Le Dernier Tango à Paris
Le Dernier Tango à Paris (Ultimo tango a Parigi) est un film franco-italien de Bernardo Bertolucci sorti en 1972. Il s'agit de sa sixième réalisation.
Ne doit pas être confondu avec Le Dernier Métro.
Titre original | Ultimo tango a Parigi |
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Réalisation | Bernardo Bertolucci |
Scénario | Bernardo Bertolucci, Franco Arcalli (en) |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production | Produzioni Europee Associati, United Artists |
Pays d’origine | Italie / France |
Genre | Drame |
Durée | 125 minutes |
Sortie | 1972 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
Résumé
Un matin d'hiver, sous le pont d'un métro aérien, Jeanne, une jeune femme française d'une vingtaine d'années dépasse un homme à l'allure fatiguée, Paul, quadragénaire américain établi à Paris. Les deux arrivent à quelques secondes d'intervalle pour visiter un appartement à louer du 16e arrondissement de Paris, au-dessus du pont de Bir-Hakeim[1] et de la station de métro Passy. En tirant les volets, Jeanne découvre avec surprise Paul recroquevillé dans une encoignure. Après avoir échangé quelques banalités, sans rien savoir l'un de l'autre, ils se mettent brusquement à faire l'amour, puis repartent sans savoir leurs noms respectifs car lui ne veut pas le savoir. Paul loue l'appartement que Jeanne visitait en vue de son mariage et le couple s'y donne rendez-vous pour leurs rapports charnels d'une violence croissante.
Hors du lieu privilégié qu'est l'appartement aux volets clos, chacun retrouve sa vie quotidienne. Paul a épousé une jeune femme, propriétaire d'un hôtel minable où ils vivent depuis cinq ans : Rosa le trompe avec un des pensionnaires de l'hôtel et vient de se suicider en s'ouvrant les veines dans la salle de bains de leur chambre (sans qu'on sache jamais les raisons de son geste). Jeanne retrouve sa mère, une veuve de colonel et son fiancé Tom, un réalisateur de télévision débutant qui tourne un film en 16 mm dont elle est le sujet et qui trouvera sa conclusion avec leur mariage[2].
Pendant les trois jours qui séparent le drame des obsèques de la femme de Paul, ils vont s'engager dans une relation intense, houleuse, brève, mais désespérée. Elle « est à la mesure des tourments que provoque l'explosion du féminisme », d'après le réalisateur. Quand Paul accepte de se confier à la jeune femme, il se révèle un loser qui fut tour à tour acteur, révolutionnaire, boxeur et journaliste. Lorsqu'il lui apprend que, rongé par le suicide de sa femme, il s'est abîmé dans une sexualité déchaînée, il devient un homme âgé sans mystère. Jeanne qui refuse de quitter sa vie de petite-bourgeoise, rompt avec lui. Paul ne comprend pas et la persuade de se rendre dans un dancing où se déroule un concours de tango très guindé[3]. Attablés ensemble, Paul avoue qu'il l'aime et la force à boire. Éméchés, les amants se mettent à danser sur la piste, parodiant les danseurs de tango de manière provocante. Mais Jeanne refuse la prolongation de l'aventure et quitte en courant la salle de bal du « Dernier Tango ». Paul la poursuit jusqu'à l'appartement en haut de l'immeuble de Montparnasse où elle habite, cherche à la charmer et lui demande enfin son nom. Apeurée par sa violence et pour échapper à l'emprise destructrice de cet homme désespéré, elle prend dans un tiroir le revolver d'ordonnance de son père colonel. Alors qu'il a coiffé, en un dernier geste de défi, le képi à cinq galons du père, il s'approche de Jeanne qui semble céder. Elle tire, Paul titube jusqu'au balcon et s'écroule. Jeanne vient de tuer Paul avec cette arme de service[4].
Fiche technique
- Titre original : Ultimo tango a Parigi
- Titre français : Le Dernier Tango à Paris[5]
- Titre anglais : Last Tango in Paris
- Réalisation : Bernardo Bertolucci
- Scénario : Bernardo Bertolucci, Franco Arcalli (en)
- Décors : Ferdinando Scarfiotti
- Costume : Gitt Magrini
- Photo : Vittorio Storaro
- Montage : Franco Arcalli
- Musique : Gato Barbieri
- Production : Alberto Grimaldi
- Sociétés de production : Produzioni Europee Associati, United Artists
- Société de distribution : United Artists
- Format : Couleurs - 35 mm - 1,75:1 - Son mono
- Pays : Italie / France
- Durée : 125 minutes
- Langues de tournage : français, anglais
- Dates de sortie : France/ Italie :
- Classification : Interdit aux moins de 18 ans en France lors de sa sortie en salles et aux moins de 16 ans aujourd'hui
Distribution
- Marlon Brando : Paul
- Maria Schneider : Jeanne[6]
- Jean-Pierre Léaud : Tom
- Massimo Girotti : Marcel
- Marie-Hélène Breillat : Monique
- Catherine Allégret : Catherine
- Veronica Lazar : Rosa
- Catherine Breillat : Mouchette
- Rachel Kesterber : Christine
- Luce Marquand : Olympia
- Gitt Magrini : la mère de Jeanne
- Maria Michi : la mère de Rosa
- Darling Légitimus : la concierge de l'immeuble
- Giovanna Galletti : la prostituée
- Armand Abplanalp : le client de la prostituée
- Catherine Sola : la script-girl
- Dan Diament : l'ingénieur du son
- Peter Schommer : l'assistant-opérateur
- Mauro Marchetti : le caméraman
- Mimi Pinson : le président du concours de tango
- Ramón Mendizábal : le chanteur de l'orchestre de tango
- Gérard Lepennec : un déménageur
- Stéphan Koziak : un déménageur
ainsi que, dans des scènes coupées au montage[7] :
- Laura Betti : miss Blandish
- Jean-Luc Bideau : le capitaine de la péniche
- Michel Delahaye : le vendeur de Bibles
Tournage du film
Le film a été tourné[8] :
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Analyse du film
Le film naît à la suite d'un fantasme du réalisateur Bernardo Bertolucci. Ce dernier a fait le rêve de rencontrer une femme dans la rue et d'avoir avec elle un rapport sexuel sans connaître son nom[9],[10].
Le rythme de tournage fut très éprouvant. Le tournage dura douze semaines à raison de quatorze heures par jour[11]. Le film incarne une époque de transition. Pour le réalisateur, la relation entre les deux protagonistes reflète la révolution sexuelle, féministe et des mœurs[11]. En fait, plus globalement, l'histoire est une allégorie du passage d'une époque « classique » à une époque « moderne » voire « post-moderne ». On y voit la construction de la tour Montparnasse au milieu des vestiges du vieux Paris qui semble à bout de souffle. On y sent également l'atmosphère de l'après-mai 1968 et l'imprégnation de la culture pop.
Mais Le Dernier Tango à Paris est avant tout un film sur l'incommunicabilité entre les êtres et l'amour impossible. Plus ce dernier semble être fort, moins la communication est possible. Ce film est une peinture désespérée sur les rapports humains. Une impasse devenant mortifère et/ou criminogène lorsqu'on s'entête à vouloir goûter à ce qui n'est pas de ce monde : le bonheur à deux.
Faire preuve de douceur en amour, c'est utiliser du beurre pour sodomiser sa compagne et la seule véritable intimité qu'on peut avoir se résume à deux doigts dans le rectum, semble dire Bertolucci[12].
Toute histoire d'amour est résumée par la sentence lapidaire des gamins dans le jardin[pas clair][réf. nécessaire] :
« - Eh, qu'est-ce que vous faites là ?
- Nous ? On chie.
- Filme ça, filme tout ! »
Film à scandales
Le film fut très critiqué, et même attaqué, lors de sa sortie en salles en 1972. De nombreux pays européens classèrent le film comme X, la France l'interdit aux moins de 18 ans. Associations familiales et critiques cinématographiques se déchaînèrent contre le film et le qualifièrent de débauche pornographique. En Italie, dont Bernardo Bertolucci est natif, le film fut tout simplement interdit de diffusion et le réalisateur fut déchu de ses droits civiques[11]. Sous la pression du Vatican, la justice italienne infligea à Bertolucci et aux deux acteurs principaux des peines de prison avec sursis pour « pornographie »[13].
La scène considérée comme la plus choquante, et donc la plus célèbre, est la scène de viol par sodomie, où Marlon Brando, dans la cuisine de l'appartement, maintient de force Maria Schneider au sol et utilise une motte de beurre comme lubrifiant pour la sodomiser[14]. Cette scène aurait été préparée par Brando et Bertolucci, à l'insu de Maria Schneider[15]. Bien que l'acte soit simulé, les larmes de Maria Schneider seraient bien réelles car il semble qu'elle fut extrêmement choquée par le jeu brutal de Marlon Brando. Des années plus tard, elle déclarera à ce sujet qu'elle assimilait cette scène à un viol et qu'elle n'a jamais pardonné à Bertolucci[11],[16]. Elle déclare avoir « perdu sept ans de [sa] vie entre cocaïne, héroïne et dégoût de soi et repoussé des rôles directement inspirés de celui de Jeanne »[17]. Bertolucci, lors de la disparition de l'actrice en , dira avoir regretté de ne pas s'être excusé avant sa mort[17]. En 2013, Bertolucci dira se sentir coupable mais ne pas regretter car il voulait que Schneider ressente de la rage et de l'humiliation : il voulait capturer sa réaction « en tant que fille et non en tant qu'actrice[18],[16]. »
Implication de Marlon Brando
Avant que le rôle échoie à Brando, Bertolucci l'a d'abord proposé à Jean-Louis Trintignant, vedette de l'un de ses précédents films : Le Conformiste. Ce dernier refuse par pudeur. Il le propose par la suite successivement à Jean-Paul Belmondo qui, outré, rétorque qu'il ne fait pas de pornographie, et à Alain Delon, qui demande à en être producteur, ce que le réalisateur refuse[19]. On lui suggère alors Marlon Brando qui, après avoir essuyé de nombreux échecs en salle, vient de renouer avec le succès grâce au triomphe du Parrain de Coppola[11].
Durant le tournage, Brando ne cesse de modifier les dialogues du personnage car il trouve le texte de départ peu intéressant. Schneider déclare plus tard que Marlon s'est aussi impliqué dans la réalisation, Bertolucci semblant peiner à le faire[11].
Devant la polémique que soulève le film, Brando renie son personnage de peur que son image ne soit durablement dégradée auprès du public et de la critique. Il a, par la suite, toujours refusé de le revoir[11].
Hommages
- Quand Jeanne tourne la scène sur le canal, elle jette une bouée marquée L'Atalante à l’eau, hommage au film de Jean Vigo.
- Le générique présente des peintures de Francis Bacon dont le réalisateur et le chef opérateur Vittorio Storaro utilisent les fonds orangés pour le film[20].
Censure et bannissement des écrans
Interdit aux moins de 18 ans en France, le film est banni dans plusieurs pays dont l’Italie[21]. La British Board of Film Classification autorise la sortie du film, au prix d'une coupure de vingt secondes de la scène de sodomie[22]. La commission de censure italienne oblige le réalisateur à couper la première étreinte fougueuse de huit secondes mais un citoyen jugeant le film obscène, provoque la comparution du producteur devant la justice[23]. Après un acquittement en première instance, la Cour d'appel de Bologne ordonne, le , la confiscation du film qui connaissait jusque là un grand succès en salle (7 millions de spectateurs)[24] et condamne le producteur Grimaldi, le distributeur Umberto Matteucci, le réalisateur Bertolucci, et les deux acteurs principaux Brando et Schneider à deux mois de prison avec sursis pour obscénité, ainsi qu'à 30 000 lires d'amende[25]. Bertolucci, déchu de ses droits civiques, doit rendre son passeport. Le , la Cour de cassation juge définitivement obscène le film, interdit définitivement le film en salle et demande la destruction des négatifs[25]. De plus, Bertolucci est condamné à quatre mois de prison avec sursis et est privé de ses droits civiques pendant cinq ans[26]. Des négatifs ayant été envoyés préventivement en France, le film est projeté en 1982 lors d'un festival à Rome. En 1987, un juge italien lève la censure et la sortie de la version « intégrale » du film ne provoque plus guère de remous[26].
Autour du film
Dans ses mémoires, Catherine Allégret dit avoir joué sa séquence en l'absence de Marlon Brando durant deux jours et ajoute : « Lorsque [Bernardo Bertolucci] visionna ma scène, il était si content qu'il me convoqua de nouveau pour deux autres journées, transformant un rôle qui était prévu pour un homme en une nouvelle scène pour moi. Et je remis ça, cette fois dans la chambre mortuaire et avec Brando. Dans cette scène, il était question de termites qui rongeaient le bois de l'armoire. […] La scène ne fut jamais montée parce qu'elle donnait trop d'importance à mon personnage et que cela devenait totalement incompréhensible que je disparaisse ensuite[27]. »
Notes et références
- Anne-Charlotte de Langhe et Aude Vernuccio, « Le cinoche à la trace », in Le Figaroscope, semaine du mercredi 10 au 16 avril 2013, page 6.
- « Le Dernier Tango à Paris », sur lemonde.fr, .
- Marie-Christine Vincent, François de Saint-Exupéry, Paris vu au cinéma, Movie planet, , p. 237.
- Gérard Camy, Alain Riou, 50 films qui ont fait scandale, Corlet-Télérama, , p. 109
- Bernardo Bertolucci a toujours précisé qu'il s'agissait de Dernier Tango à Paris et non d'un tango désigné comme « le (un) dernier tango à Paris », cette importante nuance apportant au film, grâce à son vrai titre, une nouvelle dimension tragique et non anecdotique comme pouvait le laisser supposer le titre avec « le »[réf. nécessaire].
- Le réalisateur Bernardo Bertolucci songe d'abord à Dominique Sanda qui a déjà joué dans son film Le Conformiste en 1970 mais l'actrice est enceinte. Elle lui propose une jeune actrice inconnue, Maria Schneider. Cf (en) David Thomson, The Big Screen. The Story of the Movies, Farrar, Straus and Giroux, , p. 375.
- Source : (en) Le Dernier Tango à Paris sur l’Internet Movie Database.
- Le Dernier Tango à Paris sur l2tc.com
- Jean-Luc Douin, « Bernardo Bertolucci, le cinéaste de la transgression, est mort », Le Monde, (consulté le ).
- Olivier Petit, « Le dernier tango à Paris : 5 secrets sur un film choc et culte », Télé Star, (consulté le ).
- « Le Dernier Tango à Paris », Allociné.
- (en) « Self-Portrait of an Angel and Monster », Time, .
- Denyse Beaulieu, Sex game book : histoire culturelle de la sexualité, Assouline, , p. 214.
- Matthew Dessem, « Pourquoi parle-t-on d'une scène de sodomie dans le « Dernier tango à Paris » 40 ans après ? », slate, .
- (en-US) William Grimes, « 'Last Tango in Paris' Star Maria Schneider Dies », sur ArtsBeat, (consulté le )
- (en) Hannah Summers, « Actors voice disgust over Last Tango in Paris rape scene confession », The Guardian, .
- « Décès de Maria Schneider : Bertolucci « aurait voulu s'excuser » », .
- Didier Péron, « Bertolucci sur le « Dernier Tango à Paris » : « J’ai été horrible avec Maria » », Libération, .
- Vincent Quivy, Jean-Louis Trintignant. L'inconformiste, Seuil, , p. 127.
- Pierre Pitiot, Jean-Claude Mirabella, Sur Bertolucci, Climats, , p. 67.
- Nicolas Schaller, « Sexe, violence et religion : ces films qui ont choqué Hollywood », sur nouvelobs.com, .
- (en) David Thompson, Last Tango in Paris, BFI, , p. 23.
- (en) Derek Jones, Censorship: A World Encyclopedia, Routledge, (lire en ligne), p. 222.
- (en) David Thompson, Last Tango in Paris, BFI, , p. 21.
- (en) Derek Jones, Censorship: A World Encyclopedia, Routledge, , p. 223.
- (en) David Thompson, Last Tango in Paris, BFI, , p. 22.
- Catherine Allégret, Les souvenir et les regrets aussi..., Fixot, 1994.
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Norman Mailer, « A Transit to Narcissus », The New York Review of Books, (lire en ligne)
- Daniel Schneiderman, « Bertolucci, Bonnaud et les demi-folles », Libération N°11343, SARL Libération, Paris, , p.23, (ISSN 0335-1793)
Documentaire
- Il était une fois… Le Dernier Tango à Paris, documentaire de Bruno Nuytten et Serge July, 2004
Article connexe
Liens externes
- Ressources relatives à l'audiovisuel :
- Lieux de tournage par film : Dernier Tango à Paris (Le) (1972) - L2TC.com.
- Il était une fois : Le Dernier Tango à Paris - France - Eurochannel.
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