Royan 1950

Cet article traite de la reconstruction de la ville de Royan en France détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le Front de Mer.

La destruction

Jusqu'au , la ville et la pointe de Grave constituaient une poche de résistance allemande. Afin de tenter de hâter sa libération, Royan fut totalement détruite le par les bombardements alliés (menés par des groupes 1, 5 et 8 de Lancasters du Bomber Command de la Royal Air Force) qui fit plus de 500 victimes et plus de 1 000 blessés parmi les habitants[1]. Royan a été bombardée une seconde fois le par les Américains (opération Vénérable) avec 5000 tonnes de bombes et pour la première fois l'utilisation de bombes au napalm[2].

L'après-guerre

Dès le , Claude Ferret (1907-1993), professeur et directeur des études de l'école d'architecture de Bordeaux, a été nommé, avec Georges Vaucheret, architecte et ancien maire de Royan, comme urbanistes en chefs de la reconstruction de Royan[3].

M. Dautry, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme nommé par la Résistance, reçoit Claude Ferret en , et lui dit : « Vous voyez, Ferret, Vous avez trois ans pour reconstruire cette ville. Si dans trois ans vous n'avez pas terminé, on vous fera fusiller... »[4]. C'était une boutade bien sûr. Car en fait il faudra 20 ans pour achever la ville.

Il y a eu une campagne de démoustiquage et de dératisation, et en 1946, le déminage des plages n'était pas tout à fait terminé, quand, au milieu des ruines, on envisageait déjà une saison touristique, car les trains ont été remis en service en juin. Il faudra déjà trois longues années pour enlever les décombres.

Claude Ferret confiait récemment : « La ville détruite, tout le centre de Royan n'existait plus. C'était l'occasion ou jamais de faire une ville un peu plus contemporaine. »

La reconstruction

Bd Aristide-Briand.
Les immeubles du Bd Briand.
Rues parallèles au Bd Briand.

Les travaux n'ont commencé qu'en 1947. On a prié les habitants de ne pas déplacer les jalons en bois rouge et blanc délimitant le futur Royan. Ils habitaient alors dans des ruines, ou dans des tentes, ou des cités provisoires (Faupigné et Clemenceau). Ceux qui habitaient encore chez eux, dans le centre, savaient qu'ils seraient expropriés pour les travaux.

La somme allouée par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) était d'abord de 2,5 MF en 1945, puis 54 MF en 1947. Il y avait alors une rivalité régionale entre La Rochelle et Royan pour démarrer au plus vite la reconstruction. Les habitants de Royan s'impatientant, ils organisèrent des manifestations afin de tenter de faire accélérer les travaux auprès des architectes qui campaient dans des baraques sur la plage, et qui avaient planté un drapeau vert, couleur de l'espérance. Il fallait aussi penser à l'avenir balnéaire et touristique de Royan, ce que les habitants ne comprenaient pas toujours.

C'est dans ce contexte que les architectes désignés par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme en 1948, Claude Ferret, et ses deux adjoints Louis Simon, de Paris, (1901-1965)[5] et André Morisseau, de Pons, ont tracé les plans du futur Royan. Il fallait donc faire vite.

Le projet urbain commençait par une refonte totale du plan des rues, s'appuyant sur une étude d'avant guerre, le « plan Danger » (1939). En effet, on pensait déjà à l'importance du trafic automobile. Le projet, futuriste, épouse la forme de l'extrémité de la conche de Royan, courbe, englobant le port qu'on a pensé mettre à un moment derrière la pointe du Chay.

Le centre est coupé par un axe perpendiculaire à la mer, le boulevard Aristide Briand (petite vallée de la Font de Cherves), et l'ensemble se voulait comme un arc avec une flèche pointée vers la mer.

On a aussi prévu la rocade contournant le centre, de la gare, le haut de Royan (St-Pierre-de-Mons) et Pontaillac.

Le style architectural de l'époque en France, figé par la guerre, était resté le même que durant les années 1920-1930 : style classique, Beaux-Arts, ou Art déco. L'architecture moderne incarnée par Le Corbusier, contemporain de cette époque, n'était pas encore entrée dans les mœurs. Ainsi, le projet futuriste pour la reconstruction de la ville présenté par ce dernier ne fut d'ailleurs retenu à cause principalement de constructions trop en hauteur qui furent proposées et qui ne mettait pas suffisamment en valeur le rôle de la ville en tant que station balnéaire.

L'architecte Ferret proposa un style régional saintongeais à son projet, immédiatement adopté ne serait-ce que pour les habitants à reloger, échappant ainsi à tout pastiches architecturaux qui ne serait pas conforme à la tradition locale, comme les styles « néonormand » ou « néobasque ». Ainsi les lignes sobres, les fines moulures charentaises, l'usage de la pierre calcaire, l'ordonnancement des ouvertures verticales et les tuiles canal coloraient un peu le style Beaux-Arts.

Après avoir arasé et évacué tous les gravats, les premières constructions ont eu lieu en 1948 le long du boulevard Aristide-Briand, perpendiculaire à la mer, et reflètent ce style : classicisme avec des lignes très droites, et régionalisme en plus.

Le Front de Mer

Le front de mer.
Galeries du front de mer.

Le Front de Mer était lui aussi planifié dans ce style « rationaliste ». Or, en , le numéro 7-8 du magazine d'architecture l'Architecte d'Aujourd'hui a fait l'effet d'une bombe. Ce magazine ouvrait un peu la France sur les architectures dans les autres pays : Norvège, États-Unis, etc. Ce numéro présentait les réalisations modernistes faites au Brésil, qui utilisaient la technique révolutionnaire du voile de béton.

Par la suite, le numéro 13-14 du magazine en est entièrement consacré au Brésil. En effet, les architectes brésiliens (comme Oscar Niemeyer, Lucio Costa...) avaient profondément été influencés par la visite de Le Corbusier en 1929 puis surtout 1936 à Rio, et ils avaient réalisé ensemble le ministère de l'éducation nationale à Rio de Janeiro, et l'équipe de Costa a réalisé beaucoup de constructions modernistes de ce style par la suite : pavillon du Brésil en 1939 à New York, églises, par exemple l'Église Saint-François d'Assise (Brésil) à Belo Horizonte (Niemeyer, 1943) - puis par la suite Brasilia à partir de 1956.

Les architectes royannais ont alors tout de suite vu dans ce style les perspectives d'avenir et d'ouverture de leurs projets. Il est amusant de voir que l'esprit Le Corbusier a ainsi transité par le Brésil avant de revenir indirectement en France.

Ainsi le Front de Mer a subi cette influence, sans renier totalement ce qui avait été fait avant. On a donc un mélange de trois styles : classique Art déco, « charentais » et « brésilien ». Harmonie des courbes et des couleurs (en plus du blanc, il y avait les couleurs primaires : rouge, bleu, jaune), utilisant aussi beaucoup le principe du brise-soleil : élément architectural en béton et formant des alvéoles ("claustra") ou des lignes horizontales, comme un 2e mur extérieur, et protégeant du soleil en été, et le laissant passer l'hiver.

En même temps que le Front de Mer (1950-1956), a été construit tout le quartier du centre (1949), et les habitants ont enfin pu être ainsi relogés dans des maisons ou des appartements tout neufs. Ceux dont la maison a été reconstruite sur place ne reconnaissaient plus du tout leur ancienne maison, parfois ancestrale, d'autant plus que souvent le jardin séparant la rue de la maison a été supprimé.

La reconstruction a occupé 82 architectes à Royan, dont le quart était bordelais.

L'église

Notre-Dame de Royan.

On a cherché un architecte pour faire l'église et un architecte parisien, Guillaume Gillet a été choisi (1954), et a su rompre avec les avant-projets jugés trop brésiliens de cette église. L'église utilise aussi la technique du béton armé, en plaques courbes. La forme fait penser à une immense proue de navire, mais il y a aussi un clin d'œil à l'architecture régionale, en particulier à la cathédrale d'Albi par la hauteur de sa nef allongée (p.229). L'édifice, par ses lignes verticales, tranchait avec les lignes horizontales du front de mer. L'église Notre-Dame a été consacrée en 1958. En 1960, la municipalité s'inquiétait déjà de l'entretien, voire de la restauration du bâtiment.

Immeuble-pont de Foncillon

Immeuble-pont à Foncillon.

Pour meubler Foncillon (1953), on y construit le Palais des Congrès (vraiment terminé seulement en 1962, après lenteur des entreprises et réparation de malfaçons) et d'autres immeubles (tour de Foncillon, immeuble-pont, 1956-62).

Autres constructions

Des immeubles, des villas et d'autres constructions ont complété ces réalisations. On a ainsi construit la poste centrale (1951-52), l'église du parc (1951-53), l'entrée de la ville (place Gantier, près de la gare, 1956-60), la galerie Botton (1954-56) sur le Front de mer et son auditorium, le temple (1957), le stade (1957-61), la gare routière (1953-64), les châteaux d'eau de St-Pierre et Belmont (Gillet, 1960), la piscine (1968).

Dans les villas, on peut citer : Villa Ombre Blanche de l'architecte Claude Bonnefoy en 1958, la Villa Hélianthe de l'architecte Yves Salier en 1956...

Place De Gaulle (après 1985).

Le centre administratif, prévu en plein centre-ville sur la place De Gaulle au carrefour des avenues Aristide-Briand et Gambetta ne verra jamais le jour, et sera remplacé en 1955 par le magasin Nouvelles Galeries.

Marché central.

On a aussi construit le marché central (Simon et Morisseau, 1953-56), utilisant à fond la technique du "voile mince de béton" : couche très fine de béton (cm), mais qui par sa forme pliée et courbe rend la structure robuste. Le marché a la forme d'un immense coquillage. On retrouve cette architecture au Brésil, au Mexique, et le marché de Royan a servi de modèle à d'autres réalisations (marché de Nanterre, cirque de Bucarest, ...).

On élève aussi un portique fermant le front de mer (1955), et déjà discuté à l'époque par certains Royannais car fermant la vue sur la mer depuis le centre, mais cher à l'architecte Simon. Ce portique sera un des premiers éléments à être démolis en 1985 avec le casino.

Enfin, cerise sur le gâteau, le casino, projet longuement réfléchi dès 1945 et maintes fois modifié, (arch. Ferret, Courtois, Marmouget), en forme de rotonde, est achevé en 1962 au bout de la conche, achevant ainsi la réalisation du Front de mer.

Pierre Marmouget a aussi participé à la construction de nombreuses villas, mettant en œuvre la technique du brise-soleil (ou claustra), assez nouvelle en France.

Royan, enfin terminée, est devenue très célèbre en France et même dans le monde à cause de ce style architectural moderne et unique, véritable « laboratoire de recherches sur l'urbanisme »[3], et ce style propre a été qualifié d'« École de Royan »[6].

La ville a attiré de nombreux résidents secondaires, de Paris en plus des proches habitants de la région, Bordeaux en particulier.

Références

  1. Le bombardement du 5 janvier 1945 - Histoire - N°14 - Janvier/Février 1995
  2. Samuel Besançon, Croix sur Royan, Cahiers d’un résistant 1940 - 1945, Royan, éditions Bonne Anse, (ISBN 978-2-907967-58-7), p. 382
  3. L'invention d'une ville, Royan années 50 (éd. du Parimoine, 2003) (ISBN 2-85822-754-3)
  4. Extrait de l’entretien avec Claude Ferret retranscrit par Gilles Ragot ; réalisé en 1981 par MM. Farnier, Farnier-Bondil et Goulesque, étudiants à l’école d’architecture de Bordeaux dans le cadre d’un certificat de sociologie. Transcription manuscrite conservé à l’EAPBX sous la côte S49
  5. Simon a aussi réalisé la reconstruction du quartier St-Front à Périgueux, puis par la suite les ZUP de Soyaux près d'Angoulême et du Mireuil à la Rochelle
  6. Guide architectural Royan 1950, Antoine-Marie Préaut, éd. Bonne Anse, 2006, (ISBN 2-9523431-8-7), p.11

Pour approfondir

Bibliographie

  • Frédéric Chassebœuf, Notre-Dame et les églises de Royan, éditions Bonne Anse, 100 pages, Royan, 2015. (ISBN 978-2-916470-30-6)
  • Antoine-Marie Préaut, Guide architectural Royan 50, éditions Bonne Anse, 266 pages, Vaux-sur-Mer, 2006 (ISBN 2-9523431-8-7)
  • Marie-Anne Bouchet-Roy, Bombardement et libération de la poche de Royan, éditions Bonne Anse, 67 pages, Vaux-sur-Mer, 2005 (ISBN 2-9523431-2-8)
  • Cahiers du Patrimoine, L'invention d'une ville, Royan années 50, éd. du Parimoine, 2003, (ISBN 2-85822-754-3)
  • Thomas Grison, Philippe Reyt, Royan-Nayor, éloge des architectes de la reconstruction, Le Croît vif, 2016.

Liens externes

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