Rifains

Les Rifains (berbère : ⵉⵔⵉⴼⵉⵢⵏ, Irifiyen ; arabe marocain : روافة Rwafa ou ريافة, Riafa ; espagnol : Rifeños) sont une ethnie berbère du nord du Maroc.

Rifains

Populations significatives par région
Maroc (Rif)

environ 3 millions[1] ;

1 270 986 (RGPH 2004)[2]
Belgique ≈ 700 000[3]
Pays-Bas ≈ 600 000[4]
France ≈ 300 000
Espagne ≈ 220 000
Allemagne ≈ 65 000
Algérie ≈ 45 000
Suède ≈ 35 000
Norvège ≈ 30 000
Italie ≈ 25 000
Danemark ≈ 20 000
Royaume-Uni ≈ 15 000
Population totale environ 3 millions[1]
Autres
Régions d’origine Rif
Langues Rifain, Arabe marocain
Religions Principalement islam sunnite de rite malékite

Ils peuplent principalement les montagnes et plaines de la partie centrale et orientale des montagnes du Rif, le long de la côte méditerranéenne.

Les Rifains sont près de 3 millions[1]. Leur langue, le rifain, appartient à la famille des parlers berbères zénètes et est parlée au nord-est du Maroc, au nord-ouest de l'Algérie et en Europe parmi la grande diaspora rifaine.

Histoire

Ère pré-islamique

Le Rif est la région nord montagneuse du Maroc, qui s'étend de la péninsule tingitane à la frontière algérienne. La région subit l'influence carthaginoise dès le IIIe siècle av. J.-C., où on voit les Puniques établir des comptoirs sur la côte, aux environs de Rusaddir et sur la partie orientale de la péninsule tingitane.

Les Carthaginois ayant perdu une grande partie de leurs territoires à la suite des guerres puniques, la région fait entièrement partie au Ier siècle av. J.-C., sous Bocchus et Juba II, du royaume de Maurétanie, un état client de Rome.

Au Ier siècle, la région passe sous administration romaine directe et est rattachée à la Maurétanie-Tingitane. Elle voit l'établissement de plusieurs cités romaines tel Rusaddir (Melilla), Aquila (Tétouan) et Aerath (vers Al Hoceima).

Le pouvoir romain affaibli au Ve siècle, la région voit en 429 le débarquement de 80 000 Vandales venus de Bétique. L'Empire romain disparaîtra le siècle suivant et les tentatives des Byzantins de le reconstituer n'auront que peu d'effets sur la Maurétanie-Tingitane, n'arrivant à avoir le contrôle que de la région côtière de la péninsule tingitane.

Ère islamique médiévale

Islamisée au VIIe siècle, la région subit, comme le reste du Maghreb al-Aqsa, la grande révolte berbère en 739/740, à l'issue de laquelle elle devient indépendante du Califat omeyyade.

La partie septentrionale du Rif, autour de la baie d'Al Hoceima, faisant partie depuis 710 de l'Émirat de Nekor, la partie méridionale devient une zone tribale indépendante, réunifiée au reste du Maghreb al-Aqsa seulement à la fin du VIIIe siècle, lors de l’avènement de la dynastie idrisside.

Au Moyen Âge, les habitants du Rif sont divisés selon trois principales confédérations berbères, celles des Ghomara, des Bakkouia et celle des Bettioua, cette dernière représentant la confédération la plus large, dont le territoire s'étend de Nekkor à la Moulouya[5].

Entre le VIIIe siècle et le XIIe siècle, la partie occidentale du Rif (Jbala et Ghomara) devient majoritairement arabophone sous l'influence des voies de communication reliant Fès aux ports méditerranéens et, au-delà, à l'Andalousie[6]. Les parties centrale et orientale, éloignées des voies de communication, demeurent berbérophones. Les Rifains, proprement dits, sont ces dernières peuplades, issues de l'éclatement des confédérations des Bettioua et des Bakkouia, parlant principalement un dialecte zénète.

Au XIe siècle, Abdallah al-Bakri cite nommément les tribus rifaines que sont les Temsamane, les Ibaqouyen, les Gueznaya, les Beni Ouriaghel, les Kebdana, les Marnissa (aujourd'hui faisant partie des Jbalas), les Mestasa et les Aït Itteft.

Au cours de l'histoire, les Rifains sont successivement incorporés aux empires des Almoravides, des Almohades, des Mérinides, des Wattassides, des Saadiens et des Alaouites, bien que gardant une large autonomie par rapport aux pouvoir centraux successifs.

Ère moderne et l'indépendance du Rif

Depuis le Traité de Fès et l'établissement des protectorats français et espagnol sur le Maroc, le Rif fait principalement partie de la zone espagnole tandis que trois tribus rifaines voient leur territoire partagé entre les zones française et espagnole: la majorité du territoire des Igzenayen et la partie sud de celui des Ibdalsen et Ait Bouyahyi se retrouvent sous administration française. Les Béni-Snassen, établis à l'est de la Moulouya, sont intégralement inclus dans la zone française.

Entre 1921 et 1928 se déroule la guerre du Rif, qui voit l'établissement d'un Etat indépendant, la République du Rif, sous l'impulsion d'Abdelkrim El Khattabi, avant que ce dernier ne soit défait et que la région retombe de nouveau, entièrement, sous le contrôle des autorités du Protectorat.

À l'indépendance du Maroc en 1956, le Rif est réunifié au Maroc. Les conditions économiques défavorables poussent plusieurs centaines de milliers de Rifains à l'exode vers les grandes villes du Maroc et vers l'Europe, notamment la Belgique et les Pays-Bas.

Longtemps délaissée par le pouvoir central marocain, la région tend à se développer depuis l'accession au trône du monarque Mohammed VI.

Les Rifains et l'Algérie

Le Rif a été et demeure une région ouverte sur l’Ouest algérien (Oranie)[7] de par la proximité géographique. Ainsi, la population de Beni Snous, et à plus large échelle les descendants des Béni-Snassen de la wilaya de Tlemcen a de grandes affinités, d'un point de vue historique, linguistique et culturel, avec le groupe rifain auquel ils peuvent être rattachés[8], tandis que les Berbères de Bethioua descendent de Rifains ayant migré vers l'Algérie[9].

À partir du début de la période française, de plus en plus de main-d’œuvre berbère venue du Rif s'installe en Algérie, en quête d'opportunités afin d'améliorer leurs conditions de vie, le Rif étant de moins en moins autosuffisant à cause de la surpopulation et des mauvaises récoltes. La conquête française a élargi ces relations en facilitant les moyens de transport[10]. Les Rifains sont réputés en Algérie française pour leurs qualités de cultivateurs à l'époque des moissons et vendanges[10]. Ils formaient ainsi un nombre très important des travailleurs marocains présents sur le sol algérien au lendemain de l'indépendance. Le caractère saisonnier au départ de ce type de migration va évoluer vers une installation plus permanente. Une génération de Rifains naîtra et grandira sur le sol algérien et les mariages marocco-algériens n'étaient pas rares.

En 1975, l'Algérie a décidé d'expulser d'Algérie des membres de la communauté marocaine, dont une grande partie de Rifains, à la suite de la Marche Verte décidée par Hassan II. Ces expulsions seront vécues comme une tragédie pour les populations concernées, des familles furent séparées. Il existe encore aujourd'hui des Rifains en Algérie.

Immigration massive en Europe

Les Rifains ont émigré dans le Benelux et en Andalousie. Un autre groupe a également immigré dans le nord de la France et dans certaines villes françaises du Sud-Ouest, Cette émigration compacte et assez tardive des années 1960 et 1970 ne s'est jamais arrêtée. Elle provient essentiellement des montagnes du Rif et notamment les villes d'Al Hoceïma, Nador, Imzouren, Chefchaouen, Tétouan et Tanger. Après la décolonisation, des dizaines de milliers de Rifains ont perdu leur emploi dans les vignes et les fermes d'Algérie, puis, à partir des années 1970, dans les mines et la sidérurgie européennes. Cette main-d'œuvre s'est reconvertie massivement dans le commerce, formel ou informel, et notamment dans la contrebande de cannabis, qui n'a jamais été véritablement contrôlée en Europe en dépit de tout ce qu'on raconte. Ce trafic a pris une ampleur considérable au vu et au su de tout le monde. L'argent est réinvesti dans des cafés, des petits commerces, dans l'immobilier au Maroc et, pour les plus riches, dans l'économie de la Costa del Sol, en Espagne. La diaspora rifaine a ainsi essaimé son système économique dans toute l'Europe. Lors des années 1960, la Belgique et les Pays-Bas, qui n’ont aucun passé colonial arabo-berbère, accueillent une immigration rifaine massive pour travailler dans les mines et la sidérurgie de Wallonie, puis dans les Flandres et aux Pays-Bas en plein boom économique[11].

Culture

Langue

Extension géographiques des dialectes du rifain

Les Rifains parlent principalement une variante zénète du berbère : le rifain, qu'ils nomment eux-mêmes tmazight ou encore tarifecht ou tarifit. La dénomination Rif est parfois utilisée pour désigner cette langue mais celle-ci est impropre car elle désigne seulement la région et non la langue ni les habitants. Certaines tribus sont devenues partiellement ou totalement arabophones à la suite d'un processus d'arabisation, principalement celles établies à l'ouest du Rif, au contact des Ghomaras arabophones.

Les Rifains habitant un territoire peu traversé par les voies de communication, ils n'ont pas été influencés par la langue arabe et ont ainsi pu préserver leur parler, tout en adoptant un certain nombre d'arabismes et d'emprunts à l'espagnol (et dans une moindre mesure au français).

L'arabe dialectal marocain sert de lingua franca tandis que l'espagnol et le français sont parlés comme seconde ou troisième langue. Le néerlandais et l'allemand sont également parlés par les Rifains de la diaspora.

Folklore

La culture rifaine est une composante de la culture amazighe, (nord)africaine et méditerranéenne. La spécificité linguistique de la région s'illustre notamment par sa musique et son folklore.

Le folklore rifain s'apparente à celui du reste de l'Afrique du nord (Tamazgha) : on y chante des poèmes traditionnelles appelés izrane, on suit les rites agraires liés à l'agriculture, ainsi yennayer est la fête qui entame la nouvelle année du calendrier berbère.

Le mariage rifain met en lumière plusieurs caractéristiques propres à la région comme la tradition de l'Araziq (chants, glorifications religieuses et rituels exécutés par un groupe d'hommes autour du marié) accompagnée des Asriwriw (youyous) des femmes au lointain, le jour de la cérémonie du henné; ainsi que d'autres spécificités.

Poésie

Les izran (pluriel d'izri) sont des poèmes traditionnels rifains, chantés lors de diverses occasions. Cette tradition très répandue dans le Rif était considérée comme un élément phare de la poésie berbère.

Typiquement, les izrane sont des louanges, des récits amoureux, des déclarations sentimentales ou plus généralement des révélateurs des états d'âme de leurs interprètes, que tant hommes que femmes chantent et dansent lors des mariages et autres événements. Ils servent souvent à donner la réplique à l'interlocuteur.

Il existe un chant typique aux rifains, très souvent repris dans les izrane: Ralla Buya (Lalla Bouya), qui semblerait être un chant d'éloge à une femme: Bouya, dont l'identité reste mystérieuse, certains affirmant qu'il s'agit d'une ancienne reine berbère à la beauté et la générosité extraordinaire, d'autres étant persuadés qu'il s'agit d'une simple légende. Ce chant est une marque de l'identité rifaine, utilisé par toutes les tribus ressentant ce sentiment d'appartenance, il s'est également aujourd'hui popularisé dans le reste du Maroc et est repris par de nombreux chanteurs rendant hommage à la culture rifaine.

Des confrontations poétiques avaient lieu entre les jeunes filles des différents clans où chacune pouvait exprimer ses états d'âme en démontrant son inspiration artistique.

Les izrane étaient également utilisés comme source de motivation pour les combattants notamment lors des combats de résistance coloniaux.

Musique

La musique joue un rôle très important dans le folklore du Rif. D'un côté, la région a fourni un grand nombre de chanteurs et interprètes de la musique amazighe dans différents styles musicaux.

Plus spécifiquement, Imdiazen est une danse folklorique d'origine guerrière pratiquée par les tribus Zénètes du Maroc Oriental, dont font aussi partie les Rifains. Elle a donné le genre musical moderne connu sous le nom de reggada.

Les guerriers rifains dansaient en signe de victoire sur l'ennemi, d'où l'usage du fusil ou du bâton. Les frappes de pieds au sol se font au rythme de la musique symbolisant l'appartenance à la terre du Rif et la fierté des guerriers. Cette danse est partagée avec tout l'Oriental d'où la dénomination plus récente en Areggada/Reggada, lors de sa montée en popularité dans les années 1990. Les instruments zénètes tels que la gasba (tamja en rifain) et le galal (aqadjar en rifain) y sont typiquement utilisés ainsi que le bendir (adjoun en rifain). Le Zamar, à la base instrument typiquement rifain est aussi largement utilisé dans la région de Nador et Berkane, ainsi qu'à Msirda en Algérie.

Démographie

Composition tribale

Carte de localisation des tribus rifaines

Traditionnellement, le Rif oriental est une région tribale, composée d'une vingtaine de tribus[12], elles-mêmes composées de plusieurs fractions et clans:

Un groupement de six tribus d'origine sanhaja, établies à l'ouest du bloc berbérophone zénète, se revendique rifain bien qu'elles soient majoritairement arabophones[14]. Les cinq tribus de ce groupement sont :

  • les Aït Itteft, établis au sud de Badis ;
  • les Aït Boufrah, établis autour de la commune de Khmis Bni Boufrah ;
  • les Aït Gmil, établis sur un territoire parsemé de hameaux au nord-ouest de Targuist, enclavé entre ceux des Mestasa, des Sanhaja des Srayr, des Metioua et des Aït Boufrah ;
  • les Mestasa, établis aux environs de Medcher Taghzout, au nord des Beni Gmil ;
  • les Metioua, établis sur le territoire compris entre Issaguen et le littoral ;
  • les Targuist, établis aux environs de la commune de Targuist.

Les Aït Iznassen, confédération de quatre tribus de langue et de culture zénètes établies aux environs de la ville de Berkane, soit sur la rive droite de la Moulouya à proximité du Rif, sont souvent rattachés au groupe rifain, sans que cela ne fasse consensus. Les quatre tribus composant cette confédération sont, d'ouest en est :

  • les Aït Ourimech ;
  • les Aït Atiq ;
  • les Aït Mankouch ;
  • les Aït Khaled.

Un petit ensemble de quatre tribus arabes, dit « Arabes de la Triffa », est également établi sur le territoire des Aït Iznassen, sans faire partie de la confédération tribale.

Religion

À l'instar du reste du Maghreb al-Aqsa, le Rif est islamisé à la suite de la conquête musulmane au VIIe siècle. Les Rifains adoptent l'islam sunnite, de rite Malékite, notamment durant l'élèvement de l'émirat de Nekor, fondé en 711 et demeuré étranger aux bouleversements ayant touché le Maghreb pendant la première moitié du VIIIe siècle, tel la Révolte berbère et l'émergence du Kharidjisme. Toutefois, tout comme une grande partie des peuples islamisés, les Rifains conservent certaines particularités culturelles préislamiques tel les tatouages berbères, la superstition et la structure tribale de la société.

Rifains célèbres

Personnalités politiques

Sportifs

Comédiens et acteurs

Écrivains

  • Mohamed Choukri, né le à Beni Chiker et mort le à Rabat, est l'un des plus célèbres écrivains berbères dans le monde. Francophone et Arabophone, il n'apprendra à lire et écrire qu'à l'âge de 20 ans, fuyant la misère pour s'installer à Tanger après un passage par Tétouan et Oran.
  • Abdelkader Benali, né le à Ighazzazen, est l'un des écrivains les plus prestigieux des Pays-Bas. Il émigre à Rotterdam à l'âge de quatre ans.

Chanteurs

Autres

Références

  1. (en) « LE RIFAIN OU TARIFIT (Maroc) » (consulté le )
  2. « Recensement général de la population et de l'habitat 2004 » (consulté le )
  3. Nicolas Truong, « Au cœur des réseaux djihadistes européens, le passé douloureux du Rif marocain », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  4. Sietske de Boer, « De Nederlandse Rif », sur groene.nl, De Groene Amsterdammer, (consulté le ).
  5. Abd El-Haq El Badisi, « El Maqsad, livre des Saints du Rif »
  6. J. Aguadé et al., Peuplement et arabisation au Maghreb occidental: dialectologie et histoire, Casa de Velázquez, 1998 (ISBN 9788486839857)
  7. « Le Rif terre de l’émigration : aux origines du mouvement migratoire dans le Rif », sur www.arrif.com
  8. S. Chaker, Le dialecte berbère des Beni Snous (Algérie), INALCO
  9. Emile Janier Les Bettiwa de Saint Leu - Revue Africaine 1945, pp. 238-241, Lire en ligne
  10. http://tamsamane.free.fr/emigration.htm
  11. https://www.carhop.be/images/Immigration_marocaine_F.LORIAUX-2005.pdf
  12. selon A. Zouggari & J. Vignet-Zunz, Jbala : histoire et société, dans Sciences humaines, (1991) (ISBN 2-222-04574-6)
  13. H. Al Figuigui, « Guelaya ou Qelaya », dans: Encyclopédie berbère, 21, Edisud (1999)
  14. J. Vignet-Zunz, « Jbala : identités et frontières », dans: La région du Nord-Ouest marocain: Parlers et practiques sociales et culturelles, Prensas de la Universidad de Zaragoza (2017), p. 20

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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