Dogmes chrétiens

Dans le christianisme, un dogme est une expression de la foi proclamée solennellement par l’Église.

Pour certains chrétiens, les seules instances qui peuvent proclamer un dogme sont les conciles. Pour les catholiques, un concile avec le pape, ou le pape seul, ont également ce pouvoir.

Statut du dogme

Pour tous les chrétiens, la révélation est complètement et définitivement donnée en Jésus Christ. Cependant, c’est le rôle de l’Église de transmettre cette révélation et d’en approfondir la compréhension au cours des âges, avec l’assistance de l’Esprit-Saint. C'est l’ensemble de cette transmission-approfondissement du message évangélique qui constitue la Tradition, fondée sur la succession apostolique.

C'est ainsi que les catholiques considèrent les dogmes comme des expressions de la foi déjà implicitement incluses dans la révélation divine, et qui sont simplement explicités par l'Église[1].

Formation des dogmes

Les questions précises relatives à l'élaboration d'une doctrine du Christ ont commencé à se poser très tôt (IIe siècle). C'est ainsi que se définissent, par opposition l'une à l'autre, les « hérésies » et l’« orthodoxie »[2], comme en témoignent, par exemple, les écrits apologétiques d’Hilaire de Poitiers contre les hérétiques[3].

En effet, si la première tradition est orale, la reconnaissance de la canonicité de ce qui constituera le Nouveau Testament mit un certain temps à être fixée. Ces écrits eux-mêmes n'ont pas été rédigés comme des ouvrages de référence dogmatiques.

De ce fait, comme dans toutes les religions, des interprétations multiples ont commencé à se répandre. La plus répandue étant les gnoses dont les évêques de Constantinople et d'Antioche considéraient qu'elles sapaient les fondements mêmes de la foi chrétienne. Se considérant dépositaires du seul message chrétien authentique, ils s'investirent de la mission de le propager et de l'autorité d'en préciser des points si nécessaire.

C'est au cours du IVe siècle que débute la succession des conciles élaborant la dogmatique, particulièrement la christologie. Plutôt que de trouver un consensus entre les cinq patriarcats, égaux et indépendants à l'époque, les conciles agissent comme des tribunaux et chacun d'eux donna lieu à un schisme. Toutefois, jusqu'en 1054, ces schismes ne séparaient que des communautés de croyants (appelées « sectes » c'est-à-dire « coupées »), mais non les patriarcats (Jérusalem, Alexandrie, Rome, Antioche et Constantinople), qui eux, restèrent dans l’« orthodoxie »[2].

Les premiers schismes sont issus de la multiplication des débats christologiques entre Antioche, Alexandrie et Constantinople. Le présupposé herméneutique qui se fait jour à cette époque est la nécessité de définir ce qu'il faut croire. Dès leur condamnation, les écoles minoritaires — arienne, nestorienne et monophysite — seront déclarées hérétiques avec le sens péjoratif qui persiste de nos jours.

Comme l'explique Marie-Emile Boismard o.p., une formulation des divers dogmes destinée au croyant se retrouve alors dans les confessions de foi qui représentent une conception « hellénistique » de la religion :

« Croire que les dogmes étaient présents à l'origine relève de la mentalité moderne. On a toujours tendance à analyser les textes du Nouveau Testament pour y retrouver la foi de l'Église actuelle. Dans le monde sémitique, la foi est avant tout l'engagement d'une personne vis-à-vis de Dieu. Quand on passe dans le monde grec, elle se transforme : au lieu d'être une adhésion à une personne, elle devient adhésion à des vérités, à des dogmes.
Elle « s'intellectualise ». Pour beaucoup de gens, est chrétien celui qui va adhérer à un « credo »[4].

Lucien Jerphagnon estime que la crise arienne change tout. Auparavant, les conciles sont locaux : ce sont des tribunaux où l'on juge les minoritaires, tel celui de Hierapolis qui avait exclu Montan en 175. Avec la crise arienne au lieu d'être local (assorti de conséquences locales) le concile, par la volonté de l'empereur, devient œcuménique et les conséquences s'étendent à tout l'empire. La seule issue pour l'hérétique condamné est alors l'exil[5].

Dogmes orthodoxes et catholiques

Dès le troisième concile, la promulgation de dogmes entraîna des schismes, privant la foi chrétienne de ce caractère de « catholicité » qui, en grec, signifie « universalité », et relativisant la notion d’« orthodoxie », qui en grec signifie « juste foi ».

La question de l'œcuménisme

C’est pourquoi il est impossible de parler de conciles œcuméniques ou de dogmes œcuméniques. Dans l’antiquité gréco-romaine, oikoumênê désigne la « Terre habitée » : l’œcuménicité d’un concile ne saurait être affirmée qu’a posteriori, lorsque des années ou des siècles plus tard, les Églises proclament leur adhésion au concile en question[6]. D’autant qu’en 1054, pour des raisons d’ailleurs plus géopolitiques que doctrinales, l’Église d’Occident, dirigée par l’évêque et pontife de Rome, le « Primus inter pares » (« premier parmi ses pairs » : le pape), quitte la Pentarchie (qui devient dès lors une « tétrarchie ») et depuis lors cette Église a réuni 14 conciles qui lui sont propres, à l’origine d’importantes innovations tant doctrinales que canoniques  : Filioque, purgatoire, primauté de Pierre, autorité temporelle des papes, célibat des prêtres, inquisition entre autres. Le nombre des conciles dits « œcuméniques » varie donc selon les diverses Églises : les Églises orthodoxes en comptent sept, de Nicée à Nicée II en 787, d’où l’appellation d’Églises des sept conciles. Des Églises d’Orient comme l’arménienne ou la copte en reconnaissent trois (excluant celui de Chalcédoine, d’où les appellations d’Églises des trois conciles), tandis qu’en ajoutant ses 14 conciles propres aux 7 premiers, l’Église catholique compte pour sa part vingt et un conciles.

Les historiens qui ne suivent pas le point de vue de l’Église catholique, comme Walter Bauer ou Adolf von Harnack, considèrent qu’il n’existait pas d’unité doctrinale dans le christianisme ancien (organisé en Pentarchie avant 1054, ce que la papauté ne reconnaît pas) et que considérer différentes confessions chrétiennes (les ariens ou les nestoriens) comme des « hérétiques » et les opposer soit aux « catholiques », soit aux « orthodoxes » est un anachronisme, car cela suppose que l’une de ces Églises (celle qui est citée) est l’unique continuatrice de l’Église du IVe siècle. L’emploi d’un seul de ces termes rejette l’autre, ainsi que les anglicans et les protestants, dans la même « illégitimité hérétique »[7],[8],[9],[10]

Dogmes des sept premiers conciles

Le développement historique des principales églises en rapport avec les différents conciles selon Walter Bauer[11] et Adolf von Harnack[12] : dans ce diagramme la position des branches n'a pas de signification autre que chronologique et démographique approximative.
L'histoire du christianisme selon le dogme catholique : dans ce diagramme l’apôtre Pierre est désigné comme le premier Pape, l’Église catholique romaine est représentée comme l’unique continuation actuelle de l’Église primitive, et toutes les autres confessions chrétiennes apparaissent comme des déviations. C’est le point de vue de sources comme Michel Le Quien[13] ou Charles George Herbermann[14] qui utilisent le mot « catholique » pour désigner l’ensemble de l’Église du premier millénaire.
  1. 325 : Premier concile de Nicée - Fils « vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père » (empereur Constantin Ier, Ossius de Cordoue contre Eusèbe de Césarée et Arius).
  2. 381 : premier concile de Constantinople - « Saint-Esprit consubstantiel au Père » - Credo de Nicée-Constantinople (empereur Théodose Ier, Grégoire de Nazianze contre Démophile).
  3. 431 : Concile d'Éphèse - Marie, Mère de Dieu (théotokos) (Cyrille d'Alexandrie contre Nestorius).
    Les conclusions de ce concile provoquent la scission avec les Églises des deux conciles
    En 449 se déroule le Deuxième concile d'Éphèse, un concile oriental qui décide le monoénergisme. Ce concile n'est pas reconnu par les autres Églises.
  4. 451 : Concile de Chalcédoine - « La double nature de Jésus » c'est-à-dire deux natures séparées unies en une personne (pape Léon et empereur Marcien, contre Eutychès et Dioscore d'Alexandrie)
    Les conclusions de ce concile provoquent la scission avec les Églises des trois conciles
  5. 553 : deuxième concile de Constantinople
  6. 680 : troisième concile de Constantinople
  7. 786 : Concile de Nicée II - Légitimité du culte des icônes (Théodore Studite, patriarche Nicéphore)

À partir de 1054, la rupture est progressivement consommée entre catholiques (dits « latins ») et orthodoxes (dits « grecs »). Des anathèmes mutuels provoquent la rupture de la Pentarchie, mais ce sont les innovations doctrinales divergentes des conciles ultérieurs qui rendent cette rupture définitive.

Dogmes proprement catholiques

Dogmes mariaux

Un dogme marial est une profession de foi établie par les Églises catholique et orthodoxes concernant la Vierge Marie. Sur les quatre dogmes actuellement définis, les deux plus anciens (431 et 649, qui en font la « mère de Dieu » et une vierge) sont partagés par les deux Églises, tandis que les deux plus récents (1854 et 1950, qui en font un être exempt de péché originel, élevé au ciel « corps et âme »), ne sont professés que par l’Église catholique.

Doctrines protestantes

Pour André Gounelle, les protestants n’ont pas de dogme à proprement parler, mais des doctrines et des principes. Le dogme ayant « le statut d’une vérité révélée ou, en tout cas, d’une formule qui exprime parfaitement le contenu de la révélation », il est donc intangible, intouchable et irréformable. C’est pourquoi le mot « dogmatisme » caractérise celui qui est certain de détenir la vérité et qui se refuse à discuter, à mettre en question ses opinions et à les modifier après réflexion ou en fonction de l’expérience. Or, au contraire du catholicisme, prisonnier des décisions des conciles ou des papes du passé, le protestantisme estime révisables, réformables tous ses enseignements. André Gounelle cite en exemple la notion de trinité, dogme pour le catholicisme, et doctrine pour les protestants, que beaucoup de protestants considèrent comme une bonne explication de l’être de Dieu, qui rend compte de manière juste du message biblique. D’autres protestants, par exemple les unitariens et les libéraux, la critiquent et cherchent de meilleures formulations[15].

L’expression commune de la foi d’une union d’Églises protestantes s’exprime en général dans une confession de foi commune. Par exemple, parmi les confessions de foi adoptés par les réformées, les plus connues sont la confession de La Rochelle, la confession de foi de 1873 qui ouvre un schisme entre « libéraux » et « réguliers » dans les Églises réformées en France, et la Déclaration de foi de l'Église réformée de France de 1936, sur laquelle les réformés français ont en partie restauré leur unité en 1938.

Notes et références

  1. Charles Morerod, o.p., Dogme et œcuménisme in Nova et Vetera
  2. Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) (rééd.); Traduction originale en anglais (1934) en ligne
  3. Depuis Walter Bauer, déjà cité and Heresy in Earliest Christianity, on sait que les hérésies, ou école de pensées, étaient premières en un temps où la règle herméneutique la plus fréquente était plus c'est ancien, plus c'est authentique. Elles correspondaient à la fois au mode de transmission pharisien, groupe religieux dont les membres se réunissaient autour d'un maître, et au mode de transmission hellénistique, groupe philosophique dont les membres se réunissaient autour d'un maître.
  4. Le Monde de la Bible, juillet-août 1998
  5. « Arius sème la zizanie », art. Les hérétiques, in : Historia, n° thématique, mars-avril 2003.
  6. Michel Grandjean, Histoire du christianisme, Faculté autonome de théologie protestante, Université de Genève, cours n°4, janvier 2001 résumé en ligne
  7. Cf. le paragraphe « Arius sème la zizanie » de l’article Les hérétiques du n° thématique de mars-avril 2003 de la revue Historia, dont les titres épousent ainsi le point de vue catholique.
  8. Adolf von Harnack, Histoire des dogmes, éd. Cerf, coll. Patrimoines, Paris 1993, (ISBN 9782204049566)).
  9. Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) Traduction originale en anglais (1934)
  10. Mircea Eliade, De Mahomet à l'âge des Réformes : histoire des croyances et des idées religieuses, Tome 3, Payot, « Bibliothèque historique », Paris, 1989, (ISBN 2-228-88160-0)
  11. Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) (rééd.); Traduction originale en anglais (1934) en ligne
  12. Adolf von Harnack (trad. Eugène Choisy, postface Kurt Kowak), Histoire des dogmes, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines. Christianisme », , 2e éd., 495 p. (ISBN 978-2-204-04956-6, OCLC 409065439, notice BnF no FRBNF35616019)
  13. Michel Le Quien, Oriens Christianus
  14. Charles George Herbermann, Encyclopédie catholique
  15. « Doctrines, dogmes et principes », sur le site théologique d'André Gounelle (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • H. Denzinger et A. Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, Definitionum et Declarationum de Rebus Fidei et Morum, Editio XXXVI emendata, Romæ, 1976.
  • Claude Tresmontant, Introduction à la théologie chrétienne (1967, Paris, le Seuil)
  • Bernard Sesboué s.j., Histoire des dogmes, Paris, Desclée, 4 volumes (1994-1996) d'environ 600 pages chacun.
  • Marie-Émile Boismard o.p., À l'aube du christianisme. Avant la naissance des dogmes, Paris, Cerf, 1998.
  • Le Catéchisme de l'Église catholique (1998)
  • Le Catéchisme hollandais (édition de 1967)
  • Le Catéchisme progressif de Monsieur Colomb
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