Lucie Dreyfus
Lucie Dreyfus-Hadamard, née à Chatou le et morte à Paris le , était l'épouse d'Alfred Dreyfus et son principal et indéfectible soutien durant l'affaire qui ébranla le couple de 1894 à 1906. Multipliant les démarches, elle n'eut de cesse de laver l'honneur perdu de son mari[1].
Biographie
Famille
La famille Hadamard est originaire de Coblence, en Allemagne ; elle essaime à Metz pour s'installer ensuite, aux premières heures du XIXe siècle, à Paris. David Hadamard, le père de Lucie, est négociant en diamant à Paris. Lucie est la petite cousine du mathématicien Jacques Hadamard et la grand-tante d'Yves Duteil.
Mariage
Les parents de Lucie organisent de nombreuses réceptions. Lors de l'une d'elles, Lucie rencontre Alfred Dreyfus, camarade de promotion de son petit cousin, Paul Hadamard[2]. Le couple se fiance durant l'hiver 1889-1890. Ils se marient à Paris, le . Le mariage religieux est célébré à la grande synagogue de Paris le par le grand-rabbin de France Zadoc Kahn, qui prendra position pour les dreyfusards par la suite. Le couple s'installe à deux pas des Champs-Élysées, rue François-Ier[Notes 1]. Ils partent en voyage de noces en Italie puis en Suisse avant de rentrer en faisant une halte à Mulhouse[3]. Le couple aura deux enfants, Pierre-Léon (1891-1946) et Jeanne (1893-1981). Lucie s'intéresse à la littérature, joue du piano et ne cesse de relire son historien favori : Numa Denis Fustel de Coulanges.
Affaire Dreyfus
Le , son mari est arrêté, l'affaire Dreyfus éclate. Lucie s'investit corps et âme dans la lutte pour recouvrer l'honneur perdu de son mari bafoué, jugé et bientôt exilé. Elle adresse une pétition à la Chambre et une supplique au pape, le . Elle est citée comme témoin par Émile Zola, mais le président Delegorgue refuse qu'elle soit entendue. Elle voit sa demande en révision du acceptée[4].
Lucie visite quotidiennenment son mari dans les prisons parisiennes à partir du puis à l’île de Ré. Elle entretient avec son mari, même lorsqu'il sera exilé à l’île du Diable, une importante correspondance. Il dira d'elle dans ses mémoires de captivité : « ma compagne dévouée et héroïque »[5]. Il l'invite à accomplir des démarches :
« Livre la clé de cet horrible mystère : rien ne sera changé dans notre tragique situation tant que le jugement ne sera pas révisé. Réfléchis donc et agis pour déchiffrer cette énigme[6]. »
Le , le journal L'Aurore publie le J'accuse…! d'Émile Zola. Le , tandis que ce dernier passe devant les Assises de la Seine, elle lui écrit :
« Mon cœur déborde à la lecture des paroles sublimes que vous venez de prononcer. Je suis tellement émue, tellement transportée que je ne puis réprimer l'élan qui me porte à venir vous dire du fond de mon âme ma reconnaissance infinie. Mon trouble est si grand que je ne saurais en ce moment exprimer ma pensée. Je vous dirai donc simplement : merci. Merci, Monsieur, du fond de mon cœur de femme, de mère, merci pour mes enfants dont vous réhabilitez le nom, merci pour mon pauvre mari martyr dont vous avez crié l'innocence à la face du monde entier. »
Elle publie des lettres pour sensibiliser l'opinion publique quant à l'innocence de son mari. Elle est à Rennes et l'y attend pour sa comparution lors de son second procès en cassation du premier, le . Il est à nouveau condamné à dix années de réclusion.
Lors du procès de Rennes, Alfred exprime publiquement sa gratitude :
« Après ma condamnation, j’étais décidé à me tuer, j’étais décidé à ne pas aller à ce supplice épouvantable d’un soldat auquel on allait arracher les insignes de l’honneur ; eh bien, si j’ai été au supplice, je puis le dire ici, c’est grâce à Mme Dreyfus qui m’a indiqué mon devoir et m’a dit que si j’étais innocent, pour elle et pour mes enfants, je devais aller au supplice la tête haute ! Si je suis ici, c’est à elle que je le dois[7]. »
Le , Émile Loubet octroie une grâce présidentielle à Alfred.
Le , Émile Zola écrit dans L'Aurore une lettre ouverte à Madame Alfred Dreyfus :
« … On nous a bien promis, en dédommagement, la justice de l’Histoire… de même, laisser les scélérats tenir le haut du pavé, tandis que vous, les justes, on vous pousse au ruisseau. Et l’on ajoute que, lorsque nous serons morts, c’est nous qui aurons les statues. Pour moi, je veux bien, et j’espère même que la revanche de l’Histoire sera plus sérieuse que les délices du paradis. Un peu de justice sur cette terre m’aurait pourtant fait plaisir…. Et j’attends toujours[8]. »
Il faudra attendre le — Zola est mort depuis bientôt quatre ans — pour que le jugement de Rennes soit cassé sans renvoi. Le mari de Lucie Dreyfus est enfin réhabilité ; il réintègre l'armée et sera fait chevalier de la Légion d'honneur le de la même année. Durant toute la procédure, femme de son siècle, elle a toujours cependant laissé la conduite de la défense de son mari à son beau-frère, Mathieu Dreyfus.
Dans sa correspondance avec son amie, Hélène Naville, avec humilité, elle l'interpelle :
« Pourquoi avez-vous fait un tel éloge de moi, je suis bien loin de le mériter. Si j’ai supporté ces années de souffrances, c’est que je le devais à mon mari, à mes enfants. J’ai fait tout simplement mon devoir ; si j’avais fait autrement, j’aurais été criminelle[7]. »
Lors de la Première Guerre mondiale, sa fibre caritative s'affirme et lui fera passer, en 1933, un brevet d'état d'infirmière[6].
Madame veuve Alfred Dreyfus
Alfred Dreyfus meurt à Paris d'une crise cardiaque, le . Elle lui survit plus de dix ans. Durant la Seconde Guerre mondiale, Lucie Dreyfus est hébergée dans un couvent à Valence sous le nom de Madame Duteil[9] ; seule la mère supérieure connait sa véritable identité. Lucie ne sera pas inquiétée durant toute la guerre. Sa petite fille, Madeleine Lévy[Notes 2], la fille de Jeanne, connait un sort plus funeste, elle est arrêtée par des miliciens français à Toulouse. Déportée vers l'Est, elle meurt du typhus à Auschwitz en , âgée de 25 ans[9],[10].
Lucie Dreyfus meurt à Paris, le et repose au côté de son mari au cimetière du Montparnasse (division 28).
Notes et références
Notes
- Au 24 de la rue François-Ier in Jean-Pierre Poussou, Isabelle Robin-Romero, Histoire des familles, de la démographie et des comportements : en hommage à Jean-Pierre Bardet, Presses Paris Sorbonne, 2007, 1080 p.
- Née le , morte à Auschwitz en , elle était assistante sociale. Membre actif dans la Résistance, elle avait renoncé à rejoindre les États-Unis.
Références
- Philippe Bourdrel, Histoire des juifs de France, Vol. 1, Albin Michel, 7 janvier 2004, 464p.
- Vincent Duclert, Alfred Dreyfus : L’honneur d’un patriote, Fayard, 19 avril 2006, 1280 p.
- Laurent Greilsamer, La vraie vie du Capitaine Dreyfus, Tallandier, 224 p.
- Oeuvres de Jean Jaurès, L'Affaire Dreyfus, Fayard, 13 juin 2001, 902 p.
- Alfred Dreyfus, Cinq années de ma vie, 1894-1899, Library of Alexandria, 1962, 291 p.
- Lucie, épouse indéfectible, Dreyfus culture.fr, consulté le 1er novembre 2017.
- Elisabeth Weissmann, Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, Paris, Textuel, 2015.
- Émile Zola, « Lettre ouverte à Madame Alfred Dreyfus », L'Aurore, 29 septembre 1899.
- Martin Gilbert, The Righteous: The Unsung Heroes of the Holocaust, Henry Holt and Company, avril 2010, 560 p.
- Marc Knobel (CRIF), « Interview de Jean-Louis Levy », juin 2006, consultée le 2 novembre 2017.
Voir aussi
Bibliographie
- Alfred et Lucie Dreyfus, Écris-moi souvent, écris-moi longuement… édition établie par Vincent Duclert ; Avant-propos de Michelle Perrot, Paris, Mille et Une Nuits, 2005, 570 p.
- Elisabeth Weissmann, Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, Paris, Textuel, 2015.
Articles connexes
Liens externes
- Lucie, épouse indéfectible sur dreyfus.culture.fr
- correspondance de Lucie Dreyfus sur bnf.fr
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