Rapatriement de la Constitution du Canada

Le rapatriement de la Constitution du Canada est le processus par lequel le Canada est devenu apte à modifier lui-même sa Constitution, sans l'accord du Royaume-Uni. Le rapatriement s'est effectué en 1982 par la sanction royale de la Loi de 1982 sur le Canada par la reine Élisabeth II.

Le processus de rapatriement s'est effectué sur plusieurs décennies. C'est toutefois sous l'impulsion du premier ministre Pierre Elliott Trudeau dans les années 1970 et 1980 que le projet s'est concrétisé. Trudeau souhaitait d'abord demander, sans l'autorisation des gouvernements provinciaux, au Parlement du Royaume-Uni de rapatrier la Constitution canadienne. Toutefois, la Cour suprême du Canada, dans la décision Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, a statué qu'un degré substantiel d'appui des provinces était nécessaire avant que le gouvernement fédéral puisse demander au Royaume-Uni de modifier la Constitution. À la suite de cette décision, le gouvernement fédéral entreprit des négociations afin de convaincre les provinces d'adhérer au rapatriement. Les négociations aboutirent à la Nuit des Longs Couteaux où toutes les provinces, à l'exception du Québec, ont consenti au rapatriement.

En plus de la possibilité de modifier la Constitution du Canada sans l'accord du Royaume-Uni, le rapatriement contenait aussi l'enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette dernière était la source principale du refus du rapatriement pour les provinces en raison de son champ d'application très large.

Contexte

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique

La première Constitution canadienne est l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867. Or, cette Constitution est une loi anglaise, ce qui rend toute modification impossible sans passer par le gouvernement de Londres. Toutefois, à cette époque les revendications canadiennes sur le sujet ne se font pas encore réellement entendre.

Statut de Westminster 1931

Après la Première Guerre mondiale, le Canada gagne de plus en plus d’autonomie. Londres se rend compte de la situation et veut ajuster les lois et la situation réelle du Canada[1]. Ainsi, en 1926 a lieu le Rapport Balfour. Ce rapport mènera ultimement au Statut de Westminster en 1931. Dès lors, les lois canadiennes gagnent en importance puisque celles-ci ne peuvent plus être désavouées par le gouvernement de Londres. De plus, le Statut de Westminster accorde au Canada une plus grande autonomie sur la scène internationale. C’est le premier ministre qui nommera désormais le gouverneur général. Toutefois, le droit d’appel au Conseil privé de Londres sera toujours présent. Celui-ci sera aboli en 1949[2]. Bien que le Statut de Westminster soit une évolution considérable en termes d’autonomie, il y a toujours le problème de la Constitution. La Constitution est toujours une loi anglaise, ce qui rend toutes modifications impossibles par les Canadiens. Dans les années suivantes, l’idée de rapatriement gagne en popularité. Au début des années 30, le premier ministre Richard Bedford Bennett doit faire face à la crise économique et souhaiterait obtenir davantage de pouvoirs. Cependant, le projet est loin de se concrétiser et l’idée prendra de l’ampleur beaucoup plus tard.

Les premières tentatives

Fulton-Favreau 1961-1964

Bien que la plupart des Canadiens soient en accord avec le rapatriement de la Constitution, trouver une formule d’amendement est périlleux[2]. La formule Fulton-Favreau est la première qui passe près du but. La formule offre un cadre pour les modifications futures. Lorsque les amendements touchent les pouvoirs fédéraux ou l’ensemble des provinces, il faut l’unanimité des gouvernements. Dans le cas où l’amendement touche d’autres aspects, la formule requiert l’accord de 2/3 des provinces représentant au moins 50% de la population[3]. Au départ, la formule sera bien acceptée par les différents acteurs. Toutefois, le Québec se retirera après les nombreuses critiques nationalistes. Plusieurs sont mécontents que la formule ne donne pas le droit de veto au Québec. Cela crée de la crainte étant donné que le Québec pourrait bien se trouver en retrait si jamais les neuf autres provinces parvenaient à trouver un accord. De plus, le fait que la répartition des pouvoirs ne soit pas revue suscite un fort mécontentement chez les nationalistes. On critique également le manque de protection des droits du Québec. Tout changement de la Constitution dans le futur serait très difficile étant donné la rigidité du cadre d’amendement. Ainsi, on perçoit la formule comme un boulet qui empêcherait des changements dans le futur. Ayant la crainte d’une défaite à l’arrivée des élections, Jean Lesage se distance de la formule en 1966[2].

La Charte de Victoria de 1971

En 1971, une autre entente passe très près d'être conclue. L’objectif de Pierre Elliott Trudeau avec la Charte de Victoria est de rapatrier la Constitution et d’y enchâsser une charte des droits et libertés[4]. La formule d’amendement est plus souple que la formule Fulton-Favreau. Pour amender la Constitution, il faut l’accord des deux chambres du gouvernement fédéral. De plus, il faut l’accord du Québec et de l’Ontario, cette particularité venant du fait que ces deux provinces ont déjà eu ou ont au moins 25% de la population du pays[5]. L'amendement requiert également l’accord de deux provinces de l’Atlantique ou plus. Finalement, il faut l’accord d’au moins deux provinces de l’Ouest, représentant 50% de la population de l’Ouest. Le gouvernement fédéral et huit provinces se déclarent en faveur de la formule d’amendement. Le premier ministre du Québec à l’époque, Robert Bourassa, est initialement favorable à l’entente. Toutefois, après les critiques des nationalistes au Québec, Bourassa change sa position[2]. L’autre province refusant de donner son accord est la Saskatchewan, cependant c’est en raison du refus du Québec. Une réponse à la suite de ce refus était inutile puisque le projet avortait automatiquement.

Le refus du Québec a plusieurs causes. Tout d’abord, le Québec n’obtient pas avec la Charte de Victoria la primauté en matière de politique sociale comme il l’aurait souhaité. En outre, il n’y a pas de réels changements dans la répartition des pouvoirs entre le provincial et le fédéral. Finalement, il manque de la place pour l’autonomie provinciale.

Concrétisation dans les années 1980

Référendum de 1980

Après plusieurs tentatives ratées, le Québec se dirige vers le référendum. Basé sur le principe de souveraineté-association, le projet permettrait d’atteindre en quelque sorte les revendications traditionnelles sur Québec dans les négociations constitutionnelles. Le a lieu le référendum sur la souveraineté du Québec. Lors de la campagne référendaire, Trudeau affirmera : « Je sais que je peux prendre l’engagement le plus solennel qu’à la suite d’un NON nous allons mettre en marche immédiatement le mécanisme de renouvellement de la constitution[6] ». Celui-ci ajoutera également qu’un vote pour le NON n’était pas un synonyme de statu quo. Les Québécois y perçoivent une promesse de réforme politique qui accorderait aux Québécois les demandes traditionnelles. On imagine acquérir le statut de société distincte et davantage de pouvoirs pour la province. Les résultats du référendum sont en faveur du NON. À la suite du référendum, de nouvelles négociations voient le jour. Trudeau retient douze sujets pour les discussions[7]. Or, les négociations n’aboutissent à rien. En , Trudeau dévoile son projet de rapatriement. Celui-ci affirme que si les provinces ne donnent pas leur accord il sera prêt à passer directement par le Parlement britannique[7].

La nuit des longs couteaux

Après l’annonce de Trudeau sur le projet de rapatriement unilatéral, les provinces s’allient pour former un front commun. Il s’agit alors du Groupe des huit. Toutefois, ce groupe ne reste pas soudé. Le a lieu la Nuit des Longs Couteaux. C’est à ce moment que le Québec sera complètement délaissé dans les négociations. Cette réunion, appelé « kitchen meeting », fait référence en l’endroit où tout se déroule, soit dans une cuisine de l'hôtel Château Laurier d'Ottawa où sont hébergés les premiers ministres concernés. Jean Chrétien, qui est ministre de la Justice et procureur général, négocie avec ses collègues Roy Romanow, ministre de la Justice en Saskatchewan, et Roy McMurtry, ministre de la Justice en Ontario. Les trois réussissent à convaincre le reste du Groupe des huit à changer d'idée et les premiers ministres provinciaux acceptent de retirer leur droit de veto. Chrétien, quant à lui, leur offre une clause de dérogation, tout en espérant qu'ils n'utiliseront pas celle-ci. Cette clause permet d’outrepasser certaines obligations de la Charte canadienne des droits et libertés. Le premier ministre de l'Ontario ainsi que le premier ministre du Nouveau-Brunswick, qui soutiennent déjà Trudeau, lui conseillent d'accepter l'offre que lui font le Groupe des huit qui acceptent de retirer leur droit de veto. Il accepte donc la proposition, et c'est de cette manière que l'amendement de la Constitution Canadienne de 1867 est accepté par les provinces à l'exception de René Lévesque, qui apprend la nouvelle le matin au déjeuner des Premiers ministres[8].

Rapatriement de la Constitution en 1982

Le rapatriement a finalement lieu en 1982. La Charte des droits et libertés canadienne est enchâssée dans la Constitution, comme Trudeau avait tenté de le faire en 1971 avec la Charte de Victoria. La Charte aura une incidence considérable sur la politique canadienne. En effet, on assiste à une augmentation des pouvoirs des juges[5]. C’est le rôle de la Cour suprême d’interpréter la charte. La Cour sera très active dans ce domaine, plusieurs lois québécoises seront contestées en raison de la charte, dont la loi 101. Certaines critiques verront le jour en raison de cette augmentation du pouvoir judiciaire. Plusieurs considèrent que le fait d’être nommé plutôt qu’être élu va à l’encontre du principe démocratique.

Le rapatriement inclut également un droit de retrait avec compensation financière. Ce droit de retrait donne la capacité aux provinces de se retirer d’un programme fédéral qui touche les juridictions provinciales. Toutefois, c’est seulement en éducation et en culture que le retrait sera possible. Ainsi, le gouvernement fédéral aura la possibilité d’empiéter avec plus facilité sur les compétences provinciales. Ce droit de retrait sera utilisé fréquemment par le Québec dans les années qui suivirent l’adoption de la Constitution. Avec l’empiétement facilité, la centralisation des pouvoirs du fédéral se fait plus facilement.

Ce rapatriement marque une rupture dans la politique canadienne, car on passe d’une vision dualiste, où il y a deux peuples fondateurs, à une vision davantage pluraliste[7]. Le Québec ne sera plus autant perçu comme le défenseur des droits des francophones au pays.

Les suites du rapatriement

Tentative de réconciliation

À la suite du rapatriement, des tentatives seront faites pour réintégrer le Québec à la Constitution. Les changements de gouvernement donneront espoir que la réconciliation est possible entre le Québec et le Canada. Bourassa revient au pouvoir au Québec en et Brian Mulroney arrive au pouvoir au Canada en . Ainsi, en 1987 on tente de réintégrer le Québec en négociant l’Accord du lac Meech. Cet accord comportera cinq points principaux : reconnaissance de la société distincte, élargissement du droit de veto des provinces, plus de compétences provinciales sur l’immigration, droit de retrait avec compensation financière et participation des provinces à la nomination des juges de la Cour suprême. Des deux côtés les gens sont défavorables. Du côté des nationalistes québécois, on considère qu’il manque d’outil pour la défense de la langue. De plus, on voit dans l’accord une dilution des revendications du Québec. De l’autre côté, plusieurs fédéralistes vont s’y opposer, car le fait de reconnaître une nation comme étant distincte des autres affecte l’unité du pays[5].

À la suite de l’échec de Meech, l’Accord de Charlottetown prendra le relai dans le projet de réconciliation entre le Canada et le Québec. Au même moment, le mouvement souverainiste prend de l’importance au Québec, ce qui rend encore plus urgente l’intégration de la province. En 1992 aura lieu la proposition du gouvernement fédéral. Contrairement à Meech, cette fois, les Autochtones auront leur place au sein de négociations.

Un référendum aura lieu sur la question, mais seulement l’Ontario, le Territoire du Nord-Ouest, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve et Labrador votent en majorité pour le oui.

Rupture dans la politique canadienne

Depuis les échecs de réconciliation, la politique canadienne se trouve affectée. En effet, les gouvernements minoritaires se succèdent les uns après les autres en raison des divergences d’opinions. Il est difficile d’obtenir la majorité étant donné les divergences d’opinions profondes au sein des provinces. De plus, le Bloc Québécois, ayant vu le jour en raison des échecs d’intégrer le Québec à la Constitution, a pour effet de diluer le vote et de contribuer aux gouvernements minoritaires.

Découverte subséquente

En 2013, l'historien Frédéric Bastien découvre que le juge en chef de la Cour suprême, Bora Laskin aurait donné quelques informations au Royaume-Uni sur la poursuite du dossier par la Cour suprême.

John Ford, consul britannique à Ottawa, ayant pu observer les tractations de coulisses en tant que lien entre Londres et Ottawa, l'a qualifié de « véritable tentative de coup d'État en vue de modifier l'équilibre des pouvoirs dans la confédération »[9].

Références

  1. Lacoursière, Jacques. et Vaugeois, Denis., Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2010, Québec, Septentrion, , p.420 p. (ISBN 978-2-89448-653-5, 2-89448-653-7 et 978-2-89664-622-7, OCLC 775861079, lire en ligne)
  2. Lacoursière, Jacques. et Vaugeois, Denis., Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2010, Québec, Septentrion, , 603 p. (ISBN 978-2-89448-653-5, 2-89448-653-7 et 978-2-89664-622-7, OCLC 775861079, lire en ligne)
  3. Morin, Jacques-Yvan, 1931-, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Éditions Thémis, (ISBN 2-89400-047-2, 978-2-89400-047-2 et 2-89400-048-0, OCLC 31173146, lire en ligne)
  4. Lacoursière, Jacques, 1932- et Provencher, Jean, 1943-, Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2015, p.465 p. (ISBN 978-2-89448-842-3 et 2-89448-842-4, OCLC 933795852, lire en ligne)
  5. Gagnon, Alain-G. (Alain-Gustave), 1954- et McGill University. Programme d'études sur le Québec., Québec : État et société, Québec/Amérique, 1994- (ISBN 2-89037-731-8, 978-2-89037-731-8 et 2-7644-0193-0, OCLC 31650812, lire en ligne)
  6. « Radio-Canada », sur https://ici.radio-canada.ca/, (consulté le )
  7. Morin, Jacques-Yvan, 1931-, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Montréal (Québec), Éditions Thémis, , 978 p. (ISBN 2-920376-98-5 et 978-2-920376-98-4, OCLC 26808927, lire en ligne)
  8. Louis M. Imbeau, « Claude Morin, Lendemains piégés. Du Référendum à la Nuit des longs couteaux », Recherches sociographiques, vol. 31, no 1, , p. 85 (ISSN 0034-1282 et 1705-6225, DOI 10.7202/056487ar, lire en ligne, consulté le )
  9. Note de John Ford à Lord Carrington datée du 30 avril 1980 publié dans Frédéric Bastien, La bataille de Londres, Éditions du Boréal, , p. 333.

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • André Burelle, Pierre Elliott Trudeau : l'intellectuel et le politique, Québec, Fides, , 469 p. (ISBN 2-7621-2669-X, lire en ligne)
  • Jacques Lacoursière, Canada-Québec  : 1534-2010, Québec, Septentrion, , 607 p. (ISBN 978-2-89448-653-5)
  • Alain-G. Gagnon, Québec : état et société - Tome 2, Montréal, Québec/Amérique, coll. « Débats », , 588 p. (ISBN 978-2-7644-0193-4), chap. 6 (« Le dossier constitutionnel Québec-Canada »)
  • Jacques-Yves Morin et José Woehrling, Les constitutions du Canada et du Québec : du régime français à nos jours, Montréal, Thémis, , 656 p. (ISBN 978-2-89400-047-2)
  • François Rocher et Benoît Pelletier, Le nouvel ordre constitutionnel canadien. Du rapatriement de 1982 à nos jours, Montréal, Presses de l'université du Québec, , 352 p. (ISBN 978-2-7605-3760-6)

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