Cardinal de couronne

Un cardinal de couronne (en italien, cardinale della corona)[1] est un cardinal protecteur d'une nation catholique, nommé ou financé par un monarque catholique pour servir de représentant au sein du Collège des cardinaux[2],[3] et, le cas échéant, pour exercer le jus exclusivae[4]. Plus généralement, le terme peut se référer à un cardinal étant aussi chef d'État ou créé à la demande d'un monarque.

Henri Ier de Portugal était à la fois cardinal et roi du Portugal (auparavant Cardinal-Infant).
Cardinal Thomas Wolsey

Francis Burkle-Young définit un cardinal de la couronne comme ayant été « élevé au cardinalat sur la seule recommandation d'un roi européen et sans, dans la plupart des cas, avoir participé en quoi que ce soit au progrès de l'Église »[5]

D'après l'historien spécialiste des conclaves, Frederic Baumgartner, les cardinaux de couronne se rendent « rarement à Rome, sauf pour les conclaves, et ils sont inconnus de la majorité du Collège. En principe incapables de participer aux réunions préparatoires[note 1], ils ne sont pas papables et ils reçoivent rarement plus d'un vote ou deux »[a 1]. Les cardinaux de couronne s'opposent généralement à l'élection d'autres cardinaux de couronne, même si, en revanche, ils tendent à s'unir contre l'élection des cardinaux-neveux[a 1].

L'opposition aux cardinaux-protecteurs nationaux surgit au XVe siècle en raison du conflit d'intérêt apparent et le pape Martin V tente de les interdire complètement en 1425[c 1]. Une réforme de Pie II de 1464 considère les cardinaux-protecteurs nationaux comme généralement incompatibles avec des responsabilités à la Curie, avec quelques exceptions[c 1]. De telles protections ont été ouvertement permises par les papes Innocent VIII et Alexandre VI, qui ont tous deux requis le consentement écrit explicite du pontife en cas de « prise de fonction d'un prince laïc »[c 2]. Un cardinal anonyme a même suggéré la nomination des cardinaux de couronne à une fonction officielle au sein de la Curie, équivalente à celle d'un ambassadeur[c 2].

Histoire

L'origine du cardinal-protecteur d'une nation remonte au XIVe siècle, il est le prédécesseur des institutions diplomatique du Saint-Siège développées au XVIe siècle[6]. La notion de cardinal de couronne est devenue dominante au sein du Collège des cardinaux lors du consistoire du 18 décembre 1439 du pape Eugène IV (à la suite de l'élection de l'antipape Félix V par le Concile de Bâle) qui a nommé un nombre sans précédent de cardinaux en liens étroits avec les monarques européens et d'autres institutions politiques[7].

Monarque ou nation Cardinal Notes
Charles VII de France Renault de Chartres Chancelier de France
Charles VII de France Guillaume d'Estouteville Cousin royal, constructeur du Mont Saint-Michel
Henri VI d'Angleterre Louis de Luxembourg Chancelier de France
Henri VI d'Angleterre John Kemp Ancien Grand chancelier d'Angleterre et archevêque d'York
Alphonse V de Portugal António Martins de Chaves Évêque de Porto
Royaume de Hongrie (interregnum) Dénes Szécsi Archevêque d'Esztergom
Ladislas de Pologne Zbigniew Oleśnicki Archevêque de Cracovie
Saint-Empire romain germanique (interregnum) Pierre de Schaumberg Conseiller impérial
René I de Naples Niccolò d'Acciapaccio Archevêque de Capoue
Milan Gerardo Landriani Capitani Évêque de Côme
Gênes Giorgio Fieschi Archevêque de Gênes
Philippe III de Bourgogne Jean Le Jeune Ambassadeur au Concile de Ferrara-Florence
Zbigniew Oleśnicki, l'un des premiers cardinaux de couronne.

La première référence explicite au protectorat appartenant à un État-nation date de 1425 (la Catholic Encyclopedia indique 1424[8]) lorsque le pape Martin V interdit aux cardinaux de « représenter la protection d'un roi, d'un prince ou d'une commune dirigée par un tyran ou tout autre personne laïque que ce soit »[d 1]. Cette interdiction a été renouvelée en 1492 par le pape Alexandre VI mais n'a pas été reconduite par Léon X lors de la neuvième session du Concile du Latran en 1512[8].

Certains cardinaux de couronne sont des cardinaux-neveux ou des membres de familles puissantes ; d'autres sont choisis sur la seule recommandation d'un souverain européen, la plupart du temps sans aucune expérience ecclésiastique[9]. Durant les règnes des papes d'Avignon Clément VI et Urbain VI en particulier, il est admis que certains monarques puissent engager une caution pour que leur candidat soit intégré au Collège des cardinaux[9]. Le tarif pour la création d'un cardinal de couronne s'élève à environ 2 832 scudi[2].

Le pape Alexandre VI a dû créer des cardinaux de couronne in pectore[b 1]. Urbain VI a interdit aux cardinaux de couronne de recevoir des présents de la part de leurs souverains respectifs[8].

La Première Guerre mondiale a scellé le déclin de l'institution du cardinal de couronne, de nombreuses monarchies s'étant éteintes ou ayant perdu de leur pouvoir[9].

Rôle durant les conclaves

Pour l'Espagne, la France et l'Autriche, du XVIe au XXe siècle, les cardinaux de couronne ont la prérogative d'exercer le jus exclusivae (un droit de veto sur les candidats inacceptables), à l'occasion des conclaves, de la part de leur monarque. Les cardinaux de couronne arrivent généralement avec une liste de candidats inacceptables mais doivent souvent échanger avec leurs mandataires, par l'intermédiaire de messagers, et tentent, parfois avec succès, de retarder l'entrée en conclave jusqu'à la réception de la réponse. Par exemple, Innocent X (élu en 1644) et Innocent XIII (élu en 1721) ont échappé à l'arrivée tardive du veto en provenance, respectivement, de France et d'Espagne[1]. Le candidat de la couronne autrichienne Karl Kajetan von Gaisruck arrive trop tard au conclave de 1846 pour exercer le droit de veto contre Giovanni Maria Mastai Ferretti (déjà élu sous le nom de Pie IX).

Liste des cardinaux de couronne

Liste complète des cardinaux de couronne depuis le XVIe et XVIIe siècles[10] :

de Hongrie

d'Autriche

Jan Puzyna de Kosielsko, cardinal de la couronne d'Autriche, le dernier à exercer le jus exclusivae.

Protecteurs :

Vice-protecteurs et co-protecteurs :

d'Angleterre

Non confirmés par la couronne

d'Irlande

d'Écosse

de France

François de Joyeuse, cardinal de la couronne de France, administrant l'onction à la reine douairière Marie de Médicis en 1610

Le roi de France n'a, historiquement, qu'un seul cardinal de couronne à la fois[d 2], choisi selon un processus complexe qui implique le roi, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, l'ambassadeur de France à Rome, et d'autres hommes de pouvoir, mais pas le pape[d 4]. Le cardinal de couronne français est aussi abbé commendatario de plusieurs abbayes de France[18].

Il y a traditionnellement au moins un cardinal résident français à la Curie romaine dans la première moitié du XVIe siècle mais Louis XII et François Ier ont par la suite choisi successivement trois cardinaux italiens comme protecteurs de la France[c 1]

du Saint-Empire romain germanique

Le protecteur du Saint-Empire romain germanique est souvent celui des Territoires héréditaires d'Autriche[d 2].

Vice-protecteurs and co-protecteurs :

de Pologne

de Suède

Les cardinaux-protecteurs de Suède sont nommés par le roi de Pologne Sigismond III de Pologne, qui a revendiqué les droits sur la couronne suédoise[27].

du Portugal

de Savoie et de Sardaigne

Protecteurs du Duché de Savoie :

Protecteurs du Royaume de Sardaigne :

de Naples

de Sicile

des Deux-Siciles

de Castille et d'Espagne

Ferdinand Ier de Médicis, cardinal de couronne d'Espagne de 1582 à 1584.

Le roi d'Espagne peut avoir simultanément cinq ou six cardinaux-protecteurs, le plus fréquent étant traditionnellement le protecteur de Castille[d 2]

d'Aragon

des Flandres

Liste des autres cardinaux-protecteurs nationaux

de Suisse

de la République de Gênes

Liste des cardinaux de couronne non protecteurs

d'Autriche
de Bavière
  • Philippe-Guillaume de Bavière (22 septembre 1576 – 18 mai 1598), évêque de Ratisbonne à partir de 1595, cardinal à partir de 1597[40]
  • Johann Casimir von Häffelin (6 avril 1818 – 27 août 1827), ambassadeur de Bavière auprès du Saint-Siège (depuis le 18 novembre 1803), probablement évêque de cour de facto depuis le 11 novembre 1787 (comme vicaire général du Prieuré de Bavière de l'Ordre de Malte)
d'Angleterre
de France
du Saint-Empire romain germanique
de Pologne
du Portugal
d'Espagne
de Toscane

Annexes

Notes

  1. Le terme italien Prattiche désigne les réunions informelles au cours desquels les cardinaux déterminent les stratégies du conclave.

Bibliographie

Henri Benoît Stuart, cardinal et prétendant jacobite.
  • (en) Frederic J. Baumgartner, Behind Locked Doors : A History of the Papal Elections, New York, Palgrave Macmillan, , 272 p. (ISBN 0-312-29463-8)
  1. Baumgartner 2003, p. 150.
  2. Baumgartner 2003, p. 173.
  1. Pastor 1940, p. 133.
  2. Pastor 1941, p. 405.
  • (en) William E. Wilkie, The cardinal protectors of England, Cambridge University Press,
  1. Wilkie 1974, p. 8.
  2. Wilkie 1974, p. 9.
  3. Wilkie 1974, p. 20.
  4. Wilkie 1974, p. 27–28.
  5. Wilkie 1974, p. 35.
  6. Wilkie 1974, p. vii.
  7. Wilkie 1974, p. 16.
  • (en) Gianvittorio Signorotto et Maria Antonietta Visceglia, Court and Politics in Papal Rome : 1492-1700, Cambridge University Press., , 268 p. (ISBN 978-0-521-64146-3, lire en ligne)

Références

  1. Chadwick, Owen; pp. 265-267.
  2. (en) Johannes Baptist Sägmüller, Catholic Encyclopedia, vol. 3, Robert Appleton Company, ([[s::en:Catholic Encyclopedia (1913)/Cardinal|lire sur Wikisource]]), « Cardinal ».
  3. (en) Alan J. Reinerman, Austria and the Papacy in the Age of Metternich, Washington, D.C., Catholic University of America Press, , p. 59.
  4. (en) Johannes Baptist Sägmüller, Catholic Encyclopedia, vol. 3, Robert Appleton Company, ([[s::en:Catholic Encyclopedia (1913)/Right of Exclusion|lire sur Wikisource]]), « Right of Exclusion ».
  5. (en) Francis A. Burkle-Young, The Cardinals of the Holy Roman Church : Papal elections in the Fifteenth Century, (lire en ligne), « The election of Pope Eugenius IV (1431) ».
  6. (en) Robert Bireley, « Scipione Borghese als Kardinalprotektor: Studien zur römischen Mikropolitik in der frühen Neuzeit », The Catholic Historical Review, vol. 93-1, , p. 172-173 (lire en ligne).
  7. (en) Francis A. Burkle-Young, The Cardinals of the Holy Roman Church : Papal elections in the Fifteenth Century, (lire en ligne), « The election of Pope Nicholas V (1447) ».
  8. (en) Umberto Benigni, Catholic Encyclopedia, vol. 3, Robert Appleton Company, ([[s::en:Catholic Encyclopedia (1913)/Cardinal Protector|lire sur Wikisource]]), « Cardinal Protector ».
  9. (en) Francis A. Burkle-Young, The Cardinals of the Holy Roman Church : Papal elections in the Fifteenth Century, (lire en ligne), « The election of Pope Eugenius IV (1431) ».
  10. (de) Josef Wodka, Zur Geschichte der nationalen Protektorate der Kardinäle an der römischen Kurie, Innsbruck et Leipzig, , p. 46-130.
  11. (en) Howard A. Nenner, « Reformation studies », Journal of the American Academy of Religion, , p. 1:100.
  12. (en) Charles John Cronin, Catholic Encyclopedia, vol. 5, Robert Appleton Company, ([[s::en:Catholic Encyclopedia (1913)/English College in Rome|lire sur Wikisource]]), « English College, in Rome ».
  13. (en) Salvador Miranda, « Consistory of June 2, 1542 (VII) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  14. (en) Salvador Miranda, « Consistory of May 17, 1706 (II) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  15. (en) Salvador Miranda, « Consistory of March 12, 1565 (IV) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  16. (en) Clive Gillis, « Days of Deliverance Part 9: Rome makes the New Irish Confederation invincible », sur ianpaisley.org, .
  17. (en) Salvador Miranda, « Consistory of July 1, 1517 (V) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  18. (en) Salvador Miranda, « Consistory of November 7, 1689 », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  19. (en) Salvador Miranda, « Consistory of May 3, 1527 (I) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  20. (en) Jonathan Yardley, « The Cardinal's Hat », The Washington Post, (lire en ligne, consulté le ).
  21. (en) Salvador Miranda, « Consistory of December 10, 1607 (III) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  22. (en) Salvador Miranda, « Consistory of December 20, 1538 (IV) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  23. (en) Salvador Miranda, « Consistory of March 3, 1599 (IV) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  24. (en) Salvador Miranda, « Consistory of September 2, 1686 (II) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
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  26. (en) Salvador Miranda, « Consistory of December 18, 1534 (I) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  27. Wodka 1938, p. 124.
  28. (en) Salvador Miranda, « Consistory of October 1, 1732 (IV) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  29. (en) Salvador Miranda, « Consistory of February 26, 1561 (II) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  30. (en) Nelson Minnich, « Scipione Borghese als Kardinalprotektor: Studien zur römischen Mikropolitik in der frühen Neuzeit », The Catholic Historical Review, vol. 89-4, , p. 773-778 (lire en ligne).
  31. (en) Salvador Miranda, « Consistory of December 18, 1587 (V) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
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  37. (en) Salvador Miranda, « Consistory of January 19, 1626 (III) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  38. (en) Salvador Miranda, « Consistory of January 19, 1626 (III) », Biographical Dictionary, sur The Cardinals of the Holy Roman Church, .
  39. (en) Thomas Adolphus Trollope, The Papal Conclaves : As They Were and as They are, Londres, Chapman and Hall, , 434 p. (lire en ligne), p. 51.
  40. Trollope 1876, p. 52.
  41. (en) Francis A. Burkle-Young, The Cardinals of the Holy Roman Church : Papal elections in the Fifteenth Century, (lire en ligne), « The election of Pope Alexander VI (1492) ».
  42. Vernon Hyde Minor, The Death of the Baroque and the Rhetoric of Good Taste, Cambridge University Press, , 196 p. (ISBN 978-0-521-84341-6, lire en ligne), p. 138.
  43. (en) Nancy Robinson, Institutional Anti-Judaism : Pope Pius VI and the "Edict Concerning the Jews" in the Context of the Inquisition and the Enlightenment, Xlibris, (ISBN 978-1-4134-2161-3), p. 75.

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