Apulée
Apulée (en latin Lucius Apuleius, en berbère Afulay), né vers 125 à Madaure, actuelle M'daourouch au nord-est de l'Algérie et mort probablement après 170, est un écrivain, orateur et philosophe médio-platonicien. Sa renommée vient de son chef-d'œuvre, le roman latin Métamorphoses, également connu sous le nom de L'Âne d'or. L'interprétation du roman présente de nombreux problèmes en raison de sa multitude de strates. Il constitue un exercice difficile de la philologie classique. La technique du récit, et le masquage des intentions de l'auteur a conduit dans la recherche à une multitude d'hypothèses concurrentes sur sa signification. Le récit d'Amour et Psyché introduit dans le roman fascine les lecteurs depuis la Renaissance. Sa matière mythologique, la relation d'amour entre le dieu Éros (Cupidon) et la princesse Psyché, fournit des thèmes à de nombreux poètes, écrivains, peintres, sculpteurs, compositeurs et chorégraphes. Outre les spécialistes du Moyen Âge, et les théoriciens de la littérature, des psychanalystes ont participé à l'étude et à l'analyse du récit.
Ne doit pas être confondu avec Pseudo-Apulée.
Apulée a aussi écrit des poèmes, et a publié des discussions sur divers thèmes, en particulier philosophiques, ainsi que des discours. Une grande partie de ses œuvres a été perdue.
Biographie
À part une inscription, on ne possède de sources sur la vie d'Apulée que par ses écrits. Son gentilice est Apuleius (écrit aussi Appuleius), le prénom utilisé depuis la Renaissance de Lucius n'est pas prouvé.
Apparemment, Apulée est né vers 123[1]. Il provenait d'une famille de citoyens romains bien considérée et aisée, d'origine berbère[2]. Sa ville d'origine est Madauros (cette forme est probablement plus authentique que Madaura[3]), en Numidie, dans l'actuelle Algérie[4], colonie romaine de Numidie loin de la côte romanisée, et site actuel de quelques ruines romaines primitives. Elle faisait partie de l'Afrique proconsulaire. Il se désignait lui-même comme mi-Numide et mi-Gétule[5]. Son père était duumvir (membre du gouvernement bicéphale de la ville). À la mort de son père, Apulée hérita avec son frère une fortune de deux millions de sesterces.
Apulée a dû recevoir sa première éducation scolaire à Madauros ; puis il alla apprendre la rhétorique à Carthage, le centre culturel de l'Afrique romaine. Dès lors, il choisit le platonisme comme orientation philosophique scolaire. Finalement, il va à Athènes pour étudier la philosophie. C'est là qu'il acquiert aussi des connaissances en poésie, en géométrie et en musique. Selon sa propre estimation, il est resté toute sa vie très zélé pour la formation. À Athènes, il a de nombreux maîtres de philosophie, parmi lesquels peut-être Lukios Kalbenos Tauros, le plus éminent platonicien d'Athènes au milieu du IIe siècle. Apulée était aussi ouvert à l'influence du néo-pythagorisme, qui se mélangeait alors souvent au platonisme. Pendant son séjour en Grèce, il se fit initier à une série de cultes à mystères ; son profond intérêt pour les savoirs secrets des religions lui a rapporté plus tard la renommée de magicien. Son degré d'adhésion à la romanitas (en) fait l'objet d'un débat[6].
Après la fin de sa formation, Apulée entreprend des voyages étendus, qui le mènent en particulier vers Samos et la Phrygie ; de temps à autre, il séjourne à Rome, où il exerce peut-être une activité d'avocat. L'archéologue Filippo Coarelli pense qu'un bâtiment antique découvert en 1886 à Ostie, le port de Rome, peut être identifié comme la maison où Apulée a vécu[7]. Dans les objets trouvés dans cette fouille, on trouve deux tuyaux à eau marqués de Lucius Apuleius Marcellus – apparemment le nom du propriétaire de la maison – ainsi que la base d'une statue équestre du consul Marcus Asinius Marcellus. Ceci s'accorde avec le fait que dans les « Métamorphoses » d'Apulée, paraît un Asinius Marcellus, qui initie le héros Lucius du roman au culte d'Osiris à Rome. Au cas où Lucius Apuleius Marcellus est identique à l'écrivain, celui-ci a le surnom (cognomen) de son protecteur le consul[8].
Avec son activité de rhéteur, à laquelle appartiennent aussi des exposés sur des thèmes philosophiques et religieux, Apulée se situe dans le courant que l'on désigne d'habitude par le vague concept de « deuxième sophistique ». Ce mouvement comprend des maîtres de rhétorique qui se consacrent aussi à la déclamation publique ; ils cultivent un art du discours efficace selon les modèles antiques et sont en partie également des écrivains. Beaucoup d'entre eux ont aussi des intérêts philosophiques. Le lien entre philosophie et art oratoire correspond à l'esprit du temps, mais manque de fondement pour un platonicien, puisque Platon avait critiqué avec acuité la rhétorique et avait lutté contre la sophistique[9]. Il a dilapidé son héritage dans ses nombreux voyages en Asie Mineure et en Égypte où il a étudié la philosophie et la religion.
Apulée passe la dernière phase de sa vie à nouveau en Afrique du Nord. Tombé malade en route à Oea (l'actuelle Tripoli), il fut reçu avec hospitalité chez Sicinius Pontien, un condisciple du temps de ses études à Athènes. La mère de Pontien, Aemilia Pudentilla, était une veuve très riche, âgée de quelques années de plus que lui[10]. Avec le consentement, voire l'encouragement, de son fils, Apulée accepta de l'épouser, en 156. Entre-temps, Pontien lui-même épouse la fille d'Herennius Rufin qui, indigné de voir la richesse de Pudentilla sortir de la famille, incite son gendre, ainsi qu'un frère cadet, Sicinius Pudens, encore tout jeune, et leur oncle paternel, Sicinius Aemilianus, à se joindre à lui pour contester le mariage en l'accusant d'avoir usé de charmes et de sortilèges pour obtenir l'affection de Pudentilla. Le procès eut lieu vers 158 ou 159[11] à Sabratha ; le juge était le proconsul (Rome antique) de la province d'Afrique proconsulaire, Claudius Maximus. L'accusation elle-même semble avoir été ridicule, et Apulée plaida avec fougue sa propre cause[12]. Acquitté, il consigne sa plaidoirie dans un texte connu sous le nom d'Apologie ou De Magia (Discours sur la magie) dont le contenu nous est parvenu. Plus tard, il s'établit à Carthage, où il prend une charge de prêtre ; il est probablement devenu sacerdos provinciae (chef des prêtres du culte de l'empereur dans la province d'Afrique proconsulaire)[13]. On le mentionne encore dans les années soixante, puis sa trace se perd ; on ne connaît ni le lieu ni la date de sa mort, mais celle-ci a sans doute lieu après 170.
Apulée a dédié deux de ses œuvres philosophiques à son « fils » Faustinus. On ne sait pas s'il s'agit là d'un fils biologique ou d'un de ses élèves[14].
Œuvres
Toutes les œuvres conservées d'Apulée sont en latin, dans une langue jugée « précieuse », mais avec une expression claire. Elles se divisent en deux groupes : écrits philosophiques et écrits rhétoriques. Son œuvre la plus célèbre, le roman des Métamorphoses, prend une place particulière. En outre, on a de petits poèmes.
Les Métamorphoses
Le titre original de ce roman[15] est « Onze livres de métamorphoses », en latin Metamorphoseon libri XI, ou brièvement les « Métamorphoses » (« transformations »). Il rappelle l'œuvre de même nom du poète Ovide, les Métamorphoses, qui ont pour thèmes des transformations d'hommes en animaux comme chez Apulée. Le titre courant actuel « L'Âne d'or » (Asinus aureus) n'est attesté que dans l'Antiquité tardive (par le Père de l'Église saint Augustin)[16], et n'est donc pas considéré comme authentique, mais l'auteur a peut-être choisi un double titre[17]. Cet ouvrage est le seul qui nous soit intégralement parvenu.
Récit
Le héros, un aristocrate prénommé Lucius (comme l'auteur du livre, Lucius Apuleius), connaît différentes aventures, après que sa maîtresse, Photis, l'a transformé en âne par accident. Il apprend que, pour retrouver sa forme humaine, il doit manger des roses. Ses diverses aventures malheureuses et burlesques au cours de cette quête des roses sont l'occasion pour Lucius d'apprendre et de raconter au lecteur de nombreuses histoires (le mythe de Psyché et d'Amour, « la marâtre empoisonneuse », « la bru sanglante », etc.), mêlant l'érotisme aux crimes sanglants et à la magie. Bien que la signification du récit puisse faire l'objet d'interprétations diverses, il semble que le voyage de Lucius soit aussi un voyage spirituel, une initiation à la magie en même temps qu'une mise à distance par le comique de la sorcellerie.
Œuvres philosophiques
Quatre écrits philosophiques[18] d'Apulée nous sont parvenus : « Du dieu de Socrate » (De deo Socratis), « De Platon et son enseignement » (De Platone et eius dogmate), « Du monde » (De mundo) et Peri hermēneías (De interpretatione», « De l'expression » ou « Du jugement »).
Du dieu de Socrate
Ce traité a simultanément l'aspect d'un discours. Il décrit la théorie des démons d'Apulée, et l'insère dans le système de sa cosmologie. Il définit les démons comme des « divinités intermédiaires », en les séparant d'une part des majestueux dieux du ciel, et d'autre part des hommes, et il les classe systématiquement. Son écrit est une source précieuse pour la démonologie antique, la plus fouillée parmi les présentations du thème dans la littérature antique. Après l'introduction (Chap. 1-5), qui traite des dieux du ciel et des hommes, vient la présentation de la théorie générale des démons (Chap. 6-16). Puis Apulée discute le Démon de Socrate (Daimonion) (Chap. 17-20). La conclusion forme un appel à la philosophie. L'auteur demande au lecteur de suivre l'exemple de Socrate ; on devrait se soucier de son âme, mépriser les biens extérieurs et suivre une vie philosophique (Chap. 21-24).
Dans la version manuscrite qui nous est parvenue, un prologue est ajouté à l'œuvre, que la majorité des chercheurs considèrent étranger au texte, mais qui proviendrait d'une partie aujourd'hui perdue d'une œuvre rhétorique d'Apulée, la « cueillette des fleurs ». L'opinion contraire, selon laquelle il s'agit d'un prologue authentique, est une position encore représentée par une minorité[19].
De Platon et son enseignement
Cet écrit donne un résumé de l'enseignement de Platon. Il est conçu comme une introduction et doit servir à l'enseignement. C'est une source importante sur l'histoire du médio-platonisme, car la plupart des œuvres des médio-platoniciens ont disparu.
L'exposé commence avec une biographie de Platon (Chap. 1-4), la plus ancienne qui nous soit parvenue ; Platon est glorifié. Suit la description du platonisme, avec les 14 chapitres restants du premier livre qui traitent de la philosophie naturelle, avec la cosmologie, l'ontologie et la théorie de l'âme, puis dans le deuxième l'éthique et la théorie de l'État associée. De plus, il manque un troisième livre annoncé dans l'introduction, qui aurait dû contenir la logique ; selon la division courante dans l'Antiquité, la logique forme une des trois parties de la philosophie.
Pour des raisons linguistiques et pour le contenu, on a mis en doute l'authenticité de ce travail, mais dans la recherche, l'opinion majoritaire penche en faveur de sa véracité[20].
Du monde
L'écrit cosmologique « Du monde » traite de l'univers et de ses parties, ainsi que du créateur et gardien divin du monde. C'est une version en latin du traité grec Peri kósmou du Pseudo-Aristote. Mais Apulée ne se contente pas de rendre le contenu de ce modèle, il y ajoute ses propres réflexions, notamment sur le rôle des démons dans le cosmos, et fait allusion au modèle grec issu des concepts d'Aristote dans le sens platonicien[21].
Depuis la fin du XIXe siècle subsistent des doutes sur l'authenticité de cette œuvre. Ils sont fondés notamment sur des erreurs de traduction de l'original grec, si graves qu'elles ne peuvent pas être attribuées à Apulée. Les partisans de l'authenticité pensent pouvoir infirmer ces reproches[22].
Peri hermeneias
Bien que cette œuvre soit rédigée en latin, on l'appelle habituellement par son titre grec Peri hermēneías, sous lequel elle a été transmise manuscrite sous la forme latinisée Peri hermeniae. Ce titre – qui signifie « De l'interprétation » ou « Du jugement » – se rattache au traité en rapport d'Aristote du même titre (De l'interprétation, en latin De interpretatione). Ce petit écrit traite de l'art du jugement et de la conclusion. Ce faisant, l'auteur non seulement s'oppose au traité d'Aristote, mais considère aussi la tradition aristotélicienne ultérieure et les perspectives stoïciennes. Peri hermeneias est le plus ancien manuel latin de logique parvenu jusqu'à nous, et a frayé la terminologie latine dans ce domaine. Un poids spécial est mis sur la théorie du syllogisme apodictique.
Le fait que ce court traité soit réellement une œuvre authentique d'Apulée a cependant été contesté depuis le XIXe siècle. Les doutes sur la véracité reposent autant sur des observations stylistiques que sur le contenu et l'histoire de la transmission. Le style est inhabituellement sec pour Apulée, le contenu principalement aristotélicien, avec des éléments stoïciens ; on ne trouve pratiquement pas de platonisme. Mais la sécheresse est au moins conditionnée en partie par le sujet, peut-être aussi par la dépendance envers un modèle grec, et la logique était un domaine traditionnel des aristotéliciens. Les tenants du manque d'authenticité pensent qu'il s'agit du travail d'un logicien du IIIe ou IVe siècle, qui voulait compléter la partie logique de l'écrit d'Apulée « De Platon et de son enseignement ». Mais aujourd'hui, l'opinion dominante dans la recherche est que Peri hermeneias est authentique, et qu'Apulée a lui-même essayé de combler la lacune dans sa présentation du platonisme. On part de l'hypothèse d'un modèle grec perdu, qui n'a pas été seulement traduit, mais retravaillé[23]. Peut-être s'agit-il d'un travail précoce d'Apulée, écrit encore pendant ses études à Athènes, ou peu après[24].
De la magie
Le titre courant Apologia (Discours de défense) n'est probablement pas authentique ; de la tradition manuscrite, il ressort que le titre original était probablement « Plaidoyer pour soi-même : De la magie » (Pro se de magia) ou brièvement « De la magie » (De magia)[25]. Le discours est une source précieuse pour l'histoire de la magie dans l'Antiquité. Il a été tenu devant le tribunal où la plainte contre Apulée pour sorcellerie devait être jugée[26]. Mais la version destinée à être publiée peut, comme il est courant pour les textes de discours de l'Antiquité, être fortement différente de celle réellement prononcée. Dans la recherche, on évoque même l'hypothèse extrême que ce discours soit une fiction purement littéraire[27].
Comme avocat dans une affaire le concernant, Apulée se montre spirituel, prêt à riposter et agressif ; il préfère atteindre ses effets par la moquerie et l'ironie, et utilise les occasions de faire étalage de sa large culture. Le texte fixé par écrit donne l'impression d'une interaction entre orateur et public ; Apulée paraît improviser et s'accorder spontanément aux sentiments de ses auditeurs. En particulier il argumente que l'accusation est déjà incroyable, parce que ses adversaires, s'ils le soupçonnaient vraiment de pouvoirs magiques, se garderaient bien d'attaquer une personne aussi puissante.
Florida
Le Florida (« Florilège ») est un recueil de passages des discours d'Apulée en quatre livres. On n'en a conservé qu'une version fortement résumée par un écrivain de l'Antiquité. Elle consiste en 23 extraits de textes de longueurs variées. La version résumée pouvait sans doute servir aux besoins de sujets pour l'enseignement de la rhétorique. Son auteur était peut-être le maître de rhétorique de la fin de l'Antiquité, Crispus Salustius, qui a été actif à la fin du IVe siècle.
Poèmes
Apulée a composé des poèmes, dont il a à l'occasion parsemé sa prose. On n'en a gardé que peu, dont un poème érotique de 24 sénaires iambiques avec le titre grec Anechómenos (Le souffre-douleur), qui est probablement une adaptation libre d'un texte de l'auteur comique Ménandre[28]. Désigné comme l'œuvre d'un jeune ami non identifié de l'auteur, un poème d'amour transmis dans les Nuits attiques d'Aulu-Gelle provient-il aussi peut-être d'Apulée[29].
Œuvres perdues
Apulée évoque une série d'œuvres publiées en partie en latin, en partie en grec, voire dans les deux langues, qu'il a composées et dont on ne connaît rien par ailleurs. Quelques auteurs de l'Antiquité tardive, parmi lesquels Jean le Lydien, et les grammairiens Priscien de Césarée et Charisius, ont transmis des citations de parties perdues de ces œuvres. Mais il faut remarquer à ce propos que certains textes spéciaux d'Apulée auxquels les indications des sources sont attribuées dans la littérature de recherche ne sont peut-être que des parties de travaux plus importants. À partir des sources, on peut conclure à l'existence des œuvres perdues suivantes :
- Hermagoras, un roman ou un dialogue philosophique ; on n'en a conservé que six courts fragments. L'hypothèse du roman est sensiblement la plus plausible[30].
- Une traduction libre en latin du dialogue Phédon de Platon dont Priscien nous transmet deux courts extraits[31].
- Parmi les poèmes perdus figurent un hymne à Asclépios en versions latine et grecque, avec une introduction en forme de dialogue et un poème panégyrique en l'honneur du proconsul Scipio Orfitus. Apulée a publié une collection de poèmes divertissants sous le titre « Batifolages » (Ludicra), dont on n'a conservé que quelques vers[32].
- Convivales quaestiones (questions de banquet) évoqué sous ce titre par Macrobe et Sidoine Apollinaire, est probablement identique à un texte désigné par Apulée dans son discours de défense par Naturales quaestiones. Il l'a publié en versions latine et grecque. Il traitait apparemment de divers thèmes d'histoire naturelle[33].
- Une recherche « Des poissons » (De piscibus) ; on ne sait pas s'il s'agit d'un exposé autonome, d'une partie des Naturales quaestiones ou d'un travail purement zoologique. Dans son discours de défense, Apulée aborde extensivement le fait qu'il s'est procuré des poissons rares en vue d'études zoologiques ; ensuite, il a largement utilisé dans sa recherche sur les poissons, outre de la littérature plus ancienne, ses propres observations.
- L'écrit « Des arbres » (De arboribus) est cité par le commentateur de Virgile, Servius de l'Antiquité tardive[34]. De ce livre proviennent sans doute aussi des citations, que l'écrivain spécialisé Cassianus Bassus a reprises dans sa compilation connue sous le nom de Géoponiques ; l'identité de l'auteur Apulée qui y est nommé avec celle d'Apulée de Madaure n'est pas assurée, mais probable[35]. Il n'est pas clair de savoir si l'exposé sur les arbres est un écrit indépendant, ou une partie d'un travail botanique ou agricole – ce dernier avec peut-être le titre De re rustica. Il peut aussi s'agir d'une partie des Naturales quaestiones ou des Convivales quaestiones d'Apulée.
- Un écrit médical évoqué par Priscien[36] dont le titre est peut-être Libri medicinales, De medicina ou Medicinalia. Peut-être s'agit-il aussi s'agir d'une partie des Naturales quaestiones ou des Convivales quaestiones[37].
- De proverbiis (Des proverbes), un écrit en au moins deux livres cités par le grammairien Charisius[38].
- Un travail de forme bien littéraire sur des thèmes de l'histoire ancienne de l'État romain et la préhistoire mythique de sa fondation, qui donne des indications sur l'histoire monétaire romaine. Priscien lui donne le titre Epitoma (extrait) ou ailleurs Epitomae historiarum[39]
- De re publica (De l'État), un écrit attesté seulement chez Fulgence, qui n'en fait qu'une courte citation[40].
- Une traduction latine de « l'Introduction à l'arithmétique » de Nicomaque de Gérase (Ἀριθμητική εἰσαγωγή (Arithmetikè eisagogè))[41]
- Une étude sur la musique, évoquée par Cassiodore, qu'il ne connaît que par ouï-dire[42].
- Un ouvrage pour lequel l'écrivain antique tardif Jean le Lydien indique le titre grec Erotikos (en latin probablement amatorius. Il s'agit probablement d'un dialogue sur l'érotisme[43].
- Un travail sur les phénomènes et présages astronomiques et météorologiques, dont l'existence se comprend par quatre citations d'Apulée par Jean le Lydien[44].
- Un commentaire sur l'écrit « tagétique » à propos de l'art étrusque des présages, attribué au mythique Tagès[45].
Pseudo-Apulée
La gloire d'Apulée et l'étendue des domaines thématiques qu'il a couverts ont conduit à ce que lui soit attribuée une série d'écrits dont il n'est pas l'auteur. Les plus connus de ces faux, nommés « pseudo-Apulée », sont :
- Asclépius. Le traité hermétique Asclepius. Ce travail populaire au Moyen Âge et au début des temps modernes est la traduction latine ou la paraphrase d'un traité grec perdu. Il a la forme d'un dialogue, où le dieu Hermès Trismégiste enseigne à son disciple Asklepios l'ordre du monde et le rôle et les tâches de l'homme. Dans aucun des manuscrits qui nous sont parvenus ne figure Apulée comme auteur, cette attribution semble avoir encore été inconnue au Moyen Âge ; ce n'est qu'à la Renaissance que l'on a pris l'habitude de l'indiquer comme auteur ou traducteur de cet écrit. Dans la recherche moderne, certains plaident pour l'authenticité, mais cette hypothèse ne rencontre guère d'approbation[46].
- L'Herbarius ou Herbarum Apulei, un manuel illustré des plantes médicinales, qui vient en réalité du IVe siècle, et a été agrandi ultérieurement. Dans un prologue ajouté après coup, le « platonicien Apulée » est mentionné comme auteur. Au Moyen Âge, cet écrit était très apprécié, et a été attribué à Apulée de Madaure. Le Pseudo-Apulei Herbarum Medicaminibus a été édité en 1888.
- Physiognomonie. Un traité anonyme qui nous est parvenu, sur la physiognomonie, qui n'a été attribuée à Apulée qu'au XIXe siècle. En réalité, il a son origine dans l'Antiquité tardive, vraisemblablement dans la seconde moitié du IVe siècle[47].
- Sur l'interprétation.
- De habitudine, doctrina et nativitate.
Philosophie
Apulée se nommait « philosophe platonicien » ; il attribuait une grande importance à cette désignation. Il entendait par philosophie en premier lieu la pratique philosophique, c'est-à-dire un mode de vie philosophique selon les modèles classiques ; il se tenait à l'écart des querelles d'écoles philosophiques. Dans la recherche plus ancienne, on émettait l'hypothèse qu'il avait fait partie des disciples du médio-platonicien Gaios avec Albinus Platonicus, que l'on prenait encore par erreur pour l'auteur du manuel Didaskalikos. Tadeusz Sinko a proposé en 1905 l'hypothèse que les enseignements de l'« école de Gaios » pouvaient être reconstruits d'après les écrits subsistants des platoniciens de cette voie, parmi lesquels Apulée. Mais la recherche plus moderne a abandonné l'hypothèse qu'il y aurait eu une telle école avec des enseignements spécifiques, car il manque des preuves convaincantes. En particulier, les sources n'indiquent pas de lien entre Gaios et Apulée.
La philosophie d'Apulée se distingue par une position syncrétique. À la base, elle est platonicienne, mais adopte abondamment des influences aristotéliciennes et stoïciennes. Le mélange des directions des écoles ne posait à Apulée aucun problème, comme pour de nombreux penseurs de l'époque impériale, car ils considéraient Aristote comme un platonicien, et la Stoa comme une branche du platonisme. Apulée admire Pythagore et souligne l'étroite parenté entre platonisme et pythagorisme. Il montre aussi de l'estime pour les cyniques.
La grande importance de la théorie des démons dans le système d'Apulée provient du fait qu'il est convaincu qu'un contact direct entre les dieux et les hommes est impossible, car leurs domaines d'être sont rigoureusement séparés. C'est pourquoi on a besoin de démons comme intermédiaires ; ce n'est que par les démons qu'un bien peut parvenir aux hommes de la part des dieux[48]. Tous les démons supérieurs sont par nature exclusivement bons et semblables aux dieux ; ils ne se lient jamais aux corps. Les démons inférieurs, par contre, ne diffèrent pas des âmes qui habitent les corps d'hommes ; on y compte notamment les âmes errantes des criminels décédés. Les démons sont soumis aux passions, et réagissent émotionnellement au comportement des hommes. Les dieux auxquels la poésie attribue ce genre de sentiments et de comportements sont en réalité des démons. Ces démons sont les interlocuteurs des hommes, qui se tournent avec des prières et des actions cultuelles vers des instances qu'ils nomment « dieux ». Chaque homme est attribué à un démon supérieur défini, son esprit protecteur personnel. L'esprit protecteur vit dans l'âme de l'homme et se fait remarquer comme une voix intérieure. Sur l'exemple de Socrate, l'homme doit constamment être conscient de la présence de son démon gardien personnel et faire attention à ses indications. En raison de la perfection de son caractère, Socrate n'avait pas besoin d'un démon qui l'exhorte à faire le bien, mais seulement un qui l'avertisse pour le garder des dangers[49].
La question de la création du monde débattue parmi les platoniciens attire Apulée vers les tenants d'une conception étendue, selon laquelle le monde est éternel et sa création ne doit pas être entendue comme une apparition à un moment donné.
Selon la conception d'Apulée du platonisme, la théorie platonicienne des âmes signifie que l'âme du monde est la source (fons) de toutes les âmes. Les âmes de tous les êtres vivants sont incorporelles et impérissables[50]. Ainsi Apulée part d'un être unitaire du spirituel et s'éloigne de la position exposée dans le dialogue Timée de Platon, selon laquelle le démiurge a créé l'âme du monde sur la base d'un mélange différent de celui des autres âmes.
L'image de l'homme d'Apulée est pessimiste. Il tient la vie de la grande majorité des hommes pour ratée. Il critique son manque d'efforts en vue de la prise de connaissance, et attribue comme conséquence de son ignorance les délits et crimes. Il n'exclut que quelques philosophes de cette critique.
Réception
Antiquité
La haute estime dont Apulée jouissait parmi ses concitoyens est attestée par une statue que sa ville natale érigea en son honneur ; l'inscription honorifique conservée en partie sur son socle le désigne comme l'ornement (ornamentum) de Madaure[51]. À Carthage et d'autres villes africaines, on lui a érigé des statues déjà pendant sa vie[52]. À Oea, ses ennemis locaux se sont battus contre l'érection d'une statue d'Apulée ; c'est d'ailleurs pourquoi Apulée a fait un discours pour combattre les honneurs.
Selon l'Histoire Auguste, l'empereur Septime Sévère, dans une lettre au Sénat, a fait à son rival Clodius Albinus le reproche de ne pas être un homme réellement éduqué, mais seulement un lecteur assidu des « Métamorphoses ». Apparemment, l'empereur plaçait le roman dans la littérature triviale, dont la lecture à ses yeux était indigne d'un Romain cultivé[53].
Bien qu'Apulée se soit battu avec succès devant le tribunal contre l'accusation d'être un magicien, il est resté dans le souvenir du monde antique comme un sorcier et un thaumaturge. Dans l'Antiquité tardive, les miracles qui lui ont été attribués ont été cités même par des opposants au christianisme comme des exemples que ce n'était pas seulement le Christ qui a disposé de tels pouvoirs[54]. Dans les thermes de Zeuxippe de Constantinople, il y avait dans l'Antiquité tardive une statue en bronze d'Apulée, que l'on honorait comme porteuse de savoirs cachés. Dans l'Anthologie grecque (II, 303–305) sont transmis des vers du poète égyptien Christodoros de Coptos qui y font référence. Vers la fin du IVe siècle, Apulée a été représenté sur des médaillons ; un tel honneur n'était accordé qu'à peu de philosophes et d'auteurs[55].
Dès le IIIe siècle, les cercles chrétiens ont pris connaissance de « Du monde » ; le théologien Novatien utilise cet écrit comme source dans son traité De Trinitate sans le nommer[56].
Le Père de l'Église St Augustin s'est profondément attaqué dans son écrit De civitate dei à la théorie des démons de « Du dieu de Socrate », et l'a critiquée du point de vue chrétien[57]. Il connaissait aussi les Métamorphoses et le discours de défense et y a fait allusion ; il a cité « Du monde ». St Augustin tenait Apulée pour une autorité significative en philosophie ; il n'a cité aucun autre auteur païen aussi souvent que lui[58].
L'érudit conservateur Macrobe, dans son commentaire au Songe de Scipion de Cicéron, exprime sa surprise sur le fait qu'Apulée ait perdu son temps à la construction d'un roman ; il pense qu'une telle occupation de gratte-papier ne convient pas à un philosophe[59]. Martianus Capella a pris le mariage de Psyché dans les Métamorphoses comme modèle pour sa célèbre représentation du mariage de la philologie avec Mercure ; il a aussi utilisé « Peri hermeneias », sans nommer cette source.
À la fin du Ve ou au VIe siècle, Fulgence présente une transposition du récit d'Amour et Psyché dans un sens chrétien, introduisant ainsi l'interprétation par allégorie. Pour lui, Psyché est l'âme humaine, son roi de père est Dieu, ses sœurs sont la chair (au sens biblique du terme) et le libre arbitre. Fulgence critique la présentation d'Apulée comme incommode et trompeuse[60]. La signification forcée des rôles et des processus qu'il adopte est difficilement réconciliable avec le déroulement des actions chez Apulée.
Sidoine Apollinaire évoque la traduction du Phédon comme exemple d'une transposition remarquable du grec en latin[61].
Dans les beaux-arts de l'Antiquité (peinture, sculpture, arts décoratifs) la relation entre Amour et Psyché était un motif apprécié. Elle a été représentée déjà avant l'époque d'Apulée, bien que l'on ne connaisse rien de travaux littéraires sur ce sujet. Bien des œuvres d'art font voir plus ou moins clairement une relation avec le récit des Métamorphoses[62].
Moyen Âge
Au Moyen Âge, Apulée était connu comme philosophe ; son roman et les œuvres rhétoriques étaient peu diffusés. À part une mention dans un glossaire[63], aucune trace de la lecture du roman ne nous est parvenue. Le plus ancien manuscrit conservé des Métamorphoses, du « Florida » et du Discours de défense a été réalisé au XIe siècle à l'abbaye du Mont-Cassin ; à part dans l'environnement de cette abbaye, ces trois œuvres semblent avoir été à peine lues au Haut Moyen Âge. Un manuscrit du Moyen Âge tardif contient une introduction étendue (accessus) aux Métamorphoses et au Discours de défense ; l'auteur inconnu considère le Discours de défense comme une introduction au roman. Son interprétation est allégorique[64].
Les hypothèses selon lesquelles les Métamorphoses auraient influencé la littérature de récit du Haut Moyen Âge français sont depuis longtemps discutées et controversées. On trouve des analogies au récit d'Amour et Psyché en particulier dans le roman en vers anonyme Partonopeus de Blois de la fin du XIIe siècle. Mais elles sont en grande partie explicables par des influences directes ou indirectes de la Mythologie de Fulgence, et leur pouvoir de conviction est en partie accueilli avec scepticisme, du point de vue narratologique[65].
L'intérêt pour les écrits philosophiques a été supérieur. La tradition manuscrite remonte à l'époque carolingienne, et on décèle une diffusion renforcée à partir du milieu du XIe siècle. Des extraits sont repris dans des florilèges. La théorie des démons de « Du dieu de Socrate » est accueillie indirectement pas sa restitution par St Augustin, et l'histoire d'Amour et Psyché reste présente grâce à Fulgence. Bernard Silvestre emprunte au travail « Du monde » des suggestions pour son célèbre poème Cosmographia, qui a vu le jour au milieu du XIIe siècle. Son contemporain Jean de Salisbury considérait Apulée comme une autorité sur le platonisme. Dans son ouvrage Policraticus, très apprécié à la fin du Moyen Âge, il a repris à la lettre les quatre derniers chapitres de « Du Dieu de Socrate », car ils encouragent à mener une vie philosophique, ce à quoi il donnait une valeur particulière. Son image de Platon était fortement déterminée par celle d'Apulée. Il admirait autant la philosophie d'Apulée que la beauté de son style[66]. Au Moyen Âge tardif, Albert le Grand se réfère souvent à Apulée.
L'ouvrage « Peri hermenias », dont on a gardé environ trois douzaines de manuscrits, a joué un rôle dans le développement de la dialectique préscolastique et scolastique. Un grand effet indirect est dû à Cassiodore, qui en a cité dans ses Institutiones un grand fragment, et recommandé « Peri hermeneias » comme littérature complémentaire[67]. À travers les Institutiones, la présentation par Apulée du syllogisme catégorique devient une partie intégrante de l'enseignement médiéval ; déjà Isidore de Séville l'avait reprise chez Cassiodore[68]. « Peri hermeneias » est cité mot à mot au VIIIe siècle tardif dans Charlemagne 790, avec désignation de son titre et de son auteur ; c'est ainsi que le manuel de logique d'Apulée a été utilisé pour la résolution de problèmes théologiques[69]. Dans l'Empire byzantin, l'image du magicien a survécu dans des légendes ; dans des histoires fantaisistes, il apparaît comme concurrent d'autres magiciens. Michel Psellos nous a transmis ce genre de récits[70].
Réception scientifique et littéraire
L'accueil humaniste des Métamorphoses n'a pas seulement commencé en 1355/1357 avec la découverte du manuscrit du Mont-Cassin ; déjà auparavant, l'humaniste Boccace s'était ménagé un accès à une copie. L'affirmation répandue, selon laquelle Boccace aurait emporté le plus ancien codex de la bibliothèque du Mont-Cassin à Florence, et se la serait appropriée, n'est pas exacte ; il est bien plus probable que ce soit l'humaniste Zanobi da Strada (it) qui ait emporté le manuscrit du Mont-Cassin[71]. Boccace a emprunté du roman des histoires d'adultère pour son Décaméron. Dans son ouvrage De genealogiis deorum gentilium, il a réutilisé des matériaux de diverses œuvres d'Apulée. Pétrarque possédait aussi un manuscrit des Métamorphoses, qu'il a garni de centaines de notes marginales.
Giannozzo Manetti a mis à contribution l'ouvrage « Du dieu de Socrate » pour la rédaction de sa biographie de Socrate. En 1469 paraissent à Rome les premiers incunables des œuvres d'Apulée, édités par Giovanni Andrea De'Bussi, qui auparavant avait été secrétaire de Nicolas de Cues. Mais dans cette édition, on ne trouvait pas « Peri hermeneias », qui ne fut éditée qu'en partie en 1528 à Bâle, et en 1588 complètement à Leyde. De'Bussi loua l'érudition de l'auteur antique, ainsi que la richesse et la grâce de son langage. Son contemporain Laurent Valla est d'une tout autre opinion ; cet humaniste célèbre écrit en 1442 que celui qui imitera le style d'Apulée apparaîtra comme émettant des cris d'animaux (en latin rudere est un mot qui est aussi utilisé pour le braiment de l'âne.)[72].
Au plus tard en 1479, Matteo Maria Boiardo termine sa traduction des Métamorphoses, libre, pleine de fautes, en italien, l’Apulegio volgare (Apulée en langue courante) ; son donneur d'ordre est Hercule Ier d'Este, duc de Ferrare. L’Apulegio volgare n'est imprimé qu'en 1518. En 1500, le savant Filippo Beroaldo l'Ancien publie un commentaire étendu du roman ; il traite des Métamorphoses dans son cours à l'université de Bologne. Son commentaire, paru avec un tirage volumineux pour l'époque – 1 200 exemplaires – devient rapidement populaire et exerce une action durable[73]. Beroaldo soutient comme avant lui De'Bussi une interprétation symbolique et spirituelle de l'action du roman ; par exemple, il interprète les roses nécessaires à la rédemption de l'âne comme la culture, au sens des humanistes. Pour Beroaldo, Apulée est un modèle de style. Par là, il s'oppose aux tenants du style de Cicéron, d'un strict classicisme verbal[74]. Les partisans de Cicéron repoussaient Apulée, considéraient son style comme un symptôme de la dégradation de la culture. Francesco Asolano s'exprime dans ce sens dans le prologue de sa nouvelle édition d'Apulée, publiée en 1521 à Venise par les presses d'Alde l'Ancien ; un autre jugement dépréciatif est émis par Philippe Mélanchthon ou Jean Louis Vivès[75].
Le motif d'un homme transformé en âne est souvent repris dans la littérature générale du XVIe siècle ; il apparaît tant dans la littérature allégorique que dans la satirique. Nicolas Machiavel écrit le poème satirique L'asino (l'âne) en tercets, une parabole, dans laquelle il rapporte sa propre transformation en âne ; cette œuvre est restée inachevée. Dans le genre du roman picaresque qui prolifère d'abord en Espagne, puis dans d'autres pays, les Métamorphoses semblent avoir eu un rôle de modèle, cependant cette influence est souvent difficile à démontrer en détail, et fortement contestée[76].
La première traduction en allemand des Métamorphoses, faites par Johann Sieder de Würzburg, paraît imprimée en 1538 chez l'éditeur d'Augsburg Alexander Weißenhorn. Elle est richement illustrée par 78 gravures. Des matériaux de la traduction de Sieder ont été utilisés dans les Meisterlieder de Hans Sachs[77].
Agnolo Firenzuola a fait une traduction libre, ou plutôt une élaboration des Métamorphoses, qui n'a été imprimée qu'après sa mort, en 1550 à Venise[78]. En Espagne, Diego López de Cortegana a publié une élégante traduction en espagnol des Métamorphoses, qui a dû paraître pour la première fois vers 1513/1514[79] et souvent rééditée. Une traduction en français de Guillaume Michel paraît en 1518[80], puis en 1522 ; puis en anglais de William Adlington en 1566.
Depuis la Renaissance, c'est l'histoire d'Amour et Psyché qui a attiré une attention particulière. Boccace présente dans De genealogiis deorum gentilium une interprétation allégorique de ce récit. Vers 1490, Niccolò da Correggio compose un long poème sur Psyché avec le titre latin Fabula Psiches et Cupidinis, qu'il dédicace à Isabelle d'Este ; il est imprimé en 1507 à Venise. Chez Corregio, l'accent n'est pas mis sur Psyché, mais le récit est fait du point de vue d'Amour. Galeotto del Carretto écrit vers 1500 une comédie en vers Noze de Psiche e Cupidine (Les noces de Psyché et Cupidon). Beaucoup d'auteurs humanistes font référence à cette thématique dans leurs ouvrages. L'action est fortement agrandie dans l'épopée espagnole La hermosa Psyche (La belle Psyché) de Juan de Mal Lara, qui rajoute de nombreuses épreuves de Psyché supplémentaires. Ercole Udine modifie légèrement la présentation d'Apulée dans son épopée en stances La Psiche, publiée en 1599 à Venise. Ce poème paraît en 1617 dans une nouvelle édition, sous le titre de Avvenimenti amorosi di Psiche (Aventures amoureuses de Psyché).
Aux XVIe et XVIIe siècles, les poètes anglais reprennent la matière de Psyché, notamment Edmund Spenser dans The Faerie Queene, William Browne dans le troisième livre de Britannia's Pastorals, Shackerley Marmion, qui écrit une épopée The Legend of Cupid and Psyche. Thomas Heywood écrit une pièce de théâtre Loves Maistresse or The Queens Masque, qui est jouée plusieurs fois à la cour, et publiée en 1636 ; dans cette libre interprétation de la matière de Psyché, Heywood fait apparaître Apulée lui-même, et lui fait commenter l'action. En 1662 est jouée à Madrid la première de la comédie Ni Amor se libra de amor (Le dieu de l'amour n'échappe jamais à l'amour) de Calderón, qui change l'action très librement. En 1674 paraît le roman en latin en trois livres Psyche Cretica de Johann Ludwig Prasch, dans lequel le récit est transformé en une allégorie religieuse. Jean de La Fontaine publie en 1669 son roman influent « Les amours de Psyché et de Cupidon », dans lequel il souligne l'aspect de la faiblesse féminine. Il transpose le conte mythique à la cour de Versailles.
Des épisodes partiels des Métamorphoses ont fourni des motifs pour les œuvres de la littérature mondiale, comme le Don Quichotte de Miguel de Cervantes, où le protagoniste se bat contre des outres comme le Lucius d'Apulée, et l'Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage. L'influence d'Apulée est reconnaissable dans une série de pièces de Shakespeare, notamment le Songe d'une nuit d'été[81].
Le poète Johann Wilhelm Ludwig Gleim a écrit un cycle de 68 poèmes anacréontiques intitulé Amour et Psyché, publié en 1744 dans son recueil Essai de chants badins. Herder s'enthousiasme pour le récit d'Amour et Psyché ; pour lui, c'est le roman « le plus varié et le plus délicat qui ait jamais été conçu ». Cette louange ne vaut pas pour l'auteur, car Herder pense qu'Apulée n'a fait que retravailler un sujet déjà présent, et même d'une manière « très africaine », « indécente »[82].
Vers la fin du XVIIIe siècle, la poétesse Mary Tighe met le récit d'Apulée en vers ; son poème Psyche, or The Legend of Love plaît beaucoup aux lecteurs anglais.
Beaux-arts
Le sujet de Psyché a reçu un très large accueil dans les beaux-arts. En peinture, l'accueil commence à l'époque moderne au XVe siècle[83]. Francesco di Giorgio Martini a réalisé un tableau représentant la punition de Psyché sur ordre de Vénus, Ercole Ferrarese un cycle de fresques sur Amour et Psyché, Giorgione un cycle de tableaux sur les aventures de Psyché (12 tableaux, disparus). Raphaël a peint en 1517–1518 avec ses élèves à Rome, dans la Loggia di Psiche de la Villa Farnesina un cycle de fresques resté inachevé. Giulio Romano a réalisé avec ses élèves, au Palais Te, près de Mantoue, le salon de Psyché qui expose sur 23 fresques l'histoire d'amour de Psyché. Perin del Vaga a orné avec ses élèves en 1545-1546, dans un appartement papal du Château Saint-Ange, le salon d'Amour et Psyché, une frise de fresques représentant les scènes du récit. Un tableau de 1589 de Jacopo Zucchi montre Psyché admirant Amour dormant. De nombreux autres peintres du XVIe siècle se sont emparés d'épisodes isolés du récit, ou ont créé des cycles entiers, notamment Bernardino Luini, Polidoro da Caravaggio, Michiel Coxcie, Luca Cambiaso, Giorgio Vasari et Bartholomeus Spranger[84].
Le sujet de Psyché a aussi inspiré de nombreux peintres au XVIIe siècle. Rubens a fait de nombreux tableaux qui illustrent des scènes du récit d'Amour et Psyché. Diego Vélasquez, Antoine Van Dyck, Jacob Jordaens, Guido Reni, Charles Le Brun et Claude Lorrain ont aussi choisi ce genre de sujet. Au XVIIIe siècle, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard und Angelica Kauffmann, parmi d'autres, ont illustré des scènes de l'histoire de Psyché.
Le sculpteur Antonio Canova a réalisé à la fin du XVIIIe siècle des sculptures en marbre d'Amour et Psyché.
Musique
L'accueil dans la musique du récit d'Amour et Psyché débute dès le début du XVIe siècle. Le compositeur Bartolomeo Tromboncino a écrit la musique de scène du drame Le nozze de Psyche ed Cupidene, dont la première eut lieu en 1502.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, beaucoup de librettistes d'opéras s'emparent du sujet ; des livrets apparaissent, avec des titres comme La Psiche ou Amore e Psiche, qui ont été mis en musique pour la plupart par des compositeurs aujourd'hui largement oubliés. On atteste une série de représentations ; c'est ainsi qu'eut lieu en 1642 à Venise la première de l'opéra Amore innamorato (Amour enamouré) de Francesco Cavalli, en 1683 à Naples la première de La Psiche ovvero Amore innamorato (Psyché ou l'Amour enamouré) d'Alessandro Scarlatti, en 1738 à Naples la première de Le nozze di Psiche con Amore (Le mariage de Psyché et d'Amour) de Leonardo Leo. Marco Scacchi compose l'opéra Le nozze d'Amore e di Psiche[85]. Jean-Baptiste Lully écrit la musique de la tragédie-ballet Psyché représentée en 1671 à la cour de Louis XIV sur un texte de Molière, dont les vers viennent largement de Pierre Corneille.
Archéologie
Aux XIXe et XXe siècles débutants, les Métamorphoses sont vigoureusement critiquées, et parfois rangées dans la littérature de distraction triviale. Le roman est épinglé pour enflure, selon les règles des modèles classiques, et trouvé chaotique. Eduard Norden (de) porte un jugement dévastateur ; il trouve dans la langue d'Apulée « une mer mouvante de fantasmagories désertes » ainsi que « l'enflure la plus monstrueuse »[86]. On parlait de « latin africain » (Africitas), en rapportant le style critiqué à l'origine africaine de l'auteur. Dès 1786, David Ruhnken avait constaté une « enflure africaine » chez Apulée[87] ; Friedrich August Wolf s'empara de ce slogan.
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, le niveau de l'auteur, sa brillance verbale et la multiplicité des styles d'Apulée sont reconnus par de nombreux critiques littéraires, même si des commentateurs condamnent encore les exagérations de style et une tendance à la surcharge. La technique raffinée du récit des Métamorphoses est louée[88], cet ouvrage est considéré comme une contribution à la littérature mondiale[89]. Les jugements portés par les historiens de la philosophie sur les performances d'Apulée comme philosophe sont bien moins favorables. Arthur H. Armstrong le juge comme un very inferior thinker[90], Matthias Baltes tient son importance comme philosophe pour très moyenne et ne voit en lui qu'un « brillant artiste oratoire »[91].
Psychologie
Depuis le XXe siècle, les Métamorphoses sont aussi étudiées intensément du point de vue des interrogations psychologiques ; cependant beaucoup d'auteurs se bornent au récit d'Amour et de Psyché. C'est Franz Riklin qui débute, en proposant en 1908 une interprétation freudienne du récit, dans son étude Wunscherfüllung und Symbolik im Märchen (Réalisation des désirs et symbolique dans le conte) ; d'autres interprétations par des analystes d'orientation freudienne ont suivi, notamment par Bruno Bettelheim[92]. Chez les jungiens, l'étude d'Erich Neumann sur Eros und Psyche. Ein Beitrag zur seelischen Entwicklung des Weiblichen (Éros et Psyché. Contribution au développement spirituel du féminin), publiée en 1952 est pionnière. Marie-Louise von Franz présente une analyse profonde des Métamorphoses dans la perspective jungienne[93]. Elle analyse non seulement la vie spirituelle du héros Lucius du roman, mais essaie aussi de saisir du point de vue de la psychologie des profondeurs la personnalité d'Apulée, et d'expliquer son rapport ambivalent au contenu de son roman. D'autres interprétations de jungiens ont suivi[94]. John F. Makowski souligne qu'Amour, Psyché et Vénus subissent un développement spirituel important, avant que le récit se termine par une fin heureuse[95]. Un bilan de la recherche est présenté par James Gollnick, qui s'efforce de déterminer les chances et les limites d'une interprétation psychologique d'Apulée[96].
Littérature
Elizabeth Barrett Browning a écrit une série de poèmes sur des scènes du récit d'Apulée. William Morris a écrit un récit en vers The Story of Cupid and Psyche, dans le cadre de son ouvrage The Earthly Paradise. Robert Hamerling (de) a suivi avec son épopée Amor und Psyche (1882), puis parut en 1885 le poème Eros and Psyche de Robert Bridges.
Walter Pater a repris des sujets des Métamorphoses dans son roman paru en 1885 Marius the Epicurean, notamment le récit d'Amour et Psyché ; le héros principal est un admirateur d'Apulée, que Pater met aussi en scène[97].
En 1956 est paru le roman Till We Have Faces: A Myth Retold de C. S. Lewis. Il raconte le destin de Psyché du point de vue de sa sœur aînée.
Beaux-arts
À l'époque moderne, l'histoire d'Amour et Psyché est tout d'abord un sujet abondant dans les arts plastiques, dont la faveur ne fait que croître à partir de la fin du XVIIIe siècle[98]. On le trouve notamment sur des tableaux de Philipp Otto Runge, Johann Friedrich August Tischbein, Francisco de Goya, Edward Burne-Jones et William Bouguereau. Max Klinger illustre en 1880 le récit d'Apulée avec 46 gravures. Au cours du XXe siècle, le sujet perd de sa notoriété dans la peinture, cependant Oskar Kokoschka l'a souvent utilisé.
Le sculpteur Bertel Thorvaldsen a réalisé une série de statues et de reliefs présentant des scènes du récit. Une sculpture et un relief de John Gibson représentent aussi Psyché. Auguste Rodin a immortalisé Amour et Psyché dans de nombreuses statues de marbre.
Le dessinateur français Georges Pichard a publié en 1985–1986 un album en deux volumes « Les sorcières de Thessalie », où il représente des épisodes des Métamorphoses. Le dessinateur italien Milo Manara publie en 1999 le roman graphique L'asino d'oro.
Musique
On a vu aussi naître aux XIXe et XXe siècles une série de compositions musicales (en particulier des opéras et des ballets) dont le thème est l'histoire de Psyché. En 1888, César Franck compose Psyché, un « poème symphonique pour chœur et orchestre », que l'on considère comme l'une de ses œuvres les plus importantes. Richard Franck intitule son poème symphonique Liebesidyll – Amor und Psyche, op. 40 (Idylle d'amour - Amour et Psyché). Paul Hindemith écrit l'ouverture du ballet Amour et Psyché, dont la première a lieu en 1943 à Philadelphie.
Bibliographie
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Poèmes
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Ouvrages perdus
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Antiquité
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Moyen Âge
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Époque moderne
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Notes et références
- (de) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en allemand intitulé « Apuleius » (voir la liste des auteurs).
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- Sur le rapport entre la philosophie et la rhétorique chez Apulée, voir (en) Maeve C. O'Brien, Apuleius' Debt to Plato in the Metamorphoses, Lewiston, , p. 1–26
- Sur ses ressources économiques – Pudentilla disposait de centaines d'esclaves – voir (en) Andreas Gutsfeld, « Zur Wirtschaftsmentalität nichtsenatorischer provinzialer Oberschichten : Aemilia Pudentilla und ihre Verwandten », Klio, vol. 74, , p. 250–268.
- Sur la datation, voir Hammerstaedt 2002, p. 13–16.
- (de) Ulrike Riemer, « Apuleius, De magia. Zur Historizität der Rede », Historia, vol. 55, , p. 178–190 émet cependant des doutes sur l'historicité de ce procès. Peter Schenk fonde l'opinion contraire : Hammerstaedt 2002, Einleitung, p. 42sq.
- Mais il peut s'être agi d'une autre fonction sacerdotale : voir Rives 1994, p. 273–290.
- Jean-Marie Flamand, « Apulée de Madaure. », dans Richard Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques., Paris, CNRS, (ISBN 2-222-04042-6), t.1, p. 298–317 tient Faustinus ni pour un fils, ni pour un élève d'Apulée, mais pour un personnage fictif.
- Helm, Metamorphoseon libri XI. dans Harrison 2000.
- Augustin 426, 18,18.
- À ce sujet, voir (en) Anton P. Bitel, « Quis ille Asinus aureus ? The Metamorphoses of Apuleius' Title », Ancient Narrative, 2000–2001, p. 208–244, ici 208–218 ; (de) Hans Münstermann, Apuleius. Metamorphosen literarischer Vorlagen, Stuttgart, , p. 46–56 ; (en) John J. Winkler, Auctor and actor, Berkeley, , p. 292–320.
- Moreschini, De philosophia libri. dans Harrison 2000, vol. 3. Contient les écrits philosophiques apparaissant dans le fragment conservé du « Florida », dans le prologue de De deo Socratis et « l'Asclépius » du pseudo-Apulée.
- La position minoritaire est formulée par Marie-Luise Lakmann dans Baltes 2004, p. 23–26 ; la position opposée est exposée par (en) Vincent Hunink, « The Prologue of Apuleius' De Deo Socratis », Mnemosyne (revue), vol. 48, , p. 292–312 et Sandy 1997, p. 192–196.
- (it) Giovanni Barra, « La questione dell'autenticità del « De Platone et eius dogmate » e del « De mundo » di Apuleio », Rendiconti della Accademia di Archeologia, Lettere e Belle Arti, Naples, vol. 41, , p. 127–188 ; Beaujeu 2002, p. IX–XXIX. Redfors 1960 n'aboutit à aucune conclusion.
- Pour les détails, v. Dörrie et al 2008, p. 549–572.
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- Pour l'authenticité, plaident notamment : (en) Carmen Johanson, « Was the magician of Madaura a logician ? », Apeiron, vol. 17, , p. 131–134, Baldassarri 1986, p. 5–7 et Klibansky et Regen 1993, p. 18–23. Dans le sens contraire, se prononcent notamment Lumpe 1982, p. 10–19 et (particulièrement explicitement) Beaujeu 2002, p. VII. Sur l'originalité, v. (de) Heinrich Dörrie et al, Der Platonismus in der Antike, t. 3, Stuttgart-Bad Cannstatt, , p. 257. Harrison 2000, p. 11 sq est sceptique.
- Baldassarri 1986, p. 8.
- V. Schenk 2002, p.23 sq, note 1. (de) Ulrich Schindel, « Der Titel von Apuleius' Verteidigungsrede », Studi Medievali, 3e série, vol. 39, , p. 865–888 défend le point de vue opposé.
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