Tradition du chant grégorien auprès des monastères

Si le chant grégorien avait été composé, pour la première fois, dans le diocèse de Metz à la fin du VIIIe siècle, ses immenses développement et raffinement furent parachevés auprès des monastères dans le royaume carolingien dans le siècle suivant, grâce à la Renaissance carolingienne. Dès lors, les abbayes d'Occident demeurent jusqu'ici de principaux défenseurs et exécutants de ce chant, premier sommet de la musique occidentale.

Au sein de l'abbaye de Saint-Gall, la meilleure notation grégorienne naquit, les meilleurs manuscrits furent copiés tandis que la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Gall conserve ces trésors qui demeurent les meilleures sources des publications des éditions critiques.
La bibliothèque de l'abbaye territoriale d'Einsiedeln possède l'un des manuscrits les plus importants du chant grégorien en faveur de l'interprétation authentique et sémiologique.

Avant la création du chant grégorien

À la suite de l'arrivée du pape Étienne II en 754 à l'abbaye de Saint-Denis dans le fief de Pépin le Bref, ce dernier adopta le rite romain. Le 28 juillet, le sacré de celui-ci et de ses enfants dont futur Charlemagne fut célébré par le Saint-Père, en commençant l'histoire du chant grégorien.

Auparavant, le rite romain, celui du Saint-Siège, n'était autre que le rite de Rome et alentour, car chaque région conservait ses propres rite et tradition. En outre, celui des monastères, qui étaient aussi plus indépendants, était très différent de celui des paroisses. L'Église n'autorisa jamais l'hymne ambrosienne jusqu'au XIIIe siècle[1] alors que saint Benoît de Nursie l'avait adoptée dans sa règle de saint Benoît vers 540[2].

À cette époque-là, l'abbaye pouvait altérer sa règle monastique. La première communauté auprès de l'abbaye royale de Saint-Denis fut établie, par exemple, vers 600 avec la règle de saint Colomban[3]. Sous le règne de Dagobert Ier († 639), celle-ci fut brutalement remplacée par la Laus perennis, louange perpétuelle, priant que la dynastie mérovingienne soit toujours protégée par Dieu et continuée.

D'ailleurs, faute de notation, la succession musicale était vraiment fragile. Ainsi, après que saint Grégoire Ier († 604) avait formellement recommandé la règle bénédictine aux abbayes, le chant monodique irlandais disparut, sans laisser aucune mélodie. Car, ce chant était pratiqué auprès des monastères adoptant la règle de saint Colomban, moins adaptée à la vie monastique que celle de saint Benoît. Cette dernière était meilleure. D'où la recommandation du Saint-Père.

Avant l'arrivée du chant grégorien, la liturgie était donc assez locale et il n'existait aucune centralisation.

Charlemagne et uniformité du chant grégorien

Pour la naissance du chant grégorien, il faut remarquer la contribution de l'évêque de Metz Chrodegang, grand animateur du rite romain, en raison duquel ce rite fut déjà adopté dans son diocèse en 754[jf 1]. C'est pourquoi le chant messin, premier pas du chant grégorien, y naquit.

Tout comme d'autres grands chefs d'État, Charlemagne était capable de sélectionner proprement ses ministres afin de régner son vaste territoire. Si celui-ci réussit à achever sa réforme liturgique pour l'intégration de son royaume, c'était grâce à un moine originaire du Yorkshire, Alcuin († 804). Une fois invité par Charles le Grand, il devint collaborateur de celui-ci, en faveur de la perfection de la pratique de la liturgie. De fait, en tant que recteur et défenseur de l'Église[jf 2], le roi inaugura en 785 l'unification de la liturgie selon le rite romain dans tout le royaume, en chargeant cette mission à Alcuin[jf 3]. Puis en 789, avec son Admonitio generalis, il ordonna qu'y soit sans exception chanté le chant romain, pour l'unanimité de l'Église. Dorénavant, tous les chants gallicans devaient être remplacés par ceux de Rome. Pour la première fois dans l'histoire de l'Église d'Occident, une centralisation de la liturgie se commença. Comme Alcuin pouvait répondre à cette charge, la liturgie romaine fut certainement implantée dans ce royaume vers 800, à l'exception du chant[jf 4]. De plus, pour la perfection, ce moine corrigea les méprises du texte latin liturgique de Rome y compris celui du chant, avant l'usage en Gaulle, durant 20 ans. Si la mélodie du chant vieux-romain devait encore être remplacée par le chant grégorien, une hybridation entre la tradition gauloise et celle de Rome, l'uniformité de la liturgie était désormais assurée par Charlemagne. Ce dernier nomma finalement le moine britannique abbé de l'abbaye royale de Tours en 796 ou 797. Aussitôt, Tours devint l'une des capitales de la Renaissance carolingienne[jf 5].

Alcuin est également l'auteur de l'hymne Luminis fons, initialement dédiée à Charlemagne. Oubliée longtemps, cette hymne fut retrouvée et est de nos jours en usage aux monastères, pour la célébration des vêpres du lundi des semaines II et IV, d'après la nouvelle liturgie des Heures éditée après le concile Vatican II. Donc, il n'existe pas de version en grégorien de la Luminis fons[ph 1] :
texte en latintraduction

Luminis fons, lux et origo lucis,
tu pius nostris precibus faveto,
luxque peccati tenebris fugatis,
nos tua adornet (original, nos petat alma)[ph 2]

Source de clarté, lumière et origine de la lumière,
dans votre bonté, accueille favorablement nos prières,
et qu'en faisant fuir les ténèbres du péché
votre lumière vienne nous parer[ph 2].

Quoique sa contribution sur le chant grégorien ne soit pas certaine, un moine espagnol Théodulf aussi soutenait Charlemagne, en tant que collaborateur d'Alcuin ainsi qu'évêque d'Orléans, abbé du monastère de Fleury[jf 6]. Les moines étaient donc effectivement importants en faveur de la politique de la cour, dirigée par un roi-recteur de l'Église.

L'Antiphonale Missarum Sextuplex publié en 1935 est un témoignage de cette uniformité. D'ailleurs, ce document critique, ensemble de meilleurs manuscrits monastiques du IXe siècle, est aujourd'hui un moyen pour vérifier l'authenticité. Si le texte d'un chant grégorien se trouve dans cet antiphonaire, celui-ci peut être considéré comme authentique. Sinon, sa composition est tardive.

Certes, sous le règne de Charlemagne, la notation n'apparut pas encore. Mais, en promouvant la Renaissance carolingienne, il prépara cette invention, car initialement, les neumes n'étaient autres que les graphies pour l'écriture littéraire. S'il n'avait pas soutenu ce mouvement culturel auprès des monastères, la notation grégorienne n'aurait pas été créée, comme dans d'autres régions, et l'histoire de la musique occidentale aurait été différente.

Les écoles carolingiennes dont les monastères à l'époque où le chant grégorien naquit.
Deux ministres importants de Charlemagne, Alcuin et Théodulf, furent respectivement nommés abbés de Tours et de Fleury. Alcuin était originaire de York ou alentour.
Le manuscrit le plus ancien du texte grégorien (Antiphonaire du Mont-Blandin) fut copié vers 800 auprès de l'abbaye du Mont-Blandin (abbaye Saint-Pierre) près de Gand.

Distinctions :

abbaye royale de Corbie (actuellement en France, après 853)
  • premier neume restant :
abbaye de Saint-Amand (France, au milieu du IXe siècle)
  • les meilleurs manuscrits grégoriens (voir ci-dessous) :
abbaye de Saint-Gall (Suisse, Xe siècle)
abbaye de Reichenau (Suisse, XIe siècle)

Tous ceux qui concernent étaient situés loin de Rome.

Certaines abbayes célèbrent encore les offices en grégorien :

abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle (France, bénédictine, ruinée, donc église contemporaine)
abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire) (France, bénédictine, messe uniquement)
abbaye territoriale du Mont-Cassin (Italie, abbaye territoriale bénédictine soumise au Saint-Siège, messe dominicale et des fêtes[4])

Conservation du chant grégorien au sein des monastères

Le Moyen Âge ne fut jamais une période sans culture raffinée. Les études récentes approfondies sur les documents liturgiques des IXe ainsi que Xe siècles révèrent une magnifique conjonction entre une haute pertinence de célébration et une extraordinaire sophistication esthétique dans les monastères. Il s'agissait d'un véritable sommet de la musique sacrée[ii 1].

Il est essentiel qu'à cette époque-là, les ordres religieux n'aient pas réellement développé leur propre version du livre de chant. Au contraire, ils concentraient aisément sur le moyen de conservation du répertoire grégorien. Car, il s'agissait, pour eux, d'un chant déjà extrêmement raffiné, et même jusqu'au milieu du XXe siècle, d'un chant particulièrement sacré, en raison de l'attribution à saint Grégoire.

Manuscrits sangalliens (Xe siècle)

Abbaye de Saint-Gall.
Abbaye d'Einsiedeln.

Issus des graphies de l'écriture littéraire, plus précisément des accents, les neumes employés dans les manuscrits de la famille de l'abbaye de Saint-Gall se développèrent aisément afin de préciser le raffinement de la mélodie grégorienne. Aujourd'hui, sauf le manuscrit 376, ces manuscrits sont les plus importants en faveur de l'interprétation authentique du chant grégorien, avec le manuscrit Laon 239, en raison de leur qualité de précision de la mélodie correcte et originale[ii 2]. Pour cet objectif, les neumes de certains manuscrits sont publiés dans le Graduale triplex[5] (1979) ainsi que le Graduale novum (depuis 2011) :

  1. Cantatorium de Saint-Gall (manuscrit 359, vers 922 - 925) [lire en ligne] ; le meilleur manuscrit du chant grégorien ; adopté par le Graduale triplex
  2. Graduel d'Einsiedeln (manuscrit 121, entre 964 et 971 selon son calendrier) [lire en ligne] ; adopté par le Graduale triplex
  3. Antiphonaire de Hartker (Saint-Gall, manuscrits 390 et 391 (initialement un seul volume), vers 1000) [lire en ligne (390)] [lire en ligne (391)] ; base de la rédaction de l'Antiphonale monasticum[6] (depuis 2005) ; adopté par le Graduale triplex
  4. Manuscrit 381 de Saint-Gall (vers 930) [lire en ligne]
  5. Graduel de Saint-Gall (manuscrit 376, milieu du XIe siècle) [lire en ligne] ; adopté par le Graduale triplex
  6. Graduel de Saint-Emmeran de Ratisbonne auprès de la Bibliothèque d'État de Bamberg (manuscrit lit. 6, vers 1000) [lire en ligne] ; adopté par le Graduale triplex
  7. Graduel de Minden auprès de la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel (manuscrit Guelf 1008 Helmst, vers 1020) [lire en ligne]

D'ailleurs, en préparant les neumes requis du Graduale triplex, Dom Rupert Fischer, en qualité de membre de l'AISCGre, choisit également le manuscrit 339 de Saint-Gall[5] [lire en ligne].

Graduale Albiense (XIe siècle)

Abbaye Saint-Michel de Gaillac.

Ce manuscrit méconnu est un grand témoignage de la tradition du chant grégorien au sein de monastère au XIe siècle. Attribué auparavant à la cathédrale Sainte-Cécile d'Albi, il fut en fait, avec certitude, copié en faveur de, puis, était en usage auprès de l'abbaye Saint-Michel de Gaillac au sein du diocèse d'Albi, selon les études approfondies et récentes[ii 3]. Ce monastère subit, à vrai dire en 1079, le changement de son supérieur : de l'abbaye Saint-Pierre de Moissac sous Cluny à l'abbaye de la Chaise-Dieu dirigée par l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac. De sorte qu'il est certain que le livre contient, concernant la liturgie locale ajoutée, deux éléments, ceux de la première et ceux de la deuxième. Pourtant, le manuscrit conservait toujours et parfaitement le chant grégorien traditionnel et authentique duquel il y eut peu de modification ainsi que d'addition. En résumé, l'abbaye ne subit aucun changement de la pratique du chant grégorien, en dépit du bouleversement de la gestion[7].

Celui-ci est certainement un graduel grégorien typique et respectait complètement la forme traditionnelle. Avec quelques chants rendant hommage à saint Grégoire Ier, le manuscrit se commence à partir du trope Gregorius præsul suivi de l'introït Ad te levavi du premier dimanche de l'Avent, annonçant le commencement du calendrier liturgique de l'année [lire en ligne] (folio 4v en bas, 5r et 5v)[7].

Une vraie valeur du manuscrit, découverte par Dom Eugène Cardine de Solesmes, est tellement immense que le Graduale Albiense devint indispensable, de nos jours, en faveur de la restauration de la mélodie authentique en grégorien. Au XIe siècle, à la suite de l'invention de la notation en quatre lignes par Gui d'Arezzo, la mélodie grégorienne n'était plus authentique, afin d'adapter à ce nouveau système. Ce manuscrit Latin 766 est toutefois une précieuse exception, car, grâce à la qualité de ses neumes, sa mélodie est quasiment identique à celle des meilleurs manuscrits sans ligne, manquant de précision de degrés, tels le manuscrit Laon 239, le cantatorium de Saint-Gall, le manuscrit Einsiedeln 121[ii 4]. Aujourd'hui, il n'existe que deux seuls documents qui sont capables de satisfaire ces deux critères :

  1. mélodie authentique grégorienne, selon la composition respectant strictement le texte latin et son accentuation
  2. précision de hauteur des notes

Il s'agit de[ii 4] :

  1. Graduale Albiense (bibliothèque nationale de France, Latin 776)
  2. Graduel VI 34 (bibliothèque capitulaire de Bénévent[8] ; il s'agit d'un manuscrit du chant grégorien, et non celui du chant de Bénéventin.)

Le Latin 776 est donc un bon exemple exprimant que le monastère protégeait effectivement la tradition ancienne du chant grégorien.

Cluny, manuscrits perdus

Abbaye de Cluny.

L'importance de l'abbaye de Cluny, dite la seconde Rome, est indiscutable même dans l'histoire du chant grégorien[9]. Surtout, cela était les moines de Cluny qui remplacèrent entièrement la pratique du chant mozarabe dans la péninsule Ibérique par celle du chant grégorien, au XIe siècle[10]. Une difficulté considérable, c'est la disparition de manuscrits dans son ancienne bibliothèque. La Bibliothèque nationale de France conserve certes un manuscrit, Latin 1087 [lire en ligne], dont la qualité n'est malheureusement pas suffisante pour les études[eg38 1]. Mais normalement, il ne reste que des fragments :

« Si les témoins du chant clunisien au sens strict — c'est-à-dire écrits dans l'abbaye même et non dans ses dépendances, dans les maisons réformées par Cluny ou encore dans celles qui se sont inspirées du mouvement clunisien — sont extrêmement rares, en raison des pertes à la suite de la suppression de Cluny en 1791, le fait que Solesmes en conserve des traces ne doit cependant pas étonner. En effet, après la restauration de la vie monastique à Solesmes en 1833, le pape Grégoire XVI a reconnu la Congrégation de Solesmes comme l'héritière de celles de Cluny, des Saints-Vanne-et-Hydulphe et de Saint-Maur, en 1837[eg41 1]. »

 Eduardo Henrik Aubert (université de Cambridge), Deux feuillets inédits d'un antiphonaire de Cluny du XIe siècle : les fragments Solesmes A.3/A.4 et A.5/A.6, Études grégoriennes, tome XLI (2014)

À cause de cette destruction désastreuse, les études resterons difficiles, à moins que soit retrouvé un nouveau manuscrit complet qui ait été emporté de l'abbaye mère avant 1791.

Vérité des réformes cisterciennes

Abbaye de Clairvaux.

Dans de nombreux documents au regard de la réforme cistercienne dans le domaine liturgique, on a tendance à expliquer, avec la discipline de Cîteaux, la suppression du mélisme du chant grégorien, vraisemblablement inspiré par son architecture simple. Cependant, si l'on consulte ceux que saint Bernard de Clairvaux écrivit, il est difficile à soutenir cette légende. Au contraire, il rédigeait en employant le terme « orner » : « nous avons conservé le texte de plusieurs répons parce qu'il est saint et tirés des Évangiles, et nous les avons ornés d'un chant aussi beau que convenable, tout n'en employant partout qu'une musique sobre et décente[11]. » D'ailleurs, une étude récente profitant d'un manuscrit retrouvé précise ceux qui se passèrent. Alicia Scarcez réussit en effet à identifier scientifiquement les deux réformes cisterciennes dans le domaine liturgique. En fait, il s'agissait d'un conflit entre deux traditions des manuscrits qui avait été présenté par saint Bernard dans ses écritures.

Lettre ou prologue de saint Bernard sur l'antiphonier de l'ordre de Cîteaux

Après avoir remanié l'antiphonaire de l'ordre vers 1147 selon l'intention de ses supérieurs, saint Bernard de Clairvaux adressa une lettre à ceux qui concernaient. Il s'agissait directement du sujet de la deuxième réforme cistercienne, chargée à saint Bernard :

« Bernard, humble abbé de Clairvaux à tous ceux qui copieront cet antiphonier ou qui chanteront dessus, salut.
Une des choses dont se soient préoccupés nos Pères, les fondateurs de l'ordre de Cîteaux et qui ait le plus vivement stimulé leur zèle et leur religion, ce fut de ne chanter pour célébrer les louanges de Dieu, rien qui ne fut de la plus grande authenticité. Aussi, envoyèrent-ils à Metz, dont l'antiphonier passait pour grégorien, des gens chargés de leur en leur en faire et rapporter une copie. Mais ces envoyés trouvèrent que les choses étaient bien loin d'être ce qu'on leur avait dit. L'antiphonier examiné avec soin ne leur plus point, le chant et les paroles en étaient remplis de fautes ; il était d'ailleurs on ne peut plus mal composé et ne valait absolument rien presque sous aucun rapport. Cependant, une fois qu'on l'eut, on s'en servit tel qu'il était et on l'a conservé jusqu'à présent. Mais enfin, nos frères, les abbés de l'ordre ne pouvant plus le supporter plus longtemps décidèrent qu'on lui ferait subir les changements et les corrections nécessaires et me chargèrent de ce soin. M'étant donc adjoint tous ceux de nos frères qui étaient les plus versés et les plus habiles dans l'art et la pratique du chant, nous avons composé un nouvel antiphonier avec des morceaux empruntés à plusieurs autres antiphoniers et nous en avons formé le recueil ci-joint que nous croyons exempt de fautes pour le chant comme pour les paroles. C'est d'ailleurs, ce que pourra juger quiconque le chantera, pour peu qu'il ait la connaissance du chant. Aussi voulons-nous que tel qu'il est dans ce volume, il soit reçu et suivi désormais, tant pour le chant que pour les paroles, dans tous nos monastères ; et le présent antiphonier ayant été approuvé par le chapitre général de l'ordre et reçu par tous les frères abbés, sans exception, nous défendons que personne y change rien sous quelque prétexte que ce soit. Quant aux motifs et aux raisons qu'on a eus de faire les changements que nous annonçons, s'il peut être agréable à quelqu'un de les connaître pleinement et en détail, il n'a qu'à lire la petite préface dont les susdits correcteurs du vieil antiphonier ont eu soin de le faire précéder. En voyant clairement toutes les fautes dont le chant et les paroles étaient remplis, il est impossible qu'on ne reconnaisse pas la nécessité qu'il y avait de le corriger et d'en faire un nouveau[11]. »

La lettre était donc suivie d'une longue, et non petite, préface précisant en détail la modification de l'antiphonaire :

Dans cette lettre, saint Bernard dénonçait que la première réforme cistercienne effectuée auparavant n'était autre qu'un gros échec. C'est pourquoi la deuxième réforme cistercienne était inévitable.

Abbaye de Molesme.

La première réforme fut dirigée par l'abbé Étienne Harding originaire de l'Angleterre. En souhaitant que le rite de l'ordre de Cîteaux soit rétabli selon les sources les plus pures, celui-ci envoya vers 1108 des moines à Metz où était conservé le manuscrit attribué à saint Grégoire Ier ainsi qu'à Milan en faveur de la tradition ambrosienne, celle des hymnes. En conséquence, le premier antiphonaire de l'ordre issu de l'abbaye Notre-Dame de Molesme fut remplacé par ce nouvel antiphonaire qui provoquerait une grosse confusion auprès de l'ordre[eg38 2].

À cette époque-là, personne n'était capable d'expliquer de vraies raisons pour lesquelles cette version n'était pas favorable, en dépit de l'explication de saint Bernard. Il fallait, finalement, attendre le XXIe siècle de sorte que le phénomène soit scientifiquement mis au clair.

Quoi qu'il en soit, après le décès de l'abbé Harding en 1134, l'ordre chargea à saint Bernard de remanier les livres de chant et la révision fut effectuée entre 1142 et 1147[eg38 3]. On remarque que, dans la section I de la préface, « tantôt la progression du chant est contre les règles. » Puis, il présentait ses disciplines de la rédaction : « D'ailleurs, la musique étant l'art de bien chanter, on doit exclure de la musique tout ce qui se chante sans méthode, sans règle et sans ordre. » Il souhaitait donc une optimisation de l'antiphonaire de l'ordre, mais en respectant la tradition.

Il est remarquable que saint Bernard présentât en détail sa façon de remaniement dans ce document, déjà au XIIe siècle. En outre, il précisait qu'il avait fait consulter, et comparer avec, d'autres antiphonaires. Il est cependant vrai que sa version n'était plus authentique, sous influence de la musique grecque et de la théorie de Guy d'Arezzo.

Deux fois de réformes selon deux groupes de manuscrits du chant grégorien

Finalement, les deux réformes cisterciennes furent précisément déterminées, grâce à un manuscrit, l'antiphonaire de Westmalle. Celui-ci, composé de quatre tomes tardivement réunis, est, depuis 1955 environ, conservé auprès de l'abbaye trappiste Notre-Dame du Sacré-Cœur de Westmalle en Belgique. Précieusement, il ne s'agit autre que des livres de chant de ces deux réformes[eg38 3] :

  1. Antiphonaires WA I et WB I : livres selon la première réforme par Étienne Harding
  2. Antiphonaires WA II et WB II : livres remaniés par saint Bernard de Clairvaux en faveur de la deuxième réforme
Abbaye Saint-Dominique de Silos dont les manuscrits demeuraient dans le groupe de la tradition latine, telle l'édition de saint Bernard.
Abbaye de Rheinau près de Zurich.

Par ailleurs, en préparant sa publication de l'édition critique Corpus antiphonalium officii (1963 - 1979), Dom René-Jean Hesbert de Saint-Wandrille avait distingué les deux groupes de manuscrits, « est et ouest » ou « germanique et latin. » Comme parfois les textes sont légèrement différents entre eux, la mélodie aussi n'est pas identique, selon la loi de la composition du chant grégorien. Ainsi, certes Dom André Mocquereau avait écrit, en 1889, afin de souligner l'uniformité du chant grégorien, « la ressemblance presque parfaite de tous les signes » entre une mélodie du manuscrit de l'abbaye de Saint-Gall 339 (est) et celle de l'abbaye Saint-Dominique de Silos (ouest), sans connaître ces deux groupes. Mais, en fait, la deuxième ajoutait un deuxième « et » en raison duquel la mélodie aussi était délicatement modifiée :

Paléographie musicale, tome I, p.  40 (1889) [lire en ligne]

Selon le Corpus antiphonalium officii de Dom Hesbert, le groupe germanique se représente, par exemple, dans ces manuscrits issus de monastères[eg38 4]. Il est probable que les texte et mélodie de ce groupe sont plus anciens[eg38 5] :

  1. Antiphonaire de Compiègne, abbaye royale de Compiègne, Bibliothèque nationale Latin 17436 [lire en ligne], vers 877
  2. Antiphonaire de Hartker, abbaye de Saint-Gall 390 et 391, vers 1000
  3. Antiphonaire de Zurich, originaire de l'abbaye de Rheinau, XIIIe siècle

La tradition latine, quant à elle, se trouve dans ces documents et le reste[eg38 4] :

  1. Antiphonaire de Londres, originaire de l'abbaye Saint-Dominique de Silos, XIe siècle
  2. Antiphonaire de Paris (Antiphonarium Sancti Dyonisii), originaire de l'abbaye royale de Saint-Denis, Bibliothèque nationale Latin 17296 [lire en ligne], vers 1150
  3. Antiphonaire de Paris, originaire de l'abbaye Saint-Maur-de-Fossés, dans Bibliothèque nationale Latin 12584 [lire en ligne], XIIe siècle

Ce qui avait provoqué un gros conflit dans la liturgie cistercienne était issu de la différence entre ces groupes.

Différences entre les manuscrits WA/WB I et WA/WB II

Composition des répons dans l'antiphonaire cistercien révisé par saint Bernard, version définitive depuis 1147[eg38 6]

  • couples issus du responsorial primitif (version de Harding) (65,36 %)
  • couples issus de la tradition grégorienne et introduits par la deuxième réforme bernardine (28,74 %)
  • couples introduits par la réforme bernardine (répons primitif + verset connu uniquement auprès de Cîteaux (3,93 %)
  • couples introduits par la réforme bernardine (répons traditionnel + verset connu uniquement auprès de Cîteaux (0,61 %)
  • couples introduits par la réforme bernardine (répons et verset connus au XIIe siècle uniquement auprès de Cîteaux (1,36 %)

D'après l'étude approfondie d'Alicia Scarcez (université libre de Bruxelles, 2011), les manuscrits WA I et WB I possèdent une caractéristique forte du groupe germanique ou est alors que les antiphonaires WA II et WB II sont, au contraire, ceux du groupe latin ou ouest. De plus, ces derniers ressemblent au manuscrit de l'abbaye Notre-Dame de Molesme, l'origine de Cêteaux et qui conservait encore la tradition bénédictine.

Si l'on dit fréquemment la réforme cistercienne, la révision de Cîteaux était, à vrai dire, assez modeste. Ainsi, dans la version de Bernard de Clairvaux, devenue définitive de l'ordre vers 1147, on compte 661 couples du responsorial. Deux tiers ou 65,36% de version de Harding furent conservés dans le nouvel antiphonaire. Certes, l'équipe de Bernard remplaça 34,64% de couples. Toutefois, parmi eux, 28,74% se trouvent dans d'autres manuscrits grégoriens. Encore, 26 couples conservaient les répons de Harding mais avec de nouveaux versets, soit 3,93%. 4 couples possède également de nouveaux versets avec les mélodies traditionnelles pour ses répons (0,61%). Les couples complètements nouveaux ne comptent que 9 exemplaires, soit, seulement 1,36%. En bref, saint Bernard n'effectua jamais un appauvrissement ni une rupture avec la tradition[eg38 7]. Cette analyse conclut une excellente cohérence entre ces notations dans les manuscrits WA II et WB II et ceux que saint Bernard avait écrits, déjà mentionnés au-dessus :

« Nous avons conservé le texte de plusieurs répons parce qu'il est saint et tirés des Évangiles. »

« M'étant donc adjoint tous ceux de nos frères qui étaient les plus versés et les plus habiles dans l'art et la pratique du chant, nous avons composé un nouvel antiphonier avec des morceaux empruntés à plusieurs autres antiphonaires. »

Puis, l'identification de chaque chant révèle une forte préférence pour la tradition latine dans l'édition définitive. Ceux que l'édition de saint Bernard conservait (65,36%) étaient essentiellement les chants universels, à savoir, ceux qui se trouvent dans toutes les deux traditions. Ainsi, parmi ceux que l'équipe de saint Bernard récupérèrent, 297 couples ou 75% se rencontrent dans le manuscrit de Saint-Maur-des-Fossés, 290 couples soit 73% dans celui de Saint-Denis, 245 (62%) dans celui de Silos. En revanche, la majorité des couples éliminés (34,64%) sont ceux de propre tradition germanique, par exemple, 127 couples sur les 153 soit 83% concernent l'antiphonaire de Hartker. De même, 120 couples (78%) dans celui de Compiègne ainsi que 116 couples ou 76% dans celui de Rheinau. Dans ces cas, les copistes de saint Bernard n'hésitaient pas à remplacer les chants, en cherchant les matériaux dans les archives. En cas d'absence de pièces, de nouveaux chants furent composés (partiellement 4,54% ; totalement 1,36%)[eg38 8]. Il s'agit exactement du même principe de Solesmes en faveur de la rédaction de l'édition critique Antiphonale monasticum (depuis 2005)[6]. Cette édition indique que même les Cisterciens respectaient profondément la tradition grégorienne, s'ils préféraient la tradition un peu plus contemporaine, ouest.

Alors que la version de l'abbé Harding conservait en général le texte original du chant grégorien, la tradition latine employait parfois le texte modifié. Ainsi, l'édition de Harding adoptait pour le premier dimanche après la Pentecôte « Omnes montes qui estis in circuitu ejus visitet Dominus a gelboe transeat » selon la tradition germanique. Celle de saint Bernard remplaça ce texte par « Omnes montes qui in circuitu ejus sunt visitet Dominus a gelboe autem transeat. » Ce dernier est identique à celui d'ancien manuscrit bénédictin de l'abbaye Notre-Dame de Molesme, origine de Cîteaux. D'après Alicia Scarcez, les textes choisis par la version définitive sont, normalement, plus cohérents à la suite de la révision de l'endroit des mots. Cela serait la raison pour laquelle, une fois obtenu le texte de la tradition latine, les moines de Cîteaux appréciaient celui-ci[eg38 9].

À dire vrai, dès les années 1120 jusqu'à son décès, saint Bernard ne cessa pas sa communication intime avec l'abbaye de Molesme. De sorte que l'édition définitive de l'ordre gardait une influence de la liturgie de Molesme. Un seul témoignage, le bréviaire de la Bibliothèque municipale de Troyes 807, manuscrit de Molesme incomplet[eg38 10], indique une similitude parmi les premiers antiphonaires cisterciens. L'édition définitive compte 215 couples identiques sur 350 dans le BM 807, soit 61%. Si l'on consulte les couples communs dans tous les deux antiphonaires, celui de Harding et celui de saint Bernard, le taux augmente jusqu'à 72%, 165 couples sur 230. À savoir, le répertoire bénédictin de Molesme se conservait effectivement dans les éditions suivantes[eg38 11].

Valeur de la version d'Étienne Harding

En admettant que la première réforme cistercienne n'ait jamais été comprise ni appréciée à l'époque de l'agrandissement de l'ordre de Cîteaux, il faut remarquer que l'édition d'Étienne Harding était une véritable restauration du chant grégorien. D'une part, cet abbé semblait savoir correctement que l'origine de ce chant est attribuée à Metz. C'est la raison pour laquelle celui-ci y avait envoyé ses moines, si le manuscrit original reste aujourd'hui inconnu. D'autre part, la mélodie de sa version est, par conséquent, très proche de la mélodie grégorienne authentique, car, par exemple, remontent aux IXe et Xe siècles la presque totalité des répons et la majorité des couples répons-versets de l'édition de l'abbé Harding[eg38 5]. Cette authenticité ne fut point rétablie jusqu'à ce que retrouve scientifiquement la même discipline, au XIXe siècle, l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes.

Conclusion

En résumé, la première réforme cistercienne fut effectuée selon l'intention de l'abbé Étienne Harding à partir de 1108 environ, en désirant redécouvrir la forme originale du rite d'après la règle de saint Benoît (vers 540) ainsi que la composition attribuée à saint Grégoire Ier :

avant : manuscrit bénédictin de Molesme (ouest) = première version de Cîteaux (ouest)
après : manuscrit messin (est)
» version de Harding (est)

Pourtant, à cause de la différence définitive entre les deux traditions, la version de Harding ne fut jamais appréciée ni acceptée auprès de l'ordre, qui décida de remanier à nouveau les livres de chant. Finalement, depuis 1147, les livres de chant de saint Bernard conservaient la première succession de l'ordre :

manuscrit ouest bénédictin
» manuscrit cistercien (ouest)

Dès les Cisterciens aux Prêcheurs

Dans les années 1940, le prêtre dominicain Dominique Delalande étudia profondément leur graduel daté de 1254, en souhaitant connaître correctement son origine et réviser le livre avec les manuscrits plus sûrs. Cinq séjours au total auprès de l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes lui permirent d'achever son premier objectif. À cette époque-là, les moines de Solesmes constataient déjà une proximité entre les livres de chant des Cisterciens et ceux des Prêcheurs. En consultant les manuscrits de l'atelier de Solesmes, le père Delalande conclut : « le Graduel dominicain est non seulement un très proche parent du cistercien, mais qu'il en dépend étroitement[dd 1]. »

Donc, aujourd'hui, on peut s'apercevoir une succession de la tradition grégorienne :

manuscrit bénédictin
» manuscrit cistercien
» manuscrit dominicain

Puis, le père Delalande commença à comparer ces deux derniers à d'autres manuscrits plus anciens, y compris des notations sans lignes, ainsi qu'à l'Édition Vaticane. Il considérait que cette dernière est d'une version sous influence de la tradition franciscaine (En fait, celle-ci n'est autre qu'une édition à la base du Liber gradualis de Solesmes, édité et sorti en 1883 par Dom Joseph Pothier.). Naturellement, dans certains cas, il constata un phénomène de l'économie rythmique, à savoir, abréviation des notes et chemin vers le plain-chant : Vaticane (plus longue) > Cistercienne > Dominicaine (moins longue). Cependant, ce phénomène n'était pas nombreux[dd 2]. Il découvrit aussi quelques exemples des mutilations horizontales uniquement dans les notations dominicaines, c'est-à-dire une pratique des deux notes au maximum à la place de plusieurs notes à l'unisson[dd 3].

Pourtant, cette comparaison scientifique relevait que, parfois, « les Cisterciens ont une vocalise plus longue que celle de l'édition vaticane » ainsi que celle des Prêcheurs. Dans d'autres cas, celles de la Vaticane et celles des Cisterciens sont identiques, et seulement celles des Dominicains sont plus courtes[dd 4]. Ces variations, non très nombreuses, étaient tellement compliquées que Delalande hésitait à attribuer le principe concret à l'exception de la mutilation horizontale[dd 5].

D'ailleurs, le prêtre dominicain trouva dans les manuscrits cisterciens de nombreuses modifications de notes, essentiellement concernant le demi-ton, le bémol ainsi que la dernière note[12], qui peuvent provoquer le changement des modes ainsi que des cadences. Tantôt les Prêcheurs suivaient ces modifications, tantôt leurs notations sont identiques aux celles de la Vaticane[dd 6]. Vraisemblablement, il s'agissait de ceux que la sémiologie grégorienne appelle de nos jours décadence, issue de la théorie musicale plus contemporaine[13].

Au regard du répertoire de l'ordinaire de messe, il est vrai que les Cisterciens économisaient leurs services alors que les Prêcheurs rétablissaient la richesses du répertoire grégorien[dd 7] :

Cisterciens Prêcheurs
Kyrie37
Gloria25
Credo11
Sanctus35
Agnus Dei35

Concernant la modification modale par les Cisterciens, l'étude d'Alicia Scarcez confirma certainement, en 2011, sa pratique systématique dans l'antiphonaire de Westmalle[eg38 12] :

Pour les établissements de petite taille

Chartreuse de La Valsainte située en Suisse.

En résumé, il reste peu de justificatif scientifique pour exprimer la modification du chant grégorien d'après l'adaptation aux règles des ordres, notamment à celles de Cîteaux. En fait, il est probable qu'il s'agissait des arrangements en faveur de petits prieurés.

« En 1951, le Père Solutor Marosszeki, cistercien hongrois de la Primitive observance, vint séjourner à Solesmes pour étudier à quelle branche de la tradition se rattachait la seconde réforme du chant cistercien. Quelques années plus tard, dom Benoît Lambres, chartreux de la Valsainte, qui tenait à rechercher dans la tradition aquitaine l'origine de la version du chant de la Grande Chartreuse, nous expliqua que la cancellation de longs mélismes dans les graduels cartusiens était due au petit nombre de religieux dans les chartreuses[eg39 1]. »

 Michel Huglo, Dom Eugène Cardine et l'édition critique du Graduel romain

Le Saint-Siège sortit en 1967 le Graduale simplex, en adoptant le même principe, à la suite du concile Vatican II.

Graduel de Bellelay, uniformité et décadence

Récemment, les études approfondies établirent qu'il s'agit d'un manuscrit particulier. Alors que le graduel en notation messine à la base, copié au XIIe siècle à Laon ou alentour, gardait une excellente qualité des chants originaux, il y existe un grand nombre de modifications afin d'adapter à un jeune ordre, Prémontrés. Le graduel devint, d'où, un manuscrit considérablement remanié. Les études indiquent de nombreuses modifications ajoutées, y compris le phénomène bémolisation (), dans le manuscrit [modifications des pièces en ligne].

En résumé, il s'agit d'un témoin conservant non seulement une grande uniformité mais aussi une transition vers la décadence.

Décadence dès la Renaissance

L'uniformité du chant grégorien fut définitivement perdue, non seulement dans la liturgie des paroisses mais aussi auprès des monastères, après la Renaissance. Une grave décadence commence après le concile de Trente, faute de nouveaux livres publiés jusqu'en 1814, à savoir jusqu'à ce que soit sortie l'Édition médicéenne. En attendant celle-ci, les livres anciens étaient en usage, avec de nombreuses modifications non autorisées[dl 1].

Puis, étant donné que le Saint-Siège lui-même avait remanié les livres de saint Grégoire selon les critères des humanistes, les religieux n'hésitèrent plus à demander leurs versions plus simples, plus contemporaines, plus facile à chanter[dl 2]. En France, ils chargèrent un jeune organiste, Guillaume-Gabriel Nivers, de réviser leurs livres[dl 3]. Dorénavant, chaque ordre poursuivait son propre livre de chant selon ses règles[dl 4].

Comme chaque publication de Nivers était réservée à un ordre particulier, ses versions étaient effectivement nombreuses. Par ailleurs, à la suite d'une collaboration avec l'ordre des Prémontrés dès 1677, cet organiste commença à consulter les sources romaines, en cherchant une manière de la restauration de chant liturgique. Mais celui-ci termina sa vie sans connaître la mélodie authentique en grégorien, car, à cette époque-là, les manuscrits de Rome étaient postérieurs au Concile de Trente[dl 4].

Contribution des monastères vers la restauration authentique

Avant la naissance de la sémiologie grégorienne

Après cette période désastreuse, on retrouva le chant grégorien, surtout à la suite de la découverte du tonaire de Saint-Bénigne de Dijon en 1847. Des moines de deux ordres contribuèrent essentiellement à restaurer cette tradition non seulement dans ce siècle mais aussi au XXe siècle. Il s'agissait de l'ordre des Prêcheurs et celui de Saint-Benoît.

Premiers pas, notamment par un frère dominicain

Le rétablissement de la liturgie en grégorien se commença au milieu du XIXe siècle dans quelques paroisses en Belgique et en France. Ses animateurs étaient les trois cardinaux-archevêques Engelbert Sterckx (Malines), Thomas Gousset (Reims) ainsi que Pierre Giraud (Cambrai)[ve 1]. En France, il s'agissait de la publication de l'Édition rémo-cambraisienne sortie en 1851.

Trois ans plus tard, en 1854, un jeune prêtre de l'ordre des Prêcheurs ainsi qu'originaire de Vittel, François-Florentin Bernard, sortit son Cantus Missarum à Gand, à l'âge de 28 ans. Dorénavant Pie Bernard, selon le pape dominicain saint Pie V, avait édité son livre de chant, après avoir admiré deux magnifiques manuscrits dans la bibliothèque conventuelle de cette ville[eg41 2]. Il est vrai que jusque vers 1873, ce moine profitait principalement des documents de Jérôme de Moravie remontant au XIIIe siècle, donc un ensemble du répertoire ancien et des matériaux postérieurs[eg41 3]. Mais il faut remarquer que, dès 1863, pour ses études, Dom Joseph Pothier de Solesmes bénéficiait de ce Cantus Missarum, exemplaire envoyé par son ancien professeur à Saint-Dié, l'abbé Jean Hingre. Ainsi, la notation de l'alléluia de saint Joseph Fac nos innocuam, Ioseph fut adoptée dans le Liber gradualis (1883), ensuite l'Édition Vaticane (1908) et encore en usage dans le Graduale Romanum (1974)[eg41 4],[14]. En outre, cette pièce issue du Cantus Missarum fut pareillement enregistrée en 1904 par la Société Gramophone, avec le chœur des élèves du Séminaire français de Rome sous la direction de Dom André Mocquereau.

Apprécié et encouragé par ses supérieurs, il était chargé de continuer à publier de nouveaux livres de chant[eg41 5]. En 1864, Pie Bernard paracheva, pour la première fois dans l'histoire du rite dominicain, un ensemble complet de livres de chant[eg41 6]. Puis, il engageait, dans les années 1870, sa révision de la mélodie grégorienne dans ces livres[eg41 7]. En effet, inspiré par Dom Pothier étant devenu son collaborateur, ce prêtre commença à consulter des manuscrits dominicains les plus anciens, donc plus proches de la tradition grégorienne, en adoptant le rythme mesuré au lieu du rythme mensuraliste auparavant[eg41 3].

Voici la liste des livres de chant de Pie Bernard pour son ordre[eg41 8] :

  1. 1854 : Cantus missarum juxta ritum Sacri Ordinis Prædicatorum ad fidem antiquorum codicum restitutum, et p. fr. Alex. Vincentii Jandel... permissu editus, Jacqumain, Gand
  2. 1861 : Processionarium sacri Ordinis Prædicatorum : auctoritate apostolica approbatum, et reverendissimi Patris Jr. Al. Vincentii Jandel ejusdem ordinis magistri generalis jussu editum, J. B. Pelagaud, Lyon
  3. 1862 - 1863 (en deux tomes) : Antiphonarium juxta ritum sacri ordinis prædicatorum reverendissimi patris Fr. Al. Vincentii Jandel, ejusdem ordinis magistri generalis jussu editum, H. Dessain, Mechelin
  4. 1878 : Breviarium juxta ritum sacri ordinis fratrum Prædicatorum auctoritate apostolica approbatum et Reverendissimi Patris Fr. Joseph Mariæ Sanvito totius Ord. Magistri Vic. Generalis jussu editum, Desclée, Tournai
  5. 1881 : Missale juxta ritum Sacri Ordinis Prædicatorum auctoritate Apostolica approbatum et Reverendissimi Patris Fr. Josephi Mariæ Larroca ejusdem Ordinis Magistri Generalis jussu editum, Desclée, Tournai
  6. 1890 : Graduale juxta ritum sacri Ordinis Prædicatorum auctoritate apostolica approbatum et Reverendissimi Patris Fr. Josephi-Mariæ Larroca ejusdem Ordinis Magistri Generalis jussu editum, Desclée, Tournai
  7. 1894 : Processionarium sacri Ordinis Prædicatorum : auctoritate apostolica approbatum et Andreæ Frühwirth... jussu editum, Desclée, Rome

Ce moine ne cessa pas de remanier les chants jusqu'à son décès en 1897. Ses deux dernières publications, effectuées en 1890 et 1894, étaient si différentes de celles des années précédentes, sous influence de Solesmes, que le chapitre de l'ordre dut exhorter explicitement les novices, les étudiants et tous les autres religieux à étudier avec zèle « ces choses relatives au chant[eg41 9]. »

Avant l'officialisation du chant grégorien en 1903

Ce mouvement de la réforme liturgique fut suivi de la restauration scientifique et artistique par l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Notamment, la publication du Liber gradualis en 1883 était un grand pas du rétablissement auprès des monastères. À vrai dire, ce livre de chant aurait dû été sorti pour tous les fidèles. Finalement, afin d'éviter le conflit avec le Vatican, celui-ci fut réservé singulièrement aux religieux bénédictins en France, en raison d'un privilège octroyé à l'édition de Ratisbonne. Ce privilège interdisait de la publication de livre semblable. De sorte que l'usage du chant grégorien restauré dans le monastère fut également établi par des Bénédictins.

L'éditeur du Liber gradualis, Dom Joseph Pothier, avait d'ailleurs amélioré l'impression de la notation grégorienne. En collaboration avec les Éditions Desclée, il avait réalisé une nouvelle composition typographique grégorienne, pour la publication de son livre théorique Mélodies Grégoriennes en 1880[eg41 10].

Certes, la mélodie restaurée du Liber gradualis n'est plus capable de satisfaire de nos jours ceux qui concernent l'exécution sémiologique, en raison de nombreuses méprises. Toutefois, sa qualité était supérieure à celle d'autres travaux de restauration. En 1901, l'abbé de Solesmes Dom Paul Delatte put écrire :

« Le Premier volume publié [en 1889] fut un Antiphonale Missarum (142 pages in-4°) de la Bibliothèque de cette abbaye de Saint-Gall qui reçut directement de Rome, vers 790, le chant romain. La comparaison entre ce manuscrit & notre Liber Gradualis prouvait que nous avions réimprimé, note par note, groupe par groupe, les vraies mélodies de l'Église Romaine[hr 1]. »

 Mémoire But de la Paléographie musicale de Dom Paul Delatte au pape Léon XIII (1901)[hr 2]

Congrès grégoriens d'Aiguebelle en faveur des Trappistes

À mesure que la restauration s'avançait, la liturgie en grégorien était de plus en plus appréciait. Ainsi, les Trappistes décidèrent de rejoindre le mouvement de la réforme grégorienne. En faveur des abbés et des chantres de l'ordre, Dom Pothier assista en 1879 et 1881 aux congrès grégoriens d'Aiguebelle.

Après le motu proprio Inter pastoralis officii sollicitudes

Lorsque le nouveau pape Pie X officialisa le chant grégorien en 1903 avec son motu proprio Inter pastoralis officii sollicitudes, les religieux issus des monastères étaient assez capables d'exécuter ce chant liturgique ancien. L'année suivante, certains contribuèrent à enregistre le chant grégorien, lors de la célébration du centenaire de saint Grégoire Ier († 604).

L'abbaye de Solesmes était chargée par le Saint-Siège de préparer les matériaux de manuscrits en faveur de l'Édition Vaticane, à partir de 1904 pour la première commission dont Dom André Mocquereau était un membre, jusqu'à ce qu'une grosse difficulté n'empêche cette collaboration en 1905, puis pour la deuxième commission dès 1913. Mission si honorable, mais cela n'était autre que des travaux gratuits. À plein temps, 12 moines se consacraient à ce projet, en renonçant tous les droits littéraires[15]

La parution de l'Édition Vaticane, à partir de 1905 (Kyriale), favorisa le remaniement des livres de chant des ordres. Ainsi, l'abbaye de Solesmes inaugura un nouveau projet de l'antiphonaire après la Première Guerre mondiale et sortit en 1934 l'Antiphonale monasticum pro diurnis horis en faveur de son ordre de Saint-Benoît[16].

Blason de l'abbaye Saint-Michel de Kergonan.

Les abbayes bénédictines de femmes aussi contribuaient au chant grégorien. Ainsi, lorsque Dom Mocquereau publia le tome II de son célèbre Nombre musical grégorien ou rythmique grégorienne en 1927, les moniales de l'abbaye Saint-Michel de Kergonan avaient préparé les dessins ainsi que les tables :

« Les dessins chiromiques qui ornent un grand nombre d'exemples de ce volume sont dus à une moniale de l'Abbaye de St-Michel de Kergonan, qui veut rester anonyme. Elle me permettra du moins de lui exprimer ici ma plus profonde gratitude, ainsi qu'à Madame l'Abbesse qui l'a autorisée à dépenser de longues heures à ce travail difficile et délicat. ......... C'est aussi aux moniales de Kergonan que nous devons la plus grande partie de la Table analytique qui termine le volume : leur science de la rythmique grégorienne leur a permis d'accomplir avec un tact parfait ce travail délicat. Que toutes celles qui y ont mis la main soient remerciées vivement. »

 Nombre musical grégorien, tome II, avant-propos, p. xiii (1927)

Cette abbaye située en Bretagne respecte toujours les offices en grégorien. Surtout, celle-ci soutient l'émission de la Radio Espérance qui diffuse en direct les célébrations en grégorien[17].

Vers la version authentique

L'atelier de la Paléographie musicale auprès de l'abbaye de Solesmes demeure toujours l'un de principaux et meilleurs centres de la restauration et des études du chant grégorien. C'est la raison pour laquelle les spécialistes du chant liturgique des ordres n'hésitent pas à visiter ce monastère.

Avant que la sémiologie grégorienne, une nouvelle science, ne soit établie dans les années 1950, le père Dominique Delalande auprès de l'ordre des Prêcheurs souhaitait réviser leur graduel daté de 1254, avec les manuscrits plus anciens et en faveur d'une édition plus correcte. Dans cette optique, il sollicita cinq fois, entre 1942 et 1945, l'atelier de la Paléographie musicale de Solesmes, en lui proposant une collaboration[eg39 2]. À vrai dire, après être libéré de sa captivité lors de Pâques en 1942, ce prêtre avait décidé de se consacrer singulièrement aux études du chant grégorien et obtenu son autorisation par son supérieur[dd 8]. Si l'abbaye n'avait pas subi la Deuxième Guerre mondiale, la première édition critique du chant grégorien aurait été achevée, en profitant d'un grand nombre de photos de manuscrits conservées à l'atelier. En réalité, ce dernier ne comptait que deux moines, le directeur Dom Joseph Gajard et Dom René-Jean Hesbert[eg39 2]. Le prêtre dominicain put cependant publier en 1949, à la suite de ces cinq séjours, ses études approfondies chez Cerf et sous le titre Le Graduel des Prêcheurs : vers la version authentique du Graduel Grégorien : Recherches sur les sources et la valeur de son texte musical[eg39 3].

Leur antiphonaire, précisant l'origine de chaque chant, est actuellement disponible en ligne :

Sémiologie

Auparavant, le chant grégorien était essentiellement interprété sous influence de la musique classique. Une fois la sémiologie grégorienne établie, les musicologues retrouvèrent sa propre nature rythmique et mélodique, mais considérablement différente de celle de la musique contemporaine. De sorte que, charmés par cette qualité, de nombreux musiciens se consacrent désormais à ce chant artistique. Un grand nombre de scholæ grégoriennes furent créées à la suite de ce bouleversement.

Mais la sémiologie grégorienne alla plus loin. Elle réussit à analyser précisément la composition de ce chant selon un lien étroit entre le texte en latin et la mélodie. En faveur d'une interprétation authentique, il n'est pas suffisant que l'on connaisse les neumes anciens. Il faut tout d'abord une bonne compréhension du texte latin. De plus, on doit connaître des formes et l'histoire du répertoire grégorien, et enfin, les contextes rituels de la Bible, notamment ceux du psaume[ii 5]. Car, en résumé,

« On ne chante pas dans la liturgie, on chante la liturgie[18]. »

 Johannes Overath (premier président de la Consociatio internationalis musicæ sacræ et 6e directeur de l'Institut pontifical de musique sacrée)

Au sein de l'abbaye Notre-Dame de Triors, d'après la liturgie soigneusement restaurée, tous les offices sont entièrement chantés, complètement en latin et totalement en grégorien, tout comme dans de grands monastères au Moyen Âge.

En admettant que la participation des musiciens soit vraiment précieuse dans la situation actuelle, il faut cependant remarquer que la vie monastique demeure encore favorable et idéale pour l'interprétation authentique du chant.

Aujourd'hui, il existe un monastère où le supérieur est un musicologue grégorien, en France. Il s'agit de l'abbaye Notre-Dame de Triors à laquelle l'abbé Hervé Courau assure la qualité de vie bénédictine et grégorienne des moines[19]. Dans ce monastère, la restauration de la tradition grégorienne fut aisément effectuée en sorte que la liturgie est exécutée en manière de cette ancienne coutume que les moines respectaient exactement au Moyen Âge. Il n'y existe donc pas d'hybridation entre la tradition grégorienne et la façon contemporaine, afin de réaliser le rétablissement du répertoire grégorien, parfaitement adapté à une excellente variété du rite romain et à sa solennité.

Au regard des livres de chant, l'édition critique tel l'Antiphonale monasticum est désormais essentielle. L'abbaye de Solesmes commença la publication de cet antiphonaire officiel en 2005, en faveur de son ordre. L'objectif de cette édition est une restauration de ceux que les moines carolingiens chantaient exactement il y a 1050 ans environ, à la base de l'antiphonaire de Hartker (vers 1000), et non une synthèse des manuscrits comme auparavant, jamais chantée[6].

Concile Vatican II

Concernant le monastère, le concile Vatican II se caractérisait notamment de sa réforme de la liturgie des Heures. Cette modification était si drastique dans l'histoire de l'Église que les abbayes qui adoptèrent le nouveau livre d'Heures ne pouvaient plus suivre sans difficulté les chants traditionnels en grégorien. Il est normal qu'une solution ait été trouvée par la communauté Saint-Martin qui poursuit toujours la cohérence entre la tradition solennelle et la réforme issue du concile. Après quelques années de rédaction, celle-ci sortit en 2008 les Heures grégoriennes en bilangue grâce auxquelles de nombreux monastères adoptant la nouvelle liturgie des Heures rétablirent la célébration en grégorien. S'il ne s'agit pas d'édition officielle, l'approbation avait été donnée par l'ecclésiastique de haut rang. L'abbaye de Solesmes aussi avait soutenu ce projet, en préparant plus de 1 700 notations requises[20].

De nos jours

Communautés pratiquant le chant grégorien

La pratique de la célébration en grégorien est essentiellement soutenue auprès de nombreuses abbayes en Europe. En 2014, plusieurs ordres célébraient les offices en grégorien dans l'Hexagone : Chanoines réguliers de la Mère de Dieu, Dominicaine de Fanjeaux, Fraternité de la Transfiguration, Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, Fraternité Saint-Dominique, Fraternité Saint-Thomas-Becket, Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, Frères mineurs capucins, Institut du Bon-Pasteur, Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, Institut des Dominicaines du Saint-Esprit, Institut de la Sainte-Croix, Missionnaire de la Miséricorde divine, Opus Sacerdotale, Ordre de Saint-Benoît, Petites Sœurs de Saint-Jean-Baptiste et le reste[21].

En particulier, les monastères bénédictins se divisent entre les membres de la congrégation de Solesmes et ceux qui sont indépendants. Ces derniers sont l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (partiellement en grégorien), l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, l'abbaye Notre-Dame-de-l'Annonciation du Barroux, l'abbaye Notre-Dame du Pesquié[22] ainsi que l'abbaye Notre-Dame de Bellaigue.

Au début du XXe siècle, les moines de Solesmes en exil travaillaient en faveur de l'Édition Vaticane ainsi que de la méthode Ward, auprès de l'abbaye de Quarr en Angleterre.

Auprès des abbayes de la congrégation de Solesmes, l'usage du chant grégorien est essentiel. En France, il s'agit des abbayes Saint-Pierre de Solesmes, Notre-Dame de Fontgombault, Notre-Dame de Randol, Notre-Dame de Triors, Sainte-Anne de Kergonan, Saint-Martin de Ligugé, Saint-Michel de Kergonan, Saint-Paul de Wisques, Saint-Wandrille de Fontenelle et le reste. L'abbaye Notre-Dame de Quarr fut fondée par la communauté de Solesmes à la suite de son exil en 1901, mais devint sa filiale britannique en 1922. Cette communauté contribua à la rédaction de l'Édition Vaticane. L'ancien maître de chapelle de l'abbaye Saint-Maurice-et-Saint-Maur au Luxembourg, Dom Pierre Thomas, fut nommé professeur du chant grégorien de l'Institut pontifical de musique sacrée en 1948[eg39 1]. En 1996, Dom Richard Gagné de l'abbaye Saint-Benoît-du-Lac au Canada succéda à Dom Jean Claire, en qualité de maître de chœur de Solesmes[23]. La congrégation se distingue toujours du chant grégorien.

D'ailleurs, la branche de l'abbaye Notre-Dame de Ganagobie était historiquement l'une des branches les plus importantes de la congrégation. L'origine remonte en 1865, fondée directement par Dom Guéranger, l'abbaye de Sainte-Madeleine de Marseille. Après son exil en Italie, ses moines s'installèrent dans l'abbaye d'Hautecombe en 1922. Toutefois, à cause de l'augmentation de tourisme sur le lac du Bourget, ceux-ci quittèrent le lieu en 1992, en regagnant la Provence, à Ganagobie. L'abbaye d'Hautecombe conserve cependant un livre de chant grégorien en faveur de la liturgie, imprimé à cette abbaye en Savoie[24],[25].

Certes, sous le pontificat du pape Benoît XVI, le rétablissement de la célébration en grégorien fut avancée avec le soutien de ce pape. Mais, il faut encore garder intentionnellement cette tradition, à la suite de l'arrivée d'un Saint-Père issu d'un pays qui ne posséda jamais l'histoire médiévale. Ainsi, le site officiel de Ganagobie ne mentionne plus ce chant, à l'exception de son CD enregistré auparavant[26], quoique celle-ci reste dans la congrégation de Solesmes. L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire ne célèbre plus la liturgie grégorienne hormis la messe[27]

Abbaye d'Heiligenkreuz.

En Allemagne et en Autriche, c'est-à-dire dans les pays employant la langue allemande, le nombre d'abbayes pratiquant le chant grégorien demeure un peu modeste. En 2014 et 2015, l'AISCGre Allemagne présentait 15 monastères de liste dans son site, dont une est située aux Pays-Bas . Parmi elles, l'abbaye d'Heiligenkreuz près de Vienne se distingue de sa longue histoire sans interruption depuis 1133. En effet, ce monastère cistercien fut d'abord abbaye officielle de la maison de Babenberg puis celle de Habsbourg. Aujourd'hui, il s'agit d'un centre spirituel de la liturgie traditionnelle avec l'école supérieure Benoît XVI. Donc, il n'est pas curieux que l'abbaye s'illustre de son niveau de l'exécution du chant grégorien. De fait, après la visite de Benoît XVI en 2007, leur nouveau CD Chant — Music for paradise sorti en connut immédiatement un immense succès, surtout en Angleterre. À la fin de l'année 2010, cet album comptait déjà plus d'un million de vente dans le monde entier[28].

Enregistrement de disques

Il est vrai que de nos jours, un certain nombre d'abbayes n'hésitent pas à enrichir leurs albums du chant grégorien. D'abord, l'enregistrement contribue à améliorer la connaissance des gens, qui ne sont pas nécessairement les amateurs de la musique classique. Ensuite, ces disques soutiennent l'interprétation des maîtres de chapelle, des chefs de chœur, des membres de scholæ grégoriennes. Enfin, la vente des CD et des DVD aide la finance des monastères. Ceux qui concernent sont, par exemple, l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes[29], l'abbaye Notre-Dame de Triors[30].

L'histoire de l'enregistrement du chant grégorien s'illustre autant que celle du disque soi-même. En 1904 déjà, les Bénédictins et les Augustins participèrent aux enregistrements de la Société Gramophone en collaboration avec le Vatican, lors du centenaire de saint Grégoire Ier († 604)[31]. En 1930, Gramophone enregistra à nouveau plusieurs chants du chœur de Solesmes sous la direction de Dom Joseph Gajard. Devenu CD, cet enregistrement est encore disponible[32]. 54 ans plus tard, à savoir en 1984, cette schola décrocha le Grand prix de l'Académie du disque français, grâce à l'interprétation sémiologique par Dom Jean Claire, avec son disque Noël, Messe de jour et Messe de nuit[23].

Vocation des jeunes

Avec le chant grégorien, l'abbaye Notre-Dame de Fontgombault accueille toujours de jeunes moines, indispensables en faveur du dynamisme du monastère.

Fondée en 1889, l'abbaye Saint-Paul de Wisques, un des monastères de la congrégation de Solesmes, risquait de disparaître, après avoir perdu la tradition grégorienne. En effet, celle-ci ne comptait en 2013 que quelques moines avec un âge moyen de 72 ans. À peine accueillit-elle 13 religieux de l'abbaye Notre-Dame de Fontgombault le , la liturgie grégorienne fut rétablie le lendemain, afin de dynamiser de nouveau la vie monastique[33].

Cette abbaye de Fontgombault, fondée en 1948 au sein d'une ancienne église romane, avait créé jusqu'ici plusieurs filiales dont abbaye Notre-Dame de Triors[34]. Cela signifie que de nos jours, le rite en forme extraordinaire enrichi de la tradition du chant grégorien reste capable de créer la vocation de jeunes.

Contribution sur la célébration en grégorien avec les fidèles

Il est vraiment important que ces ordres répartissent la célébration en forme extraordinaire avec les fidèles laïcs, non seulement auprès de leurs monastères mais également dans les églises de villes. À vrai dire en France, les offices en grégorien célébrés par les ordres sont plus nombreux que ceux des diocèses. En outre, plus de scholæ grégoriennes sont soigneusement soutenues par les ordres religieux qu'auprès des paroisses[21]. Pour que la célébration en grégorien demeure prospère, l'Église a effectivement besoin de ces ordres.

Voir aussi

Liens externes

Lire en ligne

  • Bernard de Clairvaux, Lettre ou prologue sur l'antiphonier de l'ordre de Cîteaux ainsi que Préface de cet antiphonaire, texte latin et traduction par Dom Alfred-Louis Charpentier et Dom P. Dion, dans les Œuvres complètes de saint Bernard, tome II, Librairie de Louis Vivès, Paris 1866 [lire en ligne] (p. 533 - 544)
  • Dominique Delalande, Le Graduel des Prêcheurs : vers la version authentique du Graduel Grégorien : Recherches sur les sources et la valeur de son texte musical [lire en ligne (première partie)]

Références bibliographiques

  • Denise Launay, La musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804, Société française de musicologie et Éditions Klincksieck, Paris 1993 (ISBN 2-85357-002-9) et (ISBN 2-252-02921-8) 583 p.
  1. p.  146
  2. p.  288
  3. p.  301
  4. p.  303
  • Eugène Cardine, Vue d'ensemble sur le chant grégorien, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2002 (ISBN 978-2-85274-236-9) 31 p.
  1. p.  25
  • Luigi Agustoni et Johannes Berchmans Göschl, Introduction à l'interprétation du chant grégorien, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2001 (ISBN 978-2-85274-203-1) 288 p.
  1. p.  7
  2. p.  68
  3. p.  70
  4. p.  55
  5. p.  12
  • Pierre Combe, Histoire de la restauration du chant grégorien d'après des documents inédits, Solesmes et l'Édition Vaticane, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 1969, 488 p.
  1. p.  484
  2. p.  469
  • Dominique Delalande, Graduel des Prêcheurs : Vers la version authentique du Graduel Gregorien : Recherches sur les sources et la valeur de son texte musical, collection Bibliothèque d'histoire dominicaine 2, Cerf, Paris 1949, 288 p.
  1. p.  18
  2. p.  37
  3. p.  36 et 72
  4. p.  42 - 61
  5. p.  72
  6. p.  45
  7. p.  75
  8. p.  iii
  • Patrick Hala, Louanges Vespérales, collection Commentaire des hypmnes de la Liturgia Horarum, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2008 (ISBN 978-2-85274-330-4) 156 p.
  1. p.  75 ; il s'agit d'une hymne de mètre saphique dans les Carmina d'Alcuin. Quelques modifications furent effectuées dans la version actuelle en usage. Avant le concile Vatican II, aucun manuscrit liturgique n'existait.
  2. p.  71
  • Jean Favier, Charlemagne, collection Texto, Tallandier, Paris 2013 (ISBN 979-10-210-0081-0) 769 p.
  1. p.  418
  2. p.  401
  3. p.  419
  4. p.  420
  5. p.  457
  6. p.  458
  1. p.  50 ; en effet, ce manuscrit se compose de 16 éléments très variés, et copiés ainsi qu'ajoutés par de nombreux copistes.
  2. p.  137
  3. p.  138
  4. p.  152 - 153
  5. p.  179
  6. p.  144
  7. p.  145
  8. p.  177
  9. p.  142
  10. p. 178 ; ce bréviaire se limite à la saison d'été : le temporal s'étend de Pâques aux dimanches après la Pentecôte, le sanctoral de mai à décembre.
  11. p.  178
  12. p.  180
  • Études grégoriennes, tome XXXIX, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2012 (ISBN 978-2-85274-207-9) 315 p.
  1. p.  301
  2. p.  295
  3. p.  296
  • Études grégoriennes, tome XLI, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2014 (ISBN 978-2-85274-248-2) 225 p.
  1. p.  1 - 2
  2. p.  93
  3. p.  88
  4. p.  100
  5. p.  101
  6. p.  107 : avec un supplément au Cantus Missarum à la suite de nouveaux textes de l'Immaculée Conception, donc des chants nouvellement composés.
  7. p.  109
  8. p. 93 -121
  9. p.  121
  10. p.  116

Notes et références

  1. Daniel Saulnier, Le chant grégorien, p. 108, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 2003
  2. Chapitre XIII, Comment célébrer l'office du matin aux jours ordinaires : « responsorium, ambrosianum, versus, canticum de Evangelio ... »
  3. Bernard-Jean Berger, Saint-Denis, Un prêtre raconte sa cathèdrale, p. 17, Les Éditions de l'Atelier, Paris 1999
  4. (en)http://www.abbaziamontecassino.org/abbey/index.php/en/mass-hours-and-general-opening-hours
  5. Graduale triplex, Avant-propos p. i (liste des manuscrits)
  6. http://palmus.free.fr/Article.pdf
  7. http://aedilis.irht.cnrs.fr/liturgie/03_1.htm Colette Marie-Noël (École pratique des hautes études), Le graduel de Gaillac (BnF, lat. 776) et le tropaire de Moissac (BnF, nouv.acq.lat. 1871), Deux manuscrits aquitains contemporains (3e quart du XIe siècle)
  8. http://www.solesmes.com/GB/editions/livres.php?cmY9MjIy
  9. Aubert, Eduardo Henrik, « Cantus Burgundiensis. Les fragments de livres de chant grégorien da... », sur revues.org, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre / BUCEMA, Centre d’études médiévales Saint-Germain d’Auxerre, (ISSN 1623-5770, consulté le ), p. 319–321.
  10. Jacques Hourlier, La notation musicale des chants liturgiques latins, p. 30, Abbaye Saint-Pierre, Solesmes 1996
  11. http://fr.scribd.com/doc/58813264/Saint-Bernard-Oeuvres-completes-Charpentier-Trad-1865-Volume-2 p. 533 - 544, texte en latin et traduction par les abbés Dom Alfred-Louis Charpentier et Dom P. Dion, en 1865
  12. Il s'agit exactement de ceux que saint Bernard expliquait dans sa préface.
  13. Rappelons que saint Bernard de Clairvaux connaissait effectivement la théorie de Guy d'Arezzo.
  14. Cependant, il est certain qu'il s'agit d'une composition tardive, car le texte ne se trouve pas dans l'Antiphonale Missarum Sextuplex (1935) et que ni le manuscrit Laon 239 ni les manuscrits de la famille sangallienne n'avaient donné leurs neumes sans lignes, dans le Graduale triplex p. 558 - 559 (1979), Graduale Romanum accompagné des neumes anciens.
  15. Présentation de l'abbaye Notre-Dame de Fontgombault, p. 3, lors de la journée grégorienne le 30 septembre 2012, à la cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption de Luçon
  16. http://www.abbayedesolesmes.fr/FR/editions/livres.php?cmY9MTM0
  17. « Abbaye Saint-Michel de Kergonan à Plouharnel dans le Morbihan », sur Abbaye Saint-Michel de Kergonan (consulté le ).
  18. Consociatio internationalis musicæ sacræ, Misicæ sacræ ministerium, Anno XXXVII - XXXVIII (2000 - 2001), Rome 2001, p. 81
  19. http://www.clio.fr/bibliotheque/entretien_avec_un_moine_sur_le_chant_gregorien.asp
  20. « HEURES GREGORIENNES - Communauté Saint-Martin », sur Communauté Saint-Martin (consulté le ).
  21. http://honneurs.free.fr/Wikini/wakka.php?wiki=ParRegion
  22. http://www.abbaye-pesquie.org/Abbaye_benedictine_Notre-Dame_du_Pesquie/Chant_Gregorien_et_orgue_%28Pesquie%29.html
  23. http://www.musimem.com/dom_jean_claire.htm
  24. http://www.abbayedesolesmes.fr/la-congregation
  25. Brochure de l'abbaye d'Hautecombe. Visitée le 22 août 2015.
  26. http://www.ndganagobie.com
  27. http://www.abbaye-fleury.com/les-horaires-des-offices.html
  28. (de)http://www.stift-heiligenkreuz.org/chant/chant-music-for-paradise
  29. Abbaye Saint-Pierre de Solesmes
  30. http://www.ndtriors.fr/gregorien_presentation.html
  31. Voir l'article Liste des disques de chant grégorien enregistrés par Gramophone en 1904
  32. Abbaye Saint-Pierre de Solesmes
  33. http://www.abbaye-saint-paul-wisques.com/arrivee-des-freres-de-l%e2%80%99abbaye-notre-dame-de-fontgombault
  34. http://www.abbayedesolesmes.fr/FR/congregation/congsol.php
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