Accord de Charlottetown

L'Accord de Charlottetown est un projet avorté de réforme constitutionnelle au Canada. Proposé par le gouvernement fédéral canadien et les gouvernements provinciaux en 1992, ce projet a été rejeté par une majorité de Canadiens (et de Québécois) lors du référendum du .

Référendum sur l’accord de Charlottetown
Type d’élection Référendum sur le renouvellement de la Constitution du Canada
Résultats cumulatifs
Oui
45,7%
Non
54,3%
Ces résultats incluent le référendum organisé par le Québec

Contexte

Jusqu'en 1982, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 et les amendements subséquents formaient le socle de la Constitution du Canada. Parce que l'Acte de 1867 avait été écrit par le parlement britannique, le gouvernement du Canada se trouvait dans une position atypique : bien que son indépendance fût reconnue à l'échelle internationale, le Canada devait obtenir l'approbation d'un autre gouvernement, le gouvernement britannique, pour modifier sa propre constitution. Plusieurs tentatives infructueuses avaient auparavant été faites pour rapatrier la constitution, notamment en 1971 par la Charte de Victoria.

En 1981, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau est arrivé après des négociations à une entente qui a formé la Loi de 1982 sur le Canada. Même si cette entente fut adoptée, faisant ainsi de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique la constitution du pays, elle a été rejetée par le premier ministre du Québec, René Lévesque, et l'Assemblée nationale du Québec, à la suite de ce qu'on a appelé au Québec la nuit des longs couteaux. Malgré tout, la Cour suprême du Canada jugea que ni le Québec ni aucune autre province ne disposait d'un droit de veto lui permettant d'empêcher le gouvernement fédéral de faire adopter l'Acte du Canada de 1982 et que la modification de la constitution s'appliquait à toutes les provinces malgré leurs revendications.

Le premier ministre suivant, Brian Mulroney, était déterminé à réussir là où Trudeau avait échoué, en arrivant à une entente qui aurait permis au Québec de ratifier la Constitution modifiée. Menés par Mulroney, les gouvernements fédéral et provinciaux ont signé l'Accord du lac Meech en 1987. Malgré tout, en 1990, lorsque la date limite de la ratification fut atteinte, deux provinces, le Manitoba et Terre-Neuve, avaient toujours refusé de ratifier l'Accord, la deuxième ayant même renié sa signature, par la volonté de Clyde Wells. Cette défaite a mené à une hausse de l’appui au mouvement souverainiste québécois.

Dans les deux années qui suivirent, l'avenir du Québec a dominé l'agenda national. Le gouvernement du Québec a instauré en la Commission Bélanger-Campeau pour discuter de l'avenir du Québec à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada et le Parti Libéral du Québec avec son chef à cette époque, Robert Bourassa, le comité Allaire (Jean Allaire, fondateur de l'ADQ). Le gouvernement fédéral a répliqué en instaurant le comité Beaudoin-Edwards et la commission Spicer pour trouver le moyen de résoudre les tracas du Canada anglais. L'ancien premier ministre Joe Clark fut choisi par le ministre des Affaires constitutionnelles et fut chargé de forger une nouvelle entente constitutionnelle.

Au Québec, les conclusions de la Commission Bélanger-Campeau sont contraignantes voire alarmantes pour tout le Canada : si les conditions du Québec ne sont pas respectées par le Canada, un référendum sur la souveraineté du Québec doit être organisé en 1992. Cependant, l’émergence de l'Accord de Charlottetown conduisit le gouvernement du Québec à mettre sur la glace son projet de référendum sur la souveraineté[1],[2].

En effet, en août 1992, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi que des représentants de l'Assemblée des Premières Nations, du Conseil amérindien du Canada, du Tapirisat Inuit du Canada et le Conseil National des Métis en sont venus à une entente connue sous le nom d'Accord de Charlottetown.

Accord

Par l'accord de Charlottetown, les politiciens ont tenté de résoudre plusieurs disputes ancestrales entourant la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Il accordait aux provinces une juridiction exclusive sur les forêts, les mines et les autres ressources naturelles, ainsi que sur les politiques culturelles. Le gouvernement fédéral aurait maintenu son contrôle sur la Société Radio-Canada et sur l'Office national du film. L'accord voulait harmoniser les politiques entre les différents paliers gouvernementaux à propos des secteurs comme les télécommunications, le travail, le développement des régions et l'immigration.

Le droit fédéral par lequel le lieutenant-gouverneur d'une province pouvait demander au gouvernement fédéral d'approuver une loi provinciale aurait été aboli et le droit de veto fédéral s'en serait trouvé largement limité.

L'autorité du fédéral aurait été sujette à un contrôle beaucoup plus strict. Les gouvernements provinciaux ont souvent contesté certaines ententes du fédéral selon lesquelles celui-ci devait rembourser les provinces qui rejetaient certains programmes, comme ceux concernant l'assurance-maladie, les services sociaux, l'éducation post-secondaire, etc., qui auraient été sous juridiction provinciale. Ces ententes étaient souvent accompagnées de conditions sur le financement. L'Accord de Charlottetown aurait empêché le gouvernement fédéral d'imposer ses conditions. Mais cette limite du pouvoir fédéral de dépenser n'aurait été constitutionnalisée que pour 5 ans. Après quoi, il aurait dû y avoir une nouvelle négociation entre les provinces et Ottawa.

L'accord a aussi proposé une charte pour promouvoir certains objectifs tels l'assurance maladie, l'éducation, la protection de l'environnement et le commerce. Des clauses visaient à éliminer les barrières à la libre circulation des biens, des services, des capitaux.

L'accord contenait aussi une « clause Canada », qui codifiait les valeurs définissant la nature du caractère des Canadiens. Ces valeurs incluaient entre autres l'égalitarisme, la diversité et la reconnaissance du Québec en tant que société distincte. Les gouvernements amérindiens autoproclamés auraient été approuvés par principe.

Plus que tout, l'Accord proposait une série de changements institutionnels qui auraient radicalement changé la face de la politique canadienne. Par exemple, la composition et le processus de nomination à la Cour suprême du Canada auraient été établis par la Constitution. La convention voulait que trois des neuf juges de la Cour suprême soient originaires du Québec à cause de l'application du Code civil du Québec plutôt que de la « Common law » d'inspiration britannique, ce qui n'avait jamais été constitutionnellement mandaté.

Le Sénat canadien aurait été réformé de manière que cette réforme puisse se résumer par l'acronyme « Triple E » (Égal, Élu et Efficace). L'accord permettait aux sénateurs d'être élus, soit pendant une élection générale, soit au cours d'une législature provinciale. Toutefois, les pouvoirs du Sénat se seraient trouvés réduits. Les domaines culturels et linguistiques auraient requis une double majorité, soit une majorité des sénateurs et une majorité des sénateurs francophones. Mais le gouvernement fédéral aurait jugé de ce qui constituait un « domaine culturel » pouvant faire l'objet d'un vote au sénat. De plus, le Québec voyait réduire le nombre de ses sénateurs à environ 9 % et recevait en compensation 25 sièges supplémentaire au parlement fédéral.

L'assurance chômage devenait aussi un secteur de compétence exclusivement fédéral.

Des changements ont été proposés par la chambre des communes. Après une redistribution, le nombre des sièges aurait toujours été revu à la hausse et une province n'aurait jamais pu avoir moins de sièges qu'une autre province de population moindre. Toutefois, le Québec n'aurait jamais pu avoir moins d'un quart des sièges de la Chambre.

L'accord aurait formellement institutionnalisé les processus de consultation fédéraux/provinciaux/territoire et aurait permis une inclusion des Amérindiens dans certaines circonstances. Il augmentait aussi le nombre de sujets constitutionnels pour lesquels une proposition de changement aurait nécessité une adoption à l'unanimité.

Référendum

Contrairement à l'Accord du lac Meech, le processus de l'Accord de Charlottetown était un référendum national. Trois provinces, la Colombie-Britannique, l'Alberta et le Québec avaient récemment adopté des lois obligeant tous les amendements constitutionnels à être soumis par référendum. De plus, à la suite des négociations de Charlottetown, le premier ministre du Québec d'alors, Robert Bourassa, a affirmé qu'il tiendrait un référendum soit sur un nouvel accord constitutionnel ou soit sur un Québec indépendant. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont accepté de participer au référendum fédéral, mais le Québec a choisi de faire son propre vote séparé. (Pour cette raison, les Québécois vivant temporairement à l'extérieur du Québec avaient la possibilité de voter deux fois, et ce, légalement.)

L'accord ne devait pas seulement être approuvé par une majorité de citoyens, mais aussi par la majorité des électeurs de chaque province. Si une seule province n'obtenait pas une majorité de « 50 % + 1 vote », l'accord ne serait pas adopté.

Campagne

La campagne a obtenu l'appui de plusieurs groupes pour la nouvelle Constitution. Les progressistes-conservateurs, les libéraux et le Nouveau Parti démocratique ont appuyé l'accord, contrairement au Parti réformiste du Canada et le Bloc québécois. Les premières nations ont endossé l'accord comme l'ont fait les groupes de défense pour les femmes et les gens d'affaires. Les dix premiers ministres provinciaux l'ont appuyé. Dans les médias anglophones, presque tous les éditorialistes y étaient favorables. Donc, la campagne sur l'accord a bien commencé parce qu'il était populaire d'un océan à l'autre. Les chefs des trois plus importants partis fédéraux voyageaient partout au Canada pour supporter l'accord pendant que des impressionnantes quantités d'argent furent investies sur de la publicité pro Charlottetown. Plusieurs de ses défenseurs ont admis que l'accord comportait plusieurs failles, mais que c'était aussi la seule manière de maintenir le pays uni.

Les opposants à l'entente de Charlottetown venaient d'horizons très différents. Au Québec, principalement concerné par cette entente à cause de l'échec de l'accord du Lac Meech en 1990, il y avait les souverainistes québécois tels Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, et Jacques Parizeau, chef du Parti québécois. Ils étaient farouchement opposés à cette entente, car ils croyaient que le Québec n'obtenait pas assez de pouvoirs et que le processus, au lieu de se concentrer sur le Québec afin de réparer l'affront de 1982 (rapatriement de la constitution), prenait la forme d'une liste d'épicerie pour tout un chacun. Au Canada, Preston Manning, chef du nouveau Parti réformiste, a fait campagne contre l'entente, car il s'opposait à la reconnaissance du Québec en tant que société distincte et à la réforme du Sénat qui n'avait pas été faite correctement. Un autre opposant était l'ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, celui qui avait procédé au rapatriement de la Constitution en 1982 sans l'accord du Québec. Dans une entrevue publiée à l'origine dans le magazine Maclean's, il a défendu l'opinion que l'accord allait mener à la fin du Canada et la dissolution du gouvernement fédéral.

Et alors que la campagne avançait, l'Accord devenait continuellement de moins en moins populaire. Trop souvent, l'électorat trouvait une partie de l'accord avec lequel il tombait en désaccord. Et cela, sans compter l'extrême impopularité de Brian Mulroney en 1992 et l'antipathie générale de la population envers les débats constitutionnels. Plusieurs critiques, particulièrement ceux de l'ouest, ont affirmé que l'Accord était essentiellement créé par les élites politiques pour codifier ce que le Canada « devrait » être. Le diffuseur Rafe Mair a gagné une reconnaissance et notoriété nationales en déclarant que l'Accord représentait une tentative d'emprisonner le pouvoir du Canada au Québec et en Ontario aux dépens des autres provinces comme l'Alberta et la Colombie-Britannique qui défiaient déjà son autorité. Les défenseurs de cette opinion ont fait campagne en utilisant l'antipathie du peuple envers les intérêts des élites du Canada.

Résultats

Le , voici la question qui fut posée aux citoyens :

« Acceptez-vous que la Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente conclue le 28 août 1992 ? »

Les résultats[3] :

Résultats du référendum sur l'entente de Charlottetown
Province Oui Non Taux de participation
Alberta 39,860,272,6
Colombie-Britannique 31,768,376,7
Île-du-Prince-Édouard 73,926,170,5
Manitoba 38,461,670,6
Nouveau-Brunswick 61,838,272,2
Nouvelle-Écosse 48,851,267,8
Ontario 50,149,971,9
Québec 43,356,782,8
Saskatchewan 44,755,368,7
Terre-Neuve 63,236,853,3
Territoires du Nord-Ouest 61,338,770,4
Yukon 43,756,370,0
Total 45,754,371.8

La Société Radio-Canada a commenté les résultats en disant que « L'Accord de Charlottetown est mort-né ».

Les résultats furent surprenants à maints égards. Les provinces ayant voté pour le parti conservateur en majorité simple ou absolue lors de l'élection de 1988 (Québec, Alberta et Manitoba), votèrent pour le Non. Les provinces (ou territoires) ayant voté pour le parti libéral en majorité simple ou absolue en 1988 (Ontario, Terre-Neuve, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Territoires du Nord-Ouest), votèrent Oui (à l'exception de la Nouvelle-Écosse qui vota Non avec une faible marge). Finalement, les provinces (territoires) ayant voté pour le parti néo-démocrate en majorité simple ou absolue en 1988 (Yukon, Colombie-Britannique et Saskatchewan), votèrent Non. Les principaux partis étaient donc contredits par les électeurs formant leur propre base électorale : les Conservateurs appuyant le Oui, mais étant désavoués dans les provinces ayant voté pour eux 4 ans auparavant, les libéraux (dont Pierre Elliot Trudeau) appuyant le Non, mais étant désavoués par les provinces ayant voté libéral en 1988, incluant les circonscriptions anglophones de l'ouest de l'île de Montréal, dont l'ancienne circonscription de P.E. Trudeau : Mont-Royal avec plus de 82 % pour le Oui. L'influence de ce dernier sur les électeurs formant la base traditionnelle des libéraux a donc été largement surestimée.

Conséquences

En raison de l'abandon de l'Accord de Charlottetown, la Loi de 1982 sur le Canada demeure non ratifiée par l'Assemblée nationale du Québec. Il n'y eut aucune tentative postérieure de négocier une entente.

Brian Mulroney, déjà profondément impopulaire chez les électeurs canadiens qui le percevaient comme arrogant et détaché de la réalité, a fait plusieurs erreurs[non neutre] durant la campagne référendaire. L'image qu'il dégageait aurait été perçue chez les électeurs comme de la belligérance, de l'intimidation et de la politique à l'américaine. Le , seulement un an moins un jour après le référendum de Charlottetown, le Parti progressiste-conservateur (passé depuis peu sous la direction de Kim Campbell) était balayé lors des élections fédérales.

Les partis souverainistes du Québec renforcèrent leurs appuis, le Bloc québécois récoltant 54 sièges sur 75 lors des élections fédérales de 1993 et le Parti québécois prenant le pouvoir lors des élections québécoises de 1994. En 1993, le président des jeunes libéraux du Québec, Mario Dumont, qui avait fait campagne contre Charlottetown, quitta les libéraux et fonda l'Action démocratique du Québec en 1994.

Références

  1. « - La Presse+ », sur La Presse+, (consulté le ).
  2. https://ici.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/PointDeRupture/1990.shtml
  3. Les résultats du Québec furent comptabilisés par le Directeur général des élections du Québec et non par son homologue fédéral comme c'était le cas dans les autres provinces.

Liens externes

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