Vert-de-gris
Le vert-de-gris (ou vert de gris) est un produit de corrosion du cuivre. Sous sa forme naturelle, c'est un carbonate hydraté de cuivre, mais, à proximité de l'air marin, peut être un chlorure de cuivre(II)[1]. En présence d'acide acétique, le vert-de-gris peut être de l'acétate de cuivre.
Le vert de gris est toxique pour tous les organismes vivants.
Vert de gris est aussi, par dérivation, un nom de couleur.
Chimie et métallurgie
Sous l'action conjuguée de l'humidité et du dioxyde de carbone, le cuivre s'oxyde à froid par l'air atmosphérique selon la réaction chimique :
La patine verdâtre des objets en cuivre ou en bronze comporte différents composés. Ils diffèrent suivant les conditions extérieures. En milieu très pollué, avec beaucoup de dioxyde de soufre dans l'air, il s'agit principalement d'antlérite. En milieu moyennement pollué avec peu de dioxyde de soufre dans l'air, il s'agit principalement de brochantite. Lorsqu'il y a un milieu salin à proximité (mer ou épandage de sel en hiver), il s'agit principalement d'atacamite. En fait, on retrouve toujours un mélange, en diverses proportions, de ces produits. La brochantite est le produit le plus fréquent[3].
Il ne s'agit jamais de malachite (CuCO3·Cu(OH)2), car c'est un composé instable qui se transforme très vite en brochantite ou en atacamite.
Pigment
Le vert-de-gris est connu et a été utilisé comme matière colorante depuis l'Antiquité. Il est répertorié PG20 au Colour Index. Sa toxicité et son manque de solidité, tant au contact d'autres pigments qu'à la lumière, l'ont fait à peu près abandonner.
Le nom de vert de gris donne le procédé de fabrication du pigment : verte-grez se traduit de l'ancien français par vert produit par l'aigre[4].
Le vert-de-gris (acétate de cuivre) a été fabriqué comme pigment vert-bleu dès l'Antiquité par corrosion du cuivre métallique par des émanations de vinaigre, selon une recette attestée par Théophraste et Pline l'Ancien (Hist. nat., XXXIV, 110[5]). On obtenait un mélange d'acétate basique de cuivre et d'autres acétates de cuivre, donnant, si on les sépare, des teintes plus ou moins vives ou grisées[6]. On en a retrouvé sur des fresques à Pompéi, où il s'est bien conservé. Au Moyen Âge, importé d'Espagne où il est toujours fabriqué de la même façon par les Arabes ou de Grèce, il sert à l'enluminure des manuscrits, avec parfois le résultat désastreux que l'acidité restant dans la préparation attaque le parchemin ou le papier, tandis que d'autres pigments se détériorent à son contact[7]. C'est pourquoi à la Renaissance on l'améliore en le combinant avec de la résine de térébenthine, mais ce pigment est, dans certaines formules, instable et vire au marron avec le temps, ce qui se voit sur les feuillages de peintures comme L'allégorie de l'amour (Respect) de Paul Véronèse (1570)[8].
Au XVIIe siècle, pour faire le verdet ou vert-de-gris, Lémery indique qu'« on stratifie des plaques de cuivre avec du marc de raisin dont on a tiré le moût; on les laisse macérer un certain temps, après quoi on trouve une partie de ces plaques réduites en verdet » (Cours de chymie 1675, p. 109).
Couleur vert-de-gris
Nuances
Au XIXe siècle, Michel-Eugène Chevreul entreprend de situer les couleurs les unes par rapport aux autres et par rapport aux raies de Fraunhofer. Il cite le vert-de-gris dans un index des « noms de couleur les plus fréquemment usités dans la conversation et dans les livres », estimant sa couleur à 5 vert-bleu 8 ton[9]. Le vert de gris sur soie de Tuvée, fabricant, est, lui, vert-bleu 7 ton[10].
Dans les nuanciers modernes, on trouve, en fil à broder, 520 Vert de gris[11] ; en couleur pour les arts graphiques, 547 Vert de gris[12], en peinture pour la décoration, Vert de gris[13].
Mode
Le vert de gris figure de temps en temps parmi les couleurs de la mode depuis le XIXe siècle, désignant en général des glauques, qui peuvent varier considérablement de nuance et de clarté.
Uniformes
En France, particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale, on a appelé vert de gris la couleur de l'uniforme militaire allemand, un vert grisâtre foncé (« Feldgrau »), et par extension, tout ce qui était allemand. Une intention péjorative contribue certainement au succès de l'expression ; on assimile l'occupant à une corrosion, toxique de surcroît.
La couleur ne correspond cependant pas à celles désignées auparavant par vert-de-gris dans le domaine de la mode, souvent plus claires et vives ; mais l'application à des couleurs d'uniforme n'est pas neuve. On trouve déjà l'expression appliquée, dans des articles bienveillants, à celle de la Légion espagnole franquiste pendant la guerre d'Espagne[14] ; à celle de la milice fasciste autrichienne en 1933[15], et, de façon purement descriptive, au feldgrau allemand dès 1918[16].
Botanique
Deux champignons non comestibles se désignent d'après leur couleur vert de gris :
- La russule vert de gris (Russula aeruginea), de 10 à 15 cm que l'on trouve dans les forêts de feuillus et de conifères de juin à octobre.
- le strophaire vert-de-gris, de 3 à 7 cm.
Toxicité
La toxicité de l'oxyde de cuivre a été mise à profit pour la protection des coques de navires contre la prolifération des algues et coquillages. Les coques des navires en bois pouvaient être cloués de punaises de cuivre, ou entièrement doublés extérieurement de cuivre[17].
Le vert-de-gris a pu être employé pour ses vertus toxiques de différentes façons au sein des milieux employant la violence (guerre, espionnage, délinquance) :
- Oxydation volontaires des ogives en laiton de cartouches d'armes à feu (le tir létal est une réussite par empoisonnement même quand il est approximatif)[réf. nécessaire].
- Administration par ingestion; « (...) Désappointée, la voleuse avait juré de se venger, et, pour ce faire, elle versa, un soir, dans une tasse de café servie au jeune homme, une forte quantité de vert-de-gris.(...) » extrait de « La servante criminelle »[18]
Manipulation
Le vert-de-gris est un mélange de différents composés cuivrés toxiques et/ou nocifs, il convient donc de se laver les mains après chaque manipulation de celui-ci.
Art, littérature et cinéma
- La Môme vert-de-gris est un film policier français de 1952 du réalisateur Bernard Borderie avec Eddie Constantine et Dominique Wilms.
- Le Groom vert-de-gris est un spin-off de Spirou et Fantasio par Yann et Olivier Schwartz. Il constitue le cinquième album de la série Une aventure de Spirou et Fantasio par ....
Chansons populaires
Une utilisation du poison... L'histoire du Sire Framboisy qui avait pris femme, la plus jeune du pays. La chansonnette indique qu'une fois la belle confondue d'inconduite dans un bal à Clichy "Dans son carrosse la r'mène à Framboisy, Il l'empoisonne avec du vert-de-gris, Et sur sa tombe il sema du persil, De cette histoire, la moral', la voisi: A jeune femme, il faut jeune mari !" [19]
Le poison est aussi mentionné dans la chanson Le Pudding à l'arsenic du film Astérix et Cléopâtre.
Notes et références
- (en) D. W. Sharp, Penguin Dictionary of Chemistry, Penguin, , 2e éd., p. 419
- (en) David A. Scott, Copper and Bronze in Art : Corrosion, Colorants, Conservation, Getty Publications, , p. 192
- (en) Martin E. Weaver et Frank G. Matero, Conserving Buildings. A Manual of Techniques and Materials, John Wiley & Sons, , p. 197
- Henri Dauthenay, Répertoire de couleurs pour aider à la détermination des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits : publié par la Société française des chrysanthémistes et René Oberthür ; avec la collaboration principale de Henri Dauthenay, et celle de MM. Julien Mouillefert, C. Harman Payne, Max Leichtlin, N. Severi et Miguel Cortès, vol. 2, Paris, Librairie horticole, (lire en ligne), p. 240
- Pline l'Ancien, Histoire naturelle (traduit, présenté et annoté par Stéphane Schmitt), Bibliothèque de la Pléiade, nrf, Gallimard, , 2131 p.
- Philip Ball (trad. Jacques Bonnet), Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments [« Bright Earth: The Invention of Colour »], Paris, Hazan, , p. 99 ; PRV3.
- Ball 2010, p. 152, 384
- Ball 2010, p. 172-172, 382-383
- Michel-Eugène Chevreul, « Moyen de nommer et de définir les couleurs », Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, t. 33, , p. 136 (lire en ligne). 5 vert-bleu correspond à une longueur d'onde dominante de 483,7 nanomètres. 8 ton correspond à une clarté de 13/21, obtenue avec une luminance de 30,3%. L'illuminant correspondant aux expériences de Chevreul est D55 (soleil direct) ; le ton normal pour cette couleur (la clarté quand elle est pure) est sans doute 14 à partir de là, on ajoute du blanc. Les fonctions colorimétriques CIE XYZ permettent de convertir la lumière monochromatique en coordonnées trichromatiques, on ajoute ensuite le gris pour obtenir le 14 ton, puis le blanc pour otenir le 8 ton. On convertit ensuite en valeurs sRGB. La nuance n'est correcte que sur des écrans conformes et réglés selon la recommandation sRGB.
- Chevreul 1861, p. 136, 163. Vert-bleu 7 ton se calcule de la même manière, avec 494,5 nm, L* = 8/21 (Y=36,2%), ton normal 15
- « Nuancier DMC numéros et noms », sur sd-g1.archive-host.com.
- « Flashe », sur lefranc-bourgeois.com.
- « Nuancier Ripolin », sur m.ripolin.fr.
- André Salmon, « Sur la ligne de feu aux approches de Madrid », Le Petit Parisien, (lire en ligne) ; les douaniers espagnols on « de charmants uniformes vert de gris » déjà dans Whip, « Au pays de Sancho Pança », Le Petit Parisien, (lire en ligne).
- Henri Béraud, « Où va l'Autriche », Le Petit Parisien, (lire en ligne).
- M. F., « Les Boches chez nous - La vie dans un camp d'internés civils », Le Petit Parisien, (lire en ligne)
- Bonnefous, Dictionnaire de marine à voiles, 1847, « cuivre » (réed. Ed. du Layeur, 1999, p. 222-223).
- LA SERVANTE CRIMINELLE. ÉTUDE DE CRIMINOLOGIE PROFESSIONNELLE PAR RAYMOND DE RYCKÈRE Juge au tribunal de Bruxelles, Directeur de la Revue de droit pénal et de criminologie, Ancien premier vice-président de la Société de Médecine légale de Belgique. PARIS A. MALOINE, ÉDITEUR 25-27, RUE DE l'École - DE - MÉDECINE, 25-27 1908
- user, « Chansons enfantine », sur chansons-net.com (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 3, Puteaux, EREC, , p. 412-413
Articles connexes
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