Manuel Noriega

Manuel Antonio Noriega, né le (la date de naissance officielle n'est cependant toujours pas confirmée — les dates avancées restent le mois de janvier, de l'année 1934, 1936 ou 1938)[1] et mort incarcéré dans son pays le , est un militaire et homme d'État panaméen.

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Manuel Noriega

Manuel Noriega en 1990.
Fonctions
Commandant en chef des Forces de défense du Panama

(6 ans, 4 mois et 8 jours)
Président Ricardo de la Espriella
Jorge Illueca
Nicolás Ardito Barletta
Eric Arturo Delvalle
Manuel Solís Palma
Francisco Rodríguez Poveda
Commandant en chef de la Garde nationale du Panama

(12 jours)
Biographie
Nom de naissance Manuel Antonio Noriega Moreno
Date de naissance
Lieu de naissance Panama (Panama)
Date de décès
Lieu de décès Panama (Panama)
Nationalité Panaméenne
Diplômé de École militaire de Chorrillos
École militaire des Amériques
Profession Militaire

Il accède au pouvoir en 1968 par un coup d'État orchestré avec Omar Torrijos, qui devient de facto le dirigeant du pays. Après la mort de ce dernier en 1981, Noriega devient le nouvel homme fort du Panama en tant que chef des forces armées, position qu'il occupe de 1983 à 1989. Durant cette période, il exerce le pouvoir sans avoir constitutionnellement le titre de chef de l'État. Ancien allié de la CIA dans la War on Drugs et au cours de la période de crise en Amérique centrale, il est renversé en 1989 par l'invasion du Panama. Détenu aux États-Unis pour trafic de drogue et blanchiment, il est condamné par contumace au Panama pour meurtres où il meurt en prison en 2017.

Biographie

Naissance et débuts

Originaire d'un quartier pauvre de Panama, il y reste jusqu'à ses années universitaires avant de partir à l'école militaire de Chorrillos située au Pérou. Il a également reçu une formation de renseignement et de contre-espionnage à l'École militaire des Amériques à la base militaire américaine de fort Gulick au Panama, en 1967, ainsi qu'un cours spécialisé dans les opérations psychologiques (psyops) à fort Bragg (Caroline du Nord). Il est recruté par la CIA en 1967 pour laquelle il travaillera jusque dans les années 1980. Il accède au grade de sous-lieutenant de la garde nationale panaméenne à son retour.

Homme de la CIA et personnalité de plus en plus incontournable

Le dirigeant du Panama Omar Torrijos meurt dans un accident d'avion en 1981, et Noriega, alors chef des services de renseignement, tire vite profit des luttes de pouvoir qui en résultent. Nommé à la tête de l'armée en 1983, il représente de 1983 à 1989 une personnalité incontournable pour tous les présidents panaméens successivement au pouvoir. Il permet aux États-Unis de créer des postes d'écoutes au Panama et facilite les livraisons d'armes aux Contras, des paramilitaires anticommunistes au Nicaragua[2].

L'administration Reagan intervient pour empêcher le Congrès d’enquêter sur des allégations portant sur l'assassinat d'un opposant[3].

Opposition des États-Unis

LAV-25 de l'USMC devant les ruines d'un bâtiment des forces de défense du Panama le 20 décembre 1989.

En 1987, Manuel Noriega est l'homme fort du Panama, dont il est dirigeant de fait. Il bénéficie du soutien des États-Unis et de bien d'autres pays. Il est ainsi fait commandeur de la Légion d'honneur par François Mitterrand le , sur proposition du ministère des Affaires étrangères du gouvernement Chirac[4],[5]. Au-delà de ce rôle public de quasi chef d'État, il est agent double de la CIA et des services cubains, tout en relayant le trafic de la cocaïne colombienne[6]. Pourtant, officiellement, les États-Unis saluent les efforts des autorités panaméennes dans la lutte contre le trafic de drogue[7].

Il est lâché par les États-Unis en 1987 et une cour américaine l'accuse de trafic de drogue et de racket en 1988. Le sous-comité du Sénat américain sur le terrorisme, les stupéfiants et les opérations internationales conclut[réf. nécessaire] alors que « la saga au Panama du général Manuel Antonio Noriega représente l'un des échecs les plus graves de la politique étrangère des États-Unis… Il est clair que chaque agence gouvernementale américaine qui avait une relation avec Noriega a fermé les yeux sur sa corruption et au trafic de drogue, alors même qu'il était en train de devenir un acteur clé au nom du cartel de Medellin (dont un des membres était le notoire Pablo Escobar). « Noriega a été autorisé à établir la première narcokleptocratie de l'hémisphère » .

À cela s'ajoute de manière moins officielle son rôle de double agent, Noriega étant jugé coupable d'avoir transmis des informations hautement confidentielles à Cuba, d'avoir facilité le transfert de technologies sensibles à des pays du bloc de l'Est et d'avoir vendu des armes aux guerilleros pro-communistes d'Amérique latine[8] et au gouvernement sandiniste[9] dès la fin des années 1970, les services de renseignement militaires américains tentant de l'espionner à partir de 1981, ignorant les activités de la CIA et vice-versa tandis que Noriega lui, tentait d'infiltrer les unités de renseignement américains au Panama[10].

Les relations avec Washington se détériorent encore plus à la suite de l'annulation de l'élection présidentielle de et de l'auto-désignation de Noriega en tant que président. Celui-ci déclara alors « l'état de guerre » envers les États-Unis.

Invasion de Panama et arrestation

Le président américain George H. W. Bush prit alors pour prétexte l'exécution d'un soldat américain par des soldats panaméens pour ordonner l'invasion de Panama le , dans le cadre de l'opération Just Cause. Les pertes militaires des deux côtés furent minimes, mais elles entraînèrent plusieurs centaines de morts civiles et l'exode d'au moins 20 000 personnes[5]. Après enquête, la Commission pour la défense des droits de l'homme en Amérique centrale estime entre 2 500 et 3 000 le nombre de civils tués, tandis que la Commission pour la défense des droits de l'homme au Panama estime ce nombre à au moins 3 500[11].

Les États-Unis collectèrent des informations décisives pour traquer Manuel Noriega par l'intermédiaire de l'entreprise Crypto AG à laquelle le Panama s'en était remis pour ses communications confidentielles[12]. Réfugié dans la nonciature de Panama, Manuel Noriega se rendit le après un siège de plusieurs jours sous le vacarme assourdissant de musique rock[13]. Il accepte de se rendre notamment grâce aux actions d'une agent de la DIA, Martha Duncan[14].

Le 29 décembre 1989, par 75 voix contre 20 et 40 abstentions, l’Assemblée générale de l’ONU condamna l'invasion du Panama[15].

Poursuites judiciaires

Peu avant le procès de Manuel Noriega, incarcéré aux États-Unis, le Département de la Justice a conclu un accord secret avec le Cartel de Cali. Si les « narcos » apportent des témoignages accablant Noriega, une remise de peine sera accordée à Luis Santacruz Echeverri, frère d’un des chefs du cartel, qui purgeait alors une peine de vingt-trois ans d’emprisonnement[15].

Pendant son procès, Noriega affirma que sa collaboration avec la CIA lui avait rapporté 10 millions de dollars. Il demanda à pouvoir révéler les tâches qu’il avait effectuées pour les États-Unis, mais les autorités judiciaires lui imposèrent le silence, affirmant que « l’information sur le contenu des opérations secrètes dans lesquelles Noriega a été engagé en échange de versements présumés est sans rapport avec sa défense » et pourrait « confondre le jury »[15].

Manuel Noriega fut condamné en 1992 à quarante ans de prison ferme. Sa peine fut ensuite ramenée à trente ans, puis réduite à dix-sept ans pour bonne conduite. Il vivait jusqu'en (avant son extradition en France) dans une prison de Floride, où il se convertit à l'évangélisme Born again en 1992[16].

Il aurait dû être libéré le , mais son extradition a été réclamée par le Panama et la France, où une enquête pour trafic de drogue était ouverte depuis 1989[6].

Son procès a donné lieu à un certain nombre d'interrogations concernant l'importance des liens entre Manuel Noriega et la CIA alors que les documents du gouvernement américain soumis à la cour de Miami en audiences préliminaires en 1991-92 confirmaient que Manuel Noriega a été payé (au moins) 320 000 $ par le gouvernement américain pour services rendus, ainsi que ses liens avec quelques figures clés de l'administration Reagan et Bush, ayant permis la fourniture d'armes aux rebelles Contras au Nicaragua payées avec les bénéfices de la vente de drogue du cartel de Medellin[17]. La plupart de ces questions n'a pas encore reçu de réponses précises.

La fortune de Manuel Noriega a été évaluée à près de 60 millions d'euros par les autorités américaines, lors de son procès à Tampa en 1992.

Détention en France

Noriega a été incarcéré à la prison de la Santé, à Paris.

Manuel Noriega est condamné par contumace en France en 1999 à dix ans d'emprisonnement pour blanchiment d'argent et à une amende de 75 millions de francs français de l'époque à la suite d'un ordre d'extradition signé le  ; il est également condamné au Panama à deux peines de vingt ans de prison pour le meurtre de deux opposants politiques : Hugo Spadafora, en 1985, et le commandant Moises Giroldi, en 1989[18].

Alertée, en 1989, par les services américains qui enquêtaient sur le recyclage de l'argent de la drogue, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) avait signalé à la justice le fonctionnement de comptes bancaires ouverts en France par Manuel Noriega et plusieurs de ses proches.

Dès 1986, des sommes importantes ont, en effet, été déposées par le clan Noriega, sa femme, deux de ses filles et les ambassadeurs du Panama en France et en Grande-Bretagne, ainsi que par le consul général de Panama à Marseille sur des comptes ouverts à la BNP, au CIC, au Crédit lyonnais et au Banco do Brasil. À Marseille, sa fille Sandra exerçait les fonctions de consul général de Panama[19].

Un juge a gelé tous les avoirs de l'ancien dictateur, soit plusieurs dizaines de millions de francs, et a découvert que la famille Noriega avait également investi dans l'achat de trois appartements dans les quartiers chics de Paris : quai d'Orsay pour environ 15 millions de francs, quai de Grenelle et rue de l'Université.

Déposées sur un compte panaméen de la Bank of Credit and Commerce International, les sommes versées à Manuel Noriega par les chefs du cartel de Cali transitaient ensuite par Londres et Paris pour être, enfin, réparties au Luxembourg, en Suisse et en Autriche.

Le mandat d'arrêt international lancé, le par le juge Fiévet contre l'épouse de l'ancien dictateur, suspectée d'avoir participé au blanchiment de l'argent, est toujours en cours[20].

Il a été extradé le vers la France[21]. Noriega est alors incarcéré à la prison de la Santé, à Paris[22].

Le , il est condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de 10 ans de prison et une amende de 75 millions de francs pour blanchiment d'argent issu de la drogue, ses avocats Maître Olivier Metzner et Maître Yves Leberquier, insistant sur l'aspect politique de ce procès, sur l'immunité de son client à l'époque des faits par ailleurs prescrits, à son passé d'agent rémunéré par la CIA[23], assortie de la confiscation de 2,3 millions d'euros, plus un million d'euros de réparations à l'État du Panama, partie civile[24]. Il était libérable en 2011.

Extradition puis emprisonnement au Panama et mort

Le , un décret d'extradition vers le Panama a été notifié à Manuel Noriega par les autorités françaises[25]. Il est extradé par la France à destination de son pays le . Il y est immédiatement emprisonné dans le cadre d'accusations de violation des droits de l'homme.

En 2017, les autorités panaméennes l’autorisent à se faire hospitaliser pour se faire opérer d’une tumeur du cerveau ; à la suite de cette opération, il doit subir une trachéotomie[26] et tombe dans le coma. Noriega meurt sans avoir repris connaissance dans la nuit du au [5].

Culture populaire

Noriega fait une apparition dans deux missions du jeu vidéo Call of Duty: Black Ops II , dans lequel il collabore un premier temps avec la CIA pour capturer l'antagoniste principal du jeu, et un deuxième où il trahit les États-Unis. Par conséquent, l'ancien dictateur intente en 2014 un procès contre Activision pour avoir utilisé son image et son nom sans permission, réclamant des dommages et intérêts[27]. Le tribunal donne finalement raison à Activision, le premier amendement de la Constitution des États-Unis protégeant toute œuvre de l'esprit[28].

Manuel Noriega est surnommé au Panama Cara de piña « Face d'ananas » du fait de la peau de son visage fortement grêlée[29].

Notes et références

  1. « Manuel Noriega, l’informateur de la CIA devenu encombrant », sur Le Monde, .
  2. (en-GB) « Manuel Noriega - from US friend to foe », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
  3. Eric Alterman, « Le retour du « secrétaire d’État aux sales guerres » : La droite dure à la manœuvre au Venezuela », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
  4. « Noriega, le dictateur décoré de la Légion d'honneur », sur Europe 1, (consulté le ).
  5. Jean-Michel Caroit, « Mort de l’ancien dictateur panaméen Manuel Antonio Noriega », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  6. Paulo A. Paranagua, « Paris et Panama réclament l'extradition de Noriega », Le Monde, .
  7. Olivier Acuña, « 10 of the Most Lethal CIA Interventions in Latin America », Telesur, (lire en ligne, consulté le ).
  8. Histoire de l'espionnage mondial, Éditions du Félin, 2002.
  9. Étienne Genovefa et Claude Moniquet, Histoire de l'espionnage mondial, éditions du Félin, 2000 (ISBN 2-86645-382-4).
  10. Steven Emerson, CIA, les guerriers de l'ombre, Economica, , 320 p. (ISBN 2-7178-2075-2), Objectif : Noriega.
  11. Central American Human Rights Commission, Report of Joint CODEHUCA–CONADEHUPA delegation, january–february 1990.
  12. « Crypto AG, l'entreprise suisse qui a permis à la CIA d'espionner 120 pays pendant quarante ans », sur Marianne,
  13. (en) http://www.psywarrior.com/rockmusic.html.
  14. Sarah Diffalah, « Talons hauts et poigne de fer, les espionnes de la Guerre froide racontent », sur L'Obs, (consulté le ).
  15. « Maduro, mort ou vif ! », sur Médelu,
  16. (en) The Conversion of Manuel Noriega.
  17. (en) Simon Tisdall, « Why Manuel Noriega became America's most wanted », The Guardian, 28 avril 2010.
  18. (fr) « Manuel Noriega bientôt extradé vers la France », Le Nouvel Obs, 18/07/2007.
  19. « Noriega recyclait par le canal de Marseille », journal La Marseillaise, 29 juin 2010, [lire en ligne].
  20. « Les réseaux criminels de Manuel Noriega en France », Le Monde, avril 1997.
  21. « Manuel Noriega est arrivé en France », nouveloobs.com, mis en ligne le 27 avril 2010.
  22. Pierre-Antoine Souchard, « French court to decide about Noriega's detention », Associated Press. 5 mai 2010. Consulté le 6 mai 2010.
  23. https://fr.news.yahoo.com/78/20100707/twl-noriega-condamn-7-ans-de-prison-5231d91.html.
  24. « Manuel Noriega condamné à sept ans de prison à Paris », Le Point : « Nous dénonçons une décision à connotation politique qui complait sans doute aux autorités américaines. On continue d'assister à un règlement de comptes … M. Noriega ne comprend absolument pas la décision. Il croyait que la France était un pays où les droits de la défense étaient respectés ».
  25. http://www.romandie.com/news/n/_ALERTE___Decret_d_extradition_vers_le_Panama_notifie_a_l_ex_dictateur_Noriega020820112308.asp Romandie News, mis en ligne le 3 août 2011.
  26. http://actu.orange.fr/monde/panama-l-ex-dictateur-manuel-noriega-subit-une-tracheotomie-CNT000000EQVRv/photos/l-hopital-santo-tomas-ou-est-soigne-l-ancien-dicateur-manuel-noriega-le-9-mars-2017-a-panama-d1ed2e8d382b14098b5467039a10f8f5.html.
  27. « L'ancien dictateur Manuel Noriega porte plainte contre "Call of Duty" », sur nouvelobs.com (consulté le )
  28. « Quand Manuel Noriega portait plainte contre « Call of Duty » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  29. « Face d'ananas, l'informateur de la CIA devenu la bête noire des Américains » sur lemonde.fr.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

Liens externes

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