Histoire de la Bulgarie

Si des civilisations se sont épanouies sur l’actuel territoire bulgare dès le néolithique et l’antiquité, l’histoire de la Bulgarie des Balkans commence au VIIe siècle avec la fondation du royaume bulgare d’Asparoukh à l'issue de la bataille d'Ongal (il a existé d’autres royaumes bulgares antérieurs autour de la mer d'Azov et sur la moyenne-Volga). Situé à la croisée des influences historiques, culturelles et linguistiques de l’Europe du Sud-Est, le premier empire bulgare fut un berceau culturel de l’Europe slave et s’étendit sur les deux rives du bas-Danube, de la mer Adriatique à la mer Égée et à la mer Noire, avant d’être politiquement, mais non culturellement anéanti par l’Empire byzantin au XIe siècle, et de renaître une première fois de ses cendres au XIIe siècle avec le Second empire bulgare, finalement conquis au XIVe siècle par les Ottomans.

Sa seconde renaissance au XIXe siècle fut difficile : le congrès de Berlin, les guerres balkaniques et les deux guerres mondiales ne lui permirent pas de rassembler toutes les régions de culture bulgare pour retrouver l’étendue qui lui avait été reconnue au traité de San Stefano, et la contraignirent à subir une dictature de 45 ans après la Seconde Guerre mondiale. Après la chute des régimes communistes en Europe et l’ouverture du rideau de fer, le pays put enfin s’orienter vers un état démocratique et adhérer à l’Union européenne en 2007, mais là encore, sans plan Marshall et dans une économie de marché dérégulée, sa troisième renaissance s’avère être une transition difficile.

Monument construit à Choumen pour commémorer les 1300 ans de la création de la Bulgarie balkanique par Asparoukh.

Préhistoire

Les premiers établissements humains du territoire actuel de la Bulgarie remontent au Paléolithique moyen, ce qui en fait l'une des régions d'Europe au peuplement le plus ancien[1]. Les plaines commencent à être colonisées et cultivées au Néolithique, alors que ce sont essentiellement des grottes qui étaient habitées auparavant[1]. Des plantes non comestibles à usage textile ou herboristique sont cultivées dès le troisième millénaire avant notre ère[1].

En 4600 avant l'ère chrétienne, la Culture de Varna (en) naît sur les rives de limans de la mer Noire, autour de l'actuelle ville de Varna, à la fin du chalcolithique : c'est un développement culturel et technologique sans précédent dans la région. Des poteries, des idoles en os ou en pierre, des outils de cuivre en révèlent d'abord l'existence, avant la découverte fortuite, en 1972, à quelques kilomètres de Varna, d'une nécropole contenant de nombreux objets en or et en électrum (alliage naturel d'or et d'argent pouvant contenir entre 15 et 40 % d'argent). Les plus riches tombes renferment des diadèmes et des sceptres en or, des haches et pointes de javelot à fort poids de cuivre, des parures raffinées, des céramiques finement décorées. L'étude des quelque 300 sépultures de la nécropole de Varna démontre, à l'âge du cuivre, l'existence d'une société fortement hiérarchisée : ce sont les plus anciennes pièces d'orfèvrerie jamais découvertes à ce jour, parmi lesquelles des bracelets massifs dépassant 200 g et de presque 24 carats, des plaques, plastrons, diadèmes… La datation physico-chimique donne des dates échelonnées entre 4600 et 4200 ans avant notre ère, donc avant la Mésopotamie ou l'Égypte antique[2].

Parmi les premiers occupants sédentaires du pays on peut également citer les peuples appelés « Pélasges » par les Grecs, civilisations matristiques qui ont laissé de nombreuses sculptures gynomorphes et la légende des Amazones[3], et qui correspondent archéologiquement à des civilisations comme celles de Startchevo-Sesklos puis de Vintcha (Bulgarie occidentale), de Karanovo, de la Culture de Basarabi (en) (Calafat, près de Vidin), de Boyan (en) (Bulgarie centrale) ou de Hamangia (rives de la mer Noire). Ces civilisations, comme bien d'autres en Europe, nous ont aussi légué des monuments mégalithiques (voir Beglik Tash, site proche de Bourgas, les Dolmens en Thrace (de) et le Cromlech de Dolni Glavanak (de)).

Dès la fin du troisième millénaire, l'Est de la Bulgarie actuelle passe sous l'influence d'un peuple indo-européen, les Thraces, locuteurs de langues paléo-balkaniques[1]. Les Thraces sont réputés pour la qualité de leur travail de l'or et de l'argent, leur musique, ainsi que leur talent de cavaliers[1]. Ils vivent dans une société tribale et peinent à s'unir dans une seule entité politique[1]. Ils inaugurent un patriarcat guerrier (voir Proto-Indo-Européens et Hypothèse kourgane) et laissent les tout premiers signes épigraphiques, comme l'Inscription de Sitovo (en). D'autres sites thraces de cette période initiale sont Durankulak en Dobroudja, Solnitsata près de Provadia, l'Oppidum du cap Maslen (de) (Maslen nos (de) : le « cap des Oliviers », au nord de Bourgas), et les nombreuses nécropoles de la Plaine de la Maritsa (de) (bassin du fleuve Maritsa).

Antiquité

La Religion des Thraces (en) et la Mythologie paléo-balkanique (en) étaient proches des cultes à mystères et en particulier de l'orphisme. Les Thraces nous ont laissé de nombreux trésors d'orfèvrerie : voir Trésors thraces (en), Trésor de Panagyurishte (de) ou Trésor de Valchitran (en).

Royaume des Odryses (490/450 av. J.-C. - 46 ap. J.-C.)

Les Thraces se répartissent en diverses tribus jusqu'à ce que le roi Térès Ier, premier roi des Odryses, les réunisse autour d'un État fédéral, vers 500 avant notre ère, sous les influences grecque et perse[4].

Influence hellénique

Progressivement hellénisés à partir des comptoirs grecs de l'Égée et du Pont-Euxin, ils entrent dans la sphère d'influence de l'Empire perse au Ve siècle av. J.-C. Le royaume de Thrace atteint son apogée sous le règne des rois Sitalcès et Cotys (383-359 av. J.-C.), de la dynastie des Odryses. Détruit et envahi par la Macédoine de Philippe, le père d'Alexandre le Grand, il connaît un renouveau sous Seuthès III en 341, mais doit accepter la domination macédonienne[5]. Les archers et chevaliers thraces sont nombreux dans l'armée d'Alexandre le Grand qui se rend jusqu'en Inde[5].

La Thrace passe ensuite sous l'influence des royaumes hellénistiques au IIIe siècle av. J.-C.. Hérodote décrit les tombeaux thraces et le raffinement de leur art funéraire. Ils ont laissé de nombreux trésors (musée de Sofia), souvent sous des tumuli qui parsèment par centaines la plaine centrale de Roumélie : les plus connus sont ceux de Kazanlak et de Svechtari.

Période romano-byzantine

Arrivés dans les Balkans pour lutter contre les pirates, les Romains étendent progressivement leur domination sur le territoire thrace en commençant par la Mésie[5]. S'ils tolèrent d'abord un royaume thrace qui est leur client, ils administrent bientôt directement tout le territoire thrace[5]. À partir de 29 avant notre ère, les Romains organisent les territoires en provinces de Mésie et de Thrace au Ier siècle apr. J.-C., en l'an 45. La période romaine, qui offre une unité inédite à la péninsule balkanique, est synonyme de prospérité pour la Mésie et la Thrace, notamment grâce aux nouvelles voies de communication[5]. La ville de Serdica, sur le site de la ville actuelle de Sofia, se situe au croisement des deux principales routes qui traversent les Balkans[5]. Trimontium, l'actuelle Plovdiv, prospère également[5]. Les Romains laissent leur empreinte : le théâtre antique de Plovdiv, les thermes de Varna, la Résidence de la déesse Irène (Plovdiv) (en) et bien d'autres monuments romains. En 188 de notre ère, la Thrace est définitivement intégrée dans l'Empire romain et, à la fin du IIIe siècle, le pays est organisé comme province de Dacie aurélienne où petit à petit les Thraces sont romanisés au nord de la ligne Jireček : la langue thrace subsiste toutefois dans certaines régions montagnardes, comme le Rhodope, jusqu'au cinquième siècle de notre ère, et même si le christianisme se généralise, le culte du cheval se maintient encore plus longtemps[5].

À l'époque romaine et durant l'Antiquité tardive, les villes d'Adrianopolis - aujourd'hui Odrin, de Diocletianopolis (Thrace) (en) - aujourd'hui Toplitsa ou Hissarya, et de Philippopolis (Thrace) (en) - aujourd'hui Plovdiv, sont les principaux centres urbains, comme en témoignent le Stade romain de Plovdiv (en), le Forum romain de Plovdiv (en), l'Odéon de Philippopolis (en) ou l'Ancienne bibliothèque de Plovdiv (en).

Rome développe son système défensif le long du Danube, mais si l'été, le limes (série de fortifications et de castrae de légionnaires) et la classis (flotte militaire de garde-frontières, sur le Danube et en mer Noire, basée dans des arsenaux dénommés classis Romana castrae) sont efficaces, en hiver en revanche, lorsque les eaux gèlent, la défense du pays est beaucoup plus ardue, et au IVe siècle les invasions gothiques ravagent le pays : l'empereur Valens est ainsi tué en défendant Andrinople. Les principaux castrae romains se trouvaient près de Sofia, Svichtov, Lom, Silistra, Razgrad, Gigen et Plovdiv.

En l'an 395, l'Empire romain est divisé et les provinces de Thrace et de Mésie se retrouvent dans l'Empire romain d'Orient où le christianisme progresse rapidement[5] comme en témoignent Grande basilique antique de Plovdiv (en), Petite basilique antique de Plovdiv (en). Le judaïsme romaniote est également présent, et la Synagogue de Philippopolis (en) est l'une des plus importantes du pays.

L'Empire romain d'Orient, que nous appelons « byzantin » depuis le XVIe siècle, perdure dans les Balkans jusqu'au VIe siècle lorsqu'il commence à en perdre le contrôle en raison de l'arrivée des Slaves méridionaux et des invasions avares, gardant seulement les grandes villes et les côtes, de peuplement majoritairement grec, tandis que dans les campagnes de l'intérieur, les Slaves s'organisent en petits duchés autonomes qu'ils appellent knyazats et que les byzantins appelaient sklavinies[6],[7].

Grandes migrations et formation du Premier Empire bulgare

Les Protoslaves arrivent dans les Balkans à partir de la fin du Ve siècle, poussés par plusieurs peuples cavaliers dont les Huns, les Goths, les Avars et les Alains[8]. Initialement adeptes des dieux slaves, les Proto-Slaves s'établissent de plus en plus nombreux[8] : ce sont eux qui ont légué aux actuels Bulgares leur langue[9].

Confédération de peuples turcophones et iranophones formée entre le IIe siècle et le VIIIe siècle en Asie centrale, les Proto-Bulgares, initialement adeptes du tengrisme, s'installent au nord de la mer Noire par vagues successives entre le IIe siècle et le Ve siècle. Des peuples iranophones tels les Alains dont descendent les actuels Ossètes du Caucase, ont rejoint cette confédération comprenant aussi des éléments turcophones dont descendent les Balkars du Caucase actuel. Les origines diverses des peuples ainsi confédérés se retrouvent dans leur nom, puisque « bulgare » vient du radical turc bulach signifiant « mélange »[8]. Les Proto-Bulgares sont déjà politiquement structurés et ont une excellente réputation militaire[10].

La première Grande Bulgarie, gouvernée par Koubrat, s'étendait sur les actuelles Ukraine et Russie méridionale, du delta du Danube à celui du Kouban. Sous la poussée d'une confédération turcophone, les Khazars, une partie des Bulgares migrent vers le nord et s'installent sur la moyenne-Volga où ils fondent au VIIIe siècle un royaume qui adopte l'islam à la fin du IXe siècle ou le début du Xe siècle et sera, plus tard, absorbé par les Tatars vers le milieu du XIVe siècle lorsque cette Bulgarie de la Volga succombe finalement aux coups des Mongols. L'un des fils de Koubrat, Asparoukh, se dirige pour sa part vers l'ouest et fonde en 681 sur le bas-Danube, après sa victoire d'Ongal sur l'Empire byzantin, un autre royaume bulgare occupant les actuelles Bulgarie, Macédoine, Serbie, Roumanie et Moldavie[11].

Dans cette Bulgarie du Danube, les Slaves encore païens et les Proto-Bulgares tengristes se convertissent progressivement au christianisme byzantin (la conversion officielle de l'aristocratie bulgare date de 864, sous le règne de Boris I, baptisé Michel : l'état bulgare passe alors du statut de khanat à celui de tzarat)[10],[12],[13].

Histoire et protochronisme

Ici l'historiographie, soumise à de fortes pressions politiques, diverge au niveau de l'interprétation et la mise en avant de certains faits[14].

La Ligne Jireček montre les zones de romanisation (au nord) et d'hellénisation (au sud) des Thraces avant leur slavisation.

Pour les auteurs classiques, les Bulgares ont trouvé sur le bas-Danube des Thraces hellénisés ou latinisés et des Slavons (il s'agit des « Sept Tribus » slaves installées là à partir du VIIe siècle). L'hellénisme a commencé ici neuf siècles auparavant, et la romanisation six siècles auparavant. Les Thraces étaient en grande partie hellénisés au sud d'une ligne dite Jireček (du nom de l'historien qui l'a déterminée) et latinisés au nord de cette ligne (les derniers témoins linguistiques de ce processus sont les minorités grecques côtières et aroumaines montagnardes de la Bulgarie et de la Macédoine du XIXe siècle, pour la plupart disparues au XXe siècle). La ligne Jireček, fondée sur les découvertes archéologiques, suit le tracé au sud duquel les inscriptions en grec dominent, tandis qu'au nord ce sont celles en latin. À l’arrivée des Bulgares, cette région faisait partie de l’Empire romain oriental dit Empire byzantin, dont les Sklavinies des slaves du sud étaient des vassales plus ou moins insoumises et en voie de christianisation[13].

Mais pour l'école protochroniste, lors de l'arrivée des Bulgares, les Thraces, très peu hellénisés ou latinisés, avaient déjà subi une forte slavisation, car les Slavons, même s'ils n'étaient là que depuis 150 ans environ, étaient très nombreux. L'héritage turcophone de la majorité des premiers Proto-Bulgares d'Asparoukh est également remis en cause, même s'il existe des descendants turcophones de la grande confédération de l'empire de Kubrat (les Balkars du nord-Caucase) : c'est le caractère iranien des Proto-Bulgares qui est mis en avant.

L'école protochroniste vise à démontrer que le peuple bulgare tire ses origines de l'Afghanistan actuel, plus précisément au pied des montagnes du Pamir et de l'Hindou-Kouch (dans l'ancien pays des Aryens, au sud-est d'un « mont Iméon ») et a utilisé des écritures runiques. Le patriarche Jacobite d'Antioche au XIIe siècle Michel le Syrien, relate une légende selon laquelle les Bulgares sont sortis directement des cols de l'« Iméon » pour venir en Europe[15]. Les « populations bulgares restées au Pamir » auraient subi une turquisation forcée et tardive de cette région vers le XIVe siècle[16]. Toujours selon les thèses protochronistes, désormais devenues mystiques, certaines sources écrites tel le chronographe de 354 relient directement le nom des Bulgares à la Bible. Les Bulgares seraient un des plus anciens peuples ayant survécu jusqu'à nos jours avec leur dénomination biblique : après le Déluge, la terre fut répartie entre les fils de Noé (Shem, Hamid, Japhet)[17] et, selon le « Latin Chronographer of 354 », les Bulgares seraient les descendants directs de Shem[18], dont un des fils serait « Ziezi ex quo Vulgares » (Ziezi qui donna les Bulgares). Selon ce point de vue, au IVe siècle le mot latin « Vulgares » désignait le nom d'un peuple et non seulement le terme générique connu de nos jours comme « commun » et au VIIe siècle, des géographes arméniens ont cité le peuple Bulkh, abréviation du mot Bulkhor, encore rencontré dans certains dialectes de l'Est de l'Iran et dans la langue Tadjik, reliant ainsi les premiers Bulgares à ce peuple Bulkh.

Des Khanats au premier Empire bulgare

Du khanat tengriste au tzarat chrétien

Le premier Empire bulgare à sa plus grande extension pendant le règne du Tsar Simeon Ier le Grand (893-927).
Civilisation du second Empire bulgare.

Les Bulgares d'Asparoukh fondent le le premier État bulgare multi-ethnique dont Pliska est la capitale[10]. Face à l'Empire byzantin, l'aristocratie proto-Bulgare des boyards qui gouverne la Bulgarie médiévale parvient à rassembler sous sa bannière ses populations slaves, romanes et grecques : les premières, surtout agricoles, dans les plaines (Σκλαβινίαι, Склавинии, « sklavinies »), les deuxièmes, surtout pastorales sur les piémonts (Βλαχίες, Влахии, « valachies ») et les troisièmes, surtout urbaines, marchandes et maritimes dans les grandes villes et sur les côtes (κεφαλίες, кефалии, « céphalies »)[19],[20],[21],[22],[13]. Le slavon s'impose progressivement comme langue usuelle, liturgique et officielle. En 716, un traité est signé avec Byzance : les Bulgares cèdent la Thrace du Nord aux Byzantins et les soutiennent dans leur conflit avec les Arabes[13]. Ils ne développent pas de flotte conséquente, probablement pour des raisons de connaissances techniques et de base économique, si bien que la mer Noire, ses côtes et ses ports restent sous le contrôle de la marine byzantine[23].

Dans le bassin du bas-Danube, en revanche, les Bulgares s'emparent, au milieu du siècle, de la vallée de la Morava, étendant leur territoire vers l'ouest sur l'actuelle Serbie orientale puis, après la chute du khaganat avar, loin vers le nord, depuis les limites de la Grande Moravie (dans l'actuelle Hongrie) jusqu'à la steppe pontique (sud de l'actuelle Ukraine) qu'ils connaissaient bien puisque l'Ancienne Grande Bulgarie s'y trouvait[13]. En Transylvanie, ils exploitent les mines d'or et de sel des monts du Bihor au début du neuvième siècle[23]. En 811, le khan Kroum s'empare de Sredets, l'actuelle Sofia, et des ports byzantins sur les côtes, puis marche en direction de Constantinople, bien décidé sinon à prendre la ville, au moins à obtenir des Byzantins des gains substantiels[23]. L'Empereur byzantin Nicéphore Ier perd la vie sur le champ de bataille[23]. Omourtag, qui succède à Kroum et règne de 814 à 831, conclut une paix avec Byzance lui accordant quelques gains territoriaux, puis s'empare de Belgrade[23]. Il établit également un nouveau système légal[24]. Les Bulgares conquièrent ensuite une partie de la Macédoine, jusque-là byzantine[24]. Ils atteignent, au milieu du neuvième siècle, l'Adriatique dans l'actuelle Albanie[24].

Au fil des siècles suivants, les populations de langue romane ou grecque (Thraces latinophones ou hellénophones) se slaviseront progressivement aussi, donnant naissance au peuple bulgare actuel. Les patronymes bulgares ont fréquemment une forme slave finissant en …ov, …ev ou parfois …ski, mais les radicaux d'origine hellénique ou romane ne sont pas rares (Angel-ov, Kaloiorg-ov, Frat-ski…)[25].

En 865, sous le règne de Boris Ier, l'aristocratie des boyards tengristes du Premier Empire bulgare se convertit à son tour, de plus ou moins bon gré, au christianisme[24] qui était déjà la religion de ses populations slaves, grecques et valaques, et adopte le slavon comme langue usuelle, liturgique et officielle, à l'origine du bulgare actuel, mais aussi langue liturgique et de chancellerie des principautés danubiennes jusqu'au XVIIIe siècle. La conversion a probablement plusieurs causes, dont la volonté de renforcer la cohésion interne de l'Empire bulgare, d'améliorer les relations avec Byzance, mais également d'être mieux admis sur une scène internationale où la quasi-totalité des États de la région sont déjà chrétiens[24].

Dans les années 860, Cyrille et Méthode, deux moines de Salonique, adaptent l'alphabet grec à la langue slave : c'est la naissance de l'alphabet glagolitique. Cinq des élèves de Cyrille et Méthode créent ensuite l'alphabet cyrillique pour les besoins des Bulgares. Dans les siècles suivants, les Bulgares resteront en majorité fidèles à la foi orthodoxe malgré les tentatives du pape Innocent III de les convertir au catholicisme et malgré l'« hérésie » des Bogomiles (prêchée par le pope Bogomil). L'influence byzantine (1018-1185) façonne l'Église orthodoxe tandis que le mouvement Bogomile se propage.

Le premier Empire bulgare devient rapidement une dangereuse menace pour l'Empire byzantin. Il atteint son apogée sous Siméon Ier, fils de Boris Ier, le « Charlemagne bulgare », reconnu tsar (déformation de César) en 913 par Constantinople et en 926 par Rome. Ce royaume multi-ethnique, où cohabitent des Grecs (le long des côtes), des Slavons (majoritaires au long des rivières internes), des Albanais (dans l'ouest) et des Thraces latinisés connus dans l'histoire sous le nom de « Valaques » (autour des principaux massifs montagneux, des lacs macédoniens et du Danube), s'étend considérablement : de la mer Adriatique à la mer Noire jusqu'au Boudjak, et du nord de la Roumanie actuelle à la Thessalie. Les fastes de la cour bulgare, des boyards, des joupans et de l'Église contrastent avec le sort misérable des roturiers sous le régime féodal. Les nombreuses guerres, le poids des impôts et le mécontentement populaire affaiblissent le premier Empire bulgare. L'empereur byzantin Basile II en profite pour ramener la frontière byzantine sur le bas-Danube, après plus de trois siècles de reculs. Le royaume occidental bulgare (969-1018) de Samuel Ier, avec Ohrid pour capitale (siège de la l’Archevêché latin Prima Justiniana), résista quelques décennies et disparaît après la défaite de Samuel devant Basile II, le Bulgaroctone (tueur de Bulgares) qui en 1014 restaure l'autorité impériale dans l'ensemble des Balkans, non sans avoir fait crever les yeux de 14 000 soldats prisonniers, à l'exception d'un sur 100, seulement éborgné pour pouvoir conduire les autres.

Le temps des « hérésies »

Les « thèmes » de la Bulgarie byzantine vers 1045.

Au Xe siècle apparaissent en Bulgarie, des courants de contestation religieuse, connus sous le nom d’« hérésie » bogomile. Ses origines remontent à l’introduction de l’« hérésie » paulicienne venue de Cilicie à partir du IVe siècle. Dans le même temps, les prêcheurs venus de Syrie apportent dans les Balkans les idées dualistes[26] du manichéisme[27]. Le « bogomilisme » tire son nom du slave Bog-mily, « miséricorde, amour de Dieu » qui peut être une expression, ou bien le nom religieux de son prosélyte le plus connu, peut-être légendaire : le pope Bogomil.

Les Bogomiles dénonçaient l’inégalité sociale et les guerres, critiquaient le luxe et les mœurs des boyards et des hauts dignitaires de l’église, et incitaient à l’insoumission aux seigneurs et aux lois. Ils formaient une communauté dotée d'une forte organisation hiérarchique et dirigée par des « parfaits » ; c’est parmi ceux-ci que se recrutaient les combattants qui ébranlèrent les fondements de l’Église et de l’État bulgare. Ils furent pourchassés : à la suite d’un concile de l’Église bulgare à Tarnovo en 1211, le tzar Boril (1207-1218) appela à la croisade contre les musulmans, mais également contre les « hérétiques » bogomiles.

La doctrine des Bogomiles se répandit dans l’Empire byzantin, dans les pays yougoslaves et dans les Alpes (« vaudois ») et jusqu'en Occitanie cathares » signifiant « purifiés » en grec, surnommés aussi « Bougres » parce que « leur berceau se trouve en Bulgarie » selon Étienne de Bourbon en 1217).

Le Second Empire bulgare (1186-1396)

Royaume bulgare en 1265.
Bulgares tuant des Byzantins.
Bulgarie vers 1350

En 1180, selon Georges Cédrène, Anne Comnène, Nicétas Choniatès et Jean Skylitzès, les Valaques de Bulgarie se révoltent contre l'Empire byzantin et s'émancipent en 1186 pour reconstituer la Bulgarie : c'est le Second Empire Bulgare reconnu par le pape Innocent III et les chancelleries de l'époque[28]. Ce royaume multi-ethnique dont la capitale est Veliko Tărnovo et la principale dynastie est celle des Assénides, s'étend lui aussi sur les actuelles Bulgarie, Macédoine, Grèce du Nord, Serbie orientale et Roumanie du sud et du sud-est. Les arts et la culture y connurent un considérable développement et perdurèrent par la suite en Moldavie, Valachie, et même dans les Balkans soumis à l'Empire ottoman. En Bulgarie moderne, c'est de cette époque que datent les fresques du monastère de Boïana près de Sofia, de nombreuses églises, ainsi que le palais de Trnovo sur la colline de Tsarevets.

Un siècle avant l'Italie, l'esprit et l'art de la Renaissance s'y manifestaient déjà. Le règne de Ivan Assen II ou Ioan Asen II (1217-1241) marque son apogée puisqu'il bat et fait prisonnier Baudouin VI de Hainaut qui s'est emparé de Constantinople à la suite de la quatrième croisade, dirigée contre l'Empire byzantin (chrétien, mais considéré comme « schismatique » par l'Église catholique).

Considérablement affaibli par l'invasion des Tatars en 1225, le Second Empire bulgare se désagrège à partir de 1250. Il est remplacé, au nord du Danube par le banat roumain de Severin et la principauté d'Arges vassaux de la Hongrie, et au sud du Danube par des Tzarats slavo-bulgares d'Ohrid, de Vidin et de Tărnovo, et par le despotat de Dobroudja, qui tombent l'un après l'autre sous la coupe de l'Empire ottoman. Les pays roumains nord-danubiens (Valachie et Moldavie) deviennent vassaux de l'Empire Ottoman jusqu'en 1878 tout en conservant le vieux-bulgare et son écriture comme langues liturgique et de chancellerie pendant des siècles[29].

Une partie des Bulgares (les Pomaques) passent à l'islam : selon le Grand vizir Midhat Pacha, gouverneur des provinces du Danube (Ton ili), et l'un des pères de la constitution turque de 1876 : « … parmi les Bulgares, il y a plus d'un million de musulmans qui ne sont pas venus de l'Asie pour s'établir en Bulgarie, comme on le croit communément ; ce sont les descendants de ces Bulgares convertis à l'islam à l'époque de la conquête et dans les années qui ont suivi. Ce sont les enfants d'un même pays, d'une même race, venus de la même souche… ».

Période ottomane

Conquête ottomane et disparition de l'aristocratie chrétienne

L'Empire ottoman en 1801.
Parade de l'armée ottomane près de Sofia ; les forteresses alentour tirent des coups de canon (gravure allemande, 1788). C'était une manière d'affirmer la domination du sultan sur ses sujets, musulmans ou non, et d'inciter les jeunes paysans à s'engager.
Selon la charia, les communautés confessionnelles de l'Empire ottoman n'étaient pas égales en droit : les non-musulmans sunnites avaient un statut subalterne et ne pouvaient pas porter plainte contre des musulmans s'ils subissaient des violences de leur part.
Pur sang arabe du haras Kabyuks près de Choumen. Créé par les Ottomans pour les besoins de l'armée, cet élevage fournissait 1300 chevaux par an.
La Bulgarie ottomane en 1830, partagée entre les pachaliks du Danube (Vidin puis Sofia, à l'ouest), d'Özi (Silistra, à l'est), de Macédoine (Salonique, au sud-ouest) et de Thrace (Andrinople, au sud-est).

Comme le reste des Balkans, la Bulgarie subit une longue période de domination ottomane pendant laquelle les boyards et les joupans bulgares disparaissent comme classe, soit parce qu'ils sont exterminés lors de la conquête, soit parce qu'ils s'exilent dans les principautés danubiennes où ils s'intègrent à la noblesse roumaine, ou encore en Russie où ils rejoignent les boyards russes, tandis que les populations subissaient le joug de l'occupant notamment dans les timars mis en place par les ottomans (domaines agricoles attribués à des dignitaires musulmans). Chez les Bulgares, cette période est perçue comme la plus sombre de leur histoire, mais des ponts, des aqueducs et des monuments comme Hisar Kapia (en) y furent néanmoins construits.

Incapables de résister à l'Empire ottoman, les états successeurs du Second Empire bulgare tombent les uns après les autres aux mains des Ottomans : Tãrnovo tombe en 1393, Vidin et les seigneuries de Macédoine en 1396 et le despotat de Dobroudja, qui s'était mis sous protection valaque en 1394, en 1422. La Bulgarie fut partagée entre les provinces de l'Empire ottoman du Danube (Ton-ili), d'Otchak-et-Silistrie (Özi-ili), de Macédoine (Selanik-ili) et de Roumélie (Rum-ili) pendant près de cinq siècles, de 1396 à 1878.

Administration ottomane

L'Empire ottoman y place tous les chrétiens orthodoxes sous la tutelle religieuse du Patriarcat de Constantinople qui en est le représentant auprès du Sultan. Le pays perd son indépendance, son nom et sa capitale : les Ottomans n'emploient que le mot « Roumélie » (en turc Rum-ili signifie « pays des Romains » c'est-à-dire pris aux byzantins (le terme « byzantin » est une invention de Jérôme Wolf au XVIe siècle, le nom réel de l'Empire étant « Empire des Romains »). Mosquées et minarets se multiplient au fil de la colonisation ottomane (surtout dans l'Est du pays) et de l'islamisation d'une partie des Bulgares : les Pomaques. Sur les côtes, les Grecs subsistent à Krouni, Varna, Naulochos, Anchialos, Messémbrie, Dévelthos, Sozopolis, Ranouli et Vassiliko.

Quelques églises sont rasées et, selon l'expression ottomane consacrée, à cette période les églises ne devaient pas « dépasser la hauteur d'un Turc sur son cheval ». Identifiés par leur religion chrétienne, des rebelles, mi-brigands, mi-résistants, les haïdouks s'organisent le plus souvent grâce aux monastères et vivent repliés sur eux-mêmes pour éviter les représailles, mais ils entretiennent le souvenir de la nation bulgare et acquièrent l'aura de combattants de la liberté. La période ottomane permit aussi l'accès à l'indépendance de l'Église Bulgare. En 1870, les religieux orthodoxes bulgares instaurent leur propre exarchat avec le consentement de la « Sublime Porte » ottomane et échappent ainsi à la tutelle du patriarcat œcuménique de Constantinople dominé par les Grecs. Toutefois le siège de l'exarchat bulgare demeure à Constantinople jusqu'en 1913, dans le quartier de Şişli (Chichli).

Pour certains historiens, la période ottomane fut moins négative que les historiens nationalistes bulgares ne la présentent, car elle permit un développement culturel et économique du pays dans le cadre d'un vaste ensemble multinational où les rapports entre peuples et entre religions étaient généralement caractérisés par une grande tolérance. Pour ces historiens « hétérodoxes », les plus sombres périodes de l'histoire bulgare seraient en fait les campagnes de Basile II, l'invasion tatare et alane du XIIIe siècle et la dictature communiste[30].

« Le Pays que les Bulgares habitent serait un jardin délicieux si l'oppression aveugle et stupide de l'administration turque les laissait cultiver avec un peu plus de sécurité : ils ont la passion de la terre »

 Lamartine Voyage en Orient (écrit à Plovdiv)

Renaissance culturelle bulgare (1750-1878)

Vers la deuxième moitié du XVIIIe siècle, avec le développement de l'économie et le commerce et le déclin de la force militaire turco-ottomane, une nouvelle génération de Bulgares surgit. Les plus éminents personnages de cette véritable Renaissance tardive « à la bulgare » sont le moine Païssii, Petar Beron, Kolio Ficheto (le plus grand architecte bulgare de l'époque), Gueorgui Rakovski, le poète Hristo Botev (tué en 1876), Georgi Benkovski, Liuben Karavelov et Stefan Stambolov.

Isolés dans leurs montagnes, les monastères deviennent des foyers de résistance culturelle contre l'opression Ottomane qui se manifeste, sur le plan économique par la lourde domination des timariotes musulmans sur les paysans chrétiens, et sur le plan social-politique par l'application de la loi islamique qui divise les sujets du Sultan turc en catégories inégales, imposant aux chrétiens, sujets de seconde zone, une double-imposition - le haratch, et l'enlèvement du graçon premier-né pour être élevé dans l'islam et devenir janissaire - le devchirmé ou сакупљање. Le plus connu des révolutionnaires bulgares, Vassil Levski, sera pendu à Sofia. D'autres, tels le diplomate et journaliste Alexandre l'Exarque tentent une voie pacifique vers l'indépendance, par une politique d'influence en direction de la « Sublime Porte » d'Istanbul et des grandes puissances.

Une importante presse bulgare se développe dans les milieux de l'émigration, notamment dans les principautés danubiennes, à Bucarest ou ailleurs, et aussi à Constantinople (à travers le journal Tsarigradski vestnik, Le Courrier d'Orient, qui réclame principalement le rétablissement du Patriarcat bulgare autocéphale de Tãrnovo, indépendant du Patriarcat grec de Constantinople, reconnu par ce dernier en 927 mais supprimé en 1020 lors de la reconquête des Balkans par Basile II).

Révoltes au XIXe siècle et guerre de libération russo-turque de 1877-1878

La grande révolte éclatera en avril 1876. Vouée à l'échec malgré plus de 30 000 morts, elle provoqua une réaction très vive dans toute l'Europe et jusqu'aux États-Unis.

« On massacre un peuple. Où ? En Europe. Ce fait a-t-il des témoins ? Rien qu'un témoin, le monde entier. Les gouvernements l'aperçoivent-ils ? Non ! Aura-t-il une fin, le martyre de ce peuple héroïque ? Il est grand temps que la civilisation l'interdise »

 Victor Hugo devant le Parlement français en août 1876

En 1877-1878, la Russie et la Roumanie mènent à bien une nouvelle guerre contre les Turcs qui se terminera par la libération de la Bulgarie. Le traité de San Stefano en 1878 crée la Grande Bulgarie du Danube à la mer Égée et assure à la Russie le libre-accès aux détroits du Bosphore et des Dardanelles.

Période contemporaine

Principauté de Bulgarie (1878-1908)

La Bulgarie en 1878.

La création de ce grand État slave dans les Balkans et le renforcement de l’influence russe dans la région contrarient les intérêts politico-stratégiques des Grandes puissances occidentales. Aussi, face à leurs protestations, le tsar Alexandre II accepte la réunion du Congrès de Berlin en 1878. Ce dernier se clôt par le Traité de Berlin qui supprime la Bulgarie réunifiée du traité de San Stefano et divise en deux la nouvelle principauté bulgare.

L’autonomie complète n’est ainsi accordée qu’à la petite Bulgarie septentrionale, s’étendant du Danube jusqu’au monts Balkans, tandis que la moitié sud, dite Roumélie orientale, est placée sous l’autorité politique et militaire ottomane avec un degré d’autonomie purement culturel. Quant à la Macédoine, elle reste finalement ottomane. Ces nouvelles frontières refusent aux Bulgares l’unité que leur avait reconnue le traité de San-Stefano. Le point de départ est ainsi donné à plusieurs conflits régionaux, et à une division qui perdure jusqu’à nos jours entre l’identité « macédonienne » des bulgarophones occidentaux et l’identité « bulgare » des bulgarophones orientaux.

En 1879, la Bulgarie se dote de la « constitution de Tãrnovo » instaurant une monarchie parlementaire modérée où le pouvoir est partagé entre le prince et l’Assemblée nationale. Le même jour, le prince allemand Alexandre de Battenberg est élu souverain de la principauté par l’Assemblée constituante. Mais le prince entre rapidement en conflit avec les libéraux alors au pouvoir et parvient, grâce à un coup d’État en 1881, à suspendre la constitution et à s’octroyer les pleins pouvoirs. En 1883, il rétablit le régime constitutionnel. En septembre 1885, un soulèvement de la Roumélie orientale permet enfin la réunion des deux entités. En réaction, la Serbie, inquiète de la nouvelle puissance bulgare, tente vainement d’envahir la Bulgarie mais est repoussée.

En 1886, les relations entre les gouvernements russe et bulgare sont mauvaises car en Bulgarie, les pro-russes considèrent, non sans quelque raison, Alexandre de Battenberg comme un pangermaniste pro-occidental ennemi du panslavisme, et l’obligent à abdiquer à l’issue d’un putsch. Une régence est alors mise en place avec Stefan Stambolov comme président mais l’année suivante, une assemblée largement russophobe élit Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha comme prince.

Si la Bulgarie entre dans une certaine ère de prospérité, paradoxalement le régime du Premier ministre Stambolof devient, au fur et à mesure du temps, de plus en plus répressif. Le prince Ferdinand parvient à prendre le pouvoir en 1894 et renoue, à partir de cette période, de bonnes relations avec la Russie. Ferdinand doit alors faire face à un autre problème de taille : les revendications macédoniennes. Parmi les révolutionnaires macédoniens anti-ottomans, appelés komitadjis et persécutés par les Ottomans, certains revendiquent l’indépendance, d’autres de rattacher leur territoire à la Bulgarie, et des organisations terroristes macédoniennes rivales se développent alors. De toute manière, toutes les actions diplomatiques entreprises par les gouvernements bulgares pour le rattachement, se soldent par des échecs, d’autant qu’elles heurtent aussi les revendications serbes et grecques sur cette région multi-ethnique : c'est la « balkanisation »[31]. Dans les régions restées ottomanes où le peuplement bulgare était majoritaire, des rebellions comme les républiques de Strandja ou de Krouchevo se produisent en 1903, année où Ferdinand inaugure un régime personnel.

Continuant à se moderniser, la Bulgarie acquiert assez de puissance, notamment militaire dans les Balkans, pour qu’en 1908 le prince déclare l’indépendance de la Bulgarie, profitant de la prise du pouvoir du parti Jeunes-Turcs à Constantinople, et s’octroie le titre de tsar, sans que la communauté internationale s’y oppose cette fois. Durant cette période, les timbres-poste émis sont marqués CTOT.

Royaume de Bulgarie (1908-1946)

En 1912 la Bulgarie s'allie avec les Grecs, les Serbes et les Monténégrins pour reprendre la Macédoine à l'Empire ottoman : c'est la première Guerre balkanique. La Bulgarie porte le plus dur de la guerre contre les Ottomans et remporte plusieurs victoires mais pendant ce temps les Serbes s'emparent de la Macédoine majoritairement bulgarophone. La Serbie faisant la sourde oreille aux revendications bulgares, la Bulgarie tente de lui reprendre la Macédoine par la force : c'est la 2e guerre des Balkans. La Roumanie et la Grèce volent au secours de la Serbie, et l'Empire ottoman au secours de la Bulgarie qui sera néanmoins vaincue. Pour l'opinion bulgare, il s'agit d'une trahison qui par la suite amènera la Bulgarie à s'allier aux ennemis des Serbes, des Roumains et des Grecs. C'est aussi dans ce drame que s'enracine l'« histoire militante » parfois délirante qui essaie par tous les moyens de séparer le passé bulgare de celui de ses voisins, alors qu'il s'agit en grande partie d'une histoire commune.

La Paix de Bucarest () partage la Macédoine entre la Serbie et la Grèce et donne à la Roumanie la Dobroudja du Sud bulgare, donc la totalité de la Dobroudja. La Bulgarie gagne toutefois un nouveau débouché maritime sur la mer Égée, mais elle conteste ce partage : c'est la Deuxième Guerre balkanique. Les Serbes reçoivent alors le soutien des Grecs puis des Roumains (neutres jusque-là) et enfin des Turcs qui espérant ainsi récupérer une partie des territoires qu'ils venaient de céder. Fin juillet 1913, les Serbes, Grecs, Roumains et Turcs remportent la victoire.

Un nouveau partage a lieu le , par le traité de Bucarest : la Bulgarie perd une grande partie de ses conquêtes et de ses acquis de la Première Guerre qui sont partagés entre les vainqueurs. C'est pourquoi, un an plus tard, dans la Première Guerre mondiale la Bulgarie s'allia avec l'Empire allemand, l'Autriche-Hongrie et l'Empire ottoman, recevant d'eux la Macédoine, le nord de la Grèce à l'est de Salonique, la Dobroudja du Sud perdue en 1913 et aussi une partie de la Dobroudja du Nord roumaine. Mais ces rattachements ne son pas internationalement reconnus, et en 1918 la Bulgarie, se trouvant dans le camp des vaincus, doit signer en 1919 le traité de Neuilly qui lui fait perdre tous ces territoires, y compris l'accès à la mer Égée, et lui supprime le droit à avoir une aviation.

Pendant l'entre-deux-guerres et en prenant exemple sur l'Allemagne nazie, le tsar Boris III contourne une à une les clauses du Traité de Neuilly, de façon indirecte tout d'abord, puis ouvertement à partir des années 1930. C'est ainsi qu'il parvient à fonder à nouveau une Armée de l'Air dès 1935. Dans le même temps, il soumet la Bulgarie à un régime fortement autoritaire et tolère le mouvement ultra-nationaliste et antisémite des Branniks. Prudente toutefois, la Bulgarie signa l'accord de Salonique avec les pays de la Ligue balkanique, visant à limiter les armements de chaque État impliqué, et en profita pour se moderniser et reconstituer ses voies de communications ferroviaires et routières, financées majoritairement par un emprunt auprès d'établissements bancaires français.

La Bulgarie continuera néanmoins à renforcer son armée à la fin des années 1930. Ainsi, elle se procura une grande quantité de matériel de guerre auprès de l'Italie, de la France et surtout de l'Allemagne nazie qui, soucieuse de trouver au moins un allié dans les Balkans, vendra en quantité et à des prix cassés une partie de l'armement pris par la Wehrmacht à la Tchécoslovaquie et à la Pologne en 1939. L'aide allemande se renforça durant la Seconde Guerre mondiale, notamment par de nouvelles ventes de matériel de guerre, mais aussi par un entrainement de l'Armée bulgare par des instructeurs allemands (en Bulgarie même, en Allemagne, mais également en France occupée). Le 7 septembre 1940, l'Allemagne fit pression sur la Roumanie pour que cette dernière rende la Dobroudja du Sud à la Bulgarie par les accords de Craiova.

Le partage de la Grèce entre Allemands, Italiens et Bulgares (en vert) entre 1941 et 1944.

Cette aide allemande incita la Bulgarie se rejoindre l'Axe le 1er mars 1941 lorsque le tsar Boris III signa le pacte tripartite. La Bulgarie entra en guerre aux côtés de l'Allemagne contre la Yougoslavie et la Grèce (opération Marita), ce qui lui permit de récupérer également la Macédoine et son débouché sur la mer Égée. Prudent toujours, le tsar Boris III refusa cependant de déclarer la guerre à la Grande-Bretagne et s'abstint de toute provocation à l'égard des occidentaux (au point qu'il demanda le rapatriement des pilotes bulgares entraînés sur Stuka par les Allemands lorsqu'il apprit que l'unité d'entraînement risquait d'être engagée contre le trafic maritime britannique en Méditerranée). De même, lors d'une entrevue avec Adolf Hitler, le Tsar lui refusa toute participation à la guerre contre l'URSS en indiquant que les Bulgares, très largement russophiles, ne pouvaient pas prendre les armes contre ceux qui les avaient libérés de la domination ottomane. Face aux pressions du Judenberater, le SS Theodor Dannecker, Boris III refuse de livrer aux nazis les Juifs citoyens bulgares, mais accepte de leur livrer les Juifs de la Macédoine du Vardar et de Macédoine-Orientale-et-Thrace (auparavant yougoslaves et grecs, mais devenus apatrides), déportés et tués au camp d'extermination de Treblinka (voir Shoah en Bulgarie (en), 1939-1944).

À la suite de plusieurs torpillages de navires bulgares en Méditerranée, Boris III finit néanmoins par déclarer la guerre à la Grande-Bretagne et aux États-Unis d'Amérique le 13 décembre 1941, tout en continuant à préserver sa neutralité envers l'URSS. La Bulgarie commença à subir les premières attaques alliées au cours de la fin 1942, sous forme de raids aériens. Les Alliés traversaient la Bulgarie au retour des bombardements sur les champs pétrolifères roumains de Ploiești, tout en y lâchant quelques bombes non-larguées en Roumanie. Ne pouvant faire face aux bombardiers occidentaux avec leurs quelques appareils, les Bulgares reçurent de l'Allemagne la livraison de chasseurs français Dewoitine D.520 capturés puis, enfin, d'appareils dernier cri d'origine allemande.

À la suite du décès du tsar Boris III le 28 août 1943, et de la période de questionnement politique dans le pays autour de la minorité du nouveau tsar, Siméon II, les alliés tentèrent de faire pression sur les dirigeants bulgares en bombardant directement la Bulgarie. Les combats aériens entre les bombardiers alliés et leurs escortes, et les forces aériennes bulgares ne cesseront que le 26 août 1944. On estime que ces bombardements sur le sol bulgare firent 1 828 morts et 2 370 blessés.

Malgré une position de neutralité préservée durant toute la guerre vis-à-vis de l'Union soviétique, l'Armée rouge traverse la frontière bulgare le 4 septembre 1944 puis déclare la guerre à la Bulgarie le lendemain. C'est la « guerre d'un jour », car le 6 septembre 1944, une insurrection menée par la coalition du « Front de la Patrie » (Parti communiste bulgare et Zveno) renverse le gouvernement, demande l'armistice aux Alliés et, sans attendre la réponse, déclare à l'Axe. L'armistice est accordé le 7 septembre 1944. Une violente épuration fait 16 000 morts estimés, pour la plupart exécutés sommairement et sans procès, car seules 2 500 personnes furent jugées, de manière très expéditive et sans avocats, pour faits de « collaboration avec les fascistes ». La Bulgarie envoie son armée et surtout ses forces aériennes combattre aux côtés des forces soviétiques et roumaines, bien que son potentiel militaire soit gravement affecté par les purges politiques dans les rangs des gradés. Les combats du côté allié contre la Hongrie et l'Allemagne feront environ 30 000 victimes dans les rangs bulgares.

Le régime pro-soviétique se durcit dans la dernière année de la guerre et dans l'immédiat après-guerre, s'en prenant non seulement aux partians de la monarchie, mais à tout opposant réel ou potentiel. En septembre 1946, il organisa un référendum aux résultats connus d'avance pour donner à l'abolition de la monarchie l'apparence d'une révolution populaire. La famille royale Battemberg fuit alors le pays et la république populaire de Bulgarie fut proclamée.

Mais la coalition au pouvoir se fissura durant l'année 1946 lorsque le Zveno quitta le gouvernement en signe de protestation à l'encontre des cruautés staliniennes. La monarchie et le Zveno écartés, plus rien n'empêchait le Parti communiste bulgare d'instaurer une prétendue « démocratie populaire », dictature communiste jusqu'en 1990.

Régime communiste (1946–1989)

Accord de pourcentages contresigné par Churchill et Staline à Moscou le , par lequel la Bulgarie est attribuée à l'URSS.

La Quatrième conférence de Moscou et ses conséquences

Attribuée à la zones d'influence soviétique lors de la Quatrième conférence de Moscou confirmée par celle de Yalta[32], la Bulgarie entre de plain-pied dans le « bloc de l'Est » dès 1947. Si l’on exclut le bref épisode où, en 1948, la Bulgarie sembla tentée par un rapprochement avec la Yougoslavie dissidente de Tito, rapidement stoppé par Staline[33], le nouveau régime devient rapidement le « bon élève du communisme », à tel point que Todor Jivkov avait même envisagé en 1968, d'en faire une république socialiste soviétique, membre de l'URSS, sa demande d'adhésion ayant été rejetée à l'époque par Léonid Brejnev. Moscou a une telle confiance dans le régime de Sofia qu’il n’entretient aucune troupe sur le sol de la Bulgarie, tout en lui livrant son pétrole à des tarifs préférentiels en échange de produits agricoles et de l’industrie légère. Une blague populaire de ce temps affirmait que « la Bulgarie est le pays le plus neutre du monde, car elle ne s'occupe même pas de ses affaires intérieures »[34]. La stalinisation de la société est totale, avec la construction de combinats industriels géants et collectivisation forcée des terres formant des Kolkhozes. Le goulag bulgare se développe également, pour atteindre le nombre de quarante-cinq camps de travaux forcés (camps de Belene, de Skravena, de Bogdanovdol, de Lovetch…).

Timbre soviétique commémorant la fraternité entre la Bulgarie et l'URSS.

Après dix ans de terreur rouge, Todor Jivkov devient premier secrétaire du parti communiste bulgare en 1954, puis président en 1962. S’ouvre alors une ère de plus de trente-cinq ans de domination d’un seul homme qui ne sera limogé qu’en 1989, à l’âge de 78 ans. L'insurrection de Budapest et les tentatives d’instaurer un « socialisme à visage humain » en Hongrie avec Imre Nagy, en Tchécoslovaquie avec Alexander Dubček et en Pologne avec Władysław Gomułka n’eurent qu’un écho limité en Bulgarie, tant l’encadrement de la société par le régime totalitaire et la police politique, la DS, y était strict.

Dans les années 1980, le régime mena une politique de « bulgarisation » forcée des minorités musulmanes appelé « Processus de régénération » : le problème ne trouva son règlement définitif qu’avec la chute du régime communiste, l’ouverture du rideau de fer séparant le pays de ses voisins méridionaux et l’autorisation, au début de 1990, d’un parti turcophone appelé Mouvement pour les droits et les libertés, dirigés par Ahmed Dogan. Les relations avec les Turcs se sont normalisées depuis, et les nouvelles autorités bulgares ont montré la voie en refusant catégoriquement toute tentative de ségrégation entre populations chrétiennes et musulmanes, voire même en redonnant à des localités bulgares où vit la minorité turque, leurs noms turcs de la période ottomane, comme dans les cas de Toplitsa renommée Hissarya ou de Blatnitsa renommée Durankulak.

Fin du régime communiste

Les premières remises en question de l’économie socialiste en Bulgarie et de son alignement sur l’Union soviétique apparurent en 1984 lorsque le « grand frère soviétique » se mit à appliquer les tarifs internationaux à ses exportations de pétrole. Ce fait, conjugué à une forte sécheresse qui eut pour résultat de faire baisser le niveau des cours d’eau alimentant les barrages hydroélectriques, suscitèrent un fort mécontentement populaire. L’arrivée au pouvoir à Moscou de Gorbatchev et sa volonté de ne plus soutenir les dirigeants communistes des pays de l’est obligèrent Jivkov à tenter, dans un premier temps, de s’adapter à la nouvelle ligne politique de Moscou en adoptant sa propre perestroïka, le Preustrojstvo. Dès janvier 1988, l’économie privée à petite échelle est autorisée en Bulgarie, mais sans la libéralisation politique du régime souhaitée depuis si longtemps par la population. Comme dans les autres pays communistes, la gestion environnementale est désastreuse et une grave pollution au chlore dans la région de Ruse, provenant d'une usine roumaine de Giurgiu, fut à l'origine de manifestations populaires qui débouchèrent sur la formation de groupes dissidents comme le club pour le soutien de la perestroïka et de la glasnost puis, en 1989, Podkrepa et Ekoglasnost. Le lendemain de la chute du mur de Berlin, le 10 novembre 1989, ces mouvements de protestation entraînèrent la chute de Jivkov et l’unification de tous les groupes dissidents et libéraux au sein du SDS (Union des forces démocratiques) tandis qu’un grand enthousiasme s’emparait du pays.

Chronologie du communisme en Bulgarie

  • 24 février 1946 : arrestation du dirigeant démocrate Pastuhov.
  • 31 mars 1946 : remaniement ministériel avec mainmise des communistes sur le pouvoir.
  • 8 septembre 1946 : les Bulgares choisissent par référendum un régime républicain (92,7 % des suffrages). Le jeune roi Siméon part en exil.
  • 15 septembre 1946 : l’Assemblée élit, comme Président de la République, à titre provisoire, le communiste Vassil Kolarov.
  • 27 octobre 1946 : nouvelles élections, le Front de la patrie obtient 70 % des voix. Le gouvernement, majoritairement communiste, est dirigé par le communiste Georgi Mikhailov Dimitrov qui établit une nouvelle constitution inspirée du modèle soviétique.
  • 10 février 1947 : la paix est rétablie entre la Bulgarie et les Alliés avec le traité de Paris.
  • 5 juin 1947 : Nikola Petkov, chef de l’opposition, est arrêté, condamné à mort le 16 août, et pendu le 23 septembre.
  • 4 décembre 1947 : une nouvelle constitution, sur le modèle stalinien, est promulguée, et tout le pouvoir revient entre les mains du « Parti ouvrier bulgare » qui deviendra officiellement « Parti communiste » en décembre 1948.
  • 15 décembre 1947 : l’Armée rouge évacue la Bulgarie.
  • 18 mars 1948 : la Bulgarie signe un traité d’amitié avec l’Union soviétique.
  • 28 juin 1948 : en condamnant la Yougoslavie, la Bulgarie se range dans le camp soviétique.
  • Décembre 1948 : premier plan quinquennal.
  • 24 janvier 1949 : création du Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM ou COMECON).
  • 2 juillet 1949 : mort de Georgi Mikhailov Dimitrov, qui est remplacé par Vassil Kolarov qui meurt à son tour en janvier 1950 et Valko Tchervenkov prend le pouvoir en parfait « stalinien ».
  • Décembre 1949 : le vice-premier ministre Traïcho Kostov est accusé de « titisme », il est exécuté après un procès sommaire de type stalinien.
  • Janvier 1954 : Tchervenkov devient chef du gouvernement et Todor Jivkov devient chef du Parti.
  • 14 mai 1955 : pacte de Varsovie.
  • 14 décembre 1955 : la Bulgarie fait partie de l’ONU.
  • 1956 : début de la déstalinisation avec Tchervenkov ; Kostov est réhabilité, la censure s’allège et les relations internationales s’améliorent progressivement.
  • 1959 : échec du plan quinquennal.
  • 5–14 novembre 1962 : le VIIIe Congrès du Parti écarte Tchervenkov et Jugov. Todor Jivkov devient « l’homme fort » du pays qui range la Bulgarie en pays satellite du « Grand Frère » soviétique.
  • 16 mai 1971 : une nouvelle constitution, qui marque l’entrée de la Bulgarie dans la phase du « socialisme avancé », est adoptée par référendum (99,6 % des suffrages), avec Jivkov comme chef d’État et la direction du gouvernement est confiée à Stanko Todorov.
  • Septembre 1978 : assassinat à Londres de l’écrivain Georgi Markov
  • 10 novembre 1982 : mort de Léonid Brejnev.
  • 1985 : mort de Youri Andropov et de Konstantin Tchernenko.
  • En mars 1985, l’accès au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev qui entraîne les phénomènes de la Perestroïka et de la Glasnost marque le début de la fin du communisme en Bulgarie.
  • Février 1989 : création du syndicat libre Podkrepa (Конфедерация на труда Подкрепа ; Confédération du travail « Podkrepa ») .
  • 10 novembre 1989 : Jivkov est démis de ses fonctions et est remplacé par Petre Mladenov. La Bulgarie suit alors le chemin des « démocraties populaires » voisines.

La Bulgarie démocratique (depuis 1989)

Les drapeaux de l'OTAN, de la Bulgarie, et de l'Union européenne, côte à côte devant le Club militaire de Plovdiv, en Bulgarie : symbole d'une adhésion multiple aux alliances européennes.

L'intégration de la Bulgarie au monde démocratique a été plus longue que pour d'autres pays du pacte de Varsovie. Après une forte instabilité gouvernementale, due à l'instauration d'un régime parlementaire fort par la nouvelle constitution (sept gouvernements se sont succédé en sept ans entre 1991 et 1997), une coalition de droite, dominée par le SDS, arriva au pouvoir en 1997. Ces années de transition ont apporté l'expérience de l'alternance politique mais surtout l'enracinement croissant de l'État de droit, malgré des lacunes importantes, essentiellement dues à la corruption.

En décembre 2000, la levée de l'obligation de visa pour les Bulgares souhaitant voyager dans les pays de l'Union européenne a représenté un premier pas concret vers son intégration. La crise du Kosovo, au cours de laquelle la Bulgarie a joué un grand rôle dans l'accueil et le transit des troupes de l'OTAN, a marqué un tournant dans les relations politiques entre les alliés occidentaux et Sofia, même si l'opinion bulgare était naturellement portée à une certaine solidarité avec les Serbes slaves et orthodoxes.

La stabilisation économique et politique du pays est désormais incontestable. La Bulgarie a rejoint l'OTAN en 2004 et l'Union européenne en janvier 2007. Son intégration dans la zone euro initialement prévue pour 2009, n'a toujours pas eu lieu.

Le 23 juillet 2008, la Commission européenne rend public son troisième rapport sur l'évolution de la démocratie en Bulgarie, dans le cadre du Mécanisme de coopération et de vérification qui vise à évaluer les progrès de nouveaux membres de l'Union européenne. Celui-ci révèle l'ampleur de la corruption qui sévit au sein des institutions bulgares et l'absence d'efforts pour y remédier[35]. La Commission décide en conséquence de suspendre des aides financières d'une valeur de 800 millions d'euros tant que la Bulgarie n'aura pas pris de mesures anticorruption[36].

La question turque

Cour intérieure de la mosquée de Tombul à Choumen. Construite entre 1740 et 1744, c'est aujourd'hui la plus grande mosquée de Bulgarie

En 1925, la Bulgarie signa avec la jeune République turque, un traité d'amitié, favorisant la liberté d'émigration entre les deux pays, et réaffirmant les droits des minorités tels qu'ils avaient été établis par le Traité de Neuilly en 1919.

En 1940, lorsque la Bulgarie récupère la Dobroudja du Sud, la minorité turque augmente de 30 %, car la plupart des habitants de cette région sont turcs. Après la Seconde Guerre mondiale, la Bulgarie entra dans la sphère d'influence de l'URSS et devint elle-même un pays communiste en 1946, ce qui amena, avec l'instauration de la dictature totalitaire, des restrictions de circulation, sauf pour les Juifs, à partir de 1949, vers le nouvel État d'Israël, et pour 150 000 Turcs vers la Turquie en 1950. En 1968, un nouveau contingent de 100 000 Turcs fut autorisé à s'installer en Turquie. Le PC bulgare, renforcé dans son opinion par l'intervention turque à Chypre en 1974, accusa les Turcs de Bulgarie d'être « perméables à la propagande de la Turquie » et de constituer « une cinquième colonne dans le tissu social du pays ».

Dans les années 1980, la Bulgarie entreprit une vaste campagne de bulgarisation à outrance des populations turcophones, qui étaient au nombre de 900 000 sur une population de près de 9 millions. Ces populations se considéraient elles-mêmes, comme authentiquement turques, de culture turque et de religion musulmane. 300 000 autres personnes, dites Pomaks étaient considérées comme bulgaro-musulmanes.

Le pouvoir leur donna de fait à choisir entre une assimilation forcée et le départ. Cette politique débuta vers la fin de l'année 1984 sur le principe : « L'État-nation bulgare ne comprend pas d'autre peuple que les Bulgares », mais en fait elle avait débuté dès la fin de la guerre. Une série de réformes furent entreprises : bulgarisation des noms turcs, interdiction de parler turc, interdiction de la circoncision, interdiction des mariages selon la tradition turque, instauration du vendredi comme jour unique d'ouverture des mosquées, assouplissement des règles d'obtention du passeport. Plus de 250 000 personnes profitèrent de l'ouverture des frontières pour émigrer vers la Turquie.

Des manifestations de protestation furent durement réprimées et firent plus de 100 morts dans l'ensemble du pays. La domination communiste s'acheva en 1990, quand eurent lieu les premières élections multipartites.

Synthèse chronologique

Ici intervient une question de numérotation des États bulgares successifs car au XIXe siècle, alors que l'histoire des Bulgares était encore mal connue, l'historiographie moderne a retenu le « Premier Empire bulgare » et le « Second Empire bulgare », alors qu'en fait la première Bulgarie est l'« Ancienne Grande Bulgarie » (630-680) : de ce fait le khanat bulgare du Danube (681-864) devenu « Premier Empire » (865-1018) est en réalité le deuxième État bulgare ou plus précisément l’un des deux deuxièmes puisqu'il existait aussi à ce moment une Bulgarie de la Volga ; quant au « Second Empire » (1186-1422) c'est en fait le troisième, et la Bulgarie moderne (depuis 1878) est ainsi le quatrième[38],[39],[40],[41].

Références

  1. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 1
  2. L'or, la magie des alchimistes
  3. Marija Gimbutas, The Goddesses and Gods of Old Europe: 6500 to 3500 BCE: Myths and Cult Images (2nd ed.). Berkeley 1974: University of California Press. p. 17
  4. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 3
  5. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 4
  6. Georg Ostrogorsky, Histoire de l'État byzantin, éditions Payot, p. 158
  7. Vladislav Popovic, « Aux origines de la slavisation des Balkans : la constitution des premières sklavinies macédoniennes vers la fin du VIe siècle », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 124, no 1, , p. 230-257 (lire en ligne)
  8. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 7
  9. Jordanès, Getica : “…Sclavini a civitate nova et Sclavino Rumunense et lacu qui appellantur Mursianus…“ sur : De rebus Geticis
  10. (en) J. R. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 8
  11. Походът на император Константин Погонат срещу прабългарите през 680 г. и битката при Онгъла (« La marche de l'empereur Constantin Pogonatos contre les proto-bulgares en 680 et la bataille d'Ongal ») et Великите битки и борбите на българите през средновековието (« Batailles et combats des Bulgares au Moyen Âge »), éd. Световна библиотека (« Bibliothèque lumineuse ») EOOD, Sofia 2006.
  12. Éric Limousin, Le Monde byzantin du milieu du VIIIe siècle à 1204 : économie et société, ed. Bréal 2007 (ISBN 9782749506326)
  13. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 9
  14. En raison de la « rétroprojection nationaliste » (expression du Pr. Jean Ravenstein de l'Université d'Aix-Marseille en France) des nations et des thématiques modernes dans l'histoire ancienne, la composante turcophone des Proto-Bulgares a commencé à être niée à l'époque communiste, en raison des oppositions avec la Turquie « impérialiste » voisine et de la présence de minorités turques en Bulgarie ; il en fut de même pour la romanisation et l'hellénisation des Thraces avant l'arrivée des Slaves, en raison des oppositions avec la Roumanie au nord et la Grèce au sud : il se développa alors une histoire officielle protochroniste admettant uniquement des composantes culturelles iranienne (l'Iran est loin), thraces (les Thraces ont disparu) et slaves (l'URSS n'ayant aucune controverse avec la Bulgarie, bien au contraire). Après la chute du communisme, le protochronisme a perduré et s'est même renforcé (pas seulement en Bulgarie). Cette situation n'est pas nouvelle, les nations balkaniques s'opposant leurs histoires respectives dès le début du XXe siècle, comme argumentaires de leurs revendications territoriales, ce qui a fait dire à Winston Churchill : « la région des Balkans a tendance à produire plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer (cité par Predrag Matvejević dans le résumé de l'article « Des Balkans », in : Cahiers balkaniques no 36-37, 2008, 1-11, DOI : ).
  15. En réalité, les lettrés de l'époque hellénistique évoquent, à propos de l'épopée d'Alexandre le Grand, des « monts des Imaios » (Ίμάιων όροι) dont l'étymologie renvoie à Himalaya.
  16. The Bulgarians, éd. Atlas, Sofia 2001 : en réalité, le Pamir est resté en grande majorité de langue iranienne : le tadjik, mais personne ne s'y définit comme « bulgare » et aucun terme lié à ce mot ne figure dans les sources.
  17. Voir à ce sujet l'article Table des peuples
  18. C'est aussi ce que revendiquent les Juifs et les Arabes traditionalistes
  19. Vladislav Popović, La descente des Koutrigours, des Slaves et des Avars vers la mer Égée : le témoignage de l'archéologie, in Comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, volume 12, 1978, pp. 596-648 sur
  20. Raymond Detrez, Historical Dictionary of Bulgaria, 2-nd ed. 2006 (ISBN 9780810849013)
  21. Alain Ducellier, Michel Kaplan, Bernadette Martin et Françoise Micheau, Le Moyen Âge en Orient, Paris, 2014
  22. Arnold Toynbee, Nevil Forbes et al., The Balkans : a history of Bulgaria, Serbia, Greece, Rumania, Turkey, ed. Clarendon Press, Oxford 1916, 407 p.
  23. (en) R. J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 10
  24. (en) J. R. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 11
  25. Stelian Brezeanu : Toponymie et réalités ethniques sur le bas-Danube au Xe siècle
  26. Opposition d’un Dieu mauvais et maître du monde terrestre, et d’un Dieu bon dont l’avènement était annoncé. Revendiquant un statut de véritables disciples du Christ, les bogomiles croyaient au dualisme selon lequel Lucifer et Jésus s’opposent radicalement et rejetaient le culte des saints et de la Vierge. Ils se déclaraient également contre la hiérarchie ecclésiastique, les églises et les icônes et ne reconnaissaient que l’Évangile.
  27. Le patriarche de Constantinople Théophylacte (933-956) définissait le Bogomilisme comme un mélange de Manichéisme et de Paulicianisme.
  28. Les sources byzantines concordantes que sont Georges Cédrène, Anne Comnène, Nicétas Choniatès et Jean Skylitzès relatent trois grandes révoltes Valaques qui secouèrent, au XIIe siècle, les Balkans : l’Empire byzantin dut finalement reconnaître le nouvel état multiethnique nommé Amirãria Vlaho-Vãryarã monarchie valaquo-bulgare ») ou encore Regnum Bulgarorum et Valachorum, qui reprenait ainsi le nom resté prestigieux du Premier Empire bulgare, lequel avait été soumis par l’empereur byzantin Basile II deux siècles auparavant : Alexander Madgear, (en) The Assenids : Political and Military History of the Second Bulgarian Empire, 1185–1280, ed. Brill 2017 (ISBN 9789004325012).
  29. Alexander Madgear, (en) Op. cit. 2017.
  30. Florin Curta, Southeastern Europe in the Middle Ages, Cambridge University Press, 978-0-521-89452-4
  31. Le mot « balkanisation » apparaît pour la première fois en septembre 1918, dans une interview de Walther Rathenau publiée par le New York Times, puis entre dans le vocabulaire politique après l’adoption des traités européens consécutifs à la Première Guerre mondiale
  32. La Quatrième conférence de Moscou faisait suite à l'échec de l'offensive britannique en Égée (désapprouvée par les États-Unis), qui avait mis fin aux espoirs de Churchill de débarquer un jour dans les Balkans pour y établir ou rétablir des régimes libéraux-démocratiques pro-occidentaux. Cet échec obligea les Britanniques, dès 1943 à la conférence de Téhéran, à renoncer à toute prétention sur l'Europe du Sud-Est, mais Churchill espérait obtenir de Staline en échange la garantie de conserver la Grèce dans la zone d'influence britannique, en dépit de sa puissante résistance communiste(Pascal Boniface, Le grand livre de la géopolitique : les relations internationales depuis 1945 - Défis, conflits, tendances, problématiques, ed. Eyrolles, 2014). Pour obtenir cela, les Britanniques durent faire des compromis en acceptant le principe d'un partage de l'Europe en zones d'influence entre les Alliés occidentaux et l'URSS (Diane S. Clemens, "Yalta Conference" World Book vol. 21, 2006, p. 549 et Pierre de Senarclens, Yalta, coll. Que sais-je ?, PUF, 1990, p. 50-52).
  33. La mort suspecte de Georgi Dimitrov à Moscou en 1949 pourrait avoir été provoquée par Staline : (en) Tom Gallagher, Outcast Europe : The Balkans, 1789-1989, Routledge, , 336 p. (ISBN 978-0-415-37559-7, lire en ligne), p. 181.
  34. Tous les États communistes avaient ce genre de blagues, mais les diffuser pouvait être dangereux : « Quelle est la différence entre une bonne et une mauvaise blague ? Cinq ans de camp ! » : Ben Lewis, Les blagues de l'époque communiste, in : Prospect (magazine), Mai 2006 Hammer & tickle et Anekdot sur .
  35. Communiqué de presse de la Commission européenne
  36. "Bruxelles sanctionne la Bulgarie pour corruption et critique la Roumanie"
  37. « En Bulgarie, un pro-russe emporte l’élection présidentielle », lesechos.fr, (lire en ligne, consulté le ).
  38. Rascho Raschev, Die Protobulgaren im 5.-7. Jahrhundert, Orbel, Sofia, 2005 (en bulgare et allemand)
  39. John V.A. Fine, The Early Medieval Balkans: A Critical Survey from the Sixth to the Late Twelfth Century, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1983 (réimpression 1991), (ISBN 0-472-08149-7)
  40. Bozhidar Dimitrov, Twelve Myths in Bulgarian History, KOM Foundation, Sofia, 2005
  41. Histoire de la Bulgarie.

Annexes

Évolution de la région des Balkans
660 avant notre ère
530 avant notre ère
430 avant notre ère
330 avant notre ère
150 avant notre ère
Époque du Christ
200 de notre ère
400 de notre ère
500 de notre ère
550 de notre ère
680 de notre ère
800 de notre ère
865 de notre ère
965 de notre ère
1200
1150
1250
1300
1350
1375
1400
1500
1600
1700
1730
1750
1810
1850
1890
1914
1918
1919
1922
1940
1942
1945
2015
Langues en 2015
Traditions religieuses en 2015


Bibliographie

  • Histoire générale de la Bulgarie :
    • Dimitrina Aslanian, Histoire de la Bulgarie : de l'Antiquité à nos jours, Versailles, Trimontium, , 2e éd., 510 p. (ISBN 2-9519946-1-3), 126 illustrations couleur
    • Ivan Iltchev (trad. du bulgare), La Rose des Balkans : histoire de la Bulgarie des origines à nos jours, Sofia/Paris, Colibri/Ophrys, , 376 p. (ISBN 954-529-260-1)
    • Georges Castellan et Marie Vrinat-Nikolov, Histoire de la Bulgarie : Au pays des Roses, Brest, Armeline, , 351 p. (ISBN 978-2-910878-32-0 et 2-910878-32-5)
    • (en) R.J. Crampton, A Concise History of Bulgaria, Cambridge University press, , 2e éd. (1re éd. 1997), 287 p. (ISBN 0-521-61637-9, lire en ligne)
  • La Bulgarie dans la Seconde Guerre mondiale :
    • Hans Werner Neulen, Dans le ciel d'Europe, Collection "Histoire de Guerre", Éditions Histopresse, 2005
    • Christian-Jacques Ehrengardt, La Guerre aérienne, 1939-1945, Éditions Talandier, 1996 (ISBN 2-235-02157-3)
  • Divers :
    • Carnets de voyage Bulgarie - Le petit futé. Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette. Éditions Dominique Auzias & associés
    • Le Prisme bulgare. Nadège Ragaru, Politique internationale no 87 printemps 2000

Articles connexes

Lien externe

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