Exode de 1940 en France

L’exode de 1940 en France est une fuite massive de populations belges, néerlandaises, luxembourgeoises et françaises en mai-juin 1940 lorsque l'armée allemande envahit la Belgique, les Pays-Bas et la majorité du territoire français pendant la bataille de France, après la percée de Sedan. Cet exode est l'un des plus importants mouvements de population du XXe siècle en Europe[1].

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Réfugiés français sur la route de l'exode, 19 juin 1940.

Précédents

Un exode des populations belges et des régions du Nord de la France fuyant l'avancée de l'armée allemande se produisit en août 1914. Ce déplacement de plusieurs centaines milliers de personnes ne porta cependant que sur une minorité de la population contrairement à celui de 1940 qui vida la plupart des villes du Nord. Cette fuite se déroula dans la précipitation et dans des conditions comparables à celles de l'exode de 1940, files de civils désemparés sur les routes à pied avec des charrettes attelées ou poussées à main, mêlées aux troupes militaires. L'ampleur de l'exode de 1940 est, en grande partie, dû au souvenir douloureux de l’occupation des régions envahies par l’Allemagne de 1914 à 1918. Ainsi, des maires restés à leur poste en 1914 s'enfuirent en 1940, comme Jean-Baptiste Lebas, maire de Roubaix, qui fut un résistant durant ces deux guerres.

La terreur

Troupes britanniques et civils belges route Louvain-Bruxelles 12 mai 1940.

Huit à dix millions de civils (les « exodiens » selon le néologisme de Jean-Pierre Azéma), mélangés aux colonnes de soldats en retraite, s'exilent de façon massive, parfois sans but, soit près du quart de la population française de l'époque.
Sous l'effet de la terreur provoquée par les troupes allemandes, la fuite fut un phénomène de masse affectant une grande partie de la population du Nord de la France, de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg[2]. Des habitants des villes se réfugient temporairement dans leur famille ou chez des connaissances dans les villages environnants, d'autres s'enfuient dans les régions du Sud. Les grandes villes sont vidées de leur population : Lille n'a plus que 20 000 habitants sur 200 000, Tourcoing 7 000 sur 82 000[3]. Les réfugiés envahissent des villes désertées de leurs habitants, privées de services publics, sans eau, ni électricité, ni médecins, ni commerces. 40 000 Belges se massent ainsi à Tourcoing[4].

La fuite

Civils belges en fuite.

En quelques semaines, de huit à dix millions de personnes s'enfuient de Belgique, des régions du Nord puis de l'Île-de-France et du Centre vers le Sud de la France, emportant avec elles de maigres bagages. Ce fait eut lieu dès l'invasion de la Belgique en mai 1940 mais a été précédé, dès l'automne 1939, de l'évacuation de civils de l'Est de la France. De la Belgique, puis du Nord ou du Pas-de-Calais, de nombreux civils fuient d'abord vers Paris puis vers le Sud-Ouest du pays.

Cet exode jette sur les routes des familles belges, néerlandaises, luxembourgeoises (deux millions de personnes) et françaises (deux millions de personnes également) dès mai 1940[5], dans un chaos hétéroclite de piétons et de véhicules de toutes sortes[6], gênant le déplacement des troupes alliées. Un grand nombre de réfugiés subissent le feu des bombardiers en piqué des Junkers Ju 87 et se heurtent, à partir du 20 mai à la tenaille de l'armée allemande dans sa marche à la mer, qui leur coupe l'accès au sud du pays. En juin, lorsque les troupes allemandes s'approchent de Paris (14 juin 1940 : début de l'occupation de Paris), les populations d'Île-de-France s'enfuient à leur tour (2 millions de Parisiens, soit 23 de la population parisienne intra-muros). Des bagarres ont lieu pour pouvoir prendre les trains (trains d'abord de voyageurs puis devant l'afflux, réquisition de trains de bestiaux)[5]. Les villes de la région parisienne et du centre se vident également de leurs habitants. Ainsi Chartres, où le préfet Jean Moulin estime la population restée sur place le 15 juin à 700 ou 800, la plupart âgés, sur 23 000 habitants, dans une ville envahie par les réfugiés, privée d'eau et de tout service administratif[7]. Au total, de huit à dix millions de personnes s'exilent, soit près de 14 de la population française de l'époque. Le gouvernement français (gouvernement Paul Reynaud) s'enfuit de Paris dès le pour gagner Bordeaux le .

Plaque commémorative de l'accueil des réfugiés belges à Béziers.

Lendemains de défaite

Un vol de Stukas.

Des civils périrent sur les routes sous les attaques fréquentes des Junkers Ju 87 « Stukas » allemands de la Luftwaffe, armés de deux mitrailleuses (le mitraillage en strafing, à basse altitude, dispersant les colonnes de réfugiés pris de panique, à travers champs), transportant 500 kg de bombes et équipés de sirènes surnommées les « trompettes de Jéricho », ces dernières relevant de la guerre psychologique[8]. Un phénomène similaire eut lieu en Belgique, au Luxembourg et dans une moindre mesure aux Pays-Bas en , à la suite de l’invasion du Benelux à partir du 10 mai 1940. La sirène du bombardier en piqué marquera à plein les consciences des réfugiés.

L'exode implique un nombre important de familles dispersées. Tous les enfants perdus ne retrouveront pas leurs parents. Il faut dès la fin de la débâcle organiser l'accueil des orphelins et de ces enfants sans famille. Durant de nombreux mois les journaux ont été remplis d'annonces pour ces familles qui cherchaient leurs proches ou leurs enfants ; la Croix-Rouge française estime à 90 000 le nombre de ces enfants perdus[9]. Le nombre précis de victimes n'est pas connu mais peut être évalué à 100 000 tués sans compter les blessés[10].

Les retours

Les zones d'occupation.

Les premiers retours des habitants du Nord de la France eurent lieu dès début juin 1940, le reflux de ceux ayant choisi de revenir croisant la deuxième vague de fuyards[11].

Dès , les Alsaciens et Mosellans sont encouragés à rentrer par les nazis (excepté les communistes, les francs-maçons, les juifs, les sympathisants de la France[pas clair] et les étrangers non Alsaciens-Mosellans) dans une Alsace-Moselle annexée de facto au troisième Reich où ils deviennent citoyens allemands.

Le gouvernement de Vichy établit en juillet un plan de rapatriement (itinéraires, ravitaillement, gîtes d’étape, parkings tous les 50 kilomètres et des bons d'essence avec une date limite de validité pour accélérer le retour)[12]. Cette opération nécessitant la mise à disposition de transports notamment ferroviaire désorganisés par les destructions d’ouvrages d’art bombardés est, de plus, entravée par les lignes de démarcation, l’une prévue dans le traité d’armistice du 22 juin 1940 entre la zone non occupée (sud) et la zone occupée (régions du centre et région parisienne), une deuxième, imposée par les Allemands non précisée dans la convention d’armistice, la ligne Nord-Est entre la zone occupée et les zones interdite (départements du Nord et du Pas-de-Calais attachés au gouvernement militaire de Bruxelles) et réservée (régions du Nord-Est).

Le les autorités allemandes interdisent provisoirement le passage vers la zone occupée et fixent le l’organisation de l’exode à rebours par une réglementation consignée dans un livret Lignes de démarcation et dispositions générales comprenant des cartes et classant les réfugiés en plusieurs catégories. Les retours dans la zone occupée sont autorisés à l'exception des communistes, des francs-maçons, « des Alsaciens et des Lorrains qui ne sont pas de race allemande », les militaires des armées belge et française et des étrangers[13]. En sont exclus également les troupes coloniales[14]. Le passage des juifs munis de papiers en règle est autorisé mais certains postes allemands les refoulent. Les réfugiés à pied et à bicyclette doivent être porteurs d’une carte d’identité, ceux revenant par les transports ferroviaire et automobile doivent être munis d’un certificat de rapatriement délivré par le maire de la commune de repli[15]. Les retours sont laborieux. On estime que 1 600 000 sont rapatriés au 28 août[16]. Les Allemands avaient fixé la limite des rapatriements à la fin septembre. Le passage en groupes est toléré en octobre mais la ligne de démarcation est fermée le 1er novembre. À cette date, entre 5 000 000 à 6 000 000 réfugiés sont rentrés. Le gouvernement de Vichy intervient pour obtenir le passage de milliers de réfugiés encore bloqués après cette date[17]. Le , le gouvernement établit un bilan de 7 millions de Français ayant pris la fuite et de 1,2 million de Belges, Néerlandais et Luxembourgeois. Sur ces 8,2 millions, 972 000 seraient restés en zone occupée à cette date[18]. Les métropoles en zone libre sont donc remplies de réfugiés (appelés par Pétain les « fuyards » en 1941), que viennent rejoindre les démobilisés. Lyon, Marseille et Clermont-Ferrand (devenue le siège de l'université française de Strasbourg), voient leur population exploser d'où des phénomènes de tension.

Retours dans la zone interdite

La zone interdite est fermée au retour de ses habitants par ordre du commandement suprême de l’armée de terre allemande du 9 juillet, décision dont le gouvernement de Vichy est averti le 20 juillet. Cette interdiction ne s’applique qu’aux réfugiés français, non aux belges, néerlandais et luxembourgeois (environ 1 500 000) autorisés à franchir la ligne du nord-est. Le passage des mineurs du bassin houiller est également autorisé[19]. Jusqu’au 1er novembre des autorisations ont été largement accordées aux techniciens, ouvriers qualifiés, chefs d’entreprise, employés des transports, à certains fonctionnaires. Après cette date, la ligne du nord-est a été hermétiquement fermée. Il restait 250 000 réfugiés des régions nord en zone occupée et 350 000 en zone libre (sur environ 1 000 000 de réfugiés partis de la zone interdite en juin)[19].

En mai 1941, le régime a été assoupli autorisant la rentrée de personnes utiles à l’économie, de familles dont les chefs étaient restés sur place[19]. Le 18 décembre 1941, le commandement militaire supprime les postes de contrôle. Les réfugiés peuvent revenir de fait à partir de cette date. L’interdiction de franchissement de la ligne est cependant maintenue de jure jusqu’au 1er mars 1943. Les clandestins non-juifs arrêtés par un contrôle volant s'acquittent d'une amende de 300 F avant d'être autorisés à poursuivre leur voyage[20].

Notes et références

  1. Catherine Calvet, « Refoulé au côté des exodiens », sur Libération.fr,
  2. Pierre Stéphany, La Guerre perdue de 1940, Ixelles Editions, , p. 27
  3. L'exode, p. 145.
  4. L'exode, p. 83.
  5. Les routes de l'exode en 1940, chemins croisés: réfugiés espagnols et l'exode des Français Intervention d'Éric Alary sur France Inter, 31 juillet 2010
  6. Jacques Nougier, Histoires de Jeff ou les Marrons d'Inde du Maréchal, Marseille, Libres d'écrire, , 210 p. (ISBN 978-2-37692-000-7)
  7. L'exode, p. 247.
  8. Paul Martin, Invisibles vainqueurs : exploits et sacrifice de l'Armée de l'air en 1939-1940, Y. Michelet, , p. 475
  9. DVD "juin 1940, le grand chaos", supplément à Géo Histoire, film de Christophe Weber.
  10. Eric Alary, L'exode. Un drame oublié, Paris, Perrin, , 465 p. (ISBN 978-2-262-02619-6)
  11. Le Nord-Pas-de-Calais dans la main des Allemands, p. 41.
  12. La ligne de démarcation, p. 76, 77.
  13. La ligne de démarcation, p. 78.
  14. Autre émission avec Eric Alary : Septembre 1940 : retour d'exode sur France inter.
  15. La ligne de démarcation, p. 79 80.
  16. La ligne de démarcation, p. 80.
  17. La ligne de démarcation, p. 81.
  18. L'exode, p. 348.
  19. Le Nord-Pas-de-Calais dans la main des Allemands, p. 86.
  20. La ligne de démarcation, p. 221.

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Éric Alary, L'exode : un drame oublié, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 640), , 2e éd. (1re éd. 2010), 640 p. (ISBN 978-2-262-04312-4, présentation en ligne), [présentation en ligne].
  • Eric Alary, La ligne de démarcation : 1940-1944, Paris, Perrin, , 556 p. (ISBN 978-2-262-03236-4).
  • Etienne Dejonghe et Yves Le Maner, Le Nord-Pas-de-Calais dans la main allemande 1940-1944, Lille, La Voix du Nord, , 400 p. (ISBN 2-84393-015-4).
  • Jean-Pierre Guéno, Paroles d'exode : lettres et témoignages des Français sur les routes, mai-juin 1940, Paris, Librio, coll. « Librio. Document », , 126 p. (ISBN 978-2-290-10169-8, présentation en ligne).
  • Pierre Miquel, L'exode : 10 mai-20 juin 1940, Pocket, Paris, 2005 (rééd.), 448 p. (ISBN 2-266-14281-X).

Romans

Filmographie

Articles connexes

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