Dihya (reine)
Dihya (en arabe : ديهيا), aussi connue sous le nom de Kahina ou Kahena, est une guerrière berbère qui combat les Omeyyades, lors de la conquête musulmane du Maghreb au VIIe siècle. Après plusieurs succès contre les envahisseurs musulmans, Dihya meurt au combat, dans les Aurès, en 703.
Pour les articles homonymes, voir Kahina (homonymie) et Dihya (homonymie).
Dihya (Kahina) | |
Statue de Dihya à Khenchela. | |
Titre | |
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Reine des Berbères | |
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Prédécesseur | Koceïla |
Biographie | |
Nom de naissance | Dihya |
Surnom | Kahina, Kahena, la prophétesse, la devineresse |
Lieu de naissance | Aurès |
Origine | Berbère |
Date de décès | |
Lieu de décès | Bīr al-Kāhina (Aurès, actuelle Algérie) ou Tabarka (actuelle Tunisie) |
Nature du décès | Morte au combat |
Père | Tabeta |
Enfants | Kenchela (fille), Ifran (fils), Yezdia (fils) |
Religion | voir ici |
Selon Zineb Ali-Benali, historienne et professeur des universités, Dihya réussit, en son temps, à unifier le Maghreb. Tout en insistant sur ses qualités de chef militaire, elle indique que cette reine berbère figure « parmi les rares femmes au parcours politique aussi exceptionnel »[1].
De nombreuses romancières et essayistes féministes se sont approprié la figure de la Kahina pour sa charge symbolique, la décrivant comme l’une des premières féministes de l’Histoire[2].
Les mouvements berbéristes la considèrent comme une icône de l'amazighité[3]. Elle est également une figure historique et identitaire des Chaouis ainsi que des Berbères en général.
Étymologie
L'historien tunisien M'hamed Hassine Fantar avance que le nom Kahena serait d’origine punique (Kahena = khn, Kohenet en punique, c’est-à-dire « prêtresse »)[4]. Pour la désigner, les écrivains de langue arabe du Moyen Âge, comme Ibn 'Abd al-Hakam (mort en 871) utilisent ce surnom Kahina. La plupart des écrits historiques ou littéraires qui la mentionnent, la désignent également par Kahena ou Kahina, jusqu'au XIVe siècle. Les sources arabes la nomment aussi al-Kāhina (signifiant « la prophétesse » , « la devineresse »)[5],[6], surnom donné par ses adversaires musulmans, en raison de sa capacité à prévoir l'avenir.
À la fin du XIVe siècle, l'historien arabe Ibn Khaldoun, après avoir établi une généalogie de la reine sur sept générations, avance que son vrai nom est Dihya[4]. Son nom personnel est l'une de ces variations : Daya, Dehiya, Dahya Damya ou Tihya (il est difficile de distinguer ces variantes à cause de l'orthographe arabe).
Contexte
Dans un contexte général de guerres arabo-byzantines, la conquête de l'Afrique du Nord est décidée par le chef de la dynastie omeyyade, Muawiya Ier, premier calife omeyyade, et continuée par son fils, le second calife omeyyade, Yazid Ier. Oqba Ibn Nafi est le général arabe désigné pour conquérir le Maghreb et y propager l'islam. Il gouverne l'Ifriqiya (actuelle Tunisie) de 666 à 675, puis de 681 à sa mort. Vers 670, il crée le poste militaire de Kairouan, dans le but d'en faire un point d'appui dans sa campagne de conquête du Maghreb.
Cette conquête se heurte à la résistance des populations locales et des puissances installées : l'Empire byzantin, implanté essentiellement sur les côtes et en particulier à Carthage et Septum, et les Berbères. L'Exarchat de Carthage est une province excentrée de l'Empire byzantin.
Au début de la conquête musulmane du Maghreb, l'unité politique et administrative du Maghreb centrale (actuelle Algérie) est en grande partie réalisée par Koceïla. Ce chef berbère prend la tête de la résistance, de 680 à 688. Il s'oppose aux armées arabes, particulièrement au général Oqba Ibn Nafi, qu'il prend en embuscade et exécute à Tahouda en 683[7]. D'après l'historien arabe Ibn Khaldoun, l’assassinat d'Oqba ibn Nafi aurait été commandité par Kahina[8]. À la suite de cette défaite, les Omeyyades sont expulsés de Kairouan, qui est prise par Koceïla[9]. Il gouverne alors une grande partie du Maghreb[10]. Mais cela dure peu, il meurt en 688, près de Timgad, lors de bataille de Mammès, face aux renforts du calife dirigés par Zoheïr ibn Qais[11].
À Constantinople, Constantin IV (668-685) succède Justinien II (685-695, puis 705-711). À Damas, les califes se succèdent, on passe de la branche soufyanide à la branche marwanide : Muawiya II (683-684), Marwan Ier (684-685), Abd Al-Malik (685-705). Le gouverneur de l'Ifriqiya est désormais Hassan Ibn Numan, au moins de 692 à sa mort, vers 700.
Biographie
Origines
Le pèlerin et voyageur at-Tidjani (né entre 1272 et 1276) rapporte qu'elle appartient à la tribu berbère des Laguatans[12],[4].
Quant à l'historien Ibn Khaldoun[13], il indique qu'elle naît dans la tribu berbère zénète des Djeraoua (Ḏjarâwa), au début du viie siècle, qui habite les Aurès[14], et qu'elle serait la fille de Tabeta, le chef de la tribu. Il lui attribue une généalogie remontant jusqu’à sept générations en arrière : elle aurait été la « fille de Tabeta (ou Mâtiya[15]), fils de Tifan (ou Nîcan), fils de Baoura, fils de Mes-Kesri, fils d’Afred, fils d’Ousîla, fils de Guerao »[4],[16]. « Cette famille aurait dirigé les Djeraoua, tribu alors à la tête des Botr, deux ethnonymes jusque-là jamais mis en relation avec la résistance berbère » par les autres historiens arabes, ce qui peut inspirer le doute[17].
Conflit
Kahina succède à Koceïla comme chef de guerre des tribus berbères vers 688, contre les armées Omeyyades[18]. Nombre de sources arabes, dont plusieurs des plus anciennes, établissent un lien explicite entre Koceïla et la Kahina[4]. D'après l'historien al-Waqidi, Kahina se serait soulevée contre les Omeyyades, « par suite de l’indignation qu’elle ressentit de la mort de Koceila »[4].
En 698, le gouverneur et général omeyyade Hassan Ibn Numan quitte l'Égypte, et prend Carthage, et d'autres villes (voir la conquête musulmane du Maghreb). À Kairouan, Hassan s'informe de savoir qui est le roi le plus puissant de l'Ifriqiya, on lui dit qu'il s'agit de Kahina, une femme « qui régnait sur les Berbères et les Byzantins ». Il est donc allé à sa rencontre.
Kahina ayant eu vent de ses intentions, marche sur la cité de Baghaï, croyant que Hassan pourrait l'utiliser comme une base et la détruit. Hassan se dirige alors vers l'oued Nini (selon d'autres auteurs, à l'oued Meskiana), et s'arrête le long de la rivière pour procurer de l'eau à son armée. Kahina s'arrête le long de la même rivière avec son armée.
Les armées berbères et arabes passent la nuit à s'observer. Dans la vallée déserte et asséchée, Dihya dissimule son armée pendant la nuit, en partie dans la montagne, en partie derrière, sa cavalerie et ses troupeaux de chameaux, pour prendre en embuscade les troupes d'Hassan. Le matin, lorsque les Arabes attaquent, ils sont accueillis par une pluie de flèches tirées entre les jambes des chameaux des Berbères. La cavalerie berbère qui se tient en embuscade, surgit et massacre les forces arabes. Une fois les Arabes battus, les berbères les poursuivent jusqu’à Gabès[19]. Cette victoire appelée bataille des chameaux, permet d'expulser les Omeyyades de l'Ifriqyia. Ceux ci se réfugient en Cyrénaïque pendant près de 4 ou 5 années. Les historiens musulmans surnomment le lieu de la bataille « Nahr Al Bala » (littéralement, la "rivière des épreuves")[20]. Les Berbères font un grand nombre de prisonniers, Kahina leur rend la liberté, à l'exception d'un neveu de Hassan, nommé Khalid ibn Yazid[21].
Consciente que l'ennemi est trop puissant, et va revenir, Kahina aurait pratiqué la politique de la terre brûlée en vue de dissuader l’envahisseur de s’approprier les terres, s’aliénant par là une partie de son peuple[22]. Cette politique a peu d'impact sur les montagnes et les tribus du désert, mais a pour effet de perdre le soutien crucial des sédentaires, et des habitants des oasis. Au lieu de décourager les armées arabes, cette décision désespérée accélère sa défaite[note 1].
Pendant quelques années, elle gouverne un état berbère indépendant, des montagnes de l'Aurès, aux oasis de Gadamès (695-700/703). Les chroniqueurs arabes sont silencieux sur la manière dont Kahina gouverne son territoire ; mais il semble, qu'à I'instar de Koceïla, elle ne mène aucune représailles contre les musulmans[23].
Cinq ans plus tard, Hassan Ibn Numan revient à l’assaut avec des renforts du calife Abd Al-Malik qui lui accorde plusieurs milliers de guerriers avec pour but de reconquérir l'Ifriqiya. Il commence par soumettre Gabès, le Nefzaoua et Gafsa[24].
Mort
Kahina s'engage une dernière fois face aux Omeyyades à Tabarka, dans l'actuelle nord de la Tunisie.
Ibn Khaldoun décrit le combat comme particulièrement âpre, et indique que les musulmans ont bénéficié « d'une intervention spéciale de Dieu »[25]. Finalement, son armée est vaincue par celle de l'émir Moussa Ibn Noçaïr, elle parvient a s'échapper, mais est finalement tuée. Les récits littéraires varient, certaines sources indiquant qu'elle fut tuée dans l'Aurès près d'un lieu dès lors appelé Bir-al Kahina[26], tandis que d'autres sources indiquent Tabarka[27],[28].
D'après les récits ultérieurs, la défaite de ses troupes aurait été en partie due à la trahison de Yazid, jeune captif arabe que Kahina a épargné à la bataille de l'oued Nini, celui ci aurait tenu une correspondance secrète avec Hassan Ibn Numan pour le tenir au courant des mouvements des troupes berbères[24].
Selon les sources, elle serait soit morte au combat, l'épée en main, soit par suicide, en avalant du poison, plutôt que d'être prise par l'ennemi[29]. D'après Ibn Khaldoun, Kahina est capturée et décapitée, et sa tête est envoyée au calife Abd al-Malik, toutefois cela est très probablement une invention de commentateurs arabes[25]. Cet événement se produit dans les années 690 ou 700 : l'année 703 est souvent retenue[30].
Après cette victoire, Hassan retourne à Kairouan. Il va de l'avant et prend Carthage, qui a été reprise par les byzantins en 697 à la suite de la retraite arabe en Cyrénaïque. Après avoir réprimé la révolte berbère et chassé les Byzantins de la côte, il offre au reste des Berbères des termes de paix, et 12 000 d'entre eux sont recrutés dans l'armée arabe[31].
D'après certains historiens musulmans, prévoyant la déroute de son armée, Kahina aurait envoyé au préalable ses deux fils à l'armée arabe pour les protéger, ceux ci auraient été intégrés à un rang élevé dans l’armée arabe. Toutefois, l'historien Al-Waqidi (IXe siècle) indique qu'ils sont morts avec leur mère[30].
Récits médiévaux
Kahina est réputée user de pouvoirs magiques : « Hassan accorda au fils aîné de la Kahena le commandement en chef des Djeraoua et le gouvernement du Mont-Auras. Il faut savoir que d'après les conseils de cette femme, conseils dictés par les connaissances surnaturelles que ses démons familiers lui avaient enseignées, ses deux fils s'étaient rendus aux Arabes avant la dernière bataille[32] ». Selon Ibn Khaldoun, elle serait âgée de 127 ans le jour de sa mort[4].
Parmi les tribus berbères, Ibn Khaldoun distingue :
- les Idjerawen (ou Djerawa, Ḏjarâwa), tribu qui habitait les Aurès et à laquelle appartenait Kahina ;
- les Nefousas (ou Nefzawas), Berbères de l'Ifriqiya ;
- les Fendelawa, les Medîouna, les Behloula, les Ghiata et les Fazaz, Berbères du Maghreb al-Aqsa (nom arabe correspondant au Maroc).
Parmi ces tribus originaires de l'actuelle Tunisie, des Aurès, de l'actuelle Algérie et de l'actuel Maroc, la tribu des Djerawa est une des plus puissantes de la confédération des Zénètes[33].
Mais, selon Gabriel Camps, les deux tribus berbères citées, Djerawa et Nefzawas, seraient de confession chrétienne avant l’arrivée de l’islam.
Selon al-Darisi, Dihya commande la tribu des Djerawa pendant soixante-cinq ans, vit cent vingt sept ans et gouverne l'Ifriqiya pendant cinq ans[33]. Selon d'autres, elle prend la direction de la résistance à 22 ans.
Les récupérations se multiplient : « Al-Bakrî rapporte ainsi une légende faisant de l’amphithéâtre d’El-Djem « le château de la Kahena » ; il note même à propos de Ghadamès, en plein Sahara : « on y voit des souterrains que la Kahena, celle qui s’était montrée en Ifrîqiyya, avait employés comme prison ». Et Al-Tidjânî, de son côté, rapporte la même tradition sur El-Djem, mais en appelant la reine « la Kahena des Lawâta »»[4].
Divergences historiques
Le rôle joué par Dihya constitue un enjeu considérable pour ses commentateurs. Les sources que nous avons sur Dihya, proviennent en grande partie des historiens musulmans. C'est donc pour certains d'entre eux, sur des arrière-pensées et vues politiques que sont fondées leurs affirmations. Cela est d'autant plus difficile à vérifier que les sources diverses sont rares.
Aussi, « tous les historiens arabes anciens, y compris Al-Mâlikî[34], ne disent pas un mot de Dihya et des Djeraoua (ignorés aussi des géographes) »[4].
Face aux interprétations hypothétiques, romanesques ou fantaisistes, on peut « s’en tenir aux informations données par les sources des IXe-XIIIe siècles : la Kahena avait d’abord été « la reine de l’Aurès », avant de devenir « la reine des Berbères de l’Ifrîqiyya », nom que lui donnent simplement les textes les plus anciens (les sources d’Elie Bar-Sinaya, Ibn 'Abd al-Hakam et Al-Balâḏẖûrî) »[4].
Une femme
« L’émergence d’une femme à la tête d’une principauté ou d’un royaume berbère a parfois surpris les historiens modernes, et a été une des sources de la thèse de la non-historicité[30]. Au xviiie siècle, Charles Le Beau supposait même que Kahina était « le patrice Jean lui-même (le général byzantin qui avait repris temporairement Carthage en 697), que les historiens arabes ont déguisé en femme parce qu’il était eunuque[35] ». Mais Ibn Khaldoun lui-même, dès la fin du xive siècle, avait manifestement aussi été gêné par ce point, et, de manière très originale, il ajoutait ceci à sa présentation de la reine »[4],[36] :
« Cette femme avait trois fils, héritiers du commandement de la tribu, et comme elle les avait élevés sous ses yeux, elle les dirigeait à sa fantaisie et gouvernait, par leur intermédiaire, toute la tribu. »
« Force est, certes, de reconnaître qu’à l’exception peut-être de la princesse saharienne Tin Hinan, aucun autre exemple de femme à la tête d’une tribu ou d’une confédération berbère dans l’Antiquité tardive n'est connu. Mais l’unanimité des sources arabes, en dehors de ce passage d’Ibn Khaldoun, ne justifie aucune autre hypothèse, d’autant que deux faits spécifiques réduisent la singularité de ce pouvoir féminin. Le premier est le lien qu’établissent plusieurs sources entre Kahina et Koceïla, et le contexte dramatique des années qui suivent la mort de ce chef : dans d’autres sociétés, aussi peu portées jusque-là à admettre un pouvoir féminin, mais plongées dans de telles circonstances, l’émergence de fortes personnalités transcende souvent les préjugés et les discriminations entre les sexes. C’est d’ailleurs cette comparaison aussi, toutes différences mises à part, qui inspirait certains historiens du siècle passé[Lequel ?] lorsqu’ils n’hésitaient pas à faire de Kahina « la Jeanne d’Arc berbère » »[4].
Une prophétesse
« Dans le cas de Kahina, le phénomène a d’autant plus de chances de s’être produit qu’elle a elle-même la réputation d’être une prophétesse, et ceci dans une société où ce don est, selon le témoignage de l’historien byzantin Procope de Césarée au VIe siècle, l’apanage des femmes »[4] :
« Car chez eux il n'est pas permis aux hommes de prédire l'avenir; ce sont les femmes qui, après avoir accompli certaines cérémonies, remplies de l'esprit divin comme les anciennes pythonisses, ont le privilège de dévoiler les événements futurs[37]. ».
Procope, témoin direct des insurrections berbères des années 534-535 en Byzacène et Numidie, ajoute que c’est en fonction de leurs oracles que les chefs berbères avaient alors déterminé leur stratégie politique face à l’Empire. Et Corippe, témoin des mêmes événements, évoque à deux reprises la consultation par des chefs berbères d’une prophétesse établie dans une oasis du désert libyen, probablement Augila. Il y avait là une source potentielle d’autorité. Allant plus loin, en se fondant sur l’exemple d’un autre chef évoqué par le poète, Ierna, qui était à la fois roi et prêtre des Laguatan, M'hamed Hassine Fantar a avancé que Kahina aurait, en fait, exercé ce double pouvoir. L’hypothèse manque de preuves, mais dans tous les cas, pour exceptionnel qu’il ait été, le commandement d’une femme sur les Berbères ne peut ainsi réellement être rejeté, surtout, encore une fois, dans le contexte si particulier de la fin des années 680.
Appartenance tribale et religieuse
« On a dit plus haut la prudence qui devrait s’imposer pour ce qui concerne l’appartenance tribale de Kahina. La seule certitude en la matière est que, quand bien même (selon Ibn Iḏẖari) un de ses deux fils aurait été un « Rûm » (c'est-à-dire, un Romain), les Arabes virent en elle une Berbère, bien différente des Afarîqs (les Berbères romanisés) et des Byzantins. Mais force est ici de revenir à cette question parce que c’est la mention par Ibn Khaldoun des Djeraoua (Ḏjarâwa) qui a conduit pendant plus d’un siècle les historiens à faire de la reine une princesse juive. Dans un chapitre général sur l’histoire de la conquête, juste avant de raconter l’histoire de Kahina, l’auteur du Livre des exemples ouvre en effet une curieuse parenthèse pour signaler que sept tribus berbères avaient été de religion juive, dont les Djeraoua, « tribu qui habitait les montagnes de l’Auras et à laquelle appartenait la Kahena » [4]»
« Se fiant à la traduction de Slane, Émile-Félix Gautier bâtit sur ce passage une de ces grandioses constructions historiographiques auxquelles il était accoutumé, en le reliant, puisque Ibn Khaldoun faisait des Djerawa des Botr, à sa théorie des migrations des grands nomades chameliers libyens. Reprenant sans le reconnaître une idée de Henri Tauxier[Qui ?], vieille de plus d’un demi-siècle, il supposa que les juifs de Cyrénaïque, insurgés en 117 et écrasés par les armées de Trajan, s’étaient enfuis dans le désert libyen. Là, ils auraient converti[38] des groupes nomades, qui, bientôt maîtres de l’élevage du dromadaire, commencèrent une migration dévastatrice vers l’ouest, dont l’installation des Djeraoua dans l’Aurès aurait été un des moments essentiels. Sans être acceptée dans tous ses détails, la théorie eut un immense succès au milieu du siècle dernier[Lequel ?], et conforta la thèse d’une Kahina berbère. D’ailleurs, ajoutait-on, le nom même de celle-ci n’évoquait-il pas les Kohen, les prêtres juifs ? »[4].
L'historien Paul Sebag (1919-2004) pense que la Kahéna était juive[39], rejoignant en ceci l’historien grec Strabon (60 av.-20 ap. J.-C.) qui déclare que les Juifs ayant été déportés par l'empereur Trajan dans ce qui fut l’Ifriqiya, étaient nombreux auraient participé à la conversion au judaïsme d’un grand nombre de Berbères[40],[38].
« Dès 1963, l’historien israélien Haim Zeev Hirschberg[41]... remit en cause cette interprétation, et de manière générale l’existence de grandes tribus berbères juives à la fin de l’Antiquité[42],[43],[44]. Mais son travail, pour des raisons en grande partie extra-scientifiques, fut contesté et resta quasiment ignoré des historiens de l’Afrique byzantine et de la conquête arabe. C’est la parution d’un article de Mohamed Talbi en 1971, avec une nouvelle traduction française du passage du Livre des exemples et un commentaire détaillé, qui ébranla enfin ce mythe, assurément un des plus populaires de l’historiographie nord-africaine. Deux arguments furent ici décisifs. D’abord, Ibn Khaldoun faisait suivre son paragraphe sur les Berbères juifs (Imazighen udayen)[38] par ces phrases, toujours oubliées des commentateurs »[45] :
« C’est Idris le Grand... qui, en se proclamant souverain du Maghreb, vint y effacer les dernières traces des différentes religions et confessions qui avaient subsisté (après l’islamisation). En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, les Berbères d’Ifrîqiyya et du Maghreb étaient, avant l’Islam, sous la domination des Francs (Latins ?) et professaient le christianisme, religion qu’ils partageaient avec Byzance. Telle était la situation lorsque commencèrent les invasions musulmanes »
Et il le faisait surtout précéder de cette précision[45] :
« De même, peut-être, certains groupements berbères avaient-ils même professé le judaïsme, empruntant cette religion aux Fils d’Israël au moment de l’apogée de l’extension de leur royaume, en raison de la proximité de la Syrie, alors toute puissante, de leur pays. Tel fut en particulier le cas des Djeraoua... »
« Manifestement, ce judaïsme de certains Berbères, et des Djeraoua en particulier, était donc pour Ibn Khaldoun une réalité d’un autre temps, ancien, qui se situait à l’époque où, selon le mythe de leur origine palestinienne souvent mentionné dans les sources arabes, ils avaient été les voisins des Juifs, eux-mêmes alors à leur apogée (sous David et Salomon ?). Dans son article, Mohamed Talbi admettait la possibilité d’une ancienne communauté de religion entre les deux peuples. En réalité, on peut se demander s’il ne s’agit pas là seulement d’un des avatars de ce mythe d’origine, qui faisait des Berbères les descendants des Cananéens ou des Philistins. L’essentiel, notait à juste titre l’historien tunisien, restait cependant la référence au christianisme des Berbères au moment de l’arrivée des Arabes, une réalité confirmée par bien d’autres textes. Mohamed Talbi en citait certains, Gabriel Camps après lui, et l’auteur de ces lignes encore récemment en ont réuni d’autres, qui ne laissent guère de doutes sur l’ampleur de cette christianisation des populations berbères à la fin de l’époque byzantine »[4].
« Le phénomène (de christianisation) est-il cependant sûr pour Kahina elle-même ? Ibn Khaldoun ne le dit pas explicitement, et aucun autre auteur arabe avant lui. En revanche, l’un d’entre eux, Al-Maliki, ajoute un détail singulier : « elle avait avec elle une énorme idole de bois qu’elle adorait ; on la portait devant elle sur un chameau ». Mohamed Talbi, suivi par Gabriel Camps, a voulu voir dans cette idole une icône chrétienne, du Christ, de la Vierge, ou d’un saint protecteur de la reine. A l’inverse, et par comparaison avec l’exemple, il est vrai troublant, de Ierna, qui en 546 portait avec lui l’idole du dieu Gurzil, M'hamed Hassine Fantar a défendu la thèse d’une divinité berbère, et donc fait de Kahina une païenne. Aucune certitude n’est possible, mais la christianisation de l’Aurès dans l’Antiquité tardive est une réalité qui n’est guère contestable, et qui atteignait aussi les Berbères : l’imperator Masties de l’inscription d’Arris, contemporaine de l’époque vandale, en est le plus bel exemple. Or Masties fut probablement un des prédécesseurs de Kahina à la tête du royaume aurasien. L’appartenance de la reine à la communauté chrétienne reste donc l’hypothèse la plus vraisemblable »[4].
Politique de la terre brûlée
L'historiographie a également mis l'accent sur la politique de la terre brûlée qui aurait été pratiquée par Kahina, d'après Ibn Khaldoun[réf. nécessaire], Émile-Félix Gautier, Ibn El Athir dans son livre: Al-Bayan al-Mughrib, ce qui aurait motivé le mécontentement des cultivateurs de la côte. Cette version est contestée par certains historiens, comme Mohamed Talbi, ou Yves Modéran[4], selon lesquels, il se serait agi, pour les historiens musulmans, de discréditer la reine berbère hostile à l'expansion musulmane : des villes et des villages auraient certes effectivement été dévastés, mais cela s'expliquerait non par l'invasion musulmane, mais par le fait que le Maghreb, depuis la chute de l'Empire romain d'Occident, était le théâtre d'affrontements entre Byzantins et Berbères, voire entre Berbères nomades et sédentaires.
Archéologie
En Algérie, dans la région des Aurès, aucune étude sérieuse n'a été entreprise à ce jour. Mais depuis 2006, les autorités algériennes affirment entreprendre des recherches[46].
En Tunisie, le seul endroit qui témoigne de l'existence de Kahina est l'amphithéâtre d'El Djem[47].
La ville antique de Baghaï (dans la wilaya de Khenchela), où est supposé se trouver le château de Kahina (selon la légende, elle vivait dans un palais, à plusieurs reprises, les archéologues pensaient l'avoir trouvé, mais apparemment sans succès pour l'instant[48]), pourtant classée monument du patrimoine national, est en péril, ce que déplorent les spécialistes algériens sur place[49].
Postérité
Elle est citée par des auteurs arabes[Lesquels ?], après l'invasion de Baghaï, comme une femme possédant une poigne de fer, tout en étant une redoutable combattante[réf. nécessaire]. Dihya est la seule femme connue de l'histoire à avoir combattu militairement les Omeyyades[50].
De nos jours, La Kahina reste adulée dans le pays Chaoui en Algérie et est surnommée Yemma Kahina, « maman Kahina » en langue amazigh[51].
Une statue a été construite en Algérie, à la mémoire de Kahina : à l’initiative de l’association Aurès El Kahina, elle a été érigée dans le centre-ville de Baghaï, wilaya de Khenchela, et inaugurée en 2003 par le président de la république Abdelaziz Bouteflika, lors de sa visite dans la wilaya. La statue, réalisée en acier Corten, est l'œuvre de l’artiste sculpteur Ali Bouteflika, qui s’est inspiré des anciennes pièces de monnaie à l’effigie de la reine[52],[53].
Incendie du 12 avril 2016
Dans la nuit du 12 avril 2016, la statue de Dihya, à Khenchela, est victime d'un incendie criminel. Elle est volontairement brûlée à Baghaï par des personnes non identifiées la nuit du jeudi au vendredi 12 avril[54],[55],[56]. Le Mouvement autonomiste chaoui (MAC) dénonce l'incendie et déclare : « Dans ce Pays chaoui qui se meurt où l’histoire et la langue ne tiennent plus qu’a un fil, une forfaiture est commise dans un lieu hautement symbolique de notre identité en portant atteinte au symbole de la résistance chaouie »[54],[55]. L'acte est dénoncé et condamné par une grande frange de la société civile indignée[57].
À la suite de cet événement, la statue est restaurée quelques jours après par de jeunes chaouis révoltés par cet acte[57]. Certaines ont reproché aux autorités locales leur indifférence, et le fait qu'elles n'aient pas pris d'initiatives afin de chercher les coupables[58]. Un rassemblement de protestation a eu lieu le 20 août 2016 contre la tentative de vandalisme de la statue de Dihya[58]. des militants chaouis ont notamment mis en avant plusieurs revendications, en appelant les autorités locales à restaurer la statue grâce à des spécialistes, et en exigeant le changement de la plaque du monument afin d'y ajouter la langue amazighe[58].
Dans la culture
Littérature algérienne
Berthe Bénichou-Aboulker est la première femmes de lettres à la célébrer dans une pièce de théâtre : La Kahena, reine berbère, en 1933[59].
Dans la littérature algérienne contemporaine, Kahina est évoquée dans les œuvres de Kateb Yacine ainsi que beaucoup d'autres écrivains :
L’originalité de Kateb Yacine, suivant l’essayiste, est d’avoir fait de Kahina une païenne au sens non idolâtre ou polythéiste, mais dont le paganisme s’apparente à un matérialisme moderne. Dans la « femme sauvage » qu'il écrit entre 1954 et 1959, Kateb présente Kahina comme une adoratrice de la terre, seule divinité qu’elle reconnaisse. Cette passion pour la terre est synonyme de patriotisme[60].
Kahina prend alors l’image de "la vierge aux abois" nommée la "Numidie", abandonnée mourante par "Jugurtha", comme l’évoque Rachid dans son roman Nedjma en se disant :
« Et c’est moi, Rachid, nomade en résidence forcée, d’entrevoir l’irrésistible forme de la vierge aux abois (Kahina), mon sang et mon pays; à moi de voir grandir sous son premier nom arabe la Numidie que Jugurtha laissa pour morte[61]. »
« Khaïr-Eddine, selon Zemmouri, évoque Kahina dans ses textes comme une ancêtre emblématique (…). Dans Agadir le héros reconnaît comme divinité la « Déesse Sudique Rutilante » qui semble désigner à la fois Kahina et la terre du sud (…). L’histoire devient alors mythe. Mais alors que Farès et Kateb exaltent et célèbrent en elle la femme qui symbolise la résistance aux envahisseurs arabo-musulmans, Khaïr-Eddine, lui, préfère voir en elle le symbole de la révolte. Si elle intervient dans son œuvre c'est en tant que personnage incarnant l'opposition à l'ordre établi[38]. »
Dans ce même roman Kahina proclame : « Je suis Kahina La Berbère. Les Roumis m’appellent la Reine Serpent de Barbarie. Mais je suis communiste…[38]. »
Littératures étrangères
Plusieurs femmes ont évoqué Kahina, comme Gisèle Halimi dans son livre La Kahina ou Baya Jurquet-Bouhoune dans son livre Femmes algériennes : de la Kahina au Code de la Famille, où elle dénonce le code de la famille adopté le , en Algérie. On compte aussi La Kahina de Roger Ikor, un roman édité chez Encre.
Gisèle Halimi a déclaré pour sa part :
« J’ai voulu clore ce cycle par la Kahina. Dans son contexte historique, je l’ai fait vivre, aimer, guerroyer, mourir. Comme mon père, Édouard le Magnifique, l’aurait peut-être imaginée. La Kahina était-elle son ancêtre ? Peut-être. L’ai-je aimée en la faisant revivre. Oui. Passionnément[62]. »
L'auteur Manly Wade Wellman, a écrit un roman fantaisiste historique à son sujet, intitulé Cahena.
On doit à Isaure de Saint Pierre le roman : La Kahina, reine des Aurès, paru en novembre 2011 chez Albin Michel.
Dans le cinéma
- Dans la série télévisée Sydney Fox, l'aventurière (épisode 64), les chasseurs de reliques récupèrent un artefact ayant appartenu à Kahina. Elle est vue dans des scènes de flashback.
- L'épisode L’Héritage, de la saison 6 de Xena, la guerrière, fournit une histoire romancée sur Kahina (jouée par Alison Bruce) au Maghreb.
Notes et références
Notes
Références
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Annexes
Articles connexes
Cartes repères
Sources primaires
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Essais, romans, théâtre
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- Gisèle Halimi, La Kahina (roman), Plon, Paris, 2006. (ISBN 978-2259203142)
- Yacine Kateb, Parce que c'est une femme : entretien suivi de trois pièces de théâtre : La Kahina ou Dihya ; Saout Ennissa. Présentation - 2004 . (ISBN 272100493X)
- Didier Nebot, La Kahéna, reine d'Ifrikia (roman), Anne Carrière, Paris, 1998 . (ISBN 2-910188-97-3)
- Raouf Oufkir, Kahena, 2 volumes, « La Princesse sauvage » et « La Reine guerrière », Flammarion.
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Recherches historiques actuelles
- (en) Abdelmajid Hannoum, « Historiography, Mythology and Memory in Modern North Africa: The Story of the Kahina », Studia Islamica, no 85, , p. 85 (ISSN 0585-5292, DOI 10.2307/1595873, lire en ligne, consulté le )
- Abdelmajid Hannoum, « Historiographie et légende au Maghreb : la Kâhina ou la production d'une mémoire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 54, no 3, , p. 667-686 (ISSN 0395-2649, DOI 10.3406/ahess.1999.279771, lire en ligne, consulté le )
- Yves Modéran, « Kahena », Encyclopédie berbère, no 27, (lire en ligne, consulté le )
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