément progresser les techniques de dragage : on n'a plus recours à la traction animale, celle du cheval, gommant ainsi bien des problèmes.
L’utilisation de machines à vapeur a permis le fonctionnement de grandes pompes pouvant déplacer une quantité de sédiments plus importante. Grâce à ces machines plus puissantes, on a pu se servir de plus gros équipements, plus performants, notamment de plus grands godets…Le service de dragage par engin à vapeur alla de pair, du point de vue de la navigation, avec une augmentation importante de la taille des navires, et plus particulièrement de leur tirant d'eau.
Le dragage des fonds marins ne va pas toujours sans problèmes : les modifier peut être la cause de déstabilisation et de perturbation du milieu, du réseau trophique : cela peut avoir une influence sur les courants, sur les animaux et les plantes[149].
Régulièrement, de la même façon, le fait de retirer du sol marin des granulats crée des polémiques.
Les navires sabliers sont confrontés au même souci de la protection de l'environnement que le dragage.
L'extraction de sable et de gravier au fond de l'eau afin de les utiliser dans le bâtiment et les travaux publics, ou pour l'amendement agricole, peut avoir un impact important, irréversible, sur le milieu naturel.
Les verdonnais en général et les habitants de la Pointe de Grave en particulier, gardent des souvenirs mitigés des nombreuses opérations de dragage qu'ils ont eu à supporter depuis la guerre. Supporter est bien le mot juste car les dragues font un bruit infernal. Ça tape, ça cogne, ça grince…et par un mystère difficile à comprendre ça ne s'arrête jamais, même la nuit : est-ce un problème de programmation et qu'il y a urgence afin que les bateaux ne s'échouent pas ? Est-ce un problème de coût, plus la drague étant immobilisée pour ce service, plus c'est cher? Est-ce un problème de délai à respecter dans un contrat ? Sans doute, toutes ces propositions sont de bonnes raisons, mais est-ce que ce vacarme infernal serait encore toléré en 2020, à l'époque où pourtant l'isolation phonique des maisons est bien supérieure à ce qu'elle était autrefois?
Les enfants, eux, la journée, étaient attirés notamment lors du dragage de Port Bloc par le spectacle de la bruyante drague et de sa marie-salope : attirés par le bruit, mais aussi peut-être par polissonnerie, fascinés et amusés de l'incongruité et de la grossièreté du mot désignant le chaland qui l'accompagne, associé qui plus est au mot "drague". Cette dénomination est heureusement désuète aujourd'hui mais non encore oubliée.
« En mars 1976, la drague "Jean Rigal" qui travaillait de nuit à la construction du terminal à conteneurs est accusée d'avoir provoqué l'envasement des parcs ostréicoles. Les ostréiculteurs seront indemnisés, mais la culture de l'huître, c'est bel et bien fini : le 31 mai 1976, il y avait obligation de cesser l'activité et d'évacuer les parcs. Du Verdon jusqu'à Cheyzin, à Talais et à Saint-Vivien, tous étaient envasés sur une épaisseur de 60 centimètres par endroits. De toute façon, l'aventure industrielle et pétrolière qui s'était terminée en 1974 avait, semble-t-il, occasionné une pollution au cadmium rendant les huîtres impropres à la consommation. »[150]
Depuis 2013, le Grand Port Maritime de Bordeaux utilise la drague aspiratrice "Anita Conti" fonctionnant jour et nuit sans s'arrêter. Ce bateau d'une longueur d'environ 90 mètres embarque 18 marins. Il intervient uniquement dans l’estuaire de la Gironde et drague jusqu'à une profondeur de vingt-deux mètres. Dans le secteur amont, on a plutôt utilisé jusqu'à dernièrement le bateau "la Maqueline", drague à benne beaucoup plus bruyante. C'était le plus ancien navire de la flotte du groupement d’intérêt économique (GIE) Dragages-Ports créé en 1979, incluant le Ministère des Transport et les grands ports maritimes dont celui de Bordeaux. "La Maqueline" fut remplacée en 2020 par la drague "l'Ostrea", drague à injection d’eau utilisant le gaz naturel comme carburant, plus respectueuse de l'environnement[151].
La chasse à la tourterelle des bois
Dans le Médoc, cette chasse dite traditionnelle a fait couler beaucoup d'encre et continue toujours, bien que plus modérément, de défrayer la chronique. Pratiquée au début du XXe siècle sur le territoire communal par les seuls verdonnais, à petite échelle, parfois avec des armes de fortune ou avec un filet, elle ne présentait pas de problèmes particuliers.
La tourterelle des bois, un oiseau migrateur, granivore, nichant dans l'écozone paléarctique notamment en Afrique du Nord, était accusée alors de ravager les cultures et à cet égard était déclarée nuisible. Chacun pouvait la chasser librement : jusqu'en 1975, tout le monde avait l'autorisation de chasser, sans examen, le "permis de chasser" consistant à une simple adhésion à la Fédération départementale des chasseurs.
« C'est vers 1920 que les chasseurs, de plus en plus nombreux, ont commencé à tirer la tourterelle au fusil. Très vite, ce fut un tel engouement que des milliers de chasseurs se sont retrouvés entre Pointe de Grave et les Cantines sur un trop petit territoire pour autant de personnes. Des chasseurs à pied arrivaient de Bordeaux en train. Des cars entiers venaient à la Pointe de Grave et le long des côtes en voyage organisé pour la chasse. De nombreuses plaintes ont été déposées à l'époque à la Gendarmerie notamment pour tirs trop près des maisons et pluies de plombs ou à la suite d'une dispute entre chasseurs. Au lieu de se démocratiser, cette chasse a bientôt surtout concerné des personnes et des personnalités de la bourgeoisie bordelaise, des notables de Gironde ou de Paris et autres régions de France, très fortunés : médecins, chirurgiens, grands propriétaires, viticulteurs médocains, industriels, bijoutiers, commerçants, journalistes, acteurs, élus de la Nation, des ministres tel Maurice Faure, et aussi de riches personnalités étrangères...Même des responsables haut placés d'autres pays, tel le prince Souvanna Phouma, le premier ministre du Royaume du Laos ont fait le déplacement. Beaucoup prenaient des congés exprès, parfois le mois entier, pour pratiquer cette chasse qui était un de leurs principaux loisirs. Ces gens riches avaient seuls la possibilité financière de louer des pylônes, de payer des ramasseurs, d'acheter des fusils sophistiqués, très onéreux, à plusieurs coups (parfois quatre ou cinq), à canons juxtaposés, superposés, semi-automatiques ou à lunette, à longue portée..., du dernier cri, et ils achetaient leurs munitions, le plus souvent des cartouches de calibre 12...Ils louaient parfois des chambres ou des maisons sur place. Les locaux, eux, devaient la plupart du temps se contenter de chasser à pied, d’utiliser des armes plus anciennes et moins performantes et ils fabriquaient souvent leurs cartouches eux-mêmes. Bien sûr, c'était très intéressant pour l'économie locale, mais c'était une activité qui devenait dangereuse : ça pétaradait de partout et beaucoup ont exagéré ne sachant pas s'arrêter, repartant avec des tableaux de chasse de plusieurs centaines d'oiseaux, les coffres pleins »[152].
Une première décision d'interdire la chasse à la tourterelle fut prise en 1969, à la veille de grands changements à la tête de l'État : démission de Charles de Gaulle. C'est le ministre de l'Agriculture de l'époque, Robert Boulin, député-maire de Libourne qui signa le décret. Ce dernier abandonnera le Ministère de l'Agriculture juste après, le 16 juin, remplacé par Jacques Duhamel. Cette interdiction engendra un important braconnage et malgré quelques procès-verbaux, il n'y eut semble-t-il aucune suite judiciaire.
En 1979, l'Union européenne publie une directive incluse dans la Convention de Bonn visant à protéger les espèces en danger. Celle-ci, entre autres, concerne la protection des oiseaux migrateurs dont la tourterelle des bois, préconisant une interdiction de la chasser au printemps lorsqu'elle retourne sur ses lieux de nidification.
En 1981, le tout nouveau ministre de l'Environnement après l'élection à la présidence de François Mitterrand, Michel Crépeau, maire de La Rochelle, étonne tout le monde ravivant la guerre entre les chasseurs et les anti-chasse. Il prend un arrêté autorisant la chasse au mois de mai, chasse pourtant interdite par la directive européenne de 1979. Il avance l'argument suivant : « On est obligé de trouver des compromis, l'interdiction de la chasse n'a jamais été respectée et s'est traduite par la plus grande confusion et le désordre ». S'ensuivent des annulations successives des arrêtés par le Conseil d’État en 1982, 1983 et 1984. Depuis, le ministère de l'environnement n'a plus jamais pris d'arrêtés autorisant cette chasse dans le Médoc[153].
La chasse à la tourterelle est donc interdite de manière catégorique depuis 1984 avec un contrôle plus strict du braconnage, mais certains chasseurs irréductibles braveront cette interdiction chaque année dans le Médoc, du 1er au 23 mai pendant une vingtaine d'années encore malgré les procès-verbaux dressés par les garde-chasses ou la gendarmerie.
Chaque année, depuis 1984, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et son président Allain Bougrain-Dubourg se sont rendus sur place pour constater le braconnage, en diminution constante. Depuis les tensions se sont un peu apaisées. En 2003, Le traditionnel face-à-face du 1er mai dans le Médoc entre défenseurs des oiseaux et chasseurs de tourterelles s'est déroulé sans incidents majeurs.
Petit à petit, le nombre de pylônes de chasse a diminué année après année à la pointe du Médoc passant d'environ un peu plus trois mille en 1988 à environ deux cents en 2003[154].
En 1996, Corinne Lepage, ministre de l'Environnement de Jacques Chirac, déclare : « Le tir à la tourterelle est indigne des gens qui se prétendent chasseurs, il est illégal au regard de tous les textes régissant la chasse, et il le restera ». À Bordeaux, le maire et premier ministre de l'époque, Alain Juppé, se prononçait à son tour. « Ce n'est pas une chasse, c'est du braconnage, une activité totalement illégale »[155].
« Cette pratique avait une dimension folklorique qui la rendait malgré tout populaire. Quels sont les petits verdonnais qui ne se sont pas levés à cinq heures du matin afin de se rendre à un lieu stratégique de la chasse, comme par exemple la buvette de la Claire? Là, ils se proposaient aux chasseurs sur pylône pour devenir leurs "ramasseurs". Tous les jours, d'avril à juin, pour la période de chasse la plus longue (mais les dates d'ouverture de la chasse étaient rarement les mêmes d'une année sur l'autre), ils avaient l'assurance de gagner pas mal d'argent de poche sur une saison. Certains chasseurs étaient très généreux, d'autres moins, il n'y avait pas de règle pour le paiement de la prestation. Aussi, ceux qui avaient la chance de trouver un chasseur qui payait bien, faisaient-ils tout leur possible pour devenir le ramasseur attitré : ils n'avaient plus besoin de chercher un employeur, ni de se présenter au lieu de rendez-vous de tous ceux qui n'avaient rien de prévu pour la journée. Les chasseurs dans la majorité des cas, arrêtaient la chasse l'après-midi (parfois même vers dix heures), après-midi que les enfants employaient pour se mettre à la recherche de toutes les tourterelles blessées ou perdues, autour des pylônes. On retrouvait beaucoup de tourterelles sauvages en cage à cette époque là dans les foyers verdonnais. Les ramasseurs étaient souvent invités à partager le casse-croûte souvent pantagruéliques des chasseurs (de quoi tenir un siège!) : sandwiches variés, charcuterie, boissons (du vin parfois)... »[156].
Les élèves les plus sérieux ne se rendaient à la chasse que le jeudi, le samedi et le dimanche, mais d'autres n'hésitaient pas à faire l'école buissonnière. M. Burgué, Directeur de l'école du Verdon à cette époque, déclare : « Le matin, les gosses du Verdon faisaient le ramassage des tourterelles mais il fallait qu'ils soient à l'école à neuf heures...et il fallait se battre! De grosses DS les amenaient à l'heure, au portail. Certains dormaient un peu en classe car il fallait qu'ils se lèvent tôt. »[157]
« La chasse à la tourterelle avait des retombées économiques importantes pour la région et amenait beaucoup d'animation : les hôtels, les restaurants ne désemplissaient pas. Les locations de maisons ou de chambres marchaient bon train. Les commerçants, en particulier les épiceries et les charcuteries... et la buvette de la Claire avaient une clientèle nombreuse : il y avait les habitués...Un armurier de Charente-maritime, de Montendre exactement, venait tous les jours avec son camion, par le bac, pour vendre à la Claire ses cartouches et même ses fusils. Son chiffre d'affaires était plus important en quelques semaines au Verdon que sur toute une année en Charente. Les locaux, eux, avaient plutôt l'habitude de fabriquer leurs propres cartouches : ils avaient tous leur sertisseur (au masculin, quand il s'agit des cartouches), ils ramassaient les douilles vides et parfois les bourres (tampon de feutre qui s’intercale entre la poudre et la balle pour assurer l’étanchéité), achetaient les plombs, les amorces, la poudre, les rondelles de carton pour l'obturation... Certains fabriquaient même les plombs, de manière qu'ils n'avaient plus à acheter que la poudre et l'amorce, ce qui ne revenait pas bien cher. Les pylônes furent d'abord bricolés en bois, puis de plus en plus élaborés, souvent fabriqués sur commande par les artisans menuisiers du Verdon. C'était des plateformes sur pilotis formant des tours de guet et de tir dont la construction se généralise après-guerre. Ils adoptent un plan carré avec une structure de poteaux supportant une plateforme. Pour finir, ils furent construits en fer, boulonnés. Ils étaient de plus en plus haut pour émerger au-dessus des pins à plus de quinze mètres jusqu'à vingt-trois mètres de hauteur, avec étages. De plus en plus nombreux jusqu'à atteindre le nombre de plus de 3000 sur la presqu'île en 1988, ils étaient bétonnés aux quatre pieds. Il y a eu des accidents lors de la fabrication de ces pylônes ainsi d'ailleurs que lors de leur utilisation. Les postes (pylônes), dans la forêt domaniale, étaient attribués par l’État par adjudication, ce qui ne pouvait profiter qu'aux plus riches, beaucoup devant se contenter de pratiquer la chasse à pied, interdite mais tolérée. Les cartes de chasse étaient vendues par le syndicat de chasse du Verdon. Les chasseurs sur pylône ne venaient pas seuls : ils avaient chacun trois ou quatre invités, ce qui multipliait le nombre de personnes sur chaque poste. Les chasseurs à pied se positionnaient en ligne à Pointe de Grave établissant un véritable mur de barrage. Ce mur de feu pouvait être répliquer un peu plus loin, ce qui fait que les tourterelles avaient très peu de chances de pouvoir traverser plusieurs murs sans se faire tuer, d'autant plus qu'elles étaient attendus de pied ferme par des chasseurs alertés par les premiers tirs. Les chasseurs étaient si près les uns des autres qu'il n'était pas rare qu'ils se disputent pour savoir lequel d'entre eux était celui qui avait touché la tourterelle, lequel en était le propriétaire. C'est aussi un peu cette promiscuité dangereuse et cette immoralité qui a tué la chasse, ça pétaradait de partout sans discontinuer. Il y avait des incivilités, des reliefs de pique-nique qui n'étaient pas ramassés et polluaient la forêt et, au vu du très grand nombre de chasseurs, il y avait une autre pollution, celle par le plomb qui retombait un peu partout en grande quantité sur les sols, ainsi que les bourres, sans compter les douilles vides qui étaient jetées par centaines chaque jour au pied des pylônes ou sur les talus »[156].
Sans même faire de polémique chasse, anti-chasse, sans mettre en avant le fait que l'espèce était menacée, qu'il est immoral de chasser les oiseaux en période de reproduction, il était évident que cette chasse n'était plus viable, en l'état : il y avait beaucoup trop de chasseurs sur un trop petit territoire.
D'autres chasses en Médoc et la cueillette des champignons
Vivant au plus près de la nature, en milieu tout à la fois rural et maritime, les médocains ont toujours été attirés par la forêt et par l'eau, d'où leur goût pour la pêche, la chasse et la cueillette (champignons surtout).
Les autres chasses
Outre la chasse à la tourterelle qui a dû être abandonnée au vu des nombreux problèmes qu'elle posait, les habitants du Médoc ont pratiqué et pratiquent parfois encore d'autres chasses.
Parmi celles-ci, il y a la chasse avec appelants vivants qui consiste à attirer les oiseaux avec l'aide d'autres oiseaux de la même espèce, élevés ou capturés. Les oiseaux ainsi trompés se posent à côté de leur congénères dans les pins (palombes) ou sur l'eau (canards), à portée de fusil. Parfois, l'appelant peut être un simple appeau.
La chasse à la palombe se pratique généralement à partir de palombières ou de pylônes. La chasse au gibier d'eau, canards et oies sauvages (sauvagine) se fait de nuit, dans les marais, à partir d'une tonne.
Les médocains pratiquent aussi la chasse au petit gibier : grive musicienne, merle noir (turdidés)[158], ou à d'autres passereaux comme l'étourneau sansonnet…Certains pratiquent la chasse avec chien (faisan, perdrix, pluviers, vanneaux…) et la chasse plus confidentielle à la bécasse et à la bécassine, où il ne suffit plus d'avoir un simple chien de chasse mais un chien d'arrêt, bien dressé. La chasse à la passée, trop opportuniste, est interdite, sauf pour les canards.
Les médocains tirent aussi sur les lièvres et les lapins de garenne, mais il faut compter avec les maladies. Quant aux sangliers (cochons sauvages?), aux cerfs et aux chevreuils, leur population était en augmentation, surtout un peu plus au sud de la pointe de Grave. Ils sont chassés à l'aide de battues[159].
Les champignons
En ce qui concerne les champignons, les médocains cherchent surtout le magnifique et goûteux cèpe de Bordeaux (Boletus edulis), mais aussi beaucoup d’autres champignons.
D’autres bolets d’abord (en privilégiant les noms locaux) :
- le cèpe tête-noire (boletus aereus, dit aussi cèpe bronzé, ou tête-de-nègre)
- le cèpe de pin (boletus pinophilus)
- le cèpe bai (boletus badius) aux pores bleuissants. Il est aussi très bon, surtout jeune. Le bleuissement lorsqu'on le blesse, qu'on le coupe ou le meurtrit, est dû à un chromogène qui s’oxyde au contact de l’air. Une de ses particularités, il contient de la théanine, c’est même la seule source de théanine avec le thé. Une autre particularité moins agréable celle-ci, il est très sensible aux polluants, il fixe le césium 137.
- le cèpe d'été (boletus reticulatis)
- le pible, de l'ancien nom du peuplier (leccinum auriantiacum, dit aussi bolet orangé ou bolet rude). Il pousse à proximité des marécages. À manger plutôt jeunes (car la chair devient vite spongieuse) et sans la queue.
- Un autre champignon de la famille du pible, c'est-à-dire des bolets dits raboteux ou rudes (leccinum), en référence à leur pied rugueux, est le bolet dit des chênes verts (leccinum lepidum) que l'on trouve beaucoup au Verdon, un peu à l'intérieur des terres (vers les Cantines) et qui pousse, comme son nom l'indique sous les chênes verts.
Les médocains ne s’intéressent pas qu’aux bolets, ils ramassent toute une variété d’autres champignons :
- les catalans (Lactaires délicieux)
- les coulemelles (macrolepiota procera, ou lépiote élevée)
- les pieds-de-mouton (hydnum repandum), facilement reconnaissables car l'hyménium est fait de picots, blanchâtres à crème.
- les girolles (cantharellus cibarius, ou chanterelles)…
Les médocains sont aussi très friands et depuis toujours des bidaous (tricholoma equestre, ou tricholome doré) trouvés dans le sable.
Ce champignon mérite qu’on s’y arrête car ces dernières années, il a été déclaré dangereux, voire mortel consommé en trop grande quantité (plus de 300 grammes, même répartis sur plusieurs jours), ou trop régulièrement. Ceci a beaucoup étonné les girondins qui en consomment depuis des dizaines et des dizaines d’années sans avoir remarqué quoi que ce soit, sans avoir éprouvé le moindre petit malaise. Le bidaou est accusé aujourd'hui de provoquer des d'empoisonnements (rhabdomyoloses) intervenus après une consommation excessive ou répétée. On aurait recensé 12 cas mortels dans les années 1990. Il est interdit à la vente depuis 2001, classé désormais dans la catégorie des champignons toxiques.
La cueillette des champignons, en tous cas, voilà une activité qui ne prête pas à la polémique comme la chasse, sauf à pénétrer dans les propriétés privées.
La surveillance des côtes
De longue date, il est apparu nécessaire aux hommes d'exercer une surveillance et une protection des côtes.
Il s'agissait surtout au début, de prévenir, de se défendre et de protéger les populations locales contre des invasions ennemies. Cette nécessité a amené par endroit une défense des territoires toute militaire : fortification côtière, artillerie côtière… Ces dispositifs de garde-côtes terrestres auxquels ont pu s'ajouter plus tard d'autres moyens, maritimes cette fois, ne pouvaient être mis en place en tous lieux. Le besoin d'alerter des postes militaires éloignés a amené les hommes à inventer des moyens de communication rapides. Ces derniers, au fil du temps, ont été de plus en plus performants. Les appels sonores pour avertir et appeler à l'aide, tel "le cor de Roland" étant de faible portée, on préféra très vite l'utilisation pour communiquer de signaux optiques. Au début, ce fut de simples signaux de fumée colorés, des foyers lumineux (feux et torches), des pavillons et drapeaux…L'ingénieuse invention des frères Chappe (télégraphe) amène le déploiement des premiers sémaphores sur tout le territoire côtier.
Les premiers sémaphores
Les premiers sémaphores côtiers n'étaient pas dédiés à la sécurité des marins. C'était un outil de défense chargé de signaler par signaux optiques toute approche de l'ennemi.
Déjà, du temps des Romains, les postes militaires étaient prévenus d'un danger venu de la mer par des signaux de fumée communiqués depuis des tours de guet établies le long des côtes.
Au XVe siècle, les Génois avaient mis en place en Corse un système de surveillance maritime de 87 tours génoises communiquant entre elles par des feux.
Au XVIIe, le règne de Louis XIV est une longue suite de conflits qui opposent fréquemment la France et l'Angleterre. Jean-Baptiste Colbert, ministre d'État chargé entre autres du Secrétariat de la Marine, est à l'origine de l'utilisation sur nos côtes de messages codés à l'aide de pavillons de tissu à motifs colorés. Ce procédé continue à être utilisé de nos jours sur les navires pour se signaler ou pour communiquer entre eux.
En 1801, Charles De Pillon propose un système de communication inspiré du télégraphe de Chappe. Avec lui apparaissent les premiers sémaphores côtiers dont on peut considérer qu'il en est l'inventeur. Son dispositif très simple à installer, peu onéreux, consistait en un mât de douze mètres de haut environ sur lequel étaient articulés 4 bras pouvant prendre 301 positions pour autant de signaux possibles.
En 1806, Napoléon Ier demande au ministère de la Marine de mettre en place une surveillance de la circulation des navires depuis la terre. Charles De Pillon étant décédé trop tôt, c'est l'amiral Louis Jacob nommé préfet maritime qui va être amené à développer la construction des premiers sémaphores sur nos côtes. Mis au point à Granville, le système des sémaphores sera adopté par la Marine française à cette date et des postes de surveillance équipés de ce dispositif seront installés tout au long de la côte.
Un temps abandonnés après l'Empire, un décret de 1862 rétablit les sémaphores avec mission de service public. Dotés d'un télégraphe, le service n'est assuré que pendant le jour. Chaque sémaphore est un bureau télégraphique fonctionnant comme les autres bureaux et ouvert au public pour le service des dépêches privées (télégrammes). Les sémaphores sont également associés aux opérations de sauvetage et recueillent des informations météorologiques. Les sémaphores utilisent alors deux langages :
- les signaux basés sur les positions des bras articulés qui sont compris par les marins
- les signaux du "code international des signaux" datant de 1856, basés sur les pavillons colorés convertibles en lettres ou mots. Par exemple, l'association des pavillons blanc et rouge est comprise comme la lettre "C" ou le mot "oui".
Certains sémaphores étaient équipés d'un petit canon afin d'attirer l'attention de navires notamment en cas de visibilité médiocre et de péril.
À partir de 1897, le personnel de sémaphores est désormais géré par le Ministère de la Marine.
En 1958, le service de télégraphie est fermé. Les sémaphores sont désormais chargés de la surveillance de l'espace maritime, aérien et terrestre, militaire et civil. Ils doivent, en particulier, participer à la sécurité de la navigation et à la sauvegarde de la vie humaine dans la zone côtière.
Aujourd'hui, le sémaphore est un poste de surveillance opérationnel 24 heures sur 24. C'est un lanceur d'alerte chargé de la prévention et de l'assistance à la navigation en cas de péril, chargé de la régulation du trafic maritime et de la pêche. On compte 52 sémaphores sur tout le littoral français.
Le CROSSA Étel
En 1970 sont créés les CROSS (Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage). Dirigés par des administrateurs des affaires maritimes, les CROSS sont gérés par du personnel de la Marine nationale.
Le sémaphore de la Pointe de Grave travaille avec le CROSSA Étel (A comme Atlantique, Étel du nom de la commune du Morbihan où est établi le Centre de gestion), directement sous l'autorité du Préfet Maritime de l'Atlantique et du directeur interrégional de la mer Nord Atlantique-Manche Ouest. Il existe quatre autres Cross en France.
Compétent de la Pointe de Penmarc’h (Finistère) à la frontière espagnole, le CROSS Étel couvre huit départements littoraux et l’ensemble du golfe de Gascogne. Il emploie 67 personnes de statut civil ou militaire.
Il exerce les missions suivantes :
- La coordination du sauvetage en mer
- La surveillance de la navigation maritime et la sûreté des navires
- Le recueil et la diffusion de l’information nautique, les bulletins météo en radio VHF notamment.
En outre, le CROSS Étel est désigné Centre national de surveillance des pêches maritimes et a pour autre mission de surveiller les pollutions marines. En ce sens, les CROSS vont jouer un rôle primordial dans la perspective et la mise en œuvre du Brexit.
Ils recueillent les informations relevées par les avions et les hélicoptères des douanes et de la Marine nationale dotés de dispositifs de détection de pollution spécialisés. Ils exploitent ces informations et les transmettent aux autorités chargées du déclenchement du Plan Polmar (pollution marine). Ils concourent à la recherche des auteurs des pollutions sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
Les CROSS travaillent en lien étroit avec les sémaphores qui leur communiquent les appels de détresse.
Le sémaphore de la pointe de Grave
La Pointe de Grave est un endroit stratégique pour surveiller la navigation. Sur les cartes du XIXe siècle, on peut trouver la trace d'un premier sémaphore sur la dune de Saint-Nicolas, le point culminant de la commune du Verdon (une quarantaine de mètres de hauteur).
Pour exercer ces missions, le personnel du sémaphore dispose d'une "chambre de veille", au second étage, pièce équipée de larges baies vitrées permettant une observation à 360° située tout en haut d'une tour. Il dispose aussi de paires de jumelles très puissantes, d'un télescope orienté vers la zone maritime à surveiller, d'un radar dont on peut voir la grande antenne et de moyens de radiocommunication. Le rez-de-chaussée que les gardiens utilisaient autrefois pour y installer des couchettes n'est plus guère utilisé aujourd'hui. Les logements de gardiens sont situés désormais en contrebas, hors de la zone militaire sécurisée, tout près du monument aux Américains. Un blockhaus tout à côté a été transformé en bureau, un autre sert d'héliport.
En 1864, au Second Empire, le sémaphore de la pointe de Grave fut reconstruit tout au bout de la pointe, au sommet de la dune de dix-sept mètres de haut.
Détruit par les Allemands en 1943, il fut remplacé provisoirement par un simple poste d'observation jusqu'en 1951. C'est à cette date que le sémaphore fut reconstruit tel qu'on peut le voir actuellement. Il fait partie des 59 sémaphores surveillant le littoral français.
La "chambre de veille" est une construction de forme hexagonale entièrement vitrée permettant une observation tout à la fois du côté océan et du côté rivière. Un balcon surmonté d'une plateforme permet aux gardiens de sortir à l'extérieur de la tour pour une observation à l'aide des jumelles longue portée sans vitre interposée[160].
Aujourd'hui, en 2021, la surveillance est assurée par du personnel non navigant de la Marine nationale, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Au nombre de neuf, les militaires, trois guetteurs chaque jour, se relaient en haut de la tour quatre heures d'affilée, avec une coupure de huit heures : par exemple, de 12 heures à 16 heures puis de minuit à 4 heures[161].
Les passes, les tempêtes, les naufrages
Arrivés dans le golfe de Gascogne, les navires désireux de rejoindre l’estuaire de la Gironde doivent emprunter les passes. Ce sont des chenaux entretenus et surveillés permettant d’éviter les bancs de sable et les écueils. Les passes sont au nombre de deux, de part et d’autre du phare de Cordouan.
Les passes
- La passe sud (ou passe de Grave) est peu profonde et relativement étroite : elle ne peut être creusée davantage à cause du plateau rocheux de l'îlot de Cordouan qui la traverse. Elle est ouverte à la seule navigation des tout petits bateaux de pêche ou de plaisance, et de préférence en cours de journée et par beau temps.
Malgré la proximité des phares de Grave, de Saint-Nicolas et de Cordouan, la passe reste dangereuse la nuit car elle ne comporte qu’un petit nombre de balises, non éclairées. Par mauvais temps, la houle et les courants peuvent à tout moment faire dériver les bateaux et les drosser à la côte, sur les bancs de sable ou sur le rocher de Cordouan.
Le chenal de la passe sud chemine en effet entre le Banc des Olives situé à son entrée, à droite quand on se dirige vers l'estuaire (à proximité de la Pointe de la Négade à Soulac-sur-mer), puis on trouve à gauche, le plateau de Cordouan et le banc du Chevrier, puis pour finir, le banc du Gros Terrier et le Platin de Grave, à droite de nouveau, autant de dangers pour la navigation.
- La passe nord (ou grande passe) est appelée aussi passe de l’ouest car l’entrée du chenal est très avancée dans l’océan, entre le banc du Matelier et le banc de la Mauvaise. On rencontre, en se dirigeant vers l’estuaire le banc de la Coubre (près de la pointe de la Coubre). Au milieu du chenal, on rencontre un autre banc, celui de Montrevel puis beaucoup plus loin, le banc de Saint-Georges, sur l’estuaire. Contrairement à la passe sud, les balises y sont nombreuses et éclairées.
Concernant les phares, quand on entre dans l'estuaire par la passe nord on a du côté gauche, sur la côte de Saintonge, le phare de la Coubre à La Tremblade, le phare de la Palmyre devenu un radiophare, puis le phare de Terre Nègre, à Saint-Palais-sur-mer. Sur le côté droit, le phare de Cordouan. Cette grande passe est le chenal de grande navigation, il est emprunté obligatoirement par les tous les grands bâtiments, paquebots, cargos, pétroliers, porte-conteneurs…arrivant sur l'estuaire.
Les capitaines de ces bateaux doivent prévenir le port autonome de Bordeaux de leur désir de pénétrer dans l'estuaire de la Gironde douze heures au moins avant leur arrivée à la bouée dite d'atterrissage. Cette bouée nommée BXA pour le port de Bordeaux délimite au large de l'estuaire et de Cordouan les eaux profondes des eaux saines, c'est-à-dire sans danger tout autour : elle indique l'axe et le milieu du chenal.
Après s'être signalés à la capitainerie du PAB située à Bassens par contact radio, les capitaines attendent les ordres : c’est à partir de cette bouée que les navires seront pris en charge par les pilotes de la Gironde soit par radio guidage soit directement par la montée à bord d’un pilote.
La station de pilotage de la Gironde
La navigation à l'embouchure de la Gironde qui a de tout temps été dangereuse ne peut être envisagée que si on connaît parfaitement l'endroit et toutes les difficultés auxquelles on doit s'attendre en empruntant l'une ou l'autre des deux passes. Cette spécifité de l'estuaire de la Gironde a justifié l'installation au Verdon-sur-mer d'une Station de Pilotage.
Les eaux de l'estuaire sont en effet agitées par des courants contraires, les courants de flot (ou flux) à la marée montante allant à la rencontre des courants de la rivière (courant d'eau) et les courants de jusant (ou reflux) à marée descendante. L'eau salée de l'océan remonte très loin le fleuve quand la marée monte, les eaux douces de la Garonne et de la Dordogne profitent de la marée descendante pour aller vers l'océan. La rencontre des deux eaux est une zone qui peut s'avérer dangereuse de remous, de clapot et de tourbillons (maëlstroms). Ces derniers peuvent aussi se produire lors de la rencontre d'obstacles : le phénomène est très visible tout au bout de la jetée de la pointe, l'océan étant à notre gauche et la rivière, la Gironde, à notre droite quand on regarde vers Royan.
La houle du large ajoute à la dangerosité pour la navigation quand les courants sont contraires : venant de l'ouest en général, elle grossit et déferle sur les bancs. Le vent à l'origine des vagues ajoute à la déformation de la surface de l'eau, celles-ci pouvant à tout moment déferler en cas d'obstacle ou de diminution de la profondeur des fonds marins : banc, plage…
La rencontre des eaux qui se produit à chaque marée montante devient très spectaculaire entre juin et octobre lors des très gros coefficients de marée donnant à voir le phénomène du mascaret. Celui-ci se produit quand l'onde de marée rencontre un courant opposé de vitesse égale. Cette vague qui remonte l'estuaire puis les deux fleuves de Dordogne et Garonne sur plus de cent kilomètres peut par endroits atteindre la vitesse de vingt kilomètres à l'heure et la hauteur d'un mètre trente environ : irrégulière, elle dépend surtout des fonds marins, ralentissant si la profondeur diminue. Sur la Dordogne, on peut parfaitement observer le phénomène sur la commune de Vayres, depuis le port de Saint-Pardon, en aval de Libourne. Les surfers se donnent régulièrement rendez-vous pour un moment festif en période de mascaret : ils peuvent se maintenir sur leur planche ou leur paddle jusqu'à une dizaine de minutes.
Les courants par gros coefficient de marée (marées de vives-eaux) peuvent atteindre la vitesse de cinq nœuds (un peu plus de neuf kilomètres à l'heure).
Le répit consistant à l'absence de courant entre deux marées appelé étale est de très courte durée, toujours moins de vingt minutes : il y a deux étales de pleine mer et deux étales de basse mer par vingt-quatre heures.
Les mouvements de sable de la passe nord sont très importants, les bancs y sont en perpétuel mouvement, modelés par les courants, rajoutant du danger au danger : le banc de la Mauvaise en premier, à l'entrée du chenal, portant bien son nom, le banc du Matelier, le banc de Montrevel, la flèche sablonneuse de Bonne Anse (banc de la Coubre), les battures de Cordouan, puis tout à la fin, le banc de Saint Georges à la sortie des deux passes en face de la Pointe de Grave…
D'importants travaux de dragage ont eu lieu en 2013 et 2014 afin de sécuriser autant que ce peut cette entrée de la passe ouest. Un chenal de trois kilomètres et demi, large de trois cent mètres a été creusé rognant notamment le banc du Matelier afin de ralentir l'ensablement. Les granulats ont été récupérés. La profondeur à cet endroit pourra passer de onze mètres à quinze mètres environ. Les travaux "titanesques" ont nécessité l'utilisation d'une drague géante de cent cinquante mètres de long environ, le "Bartolomeu Dias" [162].
Les zones les plus dangereuses de la grande passe sont, du nord au sud :
- la pointe de Chassiron qui est le prolongement du plateau d'Antioche : il est absolument déconseillé de s'en approcher si la houle est supérieure à un mètre, la zone étant dangereuse en raison de déferlantes imprévisibles ;
- la côte ouest de l'île d'Oléron : l'endroit est rocheux avec peu de fond, dangereux à marée basse ou par mauvais temps. Le port de la Cotinière est difficile d'accès ;
- le banc de la Mauvaise : de sinistre réputation, confirmée par les multiples épaves dangereuses ensablées en bordure et en arrière du banc, impraticable par houle d'ouest ;
- le plateau de Cordouan et ses battures (bancs de roche séparés par des fonds plus ou moins grands) qui se découvre en partie à basse mer. Les hauts fonds à proximité varient de un à cinq mètres sans transition[163].
Comme dans beaucoup d'autres estuaires, les navires de commerce et de croisière ne peuvent naviguer sur celui de la Gironde sans faire appel à un pilote du Service de pilotage. La station est dirigée par un Président du Syndicat des Pilotes en liaison avec le représentant de l'État, le Préfet de Gironde[164].
Les hauts fonds présents un peu partout nécessitent une étude approfondie de la carte : la ligne de sonde de cinq mètres est en général la limite probable d'apparition des déferlantes. Toutes ces considérations de dangerosité de l'endroit justifient une connaissance parfaite de celui-ci justifiant cette aide du Service de Pilotage.
C'est à la bouée BXA (Bordeaux Atterrissage), à l'entrée de l'estuaire, que commence l'obligation pour les gros navires de se mettre en rapport avec la station de pilotage. Cette balise marque le début du chenal, elle est différente des autres : elle est noire et blanche, son feu est blanc, et elle est munie d'un dispositif qui la fait siffler sous l'effet de la houle.
Les capitaines des gros navires (d'une longueur inférieure ou égale à deux cent mètres) stationnés à cette bouée en attente d'instructions peuvent ensuite s'avancer, guidés par radio, jusqu'à la bouée verte 13A qui marque la jonction des passes nord et sud. C'est à hauteur de cette balise (point de transfert habituel qui peut varier cependant en fonction des conditions météorologiques) que les pilotes de la Gironde auront la possibilité de monter à bord du bateau et d'en prendre le commandement.
Le Pilotage de la Gironde assure ce service aux navires pour une centaine de kilomètres depuis le large jusqu’à Bordeaux sur la Garonne, et en aval de Libourne sur la Dordogne.
Dans certaines conditions, par beau temps et si le navire mesure moins de cent vingt mètres, le capitaine peut rester le maître à bord recevant simplement des conseils et l'assistance des pilotes de la Gironde par radio.
Dans la cas contraire, très grands navires, mauvais temps, transport de matières dangereuses ou polluantes…, un pilote du Verdon monte à bord et dirige lui-même les opérations de remontée de l'estuaire. Le pilote désigné prend la responsabilité de la traversée et donne les consignes de navigation.
Les pilotes basés au Verdon-sur-mer utilisent pour se rendre sur les bateaux une vedette rapide et par mauvais temps, ils peuvent être hélitreuillés depuis l'hélicoptère mis à leur disposition depuis 1985.
Ils disposent actuellement de deux vedettes du nom de "Quinoa" mise en service en 2010 et "Eider" depuis 2018.
Leur premier hélicoptère était de type Écureuil, c'est désormais un Eurocopter EC 135.
Les officiers de port surveillent les navires depuis cette bouée BXA et sur tout l'estuaire jusqu'à Bordeaux grâce aux images du radar installé à La Palmyre, l'un des plus puissants et des plus modernes d’Europe[165].
La totalité de l'estuaire et une partie de la Garonne, jusqu'au Pont de pierre à Bordeaux et même jusqu'à l'île d'Arcins à Latresne sont en domaine maritime. Commence ensuite la zone fluviale avec d'autres règles de navigation, d'autres balises.
Les pilotes de la Gironde sont des pilotes aguerris ayant la parfaite connaissance des fonds marins, des courants, des passes ainsi que de tous les dangers de l'estuaire. Ils sont nécessaires pour aider, assister, remplacer provisoirement les capitaines des gros navires la plupart du temps ignorants de la spécificité locale, venant souvent de pays étrangers ou de régions très éloignées de la côte girondine.
Le personnel de la station de pilotage est «un personnel commissionné par L’État pour la conduite des navires à l'entrée et à la sortie des ports, dans les ports, rades et eaux maritimes des estuaires, cours d'eau et canaux» précise l'article de loi L5000-1 du code des transports .
Il est fait mention de pilotes de la Gironde dès le début du XVIe siècle, l'obligation de pilotage remontant à l'édit de 1551 pris sous le règne d'Henri II : « le patron du navire, pour écarter tout danger menaçant la vie des hommes ou la cargaison, sera tenu, en tous lieux où la nécessité et l’usage le commandent, de prendre un pilote ; s’il ne l’a pas fait, il sera puni pour chaque fois d’une amende de 50 réaux d’or … ».
C’est en 1681 que l’ordonnance de Colbert marque le début d'une structuration de ceux que l’on appelait alors les « pilotes lamaneurs ».
À l’époque, la plupart des pilotes étaient des pêcheurs installés sur la côte charentaise. Ils se livraient une concurrence féroce allant à la quête de leurs clients très loin de l'embouchure de la Gironde, de l'Espagne au sud jusqu'en Bretagne au nord[166]. Au cours des siècles suivants, des stations de pilotage vont s'établir tout au long de l'estuaire. Il faudra attendre 1919 pour voir s’amorcer une vraie réorganisation de la profession sur les rives de l’estuaire avec l’arrêt de la concurrence et la mise en commun des moyens et des ressources,
En 1949, on assiste à une fusion de toutes les différentes stations pour n’en former plus qu’une, le « Pilotage de la Gironde».
Aujourd’hui, la station compte au maximum 27 pilotes actifs regroupés au sein du « Syndicat professionnel des pilotes maritimes » ainsi que 25 salariés répartis entre le siège administratif de Bassens et la base logistique du Verdon-sur-mer[167].
Les tempêtes
Par beau temps, le passage en bateau par l’une ou l’autre des deux passes de Gironde est très agréable et pratiquement sans danger. Par gros temps, au contraire, l'entreprise de rejoindre l'estuaire depuis l'océan est des plus périlleuses. Il y eut à cet endroit des passes et dans le golfe de Gascogne un nombre incalculable de naufrages, surtout autrefois lorsque les alertes météorologiques n’existaient pas.
Jules Michelet, le célèbre historien, dit en 1861 dans son livre « La Mer » que par temps de tempête, il faut déjà pouvoir trouver l’entrée de la passe :
« Celui qui manque Cordouan, poussé par du vent du Nord, a à craindre ; il pourra manquer encore Arcachon…le golfe de Gascogne, de Cordouan à Biarritz, est une mer de contradiction, une énigme de combats. En allant vers le midi, elle devient tout à coup extraordinairement profonde, un abîme où l’eau s’engouffre. Un ingénieux naturaliste la compare à un gigantesque entonnoir qui absorberait brusquement. Le flot, échappé de là sous une pression épouvantable, remonte à des hauteurs dont nos mers ne donnent aucun autre exemple. »
L’historien a passé six mois environ (de juillet à décembre 1859) en Saintonge, à Saint-Georges (Saint-Georges-de-Didonne aujourd’hui) pour écrire un livre. Il voyait la mer en ouvrant sa fenêtre et s’est rendu plusieurs fois sur la plage de Royan et sur les promontoires alentour. Il a pu selon ses propres mots admirer Cordouan, d'après lui un ouvrage audacieux due au génie de l'Homme, et a été témoin d’une tempête et d’un naufrage heureusement sans victimes, en octobre 1859 :
« La tempête que j’ai le mieux vue, c’est celle qui sévit dans l’Ouest, le 24 et le 25 octobre 1859, qui reprit plus furieuse et dans une horrible grandeur, le vendredi 28 octobre, dura le 29, le 30 et le 31, implacable, infatigable, six jours et six nuits, sauf un court moment de repos. Toutes nos côtes occidentales furent semées de naufrages. Avant, après, de très graves perturbations barométriques eurent lieu ; les fils télégraphiques furent brisés et pervertis, les communications rompues. Des années chaudes avaient précédé. On entra par cette tempête dans une série fort différente de temps froids et pluvieux... J’observai cette tempête d’un lieu aimable et paisible, dont le caractère très doux ne fait rien attendre de tel. C’est le petit port de Saint-Georges, près Royan, à l’entrée de la Gironde. Je venais d’y passer cinq mois en grande tranquillité, me recueillant, interrogeant mon cœur… A cette gaieté des eaux, joignez la belle et unique harmonie des deux rivages. Les riches vignes du Médoc regardent les moissons de la Saintonge, son agriculture variée... J’avais bien vu des orages. J’avais lu mille descriptions de tempête, et je m‘attendais à tout. Mais rien ne laissait prévoir l’effet que celle-ci eut par sa longue durée, sa violence soutenue, par son implacable uniformité… Du premier coup, une grande teinte grise ferma l’horizon en tous sens ; on se trouva enseveli dans ce linceul d’un morne gris de cendre, qui n’ôtait pas toute lumière, et laissait découvrir une mer de plomb et de plâtre, odieuse et désolante de monotonie furieuse. Elle ne savait qu’une note. C’était toujours le hurlement d’une grande chaudière qui bout.… Quand le vaisseau, emporté de la haute mer par cette houle furieuse, arriva la nuit près des côtes, il avait mille chances pour une de ne pas entrer en Gironde. A sa droite, la pointe lumineuse du petit phare de Grave lui dit d’éviter le Médoc ; à sa gauche, le petit phare de Saint-Palais lui fit voir le roc dangereux de la "Grand’Caute" du côté de la Saintonge. Entre ces feux blancs et fixes éclatait sur l’écueil central le rouge éclair de Cordouan, qui, de minute en minute, montre le passage. Par un effort désespéré, il passa... »
Si l'on continue à lire ce chapitre sur les tempêtes écrit par Jules Michelet dans son livre "La Mer", on s'aperçoit que si le bateau en difficulté qu'il observe depuis la côte réussit à entrer dans la passe ouest, c'est pour finalement s'échouer à Saint-Palais sans faire de victimes heureusement.
- Une tempête atypique, assez ressemblante à celle qu'il a été donné à voir à Jules Michelet, aussi longue, se déroula du 17 au 21 septembre 1930. Elle dura quatre jours et cinq nuits frappant toute la côte atlantique : 27 thoniers disparurent provoquant la mort de 207 marins.
Les tempêtes récentes
Les dernières tempêtes, les plus récentes, ont marqué les esprits de nos contemporains ayant souvent des conséquences dramatiques. Sont-elles plus violentes? plus nombreuses et rapprochées? plus médiatisées?
Elles ont occasionné en tous cas des dégâts humains et matériels considérables, davantage d'ailleurs sur terre que sur mer car les marins avertis par les opérations vigilance de Météo-France ont davantage le temps aujourd'hui de mettre leur navire à l'abri : il y a moins de drames en mer qu'autrefois.
Depuis 1954, on attribue aux tempêtes un prénom, masculin ou féminin selon les années paires ou impaires, sur une idée d'une étudiante puis météorologue allemande, Karla Wege (de), décédée en 2021. Ce système a été adopté en premier par le service météorologique de l'université de Berlin d'où l'attribution, du moins au tout début, de prénoms à consonance germanique. Depuis 2017, le nom qui est attribué aux tempêtes est choisi en concertation par les services météorologiques de la France, de l'Espagne et du Portugal pour les dépressions du littoral atlantique et sur leur territoire. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'Irlande ont leurs propres prénoms pour les tempêtes sévissant sur leur pays.
- le 7 novembre 1982, une tempête qui frappe la France depuis la veille atteint les côtes d'Aquitaine.
Des rafales à plus de 100 km/h impactent la Gironde et les départements plus au Nord : les Landes sont épargnées. La dépression atlantique extrêmement creuse génère un vent violent qui est la cause de nombreux dégâts : chutes d'arbres et de poteaux électriques, toitures arrachées, inondations, bateaux drossés à la côte ou subissant des détériorations dans les ports[168]…
- le 4 octobre 1984, la tempête Hortense, première du nom, est particulièrement violente avec des vents en rafales à 160 km/h, arrachant les toits des maisons, déracinant ou cassant les arbres, coulant des bateaux dans les ports, privant d'électricité les habitants, les lignes aériennes étant coupées par les chutes d'arbres ou à cause des poteaux renversés ou cassés.
- la tempête d'octobre 1987 sur toute l'Europe puis sur le golfe de Gascogne avec des vents violents et de fortes précipitations a causé aussi de nombreux dégâts matériels : le fait que le phénomène se soit passé de nuit avec un coefficient de marée faible a permis d'éviter sans doute des destructions plus considérables et des drames humains.
- le 07 février 1996, une nouvelle dépression atlantique impacte la côte atlantique et une partie de la France avec le record des vents les plus violents enregistrés officiellement (133 km/h) jusqu'au nouveau record qui sera établi lors de la tempête Klaus en 2009. Des rafales encore plus fortes à près de 180 km/h dans le Médoc coïncideront avec la marée haute.
Les conséquences du passage de cette tempête qualifiée de «tempête du siècle d'une violence inouïe» le lendemain par le journal Sud-Ouest sont dramatiques. La forêt est très touchée : un nombre incalculable d'arbres, plusieurs centaines, se retrouvent à terre ou sont écimés notamment dans les Landes. 260 000 foyers sont privés d'électricité. La population est aussi privée de téléphone, plus d'une centaine de poteaux ont été arrachés. Des arbres tombent sur les voies arrêtant la circulation des trains. Des bateaux rompent leurs amarres et se fracassent sur les digues ou s'échouent sur les plages partant à la dérive. De nombreuses toitures s'envolent. La Garonne et la Dordogne débordent provoquant de nombreuses et dramatiques inondations[169].
Surtout, on dénombre cinq morts et plusieurs dizaines de blessés dans notre région du sud-ouest. Une promeneuse à Bordeaux écrasée par la chute d'un arbre, un pêcheur de pibales disparu avec son bateau à Saint-Yzans-de-Médoc …font partie des victimes[170].
À la suite de cette tempête, Météo-France met en place de nouveaux services destinés à mieux anticiper les risques de submersions marines dont le projet VIMERS (du nom de "vimer de mer" désignant en Bretagne une forte tempête avec ou sans submersion marine). Ce projet est coordonné avec le SHOM (Service Hydrologique et Océanographique de la Marine) qui étudie les marées et le Cérema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Ce projet initié sur la Bretagne car financé partiellement par la DREAL Bretagne et le Conseil Régional local, a vocation à s'étendre à tout le territoire.
L'année 1999 fut marquée par deux terribles tempêtes : Lothar et Martin.
- le 26 décembre 1999, la tempête Lothar dévaste le nord de la France.
- le 27 décembre 1999, c'est le sud du pays qui est touché par la tempête baptisée du nom de Martin. Dans le massif forestier aquitain, déjà touché par la tempête de 1996, pas moins de 32 millions de mètres cubes d'arbres sont détruits, essentiellement des pins maritimes. Dans le Médoc, 40 000 hectares de forêts sont ravagées, une catastrophe sylvicole sans précédent, du jamais vu.
En Gironde, on frôle l'accident nucléaire : deux réacteurs de la centrale du Blayais se retrouvent à l'arrêt car l'eau est passée par dessus la digue protégeant les lieux.
Le bilan humain est très lourd. On comptera 27 personnes décédées en Aquitaine. Les victimes sont réparties sur tout le territoire d'Aquitaine : treize sont originaires du département de la Charente-Maritime, huit de la Charente, trois de Gironde, deux de Dordogne et une du département des Landes : un nombre important de ces morts furent victimes de chutes d'arbres. Le bilan économique de la tempête Martin approche des quatre milliards d'euros de dégâts.
On peut citer trois autres tempêtes faisant aussi d'importants dégâts dans la région : dégâts des eaux, toits arrachés, chute d'arbres et de poteaux électriques, etc… : Renate, Klaus et Xynthia, cette dernière étant la plus grave du point de vue humain avec 53 victimes en Vendée à cause des inondations.
- la tempête Renate le 3 octobre 2006 :
L’Aquitaine et l’Auvergne sont les régions les plus touchées. Les vents les plus forts atteignent la vitesse de 130 km/h dans les terres, plus de 160 km/h sur le littoral accompagnés de précipitations remarquables.
On ne compte plus les innombrables interventions des pompiers, les routes coupées par les inondations, les foyers sans électricité et téléphonie… On déplore un mort et de nombreux blessés. L'économie locale est à l'arrêt, les services publics et de nombreuses entreprises sont à l'arrêt, il n'y a plus de ramassage scolaire, les écoles sont fermées…
- la tempête Klaus du 24 janvier 2009 : énormément de sinistrés, parfois privés de maisons pour une longue période.
Le Sud-Ouest est le plus impacté, les vents sont des plus violents. On dénombre douze victimes et plus de quatre cent blessés en France du fait de la chute d’arbres, de projections de débris de toiture, d'accidents divers de voiture ou de chutes des toits, d'électrocution dus aux fils tombés à terre, de la privation d'électricité, certaines personnes ne pouvant plus par exemple faire fonctionner leurs appareils respiratoires…d'autres personnes s'intoxiquant au monoxyde de carbone du fait du mauvais fonctionnement de leurs appareils de chauffage d'appoint ou de leurs groupes électrogènes.
Les dégâts considérables sont estimés à plus d'un milliard d’euros. La forêt landaise a énormément souffert, fragilisée par les deux journées très pluvieuses des 22 et 23 janvier. Certaines parcelles ont été détruites à 60 %.
- la tempête Xynthia fut des plus meurtrières. Elle frappa la France durant la nuit du 27 au 28 février 2010 et une partie de la journée du 28 février. La conjonction de la tempête et de la pleine mer, avec des marées de fort coefficient (102), amena la rupture des digues dans maintes localités, conduisant à de fortes inondations :
- en Vendée à La Tranche-sur-Mer, L'Aiguillon-sur-Mer, La Faute-sur-Mer…
- en Charente-Maritime à Aytré, Fouras, Châtelaillon-Plage, Boyardville, La Rochelle, Charron...
- en Gironde à Andernos-les-Bains, Cap Ferret…
Xynthia provoqua la mort de cinquante-neuf personnes dont trente-cinq en Vendée et vingt-neuf sur la seule commune de La Faute-sur-Mer. Beaucoup d'habitants durent abandonner leurs logements pour ne jamais y revenir, logements promis à la destruction car classés désormais en zone inondable. Près de 700 maisons en contrebas de la digue du fleuve côtier Lay ont été rachetées par l'État pour être ainsi détruites à La Faute-sur-Mer et à L'Aiguillon-sur-Mer. Elles étaient situées à un mètre cinquante sous le niveau de pleine mer des vives-eaux.
Les rafales de vent ont dépassé les 160 km/h à l'Île de Ré et sur les Deux-Sèvres, bien plus violentes encore sur les Pyrénées soufflant à près de 240 km/h au pic du Midi.
Les dommages occasionnés par la tempête Xynthia ont été évalués à plus de deux milliards d'euros.
- la dernière tempête en date est la tempête Alex en octobre 2020. Comme les précédentes, celle-ci participe grandement à l'érosion de la côte. À Soulac-sur-Mer, par exemple, l'estran est fortement dégraissé provoquant l'élévation de la plage de près d'un mètre, tout le sable emporté se déposant en partie sur le banc de Saint-Nicolas. La dune est emportée en divers endroits de la côte atlantique, à l'Amélie, à la pointe de la Négade…avec un recul de deux à cinq mètres par exemple à Lège-Cap-Ferret.
Classement des tempêtes
Depuis 1997, Météo-France privilégie un classement des tempêtes portant le nom d'une de ses ingénieurs, Christine Dreveton qui l'a inventé.
Elle est plus pratique que l'échelle de Beaufort prenant en compte toutes les caractéristiques des tempêtes et non plus seulement la seule vitesse du vent.
Cette classification vise ainsi à faciliter le travail des assurances devant indemniser les victimes de tempêtes pour les dégâts subis. Elle donne davantage de lisibilité en ce qui concerne la localisation, la trajectoire, la durée, la surface touchée, etc. La qualification des vents en termes de cyclones, typhons, ouragans, etc. correspond surtout à une dénomination prenant en compte l'endroit du globe où se produit le phénomène. Les tornades sont un autre phénomène météorologique : elles sont, semble-t-il, de plus en plus nombreuses sous nos latitudes. De violents orages accompagnent souvent les tempêtes, ils en sont même à l'origine. Celles-ci, outre le vent, sont accompagnées en général de fortes précipitations : pluie, neige, grêle…On ne peut pas dire par contre que les marées ont une influence sur la météo, même si celles-ci, au moment des grandes marées, peuvent constituer un facteur aggravant quant aux destructions occasionnées
Météo-France a défini aussi pour chaque tempête un indice de sévérité dénommé SSI (Storm Severity Index) de douze échelons qualifiant le phénomène d'exceptionnel, de fort ou de modéré. Cet indice prend en compte la vitesse maximale des rafales et la surface affectée par celles-ci en utilisant la formule du climatologue anglais Hubert Horace Lamb (en).
La classification Dreveton range les tempêtes en 12 types, en utilisant 2 lettres qui peuvent être une majuscule ou une minuscule. Le fait d'utiliser une minuscule à la place d'une majuscule indique une "atténuation" : faible dépression, dépression peu étendue, dépression localisée, dépression stationnaire[171]…
Pour l'exemple, la tempête Xynthia, la plus grave humainement et pour les inondations est classée SD par Météo-France (déplacement large et étendu), sans aucune minuscule qui pourrait atténuer la gravité des dégâts occasionnés. Si la tempête en elle-même n'avait rien d'exceptionnel en soi du point de vue des vents, les phénomènes de submersion (Ondes de tempête) ont eu de telles conséquences dramatiques (morts, destructions, …) que les assureurs en sont mieux renseignés : Sd aurait indiqué une dépression locale, peu étendue.
Par ailleurs, pour minimiser leurs dépenses, les assureurs tentent de gérer le risque tempête autrement en agissant en amont sur la prévention, en exigeant que l'assuré prenne tel ou tel type de précaution, voire même, comme le fait la MAIF, en prévenant elle-même l’assuré que la tempête arrive et qu’il doit suivre certaines prescriptions[172].
La météorologie maritime
De nos jours, grâce aux progrès faits en termes de prévisions météorologiques, surtout depuis l'observation de la Terre par satellite, de nombreux drames humains sont évités. Il est difficile de trouver des statistiques et des comparatifs selon les années mais on peut estimer que les naufrages dus au mauvais temps, sont très rares aujourd'hui sur l'océan atlantique comme sur les passes de Gironde. Quand on consulte les bilans des interventions de la Société de sauvetage (SNSM), les accidents maritimes encore trop nombreux sont dus à des avaries, au mauvais entretien des matériels, à des imprudences… Sur les océans et sur les mers du monde, ils concernent moins les petits bateaux que les gros navires, le nombre de naufrages de bateaux de plus de cent tonnes ayant lui-même été divisé par deux les dix dernières années[173].
Les dictons des marins d'autrefois sont amusants et explicites : "Femme de marin, femme de chagrin", mais aussi "Qui écoute trop la météo passe sa vie au bistro"… N'empêche que la météorologie maritime permet aujourd'hui de prévenir les navigateurs suffisamment à l'avance de l'arrivée prochaine du mauvais temps. Cela leur permet de prendre leurs précautions et de se mettre eux-mêmes à l'abri ainsi que leur bateau. De la sorte, de nombreux drames en mer sont évités, il y a beaucoup moins de naufrages de nos jours qu'autrefois.
En fait, les Hommes s'intéressent très tôt, depuis l'Antiquité, aux phénomènes météorologiques. On croit savoir que le terme "météorologie" fut inventé par le philisophe grec Aristote au premier millénaire avant Jésus-Christ. Avant lui, Anaximandre de Milet déjà, avait déclaré que la colère des éléments pouvait trouver une explication et n'avait pas de cause divine, ce que l'on pourrait considérer comme une première approche scientifique.
La recherche météorologique, au début, se fait de manière empirique et reste tout de même liée à des croyances. Elle n'a pas encore toute la rigueur scientifique nécessaire, d'où la subsistance très longtemps, jusqu'à récemment, des nombreux dictons liés aux saisons, à l'agriculture et à la navigation.
La météorologie fait de rapides progrès
L'invention d'instruments de mesure remarquables et de divers dispositifs et appareils vont faire progresser cette nouvelle science au fil des siècles : le thermoscope par exemple, ancêtre du thermomètre, perfectionné sous le nom de thermomètre de Galilée, le baromètre inventé par Evangelista Torricelli, l'anémomètre dont l'existence est connue depuis le XVe siècle inventé par Leon Battista Alberti, mais qui sera perfectionné au XVIIe siècle…
Blaise Pascal découvre que la pression diminue également avec l'altitude. Edmund Halley cartographie les alizées. Benjamin Franklin montre que la foudre est un phénomène électrique et parle de l'influence du Gulf Stream. Luke Howard donne des noms aux nuages. Francis Beaufort imagine une échelle qui classe les vents en fonction de leur vitesse et décrit leurs effets sur les vagues. Gaspard-Gustave Coriolis décrit la force qui porte son nom. William Reid décrit les dépressions, leur comportement et leur rôle dans les phénomènes de tempête… En même temps, les premiers réseaux d'observation se développaient.
En 1654, on doit à Ferdinand II de Médicis la création en Italie d'un véritable réseau météorologique entre plusieurs grandes villes : Florence, Parme, Bologne…
En 1837, l'invention fondamentale du télégraphe par Samuel Morse permet la transmission rapide des informations météorologiques.
En 1849, Joseph Henry établit sur tout le territoire américain, à l'instar de ce qui s'est fait deux siècles plus tôt en Italie, un grand nombre de stations d'observation partageant leurs informations à l'aide du télégraphe électromagnétique de son invention.
En 1873, les pays les plus avancés dans le domaine de la recherche météorologique, une dizaine de nations européennes plus les États-Unis, créent l'Organisation météorologique internationale (OMI).
En 1902, le météorologue français Léon Teisserenc de Bort étudie l'atmosphère grâce à l'utilisation massive de ballons-sondes. Cela lui permet de découvrir deux couches qu'il baptisa des noms de troposphère et de stratosphère. Il ne put découvrir les couches supérieures trop hautes pour les ballons-sondes mais ouvrit la voie au développement de l'aérologie appliquée à la météorologie. On a pu ainsi par la suite établir l'existence d'une zone intermédiaire et l'étudier, la tropopause bien connue des avionneurs comme une zone de turbulence et de température minimale : un réchauffement pouvant atteindre jusqu'à une dizaine de degrés peut se produire en entrant dans la stratosphère.
En 1919, l'école de Bergen, en Norvège, sous la direction de Vilhelm Bjerknes, développe l'idée de front météorologique : discontinuité entre deux masses d'air expliquant la formation du mauvais temps, des dépressions (basses pressions), des anticyclones (hautes pressions)…
La météorologie pendant la Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, la météorologie devient un outil essentiel de l'effort de guerre. Des écoles sont mises sur pied afin de former des météorologues en grand nombre, aussi bien en Angleterre qu'en Allemagne. Certains n'hésitent pas à parler de "Guerre météorologique de l'Atlantique nord" pour décrire cette compétition entre les nations belligérantes qui consistait à se procurer les meilleurs renseignements, tout de suite mis au service de la statégie et de la planification des opérations militaires. Le routage météorologique des navires devint la règle. Le trajet des convois de ravitaillement pouvait être changé à la dernière minute. Ceux-ci pouvaient être ajournés de même que le déploiement de l'aviation qui pouvait être modifié en fonction des prévisions scientifiques des météorologues, très écoutés des états-majors.
La météorologie après guerre
En 1951, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) est fondée par l'ONU en remplacement de l'Organisation météorologique internationale qui avait été créée en 1873 : son rôle est de diffuser des données météorologiques le plus largement possible de par le monde.
De fait, la veille météorologique en mer avait débuté depuis longtemps par des observations humaines : les capitaines de navires notaient dans leur journal de bord les conditions de navigation. C'est à partir de 1853 que ces observations ont fait l'objet d'un échange international à la suite d'une réunion qui se tint à Bruxelles. Le but principal était d'améliorer et de standardiser la prise des données météorologiques et océaniques visant à améliorer la sécurité maritime.
De nouveaux instruments seront ensuite développés. Les chercheurs David Atlas et John Stewart Marshall mettent au point les premiers radars météorologiques.
En 1960, le premier satellite météorologique (TIROS-1) est mis en orbite. Celui-ci marque le début de la collecte de données météorologiques depuis l'espace beaucoup plus précises que celles fournies par les stations terrestres. Les télécommunications par ondes radio au début du XXe siècle puis par satellites viennent révolutionner la distribution des informations.
Les satellites permettent de recueillir des informations dans des zones peu couvertes par les autres formes d'observation du temps : les systèmes de télédétection remplacent les observateurs humains. Ils donnent des informations très affinées sous forme de messages numériques codés qui sont présentées le plus souvent sous une forme graphique très accessible à l'analyse.
Le développement des ordinateurs plus puissants dans les années 1970 et des superordinateurs dans les années 1980 mène à une meilleure résolution des modèles de prévision numérique du temps.
Au début des années 2000, le développement de l'internet permet des prévisions très précises, très affinées du temps qu'il fera dans les prochains jours. Cela profite à tous les marins de la planète : prévenus généralement très longtemps à l'avance, jusqu'à sept jours, ils peuvent se préserver de toutes les tempêtes en cessant de naviguer, en allant se mettre à l'abri le temps qu'il faut.
La vigilance météorologique
Depuis 2001, en France, la vigilance météorologique est une procédure mise en place par Météo-France en collaboration avec le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Équipement, des Transports, de l'Aménagement du territoire, du Tourisme et de la Mer et le ministère de l'Écologie et du développement durable.
Des alertes informent les Français et les pouvoirs publics en cas de phénomènes météorologiques dangereux. Les points de vigilance concernés sont le vent, la pluie, les orages, la neige, le verglas, les avalanches pour la montagne, la canicule, le grand froid et les vagues-submersion pour les côtes.
La météorologie maritime se concentre plus particulièrement sur le domaine marin : vents, houle, températures air et eau, marées, etc. Cette spécialité constitue une composante primordiale pour le routage en navigation, maritime et aérienne. Elle est divisée en deux composantes : la météorologie côtière et la météorologie de la haute mer.
Le balisage et les marins eux-mêmes au service de la météo
Avec le développement de l'électronique, des bouées fixes ou dérivantes ont été équipées d'appareils de prise de mesure automatique de tous les paramètres en temps réel. Telle la bouée Gascogne Ouest Arcachon qui donne le niveau de houle. On peut trouver d'autres bouées météorologiques au large du Cap-Ferret, de Saint-Jean-de-Luz, de l'île d'Oléron, de l'île d'Yeu…et des bouées fixes en pleine mer, très éloignées des côtes, telle la bouée no 62001 et la bouée no 62163. Toutes ces bouées donnent de précieux renseignements à Météo-France.
Les observations en mer sont depuis longtemps effectuées plus ou moins régulièrement par les marins embarqués sur des unités des marines nationales, de la marine marchande, par des pêcheurs travaillant sur des chalutiers hauturiers ou côtiers, par des scientifiques affectés sur des navires océanographiques. Ils prennent note de la force et la direction du vent, de la température et l'humidité de l'air, du type et de l'intensité des précipitations, du givrage par les embruns, de la visibilité et de l’état de la mer en général. Ces informations sont transmises par radio ou par satellite vers des banques de données accessibles à tous que l'on peut facilement interroger à distance.
Les naufrages
Si l’on ne s’en tient qu'aux naufrages provoqués par le mauvais temps, les mauvaises conditions de navigation et les tempêtes, l’endroit particulièrement dangereux des passes de la Gironde avec de nombreux écueils cautionne déjà la présence sur place d’un sémaphore (poste d’observation), d’un Cross (centre organisationnel d’alerte et de secours), de la SNSM (secours au plus près des marins en danger).
Les naufrages dans le golfe de Gascogne, les passes de la Gironde et l'estuaire de la Gironde très nombreux autrefois sont de nos jours davantage dus à des imprudences, des facteurs accidentels (défaillances mécaniques, avaries, pannes de moteur, incendies, vétusté…), beaucoup moins à cause des intempéries. Il y en a moins de naufrages et ils ont en général des conséquences moins graves grâce aux progrès techniques, à l'évolution des prévisions météorologiques, à l'intervention rapide des secours.
Pour donner une idée de l’activité importante et de l’utilité, de la nécessité de la SNSM, on peut citer les statistiques publiées par l’association :
En 2019 par exemple, sur tout le littoral français, le bilan de la SNSM est le suivant :
- 3932 interventions, dont 1550 de SAR (« Search and Rescue ») : 398 interventions rien que pour le CROSS Étel dont 143 interventions à hauteur du département de la Gironde
- 7240 personnes secourues
- 3457 flotteurs impliqués : navires de commerce ou à passagers, bateaux de pêche, navires de plaisances à moteur et à voiles, navires fluviaux, planches à voile, engins de plage, kitesurf, kayak, avirons de mer, … Les plaisanciers à moteur sont les plus impactés car souvent très imprudents (20 morts en 2019) ainsi que les pêcheurs (11 morts en 2019) qui prennent le plus de risques
- 40 personnes embarquées décédées ou disparues
Ces chiffres ne concernent que les interventions par bateau (Sauveteurs embarqués) et ne comptabilisent pas les secours sur les plages, les accidents de plongées (autonome avec bouteille, ou apnée), les missions de sécurité civile, les hélitreuillages, etc. Si l'on comptabilise tous les accidents concernant les autres missions de la SNSM, on passe à quatre-vingts morts au lieu de quarante en 2019.
Un téléfilm de 2010, "Tempêtes" retrace la vie quotidienne de ces sauveteurs, ces hommes courageux prenant tous les risques pour venir au secours des marins. La tragédie du 7 août 1986, sur les rochers de Kerguen à Landéda au bout de la presqu'île de Sainte-Marguerite qui coûta la vie à cinq de ces héros en est la triste illustration.
Autrefois, il n'était pas rare non plus que les naufrages soient malheureusement provoqués intentionnellement par les hommes eux-mêmes.
La folie, la convoitise, la cupidité, la bêtise furent la cause de nombreux drames humains, d'affreuses tragédies : la course, la piraterie, les conflits entre les pays ou nations étaient autrefois autant de dangers de mort pour les marins.
Par exemple, en janvier 1627, une tempête exceptionnelle frappe le golfe de Gascogne. Sept navires portugais coulent et s'échouent sur les côtes atlantiques dont le "Sao Bartolomeu" près de Lacanau, le "Sao Filipe" au Grand Crohot à Lège, la "Santa Helena" près de Capbreton. Deux de ces bateaux, des caraques chargées de richesses diverses ramenées de l'Inde, étaient escortés de galions de guerre pour les protéger. Le bilan humain fut estimé à deux mille morts environ dont beaucoup appartenaient à la noblesse portugaise. Moins de trois cent personnes furent sauvées. Tout du long des côtes atlantiques, des marchandises et des matériels de toute sorte se retrouvèrent sur les plages : de grandes quantités d'épices (poivre, cannelle, noix de muscade, clous de girofle…), de riches tissus tels que les indiennnes, du mobilier et des objets d'art tels que ceux qu'on peut admirer au Musée de la Compagnie des Indes à Lorient. Des centaines de canons, une fortune en diamants et pierreries fut engloutie, disparue…
Cette tragédie nous fut rapportée par Francisco Manuel de Melo et par le capitaine de l'un des galions miraculeusement sauvé. La confrontation de toutes les sources a permis de montrer que toutes ces richesses ont surtout profité aux pilleurs d’épave de la côte landaise et plus particulièrement au duc d’Épernon, Jean-Louis de Nogaret de La Valette[174]…Le droit de bris sous l'Ancien régime alimenta parallèlement ce que certains qualifient toutefois de légendaire, l'existence de naufrageurs.
Ainsi Jules Michelet qui s'est toujours passionné pour la mer et les gens de mer écrit [175]:
« ...ils pilleraient tranquillement sous le feu de la gendarmerie. Encore, s'ils attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu'ils l'ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les vaisseaux sur les écueils »
Une cinquantaine d'années plus tard, Guy de Maupassant décrit quelque chose de ressemblant[176] :
« ...les naufrageurs devaient attirer les vaisseaux perdus en attachant aux cornes d'une vache dont la patte était entravée pour qu'elle boitât, la lanterne trompeuse qui simulait un autre navire »
Un des plus gros drames, la plus grande catastrophe maritime française, eut lieu dans le golfe de Gascogne il y a une centaine d'années. Le 12 janvier 1920 le paquebot français de la Compagnie des Chargeurs Réunis, l'Afrique fit naufrage dans le Golfe de Gascogne. Il y eut 568 victimes.
De nombreuses épaves jonchent les fonds marins près des côtes visitées par les plongeurs sous-marins, parfois visibles à marée basse de vives-eaux. On peut citer parmi celles-ci l'épave du Hollywood, un paquebot américain échoué le 29 novembre 1945 au large de Soulac-sur-mer.
Sur l'estuaire et la Garonne, les Allemands ont sabordé près de deux cents navires en août 1944 faisant autant d'épaves au fond des eaux. Certains bateaux ont pu être renfloués tel le bac Le Cordouan coulé dans Port-Bloc, d'autres ont pu être enlevés car en eau peu profonde. D'autres restent à jamais au fond de l'océan ou de la rivière.
Parfois, les grandes marées font resurgir ce qu'il reste de grands navires sur les plages mêmes. Ainsi, à Contis, dans les Landes, à chaque grande marée, depuis le 21 mars 2011 (marée d’équinoxe exceptionnelle de coefficient 118) reparaît l'épave du "Renow" échoué là le 13 janvier 1889. Le naufrage de ce grand navire métallique qui transportait du charbon illustre parfaitement le danger qu'il y a à trop s'approcher des côtes, notamment landaises.
D’autres épaves y sont visibles, telles que les deux présentes sur la plage de Lespecier à Mimizan : celle de l'Apollonian Wave, un pétrolier grec de 9 800 tonnes, et celle du Virgo, un cargo grec. Ces deux navires pris dans une forte tempête se sont échoués à une centaine de mètres d’écart dans la journée du 2 décembre 1976.
On peut citer pour illustrer la dangerosité du banc de la Mauvaise le naufrage par temps de tempête décembre 1968 du Liberty Ship Azuero qui fut coupé en deux. Tous les passagers furent sauvés grâce à l'intervention du canot Capitaine de Corvette Cogniet de la SNSM et d'un hélicoptère de la Gendarmerie.
Un des derniers drames s'étant déroulé dans le golfe de Gascogne est le naufrage du cargo porte-conteneurs italien Grande America, le 12 mars 2019 : les vingt-sept hommes d'équipage furent sauvés mais le bateau en sombrant fut à l'origine d'une nappe d'hydrocarbures d'environ dix kilomètres de long sur un kilomètre de large. Celle-ci fit craindre aux autorités une marée noire qui aurait pu toucher le littoral de Gironde et de Charente-Maritime trois à quatre jours plus tard. Le Grande America qui gît partiellement enfoncé sur un banc de sable par quatre mille six cent mètres de fond est intègre. Les conteneurs restant à bord ne présentent pas de risque de remontée à la surface. La zone du naufrage reste sous surveillance aérienne et par satellite. Finalement, la pollution a été réelle mais limitée gràce à toutes les mesures prises.
L’enquête historique menée par Jean-Jacques Taillentou[177] recense de Biscarrosse à Tarnos près de 180 naufrages entre le XVIIe siècle et 1918 :
« À l’époque, la côte landaise était encore plus dangereuse qu’aujourd’hui car il n’y avait aucun repère. Il n’y avait pas de villages, pas de balises, pas de ports, de très forts courants et des bancs de sable. Sans compter les tempêtes du golfe de Gascogne et les énormes erreurs de navigation. En clair, lorsque les marins se trouvaient à proximité de la côte, il était bien souvent trop tard »
La Société nationale de sauvetage en mer (SNSM)
La solidarité des gens de la mer face aux accidents maritimes près des côtes est à l'origine au fil du temps de la création de sociétés de sauvetage plus ou moins bien organisées et structurées.
Jusqu'au XIXe siècle, ces groupements de personnes volontaires pour venir en aide aux marins en difficulté manquaient pour la plupart de moyens financiers. Elles étaient le fruit d'initiatives locales, leurs équipements étaient limités. Ainsi, en 1825, est créée la Société Humaine des Naufrages de Boulogne et en 1834, celle de Dunkerque.
Le naufrage de l'Amphitrite en 1833 que la population boulonnaise put voir en direct si l'on peut dire depuis la côte (133 morts) puis celui de la Sémillante en 1855 près des îles Lavezzi (773 morts) vont particulièrement marquer l’opinion publique et contribuer à la création de structures mieux organisées.
Le 12 février 1865, la Société centrale de sauvetage des naufragés (SCSN) voit ainsi le jour à l'initiative de l’amiral Rigault de Genouilly. Sous la protection de l’impératrice Eugénie qui lui offre son premier canot à avirons à l'époque, semblable aux maquettes que l'on peut voir au Musée national de la Marine de Port-Louis dans le Morbihan, la SCSN se développe rapidement. De nombreuses stations sont créés en Bretagne de 1865 à 1867.
En 1873, Henri Nadault de Buffon crée la Société des hospitaliers sauveteurs bretons (HSB).
Après la seconde guerre mondiale, les deux sociétés de sauvetage, SCSN et HSB fusionnent à la demande des pouvoirs publics. En 1967, ce rapprochement donne naissance à la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) reconnue d'utilité publique en 1970. Ses statuts sont ceux d'une association loi de 1901 dont le siège est à Paris. Elle comporte des membres actifs, des membres d'honneur et des membres associés, donateurs ou bienfaiteurs. Son but est de secourir bénévolement et gratuitement les personnes en danger en mer, sur les côtes, les voies navigables et les plans d'eau et de participer aux missions de sécurité civile. L’amiral Amman, son fondateur, en est le premier président.
De 2013 à 2019, elle sera dirigée par Xavier de la Gorce[178]. Depuis le 12 décembre 2019, le nouveau président est Emmanuel de Oliveira, ancien préfet maritime pour l'Atlantique.
Une station de sauvetage à la pointe de Grave
Concernant proprement dit la pointe de Grave, la Société centrale de Sauvetage des naufragés (SCSN), ancêtre de la SNSM, va chapeauter dès 1865, à sa création, la station dite alors de l’Embouchure de la Gironde. Secourant les personnes en danger sur l'océan, près des côtes et dans l’estuaire de la Gironde, la SCNM assure le sauvetage à l'aide de bateaux à vapeur : remorqueurs, chalutiers…
En 1953, la SCSN affecte à Port Bloc un canot de sauvetage, le "Capitaine de Corvette Cogniet". En même temps, fut construit dans Port Bloc, un ascenseur à bateau électrique permettant de mettre à sec, à l'abri quand il est inutilisé, le canot de sauvetage protégé ainsi des tarets. L'ascenseur à bateaux sera détruit lorsque la SNSM quittera Port Bloc.
Le "Capitaine de Corvette Cogniet" était un canot tous temps de 1re classe, c'est-à-dire ayant l'autorisation de sortir pour effectuer des opérations de sauvetage dans n'importe quelle condition de vent et de mer. Reconnaissable à sa coque de couleur verte, il était insubmersible, autoredressable. Construit en bois en 1952 par les chantiers navals de Fécamp, il mesurait un peu plus de quatorze mètres et était équipé de deux moteurs diésel Baudoin de 55 CV lui permettant une grande manœuvrabilité alliant vitesse et stabilité. Il a servi pendant 18 ans à Port-Bloc jusqu'en 1971, date à laquelle il rejoint la station de l'Aber-Wrac'h à Landéda dans le Finistère. Ce bateau aura malheureusement un destin tragique : dans la nuit du 6 au 7 août 1986, il se fracasse sur les rochers de Kerguen en portant secours à un voilier en détresse sur l'île du Bec causant la mort des cinq membres de l'équipage.
En 1967, la SCSN change donc de nom et de statuts devenant la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Depuis 1995, la pointe de Grave dispose d'un nouveau canot tous temps de près de 18 mètres de long, le "Madeleine Dassault" immatriculé SNS 085 financé pour moitié par le groupe Marcel Dassault. Ce bateau fut baptisé du nom de l'épouse de l'industriel français qui avait été kidnappée en 1964. La coque du bateau est en composite fibre de verre et résine polyester et est équipé de deux moteurs diésel Iveco de 380 CV. Il a été complètement restauré à Léchiagat en 2013 durant trois mois : entretien peinture et replastification de la coque, révision mécanique et électronique... Durant son absence, le sauvetage a été assuré par les canots de Royan et de la Cotinière[179].
En 2005, le port d'attache de la SNSM devient Port-Médoc.
La Fête de la mer
« Depuis 1954, une Fête de la Mer est organisée en août à la Pointe de Grave (le 15 août en général, parfois le 14 juillet) afin d'alimenter la caisse du Comité local de sauvetage. À cette occasion, est organisé une procession de bateaux munis du grand pavois.Un hommage sur l'eau est rendu aux marins disparus en mer, une gerbe bénite est jetée à l'eau depuis le canot de sauvetage puis tous les bateaux de la procession sont bénis. Une messe a lieu sur le baliseur ou sur le quai en plein air. Des balades en mer sont organisées. Toute la journée, le site de Port-Bloc accueille une fête foraine. Des concours sont organisés : pêche, pétanque...La SNSM vend des insignes. Côté animations, on peut citer au fil des ans : des courses à la godille, des courses à l'aviron, des courses à la poursuite de canards lâchés dans le port, des courses à la nage (traversées du port) avec la participation une année de Jean Boiteux et Christine Caron (qui ont plus que distancer leurs adversaires), des joutes nautiques... Il y avait aussi le mât de cocagne (sur le gréement du bateau-feu, de cinq ou six mètres), des concours de déguisements, des démonstrations très spectaculaires de sauvetage, parfois avec un système de poulie tendu depuis le fort jusqu'au quai du Balisage (la personne secourue passait d'un bateau à l'autre, au-dessus de la foule, dans une "bouée-culotte"), d'autres fois avec hélicoptère, des jeux de kermesse (courses en sac, course à l’œuf dans une cuillère, le chamboule-tout avec des boîtes de conserves, la course en arrière (au rétroviseur)... Tout cela se terminait en général par un vin d'honneur offert à la population, un feu d'artifice, puis un bal »[180].
La douane maritime
Quand en 1953, les douanes maritimes, plus exactement dit, la Garde-Côtes des douanes françaises, s'installent à la Pointe de Grave, ils disposent d'une première vedette, le "Directeur Général Collin de Sussy". Une Cité des douanes de 18 logements pour accueillir le personnel et leur famille (tous occupés) est créée en 1954. Deux maisons supplémentaires sont construites en suivant, derrière la Cité des Douanes, près du phare de Grave, afin de loger les cadres des Phares et Balises.
Cela représentait un afflux de population important pour le bout de la pointe et une vingtaine d'enfants pour l'école. La municipalité de l'époque, un moment tenté par une classe unique sur place, a finalement opté pour la mise en place d'un service de ramassage scolaire vers l'école du Bourg.
Très rapidement, le service des douanes s'est développé et s'est doté d'un matériel sophistiqué et notamment un superbe bateau très rapide, la vedette Suroît (deux moteurs développant une puissance de 960 chevaux et dont le rayon d'action s'étendait de Saint-Gilles-Croix-de-Vie à Saint-Jean-de-Luz). Cette brigade garde-côte sera transférée du Verdon à Royan, en 1983.
À Soulac, par exemple et au hasard, en 1815, 9 enfants sur 24 sont fils ou filles de douaniers. C'est la profession la plus nombreuse avec celle de saunier[181]. Il faut remonter à Révolution pour trouver trace de la Ferme générale, institution qui avait pour vocation de prendre en charge la recette des impôts indirects, droits de douane, droits d'enregistrement et produits domaniaux. Celle-ci disparaît au bénéfice de la Régie des douanes (créée le ) : la douane maritime est, alors, organisée et récupère ainsi en France 270 embarcations pour 1 200 marins.
Un mémoire des archives nationales précise son implantation et sa composition : entre autres, 3 grandes pataches sont affectées à Bordeaux et au Verdon.
Cette administration dispose alors d'un personnel nombreux permettant à l'État de garantir un contrôle précis, dans les eaux françaises, des flux de marchandises, monétaires ou de personnes et conduisent, aussi, les douaniers à exercer de plus en plus de missions "non-douanières" auxquelles ils sont habilités. Ils obtiennent le droit d'injonction, d'arrêt par la force et l'usage des armes, si nécessaire, d'accès, de contrôle et de fouille, de visite des navires et des marchandises, des moyens de transport et des personnes, de confiscation, saisie ou retenue des marchandises de fraude et de sommes d'argent…
L'allée de Rabat
On ne peut pas parler de la Pointe de Grave sans évoquer une route quasi-mythique et magique pour tous ses habitants de l’après-guerre, jusque dans les années soixante-dix : l’Allée de Rabat, un tronçon de la D 1215. (Quelle est l’origine de son nom?). Fin dix-neuvième, c'était l'ancienne voie empruntée par les wagonnets à traction hippomobile transportant depuis le port du Verdon les blocs utilisés à la construction de la jetée de la pointe de Grave. Cette route, la seule, l’unique route qui permet aux habitants de rejoindre le bourg du Verdon-sur-mer, était après guerre une route de forêt de chênes verts sans éclairage, très noire, avec une frondaison très resserrée, formant voûte, ne permettant d’apercevoir une seule étoile, la nuit. Aucune habitation, la maison du garde forestier du coin du Chemin de la Claire était désaffectée, n’étant plus qu’une ruine. Cette route était, de plus, flanquée d’un cimetière tout au bout de l'allée, en bordure du chemin, sans aucune barrière, ni délimitation (sauf des chaînes, tendues entre des poteaux en ciment, au ras du sol), où étaient enterrés tous les soldats Allemands, morts pendant l’épisode de guerre de la poche de la Pointe de Grave : juste des croix (avec des noms ou la marque "Inconnu"[182]) sur les tombes (au nombre de 102[183], une tombe double)[184], le sinistre cimetière militaire allemand ! Cette route alimentait toutes les peurs des habitants de la Pointe de Grave devant se rendre au Bourg, de nuit, accompagnés des bruits de la forêt et des cris des animaux nocturnes. En 1960, elle avait été le lieu d’une tentative de meurtre suivie d’un suicide[185] ce qui, à l’époque, n’était pas pour rassurer les habitants. Les jeunes gens de la Pointe voulant se rendre, le soir, au bal ou à la fête du village, évitaient de se déplacer seuls. Ils traversaient «la zone dangereuse» en pressant le pas, parfois même en courant, ou bien en pédalant un peu plus vite quand ils étaient à vélo, pour arriver rapidement en zone découverte (après guerre, jusque dans les années soixante, très peu de personnes possédaient un véhicule). Ils s'organisaient parfois en partant plus tôt, en fin de journée, quand il fait encore jour, mais le retour était inexorablement de nuit.
Après 1964, il y eut une exhumation des corps des soldats allemands pour les regrouper au cimetière militaire allemand de Berneuil, (notamment les soldats inconnus), en Charente-Maritime. Le cimetière de Berneuil a été inauguré le 24 juin 1967 et abrite aussi une partie des 490 prisonniers de guerre allemands décédés du typhus, à Saint-Médard-en-Jalles (camp de Germignan) ainsi que les corps de soldats allemands tués par les maquisards, dans les poches de Royan et Pointe de Grave. D'autres corps ont été récupérés par leur famille, en Allemagne, via une association d'amitié franco-allemande, et le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge.
Aujourd'hui, l'allée de Rabat a un peu d'éclairage public, la végétation y est beaucoup moins luxuriante, des arbres ont été coupés, les sous-bois nettoyés, l'allée gardant tout de même l’aspect d’une route de forêt, légèrement ombragée, non habitée, avec des zones de pique-nique.
"Cette partie de la forêt, en lisière de la façade estuarienne de la Pointe de Grave, présente un intérêt historique et paysager remarquable" d'après la DREAL Aquitaine (Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement). "Les chênes verts qui composent l'essentiel du couvert forestier témoignent des premiers ateliers de plantations de dune au XIXe siècle et créent une ambiance paysagère tout à fait originale". Le site est classé "Site d'intérêt pittoresque" par un décret du 07/04/1939. La Dreal regrette que "la majeure partie de ce site soit actuellement dédiée à l'accueil du public et que son utilisation avec des aires de pique-nique transforme la vision d'une forêt exceptionnelle en parc public banalisé. L'allée de Rabat est une invitation à rentrer en forêt et son aspect visuel actuel demande une requalification pour lui redonner son attrait premier. Le site protégé, dans son périmètre actuel, ne répond que très partiellement aux enjeux de préservation et de réhabilitation de ce paysage exceptionnel, d'intérêt national et européen et une extension du site classé à l'ensemble de la Pointe de Grave est à l'étude"[186].
Le Chemin latéral
Dans le prolongement de l’allée de Rabat se situe le Chemin latéral, bien connu aussi des habitants de la Pointe de Grave, avant-guerre et après-guerre. Ce chemin permettait et permet toujours aujourd’hui aux habitants de Pointe de Grave de rejoindre le Bourg, au plus court, sans passer par l’ancienne route qui traverse le hameau du Logis. Ce chemin a sans doute été aménagé pour le passage des véhicules en même temps que la construction de la ligne de chemin de fer, c’est-à-dire vers 1900, la ligne Le Verdon-Pointe de Grave étant achevé en 1902 ; ou plus probablement, fin dix-neuvième, pour livrer passage aux wagonnets à traction animale transportant depuis le port du Verdon, les blocs utilisés à la construction de la jetée de la pointe de Grave. Ce chemin a largement été emprunté par les véhicules allemands pendant la guerre 39-45 puis par les véhicules américains après-guerre, tous les deux ayant participé à en faire un chemin carrossable. Ce chemin est latéral (d’où son nom) par rapport à la ligne de chemin de fer qu’il côtoie tout du long, ou si l’on veut aussi, latéral par rapport à la plage de la Chambrette dont il est séparé par un cordon dunaire. Il côtoie sur une grande partie le nouveau port de plaisance, Port-Médoc. Il rejoint directement, depuis la Pointe, la rue de la Batterie (ancien Chemin de la Batterie) au Verdon, et permet d’éviter les deux passages à niveaux se situant à chacune de ses extrémités. Il restera pour beaucoup le Chemin Latéral, appellation qu'il a gardée pendant des dizaines d'années. D'aucuns, dans « Mémoires de Verdonnais »[187], parlent encore aujourd'hui du Chemin Latéral et non de l’avenue de la Chambrette, nom qui lui a été donné récemment : il a d’ailleurs, au vu de sa largeur, davantage l’aspect d’un chemin que d’une avenue. Il est coupé, sur un côté, par un seul autre petit chemin, en son milieu, venant du quartier du Logis, chemin baptisé aujourd’hui Passage Grenouilleau. Il a été modifié en son extrémité nord ne donnant plus directement sur l’allée de Rabat mais sur une nouvelle route rejoignant Port-Médoc, l’allée de Déclide. Des maisons en nombre limité ont été édifiées sur la bande dunaire, après 1950, entre le chemin et la plage, s'appuyant pour certaines sur les éléments défensifs en béton, restes des bunkers du Mur de l’Atlantique. En 1975, c’est le long de ce chemin qu'a été construit le siège des pilotes de l'estuaire, associant poste de contrôle et logements[188].
Le hameau du Logis
Le quartier du Logis est un hameau historique du Verdon-sur-mer déjà cité par l’abbé BAUREIN, en 1784. C’est l’endroit où se sont naturellement regroupés les tout premiers habitants de la pointe de Grave, le long et de chaque côté de la seule route de l’époque menant au bout de la presqu’île, route qui fut longtemps dénommée départementale no 1 (puis D101) de la Gironde (D1215 aujourd’hui). Il y avait d’autres habitants à la pointe de Grave mais l’habitat était plus épars, plus diffus, dans la forêt, en bordure d’océan ou de rivière. Le hameau s’étalait tout le long de la route, limité par le cordon dunaire à l’est (Port Médoc aujourd'hui), toute la zone marécageuse à l’ouest, la forêt de Rabat au nord. Le quartier était emprisonné pour la plus grande partie entre le Marais du Logis et la ligne de chemin de fer. La limite sud pourrait être aux confins du marais du même nom, c'est-à-dire à la barrière de chemin de fer, tout près de la gare du Verdon. On pourrait dire aujourd’hui que le Logis se situait le long de l’avenue de Pointe de Grave depuis la barrière de chemin de fer, à la fin de l’allée de Rabat, au nord (première barrière), jusqu’à la deuxième barrière, au sud, tout près de la gare. Pour faire plus simple, le hameau du Logis s'étendait tout le long du marais du même nom, le Marais du Logis. On disait dans les années soixante, de "chez Rabenne" à "chez Verrier", du nom des habitants, de barrière à barrière. Or, la carte IGN confine le hameau à l'extrémité sud du marais dans le triangle entre la voie de chemin de fer, la route de la Batterie et la nationale D1215, le résumant à quelques maisons, et l'écrit avec un "t" à la fin! Il existe aujourd'hui (2020) quelques panneaux indicateurs (Logit avec un "t") le signalant dans cette zone mais plus aucun panneau de localisation de hameau de type E31. On ne comprend d'ailleurs pas trop cette carte IGN : le marais du Logis est bien écrit avec un "s" mais lorsqu'on agrandit la carte, en faisant un zoom, en se rapprochant, il change de nom et on le retrouve écrit avec un "t"!
Le quartier est coupé par la première rue rencontrée menant au Bourg, à savoir le Chemin de la Batterie, à peu près au niveau où le chenal de Rambeaud (du Logis ?) traverse la route.
Les plus anciens recensements de la population du Verdon font état, pour Le Logis, de : 41 habitants en 1891, 57 en 1896, 82 en 1901, 84 en 1906, 69 en 1911, 62 en 1921, 83 en 1926.
Le Verdon et ses marais : marais du Logis, marais du Conseiller
La ville du Verdon-sur-mer est cernée par les marécages : le Marais du Logis au nord et nord-est, le Marais du Conseiller à l'est, et au sud-ouest. Ceci a amené la commune, de tout temps, à mener des plans de lutte contre les moustiques. Qui ne se souvient, dans les années cinquante, de la jeep (des pompiers?) sillonnant les rues du village, de la Pointe à Soulac, équipée d'un canon à DDT, bombardant cet insecticide sur tous les arbres et fourrés qu'elle rencontrait, ainsi que sur les plans d'eaux. Il fallait rentrer vite et fermer toutes les portes et fenêtres : l'odeur (légère) n'était pas trop désagréable, mais cela piquait les yeux et pouvait faire éternuer.
Plus connu sous le sigle DDT, le dichloro-diphényl-trichloroéthane (synthétisé en Suisse en 1939) est un insecticide qui a été largement utilisé à partir des années 1950 pour lutter contre le paludisme et le typhus avec des résultats spectaculaires. Le DDT avait sauvé bien des vies, dans les troupes alliés, dès la seconde guerre mondiale. Mais voilà, il est interdit en France en 1971, puis placé en 2001 sur la liste des "12 salopards" (en référence au film) par la Convention de Stockholm. Des études récentes publiées par l'OMS en 2006 montrent qu'il n'était pas si toxique que ça pour l'Homme et préconisent son retour dans certaines circonstances[189] : bien sûr, pas en grande quantité et de manière extensive comme ça avait été fait dans l'agriculture, par exemple. Dans la nature et en grande quantité, il a été prouvé qu'il n'avait pas, bien sûr, de discernement en ce qui concerne les insectes qu'il tuait, mais aussi qu'il pouvait être responsable de la disparition d'oiseaux, de poissons, etc.
Aujourd'hui, la lutte consiste surtout à s'attaquer aux larves.
Le marais du Logis jouxte donc, à l'ouest, le hameau du Logis, limité au nord par la forêt de Rabat, à l'ouest par la forêt domaniale de Pointe de Grave, au sud par le chemin du Toucq. Cette zone humide d'environ 91 hectares (dont 49 hectares de bassins), se situe au nord du bourg du Verdon, bordée par une zone forestière plantée de chênes verts séculaires, classée Espace Naturel Sensible (42 hectares de bordure forestière humide). La lisière ainsi créée augmente la richesse biologique de ce milieu à la fois doux et saumâtre (eaux pluviales pour les eaux douces, eaux de l'estuaire pour les eaux saumâtres). Dernière étape littorale avant l'estuaire de la Gironde, le marais du Logis est une halte privilégiée pour les oiseaux migrateurs. Il est formé de bassins d'eau douce, déconnectés du système hydraulique estuarien et alimentés par le bassin versant et les remontées d’eau souterraine, et de bassins d'eau saumâtre alimentés par le chenal du Logis (ou chenal de Rambeaud aujourd'hui) qui traverse la zone urbanisée du bourg du Verdon. Le chenal est jalonné d’ouvrages (écluses et clapets) dont la manipulation permet de faire remonter ou non l’eau saumâtre dans le marais. Les bassins, lorsqu’ils existent encore, sont séparés par des bosses (prairies) anciennement pâturées. Longtemps après guerre, il y eut sur ce territoire une ferme, et des vaches laitières paissaient dans ces prairies. Exploité dès le XIIe siècle, le marais du Logis a permis au fil du temps diverses activités : saliculture, pêche et chasse, ostréiculture, élevage, tourisme… Ancré dans la mémoire locale de la Pointe de Grave, ce marais a subi une déprise agricole et un manque d'entretien qui augmentait les risques d'inondation. La commune l'a racheté en 1979 et l'a ouvert au public après l'achat de terrains contigus par le Conseil général de la Gironde. Un plan de gestion a été établi de 2006 à 2010 par l'association locale Curuma afin de restaurer sa fonctionnalité : capacité auto-épuratoire, entretien des ouvrages, création d'un champ d'expansion des crues…CURUMA CPIE Médoc (Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement en Médoc) est une association de protection de l'environnement qui travaille auprès des acteurs du Médoc afin de promouvoir une gestion durable des espaces naturels humides et la pérennisation en ces lieux d'activités socio-économiques soutenables. L'assocciation a été fondée en 1993 à la suite de la création d’une autre association chargée de tester les possibilités d’élevage des gambas dans les marais de la Pointe du Médoc. Curuma tire son nom du japonais "Kuruma ebi", espèce de crevette (Penaeus japonicus) élevée depuis le début des années 1990 dans les marais maritimes médocains.
Il a été établi à l'aide des conseils de l'association, un suivi de la qualité du milieu : salinité, température, concentration en oxygène… et a été programmé un entretien régulier du site : maintien des haies, débroussaillage, entretien des zones boisées, des fossés… Les traitements anti-larvaires ont été limités par une démoustication régulière. La biodiversité du site est évalué régulièrement : amphibiens, cistudes, odonates (libellules) papillons…Un pâturage alterné (vaches et chevaux) est mis en place. La municipilalité actuelle (2020) parle de faire du marais du Logis "l'écrin du Verdon".
Au sud-ouest du bourg, se trouvent les marais du Conseiller qui s'étendent sur plus de 200 hectares. Ils sont constitués à la fois de dépressions adoucies (Giraudeau, Grands Maisons), déconnectées du système hydraulique estuarien et alimentées par le bassin versant, et de bassins saumâtres alimentés par le chenal du Conseiller et le chenal du Port. Ces chenaux alimentent les zones de la Vissoule, du Proutan et du Conseiller, à partir de l'estuaire de la Gironde par l'intermédiaire de la darse du Verdon.
Une Association syndicale des marais du Conseiller fut créée en 1843 par ordonnance royale. Sur la carte de l'Atlas du Département de la Gironde (1888), ces espaces sont devenus des réservoirs à poissons. Cette activité a perduré longtemps encore pendant la première moitié du XXe siècle comme le prouvent d'anciennes cartes postales, se doublant parfois de la récolte du sel dans des marais salants : les augmentations et diminutions du cadastre indiquent la construction d'un entrepôt de sel en 1875 (parcelle A 1635, appartenant à Moynet).
Avec l'aménagement de l'avant-port du Verdon, les marais du Conseiller sont achetés progressivement par le Port Autonome de Bordeaux à divers propriétaires privés, pour la plupart ostréiculteurs ou exploitants agricoles. En 1974, la route menant au môle et traversant les marais est aménagée. En 1980, le Port Autonome devient le propriétaire principal de cette zone. Une partie des marais du Conseiller est alors remblayée en prévision d'aménagements qui ne seront finalement pas réalisés. Les marais sont dès lors laissés à l'abandon même si une association tente de relancer une activité aquacole. En 1992, le Conseil général de la Gironde achète trois hectares avec le projet de valoriser les marais de la Pointe du Médoc, tout en préservant les zones humides. L'association Curuma, assure depuis la conservation et la préservation de ces espaces (en même temps que le marais du Logis), tout en contribuant à la réintroduction de l'activité conchylicole.
Le chenal du Conseiller se prolonge au Nord par le chenal de Rambeaud, rejoignant le Marais du Logis au centre du Verdon, et par le chenal de la Vissoule à l'Ouest[190].
L'élevage de gambas
Dans ces mêmes marais (Marais du Conseiller), fin des années 1980, on procéda au Verdon à une expérimentation d'élevage de gambas. La question était de savoir si cette crevette originaire de l'Océan Indien et de l'Océan Pacifique ( Penaeus japonicus, de son nom scientifique) s'acclimaterait bien dans le Médoc. Et serait-ce rentable?
De tels essais avaient déjà eu lieu en France, notamment, tout près, en Charente, en 1984.
Des fermes aquacoles ont été aménagés, la gestion étant confiée à l'IFREMER (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) qui dépend du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les quantités récoltées se sont accrues au fil des ans : 240 kg en 1984, 750 kg en 1985, 2 800 kg en 1986, 4 275 kg en 1987.
En 1981, le CEPRALMAR, une association créée en 1981, regroupant des élus et des professionnels de la mer, reprend les essais de grossissement sur une base plus extensive encore. Elle obtient des résultats encourageants mais les coûts de production restent élevés. La crevette japonaise, dite aussi crevette impériale, nécessite beucoup de soins. C'est un animal aux mœurs nocturnes : la journée, elle reste enfouie dans la vase, ne sortant que la nuit pour se nourrir. Les marais doivent être entretenus en fonction : il faut les vidanger sans les vider complètement pour garder la vase du fond, l'ensemencer pour détruire les prédateurs : poissons, crustacés, ou larves d'insectes, comme par exemple les larves de libellule. Il faut renouveler l'eau régulièrement, calculer la nourriture qu'on leur donne en fonction de la quantité de crevettes dans l'élevage. Il faut disposer d'une étendue d'eau suffisantante : 5 hectares au moins.
Il faut amener l'électricité au milieu du marais. Toutes ces exigences coûtent très cher, et ce n'est que soutenue par la puissance publique que l'activité a pu se développer[191].
La pêche de la pibale
Une autre pêche traditionnelle au Verdon est la pêche de la civelle, dite pibale localement. Cette pêche est très réglementée, seuls quelques pêcheurs professionnels sont autorisés à la pratiquer à cause de la diminution constante de la ressource.
La pibale est l'alevin de l'anguille, poisson migrateur qui se reproduit à des milliers de kilomètres de l'estuaire de la Gironde, dans la mer des Sargasses. La larve de l'anguille arrive sur nos côtes d'octobre à mai après un long voyage, et commence alors la remontée des cours d'eau : poisson catadrome. Cette reproduction en un seul lieu, si loin, n'a apparemment pas encore été prouvée scientifiquement, les balises posées sur des anguilles ne nous conduisant pour le moment qu'aux Açores.
Les pibales sont toute petites, moins de soixante-quinze millimètres, lorsqu'emportées par les courants et les marées, elles pénètrent dans l'estuaire de la Gironde ou le Bassin d'Arcachon. Les pêcheurs les capturent de la rive ou d'un bateau posté à l'entrée d'un chenal, de nuit en général, à marée montante. Cette pêche est très réglementée, très surveillée, un quota de pêche est fixé qu'il ne faut pas dépasser. Une fois ce quota atteint, la pêche s'arrête. Les autorisations pour la pratique de cette pêche spécifique étant limitées, les licences sont très difficiles à obtenir.
Tout du long de sa remontée des fleuves, la pibale grossit, se transforme : elle perd sa transparence, se noircit , puis devient "anguille jaune", tout d'abord. Trop petite pour la pêcher à l'hameçon, on utilise pour l'attraper un tamis au maillage très fin. En bateau, on tend généralement au milieu d'un chenal, des filets à mailles très fines, à contre courant : les civelles portées par la marée sont "drossées" au fond du filet (pêche appelée drossage).
Sur le site du Verdon, les pêcheurs pratiquent un tour de rôle pour positionner leurs bateaux en tête du chenal. Pour que ça soit équitable, le premier (la meilleure place) devient le dernier le lendemain. La période de pêche autorisée est, en général, janvier et février. Le maillage ne doit pas permettre d'attraper des pibales plus petites que 0,75 cm.
La pibale pêchée au Verdon jusque dans les années 1970 , en surpopulation à l'époque, était consommée sur place, d’octobre à avril. Elle n'avait aucune valeur marchande, on l'appelait même le "plat du pauvre". On donnait le surplus aux poules qui en raffolaient. L'anguille avait été déclarée espèce nuisible. Trop nombreuses, les anguilles empêchaient les autres poissons de bien se nourrir, notamment tous les salmonidés qui voyaient leur population diminuer.
L'engouement des espagnols, des japonais, des chinois…pour cette petite bête va complètement changer la donne. Devenue très rentable, la pêche, ouverte à tous, a amené un braconnage et une surexploitaion.
La ressource a diminué très rapidement amenant l'intervention des autorités de la pêche et un durcissement de la loi. Le prix sur le marché, en 2019, était d'environ 400 euros par kilo[192]. La civelle est devenue, dès lors, l'objet de tous les trafics. Cette même année, un réseau international a été démantelé : depuis le Médoc, les civelles, via l'Espagne puis le Portugal, terminaient dans les assiettes en Asie[193].
Les anguilles, menacées d'extinction, sont aujourd'hui protégées. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a élaboré, au niveau européen, un plan de sauvegarde de l'espèce. L'anguille fait aussi partie, au niveau mondial, de la liste des animaux protégés par la Convention de Washington : ces accords visant à protéger toutes les espèces en danger sont connus sous le nom de CITES en anglais (Convention on International Trade of Endangered Species)[194].
Les thoniers basques et espagnols
Un évènement pratiquement rituel a fortement frappé les esprits des habitants de Pointe de Grave dans les années cinquante et début soixante : l'arrivée des thoniers basques et espagnols, au mois d'août, dans Port Bloc. À cette période, les anchois sont dans le golfe de Gascogne chassés par les thons qui remontent vers le Nord. Les thoniers espagnols et basques capturaient ces anchois pour leur servir d'appâts vivants (conservés dans des viviers) pour attraper les thons à la ligne. Dès qu'un avis de tempête était signalé, ils venaient s'abriter au plus près, pendant deux ou trois jours, à Port Bloc. C'était quelque chose de grandiose que de voir le port empli de thoniers à pavillon espagnol ou basque débordant littéralement de bateaux (jusqu'à 102) : ne restait plus qu'un fin chenal pour la sécurité afin de pouvoir entrer et sortir du port, en cas de nécessité. Et quelle animation sur les quais et à la Pointe de Grave! La communication entre marins pêcheurs et la population n'était pas toujours facile car très peu parlaient français, mais ils se montraient très généreux : c'était l'assurance pour beaucoup de verdonnais de repartir avec du thon et des anchois pour plusieurs repas.
Les commerces, les animations
À Pointe de Grave, point d’épicier, point de boucher, point de charcutier, point de boulanger, ni de pâtissier… point de pharmacie, ni de médecin. Les commerces se sont de tout temps regroupés dans le bourg, sauf peut-être une épicerie à l’extrémité du Logis, mais assez éloignée, tout près du village. Les habitants, pour faire leurs courses, devaient donc se déplacer, se rendre au bourg, mais après guerre, peu de personnes avaient un véhicule. Le plus souvent, ils attendaient patiemment le passage d’un service à domicile, assuré par les commerçants du bourg eux-mêmes, en camion, en voiture…. « On allait au fourgon ! ». Des noms de commerçants sont restés gravés dans la mémoire des anciens : Gaillard, Ronzié, Baleau, Trépaud… et le nom des porteuses de pain. On se souvient aussi du passage des livreurs de pains de glace, de bois de chauffage, puis de charbon (gaillette, boulets…), puis de fuel, plus tard… pour le chauffage. Dans les années cinquante, la majorité des gens chauffaient encore leurs habitations avec des poêles à bois ou à charbon et préparaient toujours leurs repas à l’aide d’une cuisinière qui fonctionnait grâce à la combustion d’une de ces deux matières. Dans beaucoup de familles, on continuait à utiliser des cuisinières datant du début du siècle (le XXe). En fonte noire, d’un poids énorme et d’une solidité à toute épreuve, elles comportaient une plaque de foyer conçue pour faire chauffer deux casseroles, un four et une réserve d’eau chaude : leurs ornements et leurs boutons de préhension étaient la plupart du temps en laiton.
Le passage du limonadier était très guetté par les enfants : ils étaient friands de sirops, de sodas, des fameux "Pschitt" orange ou citron, de limonade, du bon Cacolac, une boisson de fabrication vraiment bordelaise…, mais aussi d’Antésite, très consommée à cette époque. C’était plus économique que les sirops (dix gouttes pour un verre) mais la réglisse était-elle vraiment meilleure que le sucre pour leur santé ? Les parents achetaient le vin au marchand de vin, le limonadier assurant parfois les deux services.
Après-guerre, on pouvait aller s’habiller aux Nouvelles Galeries, aller à la mercerie, à la droguerie, chez le quincailler, chez la fleuriste, chez le coiffeur… mais toujours au bourg, il fallait faire une dizaine de kilomètres aller-retour, soit une quarantaine de minutes pour s’y rendre, autant pour le retour, deux fois treize minutes en vélo (source Mappy). Les jeunes pouvaient aller danser au Casino, voir un film au cinéma Cinélux, toujours au bourg. La fête du village avait lieu au bourg aussi, le plus souvent près du vieux port ostréicole (face à l'ancienne Mairie), le premier dimanche d'août.
Les habitants de la Pointe tenaient cependant leur revanche par rapport au village : ils pouvaient manger du poisson, des coquillages, des crustacés… à leur guise, à leur faim, à leur désir. Il y avait, en effet, pas moins de deux pêcheries près de Port Bloc, la première ouvre en 1950. Comme distraction, ils avaient aussi la Fête de la Mer, organisée tous les 15 août (en général) autour de Port Bloc.
Le site étant plutôt tourné vers le tourisme, il y avait beaucoup d’animation en été. On pouvait y manger et y dormir (de nombreux hôtels et restaurants avant-guerre, plus aucun hôtel en 2020), on pouvait aller au café, manger au restaurant, acheter des cornets de frites, des chichis, des friandises…, acheter des glaces, du tabac…, se désaltérer dans les bars. Le bac, Port Bloc, les plages, la colonie des Armées, au fort… étaient l’assurance d’un afflux important de population.
Les touristes pouvaient acheter, de leur côté, des souvenirs au Bazar du port : des coquillages décorés (si gros parfois qu'ils ne pouvaient avoir été pêchés localement dans l'océan atlantique), des bibelots, toutes sortes de gadgets, de nombreux objets artisanaux, des porte-clefs, des couteaux aux manches décorés, tous ces objets souvenirs griffés aux noms de Pointe de Grave ou de Le Verdon-sur-mer, des cartes postales, des phares de Cordouan (sous toutes ses formes, maquettes, au cœur d’un coquillage, en porte-clefs, en bois…parfois dans des boules à neige, etc. Cordouan était alors la Tour Eiffel locale.
À la Pointe, on n’a jamais eu non plus de difficultés pour pêcher : on pouvait acheter une canne, des hameçons, des leurres, des appâts…, tous les articles nécessaires dans le magasin, sur place. C’était une attraction, un spectacle vivant que de voir tous ces pêcheurs au lancer (le sport local), très nombreux après-guerre, étés comme hivers, alignés les uns très près des autres, sur la jetée de la Pointe, sur les rochers, et tout au long de la côte ou de la rivière. Aujourd'hui (2020), les pêcheurs à la ligne se font plus rares, pratiquement plus aucun en période hivernale.
On peut s'interroger sur les causes de ce désengouement. L'espace dédié, côté océan, s'est réduit comme peau de chagrin à cause de l'ensablement : plus de la moitié des rochers sont désormais sous le sable et, à marée basse, seule l'extrémité de la jetée baigne encore dans l'océan. Cette désaffection, est-elle dû à la nouvelle réglementation qui s'est durcie, du point de vue du permis de pêcher et des contrôles sanitaires? Est-ce dû à la raréfaction des touristes ne venant rien que pour ça?…, le camping de la Chambrette avant sa fermeture (transformation?) accueillait beaucoup de ces pêcheurs. Est-ce dû à la raréfaction du poisson tout simplement?
Les plus sportifs, à cette époque d'après-guerre, préféraient le côté océan ou le bout extrême de la jetée, sur les rochers, face aux remous (rencontre de l'océan avec la rivière). Les autres se mettaient côté estuaire. Les fils parfois s’emmêlaient, surtout si on avait un novice à côté de soi. Il était fréquent aussi que les lignes s’accrochent aux rochers et cassent : plombs, hameçons étaient perdus, il fallait remonter une ligne. Plus rare, mais c’est arrivé aussi plus d’une fois, un pêcheur maladroit pouvait attraper un passant ou un autre pêcheur avec son hameçon.
Les pêcheurs parvenaient souvent à sortir de l'eau de gros poissons, parfois au prix d'une âpre et longue bataille avec l'animal qui parfois, gagnait et emportait la ligne : mules, maigres, loubines, …mais le plus spectaculaire était la sortie de l'eau des raies, si dangereuses : il fallait se méfier, s'écarter, et rapidement enlever le "dard" (épines au bout de la queue) qui pouvait provoquer de très graves blessures, parfois mortelles.
Les raies semblent très nombreuses dans cette partie de l'océan : on trouve, en effet, une quantité extrardinaire d'œufs de raies (capsules) en se promenant sur la plage, en hiver. C'est un animal fascinant de par son alimentation (poisson muni de dents pour broyer les coquillages) et son mode de reproduction (oviparité). Concernant le témoignage de cette vie marine, il est aussi courant de retrouver sur les plages des os de seiche ou des mues de crabe.
Dans les rochers, certains descendaient au plus près de l'eau, afin de pratiquer la pêche à la balance : ils attrapaient des crabes (des étrilles ou des crabes verts, le plus souvent), des crevettes (des crevettes roses ou des bouquets), et plus rarement des crustacés… Afin d'avoir plus de chance de pêcher, à pied, des dormeurs ou des homards, il fallait plutôt aller en pleine mer, au rocher de Cordouan, par exemple, mais il fallait posséder un bateau.
À marée basse, beaucoup pratiquaient aussi le ramassage de coquillages et la pêche aux crabes dans les rochers, pêche largement interdite aujourd’hui pour cause de pollution : huîtres, moules, bigorneaux, « chapeaux chinois », … Les enfants, eux, ramassaient des étoiles de mer et pêchaient de petits poissons, des petits crabes et des crevettes avec leurs épuisettes, dans les trous d’eau. Les plus grands, armés d’haveneaux pouvaient pêcher la santé, notamment derrière la digue de Port Bloc, près des installations du Balisage, côté rivière.
Si on ajoute la chasse, la cueillette de champignons, et sur un autre plan, l’animation touristique, personne ne s’ennuyait après-guerre à la Pointe de Grave malgré la pénurie de certains commerces.
La guerre d’Indochine (1946-1954)
Il est des conflits qui se déroulent loin de chez nous qui affectent cependant bien des familles sur les territoires. La guerre d’Indochine, de 1946 à 1954 a fait environ 60 000 morts dans l’armée française, soit autant que le conflit américano-vietnamien qui allait suivre, et deux fois plus que le total des militaires français morts pendant la guerre d'Algérie. Dien Bien Phu et le général Giap resteront des noms glorieux pour les Vietnamiens, mais des souvenirs tragiques pour les Français.
Un Mémorial des Guerres d'Indochine a été construit à Fréjus (Var) et inauguré en 1993 pour accueillir les corps de 20 000 soldats. Mais, à l'intérieur, un mur du Souvenir de 64 mètres de long porte les noms de 35 000 militaires dont les corps manquent à l'appel, soit parce que leurs restes ont été ramenés en France à l'époque du conflit et rendus aux familles, soit parce qu'ils n'ont jamais été retrouvés. L'Association nationale des déportés et anciens prisonniers d'Indochine (Anapi) estime que sur les 12 277 Français détenus par le Vietminh, seuls 5 154 ont été libérés vivants. Les autres sont morts de maladies, de maltraitance, ou ont craqué à la suite de lavage de cerveau apparentés à de la torture mentale infligés par les zélotes communistes.
La France se retirera d'Indochine après Dien Bien Phu, après une guerre de huit années[195].
Un habitant du Verdon, NORMANDIN André Rémi, dont le nom figure sur le monument aux morts du village, fut tué au combat le 27 janvier 1947, au Tonkin (Son Bach) : sergent au 3e bataillon de montagnards, il était originaire de Montguyon, en Charente, et avait moins de 25 ans.
La guerre d'Algérie (1954-1962)
Un conflit à peine achevé (, fin de la guerre d'Indochine), un autre commence (. La guerre d'Algérie sera aussi longue que la guerre précédente : elle durera huit années. Avec la guerre 1939-1945, la France aura donc connu plus de 20 ans de guerre, sans répit, ou presque.
En tant que guerre d'indépendance et de décolonisation, la guerre d'Algérie oppose des nationalistes algériens, principalement réunis sous la bannière du Front de libération nationale (FLN), à la France. Elle est à la fois un double conflit militaire et diplomatique et aussi une double guerre civile, entre les communautés d'une part et, à l'intérieur des communautés, d'autre part. Même si elle a lieu principalement sur le territoire de l'Algérie française, elle aura également des répercussions, en France métropolitaine. Elle entraîne une grave crise politique en France, avec pour conséquences, le retour au pouvoir de Charles de Gaulle et la chute de la Quatrième République, remplacée par la Cinquième République. Après avoir donné du temps à l'armée française pour lutter contre l'Armée de libération nationale (ALN) en utilisant tous les moyens à sa disposition, de Gaulle penche finalement pour l'autodétermination en tant que seule issue possible au conflit, ce qui conduit une fraction de l'armée française à se rebeller et entrer en opposition ouverte avec le pouvoir. Cette rébellion sera rapidement matée.
Il y aura environ 23 000 militaires français tués et 60 000 blessés.
Trois Verdonnais seront tués sur le sol algérien, une famille sera particulièrement touchée. Leurs noms figurent sur le monument aux morts du village. Il s'agit de Maurel Georges Philippe, 20 ans, décédé le 30 avril 1956, Tard André et Tard Marcel, 21 ans, soldat du 3e régiment parachutiste d'infanterie de marine, décédé le 25 mars 1959, à l'hôpital d'Orléansville (ex département d'Alger).
L'avant-port pétrolier
Le site du Verdon est choisi en 1964 afin d’établir un avant-port pétrolier permettant de ravitailler les trois raffineries, celle d'Ambès (créée en 1929), celle de Esso, dite de Bordeaux (créée en 1959) et celle de Pauillac, ouverte en 1932. Les navires de gros tonnage, 100 000 tonnes, puis 250 000 à 300 000 tonnes, n’étaient pas susceptibles de remonter l’estuaire. Le , l’avant-port reçoit son premier navire Le Passy. Le transport du pétrole jusqu’à Ambès est assuré depuis 1967 par le Pétro-Verdon, petit pétrolier construit par la société Petromer.
L'avant-port pétrolier était situé à l'emplacement du môle d'escale détruit par les Allemands, la jetée réaménagée permettant l'accostage des pétroliers. En 1965-1966, Elf Aquitaine installe des cuves de dépôts de pétrole brut. La société Shell (1969) installe également des dépôts au Verdon à l'emplacement du petit aérodrome du Royannais qu’elle relie à sa nouvelle raffinerie de Pauillac (1970) par un oléoduc de 50 km. La société Esso Standard (1969) construit également un dépôt. En tout, les trois parcs de stockage privés appartenant aux trois compagnies de raffinage de la Gironde, avaient une capacité totale de 800 000 m³.
L'aventure pétrolière du Verdon-sur-mer se terminera en 1973-1974 avec la crise du choc pétrolier. L’avant-port du Verdon évoluera alors vers une autre activité, celle de terminal conteneurs.
Les dépôts ont été fermés en 1984 et toutes les cuves ont été démantelées en 1985 pour être emportées en Italie. Moins de dix après la mise en service du terminal pétrolier, le Verdon était devenu le troisième port français pouvant accueillir des porte-conteneurs, doté d'un portique de déchargement. En 1976, est mis en service le poste pour navires roll-on, roll-off[196].
Le terminal à conteneurs
L'aventure pétrolière étant terminée en 1974, le terminal à conteneurs de l'avant-port du Verdon entre officiellement en service le 23 juin 1976 avec un navire roulier arrivant d'Australie. À l’embouchure de la Gironde, doté d’une profondeur d’eau de 12,50 m, de 200 hectares de terrains disponibles dont le quart sera classé en zone franche dans les années 1990, le terminal à conteneurs du Verdon a tout pour séduire.
En 1980-1981, le quai à conteneurs a été allongé de 150 m par les Chantiers d'Aquitaine afin de pouvoir accoster un troisième bateau avec un troisième portique (marque Ceretti-Tanfani). Ces aménagements ont été accompagnés du creusement de la darse. À cette époque, 12 à 15 bateaux accostaient par mois.
À partir de 1985, le trafic diminue et Le Verdon est concurrencé par le site de Bassens.
Quarante années après sa création, le port du Verdon est à la peine. Encore et toujours. L’ultime mésaventure de quatre décennies d’un véritable chemin de croix est constituée par la décision d’Europorte (groupe Eurotunnuel) de renoncer au redémarrage du site, à l’arrêt depuis février 2013, et pourtant doté de nouveaux portiques achetés d’occasion en Italie.
La remise en route de ce terminal à conteneurs, propriété du Grand Port maritime de Bordeaux (GPMB), avait pourtant été annoncée pour novembre 2015. L’espoir était enfin revenu. « Une bonne nouvelle pour l’économie médocaine ! » avait lancé, l’été dernier, un élu. Mais cette joie aura été de courte durée : le terminal est toujours en plan au 30/06/2016[197]. Le retard de plus de sept mois s’explique par un manque de préparation et des conflits internes.
Dans le cadre d’un appel d’offres lancé par le GPMB, c’est la société Europorte qui avait donc été retenue en 2014 (contrat de 15 ans) pour la réactivation du trafic de conteneurs sur la plate-forme et la mise en place d’une chaîne logistique de déchargement de navires vers la desserte ferroviaire Le Verdon-Bruges.
Le GPMB avait décidé, dans son plan stratégique 2015–2020, de transférer l’intégralité de son activité conteneurs, répartie jusque-là entre les sites de Bassens et du Verdon, à la pointe du Médoc. Dans ce nouveau plan de travail, il fallait prendre en compte le transfert d’une partie de la main-d’œuvre des dockers vers Le Verdon.
Visiblement, ce chapitre semble avoir été largement sous-estimé par l’ensemble des acteurs. Et la négociation s’est durcie avec les sociétés manutentionnaires. Dans la mise en place du nouveau terminal, les dockers avaient aussi fait valoir la nécessité d’être formés sur le nouveau matériel acheminé au Verdon (2 portiques et 9 cavaliers).
Une donnée qui n’avait pas été prise en compte dans le calendrier de reprise de l’activité au Verdon fixé par le GPMB et Europorte. C’est dans un contexte tendu qu’Europorte a décidé en mai de résilier la convention avec le GPMB ainsi que le contrat avec SMPA, la société chargée de la manutention des boîtes sur le site. Pascal Reyne, son PDG, qui a investi 10 millions d’euros, déplore logiquement le changement de politique du groupe.
En clair, Europorte ne serait plus intéressé. « Si le projet s’arrête, c’est qu’il n’est pas viable économiquement », résume Julien Bas, coprésident de l’Union maritime et portuaire de Bordeaux. Par le biais d’un communiqué, Europorte dit néanmoins être « attaché au projet » et vouloir trouver une solution.
Dans ce dossier, qui apparaît miné, il faudra maintenant compter sur l’intervention d’un médiateur.
Réuni le 16 juin 2016, le conseil de surveillance du GPMB a réaffirmé le développement de l'avant-port du Verdon comme priorité…
En septembre 2016, une procédure d’attribution de la régie d’exploitation du terminal conteneurs à la société SMPA (Société Manutentionnaire portuaire d’Aquitaine) est engagée. Une annulation de cette procédure est prononcée le 4 novembre 2016 par le tribunal administratif de Bordeaux à la suite d'une requête, pour défaut de publication et donc de mise en concurrence, de la société Sea Invest, acteur du trafic conteneurs installé à Bassens. Le conseil d'État saisi confirme l'attribution de l'exploitation à SMPA et condamne Sea Invest à régler 4 000 euros au Grand Port Maritime de Bordeaux et la même somme à SMPA en remboursement des frais liés à la procédure. Malgré cette décision, le feuilleton continue au 17/02/2017[198]. En effet, dans les jours qui ont suivi l’annulation de la mise en régie par le tribunal administratif de Bordeaux le port a convoqué en urgence un conseil d’administration extraordinaire pour lancer un nouvel appel d’offres qui, désormais, juridiquement, prime sur la mise en régie réhabilitée par le Conseil d’État. D'après le GPMB, SMPA qui a licencié des salariés n'est pas en mesure de démarrer l'activité.
Des projets avortés, le terminal méthanier
Tout le monde s'accorde à dire que Le Verdon est un site aux atouts indéniables, endroit stratégique à l’entrée de l’estuaire, pouvant être l'avant-port de Bordeaux car en eaux profondes. Malheureusement, on a toujours eu cette impression, à tort ou à raison, que toutes les velléités de développement de la zone étaient vouées à l'échec.
Le Verdon a toujours balancé entre développer le tourisme ou choisir l'industrie, sans jamais réussir à pencher d'un côté ou de l'autre, soit par malchance et malédiction (le magnifique môle d'escale pouvant recevoir les paquebots du monde entier détruit lors de la seconde guerre mondiale ou le port pétrolier ruiné par le choc pétrolier de 1973) ou par simple mauvais choix. Une chose est sûre : développer à la fois tourisme (le site s'y prête à merveille) et industries (souvent polluantes) sont difficilement compatibles : comme partout, les discussions sur le sujet alimentent la polémique.
En attendant, les derniers évènements concernant le terminal à conteneurs renforce le sentiment de gâchis autour d’un site qui n’a cessé de cumuler les occasions manquées : désaffection du terminal pétrolier qui, jusqu’aux années 1970, alimentait les deux raffineries girondines, fermées dans les années 1980 ; fin de l'ostréiculture à cause du port pétrolier; arrêt de la ligne directe des porte-conteneurs de la CGM avec les Antilles ; arrêt des escales de Delmas-Vieljeux et, du même coup, de la navette ferroviaire Bruges-Le Verdon.
On peut ajouter l'échec de la mise en service d'un aéroglisseur de grande capacité, le "Côte d'Argent" en 1976.
Sans oublier la liste d'autres projets avortés : entrepôt de produits importés d’Asie ; société d’éoliennes (mise en liquidation) ; terminal méthanier envisagé en 2006 par 4Gas et abandonné en 2009.
Le projet d'un terminal méthanier acté le 6 mars 2007 par la société néerlandaise 4Gas était bien avancé et n'attendait plus que les dernières autorisations pour être mis en œuvre.
4GAS avait conclu, le 4 août 2006, avec le Port de Bordeaux une convention de réservation de terrains et d'emplacements au port du Verdon en vue de la construction ultérieure du terminal. Deux autres projets étaient directement liés à cette implantation : d’une part, la construction d'un terminal de stockage et de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL) et de gazoducs reliant le terminal aux deux réseaux de transport de gaz existant et, d’autre part, les travaux de dragage de la Gironde.
Ce projet a suscité sur le village du Verdon-sur-mer un débat public très vif qui s’est déroulé du 17 septembre au 14 décembre 2007. Il s’est articulé autour de dix réunions publiques qui ont réuni plus de 8 500 personnes. Il y eut 2 284 questions-réponses, 21 cahiers d’acteurs, 181 contributions, trois pétitions et 265 avis sur le site Internet du débat public, environ 20 000 connexions sur le site.
La question de l’opportunité du projet a été largement débattue, entre des partisans du projet faisant valoir les retombées économiques locales positives et des opposants craignant que l’on porte atteinte à l’image d’une région qui repose sur les qualités environnementales du dernier estuaire naturel d’Europe.
Le débat a également porté sur l’implantation du site (la distance avec les habitations et les équipements publics avoisinants, les enjeux paysagers), la prévention des risques (navigation des plaisanciers, risques liés aux caractéristiques de telles installations), les mesures d’accompagnement (cohabitation entre le projet et des activités touristiques, souci d’embauches au profit de la population locale et contribution à la formation, attention portée à la vie locale pendant la phase chantier).
De nombreuses manifestations contre le projet ont eu lieu en Gironde et en Charente-Maritime, notamment celles organisées par l'association créée pour l'occasion, "Une pointe pour tous". À Royan, un cercle humain de 85 mètres de diamètre visait à symboliser l'espace qu'occuperait une seule des cuves de ce terminal. Les arguments : "Ce projet aura un effet négatif sur le paysage", "Le terminal représenterait 390 tonnes de CO2 rejetées dans l'atmosphère chaque année, ainsi qu'un million de mètres cubes d'eau chimiquement traitée, puis rejetée..."
Le 6 juin 2008, la société 4GAS a rendu publique sa décision de poursuivre le projet pour un investissement estimé à 400 millions d'euros en tenant compte de la plupart des recommandations émises durant le débat public concernant notamment le traitement de l’eau de regazéification, l’amélioration de l’intégration paysagère, la réduction de l’impact visuel et la réduction supplémentaire des risques.
Le 23/06/2009, une question est posée à l'Assemblée nationale par M. Quentin Didier, élu de Charent-Maritime (Union pour un mouvement populaire) à Mme la Secrétaire d'État chargée de l'écologie, des technologies vertes et des négociations sur le climat :
« Il importe d'en finir le plus rapidement possible avec cette « épée de Damoclès », d'autant plus que ce projet constitue un triple non-sens économique, énergétique et écologique. Un non-sens énergétique d'abord, car la France est déjà en situation de surcapacité de stockage de gaz naturel liquéfié avec les installations existantes, dont certaines peuvent être doublées, comme à Montoir-de-Bretagne. Un non-sens économique aussi, car les initiateurs de ce projet font miroiter des retombées mirobolantes en termes de recettes fiscales pour les collectivités et de création d'emplois. Mais elles seraient dérisoires par rapport aux effets très négatifs pour les activités primaires et pour l'économie touristique, comme on a pu le constater dans des localités qui ont accueilli des installations classées Seveso. Or le tourisme - l'écotourisme - reste le premier gisement d'emplois et la principale source de richesses du pays royannais. Un non-sens écologique enfin, tant les conséquences seraient négatives pour l'environnement et la biodiversité. Un tel équipement provoquerait une pollution visuelle et paysagère devant quelques-uns des sites les plus emblématiques de notre littoral, sans parler d'innombrables nuisances pour les cultures marines. Par ailleurs, il convient de se féliciter de l'installation à Rochefort-sur-Mer de la mission de préfiguration pour la création d'une « aire marine protégée », au nord de l'estuaire de la Gironde et dans les pertuis charentais, qu'il préconise avec insistance depuis l'automne 2007 et dont les travaux viennent de commencer... »
Puis :
« Je viens, pour la cinquième fois dans cet hémicycle mais pour la première fois auprès de vous, me faire l'écho de l'opposition déterminée de la quasi-unanimité des élus, des populations et des associations de Charente-Maritime au projet de terminal méthanier au Verdon-sur-Mer, juste en face de Royan, à l'embouchure de la Gironde, dernier grand estuaire naturel d'Europe. Je souhaite vous redire de la manière la plus nette que ce projet constitue un triple non-sens, énergétique, économique et écologique, et qu'il importe d'en finir avec lui le plus rapidement possible, tant il est nuisible pour notre littoral et anxiogène pour les populations, lesquelles appellent de leurs vœux la création dans les meilleurs délais d'une aire marine protégée.
C'est un non-sens énergétique d'abord, étant donné que la France est déjà en situation de surcapacité de stockage de gaz naturel, et que d'autres projets d'implantation ne posent pas de problème.
C'est aussi un non-sens économique, car les initiateurs du projet font miroiter des retombées mirobolantes en termes de recettes fiscales pour les collectivités et de création d'emplois, mais elles seraient dérisoires par rapport aux effets très négatifs pour les activités primaires et l'économie touristique, comme on a pu le constater dans des localités où se sont implantées des installations classées Seveso.
C'est un non-sens écologique enfin, tant les conséquences seraient dommageables pour l'environnement et la biodiversité exceptionnelle, tant faunistique que floristique, de cet estuaire. Le fait a d'ailleurs été réaffirmé lors des deux réunions régionales du Grenelle de la mer, qui se sont tenues, le 15 juin à Artigues pour l'Aquitaine, le 20 juin au " Forum des pertuis " de La Rochelle pour Poitou-Charentes.
Par ailleurs, ce projet pourrait être gravement préjudiciable au maintien d'activités primaires, car des méthaniers de quinze mètres de tirant d'eau raclant le fond du chenal d'accès feraient remonter des métaux lourds nuisibles à la pêche et à la conchyliculture, et en particulier à la collecte du naissain d'huîtres.
L'estuaire de la Gironde est un lieu d'intérêt environnemental capital, non seulement pour la France, mais aussi pour l'Europe. Il fait partie de ces territoires à ménager plutôt qu'à aménager - à moins qu'il ne s'agisse d'un aménagement éco-responsable.
Dans cet esprit, les préfets de la Gironde et de la Charente-Maritime ont lancé le 25 juin, à Blaye, les premières consultations pour la création d'une aire marine protégée dans l'estuaire de la Gironde et dans les pertuis charentais. Il est donc patent que la vocation de l'estuaire de la Gironde, plus grand et dernier estuaire naturel d'Europe, doit être liée au développement d'une économie et d'un tourisme durables.
C'est pourquoi je vous serais reconnaissant de m'indiquer dans quel délai le Gouvernement envisage, au-delà des précautions juridiques, de mettre un terme au projet de terminal méthanier. En effet, le grand port maritime de Bordeaux laisse entrevoir la mobilisation de financements en vue de l'appontement de méthaniers ainsi que le creusement d'un nouveau chenal d'accès au port du Verdon. Notre économie littorale ne pourra longtemps supporter une telle épée de Damoclès dans un contexte déjà délicat.
Je vous serais également obligé de m'apporter des précisions sur les décisions que l'État entend prendre, d'une part, sur le renouvellement avant le 4 août 2009 de la convention de réservation des terrains entre le grand port maritime de Bordeaux et la société néerlandaise 4Gas, d'autre part, sur la signature avec cette société d'une éventuelle convention de réservation portant sur un terrain voisin.
Enfin, je me permets d'appeler votre attention sur la composition du conseil scientifique de l'estuaire de la Gironde, qui comporte seulement trois représentants pictocharentais sur vingt membres. Je vous serais reconnaissant de m'indiquer si vous envisagez d'élargir la représentation de ce conseil, où les deux rives devraient être équitablement représentées... »
La réponse de la secrétaire d'État, Madame Valérie Létard (Président Nicolas Sarkozy) fut celle-ci, réponse publiée au BO le 1er juillet 2009 :
« Monsieur le député, le Grenelle de l'environnement fixe comme priorités, en matière énergétique, les économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables et, plus généralement, celui des énergies décarbonées. Ce sont les axes majeurs de la transition énergétique dans laquelle nous engageons notre pays. Néanmoins, notre pays a besoin de gaz naturel liquéfié pour diversifier ses approvisionnements en gaz et, en particulier, réduire son exposition aux risques liés au transport par gazoduc, ainsi que pour accompagner la décroissance du charbon, étant donné que la moitié des centrales à charbon seront fermées d'ici à 2015. Vous le savez, plusieurs projets existent. Le Gouvernement soutient ceux d'entre eux qui se situent dans des zones a priori favorables d'un point de vue environnemental, comme à Dunkerque ou à Montoir-de-Bretagne, car la qualité environnementale du projet est bien l'élément déterminant et prioritaire. En l'espèce, le projet de terminal méthanier du Verdon relève du régime des installations classées et de la directive " Seveso seuil haut ". De ce fait, le dossier est soumis à une procédure d'autorisation très stricte, avec étude d'impact et étude de danger, enquête publique, tierce expertise et exigence de garantie financière. Une telle procédure a pour objectif d'organiser un débat contradictoire et de mettre en évidence, de manière précise, les avantages et inconvénients du projet, ainsi que les mesures prises pour en apprécier et en corriger les impacts et les dangers potentiels. C'est cette procédure environnementale qui est importante, et non les questions de domanialité, qui regardent au premier chef le port. Le Gouvernement porte une ambition environnementale pour l'estuaire de la Gironde. C'est pourquoi notre ministère a décidé la mise à l'étude d'un projet de parc naturel marin sur l'estuaire de la Gironde ainsi que sur les pertuis charentais. Ce projet s'inscrit dans le cadre des engagements du Grenelle de l'environnement en faveur d'une gestion durable et concertée des ressources du littoral et de la création de dix parcs naturels marins d'ici à 2012. Naturellement, le projet de terminal méthanier devra être examiné à la lumière de la création de ce parc naturel, ainsi que des enjeux de sécurité au regard des populations environnantes. Nous serons très attentifs à ces aspects, s'agissant d'un site Seveso... »
Courant juillet 2009, le projet dont la mise en service était prévue à l'horizon 2014 fut finalement abandonné. Arrivé à échéance, la convention de 2006 devait être renouvelée mais le gouvernement a refusé pour des raisons environnementales de signer les autorisations alors que le conseil de surveillance du grand port maritime de Bordeaux (GPMB) s'était prononcé pour[199].
La mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine
De 1967 à 1988, la MIACA est chargée de définir l’aménagement touristique du littoral aquitain. Les actions menées lors de ces deux décennies ont largement profilé le littoral aquitain dans sa configuration actuelle.
En Gironde et dans les Landes, l’objectif est d’intégrer l’exploitation touristique dans le développement économique et social du territoire. La MIACA s’est appuyée pour cela sur une politique foncière active et un programme général d’équipement et de services. Cette Mission a bénéficié d’une ligne spécifique du budget national, considérée aujourd’hui comme généreuse au regard des budgets des pouvoirs publics qui subissent actuellement des coupes budgétaires, rendant plus difficile la mise en œuvre de leurs projets.
Le plan Biasini (1972-1974) avait retenu comme objectifs pour la pointe du Médoc :
- Faire cohabiter le tourisme et le développement industriel et portuaire
- Accroître le rôle d’avant-port bordelais du Verdon pour le trafic de conteneurs
- Développer les fronts de mer de Soulac et de l’Amélie[200].
Il a cependant été constaté qu’il n’existe pas d’étude exhaustive sur les actions, les résultats et l’héritage de la MIACA. Aucune synthèse partagée, ni d’inventaire ne peuvent servir de bilan 30 ans après la création de la MIACA.
Afin de déterminer les orientations nouvelles pour l'avenir, une mission de réflexion sur le littoral a été créée en 2002 permettant la publication d’un Livre Bleu, véritable état des lieux du littoral aquitain issu d’une large concertation. Le Livre Bleu a notamment bénéficié des avis du Conseil Supérieur du Littoral Aquitain, organisme regroupant les élus, administrations, associations, et experts, créé à l’initiative de l’État et de la Région pour permettre une discussion partenariale entre les différents acteurs et institutions du territoire.
Ainsi, afin de disposer d’un outil opérationnel permettant d’assurer le pilotage partenarial d’une politique intégrée du littoral, sur proposition du Conseil régional, l’État et la Région sont convenus de créer un Groupement d'Intérêt Public (GIP) ouvert au Département de la Gironde. Il associe également la Communauté de communes du littoral dont la Pointe du Médoc.
Le , le Comité Interministériel d’Aménagement et Compétitivité des Territoires actait ainsi la création du GIP Littoral Aquitain. L’ingénierie mise en œuvre par le GIP Littoral concerne trois domaines principaux : l’organisation de l’espace littoral, la gestion de la bande côtière et l’aménagement touristique durable. Celui-ci fut officiellement approuvé par un arrêté du Préfet de Région Aquitaine datant du 16 octobre 2006, validant ainsi la convention constitutive signée par l’ensemble de ses membres[201].
XXIe siècle
Toponymie, mystère des cartes
On peut être étonné parfois de trouver des orthographes différentes pour un même lieu selon que l’on consulte tel document ou tel autre, telle carte ou telle autre. Cela rappelle d’autres débats girondins jamais tranchés définitivement, puisqu’on continue de constater des différences dans les écrits des uns et des autres sur les cartes, et même sur les différents panneaux indicateurs pour les usagers de la route : Pilat ou Pyla ? Leyre ou l’Eyre ?… La pointe de Grave n’échappe pas à ce problème des différentes graphies toponymiques. Les locaux utilisent des graphies pour leurs correspondances, pour leurs documents que l’on ne retrouve pas sur certains documents cartographiques. Cela peut-être le fruit, bien évidemment, de l’évolution des noms tout au long d’une histoire longue et mouvementée, riche en apports successifs : époques proto-basques (Médules, Aquitains, Vascons), époque gauloise (Bituriges vivisques), époque gallo-romaine, époques germaniques (Wisigoths, Francs), occupation anglaise, offensive arabe, occupation normande…, mais cela est un sujet à confusion qui mériterait d’être éclairé par les autorités locales et définitivement tranché.
Souvent, l’usage actuel de graphies locales date depuis très longtemps. Ainsi l’abbé Baurein écrit-il en 1784, dans ses Variétés bordelaises, alors que le Verdon n'est pas encore commune autonome, mais qu'un hameau de Soulac : « Les principaux villages de Soulac sont : Le Verdon, La Pointe de Grave (avec majuscule), Le Logis (avec un "s"), La Grand'Maison, Le Royannais, Tous-Vens, Les Huttes, Le vieux Soulac, Lilhan, Neyran, La Longue. », mais…sur le plan de la commune publié sur le site municipal, il est écrit "Marais du Logit" (avec un"t"), alors que tous les actes d'état civil des archives départementales font mention de "Le Logis". Il est alors légitime de se poser la question de savoir pourquoi, de tout temps, les maires successifs de Soulac et du Verdon ont toujours écrit Logis avec un "s" sur les papiers officiels (notamment les registres d'État civil et tous les recensements de la population), que, en 1784, on écrivait déjà Logis, et que sur les cartes d'aujourd'hui, le mot est parfois orthographié "Logit". Qui a décidé de faire autrement, et à quelle date ?
Quand on lit les fiches de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la Gironde, établies par le Conseil départemental de la Gironde, on peut lire au gré de ces fiches, le Logis, écrit un coup avec un « s », un coup avec un « t », ce qui ajoute à la confusion. Celle-ci est d'ailleurs entretenue aussi par la carte IGN elle-même qui bafouille ses toponymes : le Marais du Logis est écrit correctement mais il suffit de faire un zoom avant pour le voir apparaître écrit avec un "t", magie des cartes.
Par contre, il est bien écrit "Grand Maisons" sur cette même carte de la commune, conformément à l'adresse postale des habitants du hameau (mais avec des guillemets, comme si l'on n'était pas sûr). "Grand Maisons" est bien attesté, on l'a vu, depuis 1784 par l'abbé Baurein dans ses "Variétés Bordelaises" mais la carte IGN du Géoportail écrit le nom du hameau "Grandes Maisons", dénomination qui présente moins d'originalité et qui n'est pas conforme à l'usage local? Est-ce une frilosité qui consiste à ne pas vouloir accorder à un adjectif une valeur d'adverbe? L'usage devrait avoir force de loi : personne, dans le Verdon, ne parle de "Grandes Maisons", personne n'écrit le Logis avec un "t". Quand les petits verdonnnais allaient à l'école communale, leurs instituteurs leur apprenaient déjà Le Logis et Grand Maisons : il serait rageant qu'il en fut autrement en 2020, même pas une cinquantaine d'années après.
Indifféremment, on trouve aussi Port Bloc et Port Médoc, écrit sans ou avec tiret.
L'abbé Baurein apporte des éclaircissements sur certaines origines des noms :
« Le Royannais est vraisemblablement un quartier où s'établirent anciennement quelques habitants de Royan. Il y avait anciennement un passage de la Saintonge à la côte du Médoc, ou pour mieux dire, au lieu de Soulac, qui était très fréquenté....On ne saurait s'imaginer la quantité de pèlerins qui allaient anciennement à Saint-Jacques de Compostelle et à Rome. Il parait, par un titre du 8 Septembre 1343, qu'à l'occasion du passage des pèlerins qui s'embarquaient pour la Saintonge, soit à Soulac soit à Talays (avec un "y"), paroisses contiguës, il y eut entre les habitants de ces deux paroisses des querelles très sérieuses et des batteries sanglantes, dans lesquelles plusieurs d'entre eux restèrent sur la place. Cette affaire fut terminée par une sentence rendue suivant la façon de juger de ce temps-là.
Il n'y a personne qui ne sache la signification du mot « huttes », qui désigne des petits logements faits avec du bois et de la paille, c'est-à-dire des chaumières, anciennement en usage dans le Bas-Médoc, au temps du poète Ausonne.
Le quartier de Lilhan a pris cette dénomination du voisinage de la paroisse de même nom, engloutie par les eaux de la mer, si tant est que ce ne soit pas un restant de son territoire »[202].
On peut aussi s'étonner que la dénomination de certaines rues aient complètement disparu de la carte IGN censée faire référence. On trouve sur cette carte la forêt de Rabat mais plus l'allée de Rabat, la Cité des Douanes mais pas la Cité du Balisage… Par contre, on trouve Maison Carrée pour désigner un chemin de forêt. On trouve le nom de lieux-dits complètement inconnus des verdonnais (en gros caractères, et en gras qui plus est), connu sans doute des seuls et rares habitants du lieu, tels Le Pastin, les Brandes, Le Grenouilleau, Faille Marais, … Les véritables hameaux historiques de Pointe de Grave et du Logis ont de quoi être jaloux : Le Logis n'est écrit qu'en tout petit (et avec un t!) : il est cantonné à quelques maisons au sud du Marais du Logis. Ce même Marais du Logis est orthographié avec un "s" sur cette même carte IGN puis se transforme en Logit avec un "t" du seul fait de zoomer la carte[203], ce qui est vraiment contradictoire! Le hameau de La Pointe de Grave n'est même pas mentionné malgré toute une agglomération de maisons, en deux cités. De la sorte, les lecteurs des dites cartes pensent que la Pointe de Grave est un endroit complètement désert, non habité, tel la pointe du Raz, et ne la reconnaissent plus comme un choronyme. Sur la carte IGN toujours, seule l'extrémité de la pointe (le cap) est indiquée, mystère des cartes. Les cartes étudiant les itinéraires (ViaMichelin, Mappy, …) mentionnent bien l'Allée de Rabat et mentionnent aussi le Logis. Curieusement, le nom du Marais du Logis est bien écrit avec un "s" sur la carte Michelin, mais pas le hameau!
Il est vrai qu'à l'heure du numérique, plus beaucoup de personnes ne se penchent sur les cartes IGN et préfèrent se rabattre sur l'application GoogleMaps, plus facile à consulter, mais aussi quelquefois plus approximative : les automobilistes qui veulent se rendre à Saint-Nicolas en utilisant leur GPS et voulant passer par la Cité du Balisage en empruntant l'improbable rue Maison Carrée, ne sont pas au bout de leur surprise. Les développeurs américains copient les cartes IGN sans en comprendre toujours les subtilités. Mais, au moins, Google a le mérite d'indiquer le hameau de Pointe de Grave et, StreetView peut vous mener, via le chemin de la Claire (voie certes de forêt, mais dont le nom n'est indiqué sur aucune des deux cartes), à la plage Saint-Nicolas. Les personnes établissant les cartes ne devraient-elles pas consulter les personnes compétentes et prendre leurs informations à la source, c'est-à-dire auprès des communes? Il serait aussi intéressant pour tout le monde de rétablir les signalisations de rue (panneaux et plaques) qui ont souvent disparu, et qui feraient foi : il n'y a plus de panneaux indiquant le hameau du Logis, ni l'allée de Rabat (2020). Le panneau indiquant le hameau des Grands Maisons est, lui, heureusement, toujours en place, ce qui n'a toutefois pas empêché les cartographes de créer leurs propres règles orthographiques!
On pourrait conclure en disant qu’il faut toujours avoir un œil critique sur les cartes. Si elles sont très étudiées du point de vue du tracé, assez précises selon les connaissances et les moyens techniques et mathématiques de l’époque (aujourd’hui on a le satellite qui facilite les choses), les noms des lieux (toponymie) sont davantage sujets à caution : les cartes sont certes indicatives mais ne peuvent servir de référence au détriment des actes officiels. Il est évident que les cartographes n’ont pas le temps de faire une étude approfondie leur permettant d’écrire de manière correcte tous les noms des lieux-dits de France et de Navarre. Il revient, de manière volontariste, aux maires, aux élus et même à la population de rétablir la vérité, historique, la bonne orthographe locale, si tant est qu’il y ait une bonne orthographe pour les noms propres. La première des choses à faire serait de rétablir la signalisation et les panneaux indicateurs.
Pour Cordouan, on trouve tout de même sept graphies sur les cartes. Dans l’ordre, Cordo, Cordan, Ricordane, Cordam, Cordonan, Courdouan, puis Cordouan.
Pour Pilat ou Pyla, la mairie de la Teste a tranché : elle garde l’ancien nom Pilat pour la dune (signifiant « tas », « pile » en gascon) et adopte Pyla pour le hameau. Ceci n’empêche pas cependant d’alimenter toujours la polémique, ne faisant pas consensus, car ce nom, il est vrai plus élégant et exotique, ne date que de 1920, inventé par un promoteur : certains craignent que les puissances de l’argent n’imposent bientôt leurs choix toponymiques.
Pour éclairer le sujet, on peut citer Jean-Marc Besse dont les travaux développent une interrogation épistémologique, historique et anthropologique sur la géographie, ainsi que sur les diverses formes prises par les savoirs et les représentations de l’espace et du paysage à l’époque moderne et contemporaine (selon sa biographie). Il dit : « Toute carte propose une version ou une interprétation de la réalité territoriale à laquelle elle réfère, en fonction des intentions qui sont déployées vis-à-vis de cette réalité ».
Autrement dit, et il le précise, lorsqu’un cartographe écrit un nom sur une carte, il y met une bonne part de subjectivité : ceci saute aux yeux, est évident par exemple, lorsqu’on remplace « Grands Maisons » par « Grandes Maisons ». En ce qui concerne le Logis, tous les actes officiels de la Mairie de Soulac puis du Verdon plaident pour cette graphie avec un « s » : tous les actes courants de la commune, actes d’état civil, recensement de la population, papiers officiels… Elle est attestée par l’abbé Baurein, par de nombreux documents anciens, par de nombreuses cartes que l’on peut consulter sur Gallica. La carte des Ponts-et chaussées publiée avant 1875 (dunes, cartes des semis de 1790 à 1875) parle de Logis de Grave : ceci semble attester de l'origine même du nom, la construction des premières habitations de la Pointe de Grave dans ce quartier. On trouve aussi un plus au sud, les Logis de Caben. L’écriture avec un « t » semble être une orthographe récente, dont l’auteur est inconnu pour l’instant. Peut-être est-ce dû à une faute de transcription : on a pu trouver en lisant tous les actes d’état civil de la commune, un conseiller municipal remplaçant un jour un maire, utiliser cette graphie. La publication sur les cartes de noms de lieux-dits complètement inconnus des locaux est aussi un choix personnel du cartographe : ainsi le Pastin qui ne représente que très peu de maisons, semble venir du nom d’un habitant du lieu. Sur la carte IGN, le Logis (écrit avec un « t ») se résume et est confiné à quelques maisons en bordure du chemin de la Batterie, alors qu’historiquement, le hameau s’étend tout le long de la nationale, longeant le marais du même nom, jusqu’à la Pointe de Grave (se référer aux actes en Mairie).
Natura 2000
Dans les années 1990, trois sites Natura 2000 ont été définis sur le territoire du Verdon-sur-mer. Cette démarche européenne consiste à protéger un réseau de sites remarquables pour leur faune, leur flore et leurs milieux.
Les trois sites retenus sont : l'Estuaire de la Gironde (60 931 ha)[204], les Marais du Bas-Médoc (23 942 ha)[205], la forêt de Pointe de Grave (302,4 ha)[206].
La flore, la faune et leurs milieux
La constitution du réseau Natura 2000 a pour objectif de maintenir la biodiversité des milieux, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales dans une logique de développement durable. Malheureusement, il est déjà trop tard pour certaines espèces végétales ou animales qui ont disparu du territoire.
Les causes de la perte de biodiversité sont multiples et connues :
Isabelle Dajoz dit en 2006 : « Les principales causes sont la modification des habitats, l'introduction d'espèces exotiques, la surexploitation des ressources naturelles, la pollution et, aujourd'hui, les changements climatiques...On a calculé (pour l'anecdote) que chaque année 66.000 milliards d'insectes sont tués en France par la circulation automobile, ce qui représente une biomasse de 150 à 200 tonnes ».
D’après l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN), la Gironde compte une dizaine d'espèces végétales globalement éteintes en Gironde.
La flore
Sans rentrer dans les détails des taxons compliqués (aux noms souvent latins), il semble que deux fleurs emblématiques de la Pointe de Grave que l'on ramassait dans les années cinquante et soixante aient complètement disparu : le muguet des bois, l'œillet des dunes. Ce dernier, très odorant, était de couleur rose dans les dunes du bout de la pointe. D'avril à juin, on ramassait aussi ce que les locaux appelaient des "pentecôtes", une orchidée sauvage, la céphalanthère à feuilles étroites. Une autre fleur ressemblait au muguet, le sceau-de-Salomon.
Concernant le muguet des bois (autres noms, muguet de mai, muguet commun, ou clochette des bois) et le sceau-de-Salomon, il ne fallait surtout pas les confondre, avant floraison, avec l'ail sauvage (ail des bois ou ail des ours), car très toxiques.
D’après l’INPN, la richesse floristique de la Gironde serait estimée à environ 1 000 taxons (espèces et sous-espèces), ce nombre n’étant sans doute pas exhaustif, l’INPN ne mentionnant pas les champignons.
La Gironde abrite plusieurs taxons prioritaires car faisant partie de la flore menacée :
- sont présumées éteintes : l’Aldrovandie à vessie, la Statice de Duby, le Liparis de Lœsel, l’Ache rampante, l’Euphorbe peplis, la Nigelle de France
- sont en danger, c'est-à-dire en passe de disparaître ou dont la survie est peu probable si la tendance actuelle se poursuit : l’Agrostide grêle, la Petite centaurée à feuilles serrées, l’Oseille des rochers, l’Elatine de Brochon, l’Elatine à longs pédicelles, la Linaire effilée
- sont vulnérables : l’Angélique à fruits variables, le Faux cresson de Thore, l’Isoète de Bory, l’Isoète épineux, l’Ophioglosse des Açores, la Bruyère méditerranéenne.
Il y a des plantes endémiques de l’Estuaire de la Gironde : l’Angélique à fruits variables et l’Œnanthe de Foucaud
- des milieux dunaires du littoral : la Linaire à feuilles de thym, l’Eperviaire à poils blancs[207]
La faune
En ce qui concerne les animaux, en France, 22% des espèces vivant sur le territoire métropolitain sont en danger. La menace n’épargne hélas pas le département.
Dix espèces animales sont menacées en Gironde.
Les insectes sont en première ligne sur le front des espèces en voie de disparition. Dans le monde, près d’un tiers des espèces d’insectes est menacé d’extinction. On peut prendre l’exemple des libellules sur le territoire national où, sur les 89 espèces recensées, 24 sont menacées et deux ont disparu.
Le département n’échappe pas à la catastrophe. Ainsi, la leucorrhine à front blanc se retrouve dans la catégorie « quasi menacée ». Tout comme ses cousines, l’espèce va disparaître si des mesures de conservation spécifiques ne sont pas prises.
Sur la liste rouge recensée par l’Inventaire national du patrimoine naturel, on trouve cinq libellules : l’æschne isocèle, la leucorrhine à large queue, la cordulie splendide, l’agrion exclamatif et le sympétrum jaune d’or. Le temps des libellules est révolu[208]. Seize espèces de papillons sont menacées d'extinction en France, dont deux en danger critique : l'hespérie du barbon et la mélibée. L'habitat d'un petit papillon, l'Azuré de la Sanguisorbe, menacé, a eu le malheur de croiser le tracé de la future déviation du Taillan-Médoc. On attendait la décision du Conseil national de protection de la nature (CNPN) pour autoriser ou non la poursuite des travaux[209].
Libellules et papillons étaient si nombreux dans les années cinquante et soixante! Les enfants s'amusaient à attraper les libellules (par la queue) et les papillons posés sur les grillages et les fleurs des jardins et des bois. Ils capturaient aussi des hannetons qui ont pullulé pendant plusieurs années. Il y eut une invasion en 1959. Eux, c'est vrai, étaient plutôt des nuisibles; ils faisaient beaucoup de dégâts, l'arbre qu'ils choisissaient comme garde-manger était défolié en très peu de temps. Fin mai 1959, en effet, une invasion de hannetons se produisit dans la région de Langon provoquant plusieurs dizaines de millions de dégâts. Pendant huit jours, ils ont ravagé les vergers. On peut lire dans le journal Sud-ouest du 12 mai 1959 : « Les insectes ont rongé le feuillage des arbres sur dix kilomètres. Entre Langon et Castets-en-Dorthe, l'aspect des vergers est lamentable. A Saint-Pierre-de-Mons, certains vergers sont sinistrés à 100%. Les volailles se gorgent d'insectes et refusent tout autre nourriture. On attribue cette invasion à l'hiver très doux qui n'a pas détruit les larves et au fait que les prairies bordant la Garonne n'ont pas été inondées, ce qui a permis aux insectes destructeurs de proliférer ». Au Verdon, les platanes et les marronniers devant l'école communale avaient été particulièrement touchés : les enfants ramassaient les hannetons par poignées en sortant de l'école.
Les enfants débusquaient aussi les grillons en été, si nombreux eux aussi avec un filet d'eau à l'entrée de leur galerie ou une petite tige introduite dans leur "tute"! La stridulation des mâles donnait à la Pointe de Grave un air de Provence, rappelant les cigales. Vivant environ une année, ils étaient élevés dans un vivarium avec souvent des papillons, des libellules, des phasmes…
Les amphibiens et reptiles : sur les 39 espèces d’amphibiens recensées en France, 7 sont menacées de disparition, dont une est présente en Gironde sous le statut « vulnérable » : le Pélobate cultripède.
En danger, deux batraciens, le crapaud sonneur à ventre jaune et donc le pélobate cultripède.
Sur les 41 espèces de reptiles que compte la France, 7 sont menacées de disparition, dont une est présente en Gironde sous statut « vulnérable » : le Lézard ocellé.
En danger, trois reptiles : la vipère aspic, l’orvet fragile et donc le lézard ocellé.
Les poissons : deux espèces de poissons sont considérées « en danger critique d’extinction » en Gironde : l’Esturgeon européen et l’Anguille. Cinq espèces sont dites vulnérables : la Grande alose, l'Alose feinte, le Brochet, la Lamproie de rivière, le Saumon atlantique.
Les invertébrés : la Gironde compte un mollusque en danger de disparition, la Moule perlière d’eau douce, et un crustacé vulnérable, l’Écrevisse à pattes blanches.
Sur les 73 espèces d’oiseaux nicheurs menacées de disparition en France, 12 sont présentes en Gironde (d’après LPO et faune-aquitaine.org).
Ce sont, la Bécassine des marais, la Sarcelle d’hiver, le Busard des roseaux, le Busard cendré, le Courlis cendré, le Sterne caugek, le Pipit farlouse, le Tarier des prés, le Gobemouche gris, la Linotte mélodieuse, le Bouvreuil pivoine, le Bruant ortolan.
À l'opposé des espèces en voie de disparition, on trouve malheureusement des espèces invasives qui contribuent à raréfier la diversité. Le Médoc n'échappe pas à cette problématique. Le cas le plus emblématique de cette situation est l'apparition, il y a une cinquantaine d'années, de l'écrevisse de Louisiane qui prolifère partout, dans les zones souterraines, les marais et les marécages, les lacs et les cours d’eau permanents.
D’autres espèces invasives ont trouvé le paradis en Gironde : le vison d’Amérique, le frelon asiatique, le silure, la grenouille taureau et la tortue de Floride.
Une invasion que l’on constate aussi chez les végétaux, avec par exemple la jussie qui asphyxie les petits cours d’eau ou l’ambroisie à feuilles d’armoise qui peut provoquer de graves allergies.
Port Médoc
Dernier né des trois ports de la commune du Verdon, à la pointe de Grave, Port Médoc est issu de la volonté des élus de la Communauté de communes de la Pointe du Médoc désireux de redynamiser le territoire, se tournant momentanément vers une orientation touristique plutôt qu'industrielle.
Le coût initial fut estimé à 26 millions d'euros par la Société Guintoli, Sun Gestion et Sammi. Les travaux débutés au mois de septembre 2002 sont achevés deux ans plus tard, et le port est inauguré en juillet 2004. Le coût final atteint en réalité 32 millions d'euros, financés à 85 % par Guintoli Marine et à 15 % par des aides du conseil régional d'Aquitaine, du conseil général de la Gironde, de la communauté de communes de la Pointe du Médoc et de l'Union européenne.
Port Médoc se compose d'un bassin d'une superficie de 15 hectares, de deux à trois mètres de tirant d'eau, accessible 24 heures sur 24. Il dispose de 800 anneaux et d'une marina inspirée par l'architecture scandinave où cohabitent commerces, bars, restaurants ainsi qu'un yacht club, autour d'une capitainerie. Boutiques et restaurants sont reliés entre eux par de grandes esplanades. Le port comporte également une aire de carénage, une zone de stockage, une darse de mise à l'eau (6,5 mètres de large) avec un élévateur à bateaux (35 tonnes maximum), une station service accessible 24h/24 (CB), une cale de mise à l'eau (pente 15 %… payante), une laverie.
Pour autant, la politique commerciale est vite remise en cause (notamment le système d’amodiation: une concession temporaire accordée afin de jouir de l’usage d’un anneau de port) et, tandis que les ports de la région affichent tous complet, une partie des anneaux peinent à trouver preneur.
En 2010, un audit pointe une situation financière « structurellement déficitaire » et recommande notamment la suppression des droits d'entrée et la baisse des tarifs de location. Le site souffre par ailleurs de l'absence de véritable agglomération : Le Verdon, tout comme Soulac, sont des communes de taille assez modestes et la seule grande ville des environs, Royan se trouve de l'autre côté de l'estuaire.
En 2013, la société Port Médoc SA est reprise par la société Port Adhoc. Une nouvelle politique commerciale est mise en place avec la baisse de plus de 30 % des tarifs de location, la mise en place de contrats de 3 ans garantissant la stabilité des prix et l'abandon des ventes d'anneau sous forme d'amodiation. Cette politique tarifaire de baisse des tarifs de location a permis d'enregistrer 180 nouveaux locataires en 2013 et 160 en 2014. Fin 2015, le port, arrivé à saturation, lance l'aménagement de 150 places supplémentaires, ce qui revient à passer de 800 à 950 places.
Port Médoc reste cependant géré par la société Port Médoc SA, devenue une filiale du groupe Port Adhoc, qui s'est vue accorder une délégation de service public par la Communauté de communes de la Pointe du Médoc. Son capital est détenu intégralement par la société Port Adhoc.
En 2015, Port Médoc s'est vu décerner — pour la onzième année consécutive — l'écolabel Pavillon Bleu d'Europe, qui récompense une qualité environnementale exemplaire.
À proximité de la capitainerie, une plaque honore la mémoire des membres de l'Opération Frankton.
Depuis août 2020, une passerelle en bois de 900 mètres permet de relier Port-Médoc à la plage de la Chambrette permettant une très agréable promenade[210].
Direction Sud-Atlantique, une des quatre directions interrégionales de la Mer
En 2010, les directions régionales des affaires maritimes de la métropole sont refondues en quatre directions interrégionales de la Mer (DIRM), sous l'autorité des préfets de région et préfets maritimes concernés.
La direction Sud-Atlantique correspond aux côtes de la Nouvelle-Aquitaine : le siège est situé à Bordeaux.
Le personnel de ces établissements (environ 1 200 personnes en 2009) comprend entre autres des ouvriers chargés d'effectuer les réparations, des marins chargés de conduire les baliseurs et les bateaux de travaux, et des contrôleurs des travaux publics de l'État spécialisés dans le domaine des phares et balises.
Le service des phares et balises partage avec d'autres services un centre de recherche spécialisé comptant environ 270 personnes, le Centre d'études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA, ex-CETMEF), qui met au point les dernières évolutions du matériel de signalisation. Celui-ci a succédé au Service technique des phares et balises (STPB), devenu Service technique de la navigation maritime et des transmissions de l'équipement (STNMTE), par fusion avec le Service central technique des ports maritimes et voies navigables (SCTPMVN).
Parc naturel marin de l'estuaire
Après la création du parc naturel marin du Bassin d'Arcachon, plus au sud, il est décidé, en 2015, de créer un autre parc englobant la pointe de Grave : le parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis. Sous l'autorité des préfets de la Gironde et de la Charente Maritime, est nommé un conseil de gestion de 71 personnes. Au sein même de ce Comité de gestion, du fait que l'espace marin concerné est très vaste, trois comités géographiques sont désignés : celui du littoral vendéen, celui de la mer des Pertuis, celui de l'estuaire de la Gironde. Le comité de gestion du Parc regroupe des acteurs des activités maritimes professionnelles et de loisirs, des acteurs du monde associatif, des représentants des communes littorales, des régions et départements, des services de l’État auxquels s'ajoutent des scientifiques.
Les objectifs du Parc peuvent se résumer en six orientations de gestion :
- Améliorer et partager la connaissance scientifique et empirique des milieux marins, des espèces et des usages.
- Préserver et restaurer les milieux et les fonctionnalités écologiques, dans un équilibre durable entre biodiversité et activités socio-économiques.
- Renforcer le lien « Mer-Terre » par le partenariat des acteurs concernés afin de préserver la qualité et la quantité des eaux.
- Promouvoir et développer les activités de pêche professionnelle (côtière et estuarienne), aquacoles et conchylicoles, dans le respect des écosystèmes marins.
- Promouvoir et développer les activités maritimes portuaires et industrielles ainsi que les activités de loisirs dans le respect des écosystèmes marins.
- Diffuser, auprès du plus grand nombre, la passion de la mer et impliquer chacun dans la préservation du milieu maritime et littoral.
Communauté de communes
Le Verdon-sur-mer appartient à la Communauté de communes Médoc Atlantique (14 communes) depuis le . Celle-ci résulte de la fusion de la Communauté de communes de la Pointe du Médoc (créée en 2001) avec la Communauté de communes des Lacs Médocains (créée en 2002).
La communauté de communes a son siège à Soulac-sur-Mer. Elle est présidée depuis 2017 par Xavier Pintat, maire de Soulac-sur-mer.
Parc naturel régional du Médoc
Le , une partie de la région naturelle du Médoc est classée par décret Parc naturel régional (PNR). Le Parc naturel régional du Médoc forme un triangle dont les trois sommets seraient la Pointe de Grave au Nord, les portes de Bordeaux et la commune de Le Porge (au-dessus du Bassin d'Arcachon), au Sud. Le syndicat mixte du PNR réunit en 2019 quatre communautés de commune : Médoc Atlantique (dont fait partie Le Verdon), Médoc Cœur de Presqu’île, Médullienne et Médoc Estuaire et 51 communes (toutes les communes de ce triangle, sauf Vensac).
Encadrée par le Code de l’Environnement, la procédure de création d’un PNR relève de la compétence du Conseil Régional. L’État accompagne et valide les étapes en émettant un avis. Les collectivités partenaires sont étroitement associées tout au long du processus. La demande de création résulte d’une volonté locale (élus, associations, entrepreneurs, agriculteurs…) à laquelle la Région, principal financeur et porteur de la démarche, a répondu favorablement. Un PNR s’organise autour d’un projet de territoire élaboré en concertation avec les acteurs locaux et valable pour une durée de 15 ans, appelé Charte.
Un syndicat mixte administré par un Comité Syndical (organe délibérant composé de délégués des conseils municipaux des communes adhérentes) permet de faire vivre et avancer le projet : il se réunit une fois par trimestre.
Les élus, les représentants d’associations œuvrant dans les domaines culturels, sociaux, de protection de l’environnement, les socio-professionnels (agriculteurs, viticulteurs, forestiers, entrepreneurs…)…ainsi que l’État, la Région, le Département sont invités à construire et définir ensemble la stratégie de développement de leur territoire à travers cette charte.
C’est le document de référence où sont inscrites les orientations et les actions qui seront mises en œuvre.
La charte comporte trois axes d'action.
Axe 1
- Accorder les activités humaines avec les dynamiques naturelles.
- Progresser ensemble par l’échange pour améliorer la gestion durable des milieux.
- Préserver et valoriser les éléments constitutifs des grands ensembles paysagers du Médoc.
- Favoriser la transition énergétique.
Axe 2
- Prendre soin des équilibres du Médoc pour renforcer son essor.
- Cultiver l’initiative économique locale.
- Inciter au développement d’un système alimentaire local.
- Renforcer les solidarités sociales.
- Enrichir la culture médocaine.
Axe 3
- Structurer la relation avec la Métropole.
- Conduire une utilisation de l’espace sobre et qualitative.
- Rechercher les bonnes échelles de coopération pour renforcer les dynamiques économiques locales.
- Poursuivre le développement d’une offre touristique diversifiée et cohérente.
Exemples d'actions possibles
- Accompagner des éleveurs locaux vers l’obtention d’aides européennes et la valorisation de leurs produits.
- Mettre à disposition des habitants un annuaire des producteurs locaux en circuits courts.
- Créer des espaces agricoles test pour accueillir de nouveaux agriculteurs.
- Organiser un centre de ressources pour aider à la réhabilitation énergétique des bâtiments de particuliers, entreprises, collectivités…
- Développer un programme d’éducation à l’environnement et à la culture locale avec les enseignants de l'école primaire et ceux du secondaire : ‘’Je connais toutes les richesses de mon territoire’’.
- Appuyer les collectivités dans la conception de projets d’urbanisme et d’amélioration du cadre de vie mettant en valeur les paysages, l’architecture…
- Réaliser un guide des services à la disposition des personnes âgées, de leurs familles et de ceux qui les accompagnent dans le territoire.
- Développer l’attractivité du territoire auprès des professionnels de santé.
- Soutenir auprès des communes et des habitants, le partage de bonnes pratiques dans l’utilisation de matériaux, de produits d’entretien et d’hygiène présentant des risques pour la santé et l’environnement.
- Organiser un forum annuel et le développement d’une plate-forme numérique réunissant agriculteurs, viticulteurs, forestiers, sylviculteurs, gestionnaires d’espaces protégés… pour partager leurs connaissances et leurs expériences et optimiser la gestion des milieux dont ils sont propriétaires, qu’ils exploitent et gèrent.
- Mettre en place une filière éco-tourisme et appuyer la structuration touristique d’une véritable destination Médoc qui profite à l’ensemble du territoire.
- Appuyer l’émergence d’espaces de travail partagés ou tiers-lieux, organisés en réseau pour permettre de travailler autrement en Médoc.
- Valoriser et dynamiser les capacités d’innovation de l’ostréiculture, du gemmage, du tourisme, du secteur bois-forêt, de l’éco-construction… et développer des logiques de cluster (entreprise, formation, recherche) à l’instar du secteur des matériaux composites[211]…
La commune de Vensac s’est exclue d'elle-même du périmètre du futur Parc naturel régional par un vote largement majoritaire contre le projet de charte, lors de la réunion d'un Conseil municipal (huit voix contre, quatre abstentions et une voix pour). À la suite de ce vote, la Région a arrêté le périmètre définitif pour une durée de quinze ans (2018–2033), un projet sans la commune de Vensac.
Climat
Le climat de la Gironde est de type océanique aquitain. Il se caractérise par des hivers doux et des étés relativement chauds. Les précipitations sont assez fréquentes, particulièrement durant la période hivernale. En moyenne, elles atteignent 100 mm au mois de janvier et sont inférieures de moitié au mois de juillet. Les températures moyennes relevées à Bordeaux sont de 6,4 °C en janvier et de 20,9 °C en août, avec une moyenne annuelle de 13,3 °C. Les records de chaleur enregistrés sont de 41,9 °C le 16/8/1892 et les records de froid de −16,4 °C le 16/1/1985.
La Gironde connaît en moyenne 15 à 20 jours en été où les températures dépassent les 30 °C. Des températures extrêmes peuvent aussi être observées comme lors de l'été 2003 où la température a atteint 41 °C. Ce même été, il y a eu 12 jours consécutifs où les maximales ont atteint ou dépassé les 35 °C. Le département bénéficie d'un ensoleillement élevé dépassant souvent 2 000 heures de soleil par an et jusqu'à 2 200 heures sur le littoral. Ces conditions climatiques favorables, toujours soumises aux influences de l'océan Atlantique, favorisent l'existence d'une végétation déjà méridionale. Ainsi la flore se caractérise-t-elle par la présence étonnante de lauriers-roses, eucalyptus, agaves, etc. Aux essences déjà méridionales du chêne vert et du cyste, s'ajoute une forte présence de palmiers, figuiers, orangers et même oliviers. L'arbre-roi demeure cependant le pin maritime, omniprésent sur la côte.
La Gironde a connu des hivers très froids en 1956, 1985 et en 1987, puis une sécheresse de 1988 à 1992. Plus récemment, le département a connu une sécheresse importante de 2002 à 2005. La Gironde, du fait de sa situation, connaît régulièrement des tempêtes hivernales. Deux d'entre elles ont cependant marqué les esprits par leur exceptionnelle intensité : Martin en et Klaus en 2009.
Relevés météorologiques à Bordeaux
Mois | jan. | fév. | mars | avril | mai | juin | jui. | août | sep. | oct. | nov. | déc. | année |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Température minimale moyenne (°C) | 2,8 | 3,4 | 4,6 | 6,6 | 10,3 | 13 | 15,1 | 15,2 | 12,5 | 9,5 | 5,5 | 3,8 | 8,5 |
Température moyenne (°C) | 6,4 | 7,6 | 9,6 | 11,6 | 15,4 | 18,3 | 20,8 | 20,9 | 18,1 | 14,2 | 9,4 | 7,3 | 13,3 |
Température maximale moyenne (°C) | 10 | 11,7 | 14,5 | 16,5 | 20,5 | 23,5 | 26,4 | 26,6 | 23,7 | 18,8 | 13,4 | 10,7 | 18,1 |
Record de froid (°C) | −16,4 | −15,2 | −9,9 | −5,3 | −1,8 | 2,5 | 4,8 | 1,5 | −1,8 | −5,3 | −12,3 | −13,4 | −16,4 |
Record de chaleur (°C) | 20,2 | 26,2 | 29,8 | 31,1 | 35,4 | 38,5 | 39,2 | 41,9 | 37,6 | 32,2 | 25,1 | 22,5 | 41,9 |
Précipitations (mm) | 92 | 82,6 | 70 | 80 | 83,9 | 63,8 | 54,5 | 59,5 | 90,3 | 94,1 | 106,9 | 106,7 | 984,1 |
Environnement
La pointe de Grave est composée d'écosystèmes variés, qui lui valent d'être intégrés à plusieurs zones protégées dans le cadre du réseau de protection des sites naturels ou semi-naturels de l'Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale (réseau Natura 2000). Depuis 2015, elle est dans le périmètre du parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis et depuis 2019, dans celui du parc naturel régional du Médoc.
Le marais du Logis (et plus largement, les marais du nord-Médoc) est classé en site d'importance communautaire (SIC)[213]). Les dunes sont également classées en site d'importance communautaire, du fait de la présence d'espèces végétales rares et/ou protégées[214]. Enfin, la forêt domaniale de la pointe de Grave, pinède caractéristique de la région, est sillonnée de sentiers de promenade.
D'un point de vue ornithologique, la pointe de Grave est l'un des premiers sites français de comptage systématique de la migration des oiseaux. De par sa conformation en « entonnoir » tourné vers le nord, qui concentre les flux migratoires montants, ce site est suivi au printemps. Il est suivi à ce titre depuis 1986 par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) chaque année, de mars à mai. En période d'activité, les résultats des comptages sont disponibles le soir même sur le portail de la migration en France, où les internautes peuvent les consulter sous formes de listes ou de graphiques, et les comparer à ceux des autres sites de suivi de la migration en France, ou à ceux des autres années.
Patrimoine
Le site de la Pointe de Grave accueille plusieurs mémoriaux, dédiés aux Américains, aux Libérateurs de la Pointe de Grave et aux membres de l'Opération Frankton.
Monument aux Américains
Un premier monument aux Américains, haut de 75 mètres, avait été construit sur ce site de 1919 (pose de la première pierre en présence du président de la République, Raymond Poincaré[215]) à 1938 (inauguration en présence, notamment, du futur président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy)[216]. L'érection d'un monument commémoratif à cet endroit célébrait à la fois l'embarquement du marquis de La Fayette depuis ce rivage en 1777 et le débarquement des troupes américaines du général John J. Pershing en 1917.
Le , les troupes d'occupation allemande détruisent le monument, considéré comme un point de repère potentiel pour les aviateurs alliés. Il est remplacé par une construction plus sobre en 1947[215]. Il porte cette inscription : Modèle:Citation BLOC
Monument aux membres de l'opération Frankton
Le monument aux membres de l'opération Frankton est inauguré au mois de , en présence de nombreuses personnalités civiles et militaires françaises et britanniques, dont l'amiral Sir Mark Stanhope, First Sea Lord, le général John Rose, commandant des Royal Marines, lord Paddy Ashdown représentant du gouvernement britannique, le vice amiral d’escadre de Saint Salvy, commandant de la zone maritime Atlantique, le capitaine de frégate Clivaz ou encore Dominique Schmitt, préfet de la Gironde[217].
Le monument, haut de 2,40 mètres, est constitué de blocs de pierre de Portland, symbolisant « les quatre étapes du relèvement d'un être humain, de la position couchée à debout »[218] et par extension, la résistance face au nazisme. Il vient rappeler le souvenir des hommes des Royal Marines qui, largués par le sous-marin britannique HMS Tuna le , remontent la Gironde à bord de simples kayaks jusqu'à Bordeaux, où ils ont pour mission de détruire plusieurs navires ennemis. Des dix hommes engagés dans l'opération, deux meurent noyés et six sont pris, puis exécutés.
Le coût du monument (95 000 livres) a été presque intégralement couvert par une souscription[218].
Phare de Grave
Situé à quelques centaines de mètres de Port-Bloc et de la dune du Sémaphore, émergeant de la forêt domaniale de la Pointe de Grave, le phare de Grave est un des deux phares de la commune du Verdon (avec le phare Saint-Nicolas, plus au sud). Du fait de l'instabilité du sol et du travail de sape de l'océan et de l'estuaire, plusieurs phares se succèdent à partir de 1823, la tour actuelle étant bâtie en 1860 et en seulement 9 mois ! Haute de 29,2 mètres, elle est en maçonnerie lisse, peinte en blanc, avec chaînes d'angle en pierres apparentes. La lanterne, accessible par un escalier de 107 marches, accueille un feu fixe blanc à occultations toutes les 5 s. Le phare a été électrifié en 1937 et est entièrement automatisé depuis 1955. À l'instar du phare de Cordouan (en mer) et du phare de la Coubre (sur la côte charentaise), il délimite l'entrée de l'estuaire de la Gironde.
Les anciens locaux techniques ont été aménagés en un musée consacré au phare de Cordouan tout proche et aux phares et balises de Gironde en général. Sont notamment présentés au public des maquettes et des éléments d'optique.
Économie
La pointe de Grave abrite plusieurs pôles commerciaux et touristiques, aménagés autour de Port-Bloc (embarcadère des bacs « La Gironde » et « Le Verdon ») et de la marina de Port Médoc, ouverte en 2004. Cette dernière comporte un bassin de 15 hectares pouvant abriter 800 bateaux de plaisance, sa capacité devant être portée à 1200 anneaux ultérieurement.
Les abords de la marina, traités de façon contemporaine, se déclinent en plusieurs esplanades, et accueillent commerces, bars et restaurants, ainsi que les services techniques du port.
Liaisons
- Bac : Royan-Le Verdon
- Chemin de fer : la gare de La Pointe-de-Grave est le terminus de la ligne du Médoc venant de Bordeaux.
Notes et références
- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Sémaphore (signalisation maritime) » (voir la liste des auteurs). (voir aussi la page de discussion)
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- ZPS des marais du Nord-Médoc, FR7200680
- SIC : Dunes du littoral girondin de la pointe de Grave au Cap-Ferret, FR7200678
- Le patrimoine des communes de la Gironde, éditions Flohic, p. 1437
- Mémorial La Fayette, Pointe de Grave, Rochefort-USA Friendship
- Opération Frankton : édification d’un mémorial à la pointe de Grave (33), site de la Marine nationale
- Opération Frankton : le mémorial fin mars, article de Maguy Caporal paru dans Sud Ouest, édition du 20 janvier 2011
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Rémy Desquesnes, Les poches de résistance allemandes sur le littoral français : août 1944 - mai 1945, Rennes, éd. Ouest-France, coll. « Histoire », , 127 p. (ISBN 978-2-7373-4685-9).
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