Contrat (droit)

En droit, un contrat est un accord de volontés concordantes (consentement) entre une ou plusieurs personnes (les parties) en vue de créer une ou des obligations juridiques. C'est aussi la relation juridique qui découle de cet accord[1].

Le système libéral de la formation des contrats est dominé par l'idée de la liberté contractuelle et de l'autonomie des parties : celles-ci sont ainsi libres de conclure ou non et de choisir l'objet et la forme (écrite, orale...) du contrat. Le contrat s'inscrit dans la loi qui l'arme de l'exécution forcée, le droit de recourir aux organes de l'État pour obtenir l'exécution de la prestation. La liberté des parties est en conséquence restreinte par des exigences légales dans certains cas : forme, protection du consentement ou interdiction des engagements excessifs.

Le contrat est le principal acte juridique qui fonde la théorie des obligations. Les parties sont ceux qui peuvent en exiger un certain produit ou prestation. Elles sont dénommées créancier et débiteur. Les ayants droit sont ceux qui ont acquis un droit du créancier ou du débiteur. Les tiers sont des personnes qui n'étaient ni présentes ni représentées lors de la naissance du contrat et qui ne sont pas les ayants droit. Les dispositions d'un contrat sont appelées clauses ou stipulations.

Essentiel du contrat

Le contrat fait l’objet d’une première théorisation avec le droit romain qui perdure de nos jours[2]. Elle se trouve aux Institutes de Justinien (III, 13, pr.) : « l'obligation est un lien de droit par lequel nous sommes tenus nécessairement de payer quelque chose à quelqu'un selon le droit de notre cité »[3]. Ainsi, le contrat n’est pas un droit immédiat et absolu, mais un lien entre personnes. La grande force de cette théorie étant de faire entrer le consensualisme dans le droit.

À l’origine du contrat : le consensualisme

Au Ve siècle, l’Empire byzantin connaît une longue période de prospérité économique et commerciale. Afin de faciliter les relations d’affaires, le droit romain renonce au formalisme contractuel et permet alors au contrat de se former sur la base du consentement des parties : les contractants disposent ainsi d’une grande liberté pour déclarer leur volonté. Ce principe caractérise aujourd’hui le droit civil[4].

Le principe du consensualisme admet comme équivalents chaque mode d'expression de la volonté (oral, écrit, gestuel) voire l’absence d’expression matérielle, via le contrat tacite. Ainsi, les parties sont obligées par le seul échange des consentements et à cet instant. « De ce point de vue, le consensualisme présente toutes les vertus libérales et morales. (…) le consentement seul oblige, et parce qu'il oblige, celui qui a donné son consentement ne pourra s'y soustraire en prétextant qu'une solennité fait défaut »[5].

Cette idée du respect de la parole donnée sans forme est le fruit du développement du christianisme[Droit civil 1].

Théorie libérale du contrat : l’autonomie de la volonté

À côté de ce fondement moral, le contrat naît également d’une conception libérale de l’économie : la liberté permet aux intérêts particuliers de s’équilibrer réciproquement et elle est le meilleur moyen de satisfaire l'intérêt général, fait lui-même de la somme des intérêts particuliers[Droit civil 2].

Parallèlement, à partir du XVIIIe siècle, se développe la philosophie humaniste : l'homme est réputé être libre par nature, la société s’est formée par sa volonté, par contrat social. La Déclaration des droits de 1789 proclame ainsi que la loi elle-même « est l'expression de la volonté générale »[6]. Pour Kant, il y a autonomie de la volonté si la volonté est déterminée par la seule loi morale, et hétéronomie si elle est déterminée par le principe du bonheur (le désir matériel)[7]. Cette influence sur le code civil de 1804 a parfois été nuancée, Kant étant peu connu en France en 1804 en comparaison avec les travaux des juristes français des XVIIe et XVIIIe siècles[8].

Ainsi, le contrat n’est pas contraignant parce que reconnu par une loi externe, mais parce que résultant directement de volontés créatrices de droits et d’obligations.

Critique de la théorie libérale du contrat

Pour Durkheim, la règle émanant du groupe précède au droit de la volonté : ce phénomène de solidarité étant objectivé par le droit[9].

Au cours du XIXe siècle, avec l’industrialisation et le développement du droit du travail, se fait entendre une critique de la conception libérale : face aux situations d’inégalité, cette liberté devient source d'injustice entre une partie faible et une partie dominante. Lacordaire énonce ainsi la célèbre formule : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime, c'est la loi qui affranchit ».

Droit par pays

Condition nécessaire au consentement, la liberté de contracter est au cœur de l’existence de tout contrat. Ainsi, les parties au contrat, personnes physiques ou personnes morales, doivent avoir la capacité pour s'engager. Une fois le contrat régulièrement conclu, il lie les parties au contrat en vertu du principe traditionnel pacta sunt servanda.

Le contrat possède deux composantes théoriques :

  • le « negotium » qui correspond à la substance de l'accord des parties.
  • l'« instrumentum », support de cet accord, ayant également valeur de preuve en cas de litige.

En principe, seul le negotium est essentiel à la validité du contrat, l'instrumentum ne constituant qu'un gage de sécurité juridique, et s'il s'agit généralement d'un écrit (matériel ou numérique), il peut se réduire à un accord oral, ou même à une attitude (ex : la seule transmission des clés d'une voiture peut conclure un prêt de véhicule). Parfois, la loi peut imposer cette sécurité en exigeant un acte sous seing privé ou un acte authentique. Ces deux types de contrats sont respectivement qualifiés de consensuels et de solennels.

France

Avant la réforme du droit des contrats en 2016, l'article 1108 du code civil[10] consacrait le principe de la volonté des parties :

  • Les parties ont-elles voulu s'engager ? Il faut vérifier leur consentement.
  • Étaient-elles aptes à le vouloir ? C'est le problème de leur capacité.
  • Qu'ont-elles voulu ? Il faut un objet à leur engagement.
  • Pourquoi l'ont-elles voulu ? L'engagement doit avoir une cause »[Droit civil 3].

Dès lors, s'il est conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs[11], le contrat acquiert une force obligatoire : il oblige les parties. La conséquence est qu'en cas d'inexécution d'une obligation par le débiteur, la partie créancière pourra se prévaloir du contrat pour demander compensation en justice. On dit que le contrat est opposable entre les parties.

Particulièrement, le droit français fait une distinction entre le contrat de droit civil et le contrat de droit public, passé entre l'administration et une personne de droit privé ou entre deux personnes publiques ou entre deux personnes privées si le contrat contient des clauses exorbitantes de droit commun (sauf exceptions déterminées par le législateur) : on parle alors de contrat administratif.

Désormais, avec la réforme du droit des contrats, c'est l'article 1128 qui consacre le principe de volonté des parties, il n'y a maintenant plus besoin d'un objet à leur engagement ou d'une cause à cet engagement :

  • Les parties ont-elles voulu s'engager ? Il faut vérifier leurs consentements.
  • Étaient-elles aptes à le vouloir ? C'est le problème de leur capacité (elles sont incapables lorsqu'elles sont mineures, sous tutelle, sous curatelle, ou si elles sont des majeures protégées, etc.)
  • Le contenu est-il licite et certain ? Il faut s'assurer que le contenu du contrat est conforme à la loi (par exemple, acheter une maison pour en faire devenir une maison close est interdit et donc le contrat aura un contenu illicite et ne pourra être valable). Il doit être certain, c'est-à-dire que l'objet, la chose concerné(e) par le contrat doit être réel(le), elle doit exister (on ne peut pas vendre un dragon par exemple).

Québec (Canada)

En droit québécois, la formation de contrats est régie par le Code civil du Québec et notamment les articles 1377 à 1456 (dispositions générales sur le contrat) et l'article 2198 (contrat d'entreprise et de service), ainsi que la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1

Parmi ces normes législatives, la disposition générale est l'article 1385[12] qui énonce que :

« Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle. Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet. »

Pays de common law

La structure de la common law diffère totalement de la structure du droit romano-civiliste, dont le droit français[13] : il n’y a ni distinction entre droit public et droit privé, ni entre les catégories de droit civil, de droit administratif ou de droit commercial. Les concepts diffèrent également. Le contrat est théorisé comme un simple échange de promesses à l'instar du droit canonique. Les théories de la cause et des déclarations de volonté sont inconnues. Ainsi, « le contract du droit anglais n'est pas plus l'équivalent du contrat du droit français que l'equity anglaise n'est l'équité française »[Droit comparé A 1].

Royaume-Uni

Le droit anglais ne connaît que le contrat en la forme d’acte sous seing privé et distingue ainsi le contrat consensuel (simple contract) à titre onéreux, sans condition de forme (ou verbal ou écrit) sauf la contrepartie onéreuse (consideration) donnée par le bénéficiaire de la promesse, du contrat solennel (specialty ou contract by deed), à titre gratuit ou onéreux, établi par écrit et signé soit sous sceau privé soit devant témoins instrumentaires[Droit comparé B 1]. Le droit anglais a ignoré la stipulation pour autrui jusqu'en 1999 tout en imposant un régime stricte de l'effet relatif du contrat.

États-Unis

Le droit américain a abandonné le contrat solennel au début du XXe siècle. L’abandon de ce dernier ainsi que la formalité requise d’une contrepartie onéreuse (consideration) ont pour conséquence une curiosité juridique : le droit américain n’admet donc ni le contrat unilatéral ni le contrat à titre gratuit, telle la donation[Droit comparé B 2], sauf exceptions légales. Pour qu’il y ait contrat, il faut réunir les éléments suivants : offre et acceptance intégrale, l’onérosité et l’intention de s’obliger. La validité du contrat est soumise à trois conditions : un consentement valable, la capacité juridique et un objet licite et moral (c'est-à-dire conforme à l’ordre public (public policy) et aux bonnes mœurs (conscionability)). Quant au consentement, il n’est pas d’engagement valable s’il est donné par erreur (mistake), soumis au dol (fraud), à la violence (duress) ou à la crainte fondée (undue influence)[Droit comparé B 3]. Le droit américain, contrairement au droit anglais, connaît la stipulation pour autrui depuis la fin du XIXe siècle.

Russie

Le nouveau code civil russe, adopté partiellement en 1994, rénove totalement l’ancien édifice juridique socialiste. « Les contrats planifiés autrefois prédominants l'ont cédé aux contrats librement consentis par des entreprises libérées du carcan de la planification et des commandes d'État »[14]. Le droit des obligations, d’influence romano-civiliste, reconnaît le contrat de manière similaire au droit civil français[Droit comparé A 2],[Droit comparé B 4], avec les principes de liberté contractuelle et de distinction entre contrat synallagmatique et unilatéral.

Union soviétique

Dans le droit socialiste de l’ex-URSS, le contrat était le prolongement de l’acte administratif de planification. Certains actes de planification confiaient de manière très détaillée aux entreprises les tâches à accomplir, d’autres nécessitaient qu’un contrat soit établi afin d’apporter des précisions : « Dans la majorité des cas, le contrat avait donc pour utilité de concrétiser les données du plan »[Droit comparé A 3]. En ce sens, ils peuvent être qualifiés de « contrats planifiés ou forcés »[Droit comparé B 5].

Pays d'extrême orient

D’une façon générale, les peuples de l’extrême orient accordent au droit une place bien moindre qu’en occident pour assurer l’ordre social et la justice[Droit comparé A 4]. Ainsi, en droit japonais, la force obligatoire du contrat repose essentiellement sur une relation de confiance entre les parties, antérieure à la formulation juridique du contrat[réf. souhaitée]. « La jurisprudence a d'ailleurs admis l'existence d'une théorie « de la relation de confiance » autorisant une application souple des obligations contractuelles, permettant d'assurer la protection de la partie la plus faible »[Droit comparé A 5].

Notes et références

Bibliographie

  • Jean-Luc Aubert, Éric Savaux et Jacques Flour, Droit civil. Les obligations, t. 1 : L’acte juridique, Paris, Sirey, coll. « université », , 15e éd., 524 p. (ISBN 978-2-247-12158-8)
  1. p.  46
  2. p.  47-50
  3. p.  101
  • René David et Camille Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, Paris, Dalloz, coll. « Précis », , 11e éd., 553 p. (ISBN 978-2-247-09427-1)
  1. p.  247
  2. p.  209-211
  3. p.  180
  4. p.  403
  5. p.  434
  • Michel Fromont, Grands systèmes de droit étrangers, Paris, Dalloz, coll. « Mémentos », , 6e éd., 256 p. (ISBN 978-2-247-09721-0)
  1. p.  109
  2. p.  139
  3. p.  140
  4. p.  210
  5. p.  212

Autres références

  1. Pierre Tercier et Pascal Pichonnaz, Le droit des obligations, Zurich, Schulthess, , 467 p. (ISBN 978-3-7255-6640-2), § 213.
  2. Grégoire Forest, Essai sur la notion d'obligation en droit privé, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses » (no 116), , 549 p. (ISBN 978-2-247-11888-5), p. 6
    « Qu'ils datent du XXe ou du XVIIIe siècle, tous ces ouvrages se référent à une même définition : celle de Justinien, émise au VIe siècle de notre ère. »
  3. André Castaldo et Jean-Philippe Lévy, Histoire du droit civil, Paris, Dalloz, coll. « Précis », , 2e éd., 1619 p. (ISBN 978-2-247-10318-8), p. 674
    « obligatio est iuris vinculum, quo necessitate adstringimur alicuius solvendae rei secundum nostrae civitatis iura. »
  4. Jean-Philippe Lévy, « Le consensualisme et les contrats, des origines au Code civil », Revue des sciences morales et politiques, , p. 209
  5. Bertrand Fages (dir.) et Elodie Pouliquen (dir.), Lamy Droit du contrat, Paris, Lamy, (ISBN 2-7212-0872-1), p. 175-5
    « De ce point de vue, le consensualisme présente toutes les vertus libérales et morales. Parce que le consentement suffit pour obliger, il est en même temps une condition nécessaire. Aussi le consentement librement et simplement donné trouve son fondement dans une conception morale : le consentement seul oblige, et parce qu'il oblige, celui qui a donné son consentement ne pourra s'y soustraire en prétextant qu'une solennité fait défaut. En même temps, le consensualisme facilite la conclusion des contrats, l'imagination des contractants, l'ingénierie juridique dirait-on aujourd’hui ; il permet d'accélérer le processus de formation et peut-être aussi de multiplier les contrats. »
  6. « Texte de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, article 6 », sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  7. Emmanuel Kant (trad. de l'allemand), Des principes de la raison pure pratique : Extrait de Critique de la raison pure pratique, Paris, Gallimard, coll. « Folio plus philosophie » (no 87), , 173 p. (ISBN 978-2-07-034284-6), p. 33
    « L’autonomie de la volonté est l'unique principe de toutes les lois morales et des devoirs conformes à ses lois ; au contraire, toute hétéronomie de l’ « arbitre » non seulement ne fonde aucune obligation, mais s’oppose plutôt au principe de l’obligation et à la moralité de la volonté. C’est en effet dans l’indépendance à l’égard de toute matière de la loi (c’est-à-dire à l’égard d’un objet désiré) et portant, en même temps, dans la détermination de l’« arbitre » par la simple forme législatrice universelle, dont une maxime doit être capable, que constitue l’unique principe de la moralité. »
  8. Christian Atias, Philosophie du droit, Paris, PUF, coll. « Themis Droit » (no 3), , 416 p. (ISBN 978-2-13-057768-3), p. 93
    « Il est plus probable que le kantisme a exercé son influence sur la pensée juridique française à la fin du XIXe siècle seulement. »
  9. Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, coll. « Quadrige », , 8e éd., 420 p. (ISBN 978-2-13-061957-4)
  10. « Article 1108 du code civil », sur legifrance.gouv.fr, (consulté le ) : « Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : Le consentement de la partie qui s'oblige ; Sa capacité de contracter ; Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; Une cause licite dans l'obligation. ».
  11. « Article 6 du code civil », sur legifrance.gouv.fr, (consulté le ) : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. ».
  12. Art. 1385 C.c.Q.
  13. François Terré, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, coll. « Précis », , 9e éd., 652 p. (ISBN 978-2-247-12128-1), p. 54-55
  14. Bernard Dutoit, Le droit russe, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », , 1re éd., 130 p. (ISBN 978-2-247-09691-6), p. 52

Voir aussi

Articles connexes

Lien externe

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