Marguerite d'Autriche (1480-1530)
Marguerite de Habsbourg-Bourgogne, archiduchesse d'Autriche (née le à Bruxelles, morte le à Malines), fut successivement princesse de Bourgogne, fille de France, infante d'Espagne et duchesse de Savoie.
Pour les articles homonymes, voir Marguerite d'Autriche, Marguerite de Bourgogne et Marguerite de Savoie.
Marguerite d'Autriche | |
Marguerite d'Autriche par Bernard van Orley vers 1518, huile sur bois. | |
Titre | |
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Gouvernante des Pays-Bas | |
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Prédécesseur | Maximilien Ier |
Successeur | Marie de Hongrie |
Duchesse de Savoie | |
– (2 ans, 9 mois et 8 jours) |
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Prédécesseur | Yolande-Louise de Savoie |
Successeur | Béatrice de Portugal |
Biographie | |
Dynastie | Maison de Habsbourg |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Bruxelles Pays-Bas bourguignons |
Date de décès | |
Lieu de décès | Malines Pays-Bas des Habsbourg |
Sépulture | Église Saint-Nicolas-de-Tolentin de Brou |
Père | Maximilien Ier du Saint-Empire |
Mère | Marie de Bourgogne |
Conjoint | 1. Juan, prince des Espagnes (1497-1497) 2. Philibert II de Savoie (1501-1504) |
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Duchesse de Savoie | |
Tante de l'empereur Charles Quint, elle assura tout d'abord la régence des Pays-Bas avant son émancipation, puis en reprit la gouvernance à la demande de celui-ci. Elle est aussi connue pour avoir négocié avec la mère du roi de France, Louise de Savoie — qui était sa belle-sœur et rivale — le traité de Cambrai dit paix des Dames.
Biographie
Enfance
Petite-fille du duc de Bourgogne Charles le Téméraire, elle est le second enfant (après Philippe, futur roi de Castille) de l'empereur Maximilien Ier et de Marie de Bourgogne. Elle reçoit le prénom de sa marraine, Marguerite d'York (veuve de son grand-père Charles le Téméraire), lors de son baptême à la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule[1]. Elle passe ensuite les deux premières années de sa vie à Bruxelles aux côtés de son frère et de sa mère.
Sur l'échiquier matrimonial de l'Europe
Sa mère, Marie de Bourgogne, décède de manière inattendue des suites d’une chute à cheval, le et des suites de sa mort, Maximilien Ier tente d'assurer la régence de son fils mais est vu comme un prince étranger par les villes flamandes, qui obtiennent de force la tutelle des deux enfants princiers et décident de s'allier plutôt au roi de France[2]. Ainsi, l'intrigant Louis XI, roi de France, fait main basse sur l'Artois, la Franche-Comté, le Mâconnais et l'Auxerrois, et pour légitimer son coup de force, lance des négociations avec le jeune Maximilien afin d'allier les deux maisons ennemies au travers de fiançailles entre le Dauphin Charles et Marguerite, descendante des ducs de Bourgogne. Le traité de paix, accompagné d'une alliance matrimoniale, est signé le (traité d'Arras). Que ce soit du côté français ou bourguignon, cette paix, qui met fin à quinze ans de guerre, est bien accueillie par la population, lassée de cet éternel conflit[3].
En France, l'humiliante répudiation
Comme le veut la coutume, le , à l'âge de 3 ans, la petite Marguerite part de Bruxelles escortée par la délégation bourguignonne. Elle est rejointe à Hesdin par Anne de France, fille de Louis XI et régente du Royaume, et par son mari, Pierre de Bourbon pour ensuite, être conduite à Amboise le , où les fiançailles avec Charles VIII sont célébrés[4]. À Plessis-Lèz-Tours, elle est élevée en fille de France par Madame de Segré, sous la houlette de la princesse Anne de France, dame de Beaujeu. Surnommée la "petite reine", Marguerite reçoit une éducation soignée concentré sur les langues et les arts, et elle est entourée de beaucoup d'égards, de tendresse et de soins[5]. La "petite reine" a pour compagne de jeu la princesse Louise de Savoie, fille du prince Philippe de Savoie et de Marguerite de Bourbon. Son jeune fiancé, de dix ans son aîné, lui manifeste de la tendresse, et elle s'éprend très vite de lui.
Pendant ces belles années à la cour de France, le père de Marguerite, Maximilien, réclame le retour de sa fille, qu'il n'avait accepté qu'à contre-cœur et forcé par les villes flamandes, et attaque continuellement les territoires français. En outre, pour contrer les intérêts de son adversaire Français, Maximilien tente d’obtenir la main de la duchesse, Anne de Bretagne, dont les territoires étaient depuis longtemps convoités par la couronne française. Dès 1488, des bruits courent en France sur une éventuelle répudiation de la "petite reine" par Charles VIII, pour la remplacer par la duchesse de Bretagne. Cependant, en , Charles rassure Marguerite de son engagement envers elle en prêtant serment sur les Évangiles de respecter la paix de Francfort. Marguerite est alors sûre d'être reine, et pour la conforter, Charles l'avait fait peindre par Jean Bourdichon, peintre officiel de la cour[6].
Toutefois, le , Anne de Bretagne épouse Maximilien d'Autriche par procuration, ce qui provoque le courroux du roi. Par conséquent, les relations diplomatiques empirent entre le royaume de France et les Pays-Bas bourguignons[7]. Occupant les grandes villes de Bretagne, Charles VIII propose différents prétendants à Anne de Bretagne pour remplacer Maximilien. Finalement, le , influencé par Anne de France et pour des raisons politiques, Charles VIII se résout à répudier Marguerite afin d'épouser Anne de Bretagne[8]. Marguerite, meurtrie, gardera toute sa vie une profonde rancœur à l'égard de la France.
La répudiation a lieu à l', le à Baugé lors d'une rencontre avec Charles (il prend « congé » d'elle), mais officiellement en décembre, bien qu'on puisse considérer début 1491 quand elle n'est plus traitée en tant que future reine. Répudiée, elle reste encore deux années en France, les discussions concernant sa restitution n’aboutissant pas. Finalement, Charles VIII conclut la paix avec Maximilien d’Autriche. Le roi de France s’est montré réticent à rendre Marguerite à son père car il ne voulait abandonner « fille ne fillette, ville ne villette »[9].
Le Traité de Senlis est signé le et Marguerite est restituée à son père avec une grande partie de sa dot. Elle reprend donc le chemin des Pays-Bas où sa famille l’attend et l’accueille en grande pompe, sa belle-grand-mère Marguerite d'York, duchesse douairière de Bourgogne ayant largement participé aux dépenses onéreuses, nécessaires à l’accueil d'une princesse de son rang (et devant compenser l'humiliation d'une répudiation et une défaite politique de son père). Cambrai est la première ville bourguignonne qui accueille Marguerite en criant des "Noël" selon l’usage mais la fille de Marie de Bourgogne, âgée de seulement 13 ans, leur rétorque : « Ne criez pas Noël, mais vive Bourgogne »[8].
En Espagne : la noce fatale
La jeune Marguerite étant encore en âge de se marier puisqu'elle rentre dans les Pays-Bas à l'âge de 13 ans, son père, dans le but de lutter contre la France, se rapproche des Rois catholiques et négocie deux mariages : celui de son fils Philippe avec Jeanne de Castille, (plus tard dite "Jeanne la Folle"), et celui de Marguerite avec l'infant Jean d'Aragon, héritier des royaumes de Castille et d'Aragon. Une fois l'infante Jeanne arrivée dans les Pays-Bas bourguignons, l'archiduchesse Marguerite embarque dans l’armada espagnole et part ainsi pour l’Espagne vers son futur mari fin 1496[10].
Pendant la traversée de Flessingue à La Corogne son vaisseau est pris dans une forte tempête et la jeune princesse compose deux vers d'une ironie sarcastique pour lui servir d'épitaphe : « Ci-gît Margot, la gente demoiselle, Qu'eut deux maris et si (pourtant) mourut pucelle »[11].
Lorsqu'elle débarque, c'est l'éblouissement : l'infant tombe sous le charme de sa jeune épouse, très belle dit-on. Le , Marguerite d’Autriche épouse Jean d’Aragon dans la cathédrale de Burgos. La lune de miel, passionnée, ne dure hélas que six mois, puisque Jean, de santé fragile, décède dès le . Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon sont dévastés par la mort de leur fils mais, Marguerite étant enceinte, ils espèrent qu’un nouvel héritier le remplace[12]. Leurs prières ne sont malheureusement pas entendues car elle accouche d’un enfant mort-né. Marguerite, effondrée, demeure encore deux ans en Espagne, puis rejoint Bruxelles en 1500 pour assister au baptême de son neveu (et filleul), Charles d'Autriche. Elle n'a alors que 20 ans.
Entretemps, le roi Charles VIII est mort accidentellement en 1498. Il avait 27 ans.
En Savoie : l'éphémère mariage
Devenue veuve, elle reste ensuite aux Pays-Bas pendant quelques années le temps que son frère et son père s’accordent à la marier de nouveau à un potentiel allié de la maison austro-bourguignonne. Le choix se porte rapidement sur Philibert II, dit Philibert le Beau, duc de Savoie qui a tout juste 20 ans, dont le territoire se trouve à la frontière entre la France et l’Italie. Le , elle épouse le duc de Savoie et tombe sous son charme. En effet, le promis est beau et fort et lui fait découvrir les joies de la chasse, des joyeuses entrées dans les villes (comme à Bourg en 1502) mais aussi les subtilités de la politique. En effet, Philibert se montrant désintéressé par la politique de son duché, Marguerite d’Autriche peut s’occuper seule des affaires politiques savoyardes[13].
Elle a désormais une grande influence sur son mari et, sans doute mortifiée par la rupture des fiançailles françaises et par fidélité dynastique, elle oriente la politique du duché dans le sens des intérêts de son père, l'empereur Maximilien et de son frère Philippe. La Savoie sort de l'orbite française pour entrer dans celle de la maison de Habsbourg[14].
Lorsqu'elle est certaine de la confiance absolue de Philibert, Marguerite n'hésite pas à engager ouvertement la lutte contre le demi-frère de son mari, René dit le Bâtard de Savoie, auquel le duc a laissé une place prépondérante dans le gouvernement et dans l'administration de ses États[15]. La complicité populaire ainsi que celle du clergé encourage Marguerite à reprendre les rênes car le Bâtard multiplie les exactions et les dilapidations et son caractère autoritaire et vindicatif n'était pas de nature à lui faire pardonner. Marguerite, par l’entremise de son père, l'empereur et suzerain du duché de Savoie, fait déclarer nul l'acte de légitimation que Philibert avait signé en faveur de René. Ce coup de maître effraye le Bâtard qui finit par s'enfuir se réfugier à la cour de France[16].
À partir du , Marguerite et Philibert s'installent à Pont-d'Ain, dans un château construit à la pointe méridionale de la chaîne de Revermont et d'où se découvre, au midi, un décor de montagnes grandiose et harmonieux.
Jean Lemaire de Belges, dans ses écrits, fait un tableau du couple princier, vivant une existence large et agréable où se combinent à la fois le soin des affaires publiques, plus spécialement réservé à Marguerite, et le divertissement de la chasse, du jeu, des joutes et de la bonne chère, qui occupe le plus clair du temps du duc :
- « Un prince à la fleur de sa jeunesse, distingué par sa force et sa beauté, possédant de grands biens, ayant la paix dans l'accomplissement de ses désirs, craint par ses ennemis, honoré par ses amis, aimé et servi par tous ses sujets, et pour l'accomplissement de sa félicité, comblé de faveur par les dieux qui lui envoyent comme épouse et compagne une précieuse fleur du ciel nommée Marguerite, la plus illustre dame du monde, quelle que soit sa circonférence ; très digne fille de S.M. César-Auguste, du plus invincible roi Maximilien. »[17]
Mais ce bonheur est éphémère : le , Philibert meurt à vingt-quatre ans, des suites d'un accident de chasse. Ainsi, à vingt-cinq ans, Marguerite se retrouve veuve pour la troisième fois (si l'on compte le roi de France) et sans enfant. Elle refuse de se marier de nouveau, malgré les propositions faites par son père et son frère. L'ouverture la plus concrète est faite auprès de la cour d'Angleterre. Mais Marguerite fait face à l'Empereur et refuse nettement d'épouser Henri VII Tudor Elle préfère porter le deuil de son cher et tendre, Philibert, pendant ses vingt-cinq dernières années.
Pendant deux ans encore, elle reste en tant que duchesse douairière en Savoie et décide également d'ériger un monument à la mémoire de son époux : le monastère royal de Brou. Voulant réaliser le vœu de sa belle-mère, Marguerite de Bourbon, qui avait également voulu ériger un monument pour son époux, elle utilise les moyens importants dont elle dispose afin de construire le monastère.
Occupant une place vulnérable à la frontière française, ce monastère est construit à Bourg-en-Bresse, témoin de la volonté de Marguerite de renforcer les liens entre la région savoyarde et les terres bourguignonnes et de prendre ses distances avec les Français[18]. Elle l’érige en s’inspirant de l’oratoire ducal de la Chartreuse de Champmol à Dijon, ancienne capitale du duché de Bourgogne qui a été perdue avec le traité de Senlis. Le monastère de Brou est donc réalisé dans l’optique de célébrer les origines bourguignonnes de Marguerite qui regrette beaucoup la perte du duché. Afin d’affirmer sa place au sein de la dynastie austro-bourguignonne, elle n’hésite donc pas à rappeler ses origines dans l’entièreté du monastère.
La construction débute en 1506 et finit en 1512. Par la suite, l'église est étendue et édifiée de 1513 à 1532 par l'architecte Louis van Bodeghem. C'est un joyau gothique flamboyant, à la haute toiture de tuiles vernissées et colorées. Tombeaux, retables, statues et stalles en font un exceptionnel « musée » de sculpture flamande du XVIe siècle. Le chœur est la partie essentielle de l'église : toute la splendeur décorative y est concentrée, du sol aux voûtes, autour des tombeaux et dans la chapelle de Marguerite d'Autriche. Marguerite choisit les chefs de chantiers, les peintres, les sculpteurs, fait appel à des artistes d'Europe du Nord, ce qui explique qu'au début du XVIe siècle, aux portes de l'Italie renaissante, se dresse un monument gothique.
Vers la fin de sa vie, Marguerite décide de construire de nouveaux appartements à Brou, qui sont bien plus grands que ceux qu’elle occupe à Malines. Cette nouvelle construction nous en dit long sur son intention d’y passer ses derniers moments, désirant se retirer de la vie politique. Elle n’aura pas l’occasion d’en profiter pleinement puisqu’elle meurt avant la fin des travaux[19].
Aux Pays-Bas : une femme active
Le , la mort de son frère la rappelle aux Pays-Bas, afin de remplacer Jeanne de Castille, qui refuse de se séparer de son défunt mari pour s’occuper de ses enfants.
En plus du rôle de mère de substitution qu’elle endosse, elle est également nommée gouvernante des Pays-Bas par Maximilien, le . En effet, ce dernier étant partagé entre l’Empire et les Pays-Bas, il ne peut pas toujours assumer son rôle de régent et offre donc à Marguerite une partie de pouvoir afin de gérer les territoires bourguignons en son absence, au nom de son neveu, Charles, âgé de 6 ans[1]. Elle élève donc avec soin ce jeune neveu, ainsi que ses nièces, Éléonore, Marie et Isabelle, depuis la cour qu'elle établit à Malines, suivant ainsi l'exemple de Marguerite d'York. De cette cour où elle rassemble les grands artistes, peintres, poètes et auteurs de l'époque, elle dirige d'une main ferme les provinces d'Europe du Nord, riches mais turbulentes. Elle joue aussi un rôle important dans la politique internationale de l'époque. Tous la respectent et recherchent son alliance. Marguerite met en place des ligues contre la France, mais réaliste, elle est parfois prête à baisser sa garde pour choisir la voie de la négociation (ainsi en 1514). Dans cette politique typiquement bourguignonne, elle s'oppose au « parti français », dominé par la maison de Croÿ.
En 1515, pressé par une inextricable affaire de complot en Aragon impliquant ses deux grands-pères, Maximilien et Ferdinand, les chevaliers de la Toison d'or, au premier desquels Don Juan Manuel de Belmonte et son précepteur, le seigneur de Chièvres, Charles demande son émancipation et décharge sa tante de toute responsabilité.
Mais le , à la mort de son père Maximilien Ier, Charles brigue la couronne impériale (élective), largement grâce à l'aide de sa tante qui a levé des fonds pour élire son neveu à la suite de son père. Ainsi, Marguerite refait son apparition sur la scène publique, en achetant les électeurs et faisant des promesses et Charles devient empereur. Il confie de nouveau le gouvernement des Pays-Bas à sa tante, charge qu'elle gardera jusqu'à sa mort, malgré sa propension à s'entourer de conseillers savoyards, bressans ou franc-comtois, dont Nicolas Perrenot de Granvelle, ce que les Flamands lui reprochent.
Elle assiste alors à la lutte entre Charles Quint et François Ier, fils de Louise de Savoie, sœur de Philibert et avec qui elle a grandi à la cour de France, lorsqu'elle était destinée à devenir reine. Elle soutient Charles envers et contre tout.
Afin de mettre fin à cette rivalité sans fin, Marguerite communique régulièrement avec Louise de Savoie et elles finissent toutes deux par se revoir afin de trouver un accord, une alliance. Ainsi, Marguerite est connue comme une des principales instigatrices de la paix des Dames ou paix de Cambrai, signée le avec Louise de Savoie. Toutes deux comme représentantes respectives de Charles Quint et de François Ier de France. Cette paix réjouit les deux peuples. Quelque temps après la paix des Dames, ces deux grandes femmes meurent et laissent derrière elles une nouvelle vision de la femme au pouvoir, qui participe réellement au gouvernement et apporte la paix par moyen de diplomatie, tentant d'éviter toute guerre inutile.
Une riche mécène
De ses fiançailles et ses deux mariages, Marguerite a accumulé une fortune considérable. Par le traité de fiançailles avec le Dauphin, elle a été mise en possession des comtés d'Artois, d'Auxerre, de Bourgogne, de Charolais, de Mâcon, et de plusieurs seigneuries en Bourgogne dont la très profitable seigneurie de Salins, formant sa dot. En effet, le traité de Senlis, en 1493, lui en laisse une très grande partie à titre viager. Par son mariage avec l'infant Don Juan, elle a reçu la jouissance d'un douaire en rentes de la couronne de Castille qui lui assure un revenu de vingt mille écus par an. Son mariage avec le duc de Savoie, enfin, lui a assigné un douaire de douze mille écus par an, assis, après le traité de Strasbourg, sur les comtés de Bâgé, de Romont et de Villars, ainsi que les pays de Bresse, Vaud et Faucigny, dont elle obtient la souveraineté à titre viager. Son frère et son neveu, enfin, lui offrent des domaines dans les Flandres, notamment à Malines.
Cette fortune considérable la met à l'abri du besoin et lui permet de mener une politique de mécénat intense. Sa cour, à Malines, est un des centres septentrionaux de la Renaissance. Elle soutient des écrivains (Érasme, Vivès, Agrippa, Lemaire de Belges) et des musiciens (Josquin des Prés, Pierre de La Rue)[20]. Elle accueille et pensionne des peintres comme Pieter van Coninxloo (en), Nicolas Rombouts ou Bernard van Orley. La peinture, la tapisserie et le vitrail prennent un nouvel essor grâce à ses commandes (verrières de Sainte-Waudru à Mons, de Saint-Gommaire à Lierre et de Sainte-Gudule à Bruxelles, nombreuses tapisseries aux mille-fleurs, série des Neuf vertus, dite également des Honneurs). Son château de Malines (Hof van Savoye, actuel palais de justice) témoigne d'une esthétique mêlant subtilement les éléments traditionnels du gothique brabançon et de la Première Renaissance. Son jardin à l'italienne, notamment, est une véritable révolution dans les palais de l'époque.
Véritable mécène, elle s’intéresse à la fois à l’art religieux et séculaire. Il est d’ailleurs très fréquent pour les veuves d’avoir recours à un patronage religieux, étant directement associées à une image de dévotion et de culte. Pourtant, Marguerite d’Autriche ne néglige pas l’aspect séculier de l’art, s’intéressant particulièrement à l’Antiquité et à la mythologie et par ce biais, à l’art renaissant. Par ce vif intérêt pour la Renaissance, Marguerite apporte du changement à la cour de Bourgogne. Au sein de sa collection artistique, elle rassemble pas moins de cent septante-six peintures, cent trente tapisseries, sept images brodées, cinquante-deux sculptures et quarante-six objets contenant de l’or, de l’émail et/ou des pierres précieuses[21].
Elle semble parfaitement consciente du pouvoir que les images peuvent avoir sur les esprits et elle n’hésite pas à se représenter à l’égal des nombreux hommes de son entourage. Dans une généalogie commandée à Jean Franco pour son neveu, elle est représentée comme un membre à la tête de la famille Habsbourg. Elle est d’ailleurs la seule femme dont le portrait se retrouve parmi les autres souverains, Maximilien d’Autriche, Philippe le Beau, Charles Quint, etc. En outre, sa biographie et son portrait prennent autant de place que ses proches masculins. Elle est représentée avec le chapeau des archiducs pour mettre l’accent sur son appartenance à la maison de Habsbourg[18].
Sa bibliothèque reflète également son grand intérêt pour l’écrit nous permettant d’appréhender ses centres d’intérêts, ses rêves, ses joies et ses peines. Elle révèle la pensée intime de Marguerite et bien évidemment, sa pensée politique. Au sein de cette bibliothèque, se trouvent trois cent quatre-vingt-six livres dont trois cent quarante manuscrits et quarante-six imprimés[22].
"Fortune infortune fort une"
Hésitant entre différentes devises comme Perfant altissima venti, Spoliat mors munera nostra, Manus Domini protegat me, Marguerite d’Autriche se décide finalement pour Fortune infortune fort une ou Fortuna infortunat fortiter unam, en 1506, à la suite de la mort de son frère. Cette devise a été interprétée différemment[23] en fonction de la manière dont elle est analysée.
La première façon de la décrire consiste à mettre en avant l’alternance entre la fortune et l’infortune. La vie est dès lors faite de malheurs et de bonheurs, comme l’a été la vie de Marguerite. En effet, elle est fortunée d’être née dans une famille aussi prestigieuse mais elle est infortunée dans ses mariages[24]. Ensuite, nous pouvons l’analyser en insistant sur un mot en particulier : « Fortune infortune FORT une », qui se traduit comme suit : le sort (Fortune) met dans le malheur (l’infortune) fort une femme (Marguerite), ou encore le destin accable fort une personne[24]. Les malheurs de Marguerite ne sont pas reprochés à Dieu mais bien à Fortune, au destin. Enfin, la dernière proposée est une hypothèse qui dit que l’alternance de la fortune et de l’infortune touche tout le monde, sauf (fort) une, Marguerite, qui se trouve au-dessus de cela, ayant déjà survécu à Fortune[24].
La seconde définition semble cependant être la plus communément admise et sans doute la plus plausible. Témoignant de son importance aux yeux de Marguerite d’Autriche, sa devise se retrouve sur tous les manuscrits qu’elle commande pour sa bibliothèque. Elle se retrouve également sculptée autour de son tombeau dans le monastère de Brou, qu’elle a érigé en mémoire de Philibert de Savoie[19].
Marguerite d’Autriche se sert du thème de la Fortune comme devise afin de mettre en avant les nombreux malheurs qu’elle a endurés au cours de sa vie, se présentant ainsi comme un exemple moral, d’humilité à suivre. En insistant sur ses souffrances et son éternelle fidélité à Dieu à travers l’usage de ses nombreuses vertus pour combattre Fortune, Marguerite met en place une légitimité de son pouvoir, au service de son père dans un premier temps, de son neveu ensuite. Elle semble présenter et construire son personnage politique autour de cette notion.
Marguerite « la grande »
Lorsqu'elle mourut de la gangrène le , l'Europe dut reconnaître avoir perdu une de ses plus brillantes têtes politiques. Femme de tête mais aussi de cœur, elle a toujours su arrêter les conflits à temps. Sa dépouille est portée au monastère de Brou en où elle se retrouve aux côtés de son défunt mari.
Au cours de sa vie, Marguerite d’Autriche a endossé de nombreux qualificatifs et rôles qu’elle n’a pas toujours choisis ; d’abord « orpheline » à trois ans, puis dauphine, reine de France, répudiée, future reine d’Espagne, veuve, duchesse de Savoie, veuve, puis mère de substitution, gouvernante des Pays-Bas et enfin, régente. La vie de Marguerite est ainsi ponctuée de nombreux rebondissements et elle n’a pas toujours eu la possibilité d’influer sur sa destinée mais, lorsque son père lui confie les rênes des Pays-Bas, Marguerite peut enfin mettre en avant tous ses atouts et occuper une réelle fonction politique.
Malgré les nombreux obstacles rencontrés au cours de sa vie, Marguerite fait preuve de résilience et, ne se contentant pas seulement d’exceller en politique, elle incarne une femme de la Renaissance, intéressée par la littérature, la musique et les arts qu’elle protège à la cour de Malines.
Ascendance
Iconographie
Marguerite en 1483. Marguerite vers 1490 – Jean Hey. - Marguerite en prière, détail du vitrail de l'Assomption de la Vierge. Église du monastère royal de Brou.
Marguerite portant le deuil – Bernard van Orley - Le tombeau de Marguerite d'Autriche, dans l'église de Brou.
- Gisant de Marguerite à Brou.
Notes et références
- (nl) EICHBERGER DAGMAR, Dames met Klasse. Margareta van York. Margareta van Oostenrijk, Louvain, Davidsfonds, , p. 43
- De Boom Ghislaine, Marguerite d'Autriche, Bruxelles, La Renaissance du Livre, , p. 7
- Le Fur Didier, Charles VIII, Paris, Perrin, , p. 43
- Deleuze Gabriella, Marguerite d'Autriche, de la répudiation à la paix triomphante, Liège, Université Libre de Liège, , p. 4
- Labande-Mailfret Yvonne, Charles VIII, Le vouloir et la destinée, Paris, Fayard, , p. 37
- Archives nationales, KK76 : comptes de la chambre du roi.
- Le Fur Didier, Anne de Bretagne: miroir d'une reine, historiographie d'un mythe, Paris, Guénégaud, , p. 23
- DOCQUIER GILLES, « Convoi exceptionnel ou tournée de gala : négociations, retour et accueil de Marguerite, épouse répudiée, dans les Pays-Bas (1493) », DELSALLE PAUL, DOCQUIER GILLES, e.a. (dir.), Turnhout « Pour la singulière affection qu’avons à Luy. Études bourguignonnes offertes à Jean-Marie Cauchies », , p. 197
- Bruchet Max, Marguerite d’Autriche. Duchesse de Savoie, Lille, Imprimerie L. Danel, , p. 18
- Docquier Gilles, « "Et se partirent pour zingler en Espaigne: les préparatifs du voyage de Marguerite d'Autriche, princesse de Castille (1495-1496)" », Publications du Centre Européen d’Études Bourguignonnes, Turnhout, Brepols, vol. 51, , p. 73
- Claude Genoux, Histoire de Savoie, Montémélian, 1997, p. 245.
- Poiret Marie-Françoise, Le monastère de Brou. Le chef-d’œuvre d'une fille d'empereur, Paris, CNRS, , p. 17
- (nl) Triest Monika, Macht, vrouwen en politik 1477-1558. Marie van Bourgondië, Margareta van Oostenrijk, Maria van Hongarije, Louvain, Uitgeverij Van Halewyck, , p. 96
- Thierry Wanegffelen, Le Pouvoir contesté : Souveraines d'Europe à la Renaissance, Payot 2008, p. 73.
- Comte Carton de Wiart "Marguerite d'Autriche Une princesse Belge de la Renaissance" Editions Bernard Grasset, 61 rue des Saints-Pères, Paris VIe, copyright by Editions Bernard Grasset 1935, page 82
- Comte Carton de Wiart "Marguerite d'Autriche Une princesse Belge de la Renaissance" Editions Bernard Grasset, 61 rue des Saints-Pères, Paris VIe, copyright by Editions Bernard Grasset 1935, page 86
- G. Doutrepont "Jean le Maire de Belges et la Renaissance" Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, coll. in-8o, tome 32. Bruxelles, 1934
- (en) Eichberger Dagmar, « Instrumentalising Artfor Political Ends. Margaret of Austria, régente et gouvernante des pais bas de l’empereur », Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, De Boeck, , p. 581
- Charline Foret, La répudiation de Marguerite d'Autriche: Les échos d'un scandale, Louvain-la-Neuve, UCL, , p. 138
- http://siefar.org/dictionnaire/fr/Marguerite_d%27Autriche_%281480-1530%29.
- (en) Eichberger Dagmar, « A noble residence for a Female Regent: Margaret of Austria and the Court of Savoy in Mechelen », Architecture and the politics of Gender in Early Modern Europe, Aldershot/Burlington, Ashgate, , p. 37
- Debae Marguerite, La bibliothèque de Marguerite d'Autriche: essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-1524,, Louvain, Peeters, , p. 3
- Voir par exemple Édouard-Louis Laussac fournit une interprétation différente de cette devise. Notice explicative du quintuple sens de la devise de Marguerite d'Autriche, 1897.
- Monjou Christian, « Marguerite d’Autriche », dans Le leadership au féminin. Conférence donnée en , vidéo-conférence.
Voir aussi
Bibliographie
- Isabelle Callis-Sabott, Marguerite et Philibert, Éditions Alexandra de Sain-Prix, 2014 (ISBN 978-2-36689-028-0).
- Ghislaine De Boom, Marguerite d'Autriche Savoie et la pré-Renaissance, Paris/Bruxelles, Librairie E. Droz/Librairie FALK FILS, 1935.
- ID., Marguerite d’Autriche, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1946.
- Gisela Naegle, « Écrire au père, écrire au prince : relations diplomatiques et familiales dans la correspondance de Maximilien Ier et de Marguerite d'Autriche », dans Bulletin de l'Association de la noblesse, .
- Marguerite Debae, La bibliothèque de Marguerite d’Autriche : essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-1524, Louvain, Peeters, 1995.
- ID., La librairie de Marguerite d’Autriche, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, 1987.
- Dagmar Eichberger (éd.), Dames met Klasse. Margareta van York. Margareta van Oostenrijk, Louvain, Davidsfonds, 2005.
- Monika Triest, Macht, vrouwen en politik 1477-1558. Marie van Bourgondië, Margareta van Oostenrijk, Maria van Hongarije, Louvain, Uitgeverij Van Halewyck, 2000.
Dans la culture
- Marguerite d'Autriche est interprétée en 2012 par Úrsula Corberó dans la série Isabel « Personaje Margarita de Austria », RTVE (consulté le ).
- Dans son roman Plus ultra de 1950, Gertrud von Le Fort a traité des dernières années de Marguerite comme gouverneur des Pays-Bas.
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