Île des Serpents

L'île des Serpents (острів Змійний / ostriv Zmiyinyy en ukrainien, Insula Șerpilor en roumain, Φιδονήσι / Phidonísi en grec et Yılan adası en turc) est la seule île pélagique (au large) en mer Noire. Elle s'étend sur 662 m d'est en ouest et sur 440 m du nord au sud. Sa superficie est de 0,17 km2. Elle culmine à 41 m d'altitude. Après avoir été roumaine elle est devenue soviétique de facto le et est ukrainienne depuis la dislocation de l'URSS en 1991. Elle se trouve à environ 45 km du littoral du delta du Danube et à 51 km (31 milles marins) des ports roumain de Sulina et ukrainien de Vylkove.

Carte de l'île des Serpents (1922).
Plage nord de l'île des Serpents.

Ne doit pas être confondu avec l’île aux Serpents.

Île des Serpents
ostriv Zmiyinyy (uk)

L'île des Serpents en 1896 en arrière-plan du brick Mircea
Géographie
Pays Ukraine
Localisation Mer Noire
Coordonnées 45° 15′ 14″ N, 30° 12′ 17″ E
Superficie 0,17 km2
Côtes 3,34 km
Point culminant 41
Géologie bancs calcaires miocènes
Administration
Oblast Odessa
Raion Raion de Kilia
Démographie
Population 100 hab.
Densité 588,24 hab./km2
Plus grande ville Біле/Bile
Autres informations
Découverte Antiquité (île Leukè)
Géolocalisation sur la carte : Ukraine
Île des Serpents

Mythologie grecque

Selon Pindare, dans ses Néméennes[1] et Euripide dans son Andromaque[2], l'Île des Serpents aurait été le « brillant paradis d'Achille » qui aurait, après sa mort à Troie, passé dans cette « Île Blanche du Pont-Euxin » son après-vie pleine de bagarres, de festins et d'amours, et allant parfois, avec ses compagnons, se dégourdir les jambes non loin de là, sur le Cours achilléen[3].

Histoire

C'est une ancienne colline de grès qui est devenue île au moment de la montée du niveau de la mer Noire, il y a six mille ans ; si l'on en juge par les amas coquilliers, elle fut fréquentée par des pêcheurs dès le Néolithique[4].

Antiquité

Dans l'Antiquité, les Grecs y avaient construit un temple en l'honneur d'Achille, sanctuaire évoqué par le poète Ovide et le géographe Claude Ptolémée. Ses ruines ont été retrouvées en 1823. L'île s'appelait alors Achilleia ou Leukè claire »). Ce temple fut entretenu par la colonie grecque d'Olbia pontique proche de l'actuelle Kherson. Les couleuvres inoffensives qui peuplaient l'île (se gavant de rongeurs et des nids des oiseaux de mer) étaient sacrées. Elles lui valent le surnom d'Ophidonisi (« île aux serpents ») sous lequel elle devient possession de l'Empire romain en 29 de notre ère. Elle est alors rattachée à la province de la Scythie Mineure (actuelle Dobroudja) et relève de la cité d'Argamum.

Moyen Âge

L'Empire romain d'Orient (dit « byzantin ») cède l'île aux marchands italiens de Gênes en 1315. Ceux-ci y rénovent le fanal en utilisant les pierres des ruines de l'ancien temple d'Achille. L'île a aussi appartenu à la Moldavie de 1360 à 1484. C'était une escale et un amer de la flotte moldave basée à Cetatea Albă. Le voïvode Étienne III la cède aux Turcs qui l'appellent Yilan Adası, ce qui est une traduction d'Ophidonisi. À leur tour, le fanal et la citerne tombent en ruines : l'île n'a plus d'eau douce et cesse d'être habitée pour plusieurs siècles.

Époque moderne

En 1788 lors de la guerre russo-turque de 1787-1792, la Bataille navale de l'île des Serpents oppose la flotte du Tzar à celle du Sultan, avec un résultat incertain : des dizaines de marins des deux camps, dont les vaisseaux avaient été coulés, se retrouvent sur l'île où un certain nombre mourront de soif avant d'être secourus (et pour certains, faits prisonniers). À l'issue de la Guerre russo-turque de 1828-1829, le traité d'Andrinople de 1829 donne les bouches du Danube à l'Empire russe, sans mentionner l'île, et après la guerre de Crimée, le traité de Paris (1856) en assure la propriété à l'Empire ottoman, qui y fait construire par Michel Pacha un phare et une citerne. En 1878, par le traité de San Stefano, l'île devient roumaine sous le nom d'Insula Serpilor qui signifie également île des serpents, toujours rattachée à la Dobroudja. La Roumanie étant Alliée durant la Première Guerre mondiale, le croiseur allemand Breslau bombarde l'île et détruit le phare en 1916. Les Roumains le reconstruisent en 1922 : c'est le phare actuel. Le muséum roumain fait de l'île une réserve naturelle en 1932. L'archéologue Vasile Pârvan fouille le site du temple d'Achille.

En la Roumanie devient un pays allié de l'Union soviétique qui l'occupe le 12 septembre 1944, île des Serpents incluse, puis elle devient communiste le . Enfin, le elle devient une république communiste et dès l'année suivante, l'URSS en profite pour se faire concéder l'île le au titre de l'occupation et par un protocole bilatéral. Désormais dénommée Ostrov Zmeïnyi qui signifie également île des Serpents, la place devient une base militaire de surveillance aérienne et maritime avec radars et autres équipements destinés aux écoutes, puis les soldats soviétiques exterminent les couleuvres : les rongeurs pullulent en proportion. L'emploi de raticides pollue ensuite toute l'île. Lors de la dislocation de l'URSS, la Roumanie revendique à l'Ukraine la rétrocession de cette île, le protocole bilatéral soviéto-roumain de 1948 n'ayant jamais été ratifié ni par l'URSS, ni par la Roumanie. L'île des Serpents fait partie d'un groupe de six îles en litige entre l'Ukraine et la Roumanie, situées à la frontière des deux pays (les cinq autres : Daleru mare, Daleru mic, Coasta-dracului, Maican et Limba, se trouvent sur le bras frontalier de Chilia, cette dernière à l'embouchure).

Emplacement de l'île par rapport aux côtes ukrainiennes et roumaines

En 1997 l'OTAN incite fortement la Roumanie à régler ses litiges avec l'Ukraine si elle veut intégrer l'organisation (ce qui finira par arriver en 2004). Dans ce contexte, le traité frontalier roumano-ukrainien de Constanza signé le , confirme l'appartenance de ces six îles à l'Ukraine, mais les eaux territoriales et de la zone économique exclusive correspondant à l'île des Serpents restent en litige. En août 2004 la partie roumaine porte le cas devant la Cour internationale de justice de la Haye[5] et réclame le partage moitié-moitié des eaux territoriales et de la zone économique de l'île des Serpents, en soutenant que l'île, n'ayant ni eau potable, ni sol fertile, est un simple rocher ou îlot qui ne donne pas à l'Ukraine droit à une zone économique exclusive[6].

La partie ukrainienne soutient qu'il s'agit d'une véritable île et elle y met les moyens : transport de plusieurs centaines de tonnes de sol fertile, plantation d'arbres, installation sur place des familles des gardes-frontières, avec un bureau de poste et une agence bancaire, rotation d'hélicoptères pour amener de l'eau)[7].

À partir du [8], l'Ukraine et la Roumanie plaident leurs arguments devant la Cour internationale de justice de La Haye. L'enjeu de ce procès entre les deux États voisins n'est pas seulement la moitié sud des eaux territoriales de l'île mais aussi, et surtout, 12 200 km2 riches en hydrocarbures du plateau continental situé au sud de celle-ci, au large des côtes roumaines. Les compagnies pétrolières BP et Royal Dutch Shell ont signé des contrats de prospection avec l'Ukraine, tandis que Total a misé sur la Roumanie. L'autrichien ÖMV (propriétaire de Petrom, la plus importante compagnie pétrolière roumaine) a joué sur les deux tableaux en signant avec le consortium de Naftogaz Ukrainy-Chernomornaftogaz un contrat pour concourir ensemble à la mise aux enchères des concessions dans toute la zone en litige[9].

La délimitation maritime du  : en bleu les revendications ukrainiennes, en rouge les roumaines, en violet l'arrêt rendu par la CIJ.

Règlement du litige maritime

La Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a défini, le la frontière[10] des eaux territoriales en mer Noire entre les deux pays. La délimitation maritime, acceptée par les deux pays, est basée essentiellement sur une ligne équidistante entre les côtes des deux pays qui se font face, selon l'arrêt rendu à l'unanimité par la CIJ. L'Ukraine obtient 2 500 km2, soit 20 % de la zone contestée, avec une profondeur de 20 à 50 m. La Roumanie renonce à l'île des Serpents mais obtient 9 700 km2, soit 80 % de la zone contestée, avec une profondeur moyenne supérieure à 50 m. La ligne de délimitation part du point d'intersection entre les eaux territoriales de la Roumanie et les eaux territoriales de l'île des Serpents qui appartient à l'Ukraine. La frontière maritime suit ensuite l'arc de 12 milles marins de rayon entourant l'île des Serpents jusqu'à son intersection avec la ligne équidistante des côtes adjacentes roumaine et ukrainienne. Elle se poursuit ensuite le long d'une ligne équidistante des côtes roumaine et ukrainienne qui se font face.

L'histoire officielle ukrainienne, telle qu'elle est présentée aux visiteurs de l'Île des Serpents dans le petit musée local, est « exemplairement militante par omission » : Au Moyen Âge l'île appartînt à la Turquie. En 1829 elle appartenait à l'Empire russe. Après la Grande Guerre Patriotique (nom soviétique de la Seconde Guerre Mondiale) l'île servit de base radar de la défense antiaérienne et la section radiotechnique du système littoral d'observation de la Marine de guerre de l'URSS. Dans les années 1980 sur le plateau continental on a découvert les gisements considérables du gaz naturel et du pétrole. Cela est devenu la raison des prétentions du côté de la Roumanie peut-on y lire, sans la moindre mention du fait que l'île a été roumaine avant d'être ukrainienne[11].

En 2009 le litige est donc éteint officiellement, en tout cas pour l'île des Serpents, mais le golfe de Musura (situé juste au nord de Sulina) et la bande d'eaux territoriales au large de celui-ci, en direction de l'île des Serpents, restent en litige car en 2008, l'Ukraine avait posé unilatéralement des balises-frontière le long de la digue nord du port roumain de Sulina, au sud de la frontière de jure (située entre l'estuaire du bras de Chilia et celui du bras de Sulina). La première source de ce litige résiduel est naturelle : c'est l'alluvionnement qui comble petit-à-petit le golfe de Musura. La seconde source est économique : ce sont les nouveaux gisements de pétrole et de gaz, découverts au large de celui-ci. La marine roumaine a enlevé peu après ces balises, mais l'Ukraine a récidivé et ces opérations se sont répétées à plusieurs reprises depuis[10].

Notes et références

  1. Pindare, Odes (Néméennes, IV, 49-50).
  2. Euripide, Andromaque [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 1259-1262).
  3. P. Mela, De chorographia, II, 5.
  4. Valentina Yanko-Hombach, Allan S. Gilbert, Nicolae Panin & Pavel M. Dolukhanov editors, The Black Sea Flood Question: Changes in Coastline, Climate, and Human Settlement, Springer, Netherlands, 2007 [lire en ligne].
  5. Communiqués de presse de la CIJ dans l'affaire délimitation maritime en Mer Noire (Roumanie c. Ukraine)
  6. Quotidien Ziua, 24 mai 2008: article "Ocuparea Insulelor" (l'occupation des îles).
  7. « L'île des Serpents attire les convoitises », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  8. L'île des Serpents, un confetti de la mer Noire très prisé
  9. Directmatin du vendredi 19 septembre 2008 page 16 : Kiev et Bucarest se disputent l'île aux serpents
  10. Dépêche sur le site du Tageblatt

Liens externes

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