Milice française

La Milice française, souvent appelée simplement la Milice, était une organisation politique et paramilitaire française créée le par le régime de Vichy, en réponse à une exigence formulée par Adolf Hitler à Pierre Laval le 19 décembre 1942, le chancelier allemand étant inquiet des progrès de la Résistance qu’il considérait comme terroriste. Supplétifs de la Gestapo et des autres forces allemandes, les miliciens participèrent aussi à la traque des Juifs, des réfractaires au STO et de tous les « déviants » dénoncés par le régime de Vichy et les collaborateurs fascistes. C'était aussi la police politique et une force de maintien de l’ordre.

Pour les articles homonymes, voir Milice (homonymie).

Milice française

Création
Dissolution
Pays France
Allégeance  État français
Effectif 10 000 à 35 000
Composée de Franc-garde
Surnom Milice
Marche Le Chant des cohortes
Guerres Seconde Guerre mondiale
Batailles Bataille des Glières
Bataille du Vercors
Bataille du Mont Gargan
Bataille du Mont Mouchet
Commandant historique Joseph Darnand

Le chef officiel de la Milice était Pierre Laval, chef du gouvernement, mais le véritable responsable de ses opérations était son secrétaire général, Joseph Darnand, fondateur du Service d'ordre légionnaire (SOL), précurseur de la Milice française, et officier Waffen-SS.

Organisation de type fasciste, elle se voulait un mouvement révolutionnaire, à la fois antirépublicain, antisémite, anticommuniste, contre le capitalisme international, pour le corporatisme, nationaliste et autoritaire[1]. Elle sembla avoir ambitionné de devenir l’équivalent d'un parti unique de l’État français. Sa montée en puissance marqua en tout cas, selon Robert Paxton et Stanley Hoffmann, la fascisation finale du régime de Vichy.

Comme les nazis, les miliciens usaient couramment d’arrestations arbitraires, de tortures, de rafles, d’exécutions sommaires et arbitraires, voire de massacres. Leur pratique systématique de la violence et leurs nombreuses exactions, tout comme leur collaborationnisme jusqu’au-boutiste alors que les Alliés progressaient, contribuèrent à en faire, en dépit de la délation, une minorité marginale suscitant la défiance de la majorité des populations. La Milice n’eut jamais plus de 35 000 membres (29 000 adhérents en automne 1943 selon Francis Bout de l'An, sur lesquels, d’après le chef du service des effectifs, l’enseigne de vaisseau Carus, seulement 10 000 étaient actifs). Même après son développement en zone nord, la Milice ne dépassera jamais 15 000 militants actifs au total.

L’hymne de la Milice était Le Chant des cohortes[2].

L’origine de la Milice

Joseph Darnand, secrétaire général de la Milice française, vers 1943-1944.

Joseph Darnand, héros de la Grande guerre de 1914-1918, combattant volontaire de la Seconde Guerre mondiale, activiste d’extrême droite et ancien « cagoulard », avait pris la tête de la Légion française des combattants dans les Alpes-Maritimes.

Après l’ouverture de celle-ci aux jeunes partisans du régime qui n’avaient jamais combattu, il avait fondé en août 1941, dans son département, le Service d'ordre légionnaire. « Remarqué par les ministres Darlan et Pucheu lorsqu’il est à la tête de la Légion française des combattants de Nice, Darnand va bénéficier de leur soutien pour développer son organisation paramilitaire, le Service d’ordre légionnaire (SOL). Ancêtre de la Milice, le SOL s’étend à l’ensemble de la zone Sud et réunit un effectif de 15 000 hommes issus pour la plupart de l’extrême droite[3]. » L'organisation est fondée sur 21 points qui donnent la matrice idéologique du mouvement : « contre le capitalisme international, pour le corporatisme français », « contre la condition prolétarienne, pour la justice sociale », « contre la lèpre juive, pour la pureté française », « contre la franc-maçonnerie païenne, pour la civilisation chrétienne[3] »[4],[5].

La Milice française, police supplétive de la Gestapo

Lorsque Pierre Laval se rendit en Prusse orientale le 19 décembre 1942 pour rencontrer Adolf Hitler, ce dernier lui reprocha l’insécurité croissante à laquelle étaient confrontés les forces d’occupation et les représentants des différentes administrations allemandes, en France. Hitler exiga alors la création d’une police supplétive qui devait collaborer avec les Allemands pour maintenir l’ordre et s’affranchir si besoin de l’intervention de la justice française qu’il jugeait inadaptée aux exigences du moment et qui appliquait une législation hors du temps.

Pierre Laval, en accord avec Philippe Pétain décida donc de créer, par la loi du , la Milice qui absorba l'ancien Service d'ordre légionnaire. Il en devint le chef nominal, avec Joseph Darnand comme secrétaire général qui en sera cependant le véritable chef opérationnel.

Fondation

Loi du portant création de la Milice française. Archives nationales.

Ce fut la loi no 63 du (publiée au Journal officiel de l'État français le , no 27, p. 290) qui fonda la Milice française :

« Article 1er - La Milice française, qui groupe des Français résolus à prendre une part active au redressement politique, social, économique, intellectuel et moral de la France, est reconnue d'utilité publique. Ses statuts, annexés à la présente loi, sont approuvés.

Article 2 - Le chef du Gouvernement est le chef de la Milice française. La Milice française est administrée et dirigée par un secrétaire général nommé par le chef du Gouvernement. Le secrétaire général représente la Milice française à l'égard des tiers.

Article 3 - Les conditions d'application de la présente loi seront fixées par arrêté du chef du Gouvernement. »

Quant aux statuts de la Milice française, annexés à la loi du , ils précisent :

« Article 1er - […] La Milice française a la mission, par une action de vigilance et de propagande, de participer à la vie publique du pays et de l'animer politiquement.

Article 2 - La Milice française est composée de volontaires moralement prêts et physiquement aptes, non seulement à soutenir l'État nouveau par leur action, mais aussi à concourir au maintien de l'ordre intérieur.

Article 3 - Les membres de la Milice française doivent satisfaire aux conditions suivantes :

1° Être français de naissance.
2° Ne pas être Juif.
3° N'adhérer à aucune société secrète.
4° Être volontaire.
5° Être agréé par le chef départemental. »

Selon Darnand,

La Milice choisit comme insigne le gamma, signe du Bélier, symbole de « renouveau et d'énergie » (argent sur fond bleu dans un cercle rouge pour les miliciens ordinaires, blanc sur fond noir pour les francs-gardes, blanc sur fond rouge pour les avant-gardes).

« la Milice française n'est pas une police répressive. […] la Milice groupera des personnes de tous les âges, de tous les milieux et de toutes les professions, désireuses de prendre une part effective au redressement du pays. Ouverte à tous, la Milice fera retrouver aux Français cette communauté nationale […] hors de laquelle il ne peut y avoir de salut pour notre pays. »[6].

Dans son discours du , Darnand assure encore que la Milice a d'abord une mission politique et Bassompierre commente : « Elle a pour mission de soutenir la politique gouvernementale […] et de lutter contre le communisme. ».

Pourtant, l'analyse personnelle de Charles Maurras, qu'il donne dans les colonnes de L'Action française du , est bien explicite : « Avec le concours de [cette] pure et solide police, nous pourrons chez nous frapper d'inhibition toute velléité révolutionnaire et toute tentative intérieure d'appuyer les hordes de l'Est, en même temps que nous défendrons nos biens, nos foyers, notre civilisation tout entière. » Le soutien de Charles Maurras à la Milice s'explique aussi par son agacement au vu des prises de positions de plus en plus germanophiles des responsables du SOL[7].

L'emblème de la Milice, un gamma stylisé.

Structures

Francis Bout de l'An dirigeait la propagande et l'information avec l'organe Combats. Noël de Tissot était chargé des relations entre le haut commandement et les services.

Si le secrétariat général fut installé à Vichy auprès du Gouvernement, la Milice reposait sur une organisation territoriale en zones : régions et départements.

L'état-major auprès du secrétariat général comprenait cinq services :

  • 1er service (propagande), responsable Bout de l’An, puis Bertheux ;
  • 2e service (renseignement  chargé de lutter contre les réseaux de la Résistance , documentation), responsable Degans, puis Gombert ;
  • 3e service (sécurité), responsable Gombert ;
  • 4e service (finances), responsable Fontaine ;
  • 5e service (effectifs), responsable Carus.

Ce découpage fonctionnel se retrouvait au niveau régional et départemental.

Le « Vichy milicien » de 1944

Joseph Darnand en .
Membres de la Milice française en 1944.

Philippe Pétain et Pierre Laval ne démentiront jamais leur soutien public à la Milice et à ses actes. En , Laval rappelle encore qu'il « marche main dans la main avec Darnand », car, selon lui, « la démocratie, c'est l'antichambre du bolchevisme ».

Le serment de la Milice mentionnait, entre autres, le combat contre la « lèpre juive ». Le mouvement se voulait à la fois révolutionnaire, antirépublicain, antisémite, anticommuniste, contre le capitalisme international, pour le corporatisme, nationaliste et autoritaire[1]. Selon les historiens Henry Rousso ou Jean-Pierre Azéma, le projet de Darnand et de certains de ses hommes (les « intellectuels pro-fascistes du mouvement ») était de faire de la Milice un succédané de parti unique et, à terme, l'ossature d'un authentique régime totalitaire. La montée en force de Darnand dans le régime de Vichy, jusque-là avant tout autoritaire et réactionnaire, marque une étape décisive dans la fascisation finale du régime ainsi que dans sa satellisation par les Allemands (Robert Paxton, Stanley Hoffmann).

Au début de 1943, les résistants, en particulier communistes FTP, procédèrent à de nombreux attentats et règlements de compte contre des miliciens. Pendant près de cinq mois, la Milice, qui de janvier à novembre 1943 n'était pas armée[8], ne réagit guère à ces attaques et se plaignit d'être sans défense[8]. On dénombre 76 miliciens abattus, de janvier à septembre 1943[8]. Excédé, Darnand ne put rester plus longtemps sans réagir, ainsi, il demanda expressément que la Milice fût autorisée à porter des armes[8]. Devant le refus réaffirmé des Allemands, il songea à démissionner, en juillet 1943 et tenta de prendre contact avec la Résistance[8].

En août 1943, Darnand fut nommé Obersturmführer de la Waffen-SS et prêta serment de fidélité personnelle à Hitler dans les locaux (hôtel Beauharnais) de l’ex-ambassade d’Allemagne à Paris, rue de Lille. Les nazis furent cependant longtemps réticents à armer les miliciens, chose qu’ils firent après la publication au JO en d’un décret autorisant les Français à s’engager dans la Waffen-SS (créant ainsi la Sturmbrigade SS Frankreich). Dès lors que cette autorisation d'armer la Milice fut accordée, elle organisa des expéditions punitives contre les maquisards communistes, mais ne fit pas de détail concernant les FFI[Comment ?].

Le , Joseph Darnand fut nommé secrétaire d'État ; le 1er janvier 1944, il devint responsable du Maintien de l’ordre ; secrétaire d’État à l’Intérieur le 13 juin 1944.

À tous les niveaux, les miliciens essayèrent de supplanter les autorités officielles ou d'investir les rouages de l'État. C'est ainsi qu'un milicien fut même nommé préfet de l'Hérault au début de 1944. (qui?)

Ainsi, la Milice fut à la fois un parti, une police (le Deuxième Service) et une armée (la Franc-garde).

Sociologie et motivations

Une affiche de recrutement de la Milice.

En janvier 1944, la Milice est étendue au Nord de la France[9], et les hommes de main de divers partis collaborationnistes y sont versés[9]. Les effectifs de la Milice atteindront ainsi près de 30 000 hommes (jamais plus de 15 000 militants réels, selon ses responsables qui avaient pourtant tendance à gonfler les effectifs pour obtenir des crédits). Elle disposait d’un bras armé : la Franc-garde et d'une école de cadres, installée dans les anciens locaux de l'École des cadres d'Uriage. Elle était alors considérée comme un corps d'armée malgré la convention d'armistice de 1940. Elle avait même un aumônier général.

On pouvait distinguer trois catégories de miliciens :

« La grande majorité des miliciens sont des gens ordinaires qui exercent un métier et ont femme et enfants. Leur activité militante les conduit simplement à participer à des groupes de réflexion, à assister à des réunions ou à des conférences et, parfois, à se mobiliser pour telle ou telle cause humanitaire ou civique. À côté de ces civils, il y a les militaires [formant la Franc-garde]. […] L'objectif essentiel de cette troupe permanente est d'assurer le maintien de l'ordre. Certains miliciens ordinaires peuvent être des francs-gardes bénévoles, les bénés, susceptibles d'être mobilisés en cas de besoin […]. Il existe enfin une structure milicienne destinée à accueillir les jeunes : l'Avant-garde. »[10] Sur 10 à 15 000 militants actifs, moins de 4 000 appartiendront à la Franc-Garde, permanents et bénévoles compris.

Selon Max Lagarrigue, « se retrouvent beaucoup de jeunes marginaux, désœuvrés, chômeurs, paumés, pour beaucoup embarqués dans la Milice par l’appât du gain et le désir d’aventure, sans avoir de réelles motivations idéologiques. »[11]

En fait, selon Pierre Giolitto[12], la majorité des miliciens de base appartenaient à la petite et moyenne bourgeoisie urbaine. Il cite une étude d'André Laurens qui montre qu'en Ariège, c'étaient les employés les plus nombreux (12,9 %), suivis par les commerçants (12,2 %), les sans-profession (9,3 %), les ouvriers agricoles (7,6 %), les artisans et agriculteurs (7,6 %), les ouvriers d'usine (5,9 %), les professions libérales, cadres et patrons (4 %).

Henri Amouroux[13] cite une étude de Michel Chanal qui montre que, dans l'Isère, c'étaient les ouvriers d'usine qui venaient en tête (18,6 %), suivis par les employés (13,7 %). Une étude de Monique Luirard indique que, dans la Loire, sur l'ensemble des miliciens passés devant un tribunal en 1945, 69 % étaient ouvriers, employés ou petits fonctionnaires ; 16,9 % sans profession ; 6 % artisans, commerçants ou agriculteurs ; 3,6 % avaient une profession libérale ; 3 % étaient policiers ou militaires ; 1,8 % patrons…

D'après un sondage socioprofessionnel effectué auprès des internés administratifs : 27,3 % étaient employés ou petits fonctionnaires ; 23,4 % artisans ou commerçants ; 19,5 % ouvriers ; 9 % patrons ; 13 % cadres ou professions libérales ; 5,2 % sans profession (femmes) ; 2,6 % cultivateurs.

Exactions et terreur

Inscription du monument pour le souvenir du docteur Medvedowski, exécuté par les miliciens à Beaumont-de-Pertuis.
Miliciens effectuant une rafle, juillet 1944.

La Milice finit par se substituer aux forces de police et coopéra avec la Gestapo, notamment en contribuant activement à l'arrestation des Juifs. Elle disposait d'un service de sécurité dirigé par Marcel Gombert, assisté de Paul Fréchoux, Henri Millou et Joannès Tomasi. Sa Franc-garde participa dès l'hiver 1943-1944 à la répression sanglante des maquis, à commencer par l'assaut du plateau des Glières du 20 au .

La loi du autorisa la Milice à constituer des cours martiales sommaires : trois juges, tous miliciens, siégeaient anonymement et prononçaient en quelques minutes des condamnations à mort exécutables immédiatement. Elles se chargeront notamment de condamner à mort et de faire exécuter les révoltés de la prison centrale d'Eysses (), à qui la vie sauve avait été promise par les miliciens en échange de leur reddition.

Furent aussi exécutés des hommes politiques hostiles à la Collaboration. Dès , le directeur de La Dépêche de Toulouse Maurice Sarraut est exécuté par des miliciens[14] envoyés par les Allemands ainsi que l'ancien ministre du Front populaire Jean Zay ou l'ex-ministre de l'Intérieur Georges Mandel livré par les Allemands à la Milice et exécuté dans la forêt de Fontainebleau en . De même, le député Victor Basch (81 ans), président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), et sa femme Hélène, dont les exécutions furent dirigées par Paul Touvier[15] du 2e service de la Milice (dont le chef était Jean Degans) venu sur place.

Déstabilisés par leur impopularité auprès de la nette majorité des Français, les miliciens redoublèrent d'extrémisme. Les immeubles de la Milice, à commencer par son QG au Petit Casino de Vichy, devinrent des lieux de torture systématique. Les miliciens pratiquaient également la délation, contribuèrent à l'organisation des rafles et se livrèrent parfois, même seuls, à d'authentiques massacres, ainsi à Saint-Amand-Montrond () où plus de 80 cadavres de civils seront retirés d'un puits après leur passage.

À la suite de l’exécution par la Résistance, le , du secrétaire d'État à l'Information Philippe Henriot, membre de la Milice, des miliciens sillonnèrent les rues de Châteauroux en voiture en tirant sur les passants qui s'y trouvaient. De nombreuses autres exactions furent perpétrées à cette occasion, la plus célèbre étant l'exécution de sept Juifs à Rillieux-la-Pape par Paul Touvier[16]. C'est également à la suite de la mort de Philippe Henriot que des miliciens s'emparèrent de Georges Mandel, alors incarcéré à la prison de la Santé, pour l'assassiner en forêt de Fontainebleau.

Manquant toujours d'hommes, Darnand ne disposa jamais de plus de 30 000 adhérents (moins de 15 000 vrais militants), dont beaucoup non armés ou inactifs. Tout comme la LVF, la Milice se montra dès lors peu regardante sur son recrutement : des jeunes gens qui cherchaient à échapper au STO, mais aussi des aventuriers, des repris de justice, des criminels de droit commun, quoique la grande majorité des miliciens fussent des employés ou artisans ou commerçants.

Ce personnel et le manque de moyens firent de la Milice une force militaire médiocre, qui n'acquit jamais la confiance des Allemands[17]. D'autre part, le comportement des miliciens les décrédibilisa rapidement vis-à-vis de leurs propres concitoyens. En effet, le fanatisme pro-nazi de certains se doubla d'une attitude franchement délictueuse : lors de leurs opérations, ils commirent de nombreux vols, viols, cambriolages, rackets, extorsions de fonds, voies de fait sur la voie publique ou contre des fonctionnaires. Vers 1944, la Milice faisait l'objet d'une réprobation quasi générale. L'historien John F. Sweets montre dans une étude locale (Clermont-Ferrand à l'Heure allemande, Perrin, 1996) comment les hommes de Darnand restaient ultra-minoritaires (200 dans une agglomération de plus de 100 000 habitants) et profondément méprisés et haïs (un enfant de milicien était aussitôt mis en quarantaine par tous ses camarades d'école).

De janvier à , la guerre civile entre miliciens et résistants atteint son paroxysme.

Dès , en représailles (de quoi?), un milicien, le chef local marseillais Paul de Gassowski fut abattu et aussitôt promu au rang de martyr par la Milice. Néanmoins, si des résistants français ponctuellement exécutèrent des hommes de Darnand pendant les combats et si des cas de tortures contre des miliciens capturés furent avérés, il n'y eut rien là de systématique de la part de la Résistance.

D'autre part, comme le montre l'historien Olivier Wieviorka, la violence fut une valeur systématiquement proclamée, exaltée et assumée par Darnand et les siens dans la logique des idéologies de type fasciste ou extrémiste de tous bords (violence révolutionnaire). Au contraire, elle fut toujours regardée avec suspicion par la plupart des résistants et ne constitua jamais, pour la partie d'entre eux ayant choisi la lutte armée, qu'un mal nécessaire et provisoire. C'est ainsi que le résistant Pierre Dunoyer de Segonzac, qui reconnut un jour de 1944 Darnand parmi les voyageurs en civil de son train, répugna à le dénoncer au maquis qui avait arrêté le train quelques minutes, et lui sauva de fait la vie.

Le , Pétain, dans une lettre à Laval, finit par s'inquiéter des exactions de la Milice, tout en reconnaissant son rôle essentiel dans la collaboration avec la police allemande[18]. Laval transmet cette lettre à Darnand qui répond à Pétain : « Pendant quatre ans j'ai reçu vos compliments et vos félicitations. Vous m'avez encouragé. Et aujourd'hui, parce que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l'Histoire de France ? On aurait pu s'y prendre plus tôt »[18].

La Franc-garde, unité paramilitaire de lutte contre la Résistance

La Franc-garde permanente, unité paramilitaire en uniforme, fut constituée en en vue, selon les propos de Darnand dans son discours-programme du , d'être « instruite techniquement et préparée au combat de manière à être toujours prête à assurer le maintien de l'ordre ». Elle devait être composée d'hommes jeunes et sportifs, volontaires et sélectionnés après un an d'appartenance à la Milice. Les francs-gardes, les seuls miliciens en uniforme, adoptèrent la tenue bleue des chasseurs alpins, modèle 1941 (pantalon « ski » sur guêtres et brodequins, vareuse et ceinturon, chemise kaki, cravate noire, béret incliné sur le côté gauche). Le symbole du gamma, blanc sur fond noir, fut porté en insigne métallique à la boutonnière droite et en insigne brodé sur le béret.

Soldée, encasernée, la Franc-garde fut organisée militairement : main (un chef et quatre hommes), dizaine (correspondant au groupe de combat), trentaine (petite section — en principe, au moins une dans chaque chef-lieu de département), centaine (petite compagnie — en principe, au moins une dans chaque chef-lieu de région), cohorte (petit bataillon de trois centaines), centre (petit régiment de plusieurs cohortes). Il existait deux types de centaine : la normale se déplaçant à pied ou à bicyclette et la mobile disposant de motos, autos et camions.

Au début, seuls les cadres furent équipés d'armes de poing. En effet, la Franc-garde ne fut que lentement et progressivement armée : ce ne fut qu'en automne 1943, à la suite de la recrudescence des attentats contre ses membres désarmés, qu'elle reçut quelques pistolets-mitrailleurs britanniques récupérés sur les parachutages alliés, qu'en qu'elle fut autorisée à puiser dans les stocks d'armes légères de l'armée d'armistice et qu'en qu'elle put former une section de mitrailleuses et une de mortiers pour participer à l'attaque du maquis des Glières. Finalement, chaque dizaine fut dotée de deux pistolets-mitrailleurs britanniques Sten, d'un fusil-mitrailleur français MAC 24/29 et de fusils français MAS 36. Les deux premières trentaines furent formées à titre expérimental dans les villes où la « dissidence » était la plus active : Lyon et Annecy.

Les dénominations de trentaine et centaine ne doivent pas faire illusion sur les effectifs réels. Par exemple, la trentaine d'Annecy, devenue centaine, ne comptait que 72 hommes en . Selon le Service d'information du Comité français de la Libération nationale, en , la Franc-garde rassemblait 1 687 hommes, soit une cohorte à Vichy, une centaine à Lyon, Marseille et Toulouse, et une trentaine dans chacun des quarante-cinq départements de la zone Sud. En tout cas, même avec la mobilisation des bénévoles au printemps et en été 1944, l'effectif de la Franc-garde ne dépassa jamais 4 000 hommes.

En principe, toute intervention de la Franc-garde devait être précédée d'une réquisition écrite ou verbale adressée par le préfet à l'officier commandant l'unité requise.

D'autres groupes paramilitaires constitués de citoyens français collaborant avec l'Armée allemande et la Gestapo ont existé, notamment la Selbstschutzpolizei, active en 1943-1944, ainsi que des groupes régionaux comme le Bezen Perrot et le Kommando de Landerneau en Bretagne.

La fin de la Milice

Lors de la Libération, la Milice fut déclarée dissoute par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental (article 10)[19].

Dans le courant du mois d’août  le 15 selon Jacques Delperrié de Bayac[20] , Joseph Darnand ordonna le repli général des miliciens. Des membres de la Milice participèrent cependant après cette date à certains combats sur le sol français au côté des Allemands, lors de la libération de Paris ou de la libération de Nice.

Environ 2 500 miliciens et leurs familles prirent le chemin de l’Allemagne, où 1 800 furent versés dans la 33e division SS Charlemagne avec les survivants de la LVF, de la Sturmbrigade SS, dite ensuite Frankreich, et d'autres unités auxiliaires. Mais, Joseph Darnand dut en abandonner le commandement à un officier général allemand et partit en Italie du Nord avec 500 francs-gardes faire la chasse aux partisans antifascistes.

Épuration

Le milicien Joseph Lécussan jugé à Lyon en 1945 pour sa participation à l'assassinat de Victor Basch.

Les miliciens furent souvent les cibles privilégiées de l'épuration spontanée ou « épuration sauvage » pratiquée par les FFI au cours des combats de la Libération et immédiatement après le départ des Allemands. De nombreux miliciens furent alors exécutés sommairement, parfois en groupes (pour prendre un cas extrême, 77 prisonniers sur 97 en une seule journée au Grand-Bornand, fin , après un jugement expéditif[21] ; le nombre total de miliciens exécutés est compris entre trois cents et six cents, soit près de 10 % de leurs effectifs[22]).

Le premier jugement légal par une cour martiale créée par les nouvelles autorités eut lieu à Grenoble le et concerna des miliciens prisonniers de la Résistance. 12 miliciens sont jugés, six sont condamnés à mort et fusillés le jour même en place publique. L'exécution eut une résonance internationale, la presse américaine ayant publié les photographies de l’exécution. Le gouvernement interdit, à la suite du procès de Grenoble, les exécutions publiques en France et le jour même du jugement[23].

Joseph Darnand, capturé en Italie par les Britanniques, fut remis aux autorités françaises, puis condamné à mort et exécuté le à l’issue de son procès.

En 1994, après des décennies de cavale, l'ancien chef de la milice lyonnaise Paul Touvier devient le premier Français condamné spécifiquement pour crimes contre l'humanité : il meurt à la prison de Fresnes en 1996.

Notes et références

  1. Ferro 1987, p. 408-409.
  2. Michel Germain (préf. Jacques Delperrié de Bayac), Histoire de la milice et des forces du maintien de l'ordre en Haute-Savoie 1940-1945 – Guerre civile en Haute-Savoie, Les Marches, La Fontaine de Siloé, , 507 p. (ISBN 978-2-84206-041-1, lire en ligne), p. 482.
  3. Max Lagarrigue, 99 questions… La France sous l'occupation, CNDP, Montpellier, 2007, p. 120.
  4. Michel Germain (préf. Jacques Delperrié de Bayac), Histoire de la milice et des forces du maintien de l'ordre en Haute-Savoie 1940-1945, Les Marches, La Fontaine de Siloë, , 507 p. (ISBN 978-2-84206-041-1, lire en ligne), p. 481.
  5. André Brissaud (préface de Robert Aron), La Dernière année de Vichy (1943-1944), Paris, Librairie Académique Perrin, 1965, 587 p. (ASIN B0014YAW8Q), p. 562.
  6. Source : Archives nationales F 60 16 75.
  7. Jean-Pierre Azéma, « La Milice », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, , p. 91 (lire en ligne)
  8. André Brissaud, La Dernière année de Vichy (1943-1944), op. cit., p. 135.
  9. André Brissaud, La Dernière année de Vichy (1943-1944), op. cit., p. 273-274.
  10. Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, Paris, Perrin, Tempus, 2002, p. 149.
  11. Max Lagarrigue, op. cit., p. 121.
  12. Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, op. cit., p. 157 et suiv.
  13. Henri Amouroux, La Grande histoire des Français sous l'Occupation, tome VI, Paris, Robert Laffont, 1976-1993, p. 337.
  14. « 2 décembre 1944. L’assassinat de Maurice Sarraut. Lectures d’un crime politique », Montauban, Arkheia, 2003.
  15. Conan et Rousso 1996, p. 173-174.
  16. Conan et Rousso 1996, p. 173-174, 210-212, 222.
  17. « La Milice n'a pas les moyens de financer ses ambitions : recruter en masse, former et équiper une armée ou un corps paramilitaire […] Peu nombreuse et mal équipée, les Allemands sont pour cette force une source d'ennui supplémentaire. Jusqu'en 1944, ils se sont montrés réticents pour octroyer des armes aux miliciens. Et même lorsque la Franc-garde obtient en janvier 1944 de se servir des stocks d'armes françaises constitués depuis l'armistice, les officiers allemands la considéreront comme une force waffenmässig, médiocrement armée. » (Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration : Sigmaringen, 1944-1945, Complexe, 1984, 441 p. (ISBN 978-2870271384) p. 170).
  18. Conan et Rousso 1996, p. 215.
  19. « Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental – Version consolidée au 10 août 1944. », sur le site legifrance.gouv.fr, consulté le 20 juin 2009.
  20. Histoire de la Milice 1918-1945, éd. Fayard, 1969.
  21. Henri Amouroux, « Les tribunaux du peuple à la Libération », Académie des Sciences morales et politiques, (consulté le ).
  22. Krisztián Bene, La collaboration militaire française dans la Seconde guerre mondiale, Talmont-Saint-Hilaire, Éditions Codex, , 587 p. (ISBN 978-2-918783-03-9, lire en ligne), « L'armée de la guerre civile : la Milice française », p. 231
  23. Pascal Cauchy, Les six miliciens de Grenoble, Paris, Vendémiaire, , 224 p. (ISBN 978-2-36358-188-4, OCLC 1012337266)

Sources primaires imprimées

  • Henry Charbonneau, Les Mémoires de Porthos (2 tomes), Paris, Éditions du Trident, 1979.

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Henri Amouroux, La Grande histoire des Français sous l'Occupation, t. VI, Paris, Robert Laffont, 1976-1993.
  • Jean-Pierre Azéma, « La milice », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 28 « Dossier : Vichy, propagande et répression », , p. 83-106 (lire en ligne).
  • Jean-Pierre Azéma, De Munich à la Libération, Points-Seuil, 1978 ; rééd. 2002.
  • Jean-Paul Cointet, La Légion française des Combattants, Paris, Éditions Albin Michel, 1995 (ISBN 2-226-07867-3).
  • Michèle Cointet, La milice française, Paris, Fayard, , 342 p. (ISBN 978-2-213-67067-6).
  • Éric Conan et Henry Rousso (nouvelle édition revue, corrigée et augmentée), Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », , 2e éd. (1re éd. Fayard, 1994), 513 p. (ISBN 978-2-07-032900-7). 
  • Brigitte et Gilles Delluc, Jean Filliol, du Périgord à la Cagoule, de la Milice à Oradour, Périgueux, Pilote 24 édition, 2005.
  • Jacques Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice, 1918-1945, Paris, éd. Fayard, 1969 ; rééd. 1994, 698 p. (ISBN 2213592888 et 978-2213592886).
  • Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, (réimpr. 2008), 789 p. (ISBN 978-2-213-01833-1). 
  • Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, Paris, Éditions Librairie Académique Paris, 2002.
  • Vincent Grégoire, « Sous le signe du gamma : le rôle de la Milice de Vichy dans la littérature de l'immédiate après-guerre », Symposium : A Quarterly Journal in Modern Literatures, vol. 61, no 2, , p. 117-136 (DOI 10.3200/SYMP.61.2.117-136).
  • Max Lagarrigue, 99 questions… La France sous l’Occupation, Montpellier, CNDP, (ISBN 978-2-86626-280-8).

Annexes

Article connexe

Liens externes

  • Portail de la Seconde Guerre mondiale
  • Portail de la politique française
  • Armée et histoire militaire françaises
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.