J'accuse (film, 2019)

J'accuse est un drame historique franco-italien coécrit et réalisé par Roman Polanski, sorti en 2019. Il s'agit de l'adaptation du roman D. (2013) de Robert Harris, portant sur l'affaire Dreyfus. Son titre est une référence à « J'accuse… ! », article publié le 13 janvier 1898 par Émile Zola dans L'Aurore pour défendre le capitaine Dreyfus.

Pour les articles homonymes, voir J'accuse (homonymie).
J'accuse
Logo du film.
Réalisation Roman Polanski
Scénario Robert Harris
Roman Polanski
Acteurs principaux
Sociétés de production Légende Films
RP Productions
Pays d’origine France
Italie
Genre Drame historique
Durée 132 minutes[1]
Sortie 2019


Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

En raison des accusations qui sont par ailleurs portées contre son réalisateur, et des thèmes qu'il met en scène  l'innocence bafouée, le bouc-émissaire juif, la condamnation sur de fausses preuves[2],[3] , ce nouveau volet de l’œuvre de Polanski fait tout particulièrement l’objet d'une controverse. Il suscite la gêne dans certains festivals, dont la Mostra de Venise 2019 où il obtient le grand prix du jury et le prix FIPRESCI[4], mais aussi lors de sa sortie en France où il donne lieu à des débats et des réactions politiques à l’échelle nationale[5],[6],[7],[8].

Le film obtient douze nominations à la 45e cérémonie des César lors de laquelle il est récompensé trois fois : César des meilleurs costumes, César de la meilleure adaptation et César du meilleur réalisateur.

Synopsis

En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, officier français de confession juive, est condamné à la déportation à vie pour avoir fourni des documents secrets à l'Allemagne. Le commandant Marie-Georges Picquart, promu lieutenant-colonel et chef du deuxième Bureau, découvre que le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy est le véritable espion pour l'Allemagne et que son propre adjoint, Hubert Henry, sait que le véritable traître n'est pas Dreyfus mais Esterhazy, surnommé Dubois. Par devoir et sens de l'honneur, Picquart refuse d'obéir à ses chefs qui lui ordonnent d'étouffer l'affaire. Il est menacé, arrêté, emprisonné, mais persiste jusqu'à ce que la vérité éclate et que Dreyfus soit libéré et réhabilité. Pendant douze ans, cette « affaire » déchire la France de la Troisième République et fait scandale dans le monde entier.

Fiche technique

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Distribution

Marie-Georges Picquart, ici au moment de l'affaire Dreyfus et des procès Zola, est incarné par Jean Dujardin.
Alfred Dreyfus, ici en 1894, est interprété par Louis Garrel.

Production

Genèse et développement

Roman Polanski collabore ici à nouveau avec l'auteur britannique Robert Harris. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble sur The Ghost Writer (2010). Le scénario s'inspire du roman D. (An Officer and a Spy) de Robert Harris, publié en 2013. Roman Polanski voulait depuis des années faire un film sur l'affaire Dreyfus, le projet est évoqué dès 2012[11] : « J'ai longtemps voulu faire un film sur l’affaire Dreyfus, en traitant le sujet non comme un drame en costumes mais comme une histoire d'espionnage. De cette manière, on peut montrer son absolue pertinence par rapport à ce qui se passe dans le monde aujourd'hui – le spectacle séculaire de la chasse aux sorcières à l'encontre d'une minorité, la paranoïa sécuritaire, les tribunaux militaires secrets, les agences de renseignement hors de contrôle, les dissimulations gouvernementales et la presse enragée », dit-il au Hollywood Reporter en 2012[12].

Durant des années, le réalisateur tente de mener à bien le projet, mais peine à le financer, comme il le déclare en 2017 :

« Le problème du film, c'est la combinaison entre le casting et le financement. C'est un film cher et les films de cette envergure se font avec une star bankable, comme on dit vulgairement. Et les stars capables de satisfaire les financiers, je ne les vois pas dans le rôle de Picquart, qui est notre personnage principal. À part ça, il y a une cinquantaine de rôles importants. Il faudrait qu'ils parlent tous avec le même accent dans la langue anglaise, sinon ça serait épouvantable. Car, malheureusement, il faut faire le film en anglais, ce qui est un autre problème pour moi. C'est nécessaire pour que le film soit distribuable dans le monde entier. Débloquer les moyens financiers pour produire un projet pareil est impossible si on tourne en français, ce qui est vraiment un gros problème pour ce type de sujet[13]. »

Tournage

Première chambre de la Cour d'appel de Paris.

Le tournage commence le [14] et devait finir le . Le film est tourné à Paris et en région parisienne[11] comme au Palais de justice[15], à l’Église Saint-Germain-l'Auxerrois[16] ou à l'École Militaire de Paris. Les scènes du bagne de Guyane sur l'île du Diable sont tournées à Plougasnou dans le Finistère[17],[18]. Toutefois, l'équipe tourne encore après cette date, notamment en à Moret-sur-Loing en Seine-et-Marne[19].

Musique

La musique du film est composée par Alexandre Desplat qui a déjà travaillé avec Polanski sur d'autres films : The Ghost Writer en 2010, Carnage en 2011, La Vénus à la fourrure en 2013 et D'après une histoire vraie en 2017[20].

Le quatuor pour piano et cordes n° 2 de Gabriel Fauré intervient à deux reprises dans le film, sa première partie allegro molto moderato et son Finale, allegro molto[20]. Dans une scène dans l'appartement du lieutenant-colonel, au piano, le début du Cygne extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns est joué.

Accueil

Naissance de la controverse à la Mostra

Le film fait l'objet d'une controverse lors de sa présentation à la Mostra de Venise.

Le , le film est sélectionné et présenté en compétition officielle à la 76e édition du festival de la Mostra de Venise[1]. Publié à l'occasion du festival, le dossier de presse présente un entretien accordé à l'écrivain Pascal Bruckner. À sa question (qui elle-même a suscité l'indignation pour son anti-féminisme)[21] : « En tant que juif pourchassé pendant la guerre, que cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néoféministe d'aujourd'hui ? »[22], Roman Polanski répond que l'histoire du capitaine Dreyfus fait écho à sa propre histoire.

« […] Je peux voir la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n'ai pas faites […][23]. »

Toujours dans le dossier de presse, il indique s'être inspiré de sa propre vie pour ce film, faisant allusion aux accusations de violences sexuelles le visant : « Je dois dire que je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’œuvre dans ce film et que cela m’a évidemment inspiré. » Il évoque notamment « des histoires aberrantes de femmes [qu'il n'a] jamais vues de [sa] vie et qui [l]’accusent de choses qui se seraient déroulées il y a plus d’un demi-siècle[24]. » Lors d'une interview, Vincent Perez, l'un des acteurs du film, affirme également que le film fait « résonance à sa propre histoire […] et […] est un regard d'adulte sur son histoire[25]. »

Le film est d'abord très bien accueilli par la critique comme un des meilleurs films de la compétition[26],[27] mais sa sélection suscite des critiques de la part de professionnelles du cinéma, comme la présidente du jury, la réalisatrice argentine Lucrecia Martel. Cette dernière a affirmé être « très gênée » par ce choix et qu'elle « n'assisterait pas » à la projection du film[28],[29]. La fondatrice du groupe féministe Women and Hollywood, Melissa Silverstein, soutient quant à elle que le festival « est complètement sourd aux questions liées à MeToo[30]. » Alberto Barbera, directeur du festival, estime cependant qu'il « faut toujours faire une distinction entre l'homme et l'artiste. »

Le film reçoit le grand prix du jury. C'est Emmanuelle Seigner qui réceptionne le prix, son mari ne s'étant pas déplacé par crainte d'être arrêté et extradé[31]. Lucrecia Martel a indiqué que l'ensemble du palmarès n'avait pas fait l'unanimité au sein du jury, sans plus de précision[32].

Poursuite de la controverse en France

En , lors du festival international du film de La Roche-sur-Yon, l'actrice Adèle Haenel demande à Paolo Moretti, délégué général du festival, d'organiser un « débat sur la culture du viol » avant la projection du film[33]. Elle estime nécessaire de revenir tout particulièrement sur la notion de « différence entre l’homme et l’artiste », utilisée par la défense du réalisateur franco-polonais[34],[35].

Lors de sa sortie en France, la poursuite de cette controverse donne lieu à une nouvelle évolution du traitement médiatique de l'affaire Roman Polanski et plus généralement de la critique de films réalisés par des cinéastes accusés ou condamnés pour des violences sexuelles[36]. Le , Valentine Monnier déclare au Parisien que Polanski l'aurait violée en 1975 après l'avoir « rouée de coups », alors qu'elle était âgée de 18 ans[37]. Elle explique que c'est la sortie en salles du film le , qui lui « impose de parler »[38], jugeant indécente la prise de parole publique de Roman Polanski. Préalablement, elle avait écrit à l'épouse du président de la République Brigitte Macron, au ministre de la Culture Franck Riester et à la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa pour faire part de ses allégations et dénoncer le soutien financier accordé au film par le ministère de la Culture[39]. Roman Polanski conteste les faits et envisage des poursuites judiciaires.

Jean Dujardin annule alors son interview prévue lors du journal télévisé de TF1 du [40].

À la suite des réactions médiatiques suscitées par les allégations de Valentine Monnier, Florian Silnicki, expert en stratégie de communication de crise, déclare que « de nombreux observateurs reprochent à Roman Polanski d’avoir instrumentalisé l’objet de son film, l’affaire Dreyfus, pour opérer un parallèle, au moins subliminal, avec sa propre situation face aux nombreuses accusations de viol »[3].

La presse relève dès les jours suivants un changement de stratégie de communication de Roman Polanski. D’après Le Figaro, « la comparaison que dressait initialement le cinéaste entre son cas et celui de Dreyfus a été modifiée et une nouvelle version du dossier de presse du film a été fournie aux journalistes ». Le quotidien constate notamment que la question sur le « maccarthysme néoféministe » et la réponse du cinéaste ont disparu[41]. Mediapart indique que « des consignes ont été données par les attachés de presse du film, à plusieurs médias, pour qu’aucune question ne soit posée lors des interviews de promo, en lien avec ces accusations visant Roman Polanski »[42]. Une nouvelle version du dossier de presse est publiée et plusieurs émissions sont déprogrammées à l'occasion de la promotion du film[43].

Des militants féministes perturbent plusieurs projections, notamment au cinéma parisien Le Champo, au TNB à Rennes[44] et au Cinéville de Saint-Nazaire[45]. Télérama souligne à cette occasion l’effet de génération dans la compréhension de la polémique qui est associée au film[46], écart par ailleurs illustré quand le fils et le petit-fils de Nadine Trintignant se désolidarisent publiquement de cette dernière qui soutenait Roman Polanski[47],[48].

Titiou Lecoq voit dans les bons résultats de fréquentation du film dans ses premiers jours d’exploitation, un « aveuglement » et une « indifférence » généralisés en France vis-à-vis des violences sexuelles à l’égard des femmes et des enfants[49].

À l'inverse Laurence Bloch, directrice de France Inter (qui recommande le film en tant que « film France Inter »[50]) expose que « les auditeurs sont adultes et [qu']ils feront en conscience ce qu’ils croient devoir faire »[3]. Laurence Bloch précise : « C'est un partenariat de recommandation, c'est-à-dire que le service des partenariats de France Inter et la direction considèrent que le film de par son propos, de par la qualité de sa mise en scène, de par l'exemplarité et la qualité de ses acteurs, doit être non seulement porté à la connaissance de ses auditeurs, mais aussi recommandé. Il n'y a aucun échange d'argent. Il n'y a évidemment aucune demande aux critiques de cinéma de France Inter de dire du bien du film et je crois que les auditeurs savent que les critiques de la rédaction de France Inter font ce qu'ils ont à faire. Il y a l'homme et il y a le film, et la rédaction de France Inter fait son boulot par rapport aux accusations qui sont portées contre l'homme[50]. »

Arthur Nauzyciel, directeur du Théâtre national de Bretagne, explique dans une lettre ouverte pourquoi il souhaite programmer le film[44]. L'établissement public territorial Est Ensemble exprime le souhait, avec le soutien de l'ensemble des groupes politiques, de déprogrammer le film dans ses six cinémas publics, dont Le Méliès, avant que son président Gérard Cosme ne revienne sur cette décision : entre-temps, des élus et responsables de salles ont notamment dénoncé une « censure » ; Stéphane Goudet, directeur artistique du Méliès, avait également demandé aux élus la liste des cinéastes dont il n'aurait « plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères »[51].

Le théâtre auditorium de Poitiers déprogramme le film après deux semaines d'exploitation à la suite d'une manifestation et d'un blocage des salles[52].

À la suite des nombreuses polémiques suscitées par les 12 nominations du film à la 45e cérémonie des César, l'équipe du film est absente de la soirée[53].

En France

J'accuse
Score cumulé
SiteNote
Allociné
Compilation des critiques
PériodiqueNote
L'Express[54]
Le Figaro[55]

La presse française apprécie beaucoup le film qui reçoit la note de 4/5 sur Allociné.

L'Express adore le film :

« Qu'importe les costumes et l'apparat fin XIXe-début XXe siècle, J'accuse est d'une modernité saisissante et d'une actualité brûlante. C'est un grand spectacle aussi, filmé de main de maître et servi par la crème du landerneau cinématographique, Jean Dujardin (Georges Picquart), en tête, bien parti pour le césar du meilleur acteur[54]. »

.

Le Figaro apprécie le film : « Dans une reconstitution très soignée, le réalisateur dresse le portrait du défenseur de Dreyfus qui se sauve de son antisémitisme à travers son combat pour la vérité[55]. »

En Italie

Film franco-italien, L'Ufficiale e la Spia est également bien reçu par la presse italienne. Federico Pontiggia écrit dans Cinematografo que « J'accuse arrive et nous rappelle que Roman Polanski est un maître du cinéma. Ce n'est pas discutable[56]. »

Box-office

Box-office des premières semaines d'exploitation du film, semaine par semaine, en France
Sources : « J'accuse — Chiffres France » sur JP's Box-Office et « J'accuse — Box-office » sur CBO Box Office, d'après le CNC.
Semaine Rang Entrées Cumul Salles no 1 du box-office hebdo.
1 du au 1er 501 228 501 228 entrées 545 J'accuse
2 du au 4e 385 334 886 562 entrées 597 La Reine des neiges 2
3 du au 5e 263 696 1 150 258 entrées 686 La Reine des neiges 2
4 du au 8e 113 944 1 264 202 entrées 744 La Reine des neiges 2
5 du au 9e 95 250 1 391 406 entrées 620 La Reine des neiges 2
6 du au 15e 43 817 1 435 223 entrées 300 Star Wars : L'Ascension de Skywalker
7 du au 22e 34 779 1 470 002 entrées 300 Star Wars : L'Ascension de Skywalker
15 Total - - 1 566 745 entrées - -

Le film a ainsi un box-office de 10 millions d'euros sur le territoire français[57].

Au , le film a également enregistré environ 377 000 entrées en Italie après deux semaines d'exploitation, dans plus de 400 cinémas, générant environ 3,2 millions d'euros de recettes[57]. Cela se rajoute aux 288 000  engrangés en Belgique (soit plus de 33 000 billets vendus dans ce pays)[58]. Le box-office total serait de 15 millions d'euros[57].

Distinctions

Récompenses

Nominations

Analyse

Affaire Dreyfus dans l'affaire Polanski

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Claire Nevers, dans Libération, relève qu'il est possible d'interpréter le film de plusieurs manières étrangement parallèles bien que contradictoires. On peut voir dans J'accuse « une tentative de réhabilitation du cinéaste par lui-même, via la figure par excellence, hitchcockienne, du faux coupable, de Dreyfus, ou via l’innocence persécutée par l’idéologie du temps », mais ce ne serait pas la volonté du metteur en scène[2].

Pour Claire Nevers, « Dreyfus n’était pas censé valoir comme autoportrait en creux de Polanski — ou alors si, mais par ricochet, en analogie du juif victime de la barbarie antisémite, et non de la victime probable d’une erreur judiciaire, d’un crime qu’une société lyncheuse voudrait toujours lui faire payer. Pourtant, nous sommes d’accord, c’est bien de Roman Polanski que l’on parle, c’est-à-dire d’un cinéaste dont l’un des motifs essentiels et sujets cinématographiques est précisément la persécution. L’autre étant l’imposture[2]. »

Le film peut aussi être vu comme tout autre chose qu'une défense de son auteur : sa thématique est aussi celle de la défense de la victime et de l'innocent bafoué, la dénonciation de la forfaiture dans les pages de L'Aurore sous la plume de Zola faisant écho à la dénonciation du viol par Adèle Haenel par voie de presse[2]. Claire Nevers écrit ainsi : « Alors, une fiction cinématographique d’exercice de la vérité vient, en un paradoxe inouï et une pirouette, couronner le bien-fondé de la démarche de révolte radicale de l’actrice[2]. »

Erreurs et anachronismes

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La scène de rencontre entre Dreyfus et Picquart n'a jamais existé de cette manière et est la transposition d'une autre scène dont la valeur est toute différente. Picquart avait bien rencontré Dreyfus à l'École de guerre où il avait été son professeur ; il ne l'appréciait guère[60] et l'avait mis à part – avec un autre de ses condisciples, juif aussi – des autres étudiants[61]. Mais il n'y eut jamais de problème de note entre eux. En fait,

« À l’École de guerre, existait une « cote d’amour », note subjective d’appréciation d’aptitude au service d’état-major. Dreyfus, qui avait brillamment réussi ses examens, s’était vu attribuer un 5 par le général Bonnefond, note identique à celle qui avait été donnée à un condisciple et – là était la raison de cette mauvaise note – coreligionnaire. Une note qui pouvait avoir de graves conséquences puisque baissant la moyenne elle faisait perdre des places dans le classement et que seuls les dix premiers serviraient à l’État-major. Bonnefond l’avait dit : il ne voulait « pas de juifs à l’État-major ». Son condisciple avait ainsi été écarté mais pas Dreyfus – mauvais calcul – qui chutait certes de quatre places mais demeurait dans les dix premiers (il passait du 5e au 9e rang). Devant une telle injustice, Dreyfus avait pris le parti de signaler le fait à la hiérarchie. Il s’en était tout d’abord ouvert au général Niox, professeur avec lequel il entretenait une relation amicale, et qui n’avait pu que le consoler : « Il y a une justice immanente ! – vous aviez des larmes dans les yeux… » Puis au général Lebelin de Dionne, commandant de l’École : « Je lui ai dit que je ne venais nullement protester contre mon numéro de sortie, estimant que mes camarades valaient autant que moi, mais lui demandant si un officier juif n’était pas capable de servir son pays aussi bien qu’un autre »… Voilà ce que fut la vraie histoire qui ne concerne en rien Picquart et ne présente assurément pas le même Dreyfus, un Dreyfus qui ne récrimine pas mais demande réparation d’une injustice avérée et d’une injustice motivée par le plus ignoble des motifs.[62]. »

Au procès de Dreyfus en 1894, Picquart n'eut pas, comme on le voit dans le film, de problèmes de conscience relativement à la transmission du dossier secret. Ce n'est pas lui qui le transmit, la chose est avérée aujourd'hui, mais il reconnut lui même avoir transmis de nombreux plis aux juges de la part du ministre, n'excluait pas que le dossier secret pût en faire partie et fut un de ceux qui en proposa l'usage illégal[63].

Picquart ne refusa pas d'obéir à ses chefs qui ne lui ordonnèrent pas d'étouffer l'affaire comme le dit le synopsis du film[64].

Picquart ne livra pas le secret de sa découverte à Leblois, engageant ce dernier à parler. La consigne fut toujours claire : il lui confia son secret en lui demandant de n'agir que dans le cas où lui-même serait menacé. Picquart écrira lui-même :

« Comme je ne pouvais songer, à ce moment-là, à entreprendre la réhabilitation de Dreyfus, il était inutile que je parle de son dossier à Leblois, et je ne l’ai pas fait[65]. »

Picquart ne s'éleva aucunement contre la manière qui était celle du général de Pellieux de mener son enquête à propos d'Esterhazy. Il ne quitta pas la salle d'audition, en colère, claquant la porte à sa sortie. Au contraire, comme l'indique la sténographie récemment publiée[66], il fut entendu à plusieurs reprises, répondit aux questions avec courtoisie, garda son calme devant les accusations déguisées et, surtout, ne dit rien de ce qu'il savait en dehors de son intime conviction de l'innocence de Dreyfus[67].

La réunion de fin 1897-début 1898 au cours de laquelle se voient pour la première Picquart, Zola, Mathieu, Reinach, etc. n'a jamais existé. Picquart n'a rencontré les dreyfusards pour la première fois qu'au procès Zola et ne les fréquenta vraiment qu'à partir du début de l'été 1898 quand, exclu de l'armée, il devint libre de sa parole et commença à parler[68]. Ce n'est donc bien évidemment pas lui qui souffla à Zola l'idée du « J'Accuse... ! »[69] L'histoire du « J'Accuse... ! » est vraiment tout autre[70].

L'Histoire de l'Affaire Dreyfus de Joseph Reinach mentionne que le personnage de Bachir, veillant à l'entrée du bâtiment du contre-espionnage, a été retrouvé assassiné chez lui pendant la mutation de Picquart en Afrique. Il était susceptible d'avertir Picquart qu'Estherazy rendait visite à Henry à son bureau avant que l'affaire ne devienne publique. Le film donne une image plus négative du rôle de Bachir[71],[72].

Notes et références

  1. « J’accuse (An Officer and a Spy) », sur Mostra de Venise, (consulté le ).
  2. Camille Nevers, « Polanski rattrapé par son «J’accuse» », Libération, (lire en ligne)
  3. Benjamin Chapon, « « J’accuse »: Pourquoi l’affaire Polanski rend impossible la promo du film », 20 minutes, (lire en ligne).
  4. Non signé, « "J'accuse" de Roman Polanski : le film qui divise », Ledauphine.com, (lire en ligne)
  5. Catherine Balle, « La nouvelle affaire Polanski : une Française l’accuse de viol », Le Parisien, (lire en ligne)
  6. Marine Turchi et Iris Brey, « La nouvelle affaire Polanski : une Française l’accuse de viol », Mediapart, (lire en ligne)
  7. Julien Lemaignen, « La nouvelle affaire Polanski : une Française l’accuse de viol », Le Monde, (lire en ligne)
  8. AFP et 20 minutes, « Roman Polanski, un cas qui embarrasse le cinéma français », 20 minutes, (lire en ligne)
  9. « Le film « J'accuse » fait un carton à l'étranger », sur lepoint.fr,
  10. « J'accuse : Polanski sème le doute [Critique] », sur Première.fr, .
  11. « J'accuse : Jean Dujardin chez Roman Polanski pour son film sur l'affaire Dreyfus », sur Allociné, (consulté le ).
  12. « D : l'Affaire Dreyfus selon Roman Polanski », sur Allociné, (consulté le ).
  13. « Roman Polanski tournera un documentaire sur son enfance et s'exprime sur le projet Dreyfus », sur Allociné, (consulté le ).
  14. Jérôme Lachasse, « Roman Polanski: le tournage de son film sur l'affaire Dreyfus a commencé », sur BFM TV, (consulté le )
  15. Mathieu Delahousse, « Comment Polanski a investi le Palais de Justice de Paris pour tourner l'affaire Dreyfus », Nouvel Obs, (lire en ligne)
  16. E.L.M., « Paris : Polanski tourne à Saint-Germain-l’Auxerrois », Le Parisien, (lire en ligne)
  17. « Finistère. Un film sur l'affaire Dreyfus en tournage à Plougasnou », sur Ouest-France,
  18. « Cinéma. Quand Polanski transforme Primel en île du Diable [Vidéo] », sur Le Télégramme,
  19. « Seine-et-Marne. Roman Polanski et Jean Dujardin étaient à Moret pour le tournage de J'accuse », sur Actu.fr / La République de Seine-et-Marne, (consulté le )
  20. Bande originale du film J'accuse - 2019
  21. Non signé, « J'accuse de Polanski, histoire d’une réception impossible », France Culture, (lire en ligne)
  22. « Roman Polanski face au tribunal médiatique », Le Figaro, (lire en ligne)
  23. « Mostra de Venise : J'accuse de Polanski en compétition, malgré la polémique », L'Express, (lire en ligne)
  24. Marine Turchi, « Affaire Polanski: l’équipe du film tente de censurer des questions de la presse », sur Mediapart, (consulté le ).
  25. « J'accuse - Vincent Perez : "L'histoire personnelle de Polanski va imprégner son film" », Première, (lire en ligne).
  26. « Agrégateur critique des journalistes de La Stampa et de la presse internationale » [image], .
  27. « Mostra de Venise: J'accuse et Joker parmi les favoris », sur La Croix, .
  28. « Mostra : J'accuse de Polanski reste en compétition malgré la "gêne" de la présidente du jury », sur Le Figaro, (consulté le ).
  29. « Mostra de Venise : J'accuse de Polanski en compétition, malgré la polémique », sur L'Express, (consulté le ).
  30. Non signé, « Malgré la polémique, le J'accuse de Polanski entre en compétition à la Mostra de Venise », L'union France Monde, (lire en ligne)
  31. « Par peur d'être extradé, Roman Polanski ne se rendra pas à Venise pour présenter son film », sur Le Figaro avec l'AFP, .
  32. « Le palmarès aberrant de la 76° Mostra de Venise », La Croix, (lire en ligne).
  33. « Adèle Haenel veut encadrer le nouveau film de Roman Polanski d'un "débat sur la culture du viol" », sur BFM TV, (consulté le ).
  34. Clémence Holleville, « Adèle Haenel. À La Roche-sur-Yon, son émotion quand elle parlait de la “culture du viol” », Ouest France, (lire en ligne).
  35. Michel Guerrin, « « Avec la sortie de “J’accuse”, la digue entre l’homme et l’artiste se lézarde » », Le Monde, (lire en ligne).
  36. Marilou Dupouchel, « J’accuse de Roman Polanski : quelles conséquences pour sa sortie en salles ? », Les Inrockuptibles, (lire en ligne).
  37. Catherine Balle, « La nouvelle affaire Polanski : une Française l'accuse de viol », Le Parisien, (lire en ligne).
  38. « Une photographe française accuse Roman Polanski de l'avoir violée en 1975 », Le Monde, (lire en ligne).
  39. « Brigitte Macron a reçu deux lettres de la femme qui accuse Roman Polanski », Le Point, (lire en ligne).
  40. « Nouvelle accusation de viol de Roman Polanski : Jean Dujardin annule sa venue au 20 heures de TF1 », France Info, (lire en ligne).
  41. Benjamin Puech, « À nouveau accusé de viol, Roman Polanski a changé sa communication de J’Accuse », Le Figaro, (lire en ligne).
  42. Marine Turchi, « Affaire Polanski: l’équipe du film tente de censurer des questions de la presse », Mediapart, (lire en ligne).
  43. « Affaire Polanski : cascade d'annulations en marge de la promotion de J'accuse », Le Parisien, (lire en ligne).
  44. Non signé, « Roman Polanski. A Rennes, pourquoi le TNB avait maintenu la projection de J’accuse », Ouest France, (lire en ligne).
  45. Denis Riou, « Saint-Nazaire. Des militants empêchent une séance du film J’accuse de Roman Polanski », Ouest France, (lire en ligne).
  46. Romain Jeanticou, « “J’accuse” de Polanski : à l’avant-première, l’impossible dialogue entre féministes et spectateurs », Télérama, (lire en ligne).
  47. Romain Jeanticou, « Affaire Polanski : la famille Trintignant se divise », Le Point, (lire en ligne).
  48. Non signé, « Après la défense de Polanski par Nadine Trintignant, son fils et son petit-fils se désolidarisent », BFMTV, (lire en ligne).
  49. Titiou Lecoq, « J'accuse Roman Polanski (et les réactions face à l'affaire) », Slate, (lire en ligne).
  50. « Film France Inter : un partenariat de recommandation ».
  51. Voir sur lesinrocks.com.
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  71. « Joseph Reinach - « Histoire de l’Affaire Dreyfus », La Revue blanche, 1901, Tome 1 djvu/209 - Wikisource », sur fr.wikisource.org (consulté le ).
  72. « Histoire de l’Affaire Dreyfus/T2/6 - Wikisource », sur fr.wikisource.org (consulté le ).

Voir aussi

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Liens externes

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