Solidarité française

La Solidarité française (1933-1939) est à la fois un mouvement contestataire, un parti et une ligue française des années 1930 qui se radicalise avant d’être dissoute par le gouvernement du Front populaire.

Ne doit pas être confondu avec Solidarité des Français.

Délégation des dames de la Solidarité française aux obsèques de Jules Lecomte, camelot du roi mortellement blessé lors des émeutes du 6 février 1934.

Contexte économique et politique

À partir de 1931, la France est touchée par la Grande Dépression qui suit le krach boursier de 1929. La crise économique et sociale frappe particulièrement les classes moyennes, soutien traditionnel de la République, le nombre de chômeurs s'accroit. Le pouvoir se révèle incapable d'apporter des solutions, il réduit les salaires des fonctionnaires de 10% et augmente les impôts, son budget devient déficitaire. Les gouvernements se succèdent (six gouvernements de à ), constitués des mêmes hommes de la majorité, tour à tour institués puis discrédités. L'inflation et la politique déflationniste d'Henry Chéron ne rassurent pas la population.

Le Régime parlementaire est également décrédibilisé par une succession de scandales politico-financiers auxquels il est mêlé : l'affaire Hanau (Marthe Hanau avait utilisé ses appuis politiques pour attirer puis détourner, les économies des petits épargnants), l'affaire Oustric qui précipita en 1930 la chute du gouvernement d'André Tardieu, son garde des Sceaux étant mêlé à l’affaire).

Le mouvement

Les débuts

La Solidarité française est un mouvement politique à vocation de rassemblement populaire créé au début du printemps 1933 par François Coty (1874-1934) anticommuniste et industriel parfumeur créateur des parfums Coty, ancien patron du Figaro, propriétaire du quotidien L’Ami du Peuple. Pour faire face à la montée, de la gauche à la chambre, il avait auparavant financé Le Faisceau de Georges Valois dans les années 1920 puis les Croix-de-Feu au début des années 1930. Face à l’incapacité de la classe politique à gérer la crise, il décide de fonder son propre mouvement politique, tout en confiant sa direction au commandant Jean Renaud, un ancien officier de la Coloniale né à Toulouse en 1880, qui a mené une double carrière, littéraire (auteur de romans, titulaire du grand prix de littérature coloniale en 1931) et militaire, de 1898 à 1931, au verbe haut et coloré, admirateur de l'ordre et de la force virile.

Son programme est publié pour la première fois dans L'Ami du peuple du sous le titre « La réforme de l'État ». Il s'inscrit alors dans la tradition plébiscitaire et bonapartiste, à l'instar des Jeunesses patriotes [1].

Les adhérents

Par rapport aux autres groupes, les retraités, les rentiers et les chômeurs (principalement des personnes non qualifiées et des jeunes n'ayant pas terminé leur formation scolaire) c'est-à-dire les couches sociales les plus touchées par la crise et les politiques déflationnistes sont représentées par un chiffre de 32%, soit près d'un tiers des militants de Solidarité.

La classe moyenne commerciale et les agriculteurs ont eu la possibilité d'organiser une protestation radicale. Cependant, ces groupes ont choisi Solidarité comme organe politique pour exprimer leur mécontentement.

En considérant les groupes sociaux concernés ; agriculteurs et classe moyenne commerciale : 32 % , fonctionnaires et travailleurs de bas niveau : 25 % , rentiers, retraités, etc. 32 % , il est clair que quelque 93 % des partisans étaient issus des groupes sociaux les plus durement touchés par la crise et les mesures prises par le gouvernement pour y faire face. Au sein de la SF, elles ont trouvé une plate-forme pour leur protestation. Solidarité a tenté de répondre à leurs attentes; ainsi, elle coopère avec la direction de la Ligue des contribuables ; elle appelle à un nouvel État fondé sur le soutien des paysans, des ouvriers et de la petite bourgeoisie. Des contacts sont établis avec les associations de paysans, une association de protection des petits épargnants est créée. La Solidarité appelle à l'émancipation des classes inférieures par rapport à la gestion politique incompétente de la République et contre des députés corrompus. En résumé, la Solidarité française reflétait le manque de représentation adéquate des intérêts socio-économiques des personnes les plus touchées par la crise, les couches socialement plus faibles de la population, déclare l'historien allemand Klaus-Jürgen Müller[2].

La radicalisation

Meeting, salle Wagram : Jean Renaud, président de la Solidarité française.

Après la mort de Coty en 1934, la ligue emprunte l'image du fascisme italien : défilé au pas cadencé, port de l'uniforme - la chemise bleue - et salut « à l'antique ». Ainsi que le thème du corporatisme, développé au sein de la ligue par Louis Mouilleseaux[N 1], qui s'en veut le théoricien.

Le discours se radicalise ainsi à partir de 1934, de 1935 surtout, dans un sens antidémocratique ; sa radicalisation est manifeste en 1936. Jean-Renaud finit par revendiquer l'étiquette de « fasciste » en . Pour autant, Jean-Renaud est moins un idéologue qu'un homme d'action démagogue, utilisant les thèmes en vogue à droite et à l'extrême droite dans les années 1930. La radicalisation de la ligue s'explique par la mort de François Coty à l'été 1934 [3] ; Jean-Renaud en devient le seul chef or il imprime la ligue de sa personnalité.

Elle s'explique aussi par le renouvellement de l'équipe dirigeante, par l'arrivée d'un groupe d'hommes hostiles à la République et tenants de l'activisme, comme Jean-Pierre Maxence, qui rejoint la Solidarité française au début de l'année 1935[N 2],[N 3], catholique de 29 ans, néo-maurrassien, influencé par l'Action française de Maurras, par Jacques Maritain et par Henri Massis, qui cherche à moderniser les formules de Charles Maurras et qui méprise le conservatisme « bourgeois ». Il est conscient des faiblesses de la ligue — chef médiocre, rivalités de personnes, manque de cadres —, mais il espère réorganiser ce mouvement ébranlé par des crises internes[N 4]. Il prend en charge la structure étudiante de la ligue, la Légion universitaire, et tente d'imiter les étudiants d'Action française. Mais cette structure peine à dépasser la centaine de membres. Il devient ensuite délégué à la propagande, enchaînant les réunions de à . Mais, en conflit ouvert avec Jean Renaud dès la fin de l'année 1935, il est vite marginalisé.

Le Canard enchaîné, puis les adversaires du mouvement, lui attribuèrent le surnom de « Sidilarité française », car le mouvement aurait recruté une partie de ses troupes de choc dans le sous-prolétariat maghrébin.

L'action aux côtés des autres ligues

La Solidarité française a participé à la manifestation du 6 février 1934 avec les autres ligues d'extrême droite et associations d'anciens combattants : l'Union nationale des combattants (UNC), les Jeunesses patriotes, les Camelots du roi et l'Association républicaine des anciens combattants. Le semble avoir profité à cette organisation, en Lorraine par exemple et plus précisément en Moselle mais les effectifs sont faibles[N 5]. Le déclin est notable dès la seconde moitié de l'année 1935 et la ligue végète jusqu'en 1936. Ce qui s'explique par le manque d'argent, les dissensions, la personnalité autoritaire de Jean Renaud qui ne supportait pas la contestation - les nombreuses exclusions en témoignent - et la concurrence des autres ligues, les Croix-de-feu notamment, plus dynamiques.

Elle fait partie en 1934-1935 de la coalition souple (du Front national), qui regroupe des mouvements d'extrême droite tels que l'Action française et les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger.

De la ligue au parti

La Solidarité française est dès l'origine à la fois une ligue et un parti. Elle a changé de nom, depuis le débat sur les ligues de  : Parti de la solidarité française, puis Parti national corporatif en . Elle a présenté trois candidats aux élections législatives de 1936, qui sont tous battus : Jean Renaud, Jean-Pierre Maxence et Louis Mouilleseaux, à Verdun[N 6].

Elle devient officiellement un parti politique avec la dissolution des ligues par décret du , par le gouvernement du Front populaire, en application de la loi adoptée six mois plus tôt (et toujours en vigueur). Elle prend le nom de Parti du rassemblement français en juillet 1936 puis devient le Parti du faisceau français en . Ses effectifs sont alors très faibles.

Implantation et analyses

À son apogée, en 1934, la ligue aurait peut-être eu plusieurs dizaines de milliers de membres mais la plupart s'étaient contenté d'adhérer et ne militaient pas. L'hebdomadaire de la ligue Le Journal de la Solidarité française, à destination des militants, et l'important tirage de L'Ami du peuple, que François Coty, avant sa mort, a tenu à laisser à l'organisation qu'il a fondée, assurent aussi la diffusion de ses idées bien au-delà des adhérents. Pour son malheur, son fichier fut vendu par un de ses membres à une organisation de gauche qui l'édita sous le titre Les Ennemis du peuple. On y constate qu'elle trouvait des adhésions dans la petite bourgeoisie et notamment celle de la boutique.

La SF est considérée dans la littérature secondaire pertinente comme un phénomène dont la pauvreté de doctrine et la bruyante violence n'étaient pas non plus compensées par l'adhésion de plusieurs brillants intellectuels, tels que Thierry Maulnier ou Jean-Pierre Maxence, qui avaient trouvé dans le journal à grand tirage de Coty, l'Ami du peuple, un débouché efficace pour leurs idées politiques. Par ailleurs, les avis des spécialistes sont partagés quant à l'évaluation de ce groupe ; certains chercheurs considèrent la SF comme une manifestation classique du fascisme français (Pierre Milza)[11], tandis que d'autres (Jean Pluymène, René Rémond, Philippe Machefer) y voient une ligue classique qui se contente de se draper des apparences du fascisme (uniformes, rituels, culte du leader)[2].

Notes et références

Notes

  1. Louis Mouilleseaux, industriel lorrain d'origine, écrivain et éditeur, il a publié le pamphlet Pour nettoyer les écuries d'Augias en 1933, L'entente communautaire, Le corporatisme et la défense de l'État et Le manifeste syndical en 1936. Après l'épisode de la Solidarité française, il publie d'autres ouvrages : Le manifeste paysan : essai d'une doctrine humaniste appliquée à l'agriculture française, en 1937, écrit avec Pierre Mathé et François de Clermont-Tonnerre.
  2. Jean-Pierre Maxence a fondé ou participé à des revues, aussi confidentielles qu'éphémères, que les historiens qualifient de revues de la «  jeune droite non conformiste » : La gazette française, revue Jacques Maritain, Les cahiers, qu'il a fondé en 1928 à 22 ans, La revue du siècle, Combat dans la seconde moitié des années 1930, La revue française[4].
  3. Jean-Pierre Maxence sera pendant l'Occupation employé aux bureaux parisiens du Commissariat aux prisonniers, nommé directeur des services sociaux[5],[6] ,[7]
  4. Jean Pierre Maxence : « Cette adhésion, que nous donnions sans réserve, nous ne la donnions pas tant, on le voit, à l'état présent, temporaire, de la Solidarité française, mais bien plus à ses virtualités, à ce qu'elles contenaient de puissance, à ce qu'elles pouvaient promettre d'avenir »[8].
  5. La Solidarité française apparaît en Lorraine dans la Meuse en septembre 1933 où une section est fondée à Bar-le-Duc, qui compterait une centaine de membres. Puis à Nancy, à Metz, à Saint-Dié et à Epinal à la fin de l'année 1933. Elle totalise 7 sections en février 1934 dans cette région. Elle rassemblerait 800 adhérents en Moselle en mars 1934 et environ 1400 à la fin de l'année, avec des sections à Sarreguemines, à Forbach, à Grossbliederstoff notamment, selon les rapports de police qui semblent assez bien informés. Les réunions mensuelles à Metz ne rassemblent que quelques dizaines d'adhérents toutefois et les réunions de propagande avec Jean-Renaud n'ont jamais attiré plus de 1000 personnes. Le déclin de la Solidarité française s'observe dès l'été 1935; il se poursuit par la suite et ne surnagent que quelques petits pôles isolés comme Nancy. Ses principaux animateurs sont Me Duluc, avocat au barreau de Nancy, peut-être Jean Lionel-Pèlerin à Nancy début 1934, Emile Jaillon, ancien du Faisceau, premier délégué régional début 1934, Robert Collin, le deuxième délégué régional, Gaston Denis, le troisième délégué régional, à partir de mai 1934, Pierre Gondouin à Epinal (expert-comptable, ancien des JP), André Dorio (capitaine à la retraite né en 1886, employé à la direction des travaux de fortification), puis Georges Helmer (agent général d'assurances né en 1881 à Mulhouse) puis enfin Henri Mobré (employé à la mairie de Metz, détaché à l'usine d'électricité, né en 1885) à Metz. De même que la direction nationale a connu nombre de démissions et d'exclusions, les sections locales ont connu aussi des changements fréquents dans leur direction, à Metz et dans la direction régionale surtout. L'activité de la ligue a été restreinte ; elle a participé à l'agitation du mois de février 1934 à Nancy surtout, à quelques heurts avec les militants de gauche, à un vol dans un local de la CGTU à Nancy et à des actions communes avec les ligues du Front national. Certains cadres n'ont fait que passer ; ils ont rejoint d'autres ligues, notamment les Croix-de-feu, tels Gilbert Collot (négociant en bois né en 1899), ancien du Faisceau et des Jeunesses patriotes, le président de la section de Bar-le-Duc, comme d'ailleurs d'autres membres de la section (tel le fondateur de la section, chef de district à la Compagnie de chemin de fer de l'Est, qui lui était Croix de feu depuis 1928) ou Emile Jaillon, qui devient le responsable de « dispos » des Croix de feu de Nancy avant de rejoindre le Parti social français, le Rassemblement national lorrain en 1937 puis le Parti populaire français pendant la guerre[9].
  6. Louis Mouilleseux est le candidat unique de la droite à Verdun, contre le député sortant radical-socialiste élu en 1934 Gaston Thiébaut. Il est aussi membre du Parti national populaire, avatar des Jeunesses patriotes. Il est venu à Verdun en janvier 1936 pour une réunion privée de la Solidarité française avec Jean-Renaud. La presse de droite de la circonscription de Verdun ne signale pas ses appartenances partisanes. Il est soutenu par l'Union catholique ( affiliée à la Fédération nationale catholique) et par les notables d'un groupement politique local, le Centre républicain meusien de l'arrondissement de Verdun, fondé en mars 1934 sous le nom de « groupement républicain de redressement national et paysan » au lendemain de la victoire de Gaston Thiébaut. Ses dirigeants sont le docteur Pierre Richier, maire d'une petite commune, Robert du Granrupt, industriel, catholique membre de l'Union catholique, président d'une section locale d'anciens combattants, et maire depuis 1929 de la commune Les Islettes, Léon Bacquenois, architecte, et Louis Beauguitte, négociant en bois. Il est lié à l'hebdomadaire L'Echo de l'Est de Paul Hutin-Desgrées. L'état-major du Centre meusien présente Mouilleseaux le 2 avril; Pierre Richier affirme qu'il n'est pas fasciste car il n'appartient pas au Francisme, la seule organisation à se réclamer du fascisme selon lui. Ils l'accompagnent ensuite dans les réunions de propagande. Il est en tout cas battu au premier tour, n'obtenant que 43, 2 % des suffrages exprimés[9],[10].

Références

  1. (en) Klaus-Jürgen Müller, « Fascism in France? », dans Haim Shamir, France and Germany in an Age of Crisis, 1900-1960: Studies in Memory of Charles Bloch, Leiden, E. J. Brill Archive, ,  411 pages p. (ISBN 9789004092280, lire en ligne), p. 279 à 301.
  2. Klaus-Jürgen Müller 1990.
  3. Gilles Lahousse 1998.
  4. Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Paris, le grand livre du mois,
  5. Michel Bergès, Vichy contre Mounier : les non-conformistes face aux années 40, Paris, Economica, 1997)
  6. Jeannine Verdès-Leroux, Refus et violences : politique et littérature à l'extrême droite des années trente aux retombées de la Libération, Paris, Gallimard, 1996.
  7. (Albrecht Betz, Stefan Martens, Hans Manfred Bock, Les intellectuels et l'Occupation 1940-1944 collaborer, partir, résister, Paris, Autrement, 2004).
  8. Jean-Pierre Maxence, Histoire de dix ans, 1927-1937, Paris, Gallimard, , p. 317
  9. Jean-François Colas, Les droites nationales en Lorraine dans les années 1930 : acteurs, organisations, réseaux (thèse de doctorat sous la direction de Gilles Le Béguec), Université de Paris X-Nanterre, , p. 77 et 80
  10. « Les droites nationales en Lorraine dans les années 1930 : Résumé », sur sudoc.abes.fr.
  11. Serge Berstein et Pierre Milza 2017.

Annexes

Bibliographie

  • Gilles Lahousse, Une ligue des années trente : la Solidarité française, Université Lille III, thèse de doctorat sous la direction de Jean-François Sirinelli, 1995.
  • Gilles Lahousse, « De la Solidarité française au parti du faisceau français : un exemple de radicalisation politique », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 58, , p. 43-54 (lire en ligne).
  • Nicolas Kessler, Jean-Louis Loubet del Bayle, Histoire politique de la Jeune Droite (1929-1942) : une révolution conservatrice à la française, Paris, L'Harmattan, 2001
  • Jean-Pierre Maxence, Histoire de dix ans, 1927-1937, Paris, Gallimard, 1939
  • Richard Millman, « Les ligues de la République dans les années trente », dans Horst Möller, Manfred Kittel, Demokratie in Deutschland und Frankreich 1918-1933/40: Beiträge zu einem historischen Vergleich, Oldenbourg Verlag, (ISBN 9783486596182, lire en ligne), p. 79 à 89.
  • Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle, Place des éditeurs, , 584 p. (ISBN 978-2-262-07091-5).

Articles connexes

Liens externes

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