Magister militum

Le magister militum maître des soldats » ; traduit en grec par strategos ou stratelates) est un officier supérieur de l'armée romaine durant l'Antiquité tardive. Son nom est souvent traduit par « maître de la milice » ou « maître des milices ». À l’origine, on distinguait le magister peditum ou commandant de l’infanterie et le magister equitum ou commandant de la cavalerie. Les deux fonctions furent à l’occasion réunies et leur titulaire prit le titre de magister utriusque militiae. Le commandant des corps demeurant à la disposition de l’empereur près de la capitale fut appelé magister militum praesentales. En Orient, la fonction cessa d’exister avec la création des thèmes où le gouverneur (strategos), cumula les fonctions militaires et civiles.

Les réformes de Dioclétien et de Constantin : création et évolution de la fonction

Convaincu de la nécessité de mieux protéger les frontières, Dioclétien avait réformé l’administration provinciale en doublant le nombre des provinces et en créant des diocèses gouvernés par des vicaires et regroupés en quatre préfectures : Gaules, Italie, Illyrie et Orient[1]. Son armée demeura toutefois essentiellement composée de légions (infanterie) auxquelles s’ajoutaient des détachements de cavalerie (vexillationes). Toutefois, il créa dans certaines zones frontalières des commandants militaires ou duces (sing. dux) distincts des gouverneurs de province lesquels ne conservèrent alors que leurs fonctions civiles[2]. Constantin Ier réforma l’armée en profondeur : il renforça l’armée de campagne et y ajouta des unités d’infanterie d’un type nouveau, les auxilia. Pour commander ces forces, il enleva aux préfets du prétoire leurs fonctions militaires et créa les fonctions de magister peditum pour l’infanterie et de magister equitum pour la cavalerie[3]. Dépendant directement de l’empereur, ces maitres des milices, recrutés parmi les officiers de carrière, souvent d’origine barbare, présidaient une hiérarchie militaire parallèle à la hiérarchie civile. Généraux en chef de l’armée commandée par l’empereur, ils possédaient également un rang dans la hiérarchie palatine se situant après les préfets du prétoire et le préfet de la Ville mais avant tous les autres grands dignitaires de l’empire[4],[N 1]. C’est également la période où, dans les provinces, on voit se scinder administration civile et administration militaire et où apparait le comes rei militaris[N 2] et où se multiplient les duces. Officiers commandants les corps d’armée situés aux frontières, comites et duces passeront progressivement sous l’autorité des magistri et pourront commander les détachements de plusieurs provinces civiles[N 3],[5].

La division entre « infanterie » et « cavalerie » devint rapidement caduque et fut progressivement remplacée par un partage différent des responsabilités. L’étendue de l’empire ne permettant plus de déplacer l’ensemble de l’armée vers l’une ou l’autre frontière chaque fois que s’y présentait un ennemi, certains corps furent stationnés aux frontières de l’empire et prirent le nom de limitanei ou de ripenses. Les soldats qui les composaient se virent attribuet des terres et devinrent agriculteurs en temps de paix. D’autres corps demeurèrent dans la capitale ou ses abords immédiats. Mieux entrainés et mieux équipés que les soldats des frontières, ils devinrent progressivement les seuls à pouvoir mener une action militaire d’envergure partout dans l’empire tout en protégeant le pouvoir impérial dans la capitale contre toute tentative d’usurpation. Ils conservèrent le nom de comitatenses, dérivé du comitatus ou cour impériale[6]. Vers 360, les meilleures unités des comitatenses seront rattachées au palais et désignées comme palatini. Elles demeureront ainsi « en présence » de l’empereur et leur commandant prit le titre de magister militum praesentales. La distinction entre cavalerie et infanterie n’ayant plus sa raison d’être, les fonctions de magister peditum et de magister equitum furent à l’occasion réunies et l’on vit apparaitre dans ces cas l’appellation de magister utriusque militiae (maitre des deux forces)[7],[6].

La mort de Constantin entraina la division de l’empire et par conséquent de l’armée entre ses trois fils. Il y eut dès lors trois magistri militum[8]. Lorsque Constance fut devenu seul empereur, de nouveaux postes de magistri militum furent créés pour chaque préfecture du prétoire : per Orientem (350/351), per Gallias (355), per Illyricum (359). S’y ajouteront l’Italie, la Thrace et, à l’occasion, l’Afrique. Son règne vit donc l’apparition de cinq commandants en chef, dont trois à compétence géographique (Orient, Illyrie et Thrace) et deux commandant les troupes du palais[9]. Une nouvelle division de l’empire à la mort de Jovien entre Valentinien (Occident y compris l’Illyrie) et Valens (Orient) vit un nouveau partage des troupes.

À partir du IVe siècle les magistri militum furent souvent nommés parmi les barbares dont les troupes fédérées devenaient de plus en plus essentielles à la survie de l’empire[10] et leur nombre tendit à se multiplier. Théodose, qui avait eu maille à partir avec le franc Arbogast, tenta de limiter ce nombre alors que son fils, Arcadius, voulut, mais en vain, abolir la fonction[11]. Par la suite toutefois, en Occident, plusieurs d’entre eux comme Stilicon, d’abord magister equitum, puis magister utriusque militiae in praesenti, ou Ricimer, magister militum per Italiam, devinrent de véritables puissances derrière le trône auquel leur qualité de « barbares » interdisait d’aspirer[11],[12]. Théodose Ier confiera du reste à Stilicon la garde de ses enfants mineurs après lui avoir donné sa nièce Serena en mariage[13],[14]. Odoacre, qui mit fin à l’Empire romain d’Occident, reçut le titre de magister militum per Italiam lorsqu’il renvoya les insignes impériaux à Constantinople et put administrer le pays en tant que mandataire de l’empereur[15].

En Orient, au contraire, le pouvoir demeura aux mains de fonctionnaires civils, préfets du prétoire comme Rufin ou préposés à la chambre sacrée comme Eutrope, qui tenteront de limiter le pouvoir des commandants militaires dont certaines fonctions seront transférées au questor ou au magister officiorum[16]. Seuls Gaïnus sous Arcadius put exercer une influence sur le gouvernement égale à celle d’un préfet du prétoire[16]. Toutefois le problème causé par l’arrivée massive de Goths en Europe et de Vandales en Afrique, le péril représenté par les Huns d’Attila, redonna bientôt aux armées et à leurs chefs leur pouvoir et leur prestige. Si bien qu’Aspar, magister militum per Orientem, put imposer Léon comme empereur à la mort de Marcien en 457[17].

La Notitia Dignitatum, qui décrit l’armée romaine à la fin du IVe siècle, indique qu’à l’apogée de leur puissance, les magistri militum disposaient d’un état-major imposant dirigé par un chef d’état-major (princeps) et comprenait un officier de discipline (commentariensis), deux chefs comptables (numerarii), des employés de bureau (scrinarii) et des secrétaires (exceptores). L’ensemble de ce personnel militaire pouvait atteindre 300 personnes pour chacune des armées[18],[N 4].

De Justinien à Héraclius : le déclin de la fonction

Lui-même magister militum praesentalis depuis 520, Justinien Ier succéda à son oncle Justin Ier en 527. Sa politique de conquête à l’Est et de reconquête à l’Ouest l’amena à procéder à de nombreux changements dans l’armée dictés plus par les circonstances que par une volonté de réformer l’ordre existant. Il en résulta la disparition de hauts commandements qui s’interposaient entre la volonté de l’empereur et les agents d’exécution, une multiplication des fonctions militaires due à la création de nouvelles entités territoriales et, en conséquence, un affaiblissement des pouvoirs de chacun des magistri militum au profit des ducs qui devinrent les véritables commandants militaires de leurs circonscriptions.

En Orient, le territoire sous la juridiction du magister militum per Orientem s’étendait de la Méditerranée à l’Euphrate et des montagnes d’Arménie à la Nubie. Justinien divisa ce territoire devenu trop étendu en créant de nouveaux magistri militum en Arménie et en Mésopotamie et en créant deux duces au nord, deux au sud et un au centre. Il divisa de même les circonscriptions militaires de Thrace et d’Illyrie en créant un magister militum en Mésie et en Scythie[19]. Pour y parvenir et compenser la perte devant Carthage d’une bonne partie de la formidable armée assemblée pour la reconquête de l’Afrique, Justinien dut puiser dans les rangs des deux armées « praesentales » qui servaient d’armées de réserve[20].

Sur le Danube, Justinien, qui respectait habituellement la division des pouvoirs civils et militaires, créa la fonction de quaestor Iustinianus exercitus, gouverneur militaire et civil d’un territoire s’étendant de la Bulgarie à la Méditerranée, y compris les iles de Chypre, Rhodes et des Cyclades. Ne répondant à aucun préfet du prétoire (gouvernement civil) ou magister militum (gouvernement militaire), celui-ci commandait aussi bien les troupes des frontières (limitanei) que l’armée de campagne (comitatenses)[21].

En Égypte, où les conflits entre administrations civile et militaire se doublaient de conflits religieux compromettant l’approvisionnement en blé de Constantinople, Justinien choisit également de combiner les deux pouvoirs. Le pays fut divisée en cinq provinces où les duces, lieutenants du magister militum per Orientem, réunirent pouvoirs civils et militaires, exerçant ces derniers aussi bien sur les comitatenses que sur les limitanei et les foederati. Les duces étaient responsables de l’entretien des forteresses et du maintien de l’ordre, commandaient les armées et pouvaient même conclure des ententes militaires avec l’ennemi. Ils prirent ainsi une importance considérable puisqu’ils étaient à la tête de tous les services civils et militaires ainsi que de la justice, de la police et des finances. Plus que d’assurer la défense du territoire, l’armée eut ainsi la charge d’assurer à la fois l’ordre public et la perception des impôts[22].

La même logique poussa Justinien à donner également un gouvernement unifié aux territoires recouvrés en Italie et en Afrique, dans ces cas pour les protéger contre les invasions des Lombards en Italie, des Vandales en Afrique. C’est ainsi que naquit en Italie un exarchat où l’exarque commandait à partir de Ravenne un vaste territoire et dont les pouvoirs comprenaient la défense, la justice, les finances et les travaux publics, rendant inutile la fonction de magister militum[22]. Comme l’Égypte, l’Italie fut divisée en provinces où les forces militaires furent commandées par des ducs[23]. En Afrique également, l’exarque résidant à Carthage eut autorité à la fois sur les duces commandant les forces armées et sur le préfet du prétoire responsable de l’administration civile[24].

Les réformes de Maurice et d’Héraclius : le régime des thèmes

Les crises internes que subit l’empire au VIIe siècle de même que la perte des conquêtes de Justinien dans les années qui suivirent sa mort, en réduisant le territoire de l’empire, le nombre d’hommes disponibles pour le défendre ainsi que les revenus nécessaires à l’entretien de l’armée conduisit à une réforme en profondeur des institutions militaires sous les empereurs Héraclius et Maurice[25]. Le comitatus fut graduellement remplacé par les tagmata[26] et les limitanei par les thèmes[27].

Troupes stationnées dans les provinces, les thèmes donneront bientôt leur nom au territoire géographique où elles étaient situées. Le premier à être ainsi organisé fut celui des Arméniaques créé par Héraclius de 623 à 625 et formé de soldats arméniens établis sur des territoires enlevés aux Perses. Avec les successeurs d’Héraclius, ce régime fut étendu à la plupart des provinces[28].

Le régime des thèmes impliqua la disparition de la fonction de magister militum dont les attributions furent reprises par le représentant de l’empereur qui, avec le titre de stratège (stratēgos), réunissait pouvoirs civils et militaires, élargissant ainsi à la grandeur de l’empire les réformes ad hoc amorcées sous Justinien[29].

Magister militum, titre honorifique

Devenu purement honorifique, le titre continua cependant à être utilisé jusqu’en 787 et fut conféré par Léon III et Léon IV aux gouverneurs de Venise, de 737 à 787. Mauricius Galba, premier doge en titre de Venise, semble avoir été le dernier à le porter[30].

On le retrouve également au XIIe siècle dans la Gesta Herwardi, épopée célébrant les exploits de Hereward le Saxon qui aurait vécu à l'époque de l'invasion de l'Angleterre par les Normands. Le terme y est utilisé pour décrire la fonction d’un commandant militaire ayant la charge des forces d’un seigneur féodal[31].

Notes et références

Notes

  1. Pour la distinction entre « fonctions » et « titres », se rapporter à l’article « Titres et fonctions dans l’empire byzantin »
  2. Ce titre semble avoir été donné à des officiers dont les comitatenses d’importance variable se voyaient assigner des tâches particulières ou une région géographique déterminée comme l’Égypte (Jones (1964), p. 124.)
  3. Ainsi, en Égypte, le dux sous Dioclétien et Constantin aura sous sa juridiction les forces de l’Égypte, de la Thébaïde et des deux Libye. (Jones (1964), p. 101.)
  4. Pour un exposé de la situation tant en Orient qu’en Occident à l’époque de la Notitia, voir Jones (1964), p. 609-610.

Références

  1. Kazhdan (1991), « Praetorian Prefect », vol. 3, p. 1710; Jones (1964), p. 55-58.
  2. Jones 91964), p. 607-608.
  3. Jones (1964), p. 608.
  4. Jones (1964), p. 97.
  5. Jones (1964), p. 608-609.
  6. Jones (1964), p. 372.
  7. Morrisson (2004), p. 144-166
  8. Morrisson (2004), p. 6;Treadgold (1995), p. 10 .
  9. Ostrogorsky (1983), p. 70.
  10. Morrisson (2004), p. 13 et 15.
  11. Kazhdan (1991), « Magister Militum », vol. 2, p. 1266 et 1267.
  12. Jones (1964), p. 342.
  13. Morrisson (2004), p. 16.
  14. Jones (1964) p. 174-175.
  15. Ostrogorsky (1983), p. 92.
  16. Jones (1964), p. 178-179.
  17. Morrisson (2004), p. 21.
  18. Treadgold (1995), p. 91.
  19. Morrisson (2004), p. 163; Bréhier (1970), p. 275.; Jones (1964), p. 271.
  20. Morrisson (2004), p. 165.
  21. Bréhier (1970), p. 95-96.
  22. Bréhier (1970), p. 97-98 et 275.
  23. Bréhier (1970), p. 99-100.
  24. Bréhier (1970), p. 100-101.
  25. Bréhier (1970), p. 102-103.
  26. voir article « tagma »
  27. Bréhier (1970), p. 285.
  28. Bréhier (1970), p. 288-289.
  29. Bréhier (1970), p. 103 et p. 291.
  30. « Raixe Venete », [en ligne] http://www.raixevenete.net/documenti/doc32.asp.
  31. “De Gestis Herwardi Saxonis”, [en ligne] http://boar.org.uk/ariwxo3FNQsupXIV.htm. Le terme de “magister militum” est utilisé aux chapitres XII, XIV, XXII et XXIII. Voir également http://boar.org.uk/oriwxs5HerewardName.htm pour une explication de l’évolution de cette fonction.


Bibliographie

  • Bréhier, Louis. Les institutions de l’empire byzantin. Paris, Albin Michel, 1949 et 1970. Coll. L’évolution de l’humanité.
  • Jones. The Later Roman Empire, 284-602. Baltimore (Maryland), Johns Hopkins University Press, 1986 and 1990, 2 vol. (ISBN 0-8018-3353-1) (vol. 1), (ISBN 0-8018-3354-X) (vol. 2), (ISBN 0801833485) (the set).
  • Morrisson, Cécile (dir.). Le Monde Byzantin, tome 1, L’Empire romaind’Orient (330-641). Paris, Presses universitaires de France, 2004, coll. L’Histoire et ses problèmes. (ISBN 2-130-52006-5).
  • Ostrogorsky, Georges. Histoire de l’État byzantin. Paris, Payot, 1956, 1983. (ISBN 2-228-07061-0).
  • Treadgold, Warren. Byzantium and Its Army (284-1081). Stanford (California), Stanford University Press, 1995. (ISBN 0-8047-3163-2).
  • Treadgold, Warren. A History of the Byzantine State and Society. Stanford (California), Stanford University Press, 1997. (ISBN 0-8047-2630-2).
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