Dictature de Primo de Rivera

La dictature de Primo de Rivera est le régime politique de l'Espagne depuis le coup d'État du capitaine général de Catalogne, Miguel Primo de Rivera, le , jusqu'à la démission de ce dernier le et à son remplacement par la Dictablanda Dictamolle », ou « Dictature molle ») du général Dámaso Berenguer.

En dépit de ses efforts de régénération et des progrès réalisés dans le domaine des infrastructures, en dépit de la stabilisation d'une situation politique chaotique, la dictature ne peut se maintenir après la crise politique qui décrédibilise le roi Alphonse XIII aux yeux de l'opinion publique, ouvrant le chemin à la Seconde République espagnole.

Contexte

Le contexte international

Alphonse XIII avec Miguel Primo de Rivera.

Les systèmes démocratiques chancellent à cette époque dans une grande partie de l'Europe. Le parti nazi est fondé en Allemagne en 1920, le fascisme s'implante en Italie en 1922, Staline arrive au même moment au pouvoir en URSS et installe sa dictature, des coups d'État font basculer dans la totalitarisme le Portugal, en 1926, et la Pologne, la même année. Primo de Rivera se réunit avec Benito Mussolini qu'il couvre d'éloges en le présentant comme « l'apôtre de la campagne contre l'anarchie et la corruption politique » (apóstol de la campaña contra la anarquía y la corrupción política) ; il reprend à son compte une partie importante du système corporatiste implanté en Italie, qu'il compte importer en Espagne. L'explosion du modèle autoritaire, avec une forte composante nationaliste, très critique à l'égard de systèmes démocratiques faibles et corrompus, ainsi que l'expansion rapide des idées émergentes du socialisme, bénéficiant d'une large adhésion populaire en Europe, influencent Primo de Rivera de façon décisive.

Les étapes de la dictature

La mise en place

Le , le capitaine général de Catalogne, Miguel Primo de Rivera, se soulève contre le gouvernement de Manuel García Prieto et lance un coup d'État avec l'appui de la majorité des unités militaires. Il publie simultanément un manifeste[1] dans lequel il affirme que c'est contre son gré qu'il se voit « obligé » de rompre la légalité constitutionnelle afin de libérer l'Espagne d'un système politique corrompu arrivé en fin de vie. Il dénonce le caciquisme et l'alternance politique fictive qui régit le pays depuis près d'un demi-siècle. Il lance également un appel à tous les hommes de bonne volonté afin de remettre la nation sur pieds. Le détonateur du coup d'État est la réunion prévue dans les jours suivants afin d'analyser la question marocaine (voir Guerre du Rif) et les responsabilités de l'Armée. Cette conjoncture particulière s'inscrit dans le contexte général de la révolution industrielle accélérée dans laquelle le rôle de la bourgeoisie a été minimisé, les tensions nationalistes en Catalogne et au Pays basque et la crise des partis politiques traditionnels, incapables de faire face aux demandes démocratiques.

Antonio Maura avait précédemment déconseillé au roi le recours à un coup d'État, tout comme la mise en place d'un système autoritaire. Le 14 septembre, le gouvernement légitime demande au roi la destitution immédiate des généraux soulevés, c'est-à-dire José Sanjurjo et Primo de Rivera, et la convocation d'élections aux Cortes Generales, mais le monarque laisse passer des heures avant de se prononcer finalement mais ouvertement en faveur du golpe.

Le Manifeste des insurgés indiquait vouloir sauver l'Espagne des professionnels de la politique. Avec l'appui de la bourgeoisie catalane et des propriétaires terriens andalous, le roi Alphonse XIII nomme le 15 septembre Primo de Rivera président du gouvernement en sa qualité de dictateur militaire . La dictature n'est contestée que par les syndicats ouvriers et les républicains, dont les protestations sont immédiatement étouffées par la censure et la répression. Un Directoire militaire est créé, composé de neuf généraux et d'un amiral ; sa finalité est, selon ses dires, de « mettre l'Espagne en ordre » (poner España en orden) officiellement pour la remettre ensuite aux mains des civils. La Constitution est suspendue, les conseils municipaux dissous, les partis politiques interdits, le Directoire crée la milice urbaine des somatén et déclare l'état de guerre.

Primo de Rivera cherche à donner une image paysanne et paternaliste de la dictature, non sans tenir un discours antisystème très en vogue à l'époque, qualifiant les politiques de corrompus et en envoyant à la population des messages simples qui laissent penser à une résolution facile des problèmes, avec des recettes « domestiques » à la portée de tous.

Le Directoire militaire

Miguel Primo de Rivera

Les premières prises de décision du dictateur sont spectaculaires et envoient un message très clair en direction de toute la classe politique, sociale et économique de l'Espagne sur le mode de gouvernement qui serait le sien. À la dissolution des Cortes est ajouté le 18 septembre un décret qui interdit l'usage de toute autre langue que le castillan, ou de symboles tels que les drapeaux basque ou catalan. La Mancommunauté de Catalogne est mise sous contrôle par la nomination à sa tête du conservateur Alfons Solà et les députations provinciales sont dissoutes.

Jusqu'en 1925, le gouvernement est formé par un Directoire militaire conforme à la conception de Primo de Rivera qui considérait que le pays devait être dirigé d'une main de fer.

Dès le , l'état de guerre est déclaré ; il durera jusqu'au . Le 15 septembre, le décret royal établissant le Directoire militaire, qui doit assumer toutes les fonctions du pouvoir exécutif, est approuvé. Primo de Rivera devient le chef du gouvernement et le seul ministre. Le reste du Directoire est composé par un général de chaque capitainerie générale, ainsi que du marquis de Magaz, Antonio Magaz y Pers (es), (contramiral) représentant de l'ensemble des forces armées : Adolfo Vallespinosa, Luis Hermosa y Kith, Luis Navarro y Alonso de Celada, Dalmiro Rodríguez y Padre, Antonio Mayandía y Gómez, Francisco Gómez-Jordana y Souza, Francisco Ruiz del Portal et Mario Muslera y Planes (es).

Le Directoire civil

Le , le poste de Président du conseil des ministres est rétabli, et le Directoire civil est mis en place, composé d'hommes venant de l'ancien système de partis. José Calvo Sotelo y occupe le ministère du Budget, Galo Ponte y Escartín (es) le ministère de la Grâce et de la Justice et Eduardo Callejo de la Cuesta le ministère de l'Instruction publique. La constitution reste suspendue.

La politique de Primo de Rivera

L'économie

Une conjoncture internationale favorable permet à la dictature de renforcer à ses débuts la croissance industrielle, avec l'objectif d'accéder à l'autarcie grâce à une politique de développement interventionniste prétendant pallier le manque d'investissements privés.

L'économie, largement supervisée par l'État, qui fixe par exemple des prix uniques ou maximaux, connaît une expansion significative à tous les niveaux, notamment dans les domaines de l'industrie lourde et des mines. Les régions déjà industrialisées, comme la Catalogne ou le Pays basque, enregistrent des progrès notables quant à la prospérité économique et aux créations d'emplois. Le taux de main d'œuvre affectée à l'agriculture devient pour la première fois minoritaire (passant de 57 % à 45 %) et le parc automobile double en 6 ans. Le modèle de développement économique favorisant certaines zones aux dépens d'autres se trouve renforcé. Ce processus, associé à la croissance démographique, provoque d'importantes migrations intérieures dans la Péninsule.

Le syndicalisme de la CNT et du Parti communiste espagnol, récemment créé, est réprimé, tandis que la dictature tolère l'UGT et le PSOE, toujours réticents, afin de maintenir un contacts avec certains dirigeants ouvriers. La bourgeoisie catalane donne son appui au régime. La législation sociale limite le travail des femmes, permet la construction de logements ouvriers et met en place un modèle de formation professionnelle. De gros investissements publics sont effectués, dans le but d'améliorer les communications, comme les routes (la dictature sera le maître d'œuvre du premier réseau routier d'Espagne[2]) ou les chemins de fer, l'irrigation et l'énergie hydraulique. Sous le Directoire, le Plan hydrologique national est mis en œuvre, prôné le premier par le politicien régénérationiste Joaquín Costa Martínez. Grâce à l'énergie hydraulique, l'électricité voit presque tripler sa production en 7 ans (1923-1930), tout comme celle du ciment. En 1924, une compagnie du téléphone, est créée la Compañía Telefónica Nacional de España (CTNE - aujourd'hui Telefónica) et une industrie automobile voit le jour. Le déficit budgétaire est résorbé[2].

En 1928, constatant les bénéfices considérables réalisés par la vente du pétrole en Espagne, Primo de Rivera entreprend d'ériger un monopole d’État du carburant, afin que les profits n’aillent plus grossir les dividendes des actionnaires et des intermédiaires, mais tombent dans l’escarcelle de l’État. Il confie à la Compañía Arrendataria (C. A. M. P. S. A. - un groupement de banques[3]) l’exploitation de ce monopole, dont l'État conserve 30 % des actions. Cette décision entraîne des mesures de rétorsion de la part des trusts pétroliers de l'époque, dont la Standard Oil, la Royal Dutch et la Shell[4]. Malgré son anticommunisme, Primo de Rivera se tourne alors vers l'URSS, qui devient le principal fournisseur de carburant de l'Espagne, lui vendant 40 % du pétrole consommé dans le pays.

Réformes administratives et politiques

Pour mener la réforme administrative, Pde Rivera s'appuie sur José Calvo Sotelo, qui s'inspire lui-même des idées d'Antonio Maura. En 1924, la réforme culmine avec l'adoption le d'un nouveau statut municipal, puis provincial l'année suivante. Il prétend offrir un certain degré d'autonomie locale afin de permettre le développement des municipalités, mais le fait à travers un système électoral particulièrement corporatiste et éloigné du suffrage universel.

Ces premiers succès confèrent une grande popularité au régime. L'Union patriotique est créée dans le but de fédérer les courants politiques autour du régime ; dans le même esprit est fondée l'Organisation corporative nationale (es), syndicat vertical, inspiré du modèle corporatiste de l'Italie fasciste.

En 1927 est mise en place l'Assemblée nationale consultative, un Parlement privé du pouvoir législatif, dont les membres sont pour partie élus selon un système corporatiste et pour partie désignés à vie. Le franquisme en adoptera un très similaire des années plus tard. Ce projet ainsi que l'échec de la nouvelle Constitution en 1929 sont les dernières tentatives de la dictature pour se maintenir en place.

L'armée est également réformée. Il s'agit de diminuer drastiquement le nombre des officiers en réduisant les recrutements car l'encadrement de l'armée espagnole en officiers est excessif et coûteux (219 généraux en 1927)[2].

La guerre en Afrique

L'armée espagnole est depuis plusieurs décennies atteinte par le pessimisme dû au rôle qu'elle avait joué dans l'histoire récente de l'Espagne. D'un côté, le sentiment de frustration à la suite du désastre de 1898 reste vif, et d'un autre, la guerre au Maroc est marquée par le désastre d'Anoual et fait face à l'incompréhension de la population. La campagne militaire au Maroc débute avec la libération de Cobba Darsa en juillet de 1924, en partie destinée à satisfaire l'Armée. Le 10 du même mois, Primo de Rivera embarque à Algésiras pour parcourir la côte marocaine quinze jours durant. Le soulèvement dans la zone du Rif, en août, permet à Primo de Rivera de remplacer quelques généraux et d'entamer d'importantes opérations militaires qui libèrent Chefchaouen le 29 septembre et permettent d'évacuer d'autres zones fin octobre. Plus tard, Abd el-Krim, le meneur de la rébellion rifaine, affronte les armées française et espagnole à Yebala, Tazarut et Beni-Terual, ce qui l'oblige à conclure un accord avec les deux pays en juillet 1925. Le 5 septembre, débutent des opérations militaires qui aboutissent à sa défaite dans la Guerre du Rif avec le débarquement à Al Hoceima et sa reddition en 1927.

La chute

Monument à Primo de Rivera à Cadix.

La bourgeoisie catalane voit ses espoirs de décentralisation frustrés par une politique qui se révèle encore plus centraliste et qui, en matière économique, finit par favoriser des oligopoles dont bon nombre sont aux mains de l'État ou de groupes fermés d'entrepreneurs directement liés à la dictature. Les conditions de travail sont toujours déplorables et la répression sévère menée contre les ouvriers éloigne progressivement du régime l'UGT et le PSOE qui, sous la conduite d'Indalecio Prieto, abandonnent le dictateur.

Par ailleurs, les intellectuels, qui voyaient d'un mauvais œil la perspective d'un régime dictatorial militaire dès 1898, en supportent maintenant la nature effective. Miguel de Unamuno, Ortega y Gasset, Manuel Azaña, Vicente Blasco Ibáñez ou Valle-Inclán, pour ne citer que les plus célèbres, doivent s'exiler ou garder le silence sous peine de poursuites acharnées. Plusieurs revues sont fermées, ainsi que les universités de Madrid et de Barcelone.

L'économie, profondément affectée depuis 1927 par une fiscalité gravement déficitaire, se montre incapable de surmonter la crise mondiale de 1929 du fait de son manque de compétitivité, de son modèle de développement illusoire et d'une importante fuite de capitaux. En janvier 1930, le roi oblige Primo de Rivera à démissionner, craignant que la perte de prestige de la dictature n'affecte la monarchie elle-même.

Mais cette dernière est malgré tout sévèrement mise en question pour sa complicité avec la dictature, lorsque toute l'opposition parvient à s'unir dans l'accord de Saint-Sébastien, en août 1930. Les gouvernements de Dámaso Berenguer (la Dictablanda), puis de Juan Bautista Aznar-Cabañas, ne feront rien d'autre que prolonger son agonie. Après les élections municipales de 1931, la plupart des grandes villes du pays tombent dans le camp républicain, le roi fuit et la Seconde République espagnole est proclamée, mettant ainsi fin à la Restauration bourbonienne.

Notes et références

  1. Al país y al ejército.
    Españoles: Ha llegado para nosotros el momento más temido que esperado (porque hubiéramos querido vivir siempre en la legalidad y que ella rigiera sin interrupción la vida española) de recoger las ansias, de atender el clamoroso requerimiento de cuantos amando la Patria no ven para ella otra salvación que liberarla de los profesionales de la política, de los hombres que por una u otra razón nos ofrecen el cuadro de desdichas e inmoralidades que empezaron el año 98 y amenazan a España con un próximo fin trágico y deshonroso. La tupida red de la política de concupiscencias ha cogido en sus mallas, secuestrándola, hasta la voluntad real. Con frecuencia parecen pedir que gobiernen los que ellos dicen no dejan gobernar, aludiendo a los que han sido su único, aunque débil, freno, y llevaron a las leyes y costumbres la poca ética sana, este tenue tinte de moral y equidad que aún tienen, pero en la realidad se avienen fáciles y contentos al turno y al reparto y entre ellos mismos designan la sucesión.
    Pues bien, ahora vamos a recabar todas las responsabilidades y a gobernar nosotros u hombres civiles que representen nuestra moral y doctrina (...). Este movimiento es de hombres: el que no sienta la masculinidad completamente caracterizada que espere en un rincón, sin perturbar los días buenos que para la patria preparamos.
    Españoles: iViva España y viva el Rey!
  2. Bartolomé Bennassar, La guerre d'Espagne et ses lendemains, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 133), , 500 p. (ISBN 978-2-262-02503-8), p. 25
  3. Hugh Thomas (trad. de l'anglais par Jacques Brousse, Lucien Hess et Christian Bounay), La guerre d'Espagne juillet 1936-mars 1939, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (réimpr. 2003 2009), 1026 p. (ISBN 978-2-221-08559-2 et 978-2-221-04844-3), p. 24
  4. Pierre Fontaine, La guerre froide du pétrole, éditions "je sers", 1956.

Bibliographie

  • Ana Aguado et María Dolores Ramos, La modernización de España (1917-1939) : Cultura y vida cotidiana, Edit. SÍNTESIS. Madrid, 2002 (ISBN 8-4975-6014-0), 400 pages
  • Jordi Casassas i Ymbert, La dictadura de primo de Rivera : 1923-1930. Textos. Ideas y Textos; no. 2. Barcelona. Anthropos, Editorial del Hombre, 1983 (ISBN 8-4858-8710-7)
  • Eduardo González Calleja, la España de Primo de Rivera. La modernización autoritaria 1923-1930, Alianza Editorial, Madrid, 2005 (ISBN 8-4206-4724-1)
  • Les Dictateurs, Les Éditions Denoël et Steele, 1935. Réédition : Jean-Cyrille Godefroy, 1996, ASIN 2841910199. (Ouvrage disponible sur l'Université du Québec à cette adresse). Un chapitre est consacré à Primo de Rivera sous le titre de Primo de Rivera ou la dictature manquée .

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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