Simone de Beauvoir
Simone de Beauvoir [simɔn də bovwaʁ][1] , née le dans le 6e arrondissement de Paris, ville où elle est morte le , est une philosophe, romancière, mémorialiste et essayiste française.
Pour les articles homonymes, voir Beauvoir.
En 1954, après plusieurs romans dont L'Invitée (1943) et Le Sang des autres (1945), elle obtient le prix Goncourt pour Les Mandarins, ses œuvres sont alors parmi les plus lues dans le monde.
Souvent considérée comme une théoricienne majeure du féminisme, notamment grâce à son livre Le Deuxième Sexe publié en 1949, Simone de Beauvoir a participé au mouvement de libération des femmes dans les années 1970.
Elle a partagé sa vie avec le philosophe Jean-Paul Sartre. Leurs philosophies, bien que très proches, ne sauraient être confondues.
Biographie
L'enfance et la jeunesse
Simone Lucie Ernestine Marie Bertrand de Beauvoir[2] est la fille de Georges Bertrand de Beauvoir, alors avocat, comédien amateur, et de Françoise Brasseur, jeune femme issue de la bourgeoisie verdunoise.
Enfance
Elle voit le jour dans un appartement cossu au 103, boulevard du Montparnasse[3] et entre à l'âge de cinq ans au cours Desir[4] où sont scolarisées les filles de « bonnes familles ». Sa sœur cadette, Hélène (dite Poupette), l'y rejoint deux ans plus tard. Dès le plus jeune âge, Simone de Beauvoir se distingue par ses capacités intellectuelles et se partage chaque année la première place avec Élisabeth Lacoin (dite Élisabeth Mabille ou « Zaza » dans son autobiographie). Zaza devient rapidement sa meilleure amie.
Dans sa jeunesse, Simone de Beauvoir passe ses vacances d'été en Corrèze, à Saint-Ybard, dans le parc de Meyrignac, créé vers 1880 par son grand-père Ernest Bertrand de Beauvoir. La propriété avait été acquise par son arrière-grand-père Narcisse Bertrand de Beauvoir au début du XIXe siècle. On retrouve de multiples évocations de ces séjours heureux en compagnie de sa sœur Hélène dans ses Mémoires d'une jeune fille rangée :
« Mon amour pour la campagne prit des couleurs mystiques. Dès que j'arrivais à Meyrignac, les murailles s'écroulaient, l'horizon reculait. Je me perdais dans l'infini tout en restant moi-même. Je sentais sur mes paupières la chaleur du soleil qui brille pour tous et qui ici, en cet instant, ne caressait que moi. Le vent tournoyait autour des peupliers : il venait d'ailleurs, il bousculait l'espace, et je tourbillonnais, immobile, jusqu'aux confins de la terre. Quand la lune se levait au ciel, je communiais avec les lointaines cités, les déserts, les mers, les villages qui au même moment baignaient dans sa lumière. Je n'étais plus une conscience vacante, un regard abstrait, mais l'odeur houleuse des blés noirs, l'odeur intime des bruyères, l'épaisse chaleur du midi ou le frisson des crépuscules ; je pesais lourd, et pourtant je m'évaporais dans l'azur, je n'avais plus de bornes[5]. »
C'est au contact de la nature et au cours de longues promenades solitaires dans la campagne que le désir d'une vie « hors du commun » se forge en elle.
Après la Première Guerre mondiale, son grand-père maternel, Gustave Brasseur, ancien président de la Banque de la Meuse[6], qui a fait faillite, est déclaré banqueroutier, précipitant toute sa famille dans le déshonneur et la déconfiture. Aussi les parents de Simone de Beauvoir sont-ils contraints, par manque de ressources, de quitter l'appartement du boulevard du Montparnasse (à côté de l'actuel restaurant La Rotonde) pour un appartement, sombre, exigu, au cinquième étage, sans ascenseur, d'un immeuble de la rue de Rennes[7]. Simone souffre de voir les relations entre ses parents se dégrader.
La suite de son enfance en sera marquée. Dans son milieu, à cette époque, il est incongru qu'une jeune fille fasse des études poussées. Pourtant son père, un passionné de théâtre et d'art dramatique, qui pense que « le plus beau métier est celui d'écrivain », est convaincu que ses filles doivent s'y résoudre pour sortir de la condition dans laquelle elles se trouvent :
« Quand il déclara : « Vous, mes petites, vous ne vous marierez pas, il faudra travailler », il y avait de l'amertume dans sa voix. Je crus que c'était nous qu'il plaignait ; mais non, dans notre laborieux avenir il lisait sa propre déchéance[8]. »
Il regrette à la fois qu'elle ne soit pas un homme car elle aurait pu faire Polytechnique, et à la fois qu'elle ne soit pas assez féminine. Il lui répète : « Tu as un cerveau d'homme. »
Émancipation progressive
Élevée par une mère très pieuse, puis devenue elle-même croyante exaltée et mystique pendant quelques années, Simone de Beauvoir perd progressivement la foi à quatorze ans[9], bien avant son départ du cours Desir. Elle commence alors à s'émanciper intellectuellement de sa famille, sans pouvoir immédiatement l'assumer au grand jour.
À quinze ans, son choix est déjà fait : elle sera une écrivaine célèbre. Après le baccalauréat en 1925, malgré son attirance pour la philosophie, elle se dirige d'abord vers une licence classique pour obéir à ses parents qui ont été mis en garde par les enseignantes de son ancienne école : « en un an de Sorbonne, je perdrais ma foi et mes mœurs. Maman s'inquiéta […], j'acceptais de sacrifier la philosophie aux lettres[10] ». Elle entame des études supérieures à l'Institut catholique de Paris, pour les mathématiques, et à l'Institut Sainte-Marie de Neuilly, pour les lettres.
Son professeur de littérature française, Robert Garric, catholique fervent, mais surtout socialiste et humaniste très engagé, l'impressionne beaucoup. Il dirige un mouvement, les Équipes sociales, qui se propose de répandre la culture dans les couches populaires. Grâce à son cousin Jacques, dont elle est secrètement amoureuse, et qui se trouve être un des équipiers de Garric, sa culture littéraire s'élargit. « Je trouvais sur sa table une dizaine de volumes aux fraiches couleurs de bonbons acidulés : des Montherlant vert pistache, un Cocteau rouge framboise, des Barrès jaune citron, des Claudel, des Valéry d'une blancheur neigeuse rehaussée d'écarlate. À travers le papier transparent, je lus et je relus les titres : Le Potomak[11], Les Nourritures terrestres[12], L'Annonce faite à Marie[13], Le Paradis à l'ombre des épées[14], Du sang de la volupté et de la mort[15]. Bien des livres déjà m'avaient passé par les mains, mais ceux-ci n'appartenaient pas à l'espèce commune : j'en attendais d'extraordinaires révélations […]. Soudain, des hommes de chair et d'os me parlaient, de bouche à oreille, d'eux-mêmes et de moi ; ils exprimaient des aspirations, des révoltes que je n'avais pas su me formuler, mais que je reconnaissais. J'écumais la bibliothèque Sainte-Geneviève : je lisais Gide, Claudel, Jammes, la tête en feu, les tempes battantes, étouffant d'émotion[16] ».
Elle obtient au cours de cette première année à l'université de Paris les certificats de mathématiques générales, de littérature et de latin.
L'année d'après, elle suit les cours de philosophie et obtient en le certificat de philosophie générale. Elle obtient finalement la licence ès lettres mention philosophie au printemps 1928, après l'obtention des certificats d'éthique et de psychologie[17] et entame alors la rédaction d'un mémoire sur Leibniz pour le diplôme d'études supérieures.
À la faculté des lettres de l'université de Paris, elle rencontre d'autres jeunes intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, qu'elle regarde comme un génie. Dès cette époque, se noue entre eux une relation qui deviendra mythique, longtemps supposée libre et égalitaire[18]. Elle sera son « amour nécessaire », par rapport aux « amours contingentes » qu’ils seront amenés à connaître l'un et l'autre. Simone de Beauvoir est reçue deuxième au concours d'agrégation de philosophie en 1929, juste derrière Jean-Paul Sartre.
La mort de Zaza, son amie d'enfance, quelques mois plus tard, la plonge dans une grande affliction. Elle marque définitivement pour elle la fin de ce chapitre de sa vie.
Début du castor
À la suite de l'obtention de son agrégation en 1929, Simone de Beauvoir devient professeure de philosophie. Elle est surnommée Castor par Herbaud (René Maheu dans Mémoires d'une jeune fille rangée) car « Beauvoir » est proche de l'anglais beaver (signifiant castor[19]), et que, comme elle, « Les Castors vont en bande et ils ont l'esprit constructeur[20] ». Ce surnom est ensuite repris et conservé par Jean-Paul Sartre qui publie à l'édition Blanche chez Gallimard, Lettres au castor[21], un recueil de lettres qu'il a écrites à celle qui a été son « charmant castor »[22],[23].
Entre 1929 et 1931, elle est professeure agrégée et donne des cours au lycée Victor-Duruy (Paris)[24], ce qu'elle vit comme une libération : « Maintenant j'étais là, sur l'estrade, c'est moi qui faisais le cours. Et plus rien au monde ne me semblait hors d'atteinte »[25]. Elle se trouve ensuite nommée à Marseille au lycée Montgrand. La perspective de quitter Sartre, lui-même nommé au Havre en , la jette dans l'angoisse et ce dernier lui propose de l'épouser afin d'obtenir un poste dans le même lycée. Bien que viscéralement attachée à Sartre, elle rejette la proposition : « Je dois dire, écrit-elle dans La Force de l'âge[26], que pas un instant je ne fus tentée de donner suite à sa suggestion. Le mariage multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales. En modifiant nos rapports avec autrui, il eût fatalement altéré ceux qui existaient entre nous. Le souci de préserver ma propre indépendance, ajoute-t-elle cependant, ne pesa pas lourd ; il m'eût paru artificiel de chercher dans l'absence une liberté que je ne pouvais sincèrement retrouver que dans ma tête et mon cœur. » L'année suivante, elle parvient à se rapprocher de Sartre en obtenant un poste au lycée Jeanne-d'Arc de Rouen où elle fait la connaissance de Colette Audry, enseignante dans le même lycée[27].
Elle entretient des relations amoureuses avec certaines de ses élèves mineures, mais réfute jusqu'à sa mort toute idée de bisexualité — sujet qui fait l'objet de controverses entre ses dernières biographes[28]— le « pacte » la liant à Sartre lui permettant de connaître des « amours contingentes ». Elle présente ces élèves à Sartre qui forment avec lui, selon un « contrat pervers » comme le qualifie Marie-Jo Bonnet[29], des trios, voire des quatuors, amoureux[30]. Elle se lie également avec un élève de Sartre, « le petit Bost », futur mari d'Olga, pour laquelle Sartre s'est pris entre-temps de passion (non réciproque). L'amitié de ce groupe d'amis surnommé « la petite famille », ou encore « les petits camarades », reste indéfectible jusqu'à la mort de chacun d'entre eux, malgré petites brouilles comme graves conflits.
L'année où elle enseigne à Marseille, elle se découvre une passion pour la randonnée, et elle ne cesse dans les années qui suivent d'arpenter les chemins de France, souvent en solitaire, à chaque fois qu'elle en a l'occasion. Avec Sartre, elle voyage aussi beaucoup en Europe, dans des conditions très frugales, ce qui leur permet de visiter presque chaque été un nouveau pays : ils voient ainsi l'Espagne, l'Italie, la Grèce, l'Allemagne, et le Maroc. À côté de cela, même avant d'être finalement tous les deux mutés à Paris, leur vie sociale reste très parisienne. C'est là qu'ils se retrouvent souvent, ensemble ou avec leur amis, ils sortent au théâtre, et suivent assidument l'actualité littéraire et cinématographique.
Après 1936
En 1936, elle obtient enfin un poste à la capitale. Elle enseigne au lycée Molière de 1936 à 1939[31] ; elle en est suspendue à la suite de sa liaison avec Bianca Bienenfeld, l'une de ses élèves âgée de seize ans, fille d'un juif polonais réfugié en France avec ses deux filles et leur mère qui est gravement malade.
Son premier roman Primauté du spirituel, écrit entre 1935 et 1937, est refusé par Gallimard et Grasset (il paraîtra beaucoup plus tard en 1979 sous le titre Quand prime le spirituel puis Anne ou quand prime le spirituel).
Un second roman, L'Invitée est publié en 1943 par Gaston Gallimard, en plein Paris occupé. Elle y décrit, à travers des personnages imaginaires, la relation entre Sartre, Xavière et elle-même, tout en dévoilant une réflexion philosophique concernant la lutte entre les consciences et les possibilités de la réciprocité. Cette Xavière est une autre jeune fille mineure polonaise, Olga Kosakiewicz, que Simone de Beauvoir avait séduite avant Bianca Bienenfeld, et livrée à Jean-Paul Sartre.
Simone de Beauvoir est à nouveau suspendue le à la suite d'une plainte pour « excitation de mineure à la débauche » déposée en par la mère d'une autre de ses élèves, Nathalie Sorokine (1921-1967). — La plainte aboutira à un non-lieu[32] —, mais elle est définitivement révoquée de l'Éducation nationale.
L'incertitude sur la raison réelle de son éviction a suscité une polémique jusqu'à la publication en 1993 par une de ses précédentes victimes, Bianca Lamblin, de Mémoires d'une jeune fille dérangée, en réponse à la publication en 1990 des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre, dans lesquelles elle s'était aperçue qu'elle était désignée sous le pseudonyme de Louise Védrine. Elle révèle alors au public comment Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre ont abusé d’elle à l’âge de seize ans et écrit : « J’ai découvert que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre. »
Simone de Beauvoir décrit dans ses mémoires une relation de simple amitié avec cette élève. Elle écrit en outre que l’accusation de détournement de mineur, mensongère, est une vengeance de la mère de cette élève à la suite du refus que lui aurait opposé Simone de Beauvoir d’user de son influence auprès de sa fille pour lui faire accepter un mariage avec un « parti avantageux »[33]. Pourtant, la nature charnelle des relations qu'elle entretenait avec Nathalie Sorokine ne fait plus aucun doute aujourd'hui[34].
En 1943, elle travaille pour Radio nationale (« Radio Vichy ») où elle organise des émissions consacrées à la musique à travers les époques. Elle s'installe avec Jean-Paul Sartre à l'hôtel La Louisiane[35], à Saint Germain des Prés en 1943 mais dispose de sa propre chambre, elle écrira « Jamais aucun de mes abris ne s'était tant approché de mes rêves; j'envisageais d'y rester jusqu'à la fin de mes jours »[36].
Simone de Beauvoir est réintégrée dans l'Éducation nationale à la Libération par arrêté du , mais n'enseignera plus jamais[37].
Femme de lettres engagée
Avec Sartre, Raymond Aron, Michel Leiris, Maurice Merleau-Ponty, Boris Vian et quelques intellectuels de gauche, elle fonde une revue : Les temps modernes qui a pour but de faire connaître l'existentialisme à travers la littérature contemporaine. Mais elle continue cependant son œuvre personnelle. Après plusieurs romans et essais où elle parle de son engagement pour le communisme, l'athéisme et l'existentialisme, elle obtient son indépendance financière et se consacre totalement à son métier d'écrivain. Elle voyage dans de nombreux pays (États-Unis, Chine, Russie, Cuba, etc.) où elle fait la connaissance d'autres personnalités communistes telles que Fidel Castro, Che Guevara, Mao Zedong, Richard Wright.
Aux États-Unis, elle engage une relation passionnée avec l'écrivain américain Nelson Algren, et lui envoie plus de 300 lettres. La publication de sa correspondance avec Algren en 1997 provoque le rejet de certains féministes qui ne retrouvent pas la femme libre qui leur a servi d'icone, mais une Simone de Beauvoir qui a « biaisé sur sa bisexualité, construit littérairement avec Sartre un couple mythique, ou plutôt une mystification, triché en construisant par omission dans son œuvre mémoriale une image d'elle non conforme à la vérité[38]. »
En 1949, elle obtient la consécration en publiant Le Deuxième Sexe. Le livre se vend à plus de 22 000 exemplaires dès la première semaine, occasionne la publication des articles contradictoires de Armand Hoog (contre) et de Francine Bloch (pour) dans la revue La Nef, et fait scandale au point que le Vatican le mette à l'index. François Mauriac écrira aux Temps modernes : « à présent, je sais tout sur le vagin de votre patronne. » Le livre est traduit dans plusieurs langues et aux États-Unis, se vend à un million d'exemplaires et nourrit la réflexion des principales théoriciennes du Women's Lib[39]. Beauvoir devient la figure de proue du féminisme en décrivant une société qui maintient la femme dans une situation d'infériorité. En totale rupture avec l'essentialisme, son analyse de la condition féminine à travers les mythes, les civilisations, les religions, l'anatomie et les traditions fait scandale, et tout particulièrement le chapitre où elle parle de la maternité et de l'avortement, assimilé à un homicide à cette époque. Quant au mariage, elle le considère comme une institution bourgeoise aussi répugnante que la prostitution lorsque la femme est sous la domination de son mari et ne peut en échapper. Selon Stephen Law, Beauvoir proposa que le rapport entre les sexes biologiques et les constructions genrées de la société est délibérément confus pour la femme. Cette confusion qui sert bien la société dominé par l'homme (en 1950) rend difficile à la femme de se sortir d'un tel déterminisme. Ces stéréotypes sociaux entrainent la femme loin de ses aspirations.[40]
En 1954, elle obtient le prix Goncourt pour Les Mandarins et devient l'un des auteurs les plus lus dans le monde. Ce roman qui traite de l'après-guerre met en lumière sa relation avec Nelson Algren, toujours à travers des personnages imaginaires. Algren ne peut pas supporter le lien qui unit Beauvoir à Sartre. Celle-ci ne pouvant y mettre un terme, ils décident de rompre. De juillet 1952 à 1958, elle vit avec Claude Lanzmann[41].
À partir de 1958, elle entreprend son autobiographie où elle décrit son milieu bourgeois rempli de préjugés et de traditions avilissantes et les efforts pour en sortir en dépit de sa condition de femme. Elle décrit aussi sa relation avec Sartre en la qualifiant de totale réussite. Pourtant, bien que la relation qui les unit soit toujours aussi passionnée, ils ne sont plus un couple au sens sexuel du terme, et ce depuis longtemps, même si Beauvoir laisse entendre le contraire à ses lecteurs.
En 1960, elle signe le Manifeste des 121, déclaration sur le « droit à l'insoumission » dans la guerre d'Algérie.
En 1964, elle publie Une mort très douce qui retrace la mort de sa mère. D'après Sartre, c'est son meilleur écrit. Le thème de l'acharnement thérapeutique et de l'euthanasie y sont évoqués. Durant cette période de deuil, elle est soutenue par une jeune fille dont elle a fait la connaissance à la même époque : Sylvie Le Bon, une jeune étudiante en philosophie. La relation qui unit les deux femmes est obscure : relation « mère-fille », « amicale », ou « amoureuse ». Simone de Beauvoir déclare dans Tout compte fait, son quatrième tome autobiographique, que cette relation est semblable à celle qui l'unissait à Zaza cinquante ans plus tôt. Sylvie Le Bon devient sa fille adoptive et héritière de son œuvre littéraire et de l'ensemble de ses biens.
L'influence de Beauvoir, associée à Gisèle Halimi, a été décisive pour obtenir la reconnaissance des tortures infligées aux femmes lors de la guerre d'Algérie[42] et le droit à l'avortement. Elle rédige le Manifeste des 343, publié en par Le Nouvel Observateur[43]. Avec Gisèle Halimi, elle a cofondé le mouvement Choisir, dont le rôle a été déterminant pour la légalisation de l'Interruption volontaire de grossesse. Tout au long de sa vie, elle a étudié le monde dans lequel elle vivait, en visitant usines et institutions, à la rencontre d'ouvrières et de hauts dirigeants politiques.
En 1977, elle soutient le terroriste Bruno Bréguet et milite pour sa libération.
Elle signe au côté de 68 autres intellectuels français une tribune publiée le dans le journal Le Monde[44], demandant la relaxe de trois hommes accusés d'« attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans » dans le procès de l'affaire de Versailles.
Féministe radicale, elle participe en 1977 en tant que directrice de la rédaction à la création de la revue Questions féministes, principal organe de publication du courant féministe matérialiste. Puis, après la dissolution du comité de rédaction, elle reprend le poste de directrice pour la revue Nouvelles Questions féministes qui se crée en 1981, poste qu'elle gardera jusqu'à sa mort[45].
Après la mort de Jean-Paul Sartre en 1980, elle publie La Cérémonie des adieux où elle décrit les dix dernières années de son compagnon avec des détails médicaux et intimes si crus qu'ils choquent bon nombre des disciples du philosophe. Ce texte est suivi des Entretiens avec Jean-Paul Sartre qu'elle enregistra à Rome, en août et , et dans lesquels Sartre revient sur sa vie et précise certains points de son œuvre. Elle veut surtout montrer comment celui-ci a été manipulé par Benny Lévy pour lui faire reconnaître une certaine « inclination religieuse » dans l'existentialisme alors que l'athéisme en était l'un des piliers.
Pour Beauvoir, Sartre ne jouissait plus de toutes ses facultés intellectuelles et n'était plus en mesure de lutter philosophiquement. Elle dit également à mi-mot combien l'attitude de la fille adoptive de Sartre, Arlette Elkaïm-Sartre, avait été détestable à son égard. Elle conclut avec cette phrase :
« Sa mort nous sépare. La mienne ne nous réunira pas. C'est ainsi ; il est beau déjà que nos vies aient pu si longtemps s'accorder. »
De 1955 à 1986, elle vit au no 11 bis de la rue Victor-Schœlcher[46] à Paris où elle s'éteint le , entourée de sa fille adoptive Sylvie Le Bon de Beauvoir et de Claude Lanzmann.
Elle est inhumée au cimetière du Montparnasse à Paris, dans la 20e division — juste à droite de l'entrée principale boulevard Edgar-Quinet — aux côtés de Jean-Paul Sartre. Elle est enterrée avec à son doigt l'anneau en argent aux motifs incas offert par son amant Nelson Algren au matin de leur première nuit d'amour[47].
Pensée et philosophie
Théorie
Ardente avocate de l’existentialisme, elle soulève des questionnements afin de trouver un sens à la vie dans l’absurdité d’un monde dans lequel nous n’avons pas choisi de naître. Associée à celle de Sartre, son œuvre s’en différencie dans la mesure où elle aborde le caractère concret des problèmes, privilégiant une réflexion directe et ininterrompue sur le vécu.
Elle raconte dans La Force de l'âge comment la guerre l'a arrachée à « l'illusoire souveraineté de [ses] vingt ans[48] ». En elle écrit dans son journal : « Pour moi, le bonheur était avant tout une manière privilégiée de saisir le monde ; si le monde change au point de ne plus pouvoir être saisi de cette façon, le bonheur n'a plus tant de prix[49] ». Sa philosophie évolue et elle cesse de concevoir sa vie comme une entreprise autonome et fermée sur soi : « Je savais à présent que, jusques dans la moelle de mes os, j'étais liée à mes contemporains ; je découvris l'envers de cette dépendance : ma responsabilité […] ; selon qu'une société se projette vers la liberté ou s'accommode d'un inerte esclavage, l'individu se saisit comme un homme parmi les hommes, ou comme une fourmi dans une fourmilière : mais nous avons tous le pouvoir de mettre en question le choix collectif, de le récuser ou de l'entériner[50] ».
Dans Le Deuxième Sexe, elle affirme : « On ne naît pas femme, on le devient[51] » : c'est la construction sociale[52] des individualités qui impose des rôles différents, genrés, aux personnes des deux sexes[53],[54]. Cette citation est souvent considérée comme une étape annonciatrice qui mènera vers les études de genre dans les sciences sociales[55]. Dans cet ouvrage, elle analyse la place des femmes dans la société[52], notant que celles-ci sont souvent considérées, définies et assignées comme étant « l'Autre » du point de vue de l'homme dans une société patriarcale[56]. Sylvie Chaperon, une spécialiste du féminisme, avance qu'au-delà de cette phrase emblématique, Simone de Beauvoir passe en revue une grande variété de domaines au sein desquels se construit la différence sociale entre hommes et femmes, dessinant ainsi des pistes des recherches pour les décennies suivantes, dont certaines, selon elle, restent encore à explorer[57].
Citation
« On ne naît pas femme : on le devient[58]. »
« Jusqu’ici les possibilités de la femme ont été étouffées et perdues pour l’humanité et il est grand temps dans son intérêt et dans celui de tous qu’on lui laisse enfin courir toutes ses chances[59]. »
« Dans les deux sexes se jouent les mêmes drames de la chair et de l’esprit, de la finitude et de la transcendance, les deux sont rongés par le temps, guettés par la mort, ils ont un même essentiel besoin de l’autre ; ils peuvent tirer de leur liberté la même gloire ; s’ils savaient la goûter, ils ne seraient plus tentés de se discuter de fallacieux privilèges ; et la fraternité pourrait alors naître entre eux[60]. »
« La femme libre est seulement en train de naître[61]. »
« Se vouloir libre, c'est aussi vouloir les autres libres[62]. »
« Je suis un intellectuel. Ça m'agace qu'on fasse de ce mot une insulte : les gens ont l'air de croire que le vide de leur cerveau leur meuble les couilles[63]. »
Œuvres
Romans
- 1943 : L'Invitée
- 1945 : Le Sang des autres
- 1946 : Tous les hommes sont mortels
- 1954 : Les Mandarins, Prix Goncourt
- 1966 : Les Belles Images
- 2020 : Les Inséparables
Recueils de nouvelles
Essais
- 1944 : Pyrrhus et Cinéas, essai
- 1947 : Pour une morale de l'ambiguïté, essai
- 1949 : Le Deuxième Sexe, essai philosophique
- 1955 : Privilèges, essai
- 1957 : La Longue Marche, essai
- 1970 : La Vieillesse, essai
- 1972 : Faut-il brûler Sade ?, essai
Théâtre
- 1945 : Les Bouches inutiles, représentée aux Théâtre des Carrefours (actuelles Bouffes du Nord) en 1945 (première le ), puis reprise en 1966 au Festival de Marvejols, et publiée chez Gallimard.
Récits autobiographiques
- 1958 : Mémoires d'une jeune fille rangée
- 1960 : La Force de l'âge
- 1963 : La Force des choses
- 1964 : Une mort très douce
- 1972 : Tout compte fait
- 1981 : La Cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre : août -
- Ces ouvrages sont réédités en 2018 en deux volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade sous le titre Simone de Beauvoir, Mémoires (Édition publiée sous la direction de Jean-Louis Jeannelle et Éliane Lecarme-Tabone avec la collaboration d'Hélène Baty-Delalande, Alexis Chabot, Valérie Stemmer, Jean-François Louette, Delphine Nicolas-Pierre, et Élisabeth Russo ; Chronologie par Sylvie Le Bon de Beauvoir), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » (no 633-634), :
Autres publications
- 1948 : L'Amérique au jour le jour, récit.
- 1962 : Djamila Boupacha en collaboration avec Gisèle Halimi et des témoignages de Henri Alleg, Mme Maurice Audin, Général de Bollardière, R.P. Chenu, Dr Jean Dalsace, J. Fonlupt-Esperaber, Françoise Mallet-Joris, Daniel Mayer, André Philip, J.F. Revel, Jules Roy, Françoise Sagan, un portrait original de Pablo Picasso et un hommage des peintres Robert Lapoujade et Roberto Matta.
Œuvres posthumes
Sylvie Le Bon de Beauvoir, héritière de l'œuvre de Beauvoir, a traduit, annoté et publié de nombreux écrits de sa mère adoptive, en particulier sa correspondance avec Sartre, Bost et Algren.
- Lettres à Sartre, tome I : 1930-1939, Paris, Gallimard, .
- Lettres à Sartre, tome II : 1940-1963, Paris, Gallimard, .
- Journal de guerre, -, .
- Lettres à Nelson Algren (trad. de l'anglais par Sylvie Le Bon), .
- Correspondance croisée avec Jacques-Laurent Bost, .
- Cahiers de jeunesse, 1926-1930, .
- Malentendu à Moscou, Paris, L'Herne, coll. « Carnets », .
- Les inséprables, Paris, L'Herne, coll. « Romans », . ISBN 1031902740
Dossiers de la CIA
Parmi les 2 891 documents dont la déclassification a été autorisée par le président américain Donald Trump le en rapport avec l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy — selon une loi signée en 1992 en réponse à la sortie du film JFK d’Oliver Stone, il aurait dû y en avoir 3 100, mais au dernier moment, sur les conseils de la CIA et du FBI, Trump en a enlevé quelques centaines de la liste[64] — la CIA affirme que dans les années 1960, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Catherine Deneuve auraient financé un « réseau d'activistes » qui « aidait les déserteurs » de la guerre du Vietnam[65].
Selon le rapport de la CIA, la planque se serait situé au no 3, rue Gabrielle Josserand, à Pantin. Les lieux auraient été loués par une association étudiante, Students for a Democratic society, pour héberger des déserteurs et des activistes américains. Un de ces contestataires aurait été Larry Cox, un déserteur ayant refusé d'intégrer l'armée américaine et de partir au Viêt Nam — et devenu quelques années plus tard directeur exécutif d'Amnesty International aux États-Unis.
Le rapport déclassifié, écrit le par Paul K. Chalemsky, alors directeur de l'antenne de la CIA à Paris, précise même les sommes versées par Jean-Paul Sartre (100 $) et Catherine Deneuve (1 500 Francs). Il ne précise pas celles versées par Simone de Beauvoir.
Hommages
- En 2000, une place Jean-Paul-Sartre-et-Simone-de-Beauvoir est inaugurée dans le 6e arrondissement de Paris, à l'intersection du boulevard Saint-Germain, de la rue de Rennes et de la place Saint-Germain-des-Prés[66].
- En 2006 est inaugurée la passerelle Simone-de-Beauvoir, entre les 12e et 13e arrondissements.
- Le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes est créé en 2008.
- En 1991, le cratère vénusien de Beauvoir est nommé en son honneur[67].
- En 1998, un astéroïde est nommé (11385) Beauvoir en son honneur, suivant (11384) Sartre.
- Le La Poste française émet un timbre-poste à son effigie[68].
Notes et références
- Prononciation en français de France retranscrite selon la norme API.
- Acte de naissance (le prénom y est orthographié Simonne), Archives de Paris (p. 15/31).
- Il s'agit de l'adresse mentionnée sur l'acte de naissance.
- Le cours Desir sur Desmoulin.net : « Le cours Desir, du nom d’Adeline Desir, qui le fonda rue Jacob en 1853, était un institut d’enseignement de jeunes filles très connu et apprécié dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. ».
- Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, coll. « Le livre de poche » (no 1315-1316), (1re éd. 1958), 512 p., p. 174.
- « La Banque de la Meuse ["A. et G. Brasseur, Martinois et Cie"] est créée à Verdun en octobre 1878 à la suite de la faillite des frères Pasquin, en tant que société en commandite simple au capital de 400 000 francs […]. Cette banque fera faillite en 1909. »
Dans Antoine-Paul Naegel (Thèse de doctorat), Le département de la Meuse (France) : industrialisation entre 1790 et 1914, Nantes, , 549 p. (lire en ligne), p. 153-154. - Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, « Folio », 2008, p. 55.
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- Mémoires d'une jeune fille rangée, op. cit., p. 259-260.
- Elle n'obtient cependant pas la licence ès lettres mention lettres classiques, ayant renoncé à préparer le certificat de philologie.
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Voir aussi
Bibliographie
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- Annabelle Martin Golay, Beauvoir intime et politique : la fabrique des Mémoires, Presses universitaires du Septentrion, 2013
- Magali Guaresi et alii, « Les réceptions contemporaines de l’œuvre de Simone de Beauvoir en Méditerranée (France, Italie, Espagne, Israël – 1949-2019) », Cahiers Sens public, 2019-3/4, 25-26, I-X
- Marianne Stjepanovic-Pauly, Simone de Beauvoir, le défi d'une femme, éditions du Jasmin, 2008
- Claudine Monteil, Simone de Beauvoir et les femmes aujourd'hui, éditions Odile Jacob,
- Claudine Monteil, Les Amants de la Liberté, Sartre et Beauvoir dans le siècle, Calmann-Lévy, 1999 ; édition poche, Paris, Flammarion, coll. « J'ai Lu », no 6133
- Claudine Monteil, Les Sœurs Beauvoir, Paris, Calmann-Lévy, 2003
- Michel Kail, Simone de Beauvoir philosophe, Paris, PUF, 2006, coll. « Philosophie »
- Éliane Lecarme-Tabone et Jean-Louis Jeannelle, Beauvoir, Paris, Cahier de L'Herne, 2013
- Simone de Beauvoir, « Mémoires d’une jeune fille rangée », dir. Jean-Louis Jeannelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact concours », 2018.
- Catharine Savage Brosman, Simone de Beauvoir Revisited, Twayne, 1991 (ISBN 0-8057-8269-9)
- Marie-Jo Bonnet, Simone de Beauvoir et les femmes, édition Albin Michel, 2015 (ISBN 978-2-7373-7006-9)
- Claire Largillier, Mémoires d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir : ressaisir l'unité du « Moi » dans sa mise en récit., Sciences de l'Homme et Société, (lire en ligne)
- Kate Kirkpatrick, Devenir Beauvoir. La force de la volonté, Flammarion, 2020.
Filmographie
- 2006 : Les Amants du Flore, téléfilm de Ilan Duran Cohen avec Anna Mouglalis dans le rôle de Simone de Beauvoir.
- 2006 : Sartre, l'âge des passions, téléfilm de Claude Goretta en deux épisodes avec Anne Alvaro dans le rôle de Simone de Beauvoir.
- 2007 : Simone de Beauvoir - une femme actuelle, documentaire de Dominique Gros produit par Arte.
- 2013 : L'Écume des jours, film de Michel Gondry ; Marina Rozenman joue « la duchesse de Bovouard ».
- 2013 : Violette, film de Martin Provost ; Sandrine Kiberlain joue Simone de Beauvoir.
Articles connexes
Liens externes
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