Ordonnance de Villers-Cotterêts

Ordonnance sur le fait de la justice ()
Ordonnance Guilelmine • ordonnance Guillemine

Copie du préambule et des articles toujours appliqués de l'ordonnance de Villers-Cotterêts.

L'ordonnance d' sur le fait de la justice, dite l'ordonnance[note 1] de Villers-Cotterêts[1],[2],[3], aussi appelée l'ordonnance Guillemine[4], est un texte législatif édicté par le roi de France François Ier, entre le 10 et le [note 2] à Villers-Cotterêts (dans le département actuel de l'Aisne), enregistré au Parlement de Paris le . Cette ordonnance est le plus ancien texte législatif encore en vigueur en France[5], ses articles 110 et 111 (concernant la langue française) n'ayant jamais été abrogés[1],[note 3].

Forte de 192 articles[6], elle est surtout connue pour être l'acte fondateur de la primauté du français dans les documents relatifs à la vie publique du royaume de France. En effet, pour faciliter la bonne compréhension des actes de l'administration et de la justice, mais aussi pour affermir le pouvoir monarchique[7], elle impose qu'ils soient rédigés « en langages maternels français et non autrement ». Le français devient ainsi la langue officielle du droit et de l'administration, en lieu et place du latin[8],[7]. En outre, cette ordonnance réforme la juridiction ecclésiastique, réduit certaines prérogatives des villes et rend obligatoire la tenue des registres des baptêmes et des sépultures[9] par les curés[note 4]. Cela concerne alors la quasi-totalité des personnes, à l'exception de la communauté juive, minoritaire, et de quelques individus, excommuniés notamment. Cette ordonnance indique donc aussi, contrairement aux idées reçues, que soient rédigés les textes également dans les autres langues de France afin d'être accessibles au plus grand nombre, l'hégémonie linguistique du français n'ayant pris corps qu'après la révolution de 1789. Le but de cette ordonnance était de proposer une langue véhiculaire (le français) qui remplacerait le latin, langue de l'écrit et des élites, mais aussi de communiquer avec le peuple dans ses langues.

Cette ordonnance, intitulée exactement « Ordonnan du Roy sur le fait de justice » a été rédigée par le chancelier Guillaume Poyet, avocat et membre du Conseil privé du roi. Elle s'est longtemps appelée Guillemine ou Guilelmine en référence à son auteur[10]. Hors des Archives nationales, il n'existe que deux exemplaires originaux sur parchemin : l'un aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence, l'autre aux Archives départementales de l'Isère.

Historique

Page de titre.

Dès le XIIIe siècle, les notaires royaux écrivaient en français et c'est entre les XIVe et XVIe siècles que le français s'est petit à petit imposé comme langue administrative dans les chartes royales, au détriment certes du latin mais aussi des autres langues régionales[11]. L'ordonnance de Villers-Cotterêts n'a fait qu'appuyer un mouvement de centralisation linguistique déjà amorcé depuis plusieurs siècles[12]. À cette époque (et jusqu'au XIXe siècle, mouvement qui n'a pris fin qu'au XXe siècle, pendant la Première Guerre mondiale), le français était essentiellement la langue de la Cour de France, des élites (noblesse et clergé), des commerçants et des écrivains ; la population française parlait essentiellement des langues d'oïl, l'occitan, ou le francoprovençal, avec une minorité qui parlait le dialecte parisien dit « français ». Étant donné que ces langues étaient considérées comme inférieures[Selon qui ?], elles étaient souvent dénommées péjorativement « patois ».

L'ordonnance s'inscrit dans une suite de décisions royales remplaçant progressivement le latin par les langues maternelles dans les actes du droit. Une ordonnance promulguée en 1454 au château de Montils-lès-Tours (reconstruit, il fut appelé plus tard Château du Plessis-du-Parc-lèz-Tours sous Louis XI[13]), par Charles VII, avait obligé à rédiger les coutumes orales, qui tenaient lieu de droit ; ces rédactions se sont faites dans le respect de l'égalité en langue maternelle, que ce soient des langues d'oïl, d'oc, ou autres.

Cette ordonnance ne s'est pas appliquée à l'Alsace après son annexion par la France. Les traités de Westphalie et de Nimègue protègent les spécificités de l'Alsace. Les actes paroissiaux catholiques continueront à être rédigés en latin et les protestants en allemand sauf exception.

En revanche, dès le , par l'édit de Rivoli, le duc Emmanuel-Philibert de Savoie rend obligatoire l'usage du français dans tous les actes publics enregistrés dans le Duché de Savoie et dans la Vallée d'Aoste.

Auparavant d'autres édits royaux préconisaient la langue maternelle, sans rendre obligatoire le français :

Contenu de l'ordonnance

Elle a été rédigée en moyen français ; l'orthographe d'origine est respectée.

Concernant la tenue des registres des baptêmes

Ordonnance de Villers-Cotterêts. Page 56.

« art. 51. Aussi sera faict registre en forme de preuve des baptesmes, qui contiendront le temps de l'heure de la nativite, et par l'extraict dud. registre se pourra prouver le temps de majorité ou minorité et fera plaine foy a ceste fin.

(Aussi sera tenu registre pour preuve des baptêmes, lesquels contiendront le temps et l'heure de la naissance, et dont l'extrait servira à prouver le temps de la majorité ou de la minorité et fera pleine foi à cette fin.) »

Concernant l'usage de la langue française dans les actes officiels

« art. 110. Que les arretz soient clers et entendibles
Et afin qu'il n'y ayt cause de doubter sur l'intelligence desdictz arretz. Nous voulons et ordonnons qu'ilz soient faictz et escriptz si clerement qu'il n'y ayt ne puisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander interpretacion.

(Que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu'il n'y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement qu'il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d'en demander une explication.)

art. 111. De prononcer et expedier tous actes en langaige françoys
Et pource que telles choſes sont souuenteſfoys aduenues ſur l'intelligence des motz latins cõtenuz eſdictz arreſtz. Nous voulons q~ doreſenauãt tous arreſtz enſemble toutes autres procedeures ſoient de noz cours souueraines ou autres ſubalternes et inferieures, soyent de regiſtres, enqueſtes, contractz, commiſſions, ſentẽces, teſtamens et autres quelzconques actes & exploictz de iuſtice, ou qui en dependent, ſoient prononcez, enregistrez & deliurez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement.

(De prononcer et rédiger tous les actes en langue française

Et parce que de telles choses sont arrivées très souvent, à propos de la [mauvaise] compréhension des mots latins utilisés dans lesdits arrêts, nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, que ce soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit sur les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et tous les autres actes et exploits de justice qui en dépendent, soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française[pas clair], et pas autrement.) »

Langage maternel francoys

Comme il y avait bien plus d'un seul langage maternel francoys dans le royaume de 1539, certains juristes et les linguistes ont signalé que l'édit royal ne se limitait pas à la seule langue française et que sa protection s'étendait à toutes les langues maternelles du royaume[17].

En 1790, l’Assemblée nationale commence par faire traduire dans toutes les langues régionales les lois et décrets, avant d’abandonner cet effort, trop coûteux[18].

Le décret du 2 thermidor An II () impose le français comme seule langue de toute l’administration[19].

Autre disposition juridique

L'ordonnance de Villers-Cotterêts contient aussi une disposition qui pourrait être vue comme l'apparition de la légitime défense dans le droit français. En effet, elle précise que celui qui a agi pour se défendre est absous par la grâce du roi :

« Art. 168. Nous défendons à tous gardes des sceaux de nos chancelleries et cours souveraines, de ne bailler aucunes grâces ou rémissions, fors celles de justice ; c’est à sçavoir aux homicidaires, qui auraient esté contraints faire des homicides pour le salut et défense de leurs personnes, et autres cas où il est dit par la loi, que les délinquans se peuvent ou doivent retirer par devers le souverain prince pour en avoir grâce.

(Nous défendons à tous [juges] de n'accorder aucune rémission [de peine], excepté celles de justice ; à savoir : dans le cas de meurtriers qui auraient été contraints de tuer pour le salut et la défense de leur personne […]) »

Postérité

En France, depuis 1992, l'Article 2 de la Constitution déclare que « la langue de la République est le français » (al. 1), et l'article 1er al. 2 de la loi no  94-665 du dispose que la langue française est « la langue (…) des services publics »[20].

Plusieurs décisions de justice modernes mentionnent ou font référence à l'ordonnance de 1539.

Dans une décision « Quillevère » du , le Conseil d’État a fondé l'exigence de rédaction en langue française des requêtes au visa de « l'ordonnance de 1539 »[21].

La Cour de cassation a elle-même intégré cette ordonnance dans sa jurisprudence, en retenant explicitement que son article 111, précité, « fonde la primauté et l'exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales »[22].

L’ordonnance de François Ier, qui avait pour objet de rendre les décisions de justice plus intelligibles, non par rapport à des langues étrangères mais par rapport au seul latin, auquel les juges recouraient trop, et mal, ne concerne, devant ces juridictions, que les actes de procédure[23]. Elle impose donc au juge de motiver ses décisions en français, à peine de nullité[24].

En revanche, l’ordonnance de 1539 n’interdit pas au juge de prendre en considération des pièces écrites en langue étrangère, dont il peut apprécier souverainement la force probante, ainsi qu’il le ferait pour toute autre pièce rédigée en français[23]. Cependant, puisque la forme de sa décision, elle, est soumise à l’ordonnance de 1539, il doit, s’il entend retenir la force probante d’un document rédigé en langue étrangère, indiquer la signification française et la portée de ce dernier[24].

Cependant, pour qu’il puisse le faire, encore faut-il qu’une traduction lui en soit proposée, qui soit acceptée par l'autre partie[25].

Si une telle traduction en langue française n’est pas produite avec le document en langue étrangère, le juge est fondé à écarter ce dernier puisqu’il n’a pas le droit de l’intégrer comme tel dans sa décision en vertu de l’ordonnance de 1539[26]. Il n’est pas tenu, dans ce cas d’ouvrir à nouveau les débats, pour inviter les parties à apporter la traduction manquante[27]. Il n’y serait tenu que si, bien qu’il n’y ait pas de traduction au dossier de la pièce concernée, le bordereau de communication indiquait qu'une traduction y était jointe. Une telle contradiction nécessiterait évidemment des explications de la part des parties pour ne pas laisser échapper un élément de preuve qui pourrait être décisif[28].

Dans un arrêt du , la Cour de cassation affirme dans son attendu que si l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’ ne vise que les actes de procédure, le juge est fondé dans l’exercice de son pouvoir souverain à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d’une traduction en langue française[29].

En Acadie

L'ordonnance fut appliquée dans les colonies françaises, notamment en Acadie. Puisque les Britanniques n'ont pas révoqué les lois françaises après l'annexion de 1713, l'historien du droit Christian Néron affirme, en 2014, que le français est la seule langue officielle dans les provinces canadiennes de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse et que cela pourrait aider les Acadiens dans la valorisation de leurs droits ; certains juristes soutiennent cette théorie[30].

Notes et références

Notes

  1. On trouve parfois l'expression édit de Villers-Cotterêts, ce qui est incorrect car il s'agit bien d'une ordonnance royale (de portée générale) et non d'un édit royal (de portée restreinte à un groupe de personnes ou à une région, au moins jusqu'au XVIIe siècle).
  2. Voir la note sur Herodote.net.
  3. Le plus ancien texte suivant, l'édit de Moulins de février 1566, n'a plus de vie autonome, depuis sa codification en 2006 à l'article L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques.
  4. Les mariages ne seront ajoutés aux registres qu'en 1579 par l'Ordonnance de Blois

Références

  1. Ordonnance du sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotteret) (consulté le 11 février 2016).
  2. « Ordonnance de Villers-Cotterêts », sur larousse.fr, Larousse (consulté le ).
  3. Jean Meyer, « Villers-Cotterêts [ordonnance de (1539)] », sur universalis.fr, Encyclopædia Universalis (en ligne) (consulté le ).
  4. Jean-Joseph Julaud, L'Histoire de France (monographie), Paris, First, coll. « Pour les Nuls », (1re éd. ), XXIV-704 p., 24 cm (ISBN 978-2-7540-3198-1 et 2-7540-3198-7, OCLC 780292993, notice BnF no FRBNF42531156, présentation en ligne), part. 3 De 1515 à 1789 : la France dans tous ses états »), chap. 9 (« [De] 1515 à 1594 : guerres d'Italie, guerres de religion ; guère de répit ! »), sect. [3] François Ier, ses châteaux et sa langue française »), § [2] La langue française conquiert le royaume »), p. 239  : l'ordonnance de Villers-Cotterêts ») [lire en ligne (page consultée le 11 février 2016)].
  5. Olivia Carpi, « 450e anniversaire de l'ordonnance de Villers-Cotterêts », fiche média no 412 - extrait (2 min 7 s) du journal télévisé de FR3 Picardie diffusé le [html], sur fresques.ina.fr, Institut national de l'audiovisuel (consulté le ).
  6. Les 192 articles de cette ordonnance sur le site de l'Assemblée nationale.
  7. Claude Hagège, Le français, histoire d'un combat, Boulogne-Billancourt, Éditions Michel Hagège, , 175 p. (ISBN 2-9508498-5-7), chapitre 3
  8. . « Ordonnance de Villers-Cotterêts », art. 111 [Recueil général des anciennes lois françaises (Bibliothèque de l’Assemblée nationale) lire en ligne]
  9. . « Ordonnance de Villers-Cotterêts », art. 50 à 55 [Recueil général des anciennes lois françaises (Bibliothèque de l’Assemblée nationale) lire en ligne]
  10. Alphonse Tiérou, op. cit., p. 68.
  11. Agnès Blanc, La langue du roi est le français, L'Harmattan, 2010, p. 215, 225, 231.
  12. Serge Lusignan, La langue des rois au Moyen Age : le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004.
  13. Georges Touchard-Lafosse, La Loire historique, pittoresque et biographique, 1851, p. 127.
  14. Page 98 dans La politique de Babel: du monolinguisme d'Etat au plurilinguisme des peuples (2002) de Denis Lacorne et Tony Judt.
  15. Selon Histoire des Français depuis le temps des Gaulois jusqu'en 1830, pages 261 et 262, (1847) de Théophile Lavallée, historien et professeur de statistique à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr de 1832 à 1869.
  16. Selon Histoire du barreau de Paris depuis son origine jusqu'à 1830, page 202, (1864) par Joachim Antoine Joseph Gaudry.
  17. Voir: Sylvain Soleil, L'ordonnance de Villers-Cotterêts, cadre juridique de la politique linguistique des rois de France ?, Colloque de Rennes des 7 et 8 décembre 2000 Langue(s) et Constitution(s).
  18. Jacques Leclerc, Histoire du Français, chapitre la Révolution française et la langue nationale, dernière modification le 7 octobre 2008, consulté le 2 avril 2009.
  19. Décret du 2 thermidor, an II (20 juillet 1794) Article 1er : À compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française..
  20. Loi no  94-665 du 4 août 1994, lire en ligne sur
  21. Agnès Blanc, La langue de la république est le français - Essai sur l'instrumentalisation juridique de la langue par l’État (1789-2013), éditions L'harmattan, 2013, pp. 92-93.
  22. Cass. Com., 13 décembre 2011, pourvoi no  10-26389, lire en ligne sur )
  23. Cass. Com., 24 mai 2011, pourvoi no  10-18608, lire en ligne sur )
  24. (1re Civ. 25 juin 2009, pourvoi no  08-11226, lire en ligne sur )
  25. (Cass. Com. 13 décembre 2011, pourvoi no  10-26389, lire en ligne sur )
  26. (Soc. 8 avril 2010, pourvois no  09-40836 et 09-40961, lire en ligne sur
  27. (Soc. 19 mai 2010, pourvoi no  09-40690, lire en ligne sur
  28. Cass. Com. 9 juin 2009, pourvois no  08-12236 et 08-12434, lire en ligne sur
  29. (Cass.com., 27 nov. 2012, no  11-17185 no 1177 F-P+B, lire en ligne sur
  30. Michel Nogue, « Le français : seule langue officielle de l'Î.-P.-É et de la N.-É., selon un historien du droit », ICI Radio-Canada.ca, (lire en ligne, consulté le ).

Bibliographie

  • Agnès Blanc, La Langue du Roy est le français. Essai sur la construction juridique d'un principe d'unicité de langue de l'État royal (842-1789), 2010, 638 p., (ISBN 978-2-296-12682-4).


Articles connexes

Liens externes

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