Île de Pâques
L'île de Pâques, en rapanui Rapa Nui (« la grande Rapa » en référence à Rapa iti « la petite Rapa »)[N 1], en espagnol Isla de Pascua, est une île du Chili, isolée dans le Nord-Est de l’océan Pacifique sud. Elle est particulièrement connue pour ses statues monumentales (les moaï) et son écriture océanienne unique (le rongorongo).
Pour les articles homonymes, voir Pâques (homonymie) et Province de l'Île de Pâques.
Rapa Nui
Île de Pâques Isla de Pascua (Rapanui) | ||
Carte de l'île de Pâques. | ||
Géographie | ||
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Pays | Chili | |
Archipel | Polynésie | |
Localisation | Océan Pacifique | |
Coordonnées | 27° 07′ 10″ S, 109° 21′ 17″ O | |
Superficie | 164 km2 | |
Point culminant | Maunga Terevaka (507,41 m) | |
Géologie | Île volcanique | |
Administration | ||
Région | Valparaiso | |
Province | Île de Pâques | |
Commune | Île de Pâques | |
Démographie | ||
Population | 7 750 hab. (2017) | |
Densité | 47,26 hab./km2 | |
Gentilé | Pascuan ou Rapanui | |
Plus grande ville | Hanga Roa | |
Autres informations | ||
Découverte | Entre 400 et 1200 (Polynésiens) 1687 (Européens) |
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Fuseau horaire | UTC−06:00 | |
Site officiel | www.rapanui.net | |
Géolocalisation sur la carte : océan Pacifique
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Îles au Chili | ||
L’île de Pâques se trouve à 2 075 kilomètres à l’est de l'île Pitcairn, l’île habitée la plus proche. Cet éloignement lui vaut d’être le lieu habité le plus isolé du monde au même titre que l’archipel Tristan da Cunha. D’autre part, l’île est située à 2 829 km à l’ouest-sud-ouest de l’île Alejandro Selkirk, dans l'archipel Juan Fernández, à 3 525 kilomètres à l’ouest des côtes chiliennes de la région du Biobío (Concepción) et à 4 193 kilomètres à l'est-sud-est de Tahiti.
L’île, de forme triangulaire, d'environ 24 kilomètres dans sa plus grande dimension, couvre 164 km2[1]. La population était estimée à 7 750 habitants en 2017. Son chef-lieu est Hanga Roa.
Elle fut visitée pour la première fois par un Européen, le navigateur néerlandais Jakob Roggeveen, le , jour de Pâques, et comptait alors près de 4 000 habitants. Elle fut annexée en 1770, sous le nom d'isla San Carlos, par l’Espagne, qui s'en désintéressa par la suite ; des Français s'y installèrent après et l'île devint possession chilienne en 1888.
Depuis 1995, le patrimoine exceptionnel de l’île est protégé et inscrit au Patrimoine mondial par l’UNESCO. Des parcs ou réserves naturelles, parfois surveillés, enserrent les zones des vestiges. La communauté rapanui veille précieusement sur les traces de ce patrimoine et constitue localement un pouvoir parallèle aux autorités chiliennes.
Cette île est célèbre pour ses vestiges mégalithiques de la civilisation autochtone : le patrimoine archéologique comprend 1 042 statues de basalte, les moaï, de 4 m de hauteur moyenne, et près de 300 terrasses empierrées supportant ces statues, les ahus (de).
Nom officiel
Le nom espagnol d’Isla de Pascua (île de Pâques) est dû au navigateur hollandais Jakob Roggeveen qui l’a découverte le dimanche de Pâques 1722[2], et l’a baptisée ainsi Paaseiland. En , la chambre des députés chilienne adopta le double nom de Rapa Nui - isla de Pascua, mais le sénat chilien rejeta cette disposition[3].
Noms locaux
Les habitants d’origine polynésienne ont plusieurs dénominations de l’île, que les Européens ont ultérieurement réinterprétées[4] :
- avant les changements de population postérieurs à 1861, la tradition orale locale rapporte que le nom de l’île était Haumaka ou plus exactement Te kainga a Hau Maka (le bout de terre de Hau Maka, également connu comme Hau Mata, Hao Matuha ou Hotu Matu’a)[5] ; Alfred Métraux donne aussi Hiti-ai-Rangi, Hanga-Oaro et Hanga-Roa, nom conservé jusqu’à nos jours par la capitale de l’île[6] ;
- Te pito o te henua en rapanui désignait, selon la même tradition orale, un lieu-dit plus ou moins au centre de l’île où se tenaient les palabres entre iwi (clans)[7], mais Alphonse Pinart dans son Voyage à l’île de Pâques (1877), a interprété ce toponyme comme étant le nom de l’île et comme signifiant le « nombril du monde » ; d’autres interprétations sont « le nombril de la terre », « le centre de la terre » ou « la fin des terres » ;
- Rapa Nui (la grande Rapa) a été popularisée tardivement (XIXe et XXe siècles), entre autres par l’explorateur Thor Heyerdahl, après la décimation de 1861, mais ce sont les matelots de Rapa, la petite, en Polynésie française, qui ont donné ce nom[8], généralement adopté par la population actuelle[9] ;
- enfin Matakiterani est une déformation de Mat’aki te rangi ou Mat’aki te u’rani (les « yeux qui regardent le ciel » ou « du ciel »), du nom d’îles connues des Mangareviens dans l'est des îles Gambier et citées par Honoré Laval[10] : des auteurs européens et notamment Thor Heyerdahl ont employé ce nom pour désigner l’île de Pâques dans leurs ouvrages, en partant de la supposition que les « yeux qui regardent le ciel » seraient ceux des moaï[9].
Histoire et peuplement
Premiers peuplements
D’après les analyses génétiques, effectuées au XXe siècle, la plupart des habitants (∼76 %) sont d’origine polynésienne[11]. Les individus anciens étudiés portent l'haplogroupe mitochondrial polynésien typique : B4a1a1[12]. Leur langue est d'origine austronésienne mais la présence des mêmes légumes en Polynésie et en Amérique du Sud, démontre des contacts entre ces deux régions, sans montrer s’il y a eu peuplement austronésien en Amérique du Sud, ou amérindien dans l’île de Pâques, comme le pensait Thor Heyerdahl lorsqu’il aborda l’île[13]. Le pourcentage d’ascendance amérindienne dans la population actuelle de l’île semble postérieur à l’arrivée des premiers Européens et les marqueurs amérindiens sont absents des squelettes antérieurs[12].
Toutefois l’hypothèse émise par Thor Heyerdahl suscite toujours de nouvelles études visant à l’étayer, notamment de la part de Jean-Hervé Daude, Denise Wenger, Charles-Edouard Duflon, Alexander Ioannidis ou Javier Blanco-Portillo[14] ; la plus récente, publiée en 2020, affirme ainsi que des contacts entre polynésiens et amérindiens proches des Zenú de l’actuelle Colombie se seraient produits dans les îles Marquises au XIIIe siècle[15]. Les spécialistes du peuplement de l'Océanie ne nient pas que des navigateurs polynésiens hauturiers aient pu, sur de grandes pirogues à balancier ou bien sur des catamarans offrant plus de charge utile, échanger avec l'Amérique du Sud : la dispersion de légumes comme la kumara en témoignent[16]. Ils doutent seulement que le mégalithisme soit un apport exclusivement sud-américain que les Polynésiens auraient été incapables d'initier d'eux-mêmes[17].
Quoi qu’il en soit, la date du début du premier peuplement de l’île par des Polynésiens n’est pas déterminée avec précision. Selon l’hypothèse d’une chronologie longue, il daterait de 400 ou de 800 ; mais selon la thèse, majoritaire, d’une chronologie courte, le peuplement daterait de 1200[18],[19]. Des mesures au radiocarbone, effectuées dans les années 1950, estimaient la date du peuplement de l’île[20] vers 400 (à +/- 80 ans). De nouvelles études[21], ont mis en évidence des pollutions sur les mesures antérieures, impliquant un vieillissement des résultats. Des mesures de radiocarbone publiées en 2006 ont mis en évidence des premières implantations plus récentes, vers 1200[22].
Ces premiers colons polynésiens seraient partis des îles Marquises (situées à plus de 3 200 km) ou bien des îles plus proches des Tuamotu (Mangareva, à 2 600 km) en passant par Pitcairn (située à 2 000 km). Une reconstitution, effectuée en à partir de Mangareva sur des embarcations polynésiennes, a demandé 19 jours de navigation[23]. En rapanui moderne, ces premiers habitants polynésiens sont appelés matamua : « les premiers »[7].
Les plus anciens moaïs ressemblent beaucoup aux tikis que l’on peut voir dans les îles de Polynésie (Hiva Oa ou Nuku Hiva des Marquises, Tahiti…), et une partie de la flore et de la faune de l'île est très semblable à celle des autres îles polynésiennes (par exemple la fougère Microlepia strigosa (en), le Sophora toromiro, le Hauhau Triumfetta semitrebula, le Mahute Broussonetia papyrifera ou le Ti Cordyline terminalis (en), les poulets, les rats[7]…)
Hotu Matu'a et les premiers Pascuans
Les immigrants matamua (« les premiers » en rapanui), avaient, selon la tradition orale, un chef nommé Hotu Matu'a, parfois appelé Haumaka : ils ont développé, malgré des ressources assez limitées, une société complexe et bien adaptée à son environnement[7]. L’importance croissante du culte des ancêtres s’est traduite par l’érection de centaines des statues moaï. Au XVIe siècle, un tapu fut jeté sur les statues (alors abattues) et les plateformes cérémonielles (ahus) (de) (alors recouvertes de terre), manifestant un changement religieux par lequel le culte des ancêtres laissa la place prépondérante à celui de Make-make, du tangata manu et des Aku-Aku. La cause de ce changement est l’objet de multiples suppositions et débats : séisme et tsunami ? sécheresse et désertification ? crise sociale et révolte contre les élites ?[24].
En tout cas, lorsque les premiers explorateurs sont arrivés sur l’île, ils ont trouvé les statues renversées et ont supposé que c’était l’indice d’une guerre civile, supposition aussitôt intégrée dans la tradition orale de l'île[25]. Puis, en découvrant que ces statues avaient été posées au sol avec le plus grand soin (et en très bon état), ils en ont conclu que le renversement des moaïs n’étaient pas un geste de destruction mais simplement que la population de l’île de Pâques avait changé de croyance et jeté un tapu sur les statues, laissées dans les carrières dans l’état d’achèvement où elles étaient au moment du changement, puis recouvertes par les produits d’érosion du volcan. Le tuf dans lequel les moaïs ont été sculptés est jaune, mais exposé aux intempéries, il vire au gris. Les parties enfouies ont gardé leur couleur originelle ce qui prouve que le changement est relativement ancien (plusieurs siècles, environ trois cents ans). À ce moment, le culte de Make-make et de l’homme oiseau Tangata manu prit de l’importance, remplaçant le culte des ancêtres antérieur[26].
Les autochtones Matamua ou Haumaka en étaient là lorsque les maladies apportées par des nouveaux venus et l’esclavage (pratiqué par les exploitants péruviens de guano) réduisirent à cent onze personnes leur population. Après l’arrivée des planteurs et des missionnaires européens (initialement français), leurs ouvriers agricoles polynésiens (dont beaucoup, selon Eugène Caillot, seraient originaires de Rapa-Iti, mais cette hypothèse n’est pas documentée) se mêlent aux autochtones survivants, formant le peuple Rapa-Nui, que le missionnaire Eugène Eyraud achève de convertir au catholicisme[27]. En fait il semble que des contacts entre Rapanais, Pascuans et autres polynésiens ont aussi pu se produire aux îles Chincha, près des côtes péruviennes, où les esclavagistes ont exploité les ouvriers qu'ils avaient razziés dans diverses îles dont Rapa et Pâques[28].
Société indigène de clans
La société des indigènes Matamua comptait, comme beaucoup d’autres sociétés polynésiennes, une dizaine d’iwi (clans familiaux) : l’île était partagée entre les clans, et les paepae (villages) étaient pour la plupart situés entre la côte où se situaient les ahus (esplanades cérémonielles), et le centre de l'île, où les territoires se rejoignaient. Les iwi, paepae et ahu d’Aka’hanga, Anakena, Heiki’i, Mahetua, Taha’i, Tepe’u, Terevaka, Tongariki, Va’e Mata et Vinapu sont attestés[7].
Voyages de découverte (XVIIe – XVIIIe siècles)
Le premier Européen qui ait aperçu l’île fut peut-être, en 1687 le pirate Edward Davis sur le Bachelor’s Delight, alors qu’il venait des îles Galápagos et naviguait en direction du cap Horn. Son coéquipier Lionel Wafer décrit une île aperçue par hasard, sous la même latitude que l'île de Pâques, sur laquelle ils n'effectuèrent pas de débarquement, et qu'on pensa par la suite pouvoir être un promontoire du légendaire « continent du Sud ».
Le nom de l’île est dû au Hollandais Jakob Roggeveen qui y accosta avec trois navires au cours d’une expédition pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Il la découvrit en effet le dimanche de Pâques et l’appela Paasch-Eyland (île de Pâques). Un des participants à l’expédition était le Mecklembourgeois Carl Friedrich Behrens dont le rapport publié à Leipzig orienta l’attention de l’Europe vers cette région à peine connue du Pacifique.
L’explorateur suivant fut l’Espagnol Felipe González de Ahedo qui avait reçu du vice-roi du Pérou l’ordre d’annexer l’île pour le compte de la Couronne espagnole. L’expédition de González de Haedo débarqua le . Après une visite rapide et très partielle de l’île (exploration d’une demi-journée dans un seul secteur), et après un contact amical avec une population à structure sociale hiérarchisée, Felipe González de Haedo, qui ne pensait pas être dans l’île de Roggeveen, décida d’annexer cette terre à la Couronne d’Espagne et la nomma Île de San Carlos. Il fit planter plusieurs croix à l’Est de l’île, sur la pointe du volcan Poïké. Durant les années qui suivirent, l’Espagne ne se soucia guère de sa nouvelle possession. Preuve fut faite en cartographie qu’il s’agissait bien de la découverte du Hollandais Roggeveen, donc cette terre lointaine ne pouvait appartenir à l’Espagne.
Au cours de sa deuxième expédition du Pacifique Sud, James Cook visite l’île de Pâques du au , à terre par deux fois pour une journée pour une partie du personnel. Il n’en est pas enthousiasmé et écrivit dans son livre de bord : « Aucune nation ne combattra jamais pour l’honneur d’avoir exploré l’île de Pâques, […] il n’y a pas d’île dans la mer qui offre moins de rafraîchissements et de commodités pour la navigation que celle-ci[29]. » Cependant, son séjour fournit des informations essentielles sur la constitution géologique, la végétation, la population et les statues — qui dans leur majorité avaient déjà été renversées, sans que l’on sache si c’est par les hommes, ou par un séisme. Nous avons des images témoins de cette époque grâce au naturaliste allemand Reinhold Forster et à son fils Georg Adam Forster, qui participent à l’expédition Cook. Reinhold Forster a dessiné les premiers croquis des statues (moaïs) qui, gravés et publiés dans un style alors typiquement romantique, firent sensation dans les salons.
En , le navigateur français La Pérouse débarque pour une journée sur l’île de Pâques au cours de sa circumnavigation terrestre, effectuée sur l’ordre du roi Louis XVI. La Pérouse avait l’ordre de dessiner des cartes précises afin de contribuer, avec l’étude des peuples du Pacifique, à la formation du dauphin.
De 1780 à 1860, on conserve quelque trace de la visite de cinquante bateaux seulement en tout, soit, si on intègre baleiniers et bateaux de commerce, au mieux deux cents passages de bateau.
Le XIXe siècle
- La catastrophe démographique
Selon Alfred Métraux, dans son Introduction à la connaissance de l’Île de Pâques de [30], la population d’origine (les Matamua ou Haumaka) serait passée de 2 500 personnes à seulement 111 en 1877. Les marchands d’esclaves de Callao au Pérou, ont, de 1859 à 1863, fait plusieurs raids et déporté environ 1 500 insulaires pour les vendre aux exploitants de guano des îles Chincha. Toujours selon Métraux, la société matamua est totalement déstructurée par la capture et le massacre en 1861 des ariki (guerriers), des prêtres et du clan Miru (revendiquant descendre de Hotu Matu'a) dont faisaient partie l’ariki-nui (roi) Kaimakoi et son « prince héritier » Maurata, de sorte que la mémoire identitaire des autochtones est en grande partie perdue. Frappée par les maladies introduites par les Européens (notamment la tuberculose), la population diminue encore fortement durant les années 1860 et 1870, avec pour résultat qu’après les immigrations ultérieures, en provenance essentiellement des îles Australes (dont Rapa), de Tahiti et des Tuamotu, les Matamua d’origine ne représentaient plus que 3 % environ de la population pascuane, les autres Polynésiens (les Rapa-Nui) étant la moitié, les Européens d’origine 45 %, et les Chinois 1 %. Les Polynésiens venus dans l’île après 1861, déjà pourvus d’anticorps contre les maladies des Européens et déjà en partie christianisés, ont été amenés par les planteurs Dutrou-Bornier, Mau et Brander comme ouvriers agricoles, entre 1864 et 1888[7].
Jared Diamond avance dans la théorie du « suicide écologique » que les Matamua, imprévoyants, auraient déboisé leur île, rendant leurs terres incultivables, et sombrant ainsi dans la famine et la guerre civile[31]. Les observations archéologiques récentes contredisent cette hypothèse[32].
- La mission catholique (1864)
C’est en 1864 qu’a lieu l’installation sur l’île du premier Européen sédentaire[33] : Eugène Eyraud, un Français ouvrier mécanicien à Copiapó (Chili), qui a décidé de se consacrer à l’évangélisation. Après un séjour d’observation (dont il a laissé un compte-rendu) Eyraud retourne au Chili se faire soigner et revient en avec un prêtre, Hippolyte Roussel, qui se trouvait auparavant en fonction aux îles Marquises. Tous deux créent la mission catholique. Deux autres missionnaires arrivent en avec des animaux et du matériel. Cependant, Eugène Eyraud meurt en de sa maladie.
- Les planteurs-éleveurs Dutrou-Bornier et Mau (1866)
Les nouveaux missionnaires ont été convoyés par le capitaine français Jean-Baptiste Dutrou-Bornier à qui l’île de Pâques parait très intéressante. Il revient quelques mois plus tard avec son propre matériel et sa famille afin de créer une exploitation agricole. Un autre colon s’installe en même temps, le charpentier de marine Pierre Mau. En septembre est établi un « Conseil de gouvernement », présidé par Dutrou-Bornier avec le missionnaire allemand Gaspar Zumbohm pour secrétaire, et quatre membres polynésiens représentant les ouvriers amenés de Polynésie française. Ce « Conseil de gouvernement » se dote d’institutions : un tribunal présidé par Hyppolite Roussel et une police, les mutoi, tandis que la mission est rattachée au vicariat apostolique de Tahiti[34] : en fait la mission et les colons européens procèdent surtout à d’importants achats de terre à très bas prix auprès de Pierre Mau et des propriétaires Matamua ayant survécu à la catastrophe de 1862[35].
- L'association Dutrou-Bornier/Brander (1871-1876)
En 1869, Pierre Mau quitte l’île, revendant ses propriétés à la mission catholique. Des dissensions liées aux mœurs de Dutrou-Bornier entraînent le départ des missionnaires en 1871 ; l’ancien capitaine devenu planteur reste le seul Européen. Le , il conclut un « contrat d’association pour l’exploitation de l’île de Pâques » avec l’entrepreneur écossais installé à Tahiti (où il a épousé Titaua Salmon en 1856), John Brander. De fait, il s’agira essentiellement d’un élevage de moutons de plusieurs milliers de têtes. La mort de Dutrou-Bornier en 1876, suivie de celle de John Brander en 1877 crée des problèmes juridiques, les héritiers respectifs s’engageant dans une procédure qui ne prendra fin qu’en 1893. Entretemps, la responsabilité de l’exploitation agricole de l’île de Pâques revient au beau-frère de John Brander, Alexander Salmon, véritable maître de l'île jusqu'à l'annexion par le Chili en 1888[35].
- Autres voyages de découverte
En 1882, la canonnière allemande SMS Hyäne (« La Hyène ») visita durant cinq jours l’île de Pâques au cours d’une expédition dans le Pacifique. Le capitaine-lieutenant Geiseler avait l’ordre de l’amirauté impériale d’entreprendre des études scientifiques pour le département ethnologique des musées royaux prussiens de Berlin. L’expédition a fourni entre autres, un demi-siècle avant Alfred Métraux et près de 80 ans avant Thor Heyerdahl, les descriptions très détaillées des us et coutumes, de la langue et de l’écriture de l’île de Pâques ainsi que des dessins exacts de différents objets culturels, des statues (moaïs), des croquis de maisons et un plan détaillé du lieu de culte Orongo[36]
Le médecin de marine William Judah Thomson prit les premières photos de statues (moaïs) en 1886 alors qu’il visitait l’île à bord du navire américain USS Mohican[37].
L'île de Pâques sous la domination chilienne
Le [38], l’île est annexée au nom du Chili par le capitaine de corvette Policarpo Toro (1856-1921), qui y séjournait depuis 1886 et menait les négociations avec les habitants, malgré quelques tentatives de la France pour les contrecarrer. La lignée royale, descendant de Hotu Matu'a (le clan Miru) étant éteinte depuis 1861, un traité d’annexion de l’île est signé avec un certain Atamu Tekena, reconnu comme roi par le gouvernement chilien.
L’île est divisée entre la réserve de Hanga Roa, 6 % de la surface de l’île, où sont parqués les Rapa-Nui, et la Compagnie Williamson-Balfour, qui possède le reste et y élève des moutons jusqu’en .
De 1953 à 1966, l’île est sous le contrôle de la marine chilienne.
En 1966, les Pascuans reçoivent la nationalité chilienne, sont autorisés à quitter la réserve, et l’île devient un territoire de droit commun.
Enfin, le , une réforme constitutionnelle dote l’île d’un statut de « territoire spécial », mais elle continue pour le moment d’être administrée comme une province de la Ve Région (Valparaíso).
La menace du changement climatique
Au XXIe siècle, le changement climatique et la montée des océans qui en résulte menace la plupart des sites archéologiques de l'île[39].
Géographie et climat
Géographie et géologie
Située dans le Nord-Est de l'océan Pacifique sud, cette terre est l'une des plus isolées au monde. L’île la plus proche, mais déserte, est Sala y Gómez, à 391 km à l'est. Pitcairn est l’île habitée la plus proche, à 2 075 km à l’ouest. L’île de Pâques se trouve à 3 525 kilomètres des côtes chiliennes et à 4 193 km de Tahiti. L’île de Pâques est de forme triangulaire, mesure environ 23 km dans sa plus grande dimension, et couvre 164 km2. Le plus haut point de l'île à 507 mètres d'altitude est le Maunga Terevaka. Il y a trois lacs d’eau douce dans des cratères volcaniques (Rano) : Rano Kau, Rano Raraku et Rano Aroi mais aucun cours d’eau permanent. La population comptait 3 304 habitants en 2002. Son chef-lieu est Hanga Roa.
L’île est d’origine volcanique avec trois cônes principaux éteints. Le Maunga Terevaka forme la plus grande superficie de l’île. Les monts Poike à l’est et Rano Kau au sud, lui sont reliés par des ponts de débris d’éruption et donnent la forme triangulaire de l’île. Il existe de nombreux autres petits cratères et reliefs volcaniques dont le Rano Raraku, le Puna Pau et des tunnels de lave. Les pierres principales sont le basalte et l'hawaiite, toutes deux riches en fer et apparentées aux roches ignées des îles Galápagos[40].
L’île de Pâques est entourée d’îlots comme Motu Nui, une montagne volcanique de plus de 2 000 mètres de dénivelé entre le fond de la mer et son sommet. L’île de Pâques et ces îlots font partie de la chaîne de Sala y Gómez, surtout sous-marine, qui débute à Pukao et s'étend 2 700 km à l'est jusqu'à Nazca[41].
Les îles de Pukao, Moai et de Pâques ont été formées au cours des 750 000 dernières années, l’éruption la plus récente date d'un peu plus de 100 000 ans. Ce sont les plus jeunes montagnes des Sala y Gómez qui reposent sur la plaque de Nazca au-dessus du point de passage d'un point chaud dans le sud-est du Pacifique et près d'une zone de fracture[41]. De la fumée a été photographiée sortant du mur du cratère Rano Kau — pourtant éteint — par l'administrateur de l'île, M. Edmunds[42].
- Notes
Le point antipodal de l’île se trouve dans le district de Jaisalmer, dans le Rajasthan en Inde. C’est un lieu inhabité entre les villages de Kuchchri, Häbur et Mokal.
L'éclipse totale de Soleil du 11 juillet 2010 est passée par l'île de Pâques, 10 ans et 11 mois (calendaires), soit 1 tritos, après celle du 11 août 1999[43]. À cette occasion, l'astronome français Jean-Claude Merlin a annoncé officiellement le baptême de la petite planète 221465 du nom de Rapa Nui[44].
Climat
Le climat de l’île de Pâques est subtropical maritime. La température minimale est de 16 °C en juillet et août (hiver austral) et le maximum est de 28 °C en février[45]. Il tombe 1 138 mm de pluie annuellement et avril est le mois le plus pluvieux mais la pluie est assez bien répartie tout au long de l'année[46].
Biodiversité et évolution environnementale de l’île
Avifaune
Les îlots rocheux qui se trouvent au sud-ouest de l'île de Pâques abritent une importante population d'oiseaux de mer : mouettes, goélands, frégates et la mythique sterne noire, devenue très rare aujourd'hui. Dans le culte de Make-make, la sterne noire a joué autrefois un rôle essentiel : chaque année, à l'arrivée de cet oiseau migrateur connu sous le nom indigène de manutara ou mahoké, des hommes gagnaient au large l'île Motu Nui dans le but de rapporter l'un de ses œufs, symbole de la création du genre humain. Toutefois, la catastrophe démographique et culturelle de a eu pour effet la perte de la plus grande partie de la tradition orale, de sorte que les détails de ce culte ne nous sont connus que partiellement, par les récits des premiers explorateurs et par les ré-interprétations récentes des pétroglyphes et des légendes pascuanes.
Flore
L'aspect de l'île frappe actuellement par l'absence de forêt, à l'exception des plantations récentes de toromiro, un sophora endémique de l'île. Cela n'a pas toujours été le cas : les premiers explorateurs européens décrivent la présence de bois de toromiro et de sous-bois de fougères. Il existe de nombreuses traces de racines et de noix d'un palmier, le Paschalococos disperta. Les dernières recherches archéologiques, notamment l’analyse des pollens contenus dans les sédiments ou des restes de repas, prouvent que 25 espèces d’arbres ont totalement disparu ou du moins que leur nombre aurait considérablement chuté à partir des années -[47]. Il y aurait donc eu un déboisement comme l’affirme Peter Eeckhout dans l’émission « enquêtes archéologiques : Île de Pâques le grand tabou ». Pour lui, « la population des Rapa Nui n’a cessé de croître et de déboiser pour gagner des terres arables »[48]
Démographie
La population avant les contacts européens
Jared Diamond estime qu’à son apogée, c’est-à-dire entre le XVIe et le XVIIe siècle, l’île de Pâques aurait pu abriter jusqu'à 10 000 ou 15 000 habitants, venus, semble-t-il, des Marquises ou de Mangareva, et décimés en par les esclavagistes péruviens. Cependant, selon Daniel Taruno, ingénieur agronome, « il semble impossible qu’une société néolithique qui ne connaissait pas la roue et n’élevait pas de bêtes de trait ait pu développer la productivité agricole au point de nourrir 15 000 êtres humains sur 165 km2, soit 90 habitants/km2. Selon la monumentale Histoire des agricultures du monde de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, une telle densité représenterait trois fois celles de la Grèce et de l’Italie antiques. L’agriculture pascuane se situerait ainsi presque au niveau de productivité du système agraire fort performant de l’Égypte pharaonique. Il semble exclu que de tels résultats aient été atteints dans les conditions de l’île de Pâques, que Jared Diamond décrit comme non optimales ». Un modèle mathématique[49] a établi que la population n’a pas pu dépasser 2 000 habitants pour qu’ils puissent durablement survivre sur l’île sans épuiser la ressource qui leur était indispensable : le palmier. Si excédent de population il y a eu, il a conduit à un épuisement des ressources de l'île et donc probablement à une chute consécutive de l'excédent démographique, en raison de famines, de conflits armés, de migrations maritimes vers d’autres terres… Une migration partielle selon la tradition polynésienne serait d'ailleurs confirmée par des traces d’habitations qui ont, entre autres, été découvertes sur Henderson et sur Pitcairn.
Les effets de la colonisation européenne
La déportation vers le Pérou d’un grand nombre d’habitants matamua (dont les dirigeants de l’île) destinés aux travaux forcés sur les îles Chincha (exploitation du guano) fit chuter le nombre d’habitants à en . Quant à ceux qui purent revenir, les maladies qu’ils avaient contractées provoquèrent un nouveau recul démographique.
Un autre phénomène aux lourdes conséquences démographiques fut l’élevage intensif de moutons mis en place par les colons français Jean-Baptiste Dutrou-Bornier et Pierre Mau (voir section Histoire supra ) sur une partie de l’île. À la suite de conflits d’intérêts entre les colons et les missionnaires (également français) installés peu avant, 277 habitants émigrent en 1871 vers la Polynésie française, accompagnant les missionnaires qui quittaient l’île de Pâques (Muñoz 2015). En outre, en raison de la surface de terre exploitée par ces élevages, l’expansion démographique des Rapa-Nui se trouva fortement affaiblie, et même empêchée dans tout le nord-est de l’île. En , le nombre d’habitants était tombé à 111. Après cette date, la population se mit à augmenter progressivement ; en , année de l’annexion de l’île par le Chili, 178 habitants furent recensés.
La population pascuane au XXe siècle
Au début du XXe siècle les Rapa-Nui ont été obligés de vivre dans une petite zone délimitée au sud-ouest de l’île par les autorités chiliennes, tout le reste de l’île (94 % de la surface) étant réservé à l’élevage du mouton par les compagnies fermières. L’exode des Polynésiens augmentant, le gouvernement chilien a dû prendre des mesures pour enrayer un potentiel exil total de la population[50]. Ce n’est que dans les années 1960 que les habitants furent à nouveau autorisés à circuler dans leur île et que les conditions de vie ont commencé à s’améliorer, ce qui a permis une augmentation de la population. En 1960 on recensait plus de 1 000 habitants, dont la moitié d'origine Rapa-Nui.
D’après le recensement de 2002, l’île compte 3 791 habitants. Cette augmentation repose aussi sur l’immigration chilienne. La conséquence de cette vague d’immigration est la modification de la composition ethnique de la population. En 1982 les Polynésiens représentaient 70 % de la population. En 2002 ils n’étaient plus que 60 %. Parmi les 40 % restants, 39 % étaient d’origine européenne (il s’agissait en général de résidents temporaires, comme les employés d’administration, le personnel militaire, les scientifiques et leurs assistants) (Muñoz 2007). Par le jeu des croisements dans cette petite communauté polynésienne, pratiquement tous ses membres peuvent se prévaloir d’avoir des ancêtres Haumaka (ou Matamua, premiers Polynésiens arrivés sur l’île) ou liés à Atamu Tekena (reconnu roi de l’île par le Chili en 1888), de sorte que devant les caméras et les touristes d’aujourd'hui, beaucoup de familles se revendiquent, en souriant, de sang princier ou royal[réf. nécessaire].
Ces dernières décennies ne connurent pas que des vagues d’immigration. Bon nombre d’habitants de l’île de Pâques ont émigré sur le continent, à la recherche de travail ou pour faire des études. Lors du recensement de 2002 on constata que 2 269 Rapanui chiliens vivaient en dehors de l’île (Muñoz 2007). La densité de population de l’île de Pâques n’est que de 23 hab./km2 (pour comparaison : France, 113 hab./km2 ; Belgique, 342 hab./km2 ). Au milieu du XIXe siècle, avant la catastrophe démographique de 1861, la plupart des pascuans d'origine vivaient au sein de six agglomérations : Anakena, Tongariki, Vaihu, Vinapu, Matavei et Hanga Roa ; il y avait aussi des habitats dispersés. Aujourd’hui, les habitants sont concentrés dans les villages de Hanga Roa, Mataveri et Moeroa au sud-ouest. Ces villages se sont développés les uns à côté des autres, dans la zone où les autorités chiliennes avaient cantonné les Pascuans polynésiens jusqu’en 1960, si bien qu’ils sont aujourd’hui considérés comme une seule et unique agglomération. C’est là aussi que se trouve l’aéroport international.
Administration
Administration chilienne
L'île de Pâques dépend du Chili depuis 1888. Avec l'île voisine de Sala y Gomez, elle forme une province de la région de Valparaíso. Un des gouverneurs accrédités par le gouvernement chilien administre l'île. Depuis 1984, il s'agit toujours d'un insulaire. Depuis 1966, un conseil municipal de 6 personnes est élu tous les 4 ans dans la commune de Hanga Roa. Un de ces 6 élus est nommé maire de l'île.
Une douzaine de policiers stationne sur l'île et assure, entre autres, la sécurité de l'aéroport. Les forces armées et la marine sont très présentes. La marine dispose d'un bateau de patrouille qui sert également en cas de sauvetage en mer. La monnaie est le peso chilien, mais le dollar américain s'est peu à peu imposé, si bien qu'il est en 2008 une monnaie secondaire mais acceptée partout.
L'île de Pâques est un territoire exempt de droits de douanes, si bien que les recettes issues des impôts et autres taxes sont relativement minces. Le budget public est dans une très grande mesure subventionné par le Chili. Le courrier n'est pas distribué aux habitants, mais gardé durant un certain délai au bureau de la poste[51]. Le lieu est très fréquenté par les touristes qui viennent y faire apposer le tampon de l'île sur leur passeport.
Administration ecclésiastique
La paroisse catholique de l'île de Pâques appartient aujourd'hui au diocèse chilien de Valparaíso. Elle a appartenu au vicariat apostolique des îles de Tahiti jusqu'en 1911, avant d'être transférée au Chili. Il semble que le diocèse aux armées du Chili était alors responsable de la charge pastorale de l'île[52]. Puis, le , la paroisse a été assignée au vicariat apostolique de l'Araucanie (situé dans le Chili central-méridional, à 4 500 km au sud-est de l'île), à la charge des pères capucins. Le , la paroisse a été transférée une dernière fois à Valparaíso[52].
Économie
Infrastructures
Dans les années 1970, la NASA a procédé à l'agrandissement de l'aérodrome de Mataveri, créant ainsi un terrain d'atterrissage d'urgence pour les navettes spatiales. Depuis, les gros porteurs peuvent désormais atterrir sur cet aéroport, le plus isolé du monde. Cet agrandissement a eu pour effet d’augmenter la fréquentation touristique de l’île, qui représente aujourd’hui la première source de revenus. Le nombre de touristes reste cependant très limité en comparaison des autres îles touristiques[réf. nécessaire]. Depuis peu[Quand ?], un service des eaux centralisé est disponible. Auparavant, l’eau courante était limitée aux réserves des lacs formés dans les cratères des volcans et aux nappes phréatiques. Le réseau de distribution électrique fonctionne grâce à des générateurs diesel, il se limite au village de Hanga Roa (soit la quasi-totalité de la population). Les routes situées à proximité de Hanga Roa et de Mataveri sont goudronnées ; il en est de même pour la route allant de Hanga Roa à la plage d’Anakena et tout le long de la côte sud jusqu’à la presqu'île de Poike.
À l’école de Hanga Roa, l’enseignement est assuré jusqu’à l’obtention du Prueba de Aptitud, équivalent du baccalauréat français. Les enseignements professionnels et supérieurs ne sont cependant disponibles que sur le continent. En outre, l’UNESCO soutient un programme d’enseignement bilingue rapanui-espagnol. Les services de santé sont bien meilleurs que dans d’autres régions isolées du Chili[réf. nécessaire]. Le petit hôpital dispose d’un médecin, d’un dentiste ainsi que d’une sage-femme. Une ambulance est également mise à disposition de l’hôpital. Les pompiers sont équipés d'un matériel de qualité, en grande partie de fabrication française (RVI, Camiva…)[réf. nécessaire].
D’autres infrastructures comme l’église, la poste, les services bancaires, la pharmacie, de petits commerces, un supermarché, des snack-bars et autres restaurants se sont considérablement améliorés depuis les années 1970 et ce notamment pour satisfaire les demandes des touristes. D’autres services comme la téléphonie par satellite ou Internet sont également disponibles. Une discothèque a même été construite.[réf. nécessaire]
Tourisme
Depuis le premier vol commercial depuis Santiago en , le tourisme s'est rapidement développé. Avec 70 000 visiteurs par an en 2010 (50 000 en 2006, 65 000 en 2009)[réf. nécessaire], le tourisme est devenu la ressource principale de l’île.
Une seule compagnie aérienne dessert l’île en : LAN Chile. Un vol quotidien relie directement Santiago à l'île de Pâques, tandis qu'un vol par semaine — le mercredi — fait également escale par l'aéroport international de Tahiti-Faaa.
La piste de l’aéroport international Mataveri coupe le reste de l’île du secteur d'Orongo, le village des hommes oiseaux.
Galerie
- Ahu de Tongariki : les moaïs ont été relevés, l'un d'eux a retrouvé son pukao.
- Le volcan-carrière Rano Raraku.
- Sur les pentes du Rano Raraku…
- …des moai de plusieurs tonnes où seul environ un tiers est apparent,
- car enterrés des deux tiers de leur hauteur.
- Sur les pentes du Puna Pau, des pukao (chapeaux) abandonnés.
- Les moaï renversés de l'ahu Vinapu : séisme et tsunami, guerre civile, changement de culte ou tout cela ?
- Entrée d'une hare paenga : maison familiale en pierre, en forme de bateau renversé.
- Falaise d'Orongo.
- Cratère du volcan Rano Kao à Orongo.
- Ahu Naunau : quatre des moaïs ont retrouvé leurs pukao.
Culture de l’île de Pâques
Langues
Aujourd’hui la langue officielle de l'île est l’espagnol. On ne sait que peu de choses de la langue polynésienne parlée par les indigènes matamua avant la catastrophe démographique de 1861 ; le rapanui actuel, originaire de Polynésie française, est proche mais assez différent du rapanais de Polynésie orientale, et encore couramment utilisé dans les échanges quotidiens entre habitants polynésiens, mais recule au profit de l’espagnol. Selon le site « Ethnologue », le rapanui est une langue en danger de disparition, bien que des efforts de revitalisation soient entrepris[53].
Société
Les Pascuans sont aujourd’hui en grande majorité citoyens chiliens sans discrimination d’origines, langues ou religions ; le métissage est ancien et fréquent. Dans la société pré-européenne matamua, on comptait une dizaine d’iwi (clans) pourvus, chacun, de ses plateformes cérémonielles (ahus) (de) à moaï (jusqu’à l’abandon du culte des ancêtres), de ses ariki (nobles, aux oreilles percées et allongées), de ses officiants du culte (de Make-make après l’abandon du culte des ancêtres), et surtout de son territoire (vai’hu), l’île étant partagée plus ou moins comme une tarte entre les clans, avec des villages aux maisons en pierre volcanique, matériau omniprésent sur l’île[7]. Certains sites étaient communs à tous les clans : centre de l’île dédié aux négociations (te pito o te fenua ou « le nombril de la terre » souvent traduit à tort comme « le nombril du monde »), site sacré Orongo, volcan Rano Raraku. Les ahus étaient désignés comme « les yeux qui regardent le ciel » ou « du ciel », ce qui est logique pour des représentations d’ancêtres divinisés, mais a été interprété par les Européens de manière parfois très fantaisiste). Selon la tradition orale citée par Thor Heyerdahl et Jean-Hervé Daude, il y aurait eu peu avant l’arrivée des Européens, à la suite d'une sécheresse prolongée, un conflit entre les habitants de l'île qualifiés de Longues oreilles et le reste de la population, les premiers se réfugiant à Poiké dans l’est de l’île avant d’être décimés à l’exception d’un seul[54].
Religions
Lorsque les Européens sont arrivés dans l’île, ils ont décrit des rituels liés au culte de Make-make, dieu figuré comme un homme à tête de sterne noir nommé Manutara ou Mahoké. Il était considéré comme le créateur de toutes choses et il était lié intimement à une autre divinité, Faua, ainsi qu'aux oiseaux. Une cérémonie annuelle avait lieu dans le sanctuaire d’Orongo à l’extrémité sud-ouest de l’île : les représentants des clans devaient sauter depuis une falaise en surplomb d’une dizaine de mètres et nager sur un flotteur composé de roseaux totora jusqu’à l’îlot Motu Nui, pour y arriver en même temps que les oiseaux venus nidifier. Là ils choisissaient chacun un nid parmi ceux des sternes Mahoké de l’îlot, et attendaient la ponte du premier œuf. Celui qui le prélevait et le rapportait intact à Orongo intronisait pour l’année le Tangata manu, « l’homme-oiseau » qui arbitrait la répartition des ressources entre les clans de l’île. Ce n’était pas une compétition mais un rituel religieux : c’est Make-make qui désignait lui-même le Tangata manu par le biais de la femelle Mahoké pondant la première, devant le représentant de tel ou tel clan, et c’est seulement si le nageur de ce clan ne parvenait pas à ramener intact l’œuf de Mahoké que le second, ou le troisième et ainsi de suite, ramenaient leurs œufs vers Orongo, mais la légitimité du Tangata manu était alors moindre, et ses décisions plus discutables. Les Haumaka croyaient également aux esprits gardiens, invisibles mais accompagnant et protégeant chaque personne pendant sa vie[55]. Leur mythologie est décrite par Irina Fedorova, première à avoir consacré une monographie à ce sujet.
Ces cultes n’avaient rien à voir avec celui des ancêtres, représentés par les Moaï, qui avait déjà cessé à l’époque depuis assez longtemps pour que carrières, statues, maraes et ahus (de) soient enfouis dans la terre et dans la végétation. Nicolas Cauwe pense que pour marquer le changement de culte ancien, les sculpteurs de pétroglyphes ont reproduit sur certains moaïs des dessins représentant le visage du dieu Make-make[56].
Après la catastrophe démographique et culturelle de 1861 qui a fait disparaître le culte matamua de Make-make, l’Église catholique envoie sur l’île Eugène Eyraud, mécanicien français décidé à évangéliser la population, rejoint en 1866 par un prêtre également français : Hippolyte Roussel, qui se trouvait auparavant en fonction aux îles Marquises. Tous deux créent une mission catholique. Deux autres missionnaires arrivent en avec des animaux et du matériel. La mission catholique pascuane dépendra du vicariat apostolique des îles de Tahiti jusqu’à ce que l’église pascuane soit rattachée à celle du Chili en 1911[34]. Ainsi, c’est la France qui a christianisé l’île de Pâques, sans difficultés étant donné que la population d’origine, adepte de Make-make, avait largement diminué et s’était métissée avec d’autres Polynésiens déjà en grande partie chrétiens[7].
Patrimoine monumental
Les statues proviennent d’une carrière située sur les flancs et dans le cratère du volcan nommé Rano Raraku. On peut y voir un très grand nombre de moaïs, certains terminés et dressés au pied de la pente, d’autres inachevés, à divers stades entre l’ébauche et la finition. Le plus grand qui ait été érigé mesure 10 m de haut et pèse 75 t. L’un des inachevés fait 21 m de hauteur pour une masse estimée à 270 t. Environ 400 statues ont été dressées sur l’île et un nombre équivalent est resté inachevé dans la carrière principale. L’arrêt de leur production a suscité de nombreuses hypothèses, pas forcément incompatibles entre elles, certaines étayées par les fouilles et par l’archéologie expérimentale, d’autres hautement spéculatives, allant jusqu’à faire appel aux extraterrestres[57].
Avant que l’archéologie expérimentale ne mette ses méthodes en œuvre, l’île de Pâques était surtout connue pour le mystère, longtemps inexpliqué, entourant la fabrication et le transport[58] de blocs de basalte allant de 2,5 à 10 m de haut, et l’érection des moaïs. Ce mystère ne fut éclairci que lorsqu’on se rappela que l’île avait été boisée avant de devenir un pré à moutons, et lorsque des essais d’archéologie expérimentale furent faits sur place par les archéologues Terry Hunt de l’université de Hawaii et Carl Lipo de l’université d’État de Californie, qui déplacèrent les moaïs debout, par un mouvement de balancier régulé par des tireurs de cordes (dit « méthode du réfrigérateur »[59]) depuis le site Rano Raraku où elles étaient taillées (en position horizontale dans la roche volcanique) jusqu’à leur destination finale.
Les recherches menées en 1916 par Katherine Routledge[60], avaient révélé l’existence d’un corps sculpté sous la surface du sol ainsi que celle d’inscriptions. Ces statues mi-enfouies ont été décrites en 1935 par Alfred Métraux, dans son Introduction à la connaissance de l'Île de Pâques relatant les résultats de l’expédition franco-belge de Charles Watelin en 1934[61]. Des fouilles plus profondes avaient été réalisées par l’équipe de Thor Heyerdahl comme on le voit sur les planches 9 et 10 de Aku Aku[62]. Enfin, en 2010 et 2011, une expédition privée, co-dirigée par Jo Anne Van Tilburg et Cristián Arévalo Pakarati a étudié la partie inhumée dissimulant des bras et des mains. Les statues se différencient selon le sexe des individus (ou dieux) représentés. Des pétroglyphes sont gravées sur le dos des Moaï[63].
Patrimoine graphique et sculptural
D’autres interrogations portaient sur le sens des plaquettes de bois couvertes de signes (les tablettes rongorongos, ainsi nommées d’après le lieu de culte Orongo) et qui restèrent énigmatiques durant des années, d’autant qu’on les pensait uniques dans la sphère culturelle polynésienne. Outre ces plaquettes, les premières civilisations pascuanes ont laissé des sculptures en bois et des pétroglyphes dont la signification précise est perdue, mais dont les répétitions de symboles (par exemple : oiseau-pénis-poisson-vulve-humain) ont été rapprochées[64] des refrains traditionnels dans les hymnes généalogiques polynésiens (« les oiseaux ont copulé avec les poissons et ont ainsi engendré les premiers hommes »). Elles ont fait l’objet d’un décodage par l’ethnographe russe Irina Fedorova.
Littérature
L’île de Pâques, par son isolement, par les mystères paraissant insolubles de son passé (avant que la science ne s'en mêle), par la taille et le nombre des moaïs abandonnés, et par l’abondance de ses pétroglyphes, a fortement inspiré les auteurs. Certains comme Pierre Carnac[65], Francis Mazière[66] n’ont pas hésité à broder une histoire-fiction de l’île, faisant intervenir tantôt des navigateurs venus d'Amérique du Sud, d’Europe, experts intercontinentaux en mégalithes de Cuzco, Stonehenge au Yucatán en passant par l’Égypte et Nan Madol, tantôt des extraterrestres. D’autres romans, comme Aku-Aku de Thor Heyerdahl, sont à la fois des récits de voyage et de découverte, et des spéculations sur l’histoire possible de l’île. L’île de Pâques a également été reliée à différents mythes comme celui du continent Mu, où le postulat (malgré l’absence de toute trace archéologique ou autre) est que l’île aurait pu être peuplée dès la fin de la dernière glaciation, il y a 12 000 ans environ, lorsque les mers remontaient et que les terres émergentes rétrécissaient dans le Pacifique (l’étude de coraux montre que les mers sont alors montées de 14 m en 350 ans, soit de 4 cm par an, mais toutes les preuves paléogéographiques, paléobiologiques et archéologiques indiquent que les premiers humains à aborder l’Océanie lointaine, où l’on ne peut plus naviguer en vue d’une côte, furent les Lapita, il y a 5 200 ans, et seulement dans la partie la plus occidentale).
Hypothèses et discussions autour du passé de l’île
Théorie d'une influence inca
Selon une hypothèse jadis défendue par Thor Heyerdahl puis reprise et développée depuis 2004 par Jean-Hervé Daude[67], Denise Wenger ou Charles-Edouard Duflon[68], il y aurait dans la culture des anciens Pascuans une particularité due au contact avec l’Empire inca :
- la tradition orale mentionne sur l’île deux populations : les « hommes minces » et les « hommes trapus ». Ce seraient deux groupes distincts, l’un d’origine polynésienne arrivé avec leur chef Hotu Matua, suite aux indications de Haumaka qui était le tatoueur de Hotu Matua et aurait entrevu l'île dans un songe. L’autre d’origine sud-américaine, serait arrivé plus tard avec une expédition de l’Inca Tupac Yupanqui vers 1465 et issu de la garde de l’Inca, surnommée los orejones par les Espagnols, c’est-à-dire « les longues oreilles », ces derniers arboraient des oreilles aux lobes fortement distendus pour l’insertion de grands ornements. La technique d’agrandissement des lobes d’oreilles, décrite dans cette thèse comme inconnue dans le reste de la Polynésie, serait identique chez ces deux peuples. Les Polynésiens descendants de Hotu Matua, le premier chef colonisateur de l’île, se seraient qualifiés eux-mêmes de hanau momoko (hommes minces), alors que les Incas auraient été qualifiés de hanau eepe (hommes trapus) par les Polynésiens. Cette deuxième migration aurait été extrêmement significative dans l’histoire de l’île de Pâques puisque les Incas seraient arrivés avec une expertise poussée en architecture monumentale, que les Polynésiens accompagnant Hotu Matua auraient ignorée auparavant. Seuls les hanau eepe auraient été les instigateurs de la construction des différents monuments de pierre élaborés. Englert recueillit cette importante tradition qu'il fit publier en 1948 bien avant l'expédition de Heyerdahl à l'Île de Pâques.
- selon Daude, la tradition orale mentionnerait la compétence des « longues oreilles » pour le travail de la pierre, l’ahu Vinapu correspondrait au mode de construction d’une chullpa proche du lac Titicaca[69] et tous les monuments de pierre sur l’Île, dont la plupart sont inconnus dans le reste de la Polynésie trouveraient cependant leur équivalent sur le plateau andin[69]. De même, des techniques précises de constructions, inconnues en Polynésie, tel le plafond à encorbellements des maisons de pierres empilées, proviendraient des Andes. L’édification des moai et la mise en place des couvre-chefs appelés pukao, qui représenteraient des « turbans » andins, correspondrait aussi aux techniques incas pour édifier des monolithes et pour acheminer de gros blocs de pierre en hauteur[70]. La technique utilisée pour confectionner les yeux des moai, des ancêtres prestigieux décédés, serait la même que celle utilisée au Pérou pour confectionner des masques mortuaires. Certains éléments de la statuaire de bois : les statuettes Moko représenteraient le cuy, un animal typiquement andin[71] ; L’utilisation des joncs totora Scirpus californica, présents dans les nappes d’eau de trois cratères des anciens volcans de l’Île, qui servait à confectionner des flotteurs, des petites embarcations, des nattes, des huttes, est identique à l’utilisation qu’en faisaient les populations lacustres du lac Titicaca et de la côte péruvienne. Selon la tradition orale recueillie par Englert, ces joncs Totora, auraient été apportés et plantés par un personnage important appelé Ure. Des études génétiques récentes tendraient à démontrer un lien très probable entre les anciens habitants de l’île de Pâques et l’Amérique du Sud[72] : les Sud-Américains se seraient intégrés au groupe polynésien, abandonnant (à peu de mots près) leur langue, et si leurs caractéristiques génétiques ont en grande partie disparu, ce serait parce que les hanau eepe auraient été exterminés par les hanau momoko, selon la même tradition orale. Selon Daude, une influence inca est aussi décelable à Mangareva dans l'archipel le plus proche de l'Île de Pâques et plusieurs indices permettraient même de connaître le parcours suivi par l'Inca Tupac en Océanie [73]. Des guerres fréquentes entre le clan Miru et le clan Tupa Hotu, celui qui façonnait les moaï, ont conduit au renversement de toutes les grandes statues sur l'île jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucune d'érigé[74].
Comme les autres, cette thèse peut être critiquée : Catherine Routledge et Alfred Métraux rapportent qu’en 1861, il y avait dans l’île des ariki dont la lignée royale (les ariki nui du clan Miru, dirigé par Kaimakoi) revendiquaient descendre de Hotu Matu'a. Nicolas Cauwe, dans son ouvrage Île de Pâques, faux mystères et vraies énigmes[75], admet la probabilité des liens entre les matamua et le continent américain, mais dans le sens inverse, celui d’un abordage polynésien en Amérique du Sud : il met en doute les rapprochements faits par Heyerdahl et les autres théoriciens de l’incapacité des Pascuans à découvrir et développer par eux-mêmes, comme tant d’autres peuples, leur propre civilisation mégalithique (avec les techniques afférentes, forcément proches). Il rappelle que les graines de nombreux végétaux peuvent aussi être disséminées par flottaison ou par les oiseaux (dans leurs intestins ou leur plumage), que l’agrandissement des lobes d’oreilles est commun à de nombreuses cultures humaines y compris chez divers peuples austronésiens, et que conformément aux contingences de la convergence adaptative, toutes les embarcations en joncs à travers le monde obéissent aux mêmes règles de construction, matériau et physique obligent. Et souligne qu’avant Heyerdahl, aucun rapport d’expédition ne mentionne de tradition orale citant deux peuples différents dans l’île, mais seulement des iwi (clans) et des castes (prêtres, guerriers ariki et autres) comme dans le reste de la Polynésie. Par ailleurs, si stimulant qu’Heyerdahl puisse être, il a toujours été sincère et n’a jamais prétendu avoir prouvé l’influence inca, mais seulement avoir démontré qu’elle est possible[76].
Théorie du suicide écologique
D’autres thèses postulent un effondrement écologique et culturel de la société matamua, dû à des causes environnementales :
- une dégradation environnementale liée aux conséquences de la déforestation (lessivage et érosion des sols, sous-alimentation, famine au XVIIe siècle, pénurie de bois et de cordes, guerres civiles) : elle aurait mis fin aux us et coutumes de l’île, et notamment à la taille, au transport et à l'édification des statues ;
- une longue période de sécheresse poussant les habitants de l’île à faire appel aux dieux pour que la pluie revienne, ce qui pourrait expliquer la frénésie de construction des moaïs à cette période, de plus en plus nombreux et de plus en plus colossaux. Réalisant que les érections de moaïs sur les ahus étaient vaines, les habitants se seraient révoltés contre les prêtres et auraient abattu eux-mêmes les idoles (dans le reste de la Polynésie, les ahus servent à vénérer les ancêtres et les dieux, tandis que les unus et les tikis — car les moaïs sont fondamentalement des tikis de grande taille — ne font que les représenter) ;
- une prolifération des rats introduits par les Polynésiens, rats qui auraient mangé les noix de coco avant qu’elles ne puissent germer, contribuant ainsi à la disparition des palmiers. Les rats, en s’attaquant aux nids pour manger les œufs et les oisillons, auraient également contribué à l’extinction de la ressource en oiseaux[77].
Ces thèses du « suicide écologique » (écocide), développées entre autres par Jared Diamond dans son livre intitulé Effondrement, affirment que l’expansion polynésienne a pu entraîner une dégradation importante de l’écosystème[78], et s’appuient sur des fouilles (palynologie) et sur l’archéologie, comme à Henderson et ailleurs en Océanie, ainsi que sur le livre de bord de Cornelis Bouman, le capitaine de Jakob Roggeveen, écrivant que «…d’ignames, de bananiers et de cocotiers nous n’avons rien vu, ainsi qu’aucun autre arbre ou culture ».
Là aussi, la critique s’est exprimée, de nombreux scientifiques réagissent et remettent en cause les hypothèses de Jared Diamond, à cause de son interprétation des résultats des fouilles archéologiques, et des fondements moraux et politiques qui sous-tendent ses hypothèses, relevant, selon ses détracteurs, du « néocatastrophisme », voire du « déterminisme social ». Déjà en , l’anthropologue anglais Benny Peiser, dans son article intitulé « From Ecocide to Genocide : the Rape of Rapa Nui » (De l’écocide au génocide : le viol des Rapa Nui)[79], démontrait l’autosuffisance des autochtones de l’île de Pâques lors de l’arrivée des Européens. Selon Benny Peiser, certains petits arbres, tels Sophora toromiro, abondaient alors[80]. À l’encontre des affirmations de Cornelis Bouman, un autre officier de Roggeveen, à savoir Carl Friedrich Behrens, écrit que « Les indigènes présentaient des branches de palmiers comme offrandes de paix. Leurs maisons bâties sur pilotis étaient barbouillées de luting (en) et recouvertes de feuilles de palmier ». De plus, Jakob Roggeveen lui-même rapporte que l’île de Pâques était exceptionnellement fertile, produisant de grandes quantités de bananes, de patates douces et de cannes à sucre. De même, lors du passage de l’expédition française de La Pérouse qui visita l’île en , son jardinier déclara que « trois jours de travail par an » pourraient subvenir aux besoins de la population. D’autre part, l’officier Rollin écrivit : « Au lieu de rencontrer des hommes détruits par la famine… je trouvai, au contraire, une population considérable, avec plus de beauté et de grâce que je n’en avais rencontrée sur d’autres îles ; et une terre, qui, avec un labeur infime, fournissait d’excellentes provisions, et une abondance assez suffisante pour la consommation des habitants[81] ».
En 2006[82], puis à nouveau en 2011[83], l’anthropologue Terry Hunt et l’archéologue Carl Lipo, se basant sur des nouvelles datations estimant l’arrivée des Polynésiens vers , étudièrent les possibles causes multifactorielles du déboisement (rat polynésien, El Niño, brûlis…), réfutant une déforestation complète de l’île en seulement 500 ans. Pour les moaïs, ils défendent la théorie d’un déplacement des statues par rotation, soit horizontalement (roulés comme des rondins), soit, en terrain plat et pour les moins grands, en position verticale (par rotation sur la base selon « la théorie du déplacement de frigo ») ne nécessitant pas l’utilisation massive de bois[84]. D’ailleurs, en , Efraín Volosky collecta des graines viables provenant des Sophora toromiro vivant sur l’île seulement vingt ans auparavant (Alfred Métraux en avait photographié en 1934) et qui n’avaient disparu qu’en raison de l’élevage intensif des ovins introduits par les Européens à partir du XIXe siècle[7]. Aussi, dans l’émission « enquêtes archéologiques: Ile de Pâques le grand tabou », Nicolas Cauwe affirme que la théorie du suicide écologique doit être abandonnée car les résultats des fouilles ne confirment pas cette théorie[48]. Cette théorie est à présent réfutée par la majorité des archéologues, et historiens[32].
Adaptation et changement de culte
En 2008, l’archéologue Nicolas Cauwe propose une théorie unifiée en se basant sur des données de terrain issues de dix années de fouilles sur place[85], qu’il détaille davantage en 2011[86], il affirme que les matamua, confrontés à une période difficile, ont réorganisé eux-mêmes leur structure religieuse et politique afin d’assurer une cohésion plus forte et centralisée de leur société, sans colonisation inca ni effondrement brutal. Comme le montre l’intense activité agricole au XVIIe siècle, de nombreux champs étaient cultivés[87] près de villages d’agriculteurs dont l’archéologie met en évidence les fondations de cases-bateaux, les hare paenga (en), ou hare vaka[88]). Le culte des ancêtres des iwi a été progressivement supplanté par le culte du dieu Make-make et, pour empêcher un retour en arrière, un tabou fut jeté sur tout ce qui touchait au culte des ancêtres. Sculptures, plates-formes, carrières furent rendus inaccessibles ou inopérantes.
Qu’ils aient été renversés par un tsunami ou intentionnellement couchés, les moaïs ne furent pas détruits et ceux qui étaient inachevés ou en cours de transport furent enfouis sous des terrasses, les carrières comme celle du Rano Raraku étant encombrées d’ébauches pour empêcher une exploitation ultérieure. Le tabou jeté sur le volcan Rano Raraku réfute la thèse d’une chaine opératoire qui serait reflétée par le site (allant de l’ébauche aux statues en ronde-bosse dont certaines ont été glissées dans des fosses pour être sciemment érigées au pied du volcan) au profit d’un long et minutieux travail de fermeture rituelle de l’exploitation de la carrière de tuf par les matamua. Avec le remplacement du culte des moaïs par celui de Make-make et l’institution de « l’homme oiseau » Tangata manu (du XIVe – XVe siècle au XVIIIe siècle), la société Haumaka a fait preuve d’une capacité d’adaptation qui lui a permis de préserver et mieux gérer ses ressources. Si la cérémonie du Tangata manu n’était plus pratiquée au XIXe siècle, en revanche la tradition d’une présidence tournante pour le rôle d’arbitre des ressources perdura jusqu’à la catastrophe démographique et culturelle de [89].
Notes et références
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Annexes
Articles connexes
Bibliographie
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Reportages et documentaires télévisuels
- Le testament de l’Île de paques, documentaire de la Fondation Cousteau – réalisation Philippe et Jacques-Yves Cousteau, France, 1978, 55 min.
- L’homme de Pâques, documentaire de Thomas Lavachery, Belgique, 2002, 52 min. Images : Louis-Philippe Capelle et Eric Blavier. Son : Paul Heymans et Cosmas Antoniadis. Musique : Thierry Delvigne. Montage : Denis Roussel. Prod. : Y.C. Aligator Film. Coprod. : Triangle 7, RTBF, WIP.
- « Les Rapa Nui ont fait un rêve », documentaire de Gérard Bonnet et Philippe Ray, France, 2003, 54 min, sur le site du Reseau France Outre-mer (consulté le ).
- La mémoire perdue de l’Île de Pâques, documentaire de Thierry Ragobert, France, 2001, 52 min. Diffusé le sur Arte.
- Une saison dans les îles : l’Île de Pâques, reportage de Véronique Nizon et Guy Nevers pour Thalassa, France, 2006, 52 min. Diffusé le sur France 3.
- La Boudeuse autour du monde (épisode 2/5) : « À l'ombre des géants : chronique de Pâques », réalisé par : Patrice Franceschi, France, 2004, 55 min. Diffusé le sur France 5.
- Les écritures de l'Océan, d'Olivier Jonneman et Pierre Vachet, France-Télévisions, RFO Nouvelle-Calédonie, 2006. diffusé sur Arte.
- L' énigme de l'Île de Pâques, produit par Maria et Andy Awes, en français sur France-Télévisions, le vendredi à 20h35 diffusé sur France 5.
- Rapa Nui, fille des Marquises, de Mike Leyral, produit par TNTV, 2012.
- Rapanui, l'histoire cachée de l'île de Pâques, documentaire réalisé par Stéphane Delorme et Emmanuel Mauro, avec l'aide de l'association Kimi I TE ORA. Production : Drôle de Trame, France, coproduit par France Ô. Diffusé en .
- Tapati : le festival du centre du monde, réalisé par Mike Leyral, produit par TNTV, 2015.
- Île de Pâques : le grand tabou, réalisé par Agnès Molia et Thibaud Marchand ; produit par ARTE France, 2015. Diffusé en .
- [vidéo] Ile de Pâques, l'heure des vérités sur YouTube, réalisé par Thibaud Marchand, "Tournez s'il vous plait Production" 2017.
Œuvres cinématographiques de fiction
- Les Soleils de l'Île de Pâques, film fantastique français de Pierre Kast sorti en 1972, fait de l'île le décor d'une rencontre entre des humains et des extra-terrestres.
- Rapa-Nui, film américain de Kevin Reynolds de 1994, fait de l'Île de Pâques le cadre d'une fable écologique et sociale.
- Ogú y Mampato en Rapa Nui, long métrage d'animation chilien d'Alejandro Rojas sorti en 2002, met en scène Mampato, héros de la bande dessinée du même nom, explorant l'Île de Pâques et découvrant les cultures des peuples qui y vivent.
Liens externes
- (fr) Nouvelles recherches sur l'Île de Pâques basées sur la tradition orale par Jean Hervé Daude, sociologue.
- (fr) www.rapanui.fr, site culturel sur l'Île de Pâques.
- (fr) Les luttes sociales sur l’Île de Pâques, texte publié en .
- (es)/(en) Musée de l’Île de Pâques, Museo Rapanui, Chili.
- (fr) Présentation de l'île de Pâques par Michel Orliac, chercheur au CNRS.
- (fr) Dernières découvertes en l'île de Pâques par Catherine Orliac, chercheuse au CNRS.
- (fr) Les mystères de l'île de Paques Émission radiophonique "Les temps d'un bivouac" France inter
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