Compagnie française des Indes orientales

La Compagnie des Indes orientales  plus précisément Compagnie française pour le commerce des Indes orientales  est une compagnie coloniale française créée par Colbert le dont l'objet était de « naviguer et négocier depuis le cap de Bonne-Espérance presque dans toutes les Indes et mers orientales », avec monopole du commerce lointain pour cinquante ans.

Pour les articles homonymes, voir Compagnie des Indes orientales.

Compagnie française pour le commerce des Indes orientales

Armes de la compagnie après 1719.

Création 1664
Disparition
Fondateurs Jean-Baptiste Colbert
Forme juridique Société anonyme avec appel public à l'épargne
Slogan Florebo quocumque ferar

Après 1722 : Spem auget opesque parat[1]

Siège social Lorient Royaume de France
Activité Commerce international
Drapeau du régiment de la Compagnie des Indes en 1756[réf. nécessaire].

Plus que sa rivale anglaise, elle forme une véritable puissance dans l'océan Indien entre 1720 et 1740[2], puis devient centrale dans les grandes spéculations boursières sous Louis XVI.

Sa création avait pour but de donner à la France un outil de commerce international avec l'Asie et de concurrencer les puissantes Compagnies européennes fondées au XVIIe siècle, comme la Compagnie anglaise des Indes orientales et surtout la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Cependant, la guerre d'usure avec les Néerlandais puis le choc frontal avec les Anglais en Inde la conduiront à sa perte, après seulement un siècle d'existence.

Naissance du nouveau commerce français avec l'Asie

Des initiatives éparses contrées par les Néerlandais

Dès le milieu du XVIe siècle, suivant la trace des Portugais  premiers à ouvrir les routes de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est , quelques explorateurs français, des corsaires et des aventuriers arment des navires pour rejoindre « Cathay » (Nord de la Chine) et « les Indes » et en rapporter des épices. Ils ne rencontreront pratiquement aucun succès commercial.

À partir de 1600, les premières expéditions commerciales de commerçants malouins ou dieppois sont régulièrement lancées vers l'Asie. Une série d'éphémères compagnies de commerce qui bénéficient par lettres patentes d'un monopole commercial sont lancées (Compagnie française des mers orientales, créée en 1600, Compagnie Le Roy et Godefroy en 1604 devenue Compagnie des Moluques en 1615, Compagnie de Montmorency pour les Indes orientales, créée en 1611 par Charles de Montmorency-Damville, amiral de France). Elles ne créent pas un courant commercial significatif d'autant que leurs vaisseaux sont systématiquement détruits ou confisqués par les Néerlandais de la VOC (compagnie néerlandaise des Indes orientales).

La politique volontariste de Richelieu

Cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne.

L'arrivée de Richelieu au pouvoir en 1624 et la signature du traité de Compiègne avec les Provinces-Unies (Pays-Bas) qui reconnaît la liberté du commerce vers les « Indes occidentales et orientales » relance l'activité des Français en direction de l'Asie avec un double but, missionnaire et commercial. La route terrestre est explorée avec le réseau des frères capucins du Père Joseph et c'est un missionnaire  Pacifique de Provins  qui réussit à établir en 1628 des liens officiels entre la France et la Perse ouvrant par le golfe Persique la route de l'Inde.

L'ordonnance royale de 1629, dite code Michau, encourage les Français à créer des compagnies de commerce à l'image des Néerlandais et des Anglais.

À partir des années 1630, les Français s'intéressent au sud de l'océan indien et prennent possession de sites et de ports  notamment Fort-Dauphin et Port-Louis  à Madagascar et dans les Mascareignes (île Bourbon, île de France, île Rodrigues) ; La compagnie d'Orient est créée par lettre patente de juillet 1642 avec monopole de 15 ans sur Madagascar et les îles environnantes.

Au-delà de ces îles, la route des Indes est reprise par des missionnaires sous l'impulsion du jésuite Alexandre de Rhodes et de la Compagnie du Saint-Sacrement et qui privilégie la péninsule indochinoise.

En 1660, enfin est fondée la Compagnie de Chine, avec tous les puissants de l'époque, comme Mazarin ou Fouquet, souvent membres de la Compagnie du Saint-Sacrement. Mais celle-ci se consacre exclusivement à des activités commerciales.

Création de la Compagnie

Une société organisée par Colbert

Jean-Baptiste Colbert.

Imaginée par Colbert, elle est créée par la Déclaration du Roi portant établissement d'une Compagnie pour le commerce des Indes orientales signée par Louis XIV le et des lettres patentes enregistrées par le Parlement de Paris. Les statuts en font une manufacture royale avec tous les privilèges associés, en particulier exemption de taxes, monopole du commerce dans l'hémisphère oriental (auquel s'ajoutent au XVIIIe siècle les côtes ouest de l'Afrique (Sénégal, Guinée), garantie sur trésor royal, et le pouvoir de nommer des ambassadeurs.

Elle est dotée d'un capital initial de 8,8 millions de livres. L'article XLII de ses statuts lui attribue des armes, « un écusson de forme ronde, le fond d'azur chargé d'une fleur de lys d'or, enfermé de deux branches, l'une de palme et l'autre d'olivier jointes en haut, et portant une autre fleur de lys d'or », ainsi qu'une devise, « Florebo quocumque ferar », c'est-à-dire « je fleurirai partout où je serai portée ».

La Compagnie se voit définir des objectifs plus vastes que le suggère son nom et qui sont de trois ordres : le commerce, évidemment, et la lutte contre les produits anglais et néerlandais ; la politique, en contribuant au développement d'une marine nationale et en affirmant la présence française sur les mers ; la culture et la religion : en propageant la civilisation française et en évangélisant les « païens ».

Son premier directeur, nommé par Colbert, est François Caron, un huguenot exilé ayant œuvré pendant 30 ans au sein de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). La compagnie est d'abord implantée au Havre, puis le port de Lorient nouvellement créé en devient le siège à partir de 1666.

Les indiennes de coton, enjeu important pour Colbert

Attentif à la question du textile, Colbert s'est intéressé aux efforts de ses prédécesseurs à l'époque d'Henri IV, pour développer la culture de la soie. Il sait que la communauté arménienne de Marseille, par ses liens avec l'Orient, importe des indiennes, ces cotonnades légères et fines, qui plaisent par leurs couleurs gaies.

La Compagnie des Indes orientales vise d'abord cette activité, alors que le commerce du poivre est dominé par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Lorsqu'elle prend son essor, de Pondichéry et Calcutta, 8 à 10 vaisseaux chargés de tissus arrivent annuellement à Lorient, port important dans l'histoire des indiennes de coton en Europe.

En 1669, Colbert crée le port franc de Marseille où des Arméniens s’installent à sa demande, pour apprendre aux Marseillais à peindre les cotonnades et les approvisionner. Mais à partir de 1671, il entre en demi-disgrâce auprès de Louis XIV et la guerre de Hollande de 1672 nuit à ses projets.

La folie pour les "Indiennes" fut telle en France qu'une prohibition en interdit le port, la vente et la fabrication entre 1689 et 1759. Le port de ces vêtements pouvait être puni de la peine des galères et leur vente pouvait conduire à la pendaison ; mais une contrebande active, alimentée en partie par les marins de la Compagnie des Indes approvisionna un marché clandestin et les "Indiennes" furent portées par toutes les élégantes, de la favorite du roi à la demoiselle de province.

La Compagnie des Indes fut autorisée à poursuivre son commerce des cotons blancs dans le royaume. Elle put continuer celui des cotons colorés et imprimés à la seule condition de les réexporter hors de France. C'est le marché africain qui lui fournit son débouché[3].

La mission de Villault de Bellefond

Dans une lettre adressée à Colbert, Nicolas Villault de Bellefond décrit le voyage effectué le long des côtes de Guinée en 1666-1667. Il met en garde contre les conditions climatiques qui rendent l’air si mauvais que peu de Blancs y passent sans y être malades[4].

Succès et échecs de la première Compagnie des Indes

Vaisseaux français partant pour les Indes en 1699.

Tout en échouant à créer une véritable colonie sur l'île de Madagascar (Fort-Dauphin), la compagnie réussit cependant à établir des ports sur l'île Bourbon et l'île de France, deux îles voisines, aujourd'hui La Réunion et l'île Maurice. Son capital est alors de 15 millions de livres (la famille royale en souscrit 3). Elle a pendant 50 ans le monopole du commerce entre le cap Horn et le cap de Bonne-Espérance.

Mais la compagnie souffre de difficultés organisationnelles qui la conduisent à l'échec. En effet, les décideurs, à Paris, peuvent difficilement comprendre les besoins des comptoirs indiens, ce qui a pour conséquence des décisions inadaptées. D'autre part, elle est endettée depuis sa création[5].

Enfin, la guerre de Hollande en désorganise le fonctionnement. En 1682, la compagnie perd son privilège. En 1719, elle est absorbée par la compagnie fondée par John Law. Elle obtient dans l'intervalle le privilège de battre monnaie, à Arkât, Surate et Pondichéry, d'où sortent les premières roupies de la Compagnie[6].

Seconde refondation : Law et la Compagnie perpétuelle des Indes

En 1719, John Law la fusionne avec d'autres sociétés de commerce françaises qu'il avait contribué à réorganiser, entre autres la Compagnie du Sénégal, la Compagnie de Chine, la Compagnie du Mississippi, et la Compagnie de la Louisiane dont il avait obtenu le contrôle en échange d'une dette fiscale contractée par Antoine Crozat. Law fonde alors une super compagnie appelée la « Compagnie perpétuelle des Indes », l'équivalent d'une moderne holding, qui gère l'ensemble du trafic maritime colonial français. Ne devant en conserver qu'un seul, c'est à cette occasion que la compagnie adopte le sceau ainsi que, bien qu'elles représentent des amérindiens, les armes de la Compagnie d'Occident, créée deux ans plus tôt.

Chose curieuse, Law combine la gestion des participations à l'ensemble des services chargés des rentrées fiscales du Royaume. Missionnée pour renégocier la dette publique puis pour collecter les impôts, la Compagnie perpétuelle émet des actions dont les intérêts sont payables en billets de la Banque royale, laquelle possède une part importante du capital de la dite compagnie. Ce montage repose sur la confiance des souscripteurs et la garantie du Roi, mais sa structure touchant au gigantisme manque de souplesse. En janvier 1720, la Banque générale et la Compagnie perpétuelle fusionnent : l'actionnariat consolidé s'élève à plus d'1,5 milliard de livres tournois, du jamais vu. L'argument de John Law est que les richesses coloniales potentielles de la France sont inépuisables et qu'il faut bâtir sur cette manne un nouveau système. À sa façon, il va survendre cet Eldorado : bon nombre de bateaux n'arrivant pas au port, « l'or des colonies » ne peut couvrir les millions de titres émis de toute façon en surnombre. Law n'est pas le seul à manipuler ainsi l'opinion, les cours de la Bourse et les financiers : au même moment, les directions des compagnies d'Amsterdam et Londres usent de pratiques similaires.

Dès mars 1720, la tendance du titre est à la baisse et des manœuvres spéculatives entraînent une quasi banqueroute puis de violentes émeutes courant juillet, les actionnaires se ruant au siège parisien de la Compagnie pour revendre leurs titres. La cotation est suspendue, on parle de faillite en chaîne. Au même moment, la bourse de Londres connaît l'explosion d'une bulle spéculative, le cours de la South Sea Company est divisé par dix au cours des six mois suivants.

Cependant, après une réorganisation complète menée via la commission du visa et le banquier Joseph Pâris Duverney, la Compagnie des Indes retrouve son indépendance en 1723, ainsi que la Compagnie du Mississippi, qui fut, elle, dissoute en 1770.

Néanmoins dynamisée durant cet épisode d'agiotage, la Compagnie des Indes envoie désormais 10 à 11 bateaux par an aux Indes sur la période 1720-1770, contre seulement 3 ou 4 sur la période 1664-1719. Près de la moitié des produits qui reviennent d'Orient, en valeur, sont des métaux précieux, qui se recyclent dans le circuit économique[7].

La Compagnie recrutait aussi des soldats pour les Indes, dont beaucoup provenaient des prisons[8]. L'orientaliste Anquetil Duperron a consigné le récit de son engagement et de ses tribulations en tant que jeune recrue en 1755, à l'âge de 24 ans[9].

Dupleix et la conquête de l'Inde

Les comptoirs européens en Inde.

Une pénétration réussie en Inde

En 1668, le directeur de la Compagnie, Caron, s'établit en Inde, à Surate, assisté de l'abbé Carré. Mais c'est à PondichéryFrançois Martin s'installe en 1674, que la compagnie enracine bientôt sa capitale.

À partir de 1720, la Compagnie profite de la longue période de paix qui s'installe en Europe pour connaître une forte période de prospérité. Les bénéfices distribués deviennent considérables, au point de provoquer la jalousie croissante de l'Angleterre.

Avec le déclin de l'Empire moghol, Pierre Benoist Dumas, gouverneur de Pondichéry de 1735 à 1741, décide d'intervenir dans les affaires politiques indiennes de façon à protéger ses intérêts, en prenant parti pour les Moghols contre les Marathes. Le Grand Moghol lui confère le titre de nabab, mais Dumas le refuse à titre personnel, demandant qu'il soit automatiquement transmis à chaque nouveau gouverneur français. Dumas reçoit également l'autorisation de battre monnaie à Pondichéry.

Compétition frontale avec les Anglais

Lord Clive rencontre Mir Jafar après la bataille de Plassey.

Le successeur de Dumas, Dupleix, invente la politique du protectorat, que son lieutenant Bussy-Castelnau applique dans le Deccan. La plus grande partie de l'Inde du Sud se retrouve sous influence française, au grand dam des directeurs de la Compagnie, qui ne comprennent pas que seule une forte assise territoriale peut garantir une autonomie financière aux établissements de la Compagnie.[pas clair]

Les hostilités, qui avaient éclaté avec la Compagnie anglaise des Indes orientales dès 1744, durent jusqu'à la révocation de Dupleix en 1754.

Elles reprennent dès 1756, date du début de la guerre de Sept Ans. Les difficultés du lieutenant général Lally-Tollendal, ainsi que sa rivalité avec Bussy, rappelé du Deccan, aboutissent à la capitulation française, et à la destruction totale de Pondichéry par les Britanniques en 1761.

En 1757, la victoire de Robert Clive à la bataille de Plassey avait livré le Bengale à la Compagnie anglaise des Indes orientales, laquelle n'avait plus qu'à appliquer à son profit les méthodes de Dupleix et Bussy.

La Compagnie des Indes le long des côtes africaines

Le le roi (en fait le Régent agissant au nom du roi Louis XV encore mineur) établit à perpétuité et au profit exclusif de la Compagnie perpétuelle des Indes le monopole de la traite négrière sur la côte d'Afrique, privilège dont elle usa à partir de 1723. La compagnie, encouragée financièrement par le roi, se lança dans l'envoi de main-d'œuvre servile dans les trois territoires dont elle devait assurer la mise en valeur : Saint-Domingue, la Louisiane et les Mascareignes[3].

La compagnie possède des forts ou des fortins le long des côtes du Sénégal, notamment à Arguin, Portendick (actuellement en Mauritanie), Saint-Louis, Gorée, Albreda, Bissau, Podor ; sur les côtes de Guinée elle détient le fort de Ouidah. Les bâtiments très rustiques servaient d'entrepôts de marchandises, de logements, de prison, de chapelle, de poudrière ; un espace était dédié aux cultures. Environ trois cents agents blancs travaillaient dans ces établissements aux côtés d'Africains libres et d'esclaves. Le négoce de la Compagnie était principalement constitué d'or, de gomme arabique, d'ivoire et d'esclaves. Entre décembre et juin les convois, accompagnés des laptots (marins indigènes de la Compagnie) longeaient les côtes et remontaient les fleuves pour négocier l'achat des marchandises et des esclaves. Pendant les mois d'hivernage, les agents étaient gagnés par l'oisiveté et par l'alcoolisme. La mortalité dans ces comptoirs était très importante en raison du paludisme, des fièvres putrides et de la violence des mœurs[3].

Entre 1719 et 1770 la Compagnie des Indes arma 179 expéditions de traite dont 152 partirent de Lorient. Elles se dirigèrent majoritairement vers le Sénégal et le port de Ouidah pour y prendre des captifs dont le nombre est estimé à environ 56 700, dont près de 45 300 par des navires lorientais. En concédant à partir de 1725 une grande partie de son monopole aux armateurs privés, la Compagnie perçut des taxes pour chaque esclave déporté en Amérique. Enfin la vente et le fret des marchandises de traite (cauris, textiles indiens prohibés, corail, etc..) furent une troisième source substantielle de revenus pour la Compagnie[3].

L'échec

Vue des magasins de la Compagnie des Indes à Pondichéry, de l'amirauté et de la maison du gouverneur, avant la destruction de la ville par les Anglais en 1761, telle qu'on peut l'entrevoir sur cette gravure de 1769. (XVIIIe siècle, Lorient, musée de la Compagnie des Indes).

La Compagnie était à son époque considérée comme un placement solide et sûr. Voltaire y avait placé une partie de ses économies[10].

Mais en 1763, après le traité de Paris, la France perd son premier empire colonial, et, concernant l'Inde, ses territoires du Deccan : il ne lui reste plus que les cinq comptoirs de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor, qu'elle conservera sous la forme d'établissements jusqu'en 1949.

De plus, dans les années 1760, la Compagnie est contrainte à la rétrocession des Mascareignes au roi de France, en l'occurrence Louis XV.

La Compagnie a été durement touchée par la guerre de Sept Ans, à la perte de ses comptoirs en Asie s'ajoutant celle d'une partie de sa flotte. Malgré ces revers et son endettement important, elle réussit à redresser sa situation commerciale[11], mais non à regagner la confiance de Choiseul, soucieux de contrôler les dépenses publiques[11]. Sous la pression des économistes et des armateurs, et malgré l'opposition de son patron Jacques Necker, « le monopôle de la Compagnie perpétuelle des Indes est suspendu » le 13 août 1769, et l'Asie ouverte au commerce privé[11].

Troisième refondation : la Compagnie des Indes orientales et de la Chine

Action au montant de 2 500 livres émise par la Compagnie datée du 30 avril 1787 pour la deuxième levée de capitaux.

Les lettres patentes du consacrent la reconnaissance par le Roi du passif de la Compagnie : la caisse des amortissements qui gère la dette publique enregistre pendant quinze ans les différentes créances et les honore. Toutefois, côté anglais, la région du Deccan est durement frappée par une énorme famine qui se répercute sur l'ensemble du commerce maritime britannique, l'East India Company en pâtit puis les places boursières en 1772.

L'année 1766 est toute centrée sur l'affaire qui oppose le marquis de Castelnau au comte de Lally-Tollendal. Ce dernier est condamné le à la peine capitale pour trahison des intérêts du roi de France aux Indes. Il est exécuté le sur la place de Grève[12].

En 1778, la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne : les hostilités sur les mers et aux Indes durent jusqu'au 2 juillet 1783. La flotte britannique, occupée en Amérique du Nord, n'est pas inquiétée par les forces françaises, si bien que le marquis de Castelnau est envoyé avec une armée aux Indes pour renforcer les positions françaises. Il est nommé gouverneur des Établissements français des Indes. Le 3 septembre 1783 est signé à Versailles le traité de Paris qui met fin à la guerre d'indépendance américaine : dans l'opinion, mais aussi sur le plan diplomatique, cet accord efface la honte du traité de 1763. En effet, outre une puissante force navale, la France retrouve cinq villes de plus aux Indes et l'assurance d'un nouvel allié, les États-Unis d'Amérique[13].

En 1784, le banquier Guillaume Sabatier et son associé Pierre Desprez[14] entreprennent un voyage à Londres, accompagnés de Augustin-Jacques Perier et Pierre Bernier. À la demande du ministre Calonne, ils négocient avec le gouvernement anglais la création d'une nouvelle compagnie française des Indes. Le 3 juin 1785 est créé la Compagnie des Indes orientales et de la Chine. Dotée d'un capital de vingt millions de livres, cette société détient le privilège du commerce au-delà du cap de Bonne-Espérance, un monopole confirmé par un arrêt du Conseil le 21 septembre 1786. Le monopole ne concerne pas les Mascareignes, les ports de l'île de France et de l'île Bourbon restant accessibles à tous les navires français[11].

La compagnie installe ses bureaux parisiens à l'hôtel Massiac, l'ancien siège de la banque Jabach, place des Victoires, et prend possession des bâtiments, magasins et ateliers de l'ancienne compagnie à Lorient et à Marseille. Elle ouvre des comptoirs dans des établissements français à Canton, à Pondichéry, sur les côtes du Bengale, de Coromandel et de Malabar, à Moka, à Mahé et à l'île de France) ; elle envoie également des correspondants dans les ports le long de la route maritime des Indes, de Lisbonne à Canton.

Louis XVI nomme 12 directeurs : outre Guillaume Sabatier qui fut l'un des plus gros actionnaires et le dernier administrateur de cette troisième structure, on trouve Pierre Bernier, Louis-Georges Gougenot (1758-1796), Jacques (?) Dodun, Jean-François de Moracin, Étienne Demars jeune, Gourlade, Denis Montessuy, Simon Bérard aîné, Jacques Bézard, Augustin-Jacques Perier[15] et Jean-Jacques Bérard cadet. Obligation leur est faite de détenir chacun cinq cents actions de mille livres soit 20 % du capital porté à 30 millions par le décret de septembre 1786 soit 12 000 actions de 2 500 livres. La compagnie arme 17 bateaux et prospère très rapidement. Les bénéfices permettent de distribuer un dividende de 18 % en 1788 et de 16 % en 1789.

Le , l'Assemblée nationale décrète que « le commerce de l'Inde, au-delà du cap de Bonne-Espérance, est libre pour tous les Français » et prive ainsi la Compagnie de son monopole. Réunis en assemblée générale le 10 avril, les actionnaires nomment huit commissaires chargés d'étudier une éventuelle continuation de l'activité, parmi ceux-ci Dangirard, Monneron (fondateur de la Caisse des comptes courants), et Sabatier. Le 23 mai, les actionnaires décident la reprise d'activité et nomment quatre commissaires  Delessert, Fulchiron, Gautier et Mallet  chargés de rédiger les statuts de la nouvelle Compagnie des Indes. Le capital est réduit à trente millions et le nombre de comptoirs ramené à sept : Pondichéry, Yanaon, Mahé, Canton, Surat, l'île de France (Maurice aujourd'hui) et l'île de La Réunion. La libéralisation et la Révolution ne gênent pas la marche des affaires qui connaissent une croissance régulière et le cours de l'action atteint 1 500 livres.

AnnéesChiffres d’affairesBénéfices
178614 631 807 livres
178712 805 994 livres7 226 550 livres[16]
178819 157 615 livres8 013 363 livres
178911 088 028 livres8 176 691 livres
179026 660 471 livres7 659 857 livres
179135 154 473 livres
17928 837 124 livres
17937 805 902 livres

Pendant la Terreur, la Compagnie des Indes est soupçonnée d'activités contre-révolutionnaires et la Convention décrète le 26 juillet 1793 l'apposition des scellés sur ses bâtiments. Un deuxième décret du 11 octobre 1793 supprime la Compagnie des Indes et réquisitionne les marchandises et les navires : le tout est estimé à 28 544 000 livres. Les directeurs de la compagnie sont emprisonnés, certains sont guillotinés, les autres échappent à la peine capitale en se faisant interner comme malades mentaux à la maison de santé de Jacques Belhomme sur recommandation de Cambacérès, cousin de Sabatier et membre du Comité de sûreté générale.

Après le 9-Thermidor, Cambacérès, devenu président du Comité de salut public, libère les directeurs. La direction de la compagnie est recréée sous une forme réduite : 10 personnes dont Sabatier, Mallet et Moreau. Le 30 mai 1795, une députation de quinze personnes, parmi lesquelles Le Couteulx, Audibert (de Marseille), Devaisnes, Mallet et Moreau, est envoyée à la Convention pour solliciter la restitution des biens saisis. En juillet 1795, le séquestre est levé et trois navires sont rendus. Mais la Compagnie des Indes ne peut reprendre ses activités commerciales et les actionnaires décident la liquidation.

Décidés à obtenir réparation des réquisitions de 1793, les commissaires-liquidateurs Mallet, Martin d'André et Jean Baptiste Rodier entament une procédure judiciaire contre l'État qui se termine en 1875[17].

Notes et références

  1. E. Zay, Histoire monétaire des colonies françaises, p. 272, J. Montorier, Paris, 1892.
  2. Olivier Chaline, La France au XVIIIe, Belin Sup, page 280.
  3. Notice d'information du Musée de la Compagnie des Indes
  4. Rivières du Sud - Des littoraux aux limites mouvantes - IRD Éditions
  5. Marie Menard-Jacob, La première Compagnie des Indes : Apprentissages, échecs et héritage. 1664-1704, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-5589-1, lire en ligne)
  6. (en) (en) French East India Company- History and Coinage, Mintage World, 29 décembre 2017.
  7. Jeremy Black, From Louis XIV to Napoleon: the fate of a great power, p. 91.
  8. Zend-Avesta, p. XV.
  9. Zend-Avesta, p. VII et suiv.
  10. « Je m'intéresse à la Compagnie parce que j'ai une partie de mon bien sur elle » écrit-il à son ami Pilavoine le 23 avril 1760. Dans une autre lettre il assure que ses actions lui rapportent 20 000 livres tournois chaque année – voir page 76 dans Philippe Haudrère, Les Compagnies des Indes orientales, Éditions Desjonquères, 2006.
  11. « Quelques aspects du commerce entre la France et l'Asie à la fin du XIIIe siècle, 1765-1793 », Philippe Haudrère dans Révolution française et océan Indien (ISBN 2-7384-4110-6).
  12. Voltaire, Fragments sur l'Inde, 1773. Arrêt de la cour du Parlement, Registres du Parlement, 6 mai 1766 (conservé aux AN).
  13. Olivier Chaline, La France au XVIIIe, Belin Sup, page 39.
  14. Maison de négoce Sabatier & Deprez : ce dernier n'a rien à voir avec le futur régent Médard Desprez.
  15. Augustin-Jacques Perier (sans accent) se suicide en 1793 au moment de l'affaire de la liquidation de la Compagnie.
  16. Comptes arrêtés au 1er mars 1788.
  17. Toutes les précisions de prénoms et noms des protagonistes proviennent de deux études fondamentales publiés par les éditions de l'EHESS : Les régents et censeurs de la Banque de France nommés sous le Consulat et l'Empire de Romuald Szramkiewicz (Paris, 1974) et Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire de Louis Bergeron (Paris, 1999).

Voir aussi

Bibliographie

Par ordre alphabétique de nom d'auteur :

  • Frédéric Bargain, Edhson La Compagnie du crime, Lorient, Le Ster, 2009 (roman policier historique sur la Compagnie des Indes en 1721).
  • Philippe Fabry, La relève de l’Escadre de Perse - Journal de bord d’un vaisseau français aux Indes Orientales sous Louis XIV, Montreuil, Ginkgo Édition, 2004.
  • René Favier, Les Européens et les Indes orientales au XVIIIe siècle ; aspects maritimes, commerciaux et coloniaux, Ophrys, 2000.
  • Philippe Haudrère, La Compagnie française des Indes au XVIIIe siècle (1719-1795), Librairie de l’Inde, 1989.
  • Philippe Haudrère, « La Direction générale de la Compagnie des Indes et son administration au milieu du XVIIIe siècle », L’Administration des finances sous l’Ancien Régime - Colloque tenu à Bercy les 22 et 23 février 1996 - Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
  • Philippe Haudrère, Gérard Le Bouëdec, Les Compagnies des Indes, éd. Ouest-France, Rennes, 1999.
  • Philippe Haudrère, Les Compagnies des Indes orientales : Trois siècles de rencontre entre Orientaux et Occidentaux (1600-1858), Paris, Desjonquères, 2006 (ISBN 2-84321-083-6).
  • Philippe Haudrère, Les Français dans l'océan Indien, XVIIe – XIXe siècles, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014, 330 p.
  • Marie Menard-Jacob, La première Compagnie des Indes : Apprentissages, échecs et héritage. 1664-1704, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-5589-1, lire en ligne)
  • Louis Mézin, Gérard Le Bouëdec, Philippe Haudrère, Les Compagnies des Indes, Éd. Ouest-France, 2005 (ISBN 2-7373-3869-7).
  • Louis Mézin, Cargaisons de Chine, porcelaines de la Compagnie des Indes du Musée de Lorient, catalogue de l'exposition de juin 2002, Lorient.
  • Michel Morineau, Les Grandes Compagnies des Indes orientales, coll. Que sais-je ?, 1999.
  • Louis Pauliat, Madagascar sous Louis XIV. Louis XIV et la Compagnie des Indes orientales de 1664, d'après des documents inédits tirés des archives coloniales du ministère de la marine et des colonies, Calmann Lévy éditeur, Paris, 1886 [lire en ligne].
  • Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissemens & du commerce des européens dans les deux Indes, Amsterdam, [s.n.], 1770, 6 vol., in-8°.
  • Gildas Salaün, « Contribution à l'histoire monétaire de l'Inde française », Annales de la Société Bretonne de Numismatique et d'Histoire, 2003, pages 64 à 68.
  • Jules Sottas, Une escadre française aux Indes en 1690, histoire de la Compagnie royale des Indes Orientales, 1664-1719, Paris, Plon Nourrit et Cie, , 496 p..

Archives

  • Compagnie des Indes orientales de Saint-Malo (1711 à 1793) > Fonds Magon de la Balue, Archives I&V, fonds 11 J, (3,40 ml) (suite de 1 F 1897 à 1924 ; voir aussi 39 J 1 à 39 J 9).

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Histoire de la marine française et du commerce colonial :

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