Primauté pontificale

La primauté pontificale est une doctrine « de foi » dans l'Église catholique. Elle consiste à reconnaître le pape comme successeur de saint Pierre, aussi bien sur le siège épiscopal de Rome que comme chef du collège épiscopal. Cette primauté est, pour les catholiques, aussi bien d'honneur que de juridiction.

Écrits néo-testamentaires

La doctrine de la primauté pontificale s'appuie sur une lecture des sources bibliques qui tend à considérer une prééminence pétrinienne. À partir du IIIe siècle, qui voit l'évêque romain Étienne Ier (254 - 257) — alors en conflit avec l'évêque Cyprien de Carthage sur le baptême des apostats — être le premier à revendiquer cette primauté[1], les évêques de Rome appliquent le passage 16,18[2] de l'évangile selon Matthieu dans lequel Jésus de Nazareth dit à Simon-Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon assemblée [ou mon Église] »[3] pour fonder la doctrine suivant laquelle les successeurs de Pierre auraient hérité de sa primauté. Cette tradition développée dans la partie occidentale de l'Empire sera la source de conflits avec l'Orient chrétien puis, plus tard, en Occident même au point de générer plusieurs schismes[4].

Suivant Simon Claude Mimouni, ce verset de Matthieu, replacé dans son contexte, signifie sans autre forme de précision que Pierre sera l'assise sur laquelle se fondera la nouvelle communauté ; l'exégèse initiale de ce passage était davantage portée vers la christologie et la spiritualité avant que les Pères de l'Église ne s'y intéressent progressivement sous un aspect institutionnel. L'exégèse occidentale — à travers notamment Hilaire, Damase, Jérôme et Léon le Grand — va progressivement dessiner l'idée selon laquelle Pierre continue à vivre à travers la personne de son successeur à l'épiscopat romain qui est ainsi dépositaire de sa primauté[4].

Primauté pétrinienne

Les Évangiles synoptiques présentent Pierre comme une figure centrale au sein du groupe des disciples. De ceux-ci, c'est de loin celui qui apparait le plus souvent, toujours mentionné en premier parmi ceux qui accompagnent Jésus, quel que soit leur nombre[5], manifestant sa foi au nom de tous les disciples[6]. L'évangile selon Jean est assez proche sur ce point des synoptiques[5], se singularisant toutefois par une forme de mise en concurrence de Pierre avec le « disciple bien-aimé »[7].

Les Actes des Apôtres présentent Pierre comme le porte-parole des apôtres, l’interprète essentiel de leur croyance en Jésus comme Christ : après la Pentecôte, c'est lui qui prend la parole et commence la prédication du message chrétien. Il semble également avoir dirigé la communauté des disciples de Jésus à Capharnaüm et, de manière plus douteuse, selon certains exégètes, de Jérusalem. Pourtant, on peut noter qu'au Concile de Jérusalem, c'est Jacques qui préside et juge, et non pas Pierre[8]. Figure essentiellement missionnaire, les Actes présentent Pierre comme le trait d'union qui garantit la continuité entre le ministère terrestre de Jésus de Nazareth et les premières communautés de ses disciples[9]. Pierre est en effet envoyé par la volonté des apôtres, et donc subordonné à eux. Une version occidentale tardive des Actes se différencie des versions plus anciennes notamment en renforçant la prééminence de Pierre[10].

Dans la littérature paulinienne, Pierre apparaît dans la première épître aux Corinthiens et dans l'épître aux Galates dans un contexte essentiellement conflictuel. L'usage que le rédacteur fait de son nom, l'appelant exclusivement « Cephas » ou « Petros » — jamais « Simon » — semble témoigner de l'estime dans laquelle il est tenu. De manière à asseoir sa propre légitimité d'apôtre, Paul présente Pierre comme le gardien prioritaire du « kérygme »[11].

Les épitres attribuées à Pierre par la tradition à partir d'Irénée de Lyon ne font nulle mention d'une éventuelle « primauté ». La première épître de Pierre, probablement rédigée vers 70-90 dans une communauté judéo-chrétienne romaine[12], désigne l'apôtre comme « témoin des souffrances du Messie, et participant de la gloire qui doit se révéler »[13]. La tradition suivant Eusèbe de Césarée et Jérôme de Stridon en fait le fondateur de la communauté chrétienne d'Antioche[14].

La prééminence fondamentale de Pierre réside essentiellement dans le fait qu'il est, selon la tradition évangélique, le premier témoin d'une apparition de Jésus après sa résurrection. L'autorité de Pierre dans les premières communautés s'appuie ainsi sur le double choix opéré par Jésus envers lui, à la fois témoin privilégié de son ministère puis témoin privilégié des premières apparitions du ressuscité[15]. À Rome, la figure de Pierre est en outre opposée dès le IIe siècle à celle de Paul sur lequel Marcion a fondé sa théologie[14].

L'exégèse catholique et sa critique

Suivant l'exégèse catholique officielle, le Christ aurait désigné « explicitement » Pierre comme le chef de son Église : « Et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18), interprétation que réfutent les églises orthodoxe et protestantes, qui rappellent que cette déclaration de Jésus suit la confession de Pierre (« Tu es le Christ, Fils de Dieu ») ; selon elles, c'est sur cette conviction de foi personnelle, ou alors sur Jésus lui-même, que Jésus « bâtit [s]on Église », et non sur un homme[16]. Cette exégèse qui se distingue de la vision romaine de l'Eglise s'appuie sur le témoignage des Pères grecs, mais aussi des Pères latins, tels que Saint Augustin, Saint Optat, Saint Hilaire de Poitiers ou encore Saint Ambroise de Milan. De plus, on peut s'interroger, même chez certains catholiques, sur le fait que Petros (Pierre) est masculin et petra féminin, que ce soit en français, en latin ou en grec[17].

Toutefois, les auteurs chrétiens n'ont pas cessé de développer, de réécrire et d'harmoniser leurs textes, y ajoutant des corrections intentionnelles[18][réf. incomplète],[19]. Ainsi, les exégètes sont divisés sur l'authenticité des versets 17 à 19 de Mt 16 — en particulier Mt 16,18[5] — sur lesquels se base l'évêque de Rome pour fonder sa légitimité — qui est une possible interpolation du IIIe siècle[20][réf. nécessaire]. En outre, la communauté chrétienne de Rome relève d'une « direction » collégiale au moins jusqu'au sacerdoce apostolique de Calixte Ier, vers 217[21], et c'est à partir de Damase Ier (366-384), que s'affirme la revendication de l'autorité de l'évêque de Rome comme successeur de Pierre[22].

Évolution du concept de la primauté pontificale

Les origines du christianisme : une lente centralisation

Dès le Ier siècle, les écrits d'Ignace d'Antioche insistent sur la loyauté que les communautés chrétiennes doivent avoir envers leurs épiscopes. Les paroles de Jésus à Pierre sont interprétées par Tertullien (vers 200) et Cyprien (vers 250) comme instituant Pierre à l’origine du ministère épiscopal et garantissant l’unité de l’épiscopat : c'est donc une collégialité épiscopale soumise à l'autorité d'un chef qui est alors peu à peu envisagée dans certaines communautés chrétiennes. À la fin du IIIe siècle, il paraît admis en Orient comme en Occident qu’il est nécessaire de prendre l’avis autorisé de l’évêque de Rome dans les questions de foi[réf. nécessaire].

Les incompréhensions entre Orient et Occident, la crise du Filioque

À partir du VIIe siècle, l'incompréhension entre l'Orient et l'Occident croît : la différence de culture entre un Orient byzantin de langue grecque qui se veut seul héritier de l'Empire romain et un Occident romano-barbare de langue latine devient un fossé de plus en plus large. C'est ainsi que les actes du concile de Nicée II sont mal traduits en latin provoquent un litige quant à la réception de ce concile qui s'oppose à l'iconoclasme.

Au VIe siècle en Espagne, apparaît la formule du « filioque »[23]. La récitation de celle-ci est étendue à tout le territoire de l'empire de Charlemagne, à des fins d'unification religieuse. Le pape Léon III accepte la théologie du filioque mais refuse d'insérer la formule dans le Credo officiel de l'Église, car ce credo est un texte qui a été formulé par un concile œcuménique : il faut donc une grande prudence et une grande autorité pour y toucher. En Orient, en revanche, avec le patriarche Photius, le refus du filioque devient une question de doctrine et non plus de simple discipline. Sous la pression de l'Empereur romain germanique Henri II, le pape Benoît VIII valide officiellement la modification du credo en 1014.

C'est, avec l'incompréhension entre l'Occident et l'Orient, comme un coup de grâce : les Orientaux considèrent ne pas pouvoir faire confiance à un pape qui croit pouvoir transformer la foi de l’Église entière à lui seul. Le schisme s'ensuit en 1054. Le sac de Constantinople en 1204, le fait que les Croisés portent une prostituée sur le trône Patriarcal et le vol des reliques Orientales brise toute tentative de réconciliation. Jean-Paul II présentera ses excuses pour cet événement.

De ce moment, les Églises orthodoxes, s'appuyant sur le témoignage des Pères grecs et latins de l'Eglise indivise, ont conservé une doctrine de la primauté pontificale qui leur est propre : elles reconnaissent à l'évêque de Rome une primauté d'honneur, mais lui refusent toute autorité juridictionnelle en dehors de sa zone de responsabilité propre.

Primauté d'honneur et primauté de juridiction

Après l'échec du concile de Bâle, réuni pour mettre fin au Grand Schisme d'Occident, et qui a cherché à démontrer que le sujet du pouvoir était le corps des fidèles agissant à travers ses représentants au concile, c'est au concile de Florence, en 1439, qu'est définie officiellement la primauté pontificale par les évêques latins et les patriarches orthodoxes : primauté d'honneur, primauté en matière de foi et de mœurs, mais aussi primauté de juridiction : « que le saint-siège apostolique et le pontife romain a la primauté sur tout l'univers, qu'il est le successeur de saint Pierre, prince des apôtres, et le vrai vicaire de Jésus-Christ, qu'il est le chef de l'Église entière, le père et le docteur de tous les chrétiens, et que Notre-Seigneur lui a remis dans la personne de saint Pierre le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Église universelle, comme le prouvent les actes des conciles œcuméniques et les sacrés canons. Enfin le concile assigne au patriarche de Constantinople le second rang après le pontife romain ; le troisième au patriarche d'Alexandrie ; le quatrième à celui d'Antioche, et le cinquième à celui de Jérusalem, en conservant à chacun ses droits et ses privilèges[24]. »

Réformes protestantes et gallicanisme

Lorsque Luther et Calvin, reprenant et amplifiant certaines revendications de Jan Hus, provoquent les schismes protestants au XVIe siècle, ils refusent l'existence d'une hiérarchie ecclésiale instituée par Dieu : pour eux le clergé est une émanation du peuple chrétien. Ils refusent donc toute autorité au pape.

Le gallicanisme, suivant les avis du concile de Bâle, et prenant une forme légale avec la Pragmatique Sanction de Bourges en 1438, accepte la primauté d'honneur pontificale, ainsi que son arbitrage sur les questions théologiques, mais refuse la juridiction pontificale. C'est le roi qui détient ce pouvoir.

Dans un premier temps, l'anglicanisme ne refuse que la juridiction pontificale. Puis très vite, sous l'influence de la Réforme, il refuse aussi la primauté en matière de foi et de mœurs.

Notes et références

  1. (en) Erwin Fahlbusch et Geoffrey William Bromiley, The Encyclopedia of Christianity, Wm. B. Eerdmans Publishing, (lire en ligne), p. 273
  2. Mt 16. 18
  3. épi tautê tê pétra oikodomêsô mou tên ekklêsian
  4. Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 184
  5. Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 177
  6. Par ex. : « Et vous, leur demanda-t-Il, qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Tu es le Christ » ; Mc 8. 29
  7. Traditionnellement identifié à Jean, fils de Zébédée, mais cette identification est largement discutée ; cf. Raymond E. Brown, op. cit., p. 410-412
  8. « Nouveau Testament Grec, Actes des apôtres, chapitre 15 », sur theotex.org (consulté le )
  9. Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 178, 179
  10. Christian Grappe, Initiation au monde du Nouveau Testament, éd; Labor et Fides, 2010, p. 163, extrait en ligne
  11. 1 Co , cité par S. C. Mimouni, op. cit., p. 179
  12. Cf. Jacques Schlosser, « La première épître de Pierre », dans Daniel Marguerat (dir.), Introduction au Nouveau Testament: son histoire, son écriture, sa théologie, éd. Labor et Fides, p. 447-460, extraits en ligne
  13. 1 P 5. 1, cité par S. C. Mimouni, op. cit., p. 181
  14. Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 183
  15. Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F/Nouvelle Clio, 2006, p. 180
  16. A. Kuen, 1967, Je bâtirai mon église, Saint-Légier Sur Vevey - Emmaüs
  17. Nicolas de Brémond d'Ars, 2008. A la recherche de soi. Bayard, note p. 241-242 : "Le passage de l'évangile de Matthieu 16, 18 sur la place de Pierre est bâti sur une traduction défaillante. Le texte grec dit : « kagô de soi legô hoti su eis Petros kai epi tautè tè petra oikodomèsô... », et distingue donc bien un masculin (petros) et un féminin (petra). On devrait traduire : « …tu es Pierre, et sur LA pierre je bâtirai... ». La Vulgate fait la distinction : «  et ego dico tibi quia tu es Petrus et super hanc petram aedificabo... ».
  18. Raymond E. Brown, op. cit. : « (…) des corrections doctrinales ont été pratiquées » ;
  19. Vaganay et Amphoux, op. cit., p. 113 : « des harmonisations et des corrections intentionnelles ont malheureusement été pratiquées. »
  20. épi tautê tê pétra oikodomêsô mou tên ekklêsian : le mot ekklêsian « église » ne désigne un bâtiment — « à bâtir » — qu'à partir du IIIe siècle ; une telle formulation ne peut exister dans un texte du Ier siècle.
  21. Premier personnage semblant avoir assumé le poste d’évêque et ayant quelque consistance historique, ses prédécesseurs relevant de la tradition ou de la légende, cf. Yves Marie Hilaire, op. cit., p.  44-48. Certains chercheurs parlent plutôt de Victor Ier, son prédécesseur (vers 199) ; cf. Jean Guyon, « Des origines au Ve siècle. Naissance de la Rome chrétienne », dans Le monde de la Bible, hors-série automne 2007
  22. Richard E. Rubenstein, op.cit., p. 260
  23. Jean-Yves Lacoste, Histoire de la théologie, Paris, Seuil, 2009, p. 129-136
  24. Article 5 du décret d'union, conclusion du concile de Florence le 6 juillet 1439

Sources

  • Raymond E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, Bayard,
  • Léon Vaganay, revu par Christian-Bernard Amphoux, Initiation à la critique textuelle du Nouveau Testament, Paris, éd. du Cerf, , 300 p. (ISBN 2-204-02470-8)
  • Yves-Marie Hilaire, Histoire de la papauté : 2000 ans de missions et de tribulations, Paris, Folio, coll. « histoire »,
  • Richard E Rubenstein (trad. de l'anglais par Marc Saint-Upéry), Le jour où Jésus devint Dieu, Paris, La Découverte, coll. « Poches sciences », , 285 p. (ISBN 2-7071-4218-2)
  • Rudolf Pesch, La Primauté dans l'Église - Les fondements bibliques, Cerf, 2002, 176p. (ISBN 2204069302)

Annexes

Bibliographie

  • Joseph Canning, Histoire de la pensée politique médiévale (300-1450), éd. Cerf/Éditions Universitaires de Fribourg, 2003, extraits en ligne

Articles connexes

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