Codex

Un codex (pluriel : codices) est un cahier formé de pages manuscrites reliées ensemble en forme de livre. Cet ancêtre du livre moderne a été inventé à Rome durant le IIe siècle av. J.-C. et s'est répandu à partir du Ier siècle, pour progressivement remplacer le rouleau de papyrus (le volumen) grâce à son faible encombrement, son coût modéré, sa maniabilité et la possibilité qu'il offre d'accéder directement à n'importe quelle partie du texte.

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Origine et développement

Première page du Codex Argenteus (VIe siècle).
Psautier d'Alphonse. Vers 1281-84. Le texte est vu comme partie d'un tableau.

À l'origine, le codex  au pluriel « codices »[1]  était un assemblage de tablettes de bois destinées à l'écriture, ce qui lui a donné son nom[2]. Au cours du IIe siècle av. J.-C., les Romains substituèrent aux planchettes de bois des feuilles de papyrus ou de parchemin, « matériau plus mince et plus souple qui se prêtait au pliage[3] » afin d'en faire un carnet de notes à usage personnel, ainsi que l'indique un témoignage d'Horace[4], pouvant être doté d'une couverture en cuir[1].

L'utilisation de codex en tant que document officiel est attestée à la mort d'Auguste, en 14 ap. J.-C. Un an avant celle-ci, il avait déposé auprès des vestales quatre documents devant être lus au Sénat après sa disparition : testament, consignes funéraires et état de l'Empire pour les trois premiers, le contenu du quatrième étant discuté. Le tout était composé de deux codices (les testaments) et de trois volumina[5].

C'est dans l'œuvre de Martial que l'on trouve trace, pour la première fois, de la publication d’œuvres littéraires (Homère, Virgile, Tite-Live, Ovide) sous cette forme. Martial publia en 84 ou en 85 ses Apophoreta, reprises dans le livre 14 selon le découpage moderne. Il s'agit de distiques qui décrivent des lots-cadeaux lors des saturnales, dont ce qui paraît bien être des codices[6],[7] : « Dans ces petits vélins est contenu le grand Tite-Live, que ma bibliothèque ne peut contenir tout entier »[8](XIV, 190).

Par la suite, le codex sera adopté par les premiers chrétiens pour faire circuler les textes sacrés. Ce format  alors inhabituel pour des livres  permettait en effet de différencier le texte des évangiles des rouleaux sur lesquels les juifs écrivaient la Torah (Sefer Torah). D'autre part, le format codex est plus compact et plus économique, car il permet l'écriture des deux côtés de la feuille. Enfin, étant plus petit que le rouleau, il peut être plus facilement transporté par les missionnaires chrétiens[9]. En somme, écrit Régis Debray, « le christianisme a fait au monde antique de l’écrit le même coup que l’imprimerie lui fera à son tour mille ans plus tard : le coup du léger, du méprisable, du portatif[10] ».

Même si le rouleau de papyrus (volumen) était depuis très longtemps le livre par excellence, il sera progressivement remplacé par le codex entre les IIe et IVe siècles. Cela n'a pas été sans heurts, car les ouvrages en format codex manquaient du prestige attaché aux objets du savoir et n'étaient pas considérés comme de vrais livres. Ainsi, au IIIe siècle, un juge romain dut trancher un litige entre deux fils, dont l'un avait hérité les « livres » de son père : ce terme désignait-il les seuls rouleaux de papyrus ou englobait-il aussi les codex ? Le jugement qui en est résulté était très clair : « Les codex doivent aussi être considérés comme des livres. On regroupe sous l'appellation de livres non pas des rouleaux de papyrus, mais un mode d'écriture visant une fin déterminée[11]. »

Le remplacement du rouleau par le codex aura des conséquences majeures sur l'organisation du livre ainsi que sur la façon de lire, et il permettra le développement ultérieur de l'imprimerie. La principale révolution introduite par le codex est la notion de page[12]. Grâce à elle, le lecteur peut accéder de manière directe à un chapitre ou à un passage du texte, alors que le rouleau impose une lecture continue : « L’importance primordiale du codex pour notre civilisation a été de permettre la lecture sélective et non pas continue, contribuant ainsi à l’élaboration de structures mentales où le texte est dissocié de la parole et de son rythme[13]. »

En outre, avec le codex, le rapport physique au livre se modifie radicalement. Le rouleau devait être tenu à deux mains, et le lecteur devait même parfois s'aider de son menton pour assurer le bon déroulement du volumen, laissant ainsi des marques qu'un poète latin juge dégoûtantes : « Comme on aime une rose que vous offre la main qui l'a cueillie, ainsi on goûte un exemplaire neuf, que le menton n'a pas encore sali[14]. » Cela permet au lecteur de prendre un rôle plus dynamique : « En libérant la main du lecteur, le codex lui permet de n’être plus le récepteur passif du texte, mais de s’introduire à son tour dans le cycle de l’écriture par le jeu des annotations[12]. » Le codex pouvant rester ouvert sur une table, il encourage le développement des enluminures.

Au fil des siècles, le codex  qu'on désigne le plus souvent comme un manuscrit  va évoluer et se donner peu à peu les attributs du livre moderne :

Vergilius Augusteus, Georgica 141. Scriptura Continua.
  • La séparation entre les mots permet de passer du format compact, scriptural continua des premiers codex, où les lectures orales prédominaient, le lecteur ajoutant des pauses, à une forme plus lisible. Au VIIe siècle, les moines irlandais n'arrivaient pas à lire le latin et commencèrent à séparer les mots les uns des autres.
  • La ponctuation sert à structurer le texte pour améliorer sa lisibilité. Utilisant des signes graphiques, on voit apparaître les ancêtres du point, points-virgules et virgules (« point d'en haut », « point médian » et « point d'en bas » respectivement) au IIIe et IIe siècle av. J.-C., définis par l'alphabet grec. Plus tard, au Moyen Âge, les ponctuations vont se peaufiner.
  • Le développement d'une écriture minuscule au lieu des lettres capitales ou de grand format, qui remplace au début du IXe siècle l'onciale par la minuscule caroline, écriture plus fine, d'exécution plus rapide et de lecture plus commode[15].
  • La table des matières détaillant l'ensemble des parties et sous-parties d'un texte. Au Moyen Âge, celle-ci était placée en début de livre mais il était rare d'en trouver.
  • Le titre courant est un rappel du titre du livre, ou d'une partie du livre, sur les pages concernées. Son utilisation commence à se répandre au XIIIe siècle[16].
  • La marque de paragraphe se généralise à partir du XIe siècle.
  • La pagination ou numérotation des pages se répand avec le développement de l'imprimerie, dès 1470.
  • L'index sert à retrouver un mot précis à l'intérieur d'un texte. C'est au XIIIe siècle que commence à se répandre cette technique, qui suppose une parfaite maitrise de l'orthographe. Il est en quelque sorte l'ancêtre du dictionnaire et deviendra plus tard le principe sur lequel se base toute recherche[17].
Fasti ecclesiae Anglicanae, Vol.1, index of names. Exemple d'index.
  • Page de titre. Lorsque l'on passe de l'ère du manuscrit à celle du livre imprimé, la page de titre fait finalement son apparition, vers 1475-1480[18]. Le livre moderne a alors atteint sa forme familière.
IncunableVolumenPapierParcheminPapyrus (papier)

Extension du terme

Par extension, le terme codex a été employé pour désigner des recueils de lois (comme le Codex Theodosianus) d'où le nom de Code employé aujourd'hui.

Le codex comme objet est étudié par une science spécifique : la codicologie.

Composition du codex

Le codex se compose de cahiers résultant du pliage des feuilles dont il se compose. Le pli d'une feuille de parchemin (ou ultérieurement de papier) produit un bifeuillet, soit deux feuillets ou quatre pages. On parle alors d'un format in folio. Si le bifeuillet est à nouveau plié en deux, c'est un in-quarto (deux bifeuillets, quatre feuillets, huit pages), puis un in octavo (quatre bifeuillets, huit feuillets, seize pages) ou un in-duodecimo (six bifeuillets, douze feuillets, vingt-quatre pages)[19].

Ais de bois avec cuir doré. Égypte, probablement IIIe siècle. Bibliothèque Chester-Beatty, Cpt 803.

Après avoir obtenu le format souhaité, les bifeuillets, dont le bord a été découpé, sont éventuellement emboîtés les uns dans les autres, et réunis par un fil de couture. Deux bifeuillets produisent un binion, puis, respectivement un trinion, un quaternion (c'est le cas le plus fréquent pour les parchemins latins non italiens, et c'est de ce mot que dérive le terme cahier), quinion, sénion, septénion, octonion, puis cahier formé de neuf bifeuillets, etc.

Le format est le plus souvent rectangulaire, mais à certaines époques il peut être carré.

Au début, les cahiers sont cousus. Pour les gros ouvrages, on utilise comme reliure des pièces de bois, de carton ou d'autre matériau entre lesquelles sont assemblées les feuilles.

Les codex mésoaméricains

Sur ce codex, représentation de sacrifices humains pour prévenir la sécheresse.

Les civilisations mésoaméricaines (Olmèques, Zapotèques, Mayas, Toltèques, Aztèques, etc.) ont inventé écriture et papier indépendamment de l'Eurasie. Les Aztèques produisaient un papier à base de liber de ficus nommé amatl, ce papier était nommé huun chez les Mayas. On parle aussi de codex pour désigner leurs ouvrages contenant dessins et légendes.

Grâce à ces ouvrages, on peut suivre l'évolution au fil du temps de la graphie et de la sémiologie des Mayas et des Aztèques.

Les codex asiatiques

Codex dongba, Chine.

En Chine, les premiers livres, attestés jusqu'au IIIe siècle sont faits d'étroites lattes de bois, larges de cinq à dix centimètres et longues de 30 à 60 centimètres, sur lesquelles le scribe alignait les caractères verticalement, et qui étaient reliées en rouleau, qui se lisaient de droite à gauche. Par la suite, ils sont remplacés par un rouleau composé de feuilles de papier ou, pour des ouvrages luxueux, par de la soie[20].

À partir du Xe siècle, le développement de l'imprimerie entraînera l'abandon du rouleau au profit du codex, dont les cahiers, d'abord simplement encollés, seront cousus à partir du XVe siècle. L'unité de base du livre devient la feuille de papier. Avec la reliure en papillon, une seule face de la feuille est imprimée et celle-ci est pliée en deux, face vierge vers l'intérieur[21].

Dans les ouvrages tibétains ou dongba, la reliure est située au sommet.

Liste de codex en Occident

Notes et références

  1. Madeleine Scopello, Les Évangiles apocryphes, Paris, Plon, , 117 p. (ISBN 978-2-259-20611-2), p. 52
  2. Caudex signifie bloc de bois en latin (Iglesias-Zoido 2013, p. 27).
  3. Zali 1999, p. 37.
  4. Art poétique, 386-390 : « Je vais plus loin : si un jour tu écris, soumets ton poème à l'oreille exercée d'un Mécius, à celle de ton père, à la mienne ; puis renferme neuf ans ton parchemin dans la cassette ; tu pourras le détruire, tant qu'il n'aura pas vu le jour. »
    Satires, II, 3, 1-2 : « Vous voilà bien, grand retoucheur de vers ! À peine si, quatre fois l'an, vous demandez quelques feuilles de parchemin, en maugréant… »
  5. Suétone, Auguste, 101 ; Dion Cassius, 56, 33, 2-6
  6. Martial, livre XIV: : Virgile (186), Homère (184), Tite-Live (190), Ovide(192)
  7. Pascal Quignard, « Les premiers codex », Argile, XXIII-XXIV, , p. 107-115
  8. Titus Liuius in membranis. Pellibus exiguis artatur Liuius ingens, Quem mea non totum bibliotheca capit.
  9. Harry Y. Gamble, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme. Usage et production des textes chrétiens antiques, Labor et Fides, (lire en ligne), p. 85.
  10. Debray 1991, p. 132
  11. Roberts & Skeat 1983, p. 32.
  12. Vandendorpe 1999, p. 51.
  13. Sirat 1988, p. 21
  14. Martial, Épigrammes, X, 93. En ligne
  15. Charles Samaran, L'Histoire et ses méthodes, Gallimard, , p. 227.
  16. « Le titre courant dans les livres (anciens) : une aide à la recherche », sur https://bibliomab.wordpress.com, (consulté le )
  17. Vandendorpe 1999, p. 51-53.
  18. Febvre & Martin 1958, p. 153.
  19. Voir des schémas simples sur le site http://vocabulaire.irht.cnrs.fr/
  20. Cohen 1999, p. 57
  21. Cohen 1999, p. 61

Annexes

Bibliographie

  • Monique Cohen, « Du rouleau au cahier, en Chine », dans L'aventure des écritures : la page, Paris, Bibliothèque nationale de France, (ISBN 978-2-717-72072-3), p. 57-64.
  • Régis Debray, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, .
  • Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L'Apparition du livre, Paris, Albin Michel, .
  • (es) J. Carlos Iglesias-Zoido, « Lectura privada en Roma : soportes y formatos del libro antiguo », dans La Villa de los Papiros, Barcelone, Editorial Planeta, , p. 15-32.
  • (en) C.H. Roberts et T.C. Skeat, The birth of the Codex, Londres, Oxford University Press, .
  • Colette Sirat, « Du rouleau au codex », dans Le Livre au Moyen Âge, Paris, Brepols, , p. 13-45.
  • Yann Sordet, Histoire du livre et de l’édition, éd. Albin Michel, coll. L’évolution de l’humanité, 2021.
  • Christian Vandendorpe, Du papyrus à l'hypertexte : Essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, La Découverte, (lire en ligne).
  • Anne Zali, L'Aventure des écritures : la page, Paris, Bibliothèque nationale de France, , 215 p. (ISBN 978-2-7177-2072-3).

Articles connexes

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