Histoire de l'écologie

L'histoire de l'écologie a pour but de décrire l'évolution de cette science depuis sa reconnaissance en tant que domaine scientifique au XIXe siècle.

Ernst Haeckel a inventé en 1866 le terme « écologie »

L'écologie en tant que science est généralement considérée comme récente, étant seulement devenue prééminente dans la seconde moitié du XXe siècle. Le terme « écologie » vient du grec oikos maison », « habitat ») et logos science », « connaissance ») : c'est la science de la maison, de l'habitat. Historiquement, il fut inventé en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel, bien que l'essayiste et poète américain Henry David Thoreau l'ait peut-être employé dès 1852. Il semble avoir été utilisé pour la première fois en français vers 1874[1]. Dans son ouvrage Morphologie générale des organismes, Haeckel désignait en ces termes :

« (...) la science des relations des organismes avec le monde environnant, c'est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d'existence. »

Néanmoins, ce qu'on pourrait appeler la pensée écologique est présente depuis une période relativement longue, et les principes fondamentaux de l'écologie furent développés progressivement, intimement liés au développement d'autres disciplines biologiques. Ainsi, un des premiers écologistes a pu être Aristote ou peut-être un de ses élèves, Théophraste, tous deux s'étant intéressés à de nombreuses espèces animales. Théophraste décrivit les relations entre animaux ainsi que les relations entre les animaux et leur environnement dès le IVe siècle av. J.-C..

Origines de l'écologie

Les Grandes découvertes

Les idées écologistes trouvent leur source dans les grands voyages d'exploration des navigateurs européens qui eurent lieu à partir de la Renaissance. Les puissances maritimes européennes (Portugal, Espagne, France, Royaume-Uni, Hollande) firent de nombreuses expéditions pour explorer le monde, développer le commerce maritime avec d'autres pays, et exploiter de nouvelles ressources naturelles. Même si leur objectif n'était pas celui-là, les voyages de découverte ont favorisé l'essor des sciences de la nature, et ont permis de faire les premiers inventaires. Ainsi, les Grandes découvertes ont bouleversé la représentation du monde héritée du Moyen Âge et ont engendré les premières idées écologiques[2].

Parmi les premiers naturalistes qui ont accompagné les voyages de découverte, on trouve le Français Pierre Belon qui, au cours de son périple au Levant (Grèce, Turquie, Égypte, Palestine, Arabie) de 1546 à 1549, fait un grand nombre d'observations sur l'histoire naturelle et les mœurs des habitants, lui permettant de rapporter des descriptions d'espèces végétales nouvelles avec des indications sur leur intérêt commercial. On trouve aussi le Français André Thevet, qui ramène de son voyage au Brésil en 1555-1556 des planches représentant la forêt tropicale, des animaux, et des végétaux sauvages cultivés par les indigènes[2].

Premières mesures protectionnistes

Dès le milieu du XVIIe siècle, les conséquences de l'exploitation incontrôlée des ressources des territoires colonisés se manifestent. La déforestation, le développement de l'agriculture, l'exploitation des mines, l'extermination des animaux, alertent la communauté des scientifiques chargés d'inventorier les richesses faunistiques, floristiques et géologiques. Ils saisissent les autorités de cas de dégradations préoccupantes : déforestation intense de l'île Maurice, abattage systématique des séquoias de l'île de Sainte-Hélène, déforestation des îles Tobago et de l'Inde[3].

À l'île Maurice, lorsque les Français arrivent en 1715, presque toutes les forêts de la côte ont déjà disparu. On commençait à l'époque à prendre conscience que la déforestation pouvait provoquer des changements climatiques. Sous l'impulsion de Philibert Commerson, botaniste officiel de l'île, de Pierre Poivre, gouverneur de l'île et botaniste-sylviculteur, et de Bernardin de Saint-Pierre, auteur de Paul et Virginie, un appareil législatif complet se met progressivement en place à partir de 1769. Il inspirera les Anglais aux Antilles, aux Caraïbes, et plus tard en Inde[4].

XIXe siècle

La botanique géographique et Alexander von Humboldt

Les inventaires effectués au cours des voyages d'exploration ont progressé rapidement : au début du XVIIIe siècle, environ 20 000 espèces végétales étaient connues, 40 000 au début du XIXe siècle et presque 400 000 aujourd'hui.

À ces expéditions se joignirent de nombreux scientifiques, en particulier des naturalistes, tels que l'explorateur allemand Alexander von Humboldt qu'on considère souvent comme étant le précurseur véritable de l'exploration scientifique. Il entreprit, le premier, d'étudier les relations entre l'environnement et les organismes. Il mit en évidence la relation existant entre les espèces végétales observées et les climats, décrivit les zonations de végétation avec la latitude ou l'altitude, ce qu'on appela la phytogéographie.

En 1804 par exemple, il rapporte une quantité impressionnante d'espèces, en particulier des végétaux, dont il cherche à expliquer la distribution géographique en s'appuyant sur les données géologiques. Un ouvrage célèbre de Humboldt est L'essai sur la géographie des plantes (1805).

Avec Alexander von Humboldt, d'autres naturalistes posent les bases de la biogéographie botanique : Augustin Pyrame de Candolle, Adolf Engler et Asa Gray.

Selon Ariane Debourdeau dans son ouvrage Les grands textes de l'écologie, le naturaliste Carl von Linné serait le premier à avoir ouvert la voie à une pensée écologiste par l'évocation d'un "système de la nature"[5].

D'autres botanistes d'importance sont par exemple Aimé Bonpland qui participa aux expéditions de Humboldt, ou Johannes Eugenius Bülow Warming (1841-1924) et Andreas Franz Wilhelm Schimper (1856-1901), ces deux derniers sont souvent considérés comme les fondateurs de l'écologie végétale en tant que discipline scientifique.

En 1895, le botaniste danois Eugen Warming publie le premier traité de géographie botanique qui utilise le mot « écologie » dans son titre. L'ouvrage Plantesamfund, Grundtràk afden Ôkologiske Plantegeograji est traduit en allemand en 1896 ; une édition augmentée et remaniée paraît en 1909 sous le titre anglais The Oecology of Plants. Warming y fait la synthèse des connaissances acquises en géographie botanique, mais il propose en outre d'étudier les communautés végétales.

Dans un ouvrage Pflanzengeographie publié en allemand en 1898, traduit en anglais en 1903, le botaniste Andreas Schimper donne à l'écologie végétale ses bases physiologistes en étudiant la manière dont l'environnement agit sur la végétation et les formations végétales.

La notion de biocénose : Charles Darwin et Alfred Wallace

Vers 1850, une rupture a lieu avec la parution de l'ouvrage de Charles Darwin intitulé "De l'origine des espèces": on passe des représentations statiques des espèces à des représentations évolutives. Le concept d'écologie apparaît en 1859 dans le préambule de ce livre, sous le nom d'« économie de la nature ». Il y décrit les relations entre les prairies de trèfles, pollinisés par les bourdons, et les chats qui mangent les mulots qui eux-mêmes délogent les bourdons de leurs terriers[6].

Alfred Russel Wallace, son contemporain, aboutit aux mêmes théories par l'étude de la « géographie » des espèces animales. L'idée s'impose à plusieurs auteurs que les espèces ne sont pas indépendantes les unes des autres, et leur regroupement s'organisent en communautés d'êtres vivants ou biocénoses. Ce terme sera inventé en 1877, par Karl Möbius.

L'invention du terme « écologie » par Ernst Haeckel

Le terme « écologie » est construit à partir du grec ancien oikos (« maison », « habitat ») et logos (« science », « connaissance »). Il apparaît pour la première fois sous la plume du biologiste allemand Ernst Haeckel, en 1866. Haeckel appartenait au courant philosophique moniste qui affirmait l'unité de la nature et des sociétés humaines, et il était partisan de réformes politiques basées sur les sciences. Cependant l'écologie est, dès son origine, conçue comme une science[7].

Début du XXe siècle : expansion de la pensée écologique

La biosphère - Eduard Suess et Vladimir Vernadsky

Au XIXe siècle, les investigations s'enrichissent de connaissances acquises en chimie par Lavoisier et de Saussure qui étudient notamment le cycle de l'azote.

Après observation du fait que la vie ne se développe que dans des limites très précises au sein des trois compartiments que constituent l'atmosphère, l'hydrosphère et la lithosphère, le géologue autrichien Eduard Suess propose le terme biosphère en 1875. Suess propose d'appeler biosphère cette enveloppe de vie, caractéristique de la Terre, qui englobe la flore, la faune, les minéraux, les cycles de la matière, etc.

Dans les années 1920, le géologue russe Vladimir Ivanovich Vernadsky, précise la notion de biosphère dans son ouvrage La biosphère (1926) et décrit les principes fondamentaux des grands cycles biogéochimiques. Il requalifie alors la biosphère comme étant l'ensemble des écosystèmes.

Par ailleurs, les premiers dégâts écologiques sont reportés au XVIIIe siècle, lorsque la multiplication des colonies est la cause de déforestation. Dès le XIXe siècle, avec la révolution industrielle, des doutes de plus en plus pressants naissent quant aux impacts des activités anthropiques sur l'environnement. Le terme écologiste apparaît dès la fin du XIXe siècle.

La notion d'« écosystème » : Arthur George Tansley

Au cours du XIXe siècle, la biogéographie, qui dresse l'état des lieux des espèces, est généralement considérée comme une science qui ne peut être confondue avec l'écologie ; elle cherche à expliquer les raisons de la présence des espèces en un endroit donné.

C'est en 1935 que Arthur George Tansley, écologiste britannique, appelle « écosystème », le système interactif qui s'établit entre la biocénose (l'ensemble des êtres vivants) et le biotope (leur milieu de vie). L'écologie devient alors la science des écosystèmes.

Le concept d'écosystème de Tansley fut adopté par l'énergique et influent éducateur en biologie Eugene Odum. Avec son frère Howard T. Odum, Eugene Odum écrivit un manuel, Fundamentals of Ecology (première édition 1953), qui éduqua plus d'une génération de biologistes et écologues d'Amérique du Nord.

Les successions écologiques : Henry Chandler Cowles

Vers la fin du XIXe siècle, Henry Chandler Cowles fut l'un des pionniers de l'étude émergente de l'« écologie dynamique », à travers son étude des successions écologiques à l'Indiana Dunes National Lakeshore, des dunes de sables à la pointe sud du Lac Michigan. Cowles trouva ici des preuves des successions écologiques dans la végétation et le sol en lien avec leur âge. Une succession écologique est un processus par lequel une communauté naturelle évolue d'un simple niveau d'organisation vers une communauté plus complexe (par exemple, du sable nu, à l'herbe poussant dans le sable, à l'herbe poussant sur les résidus produits par l'herbe morte, aux arbustes et arbres poussant sur les résidus produits par l'herbe).

La recherche et les théories écologiques modernes

Indépendamment, Alfred James Lotka en 1925[8] et Vito Volterra en 1926[9] proposent des équations mathématiques pour décrir les interactions entre êtres vivants au sein des écosystèmes : pour la compétition et la prédation.

Père de l'écologie animale, Elton (1900-1991) a décrit, dans son livre Animal Ecology paru en 1927, les communautés biotiques en tant qu'associations d'espèces organisées autour de relations alimentaires existant en leur sein et d'interactions entre les animaux sauvages. De ses travaux fondateurs sur les cycles alimentaires découlent les notions de « chaîne alimentaire », de « pyramide alimentaire » et de « réseau trophique »[10].

L'écologiste catalan Margalef applique, dans son mémoire La teoría de la información en ecología publié en 1957, la théorie de l'information à l'écologie.

En 1967, Root (en) (1936-2013) est l'auteur d'une étude qui est à l'origine du développement du concept de « guilde » en écologie[11].

En 1976, Van Valen développe le concept d'espèce écologique à partir de la notion de niche écologique introduite en 1957 par Hutchinson.

Faisant suite à l'invention du terme par le biologiste Walter G. Rosen en 1985, le concept de « biodiversité », proposé et popularisé par Edward O. Wilson, émerge en 1988.

La définition du concept de « point chaud de biodiversité » est initiée en 1988 par Norman Myers.

Influence de l'écologie sur les sciences sociales et humaines

Écologie humaine

L'écologie humaine est la partie de l'écologie qui étudie l'espèce humaine, l'activité organisée de cette espèce et son environnement. L'écologie humaine est apparue dans les années 1920, par le biais de l'étude de successions végétales dans la ville de Chicago. Elle est devenue un champ d'étude distinct dans les années 1970. L'homme, colonisateur de tous les continents, est désormais reconnu comme un facteur écologique majeur. Il modifie grandement son environnement, par le biais du développement de son habitat (en particulier le développement urbain), du développement de la pêche, ainsi que des activités agricoles et industrielles.

Des études puis un enseignement de l'écologie humaine se développa par la suite, avec la participation d'anthropologues, d'architectes, de biologistes, de démographes, d'écologistes, d'ergonomes, d'ethnologues, d'urbanistes et de médecins. Le développement de l'écologie humaine a conduit à attribuer une part de plus en plus importante à l'écologie dans l'aménagement du territoire.

Par ailleurs, une philosophie issue de l'écologie, et applicable aux sociétés humaines, s'est développée : l'écologisme.

Enfin, l'écologie politique est apparue dans les années 1920 ; elle consiste à appliquer la science écologique à la politique et à la gestion de la cité[réf. nécessaire].

Ces dernières années l'écologie humaine a été un sujet d'intérêt pour les spécialistes de la théorie organisationnelle. Hannan et Freeman (Population Ecology of Organizations (1977), American Journal of Sociology) argumentent que les communautés ne font pas que s'adapter à l'environnement. En fait l'environnement sélectionnerait ou rejetterait certaines populations. Dans tout environnement en équilibre, il n'y aura qu'une seule forme de communauté (isomorphisme). La théorie organisationnelle a été une théorie importante lorsqu'il a fallu expliquer la diversité des populations et la variabilité de leur nature au cours du temps.

James Lovelock et l'hypothèse Gaïa

L'Hypothèse Gaïa proposée par James Lovelock dans son travail « Gaia: A New Look at Life on Earth » à partir de 1970, avance que le point de vue que la Terre devrait être considérée comme un macro-organisme individuel. En particulier, il argumente que l'ensemble des êtres vivants ont conjointement développé la capacité de contrôler l'environnement global — en influençant les paramètres physiques majeurs comme la composition de l'atmosphère, le taux d'évaporation, la chimie des sols et des océans — afin de maintenir les conditions favorables à la vie. Le scientifique rejoint ainsi les croyances fondamentales des peuples autochtones, qui sont en général extrêmement reliés à la Terre, comme le peuple Kogi de Colombie.

Bien que controversée, l'hypothèse Gaïa relayée par la biologiste Lynn Margulis a suscité un certain intérêt dans le public. Elle permet d'étayer « le sentiment écologique » grandissant en contribuant à faire prendre conscience que la Terre-mère, Gaïa, est malade des hommes et de leur activité. D'un point de vue scientifique, cette hypothèse situe la nouvelle vision de l'écologie comme étant une vision globale de la biosphère et de la biodiversité.

En réaction à l'hypothèse Gaia, le paléontologue Peter Ward développe l'hypothèse Médée: la biosphère tendrait à redevenir le domaine des organismes microbiens et unicellulaires, par des "tentatives suicidaires" telles que les extinctions de masse.

Écologie et politique globale

Le premier « Jour de la Terre » (Earth Day) est instauré le , initié par Gaylord Nelson, sénateur américain.

L'écologie devint une partie centrale des politiques mondiales dès 1971, quand l'UNESCO lança un programme de recherche appelé Man and Biosphere, avec l'objectif d'accroître les connaissances sur les relations entre l'Homme et la Nature. Quelques années plus tard fut défini le concept de réserve de biosphère.

En 1972, les Nations unies ont tenu la première conférence internationale sur l'environnement humain à Stockholm, préparée, entre autres experts, par René Dubos, qui employa cinq ans plus tard la célèbre formule « penser globalement, agir localement[12] ». Les évènements majeurs suivants en écologie ont été le développement du concept de biosphère et l'apparition des termes diversité biologique dans les années 1980. Ces termes furent développés durant le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, où le concept de biosphère fut reconnu officiellement par les grandes communautés mondiales, et où les risques associés à la biodiversité furent publiquement reconnus.

En 1997, l'atteinte des activités humaines à l'environnement, en particulier atmosphérique, furent reconnus internationalement lors de la ratification du Protocole de Kyōto. En particulier cette conférence mit en évidence les dangers des gaz à effet de serre, principaux responsables du changement climatique. À Kyōto, la plupart des nations du monde ont reconnu l'importance de considérer l'écologie d'un point de vue global, à une échelle mondiale, et de prendre en compte l'impact des activités humaines sur l'environnement de la planète.

En Amérique du Nord, plusieurs scientifiques accordent une plus grande importance aux préoccupations écologistes au cours du XXe siècle. Aux États-Unis (Université du Michigan) et à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) (Canada), Pierre Dansereau (1911-2011) développe des positions théoriques particulières en écologie scientifique. Il publie en 1957 un ouvrage majeur : Biogeography an Ecological Perspective dans lequel il énonce les principes de la synécologie, de l'autoécologie et d'une écologie globale tenant compte de l'humain comme facteur de transformations de l'environnement. En 1972, il publie un ouvrage philosophique encore méconnu aujourd'hui sur les rapports à la nature, intitulé Inscape and Landscape.

Écologie intégrale

Michael E. Zimmermann et Sean Esbjörn-Hargens ont appliqué la théorie intégrale de Ken Wilber à l'écologie, pour introduire le concept d'écologie intégrale à la fin des années 1990. Il s'agit de réconcilier l'écologie humaine et l'écologie environnementale classique.

Le concept est introduit en France d’abord dans les milieux chrétiens, notamment catholiques, par Falk van Gaver en 2007 dans un article de L'Homme nouveau, « Pour une écologie intégrale ». Il le reprend ensuite en 2011 dans son livre L'Écologie selon Jésus-Christ dans une approche chrétienne.

En France, Gaultier Bès de Berc, avec Marianne Durano et Axel Norgaard Rokvam, emprunte l'expression dans Nos limites, pour une écologie intégrale en 2014. Ce concept, à la définition peu claire, est accusé de servir de greenwashing pour le militantisme d'extrême droite, à travers des figures issues de La Manif pour tous comme Eugénie Bastié ou Gaultier Bès, qui  selon les accusations précitées  se serviraient de la bannière écologique pour leur militantisme antiféministe et anti-avortement[13], qui s’exprimerait notamment dans la revue Limite. À propos de ce groupe, le chercheur Jean-Louis Schlegel détaille que « Il s’agit d’être “conservateur” authentiquement, intégralement, radicalement, dans la vie quotidienne comme dans les combats publics : conservateur de la planète dans toutes ses dimensions, mais aussi conservateur du corps humain, de la famille, du domestique, du local »[14]. Les sociologues Etienne Grésillon et Bertrand Sajaloli ajoutent « Cette écologie intégrale moralisatrice et traditionaliste ressurgit ainsi à la faveur des discours contre le mariage homosexuel. Mais, instrumentalisant l'écologie, notamment dans son champ défense de la vie, récupérant et mettant au service de valeurs très conservatrices la réflexion engagée au sein du catholicisme sur les rapports homme-nature, ce mouvement est loin d'être partagé par tous les catholiques ». « La notion d'écologie humaine [...] en plaçant la question morale du respect de la vie humaine au centre du débat détourne le croyant de la nature et des enjeux environnementaux »[15].

Un concept similaire se trouve sous la plume du pape François dans son encyclique Laudato si' en 2015[16]. La Communauté Saint-Jean fonde l'Académie pour une écologie intégrale en 2017 à la suite de l'encyclique papale. Cette académie est située au sanctuaire Notre-Dame du Chêne près de Sablé-sur-Sarthe[17].

Delphine Batho dans son Écologie intégrale, le manifeste (2018, éditions du Rocher) combat farouchement toute interprétation de l'écologie intégrale qui consisterait à promouvoir des valeurs réactionnaires pour confiner les femmes au monde naturel et à leur fonction reproductrice. Vouloir travestir le sens de l'écologie intégrale pour en faire une arme contre les femmes, contre leur droit à maîtriser leur corps, contre le droit à l'avortement et à la contraception, contre les progrès de la bioéthique, contre les libertés individuelles, à commencer par la faculté de vivre librement son orientation sexuelle que l'on soit homme ou femme, est exactement le contraire de la révolution anthropologique nécessaire[18],[19].

Pour Delphine Batho, comme pour Génération écologie, le parti dont elle est présidente, l'écologie intégrale démocratique est le projet politique qui fait le lien entre les alertes scientifiques qui annoncent que « bientôt il sera trop tard » et des propositions pour inscrire le respect de la Terre et de la Nature dans les fonctionnements démocratiques, par la loi et par la société mobilisée. Il associe les sciences et la démocratie[20]. Aux élections européennes de , elle intègre la liste Urgence Écologie menée par le philosophe Dominique Bourg qui s’affirme lui aussi partisan d’une écologie intégrale[21] selon la même approche qui récuse les motivations religieuses. Celui-ci affiche également ses distances avec l'écologie intégrale d'extrême-droite de la revue Limite, qu'il voit comme une simple récupération opportuniste de la thématique écologiste au profit d'une extrême-droite traditionaliste : « Pour ces antimodernes, l’écologie est aujourd’hui une aubaine. Elle leur permet de se rénover, de se réaffirmer et de reprendre une importance dans l’époque. »[14].

Notes et références

Source

Notes

  1. "Retour au Contrat naturel", Michel Serres in Ctheory, 11 mai 2006
  2. Patrick Matagne, Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et Niestlé, p. 14
  3. Patrick Matagne, Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et Niestlé, p. 18
  4. Patrick Matagne, Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et Niestlé, p. 14-15
  5. Ariane Debourdeau, Les grands textes de l'écologie, Paris, Flammarion, , 376 p. (ISBN 978-2-08-127231-6), p. 10
  6. Bernard Fischesser et Marie-France Dupuis-Tate (ill. Alain Cazalis, Marie-Laure Moyne et Nicole Sardat), Le Guide illustré de l'écologie, Paris, Éditions de La Martinière, , 349 p. (ISBN 978-2-7324-3428-5).
  7. Jean-Paul Deléage, « Aux origines de la science écologique : à propos de quelques ouvrages récents », Revue d'histoire des sciences 45(4), , p. 477-490 (lire en ligne).
  8. (en) Alfred James Lotka, Elements of Physical Biology, Williams & Wilkins Company, , 460 p.
  9. (en) Vito Volterra, « Fluctuations in the abundance of a species considered mathematically », Nature, no 118, , p. 558-60
  10. Robert Ricklefs et al. (trad. de l'anglais par Michel Baguette), Écologie [« Ecology »], Bruxelles, De Boeck Supérieur, , 821 p. (ISBN 978-2-7445-0145-6 et 2-744-50145-X, notice BnF no FRBNF39972314), p. 175-176
  11. François Ramade, Éléments d'écologie : écologie fondamentale, Paris, Dunod, , 4e éd., 689 p. (ISBN 978-2-10-053008-3), p. 290-291
  12. Voir Willy Gianinazzi, "Penser global, agir local. Histoire d'une idée", EcoRev', no 36, 2018.
  13. Bernadette Sauvaget, « Limite, des réacs en vert et contre tous », sur Libération.fr, .
  14. Catherine Vincent, « « Ecologie intégrale », écofascisme… : une histoire des écologies identitaires », sur Le Monde, .
  15. Etienne Grésillon et Bertrand Sajaloli, « The green church ? Building a catholic ecology : steps and tensions », VertigO, vol. 15, no 1, (DOI 10.4000/vertigo.15905).
  16. Fabien Revol et Alain Ricaud (préf. Philippe Barbarin), Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Paris, Parole et silence, , 319 p. (ISBN 978-2-88918-721-8, OCLC 935315994), 69-70.
  17. « Académie pour une écologie intégrale - Sanctuaire Notre-Dame du Chêne (Vion) », sur academie-ecologie-integrale.org (consulté le ).
  18. « Delphine Batho lance son manifeste pour l’écologie intégrale », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
  19. « Delphine Batho : "L’écologie ne peut pas être consensuelle" », sur L'Obs (consulté le ).
  20. « Nos orientations », sur Génération Ecologie (consulté le )
  21. Les matins sur franceculture.fr, entretien avec Dominique Bourg dans la seconde partie de « L’invité des matins ».

Annexes

En français

  • Pascal Acot, Histoire de l’écologie, Presses universitaires de France (Paris), 1988, 288 p. (ISBN 2-13-041414-1).
  • Pascal Acot, Histoire de l’écologie, Presses universitaires de France (Paris), collection « Que sais-je ? », no 2870, 1994, 128 p. (ISBN 2-13-046260-X).
  • Roger Dajoz, Précis d'écologie, Dunod, Paris, 1972, 434 p.
  • Ariane Debourdeau, Les grands textes fondateurs de l’écologie, Flammarion, 2013, (ISBN 978-2081272316)
  • Jean-Paul Deléage, Une histoire de l’écologie, Seuil (Paris), collection Point Science, 1991, 330 p. (ISBN 2020193442).
  • Jean-Marc Drouin, L'écologie et son histoire (Reinventer la nature), Flammarion (Champs), 1993, (ISBN 2080812726 et 978-2080812728)
  • Paul Duvigneaud, La synthèse écologique, Doin, Paris, 1980, 380 p.
  • Yves Hébert, Une histoire de l'écologie au Québec, Les regards sur la nature d'hier à aujourd'hui, Québec, Les Éditions GID, 2006, 477 p. (ISBN 2-922668-80-0 et 978-2-922668-80-3).
  • Alexander von Humboldt et A. Bonpland, Essai sur la géographie des plantes, accompagné d’un tableau physique des régions équinoxiales, fondé sur les mesures exécutées, depuis le dixième degré de latitude boréale jusqu’au dixième degré de latitude australe, pendant les années 1799, 1800, 1801, 1802, et 1903, Paris, 1805, Chez Levrault, Schoelle et Cie, Sherborn Fund Fascimile No.1.
  • Alexander von Humboldt, Voyage de Humboldt et Bonpland. Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent. 5e partie. « Essai sur la géographie des plantes », Paris, 1805. Facs intégral de l’édition Paris 1905-1834 par Amsterdam : Theatrum orbis terrarum Ltd., 1973.
  • Alexander von Humboldt, Essai sur la géographie des plantes, 1807, Facs. ed. London 1959.
  • Francis Lethiers, Évolution de la biosphère et événements géologiques, Gordon and Breach, Amsterdam, 1998, 321 p.
  • Christophe Masutti, Les faiseurs de pluie. Dust Bowl, écologie et gouvernement (États-Unis, 1930-1940), DHVS/Univ. Strasbourg, sous licence CC-By-Sa, 2012. (ISBN 978-1-4717-6490-5) [présentation en ligne]
  • Patrick Matagne, Aux origines de l’écologie : les naturalistes en France de 1800 à 1914, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques (Paris), collection « Histoire des sciences et des techniques », no 49, 1999, 302 p. (ISBN 2735504107).
  • Patrick Matagne, Comprendre l'écologie et son histoire, Éditions Delachaux et Niestlé, collection « La bibliothèque du naturaliste », 2002, 208 p. (ISBN 2603012681).
  • Donald Worster, Les Pionniers de l’Écologie. Une histoire des idées écologiques, Sang de la Terre (Paris), collection « La pensée écologique », 1998, 412 p. (ISBN 2869850980).

En anglais

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  • (en) Peter J. Bowler, The Earth Encompassed. A History of the Environmental Sciences. New York / London, W-W Norton and Company, 2000 (ISBN 0-393-32080-4)
  • (en) Doug Weiner, Models of Nature: Ecology, Conservation, and Cultural Revolution in Soviet Russia, Pittsburgh: University of Pittsburgh Press, 2000. (ISBN 0-8229-5733-7)

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