Jean-Pierre Melville
Jean-Pierre Melville, pseudonyme de Jean-Pierre Grumbach, né le à Paris et mort le dans la même ville, est un réalisateur et scénariste français.
Pour les articles homonymes, voir Melville et Grumbach (homonymie).
Ses films, dominés par la solitude, l'échec et la mort, sont devenus pour la plupart des classiques du cinéma français, notamment les trois films qui forment une trilogie sur la France occupée (Le Silence de la mer, Léon Morin, prêtre et L'Armée des ombres) ainsi que les films Le Doulos, Le Deuxième Souffle, Le Samouraï, Le Cercle rouge, et Un flic. Son écriture et son style visuel entre autres ont inspiré de nombreux réalisateurs américains comme Quentin Tarantino, Michael Mann ou encore Jim Jarmusch.
Biographie
Jean-Pierre Grumbach naît dans une famille juive alsacienne. Abraham, son arrière-grand-père (Wittenheim 1812-Belfort 1879), puis son grand-père Jacques (Belfort 1841-1899), tiennent une boucherie à Belfort. À la mort de Jacques, Pauline, sa femme, fille d’un marchand de chevaux, poursuit l’activité de son mari. Arthur, leur aîné, prend sa suite, mais Jules (Belfort 1875 - Paris 1935), l’autre fils, se lance dans une carrière de négociant en gros de vêtements. Il épouse Berthe, sa cousine germaine, et le couple s’installe à Paris, rue de la Chaussée-d’Antin, et donne naissance à Jacques, en 1902, à Simone, en 1904 (qui décèdera six ans plus tard), à Janine, en 1913, et à Jean-Pierre, le 20 octobre 1917. En vacances à Belfort, Jean-Pierre est tout petit garçon quand il découvre le cinéma dans une brasserie de la ville, La Grande Taverne.[1]
En 1923, alors qu'il a six ans, ses parents lui offrent une caméra Pathé-Baby. Il commence à réaliser ses premiers films en filmant ses proches : ses parents, sa sœur Janine (1912-1978) et son grand frère Jacques (1902-1942). Il est le cousin de Michel Drach et de Nicole Stéphane, qui ont tous deux débuté avec lui.
Au lycée Condorcet, puis au lycée Michelet, il est un élève remuant, dissipé, passable. En 1933, à l'âge de quinze ans, il décide de devenir cinéaste après avoir assisté à la projection du film épique de Frank Lloyd : Cavalcade. Il se vanta d'avoir revu le film une centaine de fois[2]. C'est là que naît sa passion du cinéma américain, qui l'influencera de manière capitale dans son œuvre.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il part rejoindre la France libre à Londres en 1942. C'est alors qu'il prend le pseudonyme de « Melville », en hommage à l'auteur de Moby Dick, Herman Melville[3]. Après la guerre, qu'il passe dans la Résistance, puis en participant au débarquement en Provence, il demande une carte d'assistant metteur en scène qui lui est refusée[réf. nécessaire]. C'est en livrant assaut lors de la bataille du mont Cassin qu'il se serait promis de monter ses propres studios s'il en réchappait. Il devient son propre producteur et tourne un court métrage, Vingt-quatre heures de la vie d'un clown. Plus tard, il économise, achète de la pellicule — au marché noir car, refusant d'adhérer au syndicat des réalisateurs, il ne pouvait obtenir de « bonnes pellicules »[réf. nécessaire] —, et réalise, dans des conditions très précaires, son premier long métrage : Le Silence de la mer, sans l'autorisation de Vercors. Ses méthodes de tournage sont avant l'heure celles de la Nouvelle Vague, ce qui lui vaudra l'appellation de « père » du mouvement, terme qu'il récusera plus tard.
Longtemps perçu comme un intellectuel, à cause notamment de son adaptation très littéraire du Silence de la mer de Vercors, au point de ressembler à Jean Cocteau[réf. nécessaire], le metteur en images tout désigné de ses Enfants terribles, il récusait ce terme, se percevant davantage comme un auteur[réf. nécessaire]. C'est dans cet état d'esprit qu'il tourne Bob le flambeur en 1955, une histoire tantôt truculente tantôt dramatique sur le milieu parisien.
En 1955, il crée ses propres studios, les studios Jenner, dans le 13e arrondissement de Paris au 25 bis, rue Jenner, réinventant l'usage d'un entrepôt au-dessus duquel il vit de 1953 à 1967, descendant même nuitamment préparer les plans du lendemain. Il y produit ses films jusqu'au , lorsqu'un incendie détruit les studios alors qu'il tourne Le Samouraï. Obsessionnel, il persiste à rester dans ses studios, où il monte L'Armée des ombres. En 1961, il travaille avec Michel Mardore pour le producteur Georges de Beauregard à un projet intitulé Les Don Juans (avec Jean-Paul Belmondo et Anthony Perkins), qu'il abandonne au profit du Doulos.
Après l'incendie de ses studios, où il avait un appartement à l'étage, il achète une maison à Tilly, dans les Yvelines, après en avoir visité plus d'une centaine en trois mois[réf. nécessaire]. Située en bordure des champs, elle lui permettait de retrouver la solitude et les grands espaces dont il était friand.
Capable de se montrer aussi bien jovial que glacial, Jean-Pierre Melville se disputait souvent avec son entourage. Il s'est fâché avec un très grand nombre de ses collaborateurs. Anecdotes célèbres : Lino Ventura ne lui adressa plus la parole durant tout le tournage de L'Armée des ombres, ne communiquant avec lui que par assistant interposé. Melville avait déclaré à la presse que Ventura avait eu de très grandes difficultés à monter dans le wagon au début du film Le Deuxième Souffle. En fait, le cinéaste avait caché à son acteur qu'il avait donné l'ordre d'augmenter la vitesse du train. Sur le tournage de L'Aîné des Ferchaux, Melville s'en prenait sans arrêt à Charles Vanel, à la suite de quoi un jour, Jean-Paul Belmondo, qui ne supportait plus ces remontrances, arracha les lunettes et le chapeau de Melville, le poussa violemment pour qu'il tombe, puis quitta le plateau avec Vanel pour ne plus y revenir, ce qui posa de gros problèmes [4],[5].
Pendant plusieurs années, Melville siégea à la Commission de classification des œuvres cinématographiques et pourchassa toute manifestation de la pornographie au cinéma[6]. Il était avant tout un homme nostalgique, se définissant lui-même comme un « passéiste »[7], tentant aussi de réinventer à l'écran les plus forts instants de sa vie personnelle, sans jamais faire du réalisme.
En 1970, il réalise Le Cercle rouge, qui reste son plus grand succès. Le film réunit 4 300 000 spectateurs, et est le cinquième film de l'année au box-office en France. La critique dans son ensemble reconnaît un grand film.
Parfois tenaillé de tendances maniaco-dépressives, il fit ainsi construire une cabane en bois sur le plateau de son dernier film, Un flic, en 1971 et n'en sortait que pour diriger ses acteurs ou régler ses éclairages[réf. nécessaire]. Melville demanda aussi à Florence Moncorgé-Gabin, scripte sur le film, de porter une perruque, car il n'aimait pas la couleur d'origine de ses cheveux[réf. nécessaire].
L'échec relatif d'Un flic en 1972 le toucha considérablement, selon le récit qu'en a fait son ami Philippe Labro dans Je connais gens de toutes sortes.
Il meurt peu de temps après, des suites d'une rupture d'anévrisme[8] survenu dans le restaurant de l'hôtel PLM Saint-Jacques à Paris, alors qu'il travaillait à son nouveau film, Contre-enquête, un sujet d'espionnage avec Yves Montand dans le rôle principal[9]. Philippe Labro dînait avec lui ce soir-là[10]. Il a évoqué les circonstances de la mort du réalisateur dans son récit Je connais gens de toutes sortes.
Jean-Pierre Melville repose au cimetière de Pantin (8e section).
Les bâtiments des studios rue Jenner ont été abattus pour faire place à des immeubles résidentiels. Depuis 2021, une plaque vient rappeler au niveau du 17 bis la présence des studios et les films qui y ont été tournés.
Style
Bertrand Tavernier dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français (2016) vante le ton grave, sombre des films de Melville : il le connut personnellement, étant son assistant, avec Volker Schlöndorff et son attaché de presse.
Philippe Labro définit ainsi l'esthétique de Melville à partir du Samouraï : « est melvillien ce qui se conte dans la nuit, dans le bleu de la nuit, entre hommes de loi et hommes de désordre, à coups de regards et de gestes, de trahisons et d'amitiés données sans paroles, dans un luxe glacé qui n'exclut pas la tendresse, ou dans un anonymat grisâtre qui ne rejette pas la poésie[11] ».
Filmographie
Réalisateur
- 1946 : Vingt-quatre heures de la vie d'un clown (court-métrage)
- 1947 : Le Silence de la mer
- 1950 : Les Enfants terribles
- 1953 : Quand tu liras cette lettre
- 1955 : Bob le flambeur
- 1959 : Deux hommes dans Manhattan
- 1961 : Léon Morin, prêtre
- 1962 : Le Doulos
- 1963 : L'Aîné des Ferchaux
- 1966 : Le Deuxième Souffle
- 1967 : Le Samouraï
- 1969 : L'Armée des ombres
- 1970 : Le Cercle rouge
- 1972 : Un flic
Projets inaboutis
- 1948 : Bubu de Montparnasse, d'après le roman de Charles-Louis Philippe.
- 1961 : Les Don Juans, d'après le scénario original de Michel Mardore[12].
- 1973 : Contre-enquête, avec Yves Montand dans le rôle principal.
Acteur
- 1948 : Les Drames du Bois de Boulogne, court-métrage de Jacques Loew
- 1950 : Orphée de Jean Cocteau, gérant de l'hôtel
- 1952 : Au cœur de la Casbah de Pierre Cardinal, voix off
- 1957 : Amour de poche de Pierre Kast
- 1959 : Deux hommes dans Manhattan, Moreau
- 1960 : À bout de souffle de Jean-Luc Godard, Parvulesco
- 1960 : Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, l'homme du train
- 1962 : Le Signe du Lion d'Éric Rohmer
- 1962 : Le Combat dans l'île d'Alain Cavalier
- 1963 : Landru de Claude Chabrol, Georges Mandel
- 1977 (commencé en 1970) : Urgent ou à quoi bon exécuter des projets puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante de Gérard Courant
Citation
« Le métier du cinéma n'est comparable à aucun autre. Il obéit aux lois qui régissent le «show business» mais tout le monde est d'accord pour reconnaître que personne ne connaît ces lois. Chaque film est un prototype. Une pièce de théâtre cesse d'en être une si elle dépasse la centième. L'effort de chaque représentation n'est plus fait en vain. Tandis que, pour toujours, l'effort de création, de tournage, de distribution et d'exploitation d'un film demeurera un risque total. C'est le métier le plus dangereux du monde. »
— Jean-Pierre Melville, entretien avec Michel Mardore[13]
Postérité
- Remakes, emprunts et citations de l'œuvre de Melville
- The Killer de John Woo, ainsi que Ghost Dog, la voie du samouraï de Jim Jarmusch sont parfois considérés comme des remakes du film Le Samouraï.
- Peu avant le tournage du film Les Infiltrés, Martin Scorsese diffusa à son équipe l'essentiel des « films d’hommes » de Jean-Pierre Melville.
- Alain Corneau connaît son premier grand succès en 1976 avec Police Python 357, film fortement melvillien ayant pour acteurs principaux Yves Montand et François Périer. Leurs personnages sont assez proches de ceux qu'ils interprétaient déjà dans Le Cercle rouge pour Yves Montand et dans Le Samouraï pour François Périer.
- En 2007, Alain Corneau réalise un remake du Deuxième Souffle, avec Daniel Auteuil et Michel Blanc. La critique, dans son ensemble, n'est pas favorable au film.
- C’est Jean-Pierre Melville qui, dans Un flic en 1972, donna à Alain Delon pour la première fois le rôle d’un inspecteur de police. Delon allait reprendre ce type de rôle, tant dans des films de cinéma (Flic Story, Pour la peau d'un flic, Parole de flic, Ne réveillez pas un flic qui dort) que dans des téléfilms (Fabio Montale et Frank Riva).
- Le film Lucie Aubrac de Claude Berri (1997) est fortement inspiré de la froideur hivernale de L'Armée des ombres.
- Quentin Tarantino cite souvent Le Doulos comme l'un de ses (très nombreux) films préférés.
- Les films Léon Morin, prêtre, Le Silence de la mer, Les Enfants terribles, L'Aîné des Ferchaux ont tous été refaits pour la télévision. Jean-Paul Belmondo joue dans les deux versions de ce dernier titre.
- L'affiche du film Le Silencieux de Claude Pinoteau, en 1972, ressemble à celle de L’Armée des ombres tourné en 1969. Les deux films étaient interprétés par Lino Ventura.
- Le Samouraï reste le film le plus célèbre de Jean-Pierre Melville. La publicité récupère régulièrement les motifs, les scènes et l'esthétique de ce film[réf. nécessaire].
- Johnnie To, réalisateur hongkongais, a longtemps projeté de tourner un remake du Cercle rouge.
Notes et références
- L'insouciance.
- Le Cinéma selon Jean-Pierre Melville.
- Breitbart 180
- Incident cité par Yves Boisset dans son livre de souvenirs La vie est un choix (Plon, 2011) et par Jean Paul Belmondo dans son livre de souvenirs Mille vies valent mieux qu'une, Fayard éd., 2016.
- Patrick Cohen sur France Inter, « Brouille entre Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Melville », (consulté le ).
- Voir l'entretien « Variances » du 11/09/1970 (06'38).
- Explicitement déclaré dans le portrait qu'il composa pour André S. Labarthe.
- Hommage au « maître » Jean-Pierre Melville
- Anthologie du cinéma, vol. 8, 1974, p. 593.
- Samuel Blumenfeld, « « Le Cercle
rouge », le fils prodigue de Jean-Pierre Melville. », Le Monde, no 22874, , p. 18 (lire en ligne).5e article, d'une série de six, intitulée « Delon en six films cultes ».
- Rui Nogueira, Le cinéma selon Jean-Pierre Melville, Paris, Cahiers du Cinéma, p. 200.
- La Cinématographie française, no 1930, .
- Candide no 205, .
Voir aussi
Bibliographie
- Alain Delon, Roberto Chiesi, Grenese, 2003.
- Amour, érotisme et cinéma, Losfeld, 1967.
- Call Me Melville, Eric Breitbart, New England Review 27:3 174-183, 2006.
- Le cinéma selon Melville : entretiens avec Rui Nogueira, Seghers, 1974 (Prix Armand Tallier 1974) ; Paris : Ed. de l'Étoile/ Cahiers du cinéma, 1996. Petite bibliothèque des Cahiers, postface par Philippe Labro.
- Le Cinéma français de la Nouvelle Vague à nos jours, Jean-Michel Frodon, Cahiers du cinéma, 2009.
- Conversation avec Claude Sautet, Michel Boujut, Institut Louis Lumière, Actes Sud 1994.
- Dictionnaire du cinéma, Les réalisateurs, Jean Tulard, Bouquins, 2001.
- L'entretien avec Jean-Pierre Melville, François Barat. Paris : Séguier, 1999. Carré Ciné.
- Entretien avec Jean-Pierre Melville, Michel Mardore, les Lettres françaises, .
- Entretiens autour du cinématographe, Encyclopédie du cinéma, 1950.
- Jean-Pierre Melville, Gabriel Vialle, in Anthologie du cinéma, Avant-Scène, 1974.
- Jean-Pierre Melville / mit Beiträgen von Peter Buchka, München : C. Hanser, 1982.
- Jean-Pierre Melville, Jacques Zimmer, Chantal de Béchade, Paris, Edilig, coll. « Filmo », 1983.
- Jean-Pierre Melville, Jean Wagner. Paris : Seghers, 1964, « Cinéma d'aujourd'hui ».
- Nouvelle Vague, Jean Douchet, Cinémathèque française, Hazan.
- La Nouvelle Vague une école artistique, Michel Marie, Nathan Université, cinéma 128.
- Quitte à avoir un père, autant qu'il s'appelle Gabin, Florence Moncorgé, 2003.
- The Ronin, Joan McLeod : source très contestable du Samouraï.
- Bertrand Tavernier, Jean-Claude Raspiengas, Flammarion, 2001.
- Cinquante ans de cinéma américain, Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, Omnibus, 1995.
- Jean-Pierre Melville : de l'œuvre à l'homme (nouvelle édition revue et augmentée), Denitza Bantcheva, Éditions du Revif, 2007.
- Les Statues meurent aussi. Fantômes melvilliens, Raphaël Millet, Cinémathèque, Ed. Cinémathèque française, no 12, automne 1997, p. 78-87.
- Riffs pour Melville, Jacques Déniel et Pierre Gabaston (dir.), Yellow Now, 2010.
- Requiem pour un homme seul. Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, Xavier Canonne, Morlanwelz, Éd. Les Marées de la nuit, 2010.
- Jean-Pierre Melville. Crónicas de un samurái, José Francisco Montero, Santander, Editorial Shangrila, 2014 (ISBN 978-84-942545-4-3).
- Jean-Pierre Melville, le solitaire, par Bertrand Tessier, préface de Philippe Labro, éditions Fayard, 2017.
- Jean-Pierre melville, une vie, par Antoine de Baecque, Seuil, 2017.
Documentaire
- Sous le nom de Melville (76 min), réalisé par Olivier Bohler en 2008, est le premier documentaire long métrage consacré à Jean-Pierre Melville depuis la mort de celui-ci. Il retrace le parcours de Melville pendant la Seconde Guerre mondiale et l'impact de cette expérience personnelle de la guerre et de la Résistance sur l'ensemble de son œuvre de cinéaste ainsi que, indirectement, sur celle de ses héritiers. Sous le nom de Melville comporte en effet des éléments d'entretiens avec des cinéastes comme Johnnie To ou Masahiro Kobayashi qui viennent éclairer a posteriori l'œuvre de J.-P. Melville.
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