François Darlan
François Darlan, né le à Nérac (Lot-et-Garonne) et mort assassiné le à Alger, est un amiral et homme politique français.
Pour les articles homonymes, voir Darlan.
Ne doit pas être confondu avec Joseph Darnand.
François Darlan | |
François Darlan, vers 1940. | |
Fonctions | |
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Vice-président du Conseil des ministres (Vichy) | |
– (1 an, 2 mois et 9 jours) |
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Chef de l'État | Philippe Pétain |
Gouvernement | Gouvernement François Darlan |
Prédécesseur | Pierre-Étienne Flandin |
Successeur | Pierre Laval (chef du gouvernement) |
Biographie | |
Nom de naissance | Jean Louis Xavier François Darlan |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Nérac (Lot-et-Garonne) |
Date de décès | |
Lieu de décès | Alger (département d'Alger) |
Nationalité | française |
Parti politique | Sans étiquette |
Présidents du Conseil des ministres français | |
François Darlan | |
Origine | Français |
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Allégeance | République française État français |
Arme | Marine nationale |
Grade | Amiral |
Années de service | 1901 – 1942 |
Conflits | Seconde Guerre mondiale |
Faits d'armes | Opération Torch |
Distinctions | Amiral de la flotte |
Autres fonctions | Vice-président du Conseil (1941-1942) |
Famille | Alain Darlan, fils, Eric Darlan, petit-fils |
Chef de la Marine française au début de la Seconde Guerre mondiale, il est ministre de la Marine du premier gouvernement du régime de Vichy puis, en , chef du gouvernement vichyste où il s'investit dans la politique de collaboration du maréchal Pétain avec l'Allemagne nazie.
Remplacé par Pierre Laval en , Darlan reste commandant en chef des forces de Vichy. Présent à Alger lors du débarquement allié en Afrique du Nord en , il se rallie avec réticences et hésitations aux Alliés. L'amiral exerce dès lors le pouvoir sur une partie des colonies africaines de la France, avant d'être assassiné quelques semaines plus tard.
La carrière initiale de Darlan
Né à Nérac en Lot-et-Garonne, il est le fils de Jean-Baptiste Darlan (1848-1912), un député républicain progressiste qui avait été garde des Sceaux dans le gouvernement de Jules Méline. François Darlan (1881-1942) a grandi en milieu républicain et franc-maçon. Son père, ministre de la Justice, tenta d'intervenir en faveur de Dreyfus. Orphelin de mère (comme Philippe Pétain) dès son plus jeune âge, il est placé en pension à l'âge de dix ans[1].
Entré à l'École navale en 1899, il en sort en 1901 et part servir en 1902 en Extrême-Orient. Lieutenant de vaisseau, officier canonnier, il commande une batterie d'artillerie de marine pendant la Première Guerre mondiale.
Il bénéficie de la protection d'un ami de son père, Georges Leygues, longtemps ministre de la Marine sous la Troisième République, dont il est chef adjoint puis chef du cabinet militaire presque sans interruption de 1926 à 1934[2].
L'écrivain Simon Epstein remarque que François Darlan était apprécié de Léon Blum[Note 1] et fut pendant la guerre d'Espagne favorable aux républicains espagnols[3].
De sensibilité centre gauche par héritage familial et par ses passages dans les cabinets de Georges Leygues et d'Albert Sarraut, il connaît un avancement rapide : contre-amiral en 1929, vice-amiral en 1932. De 1934 à 1936, il commande à Brest l'escadre de l'Atlantique, il prend rang et appellation de vice-amiral d'escadre en 1936 durant son mandat, puis est nommé commandant en chef de la marine nationale en 1937, et il prend rang et appellation d'amiral simultanément. Au lendemain de l'avènement du Front populaire, ses attaches avec le centre-gauche le désignent comme candidat aux fonctions de chef d'état-major de la marine. Cet avancement, dû pour une grande part à une carrière dans les cabinets ministériels, lui vaudra cette remarque de la part de ses adversaires « La France a trois amiraux : Esteva, qui n'a jamais connu l'amour ; Darlan, qui n'a jamais connu la mer, et le vrai loup de mer qui a bourlingué toute sa vie et qui, lui, n'a jamais connu Darlan[4]. » Le , il est fait « amiral de la flotte », un titre créé pour lui de manière à donner au chef de la 4e marine du monde, le poids qui lui revient dans les conférences et le protocole international.
Agnostique et plutôt radical socialiste, Darlan est attaché aux valeurs de laïcité (mais n'est pas hostile à l'Église), de petite propriété, de patriotisme et de morale[2].
Dans les conférences internationales de l'entre-deux-guerres, Darlan défend vigoureusement le droit pour la France de disposer d'une marine puissante face aux prétentions des Britanniques[5].
Au cours de sa carrière, Darlan fait construire de nouvelles unités navales et en profite, à l'occasion des nominations qui en découlent, pour tisser un réseau de relations, composé d'officiers de Marine dont il favorise l'avancement (les proches sont appelés « ADD », c'est-à-dire « Amis de Darlan », ceux du sérail « ADF », « Amis de François »). En 1939, grâce à Darlan, la France possède l'une des plus puissantes marines de son histoire (même si elle manque de moyens aéronavals). En tonnage, la Marine nationale française occupe le 4e rang mondial derrière la Royal Navy britannique, l'United States Navy des États-Unis et la Marine impériale japonaise et devant la Regia Marina italienne. Visitant le QG de Darlan durant la drôle de guerre (le 5 mai 1940), Philippe Pétain, reçu avec égard, se serait écrié : « Enfin quelque chose qui marche ! »[6].
L'Armistice et le régime de Vichy
Le 14 Juin 1940, l'amiral Darlan refuse d'envoyer la Flotte de Toulon a Bordeaux, pour l' évacuation d'unités militaires constitués pour l'Afrique du Nord, malgré les instructions de Paul Reynaud, Président du Conseil. Le , Darlan refuse dans un premier temps l'appel à cesser le combat diffusé la veille par Pétain. La marine poursuit la guerre, ce qui permettra notamment à trois navires de quitter Brest avec 1 100 tonnes d'or de la Banque de France, qui seront mis en sécurité au Sénégal[7]. Une fois la défaite consommée, il soutient la demande d'armistice. Par la suite, révolté par l'agression britannique de Mers el-Kébir, il s'estime trahi par ses anciens compagnons d'armes britanniques, et voudrait que la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne oubliant les multiples demandes britanniques depuis le 11 Juin 1940 et le Traité d'alliance du 28 Mars 1940 qui n'a pas été respecté. Pétain le calme en lui déclarant « Une défaite suffit », et Darlan n'obtient que des représailles françaises purement symboliques, le Conseil des ministres se prononçant pour une rupture des relations diplomatiques, malgré les réticences du Président de la République Albert Lebrun.
Darlan devient ministre des Marines marchande et militaire du premier gouvernement Pétain, puis du gouvernement de Vichy. Le , il succède à Pierre-Étienne Flandin comme chef du Gouvernement. Sa nomination marque aussi la présence importante des amiraux à Vichy avec les amiraux Platon, Auphan, et Esteva.
Après le renvoi de Pierre Laval , il devient le successeur désigné de Philippe Pétain par l’acte constitutionnel 4 quater du même jour. Darlan dirige le gouvernement jusqu’en avril 1942, jour où il doit à son tour démissionner au profit de Pierre Laval dont l'Allemagne a imposé le retour et qui est nommé le . L'Amiral Darlan reste tout de même successeur désigné du chef de l’État, et devient commandant en chef des forces françaises.
La collaboration
La nouvelle Marine française, tout comme l'Empire colonial, va se trouver à la base de la politique de collaboration menée en grande partie à l’initiative de Darlan, à la suite de sa nomination comme vice-président du Conseil. Cette politique constitue l'application militaire de la politique de collaboration fixée publiquement par Pétain, le , au lendemain de l'entrevue de Montoire entre Philippe Pétain et Adolf Hitler.
Le 25 Décembre 1940 Darlan, se rend a Beauvais pour rencontrer Hitler, afin de confirmer la pleine collaboration du régime de Vichy. Darlan, en échange de la collaboration économique et militaire avec l'Allemagne, espère obtenir une révision de l’Armistice. Pour lui, la guerre devrait à la longue être épuisante pour le Royaume-Uni, et celui-ci devrait finalement abandonner l'Europe continentale aux Allemands, tandis que les États-Unis contrôleraient les mers, le conflit passant à une phase intercontinentale. La France doit, pour éviter que le Royaume-Uni et l'Allemagne s'entendent aux dépens de l'Empire français, se rapprocher politiquement de l'Allemagne. Et pour conserver une flotte nécessaire aux Allemands pour contrôler les mers, lorsque la guerre aura atteint sa phase intercontinentale, la France doit éviter tout retour dans le conflit, donc conserver une neutralité militaire stricte, préservant ainsi également l'Empire. Il plaide pour la collaboration avec l'Allemagne, estimant que la France doit participer à l'établissement d'un Ordre nouveau, où la France utiliserait son Empire et sa flotte pour protéger l'Europe, sous domination du Reich[8].
A compter du 10 Février 1941, Darlan a un pouvoir considérable puisqu'il a quatre portefeuilles: de la Marine, des Affaires étrangères, de l'intérieur et de l'information.
Darlan est parmi les artisans de la création, en mars 1941 du Commissaire général aux Questions juives qui sera confié à Xavier Vallat[9]. En avril 1941, il plaide auprès de l'Allemagne pour que la France, dotée d'un régime autoritaire, participe à une union douanière européenne, en faisant bénéficier l'Europe de son empire colonial[10]. Il sous-estime cependant la méfiance d'Hitler vis-à-vis de la France.
Lors du coup d’État anti-britannique de Rachid Ali en Irak, le , alors que le Royaume-Uni semble affaibli, Darlan escompte pouvoir obtenir la réduction des contraintes résultant de l’Armistice, en échange de la livraison à l'Allemagne d'une base aérienne en Syrie-Liban et de stocks d'armes des forces françaises du Levant à ses alliés irakiens anti-britanniques. À cet effet, il rend visite à Hitler à Berchtesgaden le 11 mai 1941, pour accorder, sans hésitation, l'accès au Levant à l'armée Allemande, celà malgré l'opposition du Général Dentz qui souligne là une violation des clauses de l'armistice du 22 Juin 1940. Après quoi, le 14 mai, il plaide devant le Conseil des ministres pour une collaboration élargie. Le 15 Mai 1940 Petain envoie une lettre personnelle à Dentz disant " Je tiens a insister personnellement auprès de vous sur la haute portée des négociations que conduit actuellement l'Amiral et sur la volonté que j'ai personnellement de poursuivre sans arrières pensées cette politique de collaboration".
Les protocoles de Paris sont signés le par Darlan et Abetz. Par anticipation sur ces accords, et avec l'approbation active de Pétain, qui en adresse directement l'ordre au général Dentz, une base a été livrée à la Luftwaffe à Alep en Syrie, tandis que des véhicules, de l'artillerie et des munitions sont cédés aux Allemands, en Afrique du Nord, ainsi qu'en Syrie, aux Irakiens en lutte contre le Royaume-Uni.
Les autres protocoles signés à Paris par Darlan prévoient aussi la livraison aux Allemands de bases navales à Bizerte et Dakar. Ces textes prévoient même qu'en cas de riposte des Britanniques ou des Américains (à ce moment ces derniers sont pourtant encore neutres) contre les bases ainsi transférées aux Allemands, les forces de Vichy devront les défendre.
En fait de « contrepartie » de ses concessions, Darlan n'obtient que l'autorisation de transférer en Afrique française 10 000 hommes pour la défendre contre les Alliés, et dans le même but, la libération de 961 officiers, dont le général Juin expressément désigné. Mais aucune libération massive des prisonniers français. Ainsi ce marché de dupes n'aboutit-il qu'à aider l'Allemagne, et à engager davantage les forces de Vichy dans la collaboration, avec le risque de riposte britannique et américaine. Leur application prématurée au seul Levant a d'ailleurs eu pour conséquence la campagne de Syrie.
Le risque grave de cobelligérance avec l'Allemagne impliqué par ces textes, en l'absence de toute contrepartie sérieuse, est dénoncé par Weygand. Quant au gouvernement de Vichy, il s'abstint de ratifier ce texte, en invoquant la nécessité de concessions plus importantes.
Les accords Darlan-Kato, signés le , régissent les relations entre l’empire du Japon et le gouvernement de Vichy sur le territoire de l’Indochine française à la suite de l’installation japonaise de 1940.
Bien que marqué par la perte du Levant et l’échec des Protocoles de Paris, Darlan se ressaisit, convaincu de la justesse de sa politique. Il lui fallait rester allié à l'Allemagne pour ne pas perdre l'Afrique, ni sa place dans le gouvernement de Vichy. Il renforce son pouvoir et devient ministre de la Défense nationale. Il peut ainsi déterminer l’emploi des forces armées et leur organisation générale, ainsi que les conditions de leur emploi. Les relations entre marine et Armée de terre sont peu cordiales, les militaires supportant mal d’être commandés par un marin. Darlan entre en conflit ouvert avec Weygand et Huntziger. Le hasard sert Darlan avec la mort dans un accident d'avion du général Huntziger. Quant à Weygand, les manœuvres de l'amiral auprès des Allemands aboutissent à son rappel, à la suite d'un ultimatum allemand. Juin, libéré en application des Protocoles de Paris, est aussitôt nommé au commandement supérieur en Afrique du Nord.
Le , les difficultés de Rommel en Afrique relancent les négociations : une rencontre a lieu à Saint-Florentin, dans l'Yonne, entre Darlan, Pétain et Goering. Pétain remet alors au maréchal du Reich un mémorandum en sept points reprenant le contentieux ancien pour obtenir une collaboration politique sincère sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté française sur l’ensemble du territoire, de la fin de l’Ostdeutsche Landbewirtschaftung-gesellschaft, de la disparition de la ligne de démarcation, d'assouplissements économiques et de la libération des prisonniers. Ce mémorandum est refusé par Goering.
Le 10 Décembre 1941, Darlan va rencontrer Ciano, à Turin. Ciano écrira plus tard " C'est extraordinaire de voir devant moi cet Amiral Darlan, je ne me doutais pas de la haine qu'il portait à l'Angleterre, la victoire de l'Axe, il l'appelait de tous ses voeux"
Négative sur le plan des concessions politiques, la concertation débouche sur des conversations militaires concernant la défense de l'Empire. N'excluant plus le repli de Rommel en Tunisie, des négociations sont menées avec le général Juin, le 20 décembre à Berlin, pour une éventuelle participation française à la guerre en Afrique. Au cas où Rommel serait rejeté en Tunisie, les troupes françaises devraient intervenir pour combattre aux côtés des Allemands contre les troupes britanniques. C'est d'ailleurs ce qui se produit le , où les généraux de Vichy combattent le débarquement allié au Maroc tandis qu'ils livrent, sans résistance, la Tunisie aux troupes germano-italiennes.
Il s’agit là, pour la France, comme lors des protocoles de Paris, d’un accord de co-belligérance avec les Allemands, alors que les concessions politiques demandées à l'Allemagne en contrepartie sont rejetées. Darlan négocie alors des compensations d’ordre uniquement militaire, mais qui, en dépassant largement le cadre du deuxième protocole de Paris, rendent inévitable une guerre avec les États-Unis et le Royaume-Uni.
La méfiance d'Hitler à l'égard de la France exclut toute possibilité d'une France alliée de l'Allemagne et les propositions de Darlan vont, une fois de plus, rester lettre morte.
En ce début de 1942, Hitler ne croit plus avoir besoin des Français, du fait de l'affaiblissement des Britanniques.
À la fin de , la politique de Darlan est un échec complet. Les Allemands ont rompu le contact, ils ne le reprendront plus. La situation de la Marine ne cesse de se dégrader. Les bâtiments de Toulon ne disposent que de deux pleins de mazout alors que les stocks du Maroc sont déjà épuisés[réf. nécessaire]. La flotte française, en cas de reprise des hostilités, serait dans la même situation que la flotte italienne : en dépendance totale à l’égard de l’Allemagne pour le carburant et pour la couverture aérienne.
Par ailleurs Darlan, par ses demandes de concessions, irrite les Allemands qui exigent le retour de Laval au pouvoir. Darlan n'est pas pour autant mieux vu des Britanniques qui lui reprochent les accords de Paris et la livraison de matériel aux Irakiens puis aux Germano-Italiens. Il est en butte à l'hostilité d’une partie de l'Armée et de l'entourage du chef de l’État. Il souffre de surcroît d'une certaine impopularité, du fait de la détérioration des conditions de vie des Français. Le , Pétain remplace Darlan par Laval.
Le changement de cap
Darlan a négocié son départ, et a gardé le rôle de commandant en chef des forces militaires. Non seulement il est chargé de l'organisation et de l'emploi des forces armées, mais de plus des promotions. Darlan s'efforce de lutter contre la bureaucratie et de rajeunir les cadres de l’Armée en abaissant les limites d'âge. Il limite les défilés et les prises d’armes et veut réduire le nombre des états-majors. Il tient à créer un esprit interarmées. Il accorde une grande importance à la préparation d'opérations combinées mais il n’en reste pas moins le subordonné de Laval.
La tentation d'un retournement
Darlan se livre à des spéculations sur l'avenir en un temps où la France risque de se retrouver plongée dans le conflit. Ainsi, dès la fin de 1941 Darlan aurait-il multiplié, à en croire son entourage, les propos désagréables à l’égard de l’Allemagne. Dès le [11], il laisse son fils Alain et l’amiral Raymond Fenard[12] prendre officieusement contact avec le consul américain Robert Murphy. L’un et l’autre se seraient efforcés[réf. nécessaire] de convaincre le président Roosevelt, par l'intermédiaire de son consul à Alger, que Darlan croyait en la victoire alliée.
Le , dans la soirée, Darlan reçoit un coup de téléphone de Fénard depuis Alger : Alain Darlan, atteint de poliomyélite, est hospitalisé depuis le 15 octobre à Alger ; son état est désespéré. Le 5 novembre, Darlan quitte à la hâte Vichy pour Alger. Escorté par son adjoint marine et son directeur de cabinet, il emporte ses codes de communication avec Auphan (tout en laissant ceux des autres amiraux tels que Jean de Laborde), comme il le fait dans tous ses déplacements, même personnels, depuis qu'il est devenu ministre, puis commandant en chef.
Le débarquement allié en Afrique du Nord
Dans la nuit du 7 au 8 novembre, ne tenant pas compte de l'absence de Giraud à Alger[13], un groupe de résistants algérois animé par Henri d'Astier de La Vigerie, en application des accords de Cherchell, fait occuper les points stratégiques d'Alger par 400 volontaires civils dirigés par des officiers de réserve, et arrêter les principaux généraux. Ainsi, Darlan (venu à l'improviste au chevet de son fils Alain, gravement malade) est-il arrêté, avec Juin, le futur commandant en chef du corps expéditionnaire français en Italie, par un groupe d'étudiants, menés par Bernard Pauphilet[14]. Ne pouvant savoir qui sont ces étudiants ni pour qui ils agissent, le 14e corps d'armée concentre tous ses efforts à la libération de ses officiers généraux si bien que les Alliés qui avaient déjà débarqué sans opposition, encerclent Alger et en obtiennent la capitulation le soir même sans effusion de sang (contrairement aux autres points du débarquement où les forces vichystes ont ordonné de repousser les Alliés).
Ce coup de main audacieux fait que c'est en tant que prisonnier et non en tant qu'initié au secret militaire (ce qui était prévu par les Alliés) que Darlan se voit remettre à Alger par le consul américain Murphy, qui fut l'interlocuteur privilégié du général Weygand, le message du président Roosevelt lui demandant d'accueillir en amies les troupes débarquées. Darlan, mal informé par ses services, ne croyait pas que les Américains pourraient disposer des moyens maritimes suffisants pour intervenir du côté de l'Europe avant au moins un an. Mais les Britanniques y ont joint une partie de la Royal Navy[15]. Mis devant le fait accompli, il considère le débarquement comme une agression ; prisonnier, il voit la demande de Roosevelt comme un chantage. Il pense à un coup d'État et s'arrange alors pour adresser à l'amirauté d'Alger, non contrôlée par le groupe d'Henri d'Astier, deux messages, dont l'un au moins, rédigé de sa main (et conservé), donne l'ordre à l'amirauté de résister aux Alliés (ce message sera intercepté par les résistants). Enfin, après avoir été libéré au matin avec Juin par la garde mobile, il adresse dès 8 h à Vichy un télégramme demandant l'intervention de la Luftwaffe, l'aviation allemande, contre les convois alliés, et organise la reconquête de la ville contre le groupe de D'Astier.
Au pouvoir à Alger
En raison du refus du général Giraud de quitter Gibraltar, le , pour Alger où les résistants comptaient sur lui, Darlan, après avoir capitulé et s'être rendu aux Alliés, va se retrouver seul propulsé sur le devant de la scène. Pour les Américains, Murphy, Clark[12] ou Ryder, il devient le seul interlocuteur susceptible, dans les jours suivant le débarquement, de mettre fin aux combats à Oran et au Maroc, où ses subordonnés ont accueilli les Alliés à coups de canon. Or, si l'amiral de la flotte, pris au piège, a accepté dès le 8 un cessez-le-feu pour la région d’Alger, il se refuse pendant les deux jours suivants, malgré les pressions et les menaces du général Clark, adjoint d'Eisenhower, à ordonner la suspension d’armes au Maroc et à l’ensemble de l’Algérie. Il ne se décidera que sous la menace, le 10 novembre, à mettre fin au combat.
Giraud, arrivé à Alger le 9 novembre, après la bataille, en escomptant prendre le commandement des forces alliées, se rend compte que le jeu américain s'est recentré autour de Darlan. Dès le 10 novembre, un télégramme de Vichy désavoue Darlan et fait du général Charles Noguès le représentant du maréchal Pétain en Afrique. Sous la pression des Américains, une nouvelle organisation de commandement se met en place en Afrique : Darlan prend le titre de Haut-commissaire pour la France en Afrique, au nom du « Maréchal empêché », tandis que Giraud devient chef des forces armées françaises[16]. Aussi Darlan, après avoir finalement ordonné le cessez-le-feu à Oran et au Maroc, fait-il enfin rentrer l’Afrique française du Nord dans la lutte contre l’Axe. Grâce au soutien de Pierre Boisson, il obtiendra en outre le ralliement de l’Afrique-Occidentale française[17].
Le ralliement de Darlan soulage les chefs militaires vichystes, conscients d’aller à la défaite en cas de résistance prolongée. Pour les Alliés, si le ralliement de Darlan est plutôt mal vu par leurs opinions publiques, et considéré avec suspicion par leurs généraux, il permet de gagner du temps et d'épargner des vies. Au surplus Darlan vaincu a-t-il accordé aux Alliés des concessions encore plus larges que celles consenties par les résistants lors des accords secrets de Cherchell, deux semaines plus tôt. Reste dès lors le problème de la flotte de Toulon. Les Alliés espèrent son ralliement, avant tout pour obtenir sa neutralisation. Aussi les Alliés pressent-ils Darlan de lui ordonner d’appareiller, alors que Darlan ne veut la faire partir qu'en cas d'invasion de la zone sud, l'affirmant à plusieurs reprises le . Il sait qu'il doit déjà parvenir à faire confirmer sa légitimité sur les autorités militaires vichystes en Afrique. Au demeurant, il a peu de chance d'obtenir le ralliement de l'amiral collaborationniste Laborde (commandant la flotte de Toulon), avec lequel il a un conflit personnel, et qui n'écoutera que Pétain. C'est donc le seulement que Darlan se décide, sous la pression des Alliés, à adresser un message à l’amiral de Laborde. Invoquant la rupture de l’armistice et l’absence de liberté du maréchal, il invite le commandant en chef à diriger les navires vers l’Afrique-Occidentale française, et non vers l'Afrique du Nord. Le lendemain, Darlan renouvelle son appel dans les mêmes termes. Il se voit opposer une fin de non-recevoir.
Obéissant aux consignes de sabordage de 1940 (ordonnées par Darlan lui-même) prévoyant le cas où une puissance étrangère essayerait de s'emparer des bâtiments français, le sabordage de la flotte intervient le à Toulon lorsque les Allemands envahissent la zone libre.
Le Haut-commissariat de France en Afrique du Nord se met en place en tant qu'organe exécutif et installe son siège dans l'ancien palais d’Été du dey. Henri d'Astier de La Vigerie assume le secrétariat à l'intérieur et Jacques Lemaigre Dubreuil celui de délégué aux États-Unis. Bien que fermement désavoué par Vichy, Darlan prétend toujours gouverner au nom de Pétain, déclarant : « Nous avons tous admis que le Maréchal était toujours notre chef, mais que ce chef était moralement prisonnier »[18].
Darlan ne se soucie cependant pas d'abroger les lois et mesures les plus vexatoires du régime de Vichy, les détenus politiques restant notamment maintenus dans les camps de concentration du Sud. Se justifiant du fait du contexte militaire en Tunisie, il refuse de revenir sur l'abrogation du décret Crémieux, et oppose le même attentisme aux demandes de Ferhat Abbas concernant l'émancipation des musulmans[19].
Le changement de camp de Darlan en n'en a pas moins facilité l'entrée en guerre des forces françaises d'Afrique du Nord aux côtés des Alliés. Ainsi Roosevelt, mal informé et préoccupé par les ambitions dictatoriales supposées de Charles de Gaulle, préfère prolonger la continuité étatique. Cependant, la position de Darlan est précaire, du fait d'un manque de véritable reconnaissance internationale. Les gouvernements anglo-saxons doivent également tenir compte de la réaction de leurs opinions publiques, alertées par les correspondants de guerre. L'absence de toute démocratisation en Afrique du Nord, la position de Darlan et son passé collaborationniste à Vichy rendent en outre impossible toute union de l'armée d'Afrique avec les Forces françaises libres. Les gaullistes du groupe Combat, menés par René Capitant, protestent contre la politique de Darlan, distribuant des tracts hostiles ornés de slogans comme « Darlan au poteau » ou « l'amiral à la flotte ! »[20].
L'assassinat de Darlan
Le , Darlan est assassiné par un jeune étudiant, Fernand Bonnier de La Chapelle, qui avait tiré à la courte paille avec trois de ses compagnons d'armes (Othon Gross, Robert Tournier et Philippe Ragueneau)[21]. Arrêté, il est jugé de manière expéditive, condamné à mort et exécuté. Le commanditaire de l'assassinat était le monarchiste Henri d'Astier de La Vigerie[22], qui imaginait donner le pouvoir au « comte de Paris » et le commandement militaire à de Gaulle pour unir les autorités de Londres et d'Alger dans un effort de guerre commun. Le prétendant au trône était en effet présent à Alger le 10 décembre, multipliant les contacts avec les notables locaux[23]. En revanche, le « comte de Paris » a indiqué avoir été « désigné comme le bouc-émissaire »[24] dans cette affaire. Si l'appartenance royaliste de Bonnier de La Chapelle est incertaine, le groupe de résistants dont il faisait partie était d'obédience gaulliste au sein du Corps franc d'Afrique (dont trois membres sur quatre avaient participé au putsch du et ont depuis largement témoigné[réf. souhaitée]), qui avait décidé l'élimination d'un personnage qui ne pouvait que gêner et retarder la venue du seul pouvoir légitime à leurs yeux. Bonnier de La Chapelle est réhabilité le par un arrêt de la Chambre des révisions de la cour d’appel d’Alger, qui jugea qu'il avait agi « dans l’intérêt de la libération de la France ».
Plusieurs historiens (Arnaud de Chantérac, George E. Melton, Claude Huan) ont également évoqué l'implication des services secrets britanniques du Special Operations Executive (SOE) dans l'assassinat de Darlan[réf. souhaitée], sa position devenant gênante pour la diplomatie britannique. Le général Eisenhower « furieux » ordonna l'expulsion immédiate du personnel du SOE[11].
Sépulture
Darlan a été inhumé le au cimetière militaire de Mers el-Kébir, près d'Oran, en Algérie, où sont enterrés les marins qui ont péri en 1940 dans l'attaque de la flotte française. En , il a été constaté que sa tombe ainsi que de nombreuses tombes de marins français et l'ossuaire du cimetière militaire avaient été profanées[25]. La tombe a été refaite avec celles des autres défunts du cimetière militaire de Mers-el-Kébir en 2007 même si des plaques au sol ont remplacé les croix[26].
Décorations
- Grand croix de la Légion d'honneur en 1937 (chevalier : 1915 ; officier : 1920 ; commandeur : 1930 ; grand officier : 1935)
- Médaille militaire en 1940
- Croix de guerre 1914-1918
- Croix du combattant
- Médaille commémorative des Dardanelles
- Médaille interalliée de la Victoire
- Médaille commémorative de la Grande Guerre
- Officier du Mérite maritime
- Chevalier du Mérite agricole
Publication (préface)
- Espagnac du Ravay, Vingt ans de politique navale (1919-1939), Arthaud Éditeur-Grenoble, 1941.
Sources et bibliographie
Reportage
- René Pierre Gosset, Expédients provisoires, Fasquelle, Paris, 1945.
Études historiques, essais, témoignages
- José Aboulker et Christine Levisse-Touzet, « 8 novembre 1942 : Les armées américaine et anglaise prennent Alger en quinze heures », Espoir, no 133, Paris, 2002.
- Jacques Cantier, L'Algérie sous le régime de Vichy, Odile Jacob, .
- Arnaud de Chantérac, L'assassinat de Darlan, éd. Perrin, Paris, 1995.
- Hervé Coutau-Bégarie et Claude Huan, Darlan, Fayard, Paris, 1989.
- Bernard Costagliola (préf. Robert Paxton), La marine de Vichy : blocus et collaboration, juin 1940-novembre 1942, Paris, Tallandier, , 433 p. (ISBN 978-2-84734-630-5, présentation en ligne). Réédition : Bernard Costagliola (préf. Robert Paxton), La marine de Vichy : blocus et collaboration, juin 1940-novembre 1942, Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis : histoire » (no 74), , 433 p., poche (ISBN 978-2-271-08069-1).
- Bernard Costagliola (préf. Georges-Henri Soutou), Darlan : la Collaboration à tout prix, Paris, CNRS Éditions, , 403 p. (ISBN 978-2-271-08318-0, présentation en ligne), [présentation en ligne].
- Alain Decaux, Morts pour Vichy, éd Perrin, Paris, 2000.
- Yves Maxime Danan (préf. C.-A. Colliard), La vie politique à Alger de 1940 à 1944, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. « Bibliothèque de droit public » (no LIII), , VI-348 p. (présentation en ligne), [présentation en ligne].
- Hubert Delpont, Darlan, L'ambition perdue, éditions des AVN, Nérac, 1998, 318 p.
- Jean-Baptiste Duroselle, Politique étrangère de la France, vol. 2 : L'abîme, 1939-1945, Paris, Imprimerie nationale, , 611 p. (ISBN 2-11-080786-5, présentation en ligne), [présentation en ligne]. Réédition : Jean-Baptiste Duroselle, Politique étrangère de la France : l'abîme, 1939-1944, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no 138), , 811 p. (ISBN 2-02-012413-0).
- Albert Kammerer, Du débarquement africain au meurtre de Darlan, Flammarion, Paris, 1949.
- Marcel-Henri (Mario) Faivre, Nous avons tué Darlan – Alger 1942, Paris, La Table Ronde, , 193 p. (ISBN 978-2-7103-1504-9).
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- Benoît Yvert (dir.), Premiers ministres et présidents du Conseil. Histoire et dictionnaire raisonné des chefs du gouvernement en France (1815-2007), Perrin, Paris, 2007, 916 p.
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- Albert-Jean Voituriez, L'assassinat de l'amiral Darlan : 24 décembre 1942, le témoignage du juge d'instruction, L'esprit du temps, Paris, 1992 (ISBN 2908206137).
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Notes et références
Notes
Références
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- Documentaire 1940, l'or de la France a disparu, écrit par Alain-Gilles Minella et Jean-Philippe Immarigeon. http://www.france5.fr/emission/1940-lor-de-la-france-disparu/diffusion-du-02-02-2014-17h00.
- François Broche, Jean-François Muracciole, Histoire de la Collaboration, 1940-1945, Paris, Tallandier, , 759 p. (ISBN 979-10-210-3689-5, lire en ligne), « Darlan : une vision géostratégique ? », p. 214-217
- [http://aphgcaen.free.fr/cercle/delpech/delpech2.htm La Persécution Nazie et l’Attitude de Vichy, par François Delpech.
- Philippe Burrin, La France à l'heure allemande : 1940-1944, Paris, Le Seuil, , 559 p. (ISBN 2-02-031477-0).
- Louis Hourcade, « Vérité pour l'amiral Darlan », La Nouvelle Revue d'histoire, no 79, 2015 (juillet-août), p. 27.
- Alexandre Sheldon-Duplaix, « La Mission Navale française à Washington et la renaissance de la Marine, – », dans Relations Internationales, no 108, hiver 2001, p. 503-523 [lire en ligne sur le site du ministère de la Défense, servicehistorique.sga.defense.gouv.fr (page consultée le 2 mai 2009)].
- Giraud s'attarda pendant deux jours à Gibraltar pour marquer son mécontentement de ne pas avoir été nommé command en chef du débarquement, sans tenir compte des résistants qui allaient l'attendre vainement le lendemain, à Alger, pour lui remettre la ville neutralisée pendant la nuit. Le même soir l'opération commençait, tant du côté de la résistance que de celui des forces de débarquement alliées. Ainsi l'action de la résistance allait-elle s'effectuer sans Giraud.
- Eric Jennings (dir.) et Jacques Cantier (dir.), L'Empire colonial sous Vichy, Odile Jacob, coll. « Histoire », , 398 p. (ISBN 978-2-7381-1544-7, lire en ligne), « Un enjeu essentiel. Vichy et les jeunes dans l'Empire français (par Jacques Cantier). », p. 114.
- Alfred Salinas, Les Américains en Algérie 1942-1945, L'Harmattan, 2013, p. 35-36.
- Cantier 2002, p. 368-369.
- Pierre Montagnon, La France coloniale, t. II, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, p. 60-63.
- Cantier 2002, p. 368-369, 373.
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- Faivre 1975.
- http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/38.html.
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- Comte de Paris, Général de Gaulle, Dialogue sur la France, correspondance et entretiens 1953-1970, Paris, Fayard, , 285 p. (ISBN 2-213-59187-3), p. 18.
- Alfred Salinas, Les Américains en Algérie 1942-1945, L'Harmattan, 2013, p. 81.
- Gérard Colliot, « Mers-el-Kébir, la restauration du cimetière marin », La voix du combattant, (lire en ligne)
Liens externes
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