Léon XIII

Vincenzo Gioacchino Raffaele Luigi Pecci, né le à Carpineto Romano et mort le à Rome, est le 256e évêque de Rome et donc pape de l'Église catholique, qu'il gouverna sous le nom de Léon XIII (nom latin : Leo XIII ; nom italien : Leone XIII) de 1878 à 1903. Il est enterré en la basilique Saint-Jean-de-Latran.

Pour les articles homonymes, voir Léon XIII (homonymie).

Léon XIII

Leon XIII vers 1898
Biographie
Nom de naissance Vincenzo Gioacchino Raffaele Luigi Pecci
Naissance
Carpineto Romano (Empire français)
Ordre religieux Ordre des Frères mineurs
Ordination sacerdotale par le
card. Carlo Odescalchi
Décès
Rome (Royaume d'Italie)
Pape de l’Église catholique
Élection au pontificat (67 ans)
Intronisation
Fin du pontificat (93 ans)
(25 ans et 5 mois)
Cardinal de l’Église catholique
Créé
cardinal
par le
pape Pie IX
Titre cardinalice Cardinal-prêtre
de Saint-Chrysogone
Évêque de l’Église catholique
Consécration épiscopale par le
card. Luigi Lambruschini
Camerlingue de la Sainte Église romaine
Archevêque de Pérouse
Nonce apostolique en Belgique
Archevêque titulaire de Damiette


Lumen in cœlo
 Une lumière dans le ciel »)
(en) Notice sur www.catholic-hierarchy.org

Léon XIII est notamment connu pour son encyclique Rerum novarum, publiée en 1891, première encyclique entièrement consacrée à la doctrine sociale de l'Église catholique.

Origines familiales

Armoiries du Pape sur un monument à Toulouse, France.

Né à Carpineto Romano, près de Rome, il est le fils du comte Lodovico Pecci (colonel de la milice locale) et de la comtesse née Anna Prosperi-Buzi, qui ont six autres enfants[1], dont le futur cardinal Giuseppe Pecci. Les origines de sa famille remontent avec certitude en 1531 lorsqu'Antoine Pecci (ancêtre à la onzième génération agnatique du souverain pontife) acquiert dans les monts Lépins une petite terre dépendant de Carpineto. Il y fait souche : ses descendants demeurent dans la région durant plus de quatre siècles. Dès le XVIIIe siècle, on compte dans la famille Pecci plusieurs membres occupant des fonctions ecclésiastiques (un curial de la Rote, un protonotaire apostolique, un commissaire de la Révérende Chambre)[2].

Formation et carrière de prélat

En , Vincent Joachim Pecci devient élève au collège des jésuites de Viterbe[3], avant d'entrer en 1824 au Collegium romanum[4] des Jésuites de Rome, avec son frère qui devient ensuite jésuite. Il poursuit ses études à l'Académie des nobles ecclésiastiques qui prépare les futurs diplomates du Saint-Siège. Il est reçu docteur en théologie en 1836 puis docteur en droit in utroque jure, à Rome. Il est ordonné prêtre le .

Ses qualités universitaires le font remarquer par le cardinal Lambruschini qui le présente au pape Grégoire XVI. Il est bientôt nommé « prélat de Sa Sainteté »,

Fonctions diplomatiques

Nommé légat pontifical à Bénévent, enclave pontificale dans le royaume de Naples, les mesures énergiques du jeune prélat de 27 ans mettent fin au banditisme. Désigné légat pontifical à Spolète, le Pape Grégoire XVI le transfère finalement à la légation pontificale de Pérouse[5]. Il y organise la visite de Grégoire XVI dans ce diocèse de 20 000 habitants. Il y participe à la création d'une caisse d'épargne.

En 1843, il est nommé archevêque titulaire (ou in partibus) de Damiette et reçoit l'ordination épiscopale, qui lui est conférée des mains du cardinal Lambruschini. Il est alors âgé de 32 ans.

Il est aussitôt envoyé en tant que nonce apostolique en Belgique, le  ; le jeune diplomate met fin à une opposition entre les universités de Namur, tenue par les jésuites, et de Louvain. Il entre en contact avec la famille royale belge et bénit le prince héritier Léopold, duc de Brabant, fils aîné du roi Léopold Ier et de la reine Louise-Marie d'Orléans, âgé de 8 ans.

Il soutient l'opposition des députés catholiques contre le gouvernement de Jean-Baptiste Nothomb sur la question des jurys d'examen, opposition qui contraint le ministre à démissionner en . Le roi Léopold Ier, soucieux de ne pas froisser la majorité catholique, soutint cette opposition et proposera le nonce au cardinalat dans une lettre au Pape Grégoire XVI[5]. Durant ce séjour belge, le comte Ferdinand de Meeûs, gouverneur de la Société générale de Belgique, lui expliquera la nécessité pour l'Église de s'intéresser à la nouvelle industrie et au monde ouvrier. N'avait-il pas lui-même crée en famille la Société du Crédit de la Charité ? Il devient ensuite en 1846 archevêque de Pérouse (jusqu'en 1877) et nommé par Grégoire XVI cardinal in pectore, c'est-à-dire secret. À la mort de Grégoire XVI, l'ouverture des archives secrètes du Vatican dévoile son titre de cardinal ; Pie IX, qui avait répondu à la sollicitation de Léopold Ier en indiquant qu'il y pourvoirait « en temps convenable », lui décerne le « chapeau » en 1853. Il lui maintient en revanche son titre d'archevêque bien que Pérouse ne soit qu'un évêché. Le Cardinal Pecci a 43 ans.

Archevêque de Pérouse

Entre 1859 et 1866, le Royaume de Sardaigne, avec l'aide de la France de Napoléon III puis des Chemises rouges de Garibaldi, chasse les Autrichiens et leurs alliés de la péninsule, annexe leurs états ainsi que la moitié-est des Etats Pontificaux. Le roi Victor-Emmanuel II de Sardaigne se fait proclamer roi d'Italie, transfère sa capitale de Turin à Florence. Pérouse passe de la suzeraineté du pape à celle du roi d'Italie. L'indépendance de ce qui reste des Etats Pontificaux ainsi que la ville de Rome sont protégées par l'armée française. En 1870, la défaite française face à la Prusse et la chute du Second Empire libère le roi d'Italie de la présence française et lui permet d'envahir puis d'annexer les États pontificaux et d'établir sa capitale à Rome. Les États pontificaux sont rayés de la carte. Le pape Pie IX se réfugie dans son Palais du Vatican où il se considère comme un otage ou un captif.

Devenu italien, le cardinal Pecci est un pasteur que l'on qualifierait aujourd'hui d'intransigeant. Il s'oppose avec hardiesse aux exigences des représentants du gouvernement anticlérical de Victor-Emmanuel II d'Italie[6] et condamne dans ses mandements les erreurs modernes[7] dans la ligne du Syllabus de Pie IX dont il avait d'ailleurs demandé la rédaction[8]. En septembre 1877, il est nommé cardinal camerlingue de la Sainte Église romaine.

Pontificat

Le pape Léon XIII.

Il est élu pape le . Le conclave de 1878 l'a peut-être choisi en raison de sa santé fragile et de son âge. La majorité des cardinaux souhaitait un pape de transition après le long règne de son prédécesseur[9]. Déjouant tout pronostic, il règne pendant vingt-cinq ans, atteignant l'âge de 93 ans, inégalé depuis des siècles. Son élection est saluée favorablement par le monde catholique. Gambetta, malgré son anticléricalisme, s'en serait réjoui dans deux lettres adressées à sa maîtresse. Publiées, bien après le décès du tribun républicain, par Le Figaro (), sans doute par l'entremise d'Eugène Spuller, leur authenticité reste douteuse.

Léon XIII et sa cour intime photographiés au Vatican par Jules David en juin 1878, quelques mois après son élection.

Léon XIII, conformément à la ligne établie depuis 1870 par son prédécesseur, s'affirme Prisonnier du Vatican, revendiquant ainsi ses droits à la souveraineté temporelle sur les États pontificaux toujours considérés comme usurpée par Victor-Emmanuel II d'Italie décédé quelques semaines avant son élection et auquel a succédé son fils Humbert Ier d'Italie. Dès 1879, avec l'encyclique Æterni Patris, Sur la restauration dans les écoles catholiques de la philosophie chrétienne selon l'esprit du Docteur angélique (il s'agit de saint Thomas d'Aquin), il relance les études thomistes. En avril 1884 il publie l'encyclique Humanum Genus, condamnant à nouveau la franc-maçonnerie, listant les nombreuses condamnations de celle-ci par ses prédécesseurs.

En 1885, à la demande du roi Alphonse XII d'Espagne, il élève la capitale du pays, Madrid, au rang d'évêché et crée le Diocèse de Madrid.

En 1889, il est confronté au Drame de Mayerling. L'empereur d'Autriche devra envoyer deux télégrammes pour obtenir la dispense permettant à son fils et héritier, mort dans des conditions scandaleuses, d'être inhumé chrétiennement. Le cardinal Mariano Rampolla del Tindaro sera soupçonné par le souverain autrichien de s'être opposé à cet acte de miséricorde du pape. L'empereur s'en souviendra. Lors du Conclave de 1903, il usera de son droit d'exclusive afin d'empêcher le prélat, pourtant favori, de ceindre la tiare pontificale.

Le souverain pontife doit aussi compter avec l'instabilité politique chronique de l'Espagne, le Kulturkampf prussien qui tente de mettre sous tutelle de l'état les catholiques allemands, l'anticléricalisme français qui expulse les congrégations, et la méfiance de l'Italie. Dans tous ces pays de longue tradition chrétienne en voie de laïcisation, le pouvoir du clergé est combattu, tandis que des théories révolutionnaires prônant la violence tels le nihilisme russe ou l'anarchisme, se développent. Le tsar de Russie est assassiné en 1881, l'impératrice d'Autriche en 1898, le roi d'Italie en 1900, et le président des Etats-Unis en 1901.

Sur les pas des catholiques sociaux, tel Frédéric Ozanam, il se saisit de la question ouvrière, tout d'abord par son appui à la Conférence internationale de Berlin en , puis dans l'encyclique Rerum Novarum du , il fustige « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l'industrie et du commerce devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates, qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires », mais, tandis que Friedrich Engels publie les parties 2 et 3 de l'œuvre, Le Capital, de Karl Marx, mort en 1883, Léon XIII condamne le marxisme comme une « peste mortelle » pour la société. Dans ce document, Léon XIII critique également le libéralisme et son régime de concurrence effrénée qui réduit les ouvriers à la misère, mais rejette le socialisme qui veut abolir la propriété privée, droit naturel, et instaurer la lutte des classes. Il recommande l'association fraternelle des travailleurs et l'intervention de l'État pour régler les rapports entre patrons et ouvriers.

L'encyclique Rerum Novarum a fait par la suite l'objet de développements successifs, comme Quadragesimo anno en 1931 ou Centesimus annus en 1991. Léon XIII a été le premier pape à être filmé, à sa demande. Humaniste raffiné, ses poèmes latins sont remarquables. Cependant le pape Pie XI devra reconnaître en 1925 : « l'Église a perdu le monde ouvrier ».

En avril 1884 dans son encyclique Humanum Genus, sa violente attaque contre la franc-maçonnerie est généralement considérée comme le manifeste contre-moderniste de l'Église. Cependant, il n'est pas victime de l'affaire Léo Taxil qu'il dénonce comme un canular.

Le , Léon XIII dissout officiellement les États pontificaux, mettant ainsi la papauté en accord avec la réalité politique. Il réorganise les grands ordres en particulier l'ordre de Saint-Benoît en fondant la confédération bénédictine en 1893 par le bref Summum semper.

Il a béatifié Jean d'Avila, canonisé Antoine-Marie Zaccaria et proclamé saint Jean de Dieu, patron des infirmiers, des malades et des ordres hospitaliers. Il a reçu en audience la future sainte Thérèse de Lisieux. Le pontificat de Léon XIII aura été le quatrième plus long de l'histoire, après saint Pierre, Pie IX et Jean-Paul II.

« Libéralisme » de Léon XIII

Léon XIII vers 1887

On a souvent opposé l'esprit « progressiste » de Léon XIII au « conservatisme » de son prédécesseur Pie IX et de son successeur Pie X, que ses détracteurs ont comparé à un curé de campagne hissé sur la chaire de l'apôtre Pierre. Cependant, Léon XIII condamne clairement le libéralisme, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté d'enseignement et la liberté de conscience dans son encyclique Libertas Præstantissimum, ainsi que l'indifférentisme religieux et le laïcisme dans Immortale Dei.

À la suite de son prédécesseur, s'il développe une nouvelle forme d'intransigeantisme[10], foncièrement anti-moderne[11], auquel il donne une forme plus conquérante, qui s'attaque au présent[12] afin de « reprendre l'initiative »[11] et proposer « un catholicisme de mouvement »[13] c'est surtout la prudence qui caractérise son pontificat.

Le choix de Pie IX avait été, dans le Syllabus, de présenter la doctrine catholique en phrases courtes et lapidaires qui ont pu choquer sur le fond les lecteurs non catholiques et sur la forme un certain nombre de catholiques. Léon XIII, quant à lui, développe son sens de la pédagogie dans des encycliques, clarifiant la position de ses prédécesseurs et ouvrant la voie à ses successeurs, sur des thèmes traditionnels comme sur des thèmes nouveaux (la démocratie chrétienne dans son encyclique Graves de communi re).

Léon XIII a su renouveler la réception des encycliques dans un monde traversé par les idéologies qui vont s'affronter au XXe siècle. Il poursuit inlassablement sa défense de la liberté de l'Église face aux nouveaux problèmes de la modernité : rupture entre le prolétariat et les classes aisées, mainmise du pouvoir politique sur l'enseignement dans différents pays d'Europe, laïcisation des consciences, et problème de la dissolution des congrégations en France (encyclique Nobilissima Gallorum Gens) et dans d'autres pays.

Pape « intellectuel »

Léon XIII vers 1878

On a pu considérer que les encycliques du pape Léon XIII — au nombre de quatre-vingt-six — étaient savantes et que peu de gens les ont lues jusqu'au bout, mais elles ont eu une influence notable sur la participation des catholiques aux grands débats intellectuels et socio-politiques de leur époque (malgré le blocage politique en Italie depuis le Non expedit). Il a renouvelé l'enseignement des séminaires et des universités pontificales, fait progresser les études bibliques et patristiques et ouvert les archives du Vatican.

Cet aspect de son pontificat reste trop souvent méconnu mais n'en demeure pas moins fondamental, car il a donné dans l'encyclique Providentissimus Deus, publiée en 1893, une impulsion aux études bibliques, demandant aux catholiques de pratiquer l'exégèse pour réfuter les accusations d'erreur dans la Bible. Cette encyclique réaffirme clairement le principe de l'inerrance biblique énoncé lors du concile Vatican I, et récuse la notion d'auteur pour les écrivains bibliques : la Bible, ayant Dieu pour auteur direct, ne peut contenir aucune erreur même concernant les faits scientifiques ou historiques[14]. Cette position sera remise en cause lors du concile Vatican II avec la constitution Dei Verbum [15].

Christoph Theobald pense que le cardinal Camillo Mazzella parlant des textes de la Bible comme « des choses et des assertions que Dieu a voulu faire écrire[16]. », a fortement influencé cette encyclique, de même que le cardinal Johann Baptist Franzelin. Dans la mesure où celle-ci, estime Theobald, considère que Dieu est « l'auteur littéraire » des Écritures et que « leur inspiration s'étend à toutes leurs parties », il conclut que cette école dite « romaine », dont font partie Mazzella ou encore Louis Billot, dont l'influence marque le texte, « prend des allures franchement fondamentalistes[17]. » C'est à ces conceptions que se heurtèrent, quelques années plus tard, Marie-Joseph Lagrange et surtout Alfred Loisy acteurs emblématiques de la crise moderniste[18].

Émile Poulat note cependant que Léon XIII, en 1903, peu avant de mourir, décida de dessaisir le Saint-Office et l'Index de la dénonciation portée contre Loisy par le Cardinal français Richard, instituant une « Commission internationale pour les questions bibliques » dont Loisy considéra les membres comme « à peu près tous honnêtes[19]. » L'abbé Loisy sera néanmoins destitué de sa chaire d’exégèse biblique à l'École française de Rome dès 1893.

Il clarifie la position de l'Église vis-à-vis de l'anglicanisme[20] dont il déclare nul le rite d'ordination, accompagnant la poursuite d'un mouvement de conversion en Angleterre (le Mouvement d'Oxford qui est né au milieu du siècle), autour du cardinal Newman.

Il redresse certaines conceptions du catholicisme aux États-Unis en condamnant l'américanisme (lettre apostolique Testem benevolentiæ), traite de la question noire et de la fin de la traite puis de l'esclavagisme au Brésil au Soudan et à Zanzibar dans son encyclique de 1888 In Plurimis.

Ses encycliques ont été reprises et citées par ses successeurs, de Pie X jusqu'à Jean-Paul II qui s'est référé à Rerum Novarum à de nombreuses reprises.

Diplomatie sous son pontificat

Relations du Saint-Siège avec l'Empire russe

Au début de son pontificat, Léon XIII envoie une missive au ton conciliant à l'empereur Alexandre II de Russie, dans laquelle il rappelle au bon souvenir du tsar l'existence de millions de ses sujets de confession catholique qui souhaitent vivre en loyaux sujets de l'Empire. L'empereur répond tout aussi courtoisement qu'il promet que ses sujets catholiques disposeront des mêmes droits que les autres. Les relations entre Pie IX et la Russie exécrables à cause de la question polonaise et rompues depuis 1870, Léon XIII fait un premier pas en publiant, le , une encyclique condamnant le socialisme, l'anarchisme et le nihilisme.

Léon XIII vers 1903.

Cela ne peut que plaire à Alexandre II (et à d'autres souverains européens), devant constamment se défendre contre des attentats visant sa personne ou celle de représentants du pouvoir impérial. À plusieurs reprises, Léon XIII fait lire des lettres en chaire, contre ces attentats. En réponse, des sièges épiscopaux reçoivent enfin l'approbation impériale et sont pourvus. Mais la question polonaise n'évolue guère : le Saint-Siège juge inacceptable l'usage du russe — langue administrative de l'Empire récemment imposée en Pologne — dans l'enseignement et le catéchisme. Plus encore, des Ruthènes en majorité uniates ont été obligés de se placer sous la juridiction canonique de l'Église orthodoxe.

Lorsque Alexandre II est assassiné, Léon XIII envoie, en 1881, au couronnement du nouvel empereur de toutes les Russies Alexandre III un prélat de haut rang pour le représenter. Alexandre III reconnaissant demande au pape d'exhorter les évêques de Pologne à ne pas apporter leur soutien aux mouvements patriotes polonais et à l'agitation politique. Les relations s'améliorent encore lorsque Léon XIII use de son influence pour rapprocher la Russie de la France. En effet, le pape voit d'un mauvais œil la création de la Triplice. Celle-ci réunit une Italie gouvernée par un ministère de gauche anti-clérical, tenté par l'expérience voisine du Kulturkampf de Bismarck, un Empire austro-hongrois miné par les nationalismes et un nouvel Empire allemand qui a chassé les congrégations de son pays et promulgué des lois anti-catholiques.

La France, affaiblie par sa défaite de 1870, a un régime politique considéré comme l'épouvantail d'une Europe monarchique ; mais la Russie a besoin des capitaux français pour se développer et pour se défendre d'une Allemagne trop orgueilleuse à ses frontières ; tandis que la France souhaite sortir de son isolement diplomatique et contrecarrer la puissance de la Triplice. Après la mort d'Alexandre III, la question des uniates et de la langue en Pologne est réglée. Un accord, en 1896, permet la fondation de nouveaux diocèses catholiques dans tout l'Empire. Nicolas II facilite le financement de la gestion du grand séminaire catholique de Saint-Pétersbourg, des églises catholiques sont construites dans les grandes villes commerçantes de Russie, tandis qu'en Pologne les derniers sièges épiscopaux vacants sont pourvus.

Mais finalement Léon XIII, âgé et préoccupé par des questions plus urgentes, ne cueille pas les fruits de sa politique. La nonciature de Saint-Pétersbourg ne rouvre pas.

Relations du Saint-Siège avec l'Empire allemand

Léon XIII et Bismarck.

Les relations avec le nouvel Empire allemand (proclamé à Versailles le ) sont rompues depuis l'arrivée au pouvoir du chancelier Bismarck. Toute la diplomatie de Léon XIII sera tournée vers l'apaisement progressif du Kulturkampf. Entre 1871 et 1887, le prince de Bismarck veut renforcer autoritairement et unilatéralement la « solidarité » des composantes de l'Empire et ce, au détriment de l'Église (notamment en rabaissant le parti catholique du Zentrum dont l'un des fondateurs est l'évêque de Mayence Wilhelm Emmanuel von Ketteler). Ainsi, toute critique de l'Empire (cela inclut non seulement la Prusse, mais aussi la Rhénanie prussienne à majorité catholique) est punie de prison. Il veut en fait mater l'esprit d'autonomie des Lorrains récemment annexés (et qui ont élu député le très francophile évêque de Metz Paul Dupont des Loges) et des Polonais de Prusse, de Posnanie et de Silésie, populations catholiques qui trouvent en l'Église un refuge pour leurs activités patriotiques, et en même temps affaiblir l'identité catholique des pays rhénans, pas assez « prussiens » aux yeux du chancelier.

Ce sont les mêmes procédés qu'ailleurs, mais menés tambour battant : mariage civil obligatoire, dissolution de toutes les congrégations, contrôle sur la nomination et la formation du clergé, lois scolaires, etc. Nonobstant, le « chancelier de fer » doit reculer et en 1882, Léon XIII réussit à rétablir les relations diplomatiques avec la Prusse. Le pape a soutenu, avec un certain succès, les évêques dans leur appui aux actions sociales et à la formation d'associations de laïcs d'entraide de travailleurs. Les évêques soutiennent aussi le parti Zentrum dont Bismarck a besoin des voix. Ainsi en 1887, les congrégations peuvent progressivement revenir et les lois les plus répressives de la précédente période du Kulturkampf ne sont plus appliquées. Cependant à l'extérieur, à partir du renouvellement de la Triplice en février 1887, puis avec l'abandon du traité de réassurance avec la Russie en 1890, le pape s'inquiète du caractère offensif du dernier système bismarckien dirigé contre la France.

Relations du Saint-Siège avec la France

Le monument de Léon XIII dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, Rome.

Devant les appels au renversement des institutions par certains catholiques français[21], Léon XIII rappelle la doctrine traditionnelle de la soumission des sujets à tous les gouvernements, quelle que soit leur forme (Toast d'Alger, encyclique Au milieu des sollicitudes et lettre Notre Consolation). Il demande une réconciliation des différents courants politiques et l'union de « tous les gens honnêtes » pour contrer le parti anticlérical au pouvoir et parvenir à la mise en sourdine, sinon à la suppression, des lois antireligieuses, comme en Allemagne.

Le pape est cependant confronté rapidement à l'opposition, parfois violente, de certains catholiques qu'une vision réductrice ultérieure a souvent qualifié de monarchistes[22]. L'opposition d'une partie notable de catholiques aux directives de Léon XIII, à la suite de quelques figures influentes — souvent laïques — de l'Église de France, semble davantage idéologique que politique, plus gallicane que favorable au principe monarchiste. L'opposition à ce qui sera désormais nommé le Ralliement, a d'ailleurs pour origine, dès la fin de l'année 1892, les écrits d'Émile Dillon, un ami d'Alfred Loisy (dans un article anonyme de la Contemporary Review d'), relayé sinon plagié par un protestant allemand Friedrich Heinrich Geffcken (dans Léon XIII devant l'Allemagne[23]) et un ancien ministre piémontais Ruggiero Bonghi. Ces trois auteurs semblent s'être inspirés de La société de Rome[24] écrit anticlérical d'Henri Durand-Morimbau dit Henri des Houx sous le pseudonyme de Comte Paul Vasili. Le jésuite Salvatore Brandi s'employa non sans succès, au début de l'année 1893, à réfuter Émile Dillon et Friedrich Heinrich Geffcken dans une série d'articles de la Civiltà Cattolica, reprise en France dans l'Univers et la Revue des deux mondes (puis rassemblés en brochure La politique de Léon XIII[25]).

L'opposition aux directives du Pape, sans être majoritaire dans une Église de France profondément marquée par l'école ultramontaine (Mgr Pie, Mgr de Ségur, Louis Veuillot, entre autres), influença néanmoins un certain nombre de catholiques ; ainsi, « les dames dévotes de Bretagne et d'Anjou priaient pour la conversion du pape[26] » ; certains vont même jusqu'à soutenir qu'au véritable Léon XIII on a substitué un sosie ; Les Caves du Vatican contiennent une allusion à cette fable qu'on a répétée avec Paul VI. La comtesse de Pange raconte[27] que son père, le duc de Broglie, a coutume d'inviter à déjeuner une ou deux fois par an les curés du voisinage ; l'un d'eux, un peu échauffé par le vin de champagne dont il n'a pas l'habitude, n'hésite pas à lancer au dessert un : « Et quand je pense à ce monstre de pape ! », qu'il refuse de retirer.

On peut sans doute mettre sur le compte de cette opposition le peu de résultats obtenus par les catholiques, pourtant très majoritaires, aux élections de 1893 et 1896, marquées par une abstention importante et une grande division de partis, situation d'ailleurs identique à celle des élections des années 1880.

Relations du Saint-Siège avec l'Extrême-Orient

À partir des années 1880, Léon XIII relance des missions pontificales en Extrême-Orient et y noue des relations diplomatiques[28]. Il encourage les pèlerinages à Jérusalem et fait créer une médaille à son effigie dans ce but.

Il rencontre Yamamoto Shinjiro qui est reçu en audience en tant que Japonais catholique. Il l'encourage à persévérer et répandre la foi catholique en son pays. Benoît XV continuera son œuvre dans ce sens.

Hommages

Une rose blanche du nom de 'Léon XIII' lui est dédiée en 1890[29].

Citations

  • À propos du communisme : « Une peste mortelle qui s'attaque à la moelle de la société humaine et qui l'anéantirait »[30]
  • « Le marxisme est un remède pire que le mal »
  • « Un célèbre économiste français (Frédéric Bastiat) a exposé comme en un tableau les bienfaits multiples que l'homme trouve dans la société et c'est une merveille digne d'être admirée. »[31]
  • Fait rare s'agissant d'un pape, les armoiries de Léon XIII et sa devise, Lumen in Cœlo, figurent au frontispice de l'église de Rennes-le-Château. Elles subissent toutefois une modification, la comète y étant représentée dans le sens inversé (c'est-à-dire se levant à l'Occident et tournée vers la droite) par rapport aux armoiries du Pape.

Notes et références

Notes

    Références

    1. Lodovico Pecci (2.6.1767 - 8.3.1833) et son épouse Anna Francesca Prosperi (décembre 1772 - 5.8.1824), mariés le 27 novembre 1791, sont parents de sept enfants : 1) Carlo Ludovico (23.11.1793 - 29.8.1879), célibataire, 2) Anna Giovanna Francesca (23.5.1798 - 1870), 3) Caterina Maria Flaminià (3.11.1800 - 1867), épouse du chevalier Lolli de Ferentino, 4) Giovanni Battista (20.10.1802 - 28.3.1883), 5) Giuseppe (15.12.1807 - 8.2.1890), 6) Vincenzo Gioacchino (Léon XIII) et 7) Ferdinand (6.1.1816 - 1835) – source : Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche - 31.12.1887.
    2. Henri Durand-Morimbau, Histoire de Léon XIII, Paris, 1900, p. 45-62.
    3. Henri Durand-Morimbau, Histoire de Léon XIII, Paris, 1900, p. 82.
    4. Le collège romain (université grégorienne) venait d’être rendu aux Jesuits par le pape Léon XII
    5. Mgr de T'Serclaes, Le Pape Léon XIII, Desclée, De Brouwer, , t. 1, p. 66 ; sur la nonciature en Belgique, t. 1, ch. 3.
    6. Mgr de T'Serclaes, Le Pape Léon XIII, t. 1, Lille, Desclée, De Brouwer, , p. 164, Lettre au marquis Pepoli, du 21 février 1863.
    7. Œuvres Pastorales de S. E. le Cardinal Joachim Pecci, Lille, Soc. St Augustin, Desclée, .
    8. Abbé Pierre Hourat, Le « Syllabus » : étude documentaire, Paris, Bloud, , p. 7-8.
    9. Maurice Larkin, L'Église et l'État en France. 1905 : la crise de la séparation, Privat, 2004, p. 28.
    10. cf. Bernard Laurent (préf. Émile Poulat), « Léon XIII ou le renouveau de l'intransigeantisme », dans L'enseignement social de l'Église et l'économie de marché, Parole et Silence, (ISBN 9782845735552), p. 99-105
    11. Danièle Hervieu-Léger, Vers un nouveau christianisme ? : Introduction à la sociologie du christianisme occidental, Cerf, , 395 p. (ISBN 978-2-204-08742-1, lire en ligne), p. 254
    12. Émile Poulat, Catholicisme, démocratie et socialisme, Casterman, , 562 p. (ISBN 978-2-203-29054-9, lire en ligne), p. 115
    13. Émile Poulat, Catholicisme, démocratie et socialisme, Casterman, , 562 p. (ISBN 978-2-203-29054-9, lire en ligne), p. 104
    14. Anthony Feneuil, « Coran dicté, Bible inspirée ? Ce serait trop facile… » (consulté le ).
    15. cf. (en) Denis Farfasfalvy, « The Treatment of Inerrancy in Dei Verbum », dans Matthew L. Lamb et Matthew Levering, Vatican II: Renewal Within Tradition, Oxford University Press, (ISBN 9780195332681), p. 86-88
    16. Dans De virtutibus infusis. Praelectionnes schalistico-dogmaticae, 3e éd., Rome 1884, p. 526, cité par C. Theobald, dans « L'apologétique historique d'Affred Loisy » paru dans les Études historiques qui suivent la première édition du manuscrit inédit de Loisy, La crise de la foi dans le temps présent, Brepols, Tornhout, 2010, p. 587-693, p. 623.
    17. C. Theobald, article cité, p. 626.
    18. cf. par ex. Bernard Montagnes, Le père Lagrange, 1855-1938 : l'exégèse catholique dans la crise moderniste, Cerf, , 246 p. (ISBN 978-2-204-05131-6, lire en ligne)
    19. É. Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Albin-Michel, Paris, 1996, p. 333.
    20. Bulle apostolique Apostolicæ Curæ, 1896.
    21. Paul de Cassagnac, Pour Dieu, pour la France, p. 521 (t. 1) « Le nom du gouvernement, en pareil cas, importe peu. Ce serait la royauté, il faudrait la renverser. Ce serait l’Empire, il faudrait le renverser. C’est la République, il faut la renverser. ».
    22. Paul de Cassagnac, par exemple est napoléonien ; le député Émile Keller soutenait la candidature d'Adolphe Thiers en 1876 après avoir entretenu d'excellents rapports avec Léon Gambetta en 1870 ; Charles Chesnelong avait été candidat officiel de Napoléon III jusqu'en 1869.
    23. Henrich Geffcken, Léon XIII devant l'Allemagne, Paris, Dentu, .
    24. Comte Paul Vasili, alias Henri Durand-Morimbau, alias Henri Des Houx, La société de Rome, Paris, Nouvelle Revue, .
    25. Salvatore Brandi, S. J., La politique de Léon XIII, Paris, Lethielleux, .
    26. Anatole France, l'Église et la République, 1904, réédité par BiblioLife, 2009, (ISBN 978-1-110-86759-2), p. 30.
    27. Comtesse de Pange, Comment j'ai vu 1900, Bernard Grasset, 1962.
    28. Olivier Sibre, La Saint-Siège et l'Extrême-Orient (Chine, Corée, Japon) : de Léon XIII à Pie XII (1880-1952), École française de Rome, (ISBN 978-2-7283-0921-4).
    29. Journal des roses, 1896, page 41 et suivantes.
    30. Encyclique Quod Apostolici muneris. I - Attitude de l'Église en face du communisme - Condamnations antérieures.
    31. Clément Favarel, Théorie du crédit, volume 3, 1879, p. 408. Voir aussi : Chanoine Ant. Ricard, Le pape Léon XIII : sa vie, son élection, son couronnement, 1878, p. 44.

    Voir aussi

    Bibliographie

    • Monseigneur t'Serclaes, Le pape Léon XIII, 2 tomes, livre préfacé par Monseigneur Louis Baunard.
    • Bernard O'Reilly, Vie de Léon XIII, Paris & Bruxelles, 1887.
    • R.P. Lecanuet, Les signes avant-coureurs de la Séparation. Les dernières années de Léon XIII et l'avènement de Pie X, coll. L'Église de France sous la Troisième République, Paris, Librairie Félix Alcan, 1930.
    • Charles Bronne, L'Industrie belge et ses animateurs, Desoer, Liège, s. d., Chap. XV.
    • Anatole Leroy-Beaulieu, La papauté et la démocratie, dans la Revue des deux mondes, , p. 744-750.
    • Xavier de Montclos, Le Toast d'Alger. Documents, 1890-1891, Paris, de Boccard, 1966.
    • Paul Vial, L'Europe et le monde de 1848 à 1914, Paris, Hachette, 1968.
    • Christian Ambrosi, L'apogée de l'Europe 1871-1918, Paris, Masson, 1975.
    • Philippe Levillain, Jean-Marc Ticchi (dir.), Le pontificat de Léon XIII. Renaissances du Saint-Siège ?, Rome, Ecole française de Rome, 2006.
    • Martin Dumont, Le Saint-Siège et l'organisation politique des catholiques français aux lendemains du Ralliement. 1890-1902, Paris, Honoré Champion, 2012.
    • Roberto de Mattei, Le ralliement de Léon XIII. L'échec d'un projet pastoral, Cerf, 2016, 482 pages.
    • (de) Jörg Ernesti, Leo XIII. Papst und Staatsmann, Herder, 2019, 516 pages.

    Articles connexes

    Les principales encycliques de Léon XIII :

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