Revue des Deux Mondes

La Revue des Deux Mondes[2] est une revue mensuelle littéraire française. Fondée en 1829, c'est l'une des plus anciennes publications périodiques encore en activité en France. Au XIXe siècle, elle a été un foyer d’expression majeur pour les tout jeunes écrivains et critiques de la génération romantique[3].

Pour les articles homonymes, voir Deux mondes.

Ne doit pas être confondu avec Journal des deux Mondes.

Revue des Deux Mondes

Pays France
Langue Français
Périodicité Mensuelle
Genre Littérature
Prix au numéro 18 
Date de fondation
Ville d’édition Paris

Directeur de publication Thierry Moulonguet[1]
Directeur de la rédaction Valérie Toranian[1]
ISSN 0035-1962
Site web Site officiel

Historique

Premières années

Édouard Pailleron, codirecteur avec François Buloz, par Étienne Carjat vers 1875.

Reprise du Journal des Voyages

Alexandre Dumas évoque dans ses Mémoires comment, avec son ami Adolphe de Leuven, ils décidèrent le père de ce dernier, le comte Ribbing de Leuven, à vendre son Journal des Voyages, qui marchait assez mal, au jeune employé d'imprimerie François Buloz, lequel cherchait à lancer une revue. Aidé de proches comme l'acteur Bocage ou le journaliste Bixio, Buloz réunit les fonds et devint propriétaire du journal, qu'il renomma[4].

Lancement

La revue, recueil de la politique, de l'administration et des mœurs, fut fondée sous le titre Revue des Deux-Mondes[5] en par Prosper Mauroy et par Pierre de Ségur-Dupeyron, et éditée par François Buloz pour donner une tribune aux idées en France en relation avec les autres pays d'Europe et avec le continent américain en particulier[6].

L’épigraphe du premier numéro est une citation du poète anglais Alexander Pope :

« L’esprit de parti est une folie de beaucoup d’hommes au profit de quelques-uns[7]. »

En janvier 1830, son titre devient Revue des Deux Mondes. Journal des voyages, de l'administration et des mœurs, etc., chez les différents peuples du globe ou archives géographiques et historiques du XIXe siècle ; rédigée par une société de savants, de voyageurs et de littérateurs français et étrangers. Dès 1831, François Buloz en devient le rédacteur en chef. Il accueille Alexandre Dumas, Alfred de Vigny, Honoré de Balzac, Sainte-Beuve, Charles Baudelaire, George Sand, Alfred de Musset et autres grands noms de la littérature de cette époque, car, à l’origine, c’est la littérature qui domine le contenu de la revue. Ainsi Prosper Mérimée fait paraître la nouvelle Carmen dans la revue d'octobre 1845.

C’est aussi sous la férule de François Buloz que Charles Baudelaire, le , peut faire publier dix-huit poèmes, dont « Le Spleen » et « L’Invitation au voyage », pour la première fois réunis sous le titre Les Fleurs du Mal et précédés du fameux avertissement « Au lecteur ». En , un critique littéraire du Figaro, Louis Goudall, s’en prend vertement au choix éditorial de François Buloz :

« Et c’est cette poésie scrofuleuse, écœurante, que la Revue des Deux Mondes nous offre […] ! Ah, vous nous la donnez belle, M. Buloz ![8] »

L'objectif de la revue est de développer l'esprit critique et l'analyse de la vie politique au sens large (mode d'administration, organisation civile et politique, ressources financières, industrielles ou agricoles) en comparant avec ce qui se vit dans le reste du monde. Comme le dit l'éditorial du premier numéro : « voir les mêmes principes diversement compris et appliqués en France et en Angleterre, au Brésil et en Allemagne, sur les bords de la Delaware et sur les rivages de la mer du Sud. » Les deux Mondes sont donc la France et le reste du Monde.

Évolutions du XIXe au XXIe siècle

Toutefois, la politique, l’économie et les beaux-arts y prendront par la suite une place importante. Libérale jusqu'en 1848, elle amorce ensuite un tournant plus conservateur[9]. Sous le Second Empire, elle est une revue d’opposition. Après la mort en 1877 de François Buloz, qui avait soutenu Adolphe Thiers, la revue est dirigée entre autres par Charles Buloz, fils de François, qui y accueille Paul Bourget, puis par Ferdinand Brunetière, critique influent et membre de l’Académie française en 1900, Francis Charmes (Académie française, 1908), René Doumic (Académie française, 1909), André Chaumeix (Académie française, 1930), Claude-Joseph Gignoux de l'Institut de France. Elle compte 26 000 abonnés en 1885[10].

À la fin du XIXe siècle, sous l’influence de Ferdinand Brunetière, la revue soutient l’Église catholique contre les offensives anticléricales. Comme la grande majorité des revues, celle-ci se politise davantage à l'occasion et à partir de l'affaire Dreyfus[9].

Dès 1934, Maurice Lewandowski, directeur du Comptoir national d’escompte de Paris, fait l'éloge de l'« idole de Vichy », Antonio Salazar dans la revue puis pendant la période de l'Occupation, s'installe à partir de l'été 1940 à Royat, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, ville située en zone libre. Son directeur André Chaumeix accueille d'abord favorablement l'arrivée au pouvoir du maréchal Pétain dont il publie au début de l'Occupation quelques messages. Mais la revue refuse de se soumettre à diverses exigences allemandes et adopte une position attentiste devant la tournure des événements politiques et diplomatiques qu'elle s'abstiendra de commenter[11]. Parmi les auteurs auxquels elle ouvre ses pages, on peut citer des écrivains de tous horizons : André Demaison, Georges Duhamel, Maurice Genevoix, Louis Gillet, Daniel Halévy, Robert d'Harcourt, Émile Henriot, Joseph Kessel, Louis Madelin, Paul Valéry ou Roger Vercel.

Lors de la Libération, bien qu'elle en eût reçu l'autorisation au niveau régional, la revue doit cesser de paraître en application de l'ordonnance gouvernementale du 30 septembre 1944 relative à la réglementation provisoire de la presse périodique en territoire métropolitain libéré. Après examen des sommaires et des pièces administratives qu'elle a fournies, un rapport du ministère de l'Information reconnaît que la Revue des Deux Mondes « n'a consacré que peu d'articles à l'actualité politique, conservant surtout un caractère littéraire, historique et culturel[11]. » Elle reparaît en en changeant de titre pour devenir La Revue, littérature, histoire, arts et sciences des Deux Mondes. Puis elle fusionne en 1956 avec le mensuel Hommes et mondes. Devenue mensuelle en 1969, elle prend le nom de Revue mensuelle des Deux Mondes en 1972, pour retrouver son titre d’origine La Revue des Deux Mondes en 1982[12].

Toutefois, dans les années 1950, 60 et 70, son audience diminue largement au profit des Temps modernes de Jean-Paul Sartre ou de Critique de Georges Bataille[7].

Directeurs

Histoire récente

Depuis 1991, la revue est la propriété de Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac. Président et directeur de la publication de la revue pendant près de vingt ans, il la modernise et celle-ci paraît, pour la première fois, en quadrichromie à l’automne 2002[7].

La rédaction a été dirigée par l'écrivain et critique littéraire Michel Crépu[13] ; celui-ci, parti diriger la NRF, a été remplacé par Valérie Toranian, ancienne directrice de la rédaction du magazine Elle.

En 2015, le journaliste du Monde Édouard Launet accuse la nouvelle direction de la revue, Valérie Toranian et Franz-Olivier Giesbert, d'avoir transformé cette revue du « conservatisme éclairé » en une officine du « pessimisme prophétique et réactionnaire », leur reprochant d'avoir donné la parole notamment à Éric Zemmour, Régis Debray, Michel Onfray et Michel Houellebecq[14].

Parmi les numéros récents marquants, celui de [15] publie un entretien entre Valérie Toranian et Bat Ye'or[16].

Diffusion

En 2008, la Revue des deux Mondes compte environ 5 000 abonnés, pour un tirage proche de 8 000 exemplaires[17]. Elle met peu à peu en ligne l'intégralité de ses articles, depuis la création de celle-ci[18].

Si Commentaire a détrôné la Revue des Deux Mondes comme revue intellectuelle de référence des droites[9], cette dernière garde un certain rayonnement dans le monde intellectuel. Aujourd'hui, la revue « poursuit sa trajectoire, ayant toujours ce souci d’incarner l’esprit humaniste de ses débuts, à distance des adhésions idéologiques dont les bilans désastreux parlent pour eux-mêmes. Foncièrement généraliste, s’intéressant à tous les domaines de l’activité humaine, la Revue demeure fidèle à ses origines littéraires, philosophiques : la liberté d’esprit, l’indépendance intellectuelle, le goût pour l’exercice critique, le primat de la lucidité sur toute autre forme d’approche du réel […][1]. »

Elle est la plus ancienne revue européenne encore en activité[14],[7].

Comité de rédaction

En 2017, selon le site de la revue[1] :

Difficultés financières

D'après des documents financiers consultés par le quotidien Libération, la société éditrice du titre n'est plus bénéficiaire depuis 2004. Lors des onze années suivantes, elle a accumulé 4 millions d'euros de pertes. La revue déclare en 2011 une perte de 308 000 euros, soit le double de 2010. Pour l'exercice 2015, les pertes se montent à 693 000 euros.

En 2015, les revenus de la Revue n'ont pas dépassé 450 000 euros et ses ventes se sont élevées à 32 556 exemplaires pour dix numéros (à 15 euros chacun). L'audience est donc modeste. La diffusion était toutefois en augmentation de 36 % par rapport à 2014.

La Revue emploie moins de dix salariés. La masse salariale augmente de 2011 à 2013. La ligne « salaires et traitements » des comptes croît de 12 718 euros fin 2011, de 58 453 euros fin 2012 puis de 72 427 euros fin 2013[19].

L'affaire Fillon

En , la revue est citée par Le Canard enchaîné pour avoir employé Penelope Fillon entre et pour un salaire mensuel brut de 5 000 euros, alors que la revue cumule les difficultés financières[19]. Cet emploi est rendu public par l'hebdomadaire satirique alors que François Fillon est en campagne pour l'élection présidentielle de 2017.

Marc Ladreit de Lacharrière, décrit comme « proche de François Fillon[20] », confirme l'information[20],[21]. Penelope Fillon n'aurait fourni que deux notes de lecture, mises en ligne par l'hebdomadaire Marianne[22]. Michel Crépu, directeur de la Revue des Deux Mondes à l'époque, indique ne pas avoir été informé de ce poste[23].

Le , le parquet national financier, qui a ouvert une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits[24] dans le cadre de l'emploi d'attachée parlementaire de Penelope Fillon, diligente également une perquisition dans les locaux de la Revue des deux Mondes à Paris[25].

Prix de la Revue des Deux Mondes

Depuis le [17], la Revue décerne un prix, doté de 10 000 , dont le premier lauréat est le byzantiniste Gilbert Dagron[26], pour son livre Décrire et peindre.

Notes et références

  1. « Qui sommes-nous » sur le site de la revue.
  2. Plusieurs graphies ont été utilisées pour désigner cette revue : Le Petit Larousse 2010 et Le Petit Robert des noms propres 2010 titrent « Revue des Deux Mondes », le Dictionnaire Hachette 2010 ajoute même à ce dernier titre un article. La couverture a été dès le début rédigée en capitales.
  3. Luc Fraisse, Les Fondements de l’histoire littéraire, Paris-Genève, Honoré Champion, , p. 33.
  4. « M. Ribbing de Leuven avait un journal qui marchait assez mal, un journal de luxe, comme les gens riches ou à fantaisies en ont pour se ruiner ; — on l’appelait le Journal des Voyages. Adolphe et moi décidâmes M. de Leuven à vendre ce journal à Buloz. Buloz, Bocage, Bonnaire, et je crois même Bixio, réunirent quelques fonds et devinrent propriétaires du susdit journal, qui prit le titre de Revue des Deux Mondes. »

     Alexandre Dumas, Mes Mémoires, 1852-1856

  5. « L’histoire de la Revue des Deux Mondes », sur revuedesdeuxmondes.fr (consulté le ).
  6. D'après le site officiel de la Revue des Deux Mondes.
  7. Nicolas Truong, « Où va la Revue des deux Mondes » sur lemonde.fr du 4 février 2017.
  8. Voir sur revuedesdeuxmondes.fr.
  9. Olivier Corpet, « La revue », in Jean-François Sirinelli, Histoire des droites en France, Gallimard, 1992, tome 2, chap. V.
  10. Jean-Claude Yon, Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Armand Colin, Paris, 2010, p. 170.
  11. Revue des deux mondes, “1829-2009. L’art de durer”, numéro spécial anniversaire des 180 ans sur l’histoire de la revue et avec des inédits, revuedesdeuxmondes.fr, , 192 p. (lire en ligne).
  12. Larousse encyclopédique, vol. 9, p. 8968-9. 1985 (ISBN 2-03-102309-8) ; (ISBN 2-03-102300-4), édition complète.
  13. Voir notice bibliographique dans le catalogue général de la BnF.
  14. Édouard Launet, « Drôle de tournant à la Revue des Deux Mondes », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  15. Jean-Luc Macia, Bertrand Raison et Richard Millet, Revue des Deux Mondes décembre 2018 janvier 2019 : Que fait le pape ?, , 200 p. (ISBN 978-2-35650-190-5, lire en ligne).
  16. Grand Entretien : Bat Ye’or : « Le djihad contre les juifs est aussi une guerre contre l’Europe », revuedesdeuxmondes.fr, novembre 2018.
  17. François Quinton, « La Revue des Deux Mondes bientôt sur la toile », nonfiction.fr, (lire en ligne).
  18. La Revue des deux Mondes (1829-1930) consultable dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.
  19. « Une “Revue des deux mondes” très filloniste », Libération, 26 janvier 2017.
  20. « La Revue des deux mondes, qui emploie Penelope Fillon et invite Eric Zemmour », sur lexpress.fr, (consulté le ).
  21. Voir sur lemonde.fr.
  22. Delphine Legouté, Voici les 2 notes à 100.000€ de Penelope Fillon pour "la Revue des deux mondes", marianne.net, 26 janvier 2017
  23. Antoine Oury, « Les notes de lecture de Penelope Fillon : 3 474 caractères et une faute », Actualité, 27 janvier 2017.
  24. « Le parquet financier ouvre une enquête préliminaire dans l’affaire Penelope Fillon » Le Monde, 25 janvier 2017.
  25. « À la Revue des deux Mondes, l'autre enquête qui menace les Fillon », jdd.fr, 28 janvier 2017.
  26. « Gilbert Dagron, premier lauréat du Prix de l'Essai de la Revue des Deux Mondes », nonfiction.fr, (lire en ligne).

Annexes

Bibliographie

  • Gabriel de Broglie (préf. Maurice Schumann), Histoire politique de la Revue des deux Mondes : de 1829 à 1979, Paris, Perrin, , 380 p. (ISBN 2-262-00147-2, présentation en ligne)
  • Mihailo Pavlovic, « Apollinaire lecteur de la Revue des Deux Mondes », Revue d'Histoire Littéraire de la France, July-Aug 1992, no 92 (4), p. 694-703
  • Alain Mercier, « Edouard Schuré, Baudelaire et le wagnérisme à la Revue des Deux Mondes, d’après un document inédit », Bulletin Baudelairien, Summer 1980, no 16 (1), p. 11-12
  • Françoise Escoffier, « Henri Heine et la Revue des Deux Mondes », Nouvelle Revue des Deux Mondes, oct. 1982, p. 130-37
  • Louis Le Guillou, « L’Avenir du monde : les Manifestes de Lamartine, Chateaubriand et Lamennais dans la Revue des deux mondes de 1834 », Travaux de Litterature, 1995, no 8, p. 231-39
  • Thomas Loué, « L’Inévidence de la distinction : la Revue des Deux Mondes face à la presse à la fin du XIXe siècle », Romantisme, 2003, no 121, p. 41-48
  • Mariella Colin, « La Littérature italienne contemporaine vue par la Revue des Deux Mondes (1880-1900) », Polémiques et dialogues : les Échanges culturels entre la France et l’Italie de 1880 à 1918, Caen, Univ. de Caen, 1988, p. 11-22
  • Collectif, Cent ans de vie française à la Revue des Deux Mondes. Le livre du centenaire, Paris, Hachette, Revue des Deux Mondes, 1929, 524 p.
  • Collectif, « Pages retrouvées. 1829-2009 », Paris, Revue des Deux Mondes, 2009, 320 p.
  • Collectif, « 1829-2009. L’art de durer », Paris, Revue des deux Mondes, octobre-novembre 2009, numéro spécial anniversaire des 180 ans sur l’histoire de la revue et avec des inédits, 192 p.
  • Adrien Le Bihan, James Joyce travesti par trois clercs parisiens (dont Louis Gillet et Michel Crépu de la Revue des Deux Mondes), Cherche-bruit, 2011 (ISBN 978-2-9537571-1-8)
  • Gerri Kimber, Katherine Mansfield: The View from France, Peter Lang, Oxford, Berne, etc., 2008 Où il est question de la réception de Katherine Mansfield par la Revue des Deux Mondes.

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