Calife
Le terme calife, khalife[1] ou caliphe[2] (prononcé ḫalīf en arabe) est une romanisation de l'arabe khalîfa (ḫalīfat, خَلِيفَة, ), littéralement « successeur » (sous-entendu du prophète), terme dérivé du verbe khalafa (ḫalafa, خَلَفَ) signifiant « succéder », titre porté par les successeurs de Mahomet après sa mort en 632 et, pour les sunnites, jusqu'à l'abolition de cette fonction par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Les ibadites ne reconnaissent plus aucun calife depuis 657. L'autorité d'un calife s'étend sur un califat. Il porte aussi le titre de commandeur des croyants, titre aboli chez les chiites après la mort d'Ali.
« Khalife » redirige ici. Pour le nom de famille, voir Khalifé.
Les critères de choix sont différents entre les chiites et les sunnites mais le porteur du titre a pour rôle de garder l'unité de l'islam et tout musulman lui doit obéissance : c'est le dirigeant de l’oumma, la communauté des musulmans. Pour les sunnites, la fonction est élective. Les chiites pensent à l'inverse que si un calife doit être choisi, il devra l'être selon le principe de l'imamat. L'actuel et unique prétendant des chiites duodécimains est Muhammad al-Mahdi, en occultation depuis 939 et qui n'est autre que le Mahdi.
Historique
Les « bien guidés »
Selon l'historiographie musulmane, à la mort de Mahomet en 632, l'entourage de celui-ci nomme comme successeur à la tête des musulmans le premier calife Abou Bakr[3] qui poursuit la conquête de la péninsule Arabique. À sa mort en 634, son premier ministre Omar lui succède. Celui-ci conquiert la Palestine, la Mésopotamie, l'Égypte et la Perse ; en 644, il est poignardé par un ancien esclave perse. Avant de mourir, il désigne un comité de six personnes qui doivent choisir parmi eux le troisième calife, Othman (644-656). Le quatrième calife est Ali (656-661). Ces quatre premiers califes sont nommés « les califes bien guidés »[4].
Le schisme et la crise de légitimité du calife
Le califat uni prend fin avec le règne d'`Alî, le quatrième calife qui fait face à une vague de contestation menée par le charismatique Mu`awîya, ancien scribe du Prophète lui-même nommé calife par ses partisans. Tous deux s'affrontent finalement en 657 à la Bataille de Siffin, qui scelle le premier schisme de l'Islam, entre ceux qui sont plus tard appelés sunnites, chiites (partisans d'`Alî) et kharidjites (qui se retirent de la délibération). Les deux principales subdivisions ont par la suite chacune leur calife, et parfois plusieurs au gré des scissions politiques de leur empire : plus aucun calife ne retrouve jamais la légitimité des premiers sur l'ensemble de l'oumma.
Les califes sont d'abord élus mais, dès la fin du Ier siècle de l'hégire, Muawiya Ier (ou Moavian, Muawiyya), le premier calife Omeyyade, abolit l'élection et rend le califat héréditaire dans sa famille : ce titre devient donc rapidement dynastique. La première de ces dynasties est celles des Omeyyades (issus de Mu`awîya) qui choisissent Damas comme capitale et donnent ainsi son nom au califat. Viennent ensuite celles des Abbassides (califat éponyme), qui portent leur siège à Bagdad. Ceux-ci voient leur autorité contestée et la proclamation de califats concurrents (Fatimide au Caire, Omeyyade exilés à Cordoue, dans le nouvel état d'Al-Andalus) si bien que dès le IXe siècle, à peine plus de deux cents ans après l'hégire, le monde musulman est divisé en trois califats indépendants.
On distingue trois principaux califats pendant le Moyen-âge[5] :
- celui d'Orient, dont le siège est d'abord à Médine au cours des trois premiers califats, ensuite à Koufa en Irak jusqu'à la mort d'Ali, puis à Damas sous la famille des Omeyyades, et à Bagdad sous celle des Abbassides ; il dure 626 ans (632-1258) ; califat unique à ses débuts, certains territoires s'affranchissent par la suite de son autorité en se constituant comme califats concurrents ;
- celui des Fatimides, qui est fondé en 909 par Ubayd Allah al-Mahdi, descendant de Fatima, fille de Mahomet, et qui est renversé en 1171 par Saladin.
- celui de Cordoue, proclamé en 929 par Abd al-Rahman III, issu d'un émirat fondé dans l'Al-Andalus en 756 par Abd al-Rahman Ier, de la famille des Omeyyades, et démembré en 1031 ;
Les califes perdent toute puissance temporelle depuis la création de l'Emir-al-Omrah (935)[5]. Il y a pourtant des califes jusqu'en 1516 ; en cette année, le sultan ottoman Selim Ier se fait céder le califat par le dernier abbasside, Al-Mutawakkil III. Selim Ier fait transporter les reliques de Mahomet et des quatre premiers califes à Constantinople comme symboles de sa position califale.
L'autorité califale est à partir de cette date assurée par la Dynastie ottomane jusqu'à ce que Kemal Atatürk abolisse le califat en 1924, deux ans après avoir aboli le sultanat[5]. Le 101e et dernier calife est Abdülmecit II, qui s'exile en France. Il meurt en août 1944 à Paris, puis est enterré à Médine.
Tentatives de résurrection récentes du califat
Au XXe siècle
Au début du XXe siècle, beaucoup de musulmans, en particulier les musulmans des Indes, voulaient voir le chérif de La Mecque Hussein ibn Ali prendre la fonction de calife. Il est devenu célèbre après la révolte arabe qui a été lancée contre les Turcs en 1916-1918. Hussein ibn Ali proclame en 1916 l'indépendance du Royaume du Hejaz à la suite de la bataille du 10 juin au et fait de La Mecque sa capitale. Cette année-là, Hussein Ibn Ali se déclare lui-même roi du Hejaz (reconnu internationalement le ). En 1924 Hussein ibn Ali est vaincu lors d'une deuxième bataille par Abdelaziz Al Saoud, fondateur du troisième État saoudien, l'actuelle Arabie saoudite. Le nouveau souverain supprime alors le poste de Chérif de La Mecque et se proclame lui-même gardien des deux saintes mosquées, mais préfère ne pas s'aventurer à briguer le titre contesté de calife.
Le roi égyptien Fouad Ier songea également à reprendre le califat, mais ne parvint jamais à trouver une légitimité suffisante en dehors de son pays. Certains souverains comme le Roi du Maroc possèdent également un pouvoir spirituel dans leur pays en tant que « commandeur des croyants » (Amir Al Mouminine), mais ce pouvoir demeure strictement national.
De nos jours
De nos jours, certains musulmans[Lesquels ?], notamment les takfiris, sont encore favorables au retour du califat, même si son pouvoir ne serait en rien comparable à celui de la papauté actuelle. En effet, le calife serait le représentant des musulmans sur les plans à la fois politique et religieux et, à la différence de ce qui est le cas pour le catholicisme, n'aurait pas pour rôle principal de définir le Magistère (notion inexistante en islam) et l'unité de Foi, comme le fait le Pape. Cela entrainerait théoriquement la création d'une nation d'un milliard d'habitants, s'étendant potentiellement du Maghreb à l'Indonésie. Le principal obstacle à un retour du califat est l'éclatement religieux de l'Islam : aucun chef spirituel d'aucun courant de l'Islam ne saurait avoir une légitimité suffisante pour être reconnu à la fois par les chiites, sunnites, kharidjites et ibâdites et leurs multiples subdivisions. Mais il ne faut pas oublier que les califes Omeyyade, Abbasside et Ottoman ne furent jamais reconnus par des non-sunnites, tout comme les califes Fatimides (qui régnaient à la même époque que les Abbassides) ne furent jamais reconnus par des non-ismaèliens. Par ailleurs, les chefs religieux charismatiques des différents pays musulmans sont animés de divergences religieuses associées à des luttes de pouvoir bien trop antagonistes pour laisser supposer qu'une quelconque unité politique et religieuse puisse en émerger à moyen terme.
Le , l'État islamique en Irak et au Levant revendique le rétablissement du califat avec l'émir Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi comme calife[6] qui prend Abou Bakr comme nom de règne, en lieu et place de son vrai nom "Ibrahim Awwad" dit Abou Doua, sans toutefois obtenir la reconnaissance de la plupart des autorités musulmanes[5], qui estiment que seule la volonté générale de l'Oumma peut permettre sa restauration[7]. Après sa mort le lors d'un assaut des forces spéciales des États-Unis, la place redevient libre mais elle est rapidement attribuée à Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, un autre terroriste.
Henry Laurens, historien du monde arabe au Collège de France, parle à ce propos d'« invention de la tradition » au sens où « ce califat est aussi imaginaire que la façon dont Hollywood représente le Moyen Âge [...] on est en plein imaginaire de seconde zone [...] puisque ça n'a rien à voir avec la réalité historique du califat »[8].
Notes et références
- Les deux orthographes sont admises : voir Définitions lexicographiques et étymologiques de « calife » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- On le trouve parfois écrit caliphe (« calife », Centre national de ressources textuelles et lexicales).
- Les Médinois (les Ansars) ont essayé de faire élire l'un des leurs. Abû Bakr fait alors valoir que Mahomet a dit que « La fonction de présider revient aux Quraychites ». Les Ansars ont suggéré la candidature d’Ali comme plus proche parent de Mahomet, la nomination d'Abou Bakr est suivie de la révolte de plusieurs tribus qu'il a dû réprimer. Voir Tabari, La Chonique, vol. II, « Mohammed, sceau des prophètes », p. 349-352.
- Serge Lafitte, Chiites et sunnites. Petite bibliothèque des spiritualités, Plon, 2007. p. 6. (ISBN 978-2-259-20719-5).
- Anne-Bénédicte Hoffner, « Irak, qu’est-ce qu’un califat ? », sur LaCroix.fr, .
- « BLING-BLING – Le « calife » de l’Etat islamique critiqué pour sa montre », sur LeMonde.fr, .
- « Califat islamique : pour un prédicateur sunnite, il “viole la charia” », RTL.fr, 5 juillet 2014.
- Henry Laurens et Abdelwahab Meddeb, « Le chaos du Levant » [audio], sur France Culture, (consulté le ).
Source partielle
Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang (dir.), « Calife » dans Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, (lire sur Wikisource).