Dogme

Un dogme (du grec δόγμα dogma : « opinion » ou δοκέω dokéô : « paraître, penser, croire »[1]) est une affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible formulée par une autorité politique, philosophique ou religieuse. Historiquement, le dogme a été une formulation d'un article de foi, utilisé lorsque le critère de conformité à la foi devait être utilisé par le pouvoir judiciaire, lorsque le pouvoir temporel (historiquement, l'Empire romain d'Orient) sanctionnait pénalement les déviations par rapport à l'orthodoxie[note 1].

Un système de dogmes cohérents, ou en apparence cohérents, forme une idéologie.

Définition

Dans son sens propre, le mot « dogme »[2] est d'origine philosophique avant de devenir religieux avec le christianisme.[réf. nécessaire].

Certaines croyances non religieuses sont souvent appelées « dogmes », notamment en politique ou en philosophie.

Il est utilisé par analogie dans d'autres domaines :

Le concept de « dogme » est souvent utilisé avec une intention critique ou polémique pour qualifier des affirmations présentées comme incontestables mais qui ne sont pourtant fondées ni par une croyance religieuse ni par une démonstration rationnelle. Dans la mesure où un « dogme » ne peut avoir de justification que religieuse, il est illégitime dans un discours rationnel (notamment scientifique), où il est en outre considéré comme une manifestation de rigidité intellectuelle et d'intolérance[réf. nécessaire]. Le mot « dogme » et ses dérivés prennent donc un sens péjoratif quand ils sont employés hors du contexte religieux.

Malgré certains points communs, un dogme n'est pas assimilable à un axiome. Comme le « dogme », l'« axiome » est une vérité admise bien qu'elle ne soit pas rationnellement démontrable. Cependant, l'établissement d'un axiome résulte d'un choix délibéré et sa validité n'est réputée indiscutable que dans le cadre d'une théorie tandis que le dogme est considéré comme une vérité absolue s'imposant a priori.

Nature juridique

Le dogme est directement lié à la notion d'autorité, selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande (PUF) :

  • par son origine étymologique : « décision politique d'un souverain ou d'une assemblée » ;
  • par son sens philosophique : « opinion philosophique reconnue dans une école » qui peut être interprété comme une opinion admise entre personnes qui adhèrent à la même autorité produisant la même doctrine ;
  • par son sens théologique : « doctrine reconnue par l'autorité d'une Église »

Par la définition de la « foi droite » (l'orthodoxie), le dogme définit en contrechamp l'hérésie qui professe une opinion différente sur un point discuté du point de vue de l'autorité qui le promulgue. Les conciles des premiers siècles statuèrent dans ce cadre sur des questions de christologie.

La nature juridique du dogme remonte à la crise arienne[3]. Auparavant, les conciles sont locaux : ce sont des tribunaux où l'on juge les minoritaires, tel celui de Hiérapolis qui avait exclu Montan en 175. Avec la crise arienne au lieu d'être local (assorti de conséquences locales) le concile, par la volonté de l'empereur, devient « œcuménique » et les conséquences s'étendent à tout l'Empire. La seule issue pour l'hérétique condamné est alors l'exil.

L'émergence du christianisme comme religion officielle de l'État entraîna parfois une double confusion :

  • Confusion entre religion et ordre social : dans une société où la religion est un élément fondateur, une hérésie constitue une remise en cause de l'ordre social. Ceci conduisit à l'utilisation du dogme à des fins judiciaires, et à une répression de l'opinion schismatique ;
  • Confusion entre dogme et foi : le combat contre l'hérésie conduisit à exiger de chacun qu'il énonce publiquement les dogmes de la Foi pour prouver son orthodoxie (ce qui est à l'origine de l'introduction du Credo dans la messe), faisant de la récitation du dogme un critère explicite de la foi.

Dogmes chrétiens

Dans le catholicisme

La Transfiguration. Pologne, fin XIVe / début XVe siècle.
L'image de l'amande, dont il faut casser l'écorce pour trouver la substance nourrissante, se retrouve dans l'art : c'est à cause de cette symbolique que, dans les icônes, le Christ est parfois représenté au centre d'une figure en forme d'amande.

Dans le catholicisme, la compréhension d'un dogme s'appuie sur un parcours initiatique, qui demande un travail personnel et du temps. C'est l'enseignement réaffirmé par le concile de Vatican II : un dogme n'est pas un énoncé arbitraire, mais quelque chose qui doit trouver un écho dans la vie personnelle du fidèle[4].

Celui qui y réfléchit par lui-même, et compare le résultat à ce qu'on lui a dit, finit par reconnaître le concept qui se cachait sous les mots. C'est un symbole, au sens étymologique : le dogme tient de la formule de reconnaissance, il indique à celui qui n'a pas encore franchi l'étape initiatique qu'il y a quelque chose au-delà, et il permet à celui qui l'a franchie de savoir qu'il a passé la bonne porte. C'est ainsi que le comprend Augustin d'Hippone[5].

Pour un catéchumène, et même pour le chrétien confirmé qui poursuit l'approfondissement de sa foi, la question n'est pas de savoir si ce qu'énonce un dogme est vrai ou non (on ne peut en discuter qu'après avoir franchi l'étape correspondante), mais s'il a compris ou non ce qu'il signifie. Chacun progresse à son rythme dans la compréhension de la foi. Il est normal et respectable de ne pas comprendre tel ou tel enseignement, et de se poser des questions sur sa signification.

Dans cette progression, la compréhension personnelle est essentielle ; l'enseignement ne peut pas s'y substituer. Cette compréhension personnelle, à son tour, ne s'appuie pas sur les seules facultés intellectuelles de l'homme ; la tradition catholique retient que dans le domaine spirituel, cette compréhension n'est possible que sous l'action de l'Esprit-Saint[6].

Dans l'Église orthodoxe

Pour l'Église orthodoxe, seuls les dogmes adoptés par les sept premiers conciles sont « orthodoxes », qui en grec signifie « juste foi », et se définissent par opposition aux schismes, qui en grec signifient « séparations »[7].

Les dogmes des « sept conciles », acceptés tant par les orthodoxes que par les catholiques, sont les suivants :

  1. 325 : premier concile de Nicée - Fils « vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père » (empereur Constantin Ier, Ossius de Cordoue contre Eusèbe de Césarée et Arius).
  2. 381 : premier concile de Constantinople - « Saint-esprit consubstantiel au Père » - Credo de Nicée-Constantinople (empereur Théodose Ier, Grégoire de Nazianze contre Démophile).
    Les conclusions de ce concile provoquent la scission avec les Églises des deux conciles
  3. 431 : concile d'Éphèse - « Marie, Mère de Dieu » (théotokos) (Cyrille d'Alexandrie contre Nestorius).
    Les conclusions de ce concile provoquent la scission avec les Églises des trois conciles
    En 449 se déroule le Deuxième concile d'Éphèse, un concile oriental qui décide le monoénergisme. Ce concile n'est reconnu que par les Églises des sept conciles
  4. 451 : concile de Chalcédoine - « La double nature de Jésus » c'est-à-dire deux natures en une personne (pape Léon - empereur Marcien contre Eutychès - Dioscore d'Alexandrie)
  5. 553 : deuxième concile de Constantinople
  6. 680 : troisième concile de Constantinople
  7. 786 : concile de Nicée II - Légitimité du culte des icônes (Théodore Studite, patriarche Nicéphore).

Depuis le schisme de 1054, pour des raisons plus géopolitiques que doctrinales, l’Église d’Occident, dirigée par l’évêque et pontife de Rome, le Primus inter pares premier parmi ses pairs » : le pape), et la pentarchie orthodoxe se séparent. Depuis lors, cette Église d’Occident, devenue « Église catholique » a réuni 14 conciles qui lui sont propres (donc 21 en tout), dont les innovations tant doctrinales que canoniques ont creusé l'écart avec la communion orthodoxe, du moins jusqu'à Vatican II. À partir de ce concile, les Églises catholique et orthodoxe ont entamé un important processus de dialogue et de rapprochement.

Points communs

Pour les Églises issues de la Réforme, qui reconnaissent pleinement l'autorité des quatre premiers conciles œcuméniques :

Spécificités des diverses églises protestantes

Les églises protestantes sont diverses car aucun magistère n’a compétence universelle à interpréter de façon exclusive ou définitive, le texte biblique :

  • Dans la formation des pasteurs réformés, les sommes « dogmatiques » des théologiens du XXe siècle Karl Barth et Emil Brunner servent de base à l'étude des dogmes.
  • Dans les églises évangéliques, on affirme l'inerrance biblique, c'est-à-dire l'inspiration littérale de la Bible : ce sont les Églises « inerrantistes ».
  • Par ailleurs, même au sein d'une même confession, les dogmes ne sont plus reçus uniformément de la même manière qu'autrefois, malgré la définition originale de la dogmatique[8].

Dogme en Islam

Plusieurs hadiths appuient la définition de la foi musulmane en six axiomes[9] :

  • Il y a existence et l'unicité de Dieu (Allah).
  • Il y a existence des anges.
  • Il y a existence des prophètes : Mahomet étant le dernier d'entre eux, Jésus l'avant-dernier, et Moïse, David, Salomon, Abraham, Noé et beaucoup d’autres furent envoyés avant eux à leurs peuples.
  • Il y a existence de livres envoyés sur Terre dont Dieu est l’auteur : la Torah (al-Tawrâ) a été révélée à Moïse (Mūsā) en premier, l’Évangile (ʾInjīl) révélé à Jésus (ʿĪsā)[10] et enfin, le Coran (al-Qurʾān) a été révélé à Mahomet.
  • Il y a existence du Jour du jugement dernier : en ce jour, l'humanité sera divisée en deux groupes : celui du Paradis et celui de l'Enfer. Ces groupes sont eux-mêmes formés de sous-groupes (de mérite/démérite).
  • Il y a existence du destin, qu'il implique un bien ou un mal.

Le Coran affirme que la révélation a été « falsifiée » par les juifs et les « nasara » — un terme débattu qui désigne tout ou partie des chrétiens — c'est-à-dire « ignorée, mal interprétée, oubliée ou interdite » mais ni réécrite, détruite ou remplacée par de fausses écritures[11].

Philosophie

Histoire du dogmatisme

Le dogmatisme est une philosophie de la connaissance qui considère que l'homme a la possibilité d'atteindre une vérité absolue au moyen de la raison, même dans les recherches métaphysiques. Avec des nuances importantes, elle fait le fond des doctrines de Platon, Aristote, Pascal des stoïciens et des néo-platoniciens. Au contraire, les dogmes sont rejetés par des écoles philosophiques comme le rationalisme et le scepticisme et une religion d'origine indienne comme le jaïnisme[12].

Plus tard, elle se retrouve chez Descartes, Leibniz et Spinoza. Dans l'histoire de la philosophie, il s'oppose d'ordinaire au scepticisme. Pourtant, dès l'Antiquité, une solution intermédiaire qu'on appelle le probabilisme, a été proposée par Carnéade.

Le débat de la connaissance est encore entre le dogmatisme, le scepticisme et le probabilisme. Sous l'influence de la critique de Kant (qui d'ailleurs a dit avoir été réveillé de son « sommeil dogmatique » par David Hume) et du positivisme, bien des penseurs contestent effectivement la valeur absolue des métaphysiques « rationnelles », mais croient possible de réaliser une approximation croissante de la vérité, même dans la métaphysique.

Du point de vue des sciences religieuses

Dans le tableau qui suit, on utilise la distinction établie par Louis-Auguste Sabatier (théologien protestant français) entre « religions d'autorité » et « religion de l'esprit », soit du libre examen, soit les orthopraxies. En effet, toutes les religions n'ont pas de dogmes (doctrines attirant une adhésion plus ou moins obligatoire) ; c'est une spécialité chrétienne. Dans les confessions chrétiennes où le dogme est « obligatoire », la foi est confondue avec les croyances. Dans les autres confessions et plus largement les autres religions abrahamiques, la foi est réputée venir de Dieu ou des dieux et n'a pas de lien avec les croyances.

Religions d'autorité Religions du libre examen
Quel est le rôle du dogme ?
Le dogme est un énoncé de la foi qui ne peut être remis en cause. Un (et non pas le) dogme est une parole provisoire pour exprimer une vérité indicible.
Il est défini par un concile, ou par un pape (depuis le XIXe siècle) agissant (selon la foi catholique) sous « l'inspiration du Saint-Esprit ». Il n'est pas défini, car comment peut-on définir (définitivement i.e. poser des fines, c'est-à-dire des limites) Dieu ? Mais il est exprimé par les croyants pour mettre en commun leur expérience de Dieu.
Il permet d'énoncer clairement la foi de l'Église sans compromission. Le « dogme » permet de balbutier une parole hésitante dans la langue d'une époque et la culture d'un lieu.
Il clôt une réflexion sur une question donnée, ou sur des hérésies conçues comme erreur de la foi. Il initie une discussion sur l'expression osée par des humains, ce qui permettra à tous d'approfondir la pensée pour rebondir ultérieurement sur une autre formulation d'une vérité en devenir.
Quelle est son « utilité » ?
Il permet d'affirmer une même foi. Il permet de progresser vers une compréhension commune d'une foi multiple

Critique

La science n'admet aucun dogme, du fait que toute théorie scientifique est :

  • d'une part sujette à la critique et à la modification, les axiomes de départ pouvant être remis en cause ;
  • d'autre part doit s'inspirer exclusivement de faits observés et vérifiables : c'est l'interprétation de ces faits qui peut être sujette à caution, mais non les découvertes, les mesures et les vérifications.

Le dogmatisme religieux fut vivement critiqué par les scientifiques et les philosophes des Lumières, particulièrement à cause de l'attitude de certains théologiens au XVIIe siècle au sujet de l'affaire Galilée et de sa condamnation pour le « dialogue sur les deux grands systèmes du monde » (1633). La révolution copernicienne s'effectua du XVIe siècle au XVIIIe siècle en réaction à l'obscurantisme. Les philosophes des Lumières, en particulier Rousseau dans le Contrat social aboutissent au système d'équations suivant :

Église → hétéronomie
État → autonomie

Marcel Gauchet fait observer que « la révolution est amenée à refaire pour son compte le chemin de pensée conduisant de la subordination politique de la religion à l’affirmation métaphysique de l’autonomie[13]. » tandis que Stephen Jay Gould écrit dans ses articles du périodique scientifique américain Natural History que « les dogmes sont immuables et porteurs d'émotions, comme l'est une partition de musique, alors que la science est évolutive et porteuse de connaissances, comme l'est un traité d'architecture : vous ne construirez pas plus d'immeuble en lisant une sonate de Bach, que vous ne jouerez du Bach en lisant un traité d'architecture, or c'est exactement ce que prétendent faire les fondamentalistes religieux, qui lisent leurs prophéties comme si c'étaient des ouvrages scientifiques, et ne veulent prendre dans les travaux des chercheurs que ce qui semble pouvoir confirmer leurs préjugés ».

Notes et références

Notes

  1. Sur le couple orthodoxie/hérésie, voir Hérésie

Références

  1. Dictionnaire des mots de la foi chrétienne, publ. sous la dir. d'Olivier de La Brosse, Antonin-Marie Henry et Philippe Rouillard, Éd. du Cerf, Paris, 1989 (nouvelle édition), page 235.
  2. mot attesté en 1580, issu du latin ecclésiastique dogma, lui-même du grec δόγμα [dogma], « opinion ») appartient au vocabulaire philosophique et religieux
  3. Lucien Jerphagnon, « Arius sème la zizanie », dans Historia-thématique, mars-avril 2003, Les hérétiques.
  4. Concile Vatican II, décret Ad gentes, n° 14.
  5. [[Augustin d'Hippone|]], Traité du catéchisme.
  6. Augustin d'Hippone, Commentaire sur la 1re épître de saint Jean.
  7. Michel Grandjean, Histoire du christianisme, Faculté autonome de théologie protestante, université de Genève, cours n°4, janvier 2001 résumé en ligne
  8. À titre d'exemple, on pourra se reporter à la comparaison entre l’Enchiridion Symbolorum de 1976 et l’Introduction à la théologie chrétienne de Claude Tresmontant de 1967 ou encore l’Histoire des dogmes de Bernard Sesboué, publié en 2000 ; cf. bibliographie
  9. B. LEWIS, V.L. MENAGE, Ch.PELLAT et J.SCHACHT, , Paris, E.J. BRILL, 1990, 1 303 p. (ISBN 9004042571), Page 1200/ 1201
  10. Geneviève Gobillot, « Évangile », dans Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-09956-8), p. 289
  11. Gabriel Said Reynolds, « On the Qurʾanic Accusation of Scriptural Falsification (taḥrīf) and Christian Anti-Jewish Polemic », Journal of the American Oriental Society, vol. 130, no 2, , p. 189–202 (ISSN 0003-0279, lire en ligne, consulté le )
  12. Sethia, Tara (2004), Ahiṃsā, Anekānta and Jainism, Motilal Banarsidass, (ISBN 978-81-208-2036-4)
  13. Marcel Gauchet, La Religion dans la Démocratie, page 70.

Annexes

Bibliographie

  • Dictionnaire des mots de la foi chrétienne, publié sous la direction d'Olivier de La Brosse, Antonin-Marie Henry et Philippe Rouillard, Éd. du Cerf, Paris, 1989 (nouvelle édition), page 235.
  • Jacques Schlosser, Jésus de Nazareth, éd Noesis (sur le christianisme hellénistique qui opère un syncrétisme entre les idées mises en avant par le mouvement de Jésus et le néo-platonisme hellénistique).
  • Théo, Nouvelle encyclopédie catholique, Drouguet-Ardant/Fayard, 1989 (ISBN 2-7041-0336-4).
  • (de) Adolph von Harnack, Abrégé de l'histoire des dogmes, Fishbacher, Paris (traduit de Grundriss der Dogmengeschichte, 1re éd., 1873. Les traductions française et anglaise sont abrégées).

Articles connexes

Ne doit pas être confondu avec Dogme95.

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