Histoire de la justice
L’histoire de la justice est le courant historique étudiant la justice, ses pratiques, ses influences et ses évolutions dans les sociétés passées.
D'après les théories du contrat social, il ne peut exister de civilisation sans droit. Les premières civilisations datent de la préhistoire, et plus précisément du Néolithique avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage. On peut donc en déduire que les premiers droits ont été élaborés à cette période.
Les groupes humains se rapprochant pour former des villages, des règles de vie en communauté (ou droits) ont surement dû être élaborées pour déterminer le partage des récoltes et punir les premiers criminels. Cependant, ceci n'est qu'une hypothèse car il n'existe plus aucun témoin, ni trace (l'écriture n'ayant pas encore été inventée).
Sources et méthodologie
L’histoire de la justice en tant que telle s’est développée tardivement, au cours des années 1970 et 1980. Auparavant, les sources sur les réalités judiciaires anciennes étaient utilisées par les chercheurs pour l'étude des pratiques sociales et économiques.
Depuis lors, l’intérêt des historiens porte sur des thèmes propres au monde de la justice, sans nier les liens avec les pratiques sociales et le rôle de la justice dans de nombreux aspects des sociétés (en cela, l’histoire du droit, construit et s’appliquant à une société, fait bien partie du grand ensemble des sciences sociales). L’historien cherche ainsi à comprendre l’écart entre le droit et les pratiques, tout en refusant de s’attacher au singulier (aux situations personnelles) pour saisir l’essence des pratiques juridiques. Il porte également son intérêt au contexte normatif et institutionnel (qui peut être décrit dans les corpus de lois conservés) et aux formes juridiques (les procédures, les interprétations de la loi…). Ainsi, les trois pistes de recherches privilégiées dans les études récentes sont la violence/criminalité, le procès et la prison. Certains portent également leur attention sur la sociologie de la justice : professions du droit, plaignants et accusés…
Les sources disponibles pour ces recherches sont donc variées. Pour les périodes anciennes, elles consistent en corpus de lois conservés, en commentaires par des juristes, mais aussi en passages conservés dans des sources plus narratives : des textes d’historiens anciens mentionnant des procès, des crimes, ou même des plaidoyers/réquisitoires comme on en a conservé pour les civilisations grecques et romaines.
Les périodes plus récentes, dès les Temps Modernes, permettent, outre l’étude des codes de lois, des commentaires des juristes et des discours, de baser les recherches sur les nombreuses archives juridiques conservées : judiciaires, pénitentiaires… On retrouve dans ces archives des textes normatifs imprimés, mais aussi des sources manuscrites sur les procédures appliquées, des actes de la pratique, des témoignages en justice.
Du point de vue de la méthode, l’étude des textes (historiens anciens, plaidoyers/réquisitoires, commentaires de juriste et textes de lois) doit se faire en portant une attention particulière à l’aspect formel du droit (les procédures, les contrats…) et à la qualification des actes jugés comme prohibés (puisqu’ils influent sur les décisions du tribunal et documentent une vision qui est celle de la société concernée) : en cela, le droit ne s’applique pas directement aux faits mais à des catégories, qui permettent l’interprétation des faits.
Pour les masses documentaires disponibles à partir de la période moderne, l’approche quantitative est plus courante. Elle se base sur deux étapes : d’abord, la constitution d’un corpus (qui peut se dérouler selon trois fonctionnements : chercher à être le plus exhaustif, procéder à un échantillonnage, ou se concentrer sur un espace géographique restreint, mais en étant exhaustif à son sujet). Ensuite, ce corpus peut être analysé selon les questions de recherches du chercheur : il peut, par exemple, s’agir de la répartition socio-culturelle des plaidants, ou de la durée et des coûts des procès. Ces différences de pratique ont ainsi creusé l’écart entre les historiens de la justice antique et médiévale et ceux centrés sur la justice moderne et contemporaine.
L’histoire de la justice est un courant historique pratiqué à la fois par des historiens intéressés par le droit et par des juristes portant de l’intérêt à l’histoire, ce qui assure à ce courant une diversité bienvenue de perspectives pour l'avancement de la recherche[1].
Antiquité
Depuis l'Antiquité, la sphère de la justice et de la politique sont intimement mêlées. Cette situation conduit à une personnification du pouvoir judiciaire, où la justice est un arbitrage du souverain.
Les sources dont disposent les historiens permettent de retracer l'origine de la naissance de la justice (telle que nous la connaissons) en plusieurs étapes. Tout d'abord, les sociétés humaines établissent un droit préexistant qui permet le règlement de conflits par l'application de règles. Et ensuite, une schématisation et une généralisation de ces règles conduisent à la création d'un système juridique[note 1].
Naissance de la notion du droit
Le plus ancien texte de loi que l'on connaisse[note 2] est le code d'Ur-Nammu rédigé vers 2 100 av. J.-C.[2] mais il ne nous est parvenu que de manière parcellaire. Le Code de Hammurabi (-1750) qui est considéré (à tort) comme le plus ancien texte de loi est en réalité « le recueil juridique le plus complet qui nous soit parvenu des civilisations du Proche-Orient ancien, antérieur même aux lois bibliques »[3].
Le Code de Hammurabi est un système répondant aux préoccupations de la vie courante (mariage, vol, contrat, statut des esclaves…) avec une prédominance à la loi du talion en matière pénale. Il est d'inspiration divine mais pas religieux.
D'autres civilisations ont pu connaître un droit. L'Égypte antique connaissait une forme de règlement des conflits. La justice y était vue comme un moyen de retourner vers le calme, le chaos étant une anomalie qu'il faut supprimer.
En Chine[4], la situation est équivalente. Des règles existent mais le droit est considéré comme une anomalie, les conflits devant être réglés par le calme et la collaboration plutôt que par la dispute.
Tous ces systèmes ont en commun d'être catégorisés comme des pensées pré-juridiques car même si certaines catégories existent déjà (comme la notion de voleur), d'autres notions qui nous sont fondamentales aujourd'hui ne sont pas développées (comme le vol ou la preuve). Des règles juridiques existent mais il n'existe pas encore de théorie juridique ou de doctrine. Il faudra attendre la Rome antique pour voir apparaitre les premières théories du droit et de la justice.
Création de la notion de justice par le droit
La civilisation romaine est la première à avoir constitué des théories juridiques qui nous soient parvenues. Le droit romain, peut donc être considéré comme le premier système juridique[5],[note 1].
Le droit romain définit clairement des catégories juridiques (voir par exemple : ius civile, ius gentium et ius naturale). La justice n'est plus inspirée par les dieux mais uniquement sous leur patronage. La vie politique est organisée par le droit et les premières constitutions (constitution romaine) voient le jour. Cependant, « Rome ne s'est pas construite en un jour » et il est difficile de dater précisément le début de la pensée juridique romaine.
Le droit romain après avoir développé le droit finit donc par créer la première justice de l'histoire.
À sa suite d'autres droits deviennent juridiques. La Chine[6], elle-même puis le Japon influencé par la Chine développent un embryon de système juridique[6].
Et les justices religieuses ?
En tant que tel, il n'y a pas à proprement parler de justice religieuse pendant l'Antiquité.
S'il existe un droit juif qui est plus ou moins toléré par les dignitaires des civilisations grecques et romaines, les institutions juives de l'antiquité font débat ; leur rôle exact et leur importance effective restent discutés. L'attirance pour le droit local (grec puis romain) puis la persécution de leurs membres rend difficile l'élaboration d'une théorie complète de la justice et sa mise en pratique dans des institutions spécifiques[7].
La justice chrétienne suit un parcours plus alambiqué. Religion persécutée[8], celle-ci ne constitue pas une justice en tant que telle pendant l'Antiquité. Occupée à assurer son pouvoir et à se développer l'élite chrétienne ne développera une justice-institution qu'à partir du Moyen Âge.
Moyen Âge
Constantes et variantes
Pendant le haut Moyen Âge, la diversité culturelle des peuples dit "barbares" empêche une unité judiciaire. Chaque population possède son propre système juridique basé sur la coutume qui lui est propre. Souvent plusieurs lois peuvent être applicables : droit romain, droit local (ou régional) ou droit canonique.
Ainsi, les chartes du VIe au XIIe siècle mentionnent les origines des parties. Cette mention vient du système de la « personnalité des lois », en place dans les royaumes barbares. Dans ce système, chaque personne obéit à sa « propre loi », c’est-à-dire à la loi de son peuple. Par exemple, dans le royaume des Francs mérovingiens, trois lois dominent : la loi salique pour la majorité des Francs, la loi ripuaire pour une minorité franque et la loi romaine (soit le Code Théodosien) pour les Romains. Il existe également d’autres lois appliquées, à moins de personnes cependant. L’expansion sous les premiers Carolingiens placera sous le pouvoir des Francs de nouveaux peuples, jugés selon leur droit propre (Lombards, Burgondes, Alamans, Bavarois…), ce qui poussera les souverains à fixer par écrit des codes de lois, calqués sur le modèle romain[9].
La personnalité des lois est principalement en vigueur pour le droit pénal. Elle s’oppose au système de territorialité des droits (où l’on applique une loi en fonction de l’espace géographique concerné par le délit) qui s’applique aux questions des droits publics[10].
Cette diversité est l'une des constantes du droit au Moyen Âge. La désunion des peuples sera à l'origine d'un morcellement du droit et de la justice qui a perduré jusqu'à l'époque moderne.
Naissance de la justice chrétienne
Dès l'Antiquité, on peut trouver des traces de droit chrétien (ou canon) mais c'est au Moyen Âge que le droit canon prend toute son importance.
Seul droit vraiment uni, il s'inspire du droit romain (Pierre Legendre parle de "droit romain second") et possède des institutions organisées et stables. L'Église catholique romaine juge des conflits qui lui sont soumis en raison de leur nature religieuse (tel le mariage qui ne peut être jugé que par les juges religieux) ou en raison de leur zone géographique (conflit se déroulant sur son territoire).
Selon le médiéviste Robert Jacob, « tandis que l’emploi de l’ordalie et du serment comme modes de résolution des litiges est partout attesté dans l’Ancien Monde, l’Occident latin est la seule aire culturelle qui tout à la fois en ait usé abondamment pendant plusieurs siècles de son histoire et les ait combiné avec le monothéisme[11] ».
Ce « modèle carolingien », comme l’appelle Robert Jacob, se répand dans toute l’Europe jusqu’au XIIe siècle, période qui voit une révolution processuelle donnant à la justice occidentale son visage actuel[11]. La renaissance du XIIe siècle se manifeste notamment par la redécouverte du droit romain dans les universités médiévales, laquelle donne lieu au quatrième concile du Latran en 1215 (canon 8, Qualiter et quando), lequel fixe le "mode inquisitoire", qui peut désormais être mis en œuvre alternativement au "mode accusatoire" et au "mode de dénonciation". Le concile interdit également au clergé de recourir aux ordalies. Peu à peu, la procédure inquisitoire devient dominante dans les pays de tradition romano-canonique pour juger les causes judiciaires les plus graves (au pénal), à l'exception du monde anglo-saxon[12].
Naissance du droit romano-germanique
Il faut rappeler que dans l'Europe médiévale, l'usage du latin est courant parmi les élites[note 3] et que même si la Rome antique est mal vue par la toute puissante Église (qui la qualifie de païenne), le désir commun de reprendre la tradition juridique, idéalisée de la Rome antique est grand. Ce désir aboutit à la création et à l'usage du corpus iuris civilis (recueil du droit romain de l'époque de Justinien) et du corpus iuris canonici (recueil du droit canon)[note 4].
La Justice de l'Europe médiévale (ou plutôt les justices)[note 5] est donc constituée par une interprétation d'un amalgame des règles supposées de la Rome antique et du droit religieux chrétien en constitution.
Le droit des relations entre personnes (qui deviendra le droit privé) est dominé par le droit romain qui prédomine encore actuellement dans le droit des contrats. Le droit pénal est originellement dominé par le droit canon qui ne fait pas encore la distinction entre justice des hommes et justice de Dieu. Le jugement de Dieu (appelé ordalie) et la torture sont normaux.
La Justice sert les intérêts de la société dans son ensemble et il n'existe pas de droit des individus.
Naissance du droit musulman
Il est assez difficile de définir le droit musulman pour les chercheurs Occidentaux. En effet, d’une part, il s’agit d’un système juridique à part[13], et d’autre part, avant d’être une culture ayant produit un droit pour organiser la vie en société, c’est une religion et ensuite un État[14]. On peut cependant le définir comme « le droit qui régit les adeptes de l’Islam ». Après les grandes conquêtes des VIIe et VIIIe siècles, la division politique des territoires musulmans a favorisé les particularités locales, les variantes dans le droit et l’émergence de quatre écoles divergentes (mais cependant toutes considérées orthodoxes)[15]. Ainsi, plutôt que de parler d’un droit musulman, il convient de parler de droits musulmans[14].
Longtemps, les chercheurs ont analysé ce droit en comparaison avec les traditions juridiques occidentales. Il est cependant compliqué d’établir cette comparaison, car le droit musulman est subordonné à la religion et comporte des règles morales (par exemple, la prohibition de l’intérêt dans les contrats)[16].
Les sources de ce droit sont multiples. Tout d’abord, le Coran, texte sacré, en est le texte de base. Cependant, il s’agit d’un texte religieux et non judiciaire. Il est donc insuffisant. La sunna et le tafsir (explication textuelle) sont ainsi une première source de fondements supplémentaires. Ensuite, l’idjma (l’assentiment de la communauté, se basant sur des théologiens et des juristes), le kiyos (le raisonnement analogique, qui permet de traiter de façon similaire des cas distincts mais très proches) et l’orf (la coutume) élargissent enfin les possibilités de réflexion[17].
Pourtant, le droit musulman a également tiré des éléments de cultures extérieures, des influences préislamiques[18], que l’on peut classer selon deux types. Premièrement, comme il s’agissait d’une foi récente, elle s’est imprégnée de concepts préislamiques (notamment de concepts déjà existant dans les deux autres grandes religions monothéistes, plus anciennes). Deuxièmement, suite au phénomène des immenses conquêtes, le droit musulman a également été bâti sur en subissant des influences des nombreuses peuplades soumises et incorporées dans le Califat[19].
Naissance de la common law
L’Angleterre a connu une évolution juridique singulière au cours du Moyen Âge central. La conquête du royaume par Guillaume le Conquérant en 1066 en a radicalement changé le fonctionnement politique et judiciaire. Les rois Anglo-Normands ont réussi à faire la synthèse des traditions préexistantes sur l’île et des leurs. Cette évolution conduira non pas à l’établissement d’un État féodal comme dans la plupart des pays continentaux, mais à la mise en place d’un État semi-bureaucratique et centralisé. Ce fonctionnement politique fait en effet de la monarchie anglaise la monarchie la plus forte de l’époque notamment en termes de possibilités fiscales et d’efficacité dans l’organisation du territoire[20].
Ce choc culturel et cette organisation politique eurent des conséquences sur la façon d’envisager le droit. Auparavant, la société était régie par les lois locales et le droit coutumier[20]. Après le choc de la conquête et du retour à la très incertaine loi orale, les rois ont construit un droit en en faisant leur chasse gardée. Dès Guillaume le Conquérant, la loi épiscopale et la loi laïque sont séparés. Dès Henri Ier, un Justicia est en place comme chef de l’administration et vice-roi en l’absence du souverain. Au niveau local, le nombre de juges par province est augmenté et des tribunaux royaux sont mis en place, tribunaux qui deviennent la première instance pour tous les hommes libres. Au niveau central est établi le Bench of Common Pleas, composé de juges permanents[21].
Dans ce cadre, un corps de juges royaux se forma. Ceux-ci se spécialisèrent, devenant ainsi des professionnels du droit, ayant pour la plupart une connaissance pratique plus que théorique, appliquant tous une loi commune. D’origines et de milieux différents, ils avaient pour point commun d’être au service du roi[22].
Ce système combinait donc les avantages de la présence de juges locaux (connaissant la réalité du terrain) et des juges fixes au niveau central. Dans ce contexte, l’importance des courts seigneuriaux et le pouvoir des barons s’en trouvèrent fortement diminué au profit du roi, celui-ci donnant des injonctions précises au tribunaux locaux pour la gestion des cas[23].
La Common Law avait d’autres caractéristiques qui détonne dans le contexte européen de l’époque. L’archivage des tribunaux locaux était pratiqué. Il s’agissait d’une action laissée aux nouveaux juges pour perfectionner leur apprentissage. Cette opération permettait d’utiliser la jurisprudence : pour avoir accès aux tribunaux, il fallait qu’une plainte soit semblable à des cas archivés, même si les juges royaux gardaient une liberté d’ajouter des cas ou de refuser des cas semblables[24].
De même, la Common Law abandonne dès le XIIe siècle les modes de preuves archaïques tels que l’ordalie ou les combats juridiques. Elle se développe avec un nouveau mode de décision, le jury, mieux considéré car considéré comme un mode de preuve moins primitif et moins unilatéral. Le roi voyait en effet d’un mauvais œil ces systèmes anciens, qui l’empêchaient de punir les criminels et d’asseoir son autorité[25].
Cette centralisation avait pour avantage d’offrir un accès plus large à la loi à la population. Cependant, la longueur de ce processus nécessitant des auditions et une enquête constituait un inconvénient, si bien que parfois, le procès n’avait pas lieu mais était remplacé par un ordre exécutif pour prendre les mesures nécessaires à la réparation, appelés Writs[26].
La Common Law n’apparait donc pas comme une architecture bâtie d’un coup par un homme mais comme une construction de longue haleine, débouchant aux alentours de 1200 sur l’existence en Angleterre d’une loi nationale, et plus d’une multitude de traditions locales, comme auparavant en Angleterre et en même temps en Europe continentale[27].
Du siècle des Lumières à la modernisation de l'État
Au cours du XVIIIe siècle, le « siècle des Lumières », la réflexion sur la législation est foisonnante et est à la base d’une abondante littérature. Aux grands penseurs tels Diderot et Rousseau, des grandes réformes juridiques, améliorant la situation de la population, apparaissent possibles grâce à la Raison[28]. L’importance de la Raison apparait notamment dans l’Esprit des Lois de Montesquieu[29]. On peut en effet définir les Lumières comme « divers courants de pensée rationaliste et empiriste qui se sont développés au XVIIIe siècle dans les pays d’Europe occidentale, surtout en France et en Angleterre »[30]. Ceux-ci voient les sociétés comme le résultat de contrats liant les individus en communauté, basés sur l’égalité, la liberté et l’universalité[31].
Les chercheurs ont tenté de désigner les causes de ce foisonnement : le développement de la bourgeoisie (plus ouverte à la création de droit sur base des situations-problèmes rencontrées et elle-même liée aux Lumières)[30]; la croissance et l’élargissement des marchés économiques; les intérêts intellectuels des auteurs[32].
Les Lumières considèrent qu’il est possible de mettre en place des lois afin de veiller au bien général, basées sur la raison individuelle[33]. Elles s’opposent ainsi clairement à la tyrannie et défendent la propriété privée[34].
Un exemple factuel peut être présenté : D’Alembert salue le fonctionnement de la justice dans la République de Genève de son époque. Le fonctionnement de la justice est, en effet, exemplaire et donne des gages d’impartialité. En effet, un procureur général est élu pour 3 ans; il a pour fonction de représenter l’État et de défendre les agressés. Cependant, il doit qualifier le délit et détailler les raisons de demander la peine. Tout cela se déroule avec une vérification de la légalité de la procédure et un tri des éléments pertinents : chaque réquisitoire est donc équitable et la justice s’ancre dans la certitude. La présomption d’innocence s’ajoute comme nouveauté de ce système et un avocat est présent pour défendre l’accusé. Contrairement au système d’Ancien Régime en France, le jugement doit être motivé en public, afin de limiter l’arbitraire du juge. Les Lumières soulignent la modération de la justice : l’abolition de la torture, le recul de la peine de mort et du bannissement perpétuel et le développement de la « prison domestique »[35].
La Révolution française permettra à ces idées de passer dans le domaine du réel[36]. La fin de ce processus de débat législatif consistera en la promulgation du Code Civil par Napoléon en 1804[37]. On notera aussi le développement de ces idées des Lumières dans le contexte allemand, avec des philosophes comme Kant[38].
Époque Contemporaine
Justice et industrialisation
Le développement de l’industrie et de la concurrence au XIXe siècle impactent les conditions de travail notamment des ouvriers. Afin de garder leurs profits, les patrons en demandent toujours plus et les quelques grèves seront réprimées assez lourdement[39]. La journée de travail varie de 13 à 15 heures sans possibilité de jour chômé, le travail des enfants commence dès l’âge de 4 à 5 ans dans les usines textiles et dès 13 ans dans les mines depuis 1813. Cette situation dépeinte par Victor Hugo et Charles Dickens, et la mise en garde du docteur Villermé sur les maladies du travail et les épidémies, vont alerter petit à petit les États. Certains patrons vont eux-mêmes réagir face à la misère ouvrière et mettre en place des innovations sous le principe qu’un patron doit autre chose à son salarié que sa simple rétribution[40].
Là où Mazeaud parle de « désert social », on voit apparaître les premières préoccupations sociales. En France le 22 mars 1841, on interdit le travail des enfants de moins de 12 ans à 8h par jour et on interdit le travail des enfants de moins de 8 ans dans des entreprises de plus de 20 salariés. Cet acte est considéré comme la première loi sociale bien qu’elle ne fût jamais appliquée. D’autres réformes proposées lors de la Révolution de 1848, comme la limitation de la journée de travail à dix heures pour les adultes, resteront sans suite. Cependant, le 25 mai 1864, le vote de la loi abrogeant le délit de coalition et reconnaissant implicitement le droit de grève est obtenu par le mouvement ouvrier. Il faut attendre les années 1880 pour voir un intérêt des pouvoirs publics à essayer de réduire la misère ouvrière. Ce changement d’attitude se comprend notamment par la montée du marxisme et du socialisme qui s’attaque au système capitaliste. L’État va alors réglementer le travail et promulguer des lois et accords visant à faciliter l’action ouvrière et améliorer la condition des travailleurs. Tout d’abord, le 21 mars 1884, la liberté d’association professionnelle est reconnue. Apparaissent, alors, les syndicats d’employeurs et de travailleurs. Le 10 mai 1884, la IIIe république interdit le travail des enfants de moins de 12 ans et met en place une inspection du travail qui peut mettre en demeure ou saisir en justice un employeur. Le 12 juin 1893, on oblige les employeurs à respecter des règles d’hygiènes pour lutter contre l’insalubrité des locaux professionnels. De plus, le 9 avril 1898, la loi protège le salarié contre les accidents de travail. Ensuite, on réglemente la durée de travail en imposant un repos hebdomadaire par la loi du 13 juillet 1906. Enfin, les accords Matignon de 1936 établissent les bases du travail collectif : on instaure les procédures de règlements des conflits collectifs de travail, on décide que la convention collective devient source de droit. C’est l’apparition des délégués du personnel, de la semaine de 40 heures et des congés payés. Toutes ces réglementations vont améliorer les conditions de vie des travailleurs[41].
La période de 1892 à 1936 est vraiment marquée par un souci de protection légale des travailleurs et de législation industrielle. La volonté de protection d’un individu dans son activité de travail se base sur la crainte d’un embrasement social dans les années 1900, l’essor du mouvement ouvrier, la volonté des élites d’inclure davantage la classe ouvrière dans la République et la dénonciation des conditions ouvrières par l’Église catholique[42]. Un code du travail apparait le 28 décembre 1910 et on va y ajouter progressivement les lois ouvrières faisant naître un véritable droit du travail. L’apparition de ces lois ne se s’est pas faite partout au même moment : à Zurich le 7 novembre 1815, on adoptait déjà une loi interdisant le travail des enfants de moins de 9 ans et le limitant à 12 ou 14 heures pour les autres avec l’obligation de suivre l’école. En Grande-Bretagne, ces mêmes lois sur la limitation du travail des enfants sont votées en 1819 et en Prusse dès 1853[43].
Justice sociale
Au début du XXe siècle, on retrouve une définition large de la justice sociale (ou distributive) dont les prémices se retrouvent dans Les principes d’économie d’Alfred Marshall en 1890. On y retrouve un principe d’équitabilité entre les individus à la naissance qui a pour but de libérer de la pauvreté et du travail mécanique excessif. L’apparition d’une « sécurité sociale » arrive avec le New Deal de Franklin Roosevelt dans l’optique de soulager les charges financières pesant sur la main d’œuvre qui avait une famille à charge[44]. Le socialisme se voit qualifier en 1910 comme un phénomène cosmopolite, opposé au patriotisme et au militarisme. Le mouvement revendique l’égalité des chances même avec les grands capitalistes[45].
En 1919 est fondé l’OIT (organisation internationale du travail) en accord avec la partie XIII du traité de Versailles[46]. Les principes fondateurs de l’OIT placent la justice sociale au cœur de sa mission formulée comme telle : « Une paix universelle ne peut être fondé que sur la base de la justice sociale ». Cette promesse se comprend comme une réponse aux revendications du mouvement ouvrier réformiste qui se trouvait au sein de l’union sacrée durant la Première Guerre mondiale. La demande formulée à Leeds en 1916 était de créer une organisation internationale du travail qui serait le parlement au niveau mondial où l’on discuterait les revendications sociales du mouvement ouvrier rejoint par le christianisme social. En réalité, les bases de cette organisation se trouvait déjà dans la réforme libérale dont l’OIT a notamment hérité l’Association pour la protection des travailleurs. L’activité réformatrice se compose en 1919 de trois volets : la protection, la redistribution et la négociation collective. Dans le préambule et les principes généraux de la constitution de 1919 (substitué en 1944 par la déclaration de Philadelphie), on retrouve les objectifs généraux théorisant l’idée de justice sociale :
« [la]réglementation des heures de travail, la fixation d'une durée maximum de la journée et de la semaine de travail, le recrutement de la main-d’œuvre, la lutte contre le chômage, la garantie d'un salaire assurant des conditions d'existence convenables, la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail, la protection des enfants, des adolescents et des femmes, les pensions de vieillesse et d'invalidité, la défense des intérêts des travailleurs occupés à l'étranger, l'affirmation du principe « à travail égal, salaire égal », l'affirmation du principe de la liberté syndicale, l'organisation de l'enseignement professionnel et technique et autres mesures analogues ».[46]
Le travail normatif de l’OIT vise donc à la création d’une sorte de code du travail mondial. Celui-ci s’inspire des nations les plus avancées en termes de loi sociale. Mais sous la pression des États-Unis, ces objectifs d’unifications mondiales ont été réduits à la dépendance des logique nationales. Ces blocages n’ont pas empêché l’organisation d’accomplir un travail normatif important dans l’entre-deux-guerres et aujourd’hui il reste encore 67 des 189 conventions signées entre 1919 et 1939[46].
Dans le même temps, apparaît l’État-providence qui rompt avec la conception libérale de l’État qui le cantonnait au rôle de gendarme. Ici, il occupe un rôle important dans la vie sociale et économique en accord avec les impératifs sociaux. Au début du XXe siècle, le terme d’État-providence se comprend au sens de l’intervention de l’État dans la prise en collective des fonctions de solidarités[47]. L’apparition de cette nouvelle forme étatique n’a pas eu lieu de manière linéaire et peut se découper en trois grandes périodes constituant à chaque fois une rupture avec ce qui prévalait antérieurement. C’est le mouvement en faveur des assurances sociales pour les ouvriers qui constituent la première rupture. La question sociale se métamorphose alors durant le période 1870-1935 moment où la population s’inscrit dans une nouvelle civilisation du travail émergeant de la révolution industrielle. Le contexte de l’époque est celui de l’extension des marchés, de la paupérisation des masses ouvrières et de la croissance des mouvements socialistes. Intervient alors, une prise de conscience de la part des élites sur le sort des ouvriers et l’idée de la nécessité d’étendre la protection sociale et d’en garantir l’existence. Bien que de nombreux réformateurs, experts et hommes politiques adhèrent à ces principes, ils se heurtent à une grande partie du corps social encore attachée aux solidarités volontaires et à la charité publique. Cependant de la fin du XIXe siècle aux années 1930, le modèle bismarckien des assurances sociales va s’imposer dans tous les pays. Deux autres ruptures vont encore traverser le XXe siècle conduisant à l’État-providence et la justice sociale que nous connaissons aujourd’hui[48].
Le ségrégationnisme américain
Officiellement, la fin de la Guerre de Sécession (1861-1865) a vu l’obtention des droits civiques à la population afro-américaine des États-Unis. Ces derniers sont passés du statut d’esclave au statut de citoyen. Cependant, le sud du pays a mis en place en 1890 un système d’oppression raciale basé sur la violence et privant le droit de vote des Afro-américains. Ce système est nommé le « Jim Crow » en référence à un personnage de minstrel show où des acteurs blancs jouent des personnages noirs dans des scènes caricaturales. Ce système est resté en place jusque 1964[49].
La première tentative de législation ségrégationniste a eu lieu après l’assassinat du président Lincoln avec l’établissement des Black Codes, des lois servant à encadrer la liberté des Afro-Américains. En 1868, l’adoption du XIVe amendement garanti l’égalité de tous les citoyens devant la loi et les Assemblées ayant votés en faveur des Black Codes sont dissoutes[50].
Les lois raciales refont progressivement leur apparition dans les années 1870 avec l’interdiction du mariage entre blanc et noir, la ségrégation scolaire et l’instauration d’installation séparées pour les noirs dans les lieux publics. En 1883, la Cour suprême décriminalise la discrimination venant de particuliers ou d’entreprises privées sous prétexte que le XIVe amendement ne s’applique qu’aux États. L’adoption du vote censitaire dans les États du sud en 1889 ne touche pas que la population Afro-américaine mais a tout de même provoqué la disparition de la moitié des électeurs noirs. On considère que 1890 marque le début légal du « Jim Crow » puisque le Mississippi instaure une clause dans sa Constitution qui permet de priver les Afro-américains de leurs droits. La ségrégation s’est ensuite progressivement étendue légalement dans le reste du pays[51].
Parallèlement, un système répressif, le convict leasing, a été installé pour empêcher la population Afro-américaine de remettre la ségrégation en cause. Les réfractaires aux lois raciales risquaient d’une part une condamnation arbitraire aux travaux forcés et d’autre part des représailles sur leurs biens ou leurs proches de la part de groupes suprématistes tel que le Ku Klux Klan. La main d’œuvre des condamnés aux travaux forcés était utilisée pour les travaux publics mais pouvait également être louées à des entreprises privées. Une fois le contrat de location signé, l’État perdait tout contrôle sur l’usage du condamné. Le convict leasing est abandonné en 1908 au profit de la prison ferme et du chain gang. Ce dernier système consiste à enchainer les condamnés les uns aux autres pour les faire travailler dans les champs ou sur la voirie. Le chain gang reste en place jusque 1960[52].
Les règles ségrégationnistes tendent à s’assouplir à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, les Afro-américains accèdent à la vie politique grâce à l’accès aux listes électorales[53].
Les lois antijuives du régime nazi
Les projets des Nazis vis-à-vis des Juifs ont été édictés le 24 février 1920. Cette politique antijuive prévoyait de retirer la nationalité allemande aux Juifs. Dès lors, les Juifs n’auraient pas le droit de vote et ne seraient considérés que comme des apatrides soumis à la législation sur les étrangers. Le 9 mars 1933, trois mois après l’élection d’Hitler à la chancellerie, est mis en place la völkische Politik. La völkische Politik vise l’interdiction de l’immigration de juifs sur le territoire allemand et l’expulsion des juifs n’ayant pas de permis de séjour. Toute naturalisation est également abandonnée. Cette politique est renforcée en juillet de la même année par l’annulation de toutes les naturalisations prononcées depuis 1918. Dans le même mois, les Juifs se sont aussi vu interdire l’accès aux divertissements publics. Durant le mois d’avril 1933, plusieurs lois sont promulguées pour interdire aux non-aryens de travailler dans le domaine public. S’inscrire à l’université a également été proscrit pour éviter une surpopulation académique. Enfin, les lois de septembre 1933 interdisent aux Juifs de posséder des terres agricoles[54]. Dans le même temps, des arrestations arbitraires, des passages à tabac et assassinats sont opérées sur les Juifs par la SA[55].
Le 15 septembre 1935 sont promulguées les trois lois dites de Nuremberg. La première loi dit que le drapeau nazi est dorénavant le drapeau national. La deuxième loi reprend les principes de février 1920 et prive les Juifs de la totalité de leurs droits civiques. La troisième loi vise la protection de la pureté de la race aryenne en interdisant les mariages et les relations sexuelles entre aryen et non-aryen. Cette loi est rétroactive et annule les mariages mixtes déjà contractés auparavant. De plus, il est interdit pour les Juifs d’employer des aryens[56].
Dans les années 1930, les Nazis ont utilisés trois méthodes pour diminuer l’impact des populations dangereuses pour la pureté de la race. La première méthode est l’expulsion du territoire. La deuxième méthode est la concentration de ces populations dans des quartiers fermés, les ghettos. La troisième méthode est la stérilisation des individus. L’obligation de se faire stériliser était décrétée par des tribunaux spécialisés[57].
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 a lieu la nuit de Cristal. Les commerces juifs ont été pillés et les synagogues incendiées par la population allemande. On note alors l’absence de réaction de l’État si ce n’est pour empêcher que les incendies ne se propagent au-delà des synagogues.[58]
L’invasion de la Pologne commence le 1er septembre 1939. Les troupes de la Wehrmacht sont alors suivies des Einsatzgruppen, des groupes d’opérations missionnés d’éliminer les populations juives de Pologne. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah par balle[59]. En janvier 1942, Hitler ordonne l’élimination systématique des Juifs d’Europe après déportation, la solution finale[60].
La justice communiste
Après la Seconde Guerre mondiale, le monde s’est divisé en deux blocs opposés. Le bloc de l’Ouest préconise une justice libérale. Il s'agit d'une forme de justice dont l’objectif premier est de garantir la liberté de tout individu tant que cela n’empiète pas la liberté d’autrui. Ainsi, cette justice vise à punir les individus qui nuisent à la liberté d’autres individus[61].
Le bloc soviétique ou bloc de l'Est diffère de l’Ouest du point de vue de la justice. En effet, les Soviétiques ont établi une justice dont le but est de protéger l’idéologie de l’État. Les moyens mis en place par les juristes soviétiques sont la répression et la rééducation. La répression vise les individus jugés les plus dangereux tandis que la rééducation vise les individus jugés inconscients de leurs actes[62]. Ce jugement s’effectue en fonction de la nature du danger: action ou omission de la part de l’individu[63]. Les peines encourues sont les suivantes : la privation de liberté, l’interdiction de séjour, le travail correctif, la privation de droit, l’amende, le blâme, la confiscation de biens et la rétrogradation militaire. La peine de mort par fusillade est réservée aux traitres et aux meurtriers[64].
Une caractéristique du droit pénal soviétique est sa rétroactivité là où les lois libérales n’entrent en vigueur qu’à partir de leur promulgation. Ainsi l’URSS punit les individus pour des actions qu’ils ont commises avant qu’ielles ne soient rendues illégales[65]. Le régime communiste chinois partage aussi cette rétroactivité des lois[66].
Conflit entre droit et religion
Il existe dans le droit européen un concept d’accommodement ou aménagement raisonnable qui désigne des caractéristiques inhérentes à certains individus constituant un motif prohibé de discrimination dont fait notamment partie une croyance religieuse. Cette caractéristique selon l’environnement physique, social ou normatif dans lequel il se trouve peut l’empêcher d’obtenir un emploi ou de bénéficier d’un service accessible à tous. L’« aménagement raisonnable » est en fait un système juridique qui oblige l’employeur, l’acteur économique ou l’autorité publique à respecter une exigence d’égalité et de non-discrimination par une modification ou un ajustement de l’environnement dans lequel cet individu spécifique se trouve. Mais la dénomination même de ce principe pose une limite dans sa dénomination même puisqu’il est dit « raisonnable » et donc le refus de changement pour s’adapter à la spécificité de l’individu ne sera pénalisée que s’elle ne dépasse pas les limites du raisonnable. Ce concept juridique pose la question de savoir si ce refus se considère comme une discrimination directe, indirecte ou encore une autre forme distincte. Les droits nationaux varient sur ce point[67]. Si on prend l’exemple de l’espace juridique européen, les aménagements raisonnables en matière religieuses sont relativement rares, mais cette notion a bien sa place dans les ordres juridiques de la Convention de l’Union européenne et de certains États membres. L’Europe a été longtemps défavorable à la reconnaissance du droit à « l’aménagement raisonnable » car il existe déjà un droit à la liberté religieuse qui est en lien avec un autre article de la Convention interdisant toute discrimination dans la jouissance des droits et libertés. Selon la Convention, une restriction au droit à la liberté religieuse n’est légale que lorsque la loi le prévoit et en cas de nécessité et quand elle est incompatible avec la poursuite d’un but légitime (par exemple la protection de la santé)[68].
Prenons par exemple le conflit entre le droit religieux musulman et étatique en Europe. L’Europe étant de culture majoritairement chrétienne, la personne de confession islamique se trouve en minorité sur ce territoire et il se trouve devant des normes occidentales qui diffèrent et entre en conflit avec les normes du droit musulman. Apparaît alors un conflit sur le plan éthico-religieux et juridique. Sur le premier plan, la religion musulmane impose de pratiquer cinq prières quotidiennes. Ce principe pose un problème en Occident notamment au niveau du travail et de l’école. D’autres difficultés se rencontrent au niveau des normes alimentaires, ils ne peuvent pas boire d’alcool, manger du porc ou de la viande qui n’est pas égorgé rituellement. Dans des pays comme la Suisse, il est interdit d’égorger les animaux, ils doivent donc faire importer leurs viandes. À cela, s’ajoute le jeûne du Ramadan. L’interdiction de manger de l’aurore au crépuscule peut avoir des conséquences sur sa productivité. De plus, dans un pays non-musulman, le pratiquant ne peut pas imposer à ceux qui l’entourent de se priver de manger en sa présence. En terme vestimentaire et de vision de la femme, les normes musulmanes divergent aussi des normes occidentales. De là, interviennent plusieurs problèmes, par exemple en France avec le port du voile à l’école ou en Suisse où on a interdit à une enseignante de donner cours avec un voile religieux. Dans certains cas, les Tribunaux interviennent et font appel au fameux concept d’« aménagement raisonnable ». Ainsi, un Tribunal fédéral donna raison à un père qui refusait que sa fille participe au cours de natation mixte, à condition que ça ne dérange pas excessivement l’organisation de l’école et que ce dernier lui enseigne la natation par lui-même. Un autre exemple de ces aménagements intervient le 15 novembre 1993 en Suisse lorsque l’Office fédérale des étrangers édicte une directive invitant les communes et cantons à plus de souplesse auprès de femmes portant le voile sur la photo d’identité. Enfin, une autre norme de la religion islamique indique que chaque communauté religieuse doit enterrer ses morts dans son propre cimetière, selon des conditions particulières et il est interdit de désaffecter les tombes. À Genève, la Fondation des cimetières islamiques a pu créer un cimetière musulman limité à un certain nombre de place mais cet aménagement n’a pas pu se concrétiser partout sur le territoire. Certains ont alors décidé de renvoyer leur mort dans leur pays d’origine mais cette pratique est très onéreuse[69].
Les conflits interviennent aussi sur un second plan, celui du statut personnel. Dans le droit musulman classique, on encourage un non-musulman à se convertir et celui qui quitte la religion est considéré comme apostat et peut encourir la peine de mort. Ces normes rentrent en contradiction avec les Constitutions européennes qui garantissent la liberté religieuse dans les deux sens. Le droit musulman interdit aussi un mariage entre un chrétien et une musulmane. Là encore en Europe, il existe des lois qui interdisent l’empêchement de mariage pour raison religieuse. Ces observations de conflits entre droit musulman et Constitution occidentale peuvent se répéter sur différents aspects tels que la polygamie, la domination de l’homme sur la femme, le rapport entre parents et enfants, la répudiation et les successions[70].
Aujourd’hui, on considère qu’une intervention du droit étatique peut favoriser l’exercice de la liberté individuelle de religion. Cette intervention ne doit pas être vu négativement dans la mesure où dans un conflit entre norme juridique et norme religieuse, la désignation des contrariétés n’indique pas forcément que l’on doit considérer que l’une prédomine sur l’autre[71].
Autres systèmes juridiques
En marge des systèmes juridiques mondiaux, il existe des singularités, nées de la volonté de petites communautés s'étant retirées de toute influence nationale. Les cryptarchies sont ainsi des entités, créées par un petit nombre de personnes, qui prétendent au statut de nation indépendante ou qui en présentent certaines caractéristiques. Certaines sont créées très sérieusement (Séborga en Italie, Hutt River en Australie) tandis que d'autres sont purement fantaisistes ou folkloriques (la République du Saugeais en France ou la Melténie en Roumanie par exemple). Ces communautés ou phalanstères établissent un droit purement local, adapté à leurs besoins.
Bibliographie
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Notes
- Un système juridique ou système de droits consiste en « l'emploi d'un certain vocabulaire, correspondant à certains concepts ; il groupe les règles dans certaines catégories ; il comporte l'emploi de certaines techniques pour formuler les règles et de certaines méthodes pour les interpréter ; il est lié à une certaine conception de l'ordre social, qui détermine le mode d'application et la fonction même du droit. » (René David et Camille Jauffret-Spinosi 2002, n°15)
- Il est fait référence dans certains textes antiques au « code d'Urukagina » qui serait le plus ancien texte juridique écrit (vers -2350) mais il ne nous en est parvenu aucun fragment. (cité dans l'article « Code de Hammurabi » de l'Encyclopædia Universalis et dans Les grandes dates de l'histoire du droit sur le site de l'aidh.)
- L'un des premiers textes en langue vernaculaire est la Divine Comédie de Dante rédigée entre 1308 et 1321. Auparavant, les textes étaient rédigés en latin. En France, il faudra attendre l'Ordonnance de Villers-Cotterêts signée en 1539 pour voir une affirmation officielle du français contre le latin utilisé à la cour.
- Le droit canon tout comme le droit romain sont tous deux rédigés en latin. La langue officielle de l'Église catholique romaine, (par l'intermédiaire de son siège le Vatican) étant le latin.
- Chaque région possédant en réalité sa propre justice. Voir par exemple : Régine Beauthier 2002, p. 28
Articles connexes
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