Corne de licorne
Une corne de licorne est un objet légendaire, connu en Europe occidentale. Durant la majeure partie du Moyen Âge et des Temps modernes, il est supposé être la corne unique ornant le front de la licorne. De nombreux pouvoirs de guérison et des vertus de contrepoison lui sont attribués. Ces propriétés, supposées réelles dès le XIIIe siècle, en font l'un des remèdes les plus chers et les plus réputés au cours de la Renaissance[1], et justifient son utilisation dans les cours royales. Les croyances liées à la « corne de licorne » influencent l'alchimie à travers la médecine spagyrique. L'objet est à l'origine d'une série de tests sur ses propriétés de purification, relatés entre autres dans l'ouvrage d'Ambroise Paré, Discours de la licorne, qui annonce les prémices de la méthode expérimentale.
Vue comme l'un des biens les plus précieux que puisse posséder un roi, la corne de licorne s'échange et peut être acquise chez les apothicaires comme contrepoison universel jusqu'au XVIIIe siècle. D'autres cornes sont exposées dans des cabinets de curiosités. La corne est utilisée pour créer des sceptres et d'autres objets souverains, tels que le « trône de licorne » des rois danois, le sceptre et la couronne impériale de l'Empire d'Autriche ainsi que le fourreau et le pommeau de l'épée de Charles le Téméraire. La licorne légendaire n'a jamais été prise, mais son symbolisme lié à son attrait pour le giron des vierges a fait de sa corne le symbole de l'incarnation du Verbe de Dieu, de l'innocence et de la puissance divine.
La croyance aux vertus de la corne de licorne et en sa provenance perdure du Moyen Âge au XVIIIe siècle, époque où la découverte du narval se diffuse. Ce mammifère marin est le véritable porteur de la « corne de licorne », en réalité une dent particulière poussant dans la bouche des mâles et de certaines femelles. Depuis, la corne de licorne est surtout mentionnée dans les œuvres de fantasy, les jeux de rôle et les jeux vidéo, qui ont repris son symbolisme légendaire.
Nature et propriétés de la corne
Issue d'une figure antique, la licorne est décrite par Ctésias comme porteuse d'une corne dont les princes indiens se serviraient afin de faire des hanaps contre le poison. Ces écrits sont repris par Aristote et Pline l'Ancien[2], Claude Élien dit lui aussi que boire dans cette corne protège des maladies et des poisons[3]. Ces écrits influencent les auteurs du Moyen Âge. Jusqu'à la Renaissance, la licorne devient l'animal imaginaire le plus important et le plus fréquemment mentionné dans l'Occident, son existence n'étant pas remise en cause. D'autres parties de son corps se voient attribuer des vertus médicinales. Ainsi, au XIIe siècle, l’abbesse Hildegarde de Bingen préconise un onguent à base de foie de licorne et de jaune d’œuf contre la lèpre[4]. Le port d’une ceinture en cuir de licorne est censé protéger de la peste et de la fièvre, tandis que des chaussures en cuir de cet animal éloigneraient les maladies des pieds[5].
L'utilisation médicinale réelle de la licorne est liée à sa corne et à son pouvoir de purification supposé depuis l'Antiquité, qui est mentionné explicitement pour la première fois au XIIIe siècle. Les légendes sur les propriétés de la corne de licorne circulant dès le Moyen Âge sont à l’origine du commerce florissant de ces objets qui deviennent de plus en plus communs jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, où leur origine réelle est connue. La licorne n'ayant jamais existé telle qu'elle est représentée, ce sont le plus souvent des dents de narval que l'on nomme « cornes de licornes » durant ces époques[6].
Purification des eaux
La première mention du pouvoir purificateur de la licorne figure dans une interprétation du Physiologus datée du XIVe siècle, où il est question d’un grand lac près duquel les animaux se rassemblent pour boire :
« Mais avant qu’ils ne soient rassemblés, le serpent vient et lance son poison dans l’eau. Alors, les animaux remarquent bien le poison et n’osent pas boire, et ils attendent la licorne. Elle vient et elle se dirige immédiatement vers le lac et, faisant avec sa corne le signe de la croix, elle rend le poison inoffensif. Tous les autres animaux boivent alors[7]. »
Le thème devient vite populaire, la scène de purification des eaux par une licorne est reprise en 1389 par le père Johann van Hesse, qui affirme avoir vu une licorne sortir de la mer pour nettoyer des eaux impures afin que des animaux puissent boire[8]. Symboliquement, le serpent qui empoisonne l’eau est le diable et la licorne figure le Christ rédempteur[9]. L’origine de cette légende semble indienne, à travers les textes grecs mentionnant le fait que les nobles indiens pussent boire dans des cornes de licornes pour se protéger des maladies et des poisons[8].
La licorne est le plus souvent représentée au bord d’une rivière, d’un lac ou d’une fontaine tandis que les animaux attendent qu’elle ait fini son œuvre pour boire. Cette scène est très fréquente dans l’art des XVIe et XVIIe siècles[10]. Des études et traductions sur ces dessins et récits popularisent la croyance selon laquelle le pouvoir de l'animal vient de sa corne, qui éliminerait les poisons dès qu’elle touche un liquide[8]. La purification des eaux forge la légende sur les propriétés de la « corne de licorne », et justifie plus tard l’usage de la « corne de licorne » comme antidote universel.
Propriétés médicinales
Les propriétés de la corne de licorne peuvent être mises en parallèle à celles de la pierre de bézoard, autre objet d'origine animale réputé dans la médecine de la Renaissance, et exposé comme rareté dans les cabinets de curiosités[11].
La « corne de licorne » se voit très vite attribuer de nombreuses propriétés médicinales et au fil du temps, outre la purification des eaux souillées dans la nature[12], son usage est préconisé contre la rubéole, la rougeole, les fièvres et les douleurs[13]. Les moines des couvents parisiens la font tremper dans l'eau avant de donner la boisson aux lépreux[12]. Elle fait office d’antidote et sous forme de poudre, est réputée faciliter la guérison des blessures, permettre de neutraliser les poisons (comme le venin du scorpion ou de la vipère)[14], voire lutter contre la peste[15]. Elle suerait en présence du venin[16], aurait aussi un pouvoir aphrodisiaque connu depuis l'Antiquité[17] et permettrait de vérifier la virginité des jeunes filles[18]. La corne est consommée de plusieurs façons, en donnant sa raclure en substance ou en infusion[19].
Sa fonction prophylactique et son pouvoir magique, bien que connus depuis des siècles, se précisent tandis que son commerce augmente et que divers trafics impliquant de « fausses » cornes et de fausses poudres se développent[20]. La valeur astronomique atteinte par ces objets laisse à supposer que leurs vertus imaginaires pourraient être à l'origine de guérisons bien réelles[12], probablement grâce à l'effet placebo.
Cette utilisation de la corne de licorne en médecine s'explique par le fait que les thérapeutes disposent alors de très peu d'instruments et d'objets, et par l'héritage antique voulant que ces derniers ne soient que des instruments de Dieu. L'Inquisition joue son rôle dans cette croyance, douter des pouvoirs de la corne signifie douter de l'existence de la licorne elle-même, animal de Dieu mentionné dans une traduction de la Bible. Les sceptiques risquent le bûcher[21].
De nombreux ouvrages sont consacrés à l'explication et à la défense des propriétés médicinales de la « corne de licorne », parmi lesquels Le Traité de la licorne, de ses admirables propriétés et de son usage d’Andrea Bacci en 1573 et Histoire de la nature, chasse, vertus, proprietez et usage de la lycorne de l'apothicaire Laurent Catelan, en 1624. Bacci a probablement écrit son ouvrage à la demande de ses patients, lesquels sont de gros investisseurs dans le commerce des cornes de licorne[22].
Exposition et utilisation comme antipoison
Des « cornes » de forme torsadée s’échangent et circulent depuis très longtemps : selon la légende, la « corne » exposée à Paris au musée de Cluny serait un présent du calife de Bagdad, Haroun al-Rachid, fait en 807 à Charlemagne[3]. Elle mesure presque trois mètres[23]. Une corne longue de sept pieds est exposée à Bruges, dans les Flandres[3]. La « corne de licorne » est censée être, dès le Moyen Âge, le bien le plus précieux que puisse posséder un roi[14], son utilisation médicinale est attestée depuis le XIIIe siècle, où les pharmaciens soignent avec des dents de narval présentées comme cornes de licorne, et dont ils possèdent de grands morceaux afin qu'on ne puisse la confondre avec celle d'un autre animal, tel le bœuf[24]. Ces objets se seraient échangés jusqu'à onze fois leur poids en or[12]. Certaines cornes, apportées dit-on au cours de la quatrième croisade de Constantinople, sont jetées au fond du puits du palais des Doges, à Venise, afin que l'eau ne puisse jamais y être empoisonnée. On trouve des « cornes » considérées comme des reliques sacrées au concile de Trente en 1563, ainsi que dans la cathédrale Saint-Denis au nord de Paris, la basilique Saint-Marc à Venise et à l'abbaye de Westminster. Elles sont généralement montées sur des socles d'argent et présentées comme des trophées que l'on ne sort qu'à l'occasion de grandes cérémonies[14].
Ambroise Paré rapporte, qu'à la cour du roi de France, d'aucuns prétendaient déceler la présence de poison dans les plats et les boissons : si la corne devient bouillante et se met à fumer, c'est que le mets est empoisonné[25]. Le pape Clément VII aurait offert une corne de licorne de deux coudées de long enclose sur une chasse d'or au roi François Ier de France lors du mariage de sa nièce Catherine de Médicis, à Marseille en [26], et ce roi ne se déplace jamais sans sa bourse remplie de poudre de licorne[2]. Le grand inquisiteur Torquemada porte lui aussi toujours sa corne de licorne pour se protéger du poison et des assassins[27].
Expériences alchimiques
Il existe diverses méthodes pour reconnaître une vraie « corne de licorne ». Elles sont mentionnées à partir du milieu du XVIe siècle. Ambroise Paré rapporte dans son Discours de la licorne les croyances qui y sont associées pour mieux dénoncer celles-ci. Ainsi lorsqu'il écrit « La vraye licorne, estant mise en l'eau, se prend à bouillonner, faisant eslever petites bulles d'eau comme perles[16] » il ajoute qu'il en va de même pour tous les corps poreux.
Une autre expérience décrite par Conrad Gessner consiste à donner du poison à deux pigeons ou deux chiots, puis à faire avaler à l’un d’eux un peu de corne réduite en poudre. Si la corne est authentique, l’animal qui prend le remède doit survivre et l’autre mourir[28]. Le maréchal de Brissac possède vers 1560 une « corne de licorne » authentifiée par ce procédé[29]. En 1587, David Pomis recommande de « mettre trois ou quatre grands scorpions dans un récipient fermé avec un fragment de corne. Si trois ou quatre heures plus tard les scorpions sont morts, la licorne est authentique[30] ». Ulysse Aldrovandi mentionne une expérience similaire à Venise : il s'agit de tracer un cercle sur une table avec la pointe de la corne, puis de mettre dans le cercle un scorpion et une araignée. Les animaux ne pourraient franchir le cercle et se seraient traînés un quart d’heure avant de mourir d’épuisement[31]. Cette expérience connaît plusieurs variantes[32]. Une araignée placée à l’intérieur d'une corne creuse est censée y mourir sans parvenir à s’échapper[33].
Le traité de médecine alchimique (spagyrie) du pseudo-Basile Valentin Le char triomphal de l'antimoine, en 1604, explique l'action médicinale de la corne de licorne dans le cadre de la théorie paracelsienne de la sympathie selon laquelle les semblables s’attirent et les contraires se repoussent : la pureté de la licorne repousserait du poison placé dans une coupelle flottant sur l'eau, alors qu'elle attirerait un morceau de mie de pain pur[32]. Au XVIe siècle, Claude du Molinet critique ce type d'expériences et le fait qu'il ne se trouve pas deux cornes semblables[34].
Critiques
En 1566, le médecin vénitien Andrea Marino publie le Discorso della falsa opinione dell’alicorno, où il s'oppose à l'utilisation médicinale de la licorne et la critique, disant que cet usage aurait été introduit par les médecins arabes[35], mais l'usage thérapeutique ne cesse pas pour autant, pas plus qu'à la suite de la publication du Discours de la licorne d'Ambroise Paré, en 1582[36], où le médecin s'y oppose également avec de nombreux arguments[16]. Chapelain, médecin de Charles IX, aurait confié à ce dernier qu'il n'ose pas critiquer l'habitude de faire tremper la corne de licorne dans l'eau, tant la croyance en ses vertus est forte chez la noblesse comme chez le peuple[36]. À l'époque, quiconque dénoncerait cette croyance court le risque d'être lynché[37].
Commerce des cornes
Du XVe au XVIe siècle, il n'y a probablement pas plus de 50 cornes entières circulant en Europe (la majorité étant des défenses de narval rapportées par les Vikings), ce qui maintient une valeur très élevée[38]. Le cours de la « corne de licorne » atteint son apogée au milieu du XVIe siècle, où elle est considérée comme le meilleur contrepoison existant avec la pierre de bézoard[39], une livre de 16 onces étant vendue jusqu'à 1 536 écus alors que le même poids d'or n'en vaut que 148[36]. Ainsi en 1576, lors d'une expédition financée par le comte de Warwick, Martin Frobisher rapporte une corne de licorne (en réalité une dent de narval) et du minerai de fer sans grande valeur pour la reine Élisabeth Ire qui achète la corne 10 000 livres (soit 600 000 euros actuel ou la valeur d'un château à l'époque)[40]. Son prix ne cesse de baisser au cours des années suivantes pour s'effondrer au XVIIe siècle, quand le naturaliste Ole Worm prouve en 1638 que ce ne sont que des cornes de narval[41], les voyages sur les terres d'Europe du Nord, côtes où l'on trouve les défenses de narval vendues comme cornes de licornes, devenant fréquents à cette époque[39].
Les « cornes de licornes » se trouvent alors partout en Europe sans que la plupart des acheteurs puissent connaître leur provenance, il est facile aux marchands de prétendre les avoir trouvées sur l'animal légendaire[6]. La présence de ces cornes dissipe aussi les doutes quant à l’existence réelle de la licorne, alors que les mammifères d’Afrique, d’Inde et de pays plus lointains perdent peu à peu leur mystère durant les grandes phases d'explorations de la Renaissance.
Le tableau ci-dessous montre l'évolution des prix d'une demi-once (soit 15 grammes) de « corne de licorne », du bézoard et de l'ivoire d'éléphant[42], en florins (un florin vaut 60 couronnes).
1612 | 1626 | 1628 | 1634 | 1643 | 1669 | 1686 | 1743 | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Corne de licorne | 64 florins | 32 florins | 32 florins | 48 florins | 32 florins | 4 florins | 4 florins | 10 couronnes |
Bézoard | 32 florins | 16 florins | 24 florins | 24 florins | 24 florins | 24 florins | 24 florins | 16 florins |
Ivoire (éléphant) | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes | 2 couronnes |
Lorsque la reine Élisabeth Ire monte sur le trône en 1558, un inventaire estime la « corne de licorne » du trésor royal de Londres à 100 000 livres, soit le prix de plusieurs châteaux, voire d'un comté en entier[38]. En 1641, elle ne vaut plus que 40 000 livres[43].
Transformations et objets d'art
Ces « cornes » sont souvent exposées dans des cabinets de curiosités aux côtés d'autres merveilles telles la pierre de bézoard. Si elles sont la plupart du temps laissées telles quelles afin que leur apparence prouve leur origine, des objets précieux sont également fabriqués dans ce matériau, tels que des coupes, gobelets, couverts (manches de couteaux…), vases et sceptres, principalement à l'usage des souverains[44]. Charles le Téméraire boit dans des gobelets en corne, la garde et le fourreau de son épée sont confectionnés dans ce matériau et il possède par ailleurs six cornes entières. Ces objets font partie de la dot que Marie de Bourgogne apporte à Maximilien Ier du Saint-Empire en 1477, puis reviennent à Philippe le Beau et à Charles Quint qui les utilise à son tour[12],[Note 1]. Le plus célèbre de ces objets d'art est le « trône de licorne » des rois du Danemark, entièrement construit en 1671 à partir de « cornes de licorne » (en réalité dents de narval et défenses de morse) alors que l'origine réelle de ces objets commence à se faire connaître[44]. Il est visible au château de Rosenborg, à Copenhague. Le sceptre et la couronne impériale autrichienne sont fabriqués en partie dans ce matériau.
L'empereur Rodolphe II, qui craint d'être empoisonné par sa cour, commande à son orfèvre Jan Vermeyen une tasse et un sceptre avec de l'or et des bijoux précieux sur une « corne de licorne », qui reviennent ensuite à son frère Mathias[34], et sont désormais exposés au musée d'Histoire de l'art de Vienne.
En Autriche, le trésor du palais impérial comprend une corne connue sous le nom de Ainkhürn (littéralement « une corne » ou « corne de la licorne »), offerte en cadeau par le roi de Pologne Sigismond II à la dynastie des Habsbourg et à l'empereur Ferdinand Ier en 1540. Avec la coupe d'agate, il est l'un des objets inaliénables de la maison de Habsbourg. Lors du partage de la succession après la mort de Ferdinand Ier, il a été convenu que ces deux objets doivent rester en la possession commune de la lignée royale sans jamais être donnés ou vendus[45].
- Le « trône de licorne » des rois de Danemark, utilisé pour les couronnements royaux de 1671 à 1840.
- Le sceptre et la couronne impériale autrichienne sont fabriqués en partie avec des dents de narval, vues comme cornes de licorne.
- Gobelet fait à partir d'une « corne de licorne », conçu par Jan Vermeyen, réalisé dans l'atelier de Miseroni à Prague vers 1600.
Découverte du narval
Dès le XVe siècle, certains savants supposent déjà que les fameuses « cornes de licorne » vendues comme contrepoison en Europe appartiennent à un animal marin[23]. Au cours du XVIe siècle, quelques écrits y font référence sans être remarqués, Pierre Belon s'étonnant qu'un animal dépeint comme de petite taille puisse porter une corne de près de trois mètres[46],[47]. Les auteurs s'étonnent aussi que les « cornes de licorne » semblent venir d'Angleterre, du Danemark ou d'Islande[48]. Ambroise Paré pense dans son Discours de la licorne que ces « cornes » sont en réalité des défenses de morses[16]. Les récits de voyageurs maritimes regorgent d'exploits attribués à des bêtes aquatiques à cornes[23], et le navigateur anglais Martin Frobisher décrit une rencontre avec une « licorne de mer » en 1577[49]. Des rapports d'observation comme celui du camphruch d'André Thevet font de la licorne une créature aquatique, ce qui la rapproche du cétacé qu’est le narval[23].
La première mention explicite d'un narval cornu figure dans un ouvrage savant de 1607 en ces termes : « la chair du Nahwal fait soudain mourir celui qui en mange, et il a une dent de sept coudées sur l'inférieure partie de la tête. Aucuns l'ont vendue pour corne de monocéros, et croit-on qu'elle résiste aux venins. Cette bestiasse a quarante aulnes de longueurs[50] ». Une autre description détaillée du narval paraît en 1645, mais sans faire le lien entre ce mammifère marin et la licorne[51].
En 1704, le lien est établi entre la défense du narval et la « corne de licorne » grâce à un célèbre dessin tiré du Museum Museorum de Michael Bernhard Valentini (première étude des collections d’Europe) comparant un narval, un squelette reconstitué d'Elasmotherium (rhinocéros fossile à corne frontale) et une représentation équine de la licorne, avec l'objet du litige au-dessous, sous le nom d'unicornu officinale[13]. La licorne y est présentée comme une créature légendaire, sous le nom d'unicornu fictium. Au fil du temps, il est admis qu'elle n'existe pas et que la plupart des « cornes de licorne » qui s’échangeaient jusque-là sont en réalité des dents de l'inoffensif narval mâle (et de certaines femelles), qui poussent dans la partie gauche de la mâchoire. Le narval vit au large du Groenland, dans les eaux glacées de l’Arctique, ce qui rend son étude difficile et a donc retardé sa découverte en Europe[6]. La défense du narval est restée longtemps considérée comme une corne et non comme une dent, probablement en raison du refus de la dissymétrie énoncé par Carl von Linné dans son Systema naturae[52],[6].
En 1751, L'Encyclopédie scelle la reconnaissance de la dent de narval comme source des prétendues cornes de licornes :
« Licorne (s.f.), animal fabuleux [...]. Les cornes de licorne qu’on montre en différens endroits, sont ou des cornes d’autres animaux connus, ou des morceaux d’ivoire tourné, ou des dents de poissons. [La] substance osseuse, semblable à de l’ivoire ou à une corne torse & garnie de spirales [qu'on rapporte parfois de Sibérie] n’appartient point à l’animal fabuleux à qui on a donné le nom de licorne ; mais [...] elle vient de l’animal cétacé, qu’on nomme narhwal[53]. »
Le narval bénéficie d'une longue notice scientifique dans la même œuvre, tout comme le rhinocéros, contribuant ainsi à dissiper les interrogations des européens du Siècle des Lumières autour de ces objets.
Le narval est depuis nommé la « licorne de mer »[6]. La découverte de ce mammifère marin fait s'effondrer le cours des « cornes de licorne » et met un terme à leur commerce[39], mais n'est pas immédiatement fatale à la croyance en l'existence de la licorne.
Symbolisme
En Occident, la corne de licorne renvoie à « une flèche spirituelle, un rayon solaire, une épée de Dieu, la révélation divine et la pénétration du divin dans la créature ». L'auteur ésotériste Francesca Yvonne Caroutch pense que cette corne capterait l'énergie cosmique afin de féconder la Madone dans l'abondante iconographie dite des Annonciations à la Licorne, où l'animal pose sa corne sur la Vierge Marie[54]. Selon le Dictionnaire des symboles, cette corne unique de la licorne est symbole de puissance et représentait l'incarnation du verbe de Dieu dans le sein de la Vierge[55].
Elle peut également renvoyer à un symbolisme phallique de par sa forme, comparée à une verge frontale ou à un phallus psychique[56]. La représentation de l'animal corne dressée vers le ciel représenterait la puissance et la fertilité[6], mais cette corne peut se faire tour à tour phallus et épée divine[14].
Elle possède une dimension spirituelle car il s'agit d'une spirale en 3-D située au niveau du troisième œil[57]. Selon une étude non soutenue, elle pourrait être un symbole de non-dualité ou de dualité résolue, et un objet de la justice sereine[58]. Elle illustre le parallèle entre la légende et le fantastique : bien qu'il existe réellement, le narval inquiète l'ordre du monde en raison de sa dent dissymétrique, tandis que la corne de la licorne est placée au milieu du front, et que l'animal légendaire lui-même est réputé participer à l'ordre du monde[18].
Corne de licorne et culture populaire
Les légendes sur les propriétés de la corne de licorne sont si répandues en 1562 qu'elles sont parodiées dans le cinquième livre de Pantagruel :
« J'y vis trente deux unicornes... Une d'icelles je vis, accompagnée de divers animaux sauvages, avec sa corne émonder une fontaine. Là me dit Panurge que son courtaut ressemblait à cette unicorne, non en longueur du tout, mais en vertu et propriété. Car ainsi comme elle purifiait l'eau des mares et fontaines d'ordure ou venin aucun qui y était, et ces animaux divers, en sureté, venaient boire après elle, ainsi sûrement on pouvait après lui farfouiller sans danger de chancre, vérole, pisse-chaude, poulains grenés et tels autres menus suffrages, car si aucun mal était au trou méphitique, il émondait tout avec sa corne nerveuse. - Quand, dit frère Jean, vous serez marié, nous ferons l'essai sur votre femme »
— François Rabelais, Pantagruel Livre cinquième, chapitre XXX[59].
Le fait que François Rabelais ne remette pas publiquement en cause les vertus supposées de la corne de licorne s'explique peut-être par le risque qu'il encourait avec la mainmise de l'Inquisition[21].
Après la découverte du narval, la corne de licorne est considérée comme un objet légendaire, mais ne disparaît pas de la culture populaire pour autant car de nombreux jeux vidéo et jeux de rôle, entre autres, la mentionnent parmi leurs objets mythiques et légendaires, en lui attribuant les mêmes pouvoirs qu'aux époques plus anciennes : purification et lutte contre le poison. Dans Donjons et Dragons, la corne de licorne est un puissant antidote[60], on la retrouve dans de nombreux jeux, tels que Rogue. Dans The Elder Scrolls IV: Oblivion, l'un des princes daedras demande au joueur de tuer l'unique licorne du jeu pour lui arracher sa corne. Dans la série Le Prince des Dragons, la corne de licorne est un ingrédient essentiel d'un sort suprême de vengeance, une fois corrompue par un sort de magie noire.
Notes et références
Notes
- L'épée et le fourreau sont visibles dans la salle du trésor impérial au musée Schatzkammer de Vienne.
Références
- Faidutti 1996, p. 13.
- Davenne 2004, p. 130.
- de Tervarent 1997, p. 281-287.
- de Bingen 1989, p. 196-197.
- Lecouteux 1993, p. 45.
- Mireille Didrit et Raymond Pujol, « Note de recherche d’Ethnozoologie : Licorne de Mer ou Licorne de Terre : le Narval », Université Paris V - Sorbonne, maîtrise d'anthropologie sociale et culturelle, sur nicus.club.fr, (consulté le ).
- Der Physiologus cité dans Freeman 1983, p. 27.
- Faidutti 1996, p. 39.
- Faidutti 1996, p. 59.
- Faidutti 1996, p. 61.
- Jean Hubert Martin, Jean Guillaume et Frédéric Didier, Le château d'Oiron et son cabinet de curiosités, Éditions du patrimoine, , 327 p., p. 131.
- Rochelandet 2003, p. 131.
- Valentini 1704, p. tome 3, ch. 30.
- Brasey 2007, p. 259-263.
- Ambroise Paré, Les œuvres d'Ambroise Paré, N. Buon, , 8e éd., 1320 p. (lire en ligne), p. 812.
- Paré 1582.
- Ferlampin-Acher 2002, p. 297.
- Jean-Marie Graitson et Centre des paralittératures et du cinéma, Actes du colloque Frankenstein littérature/cinéma, Chaudfontaine, Belgique, Éditions du CEFAL, , 128 p. (ISBN 978-2-87130-054-0, lire en ligne), p. 68.
- Pomet 1696, p. 26.
- Rochelandet 2003, p. 130.
- Lemoine 1996, p. 147.
- Giblin 1991, p. 77.
- Mireille Didrit et Raymond Pujol, « Note de recherche d’Ethnozoologie : Licorne de Mer ou Licorne de Terre : le Narval », Université Paris-V - Sorbonne, maîtrise d'anthropologie sociale et culturelle, sur nicus.club.fr, (consulté le ).
- Buck et Centre d'études supérieures de la Renaissance 1973, p. 215.
- Malrieu 1987, p. 131.
- Laure Fagnart, Léonard de Vinci en France : collections et collectionneurs (XVe-XVIIe siècles), Rome, L'Erma di Bretschneider, , 401 p. (ISBN 978-88-8265-554-9), p. 161.
- Lutavd 1906, p. 197-199.
- Gesner 1603, p. 693.
- Linocier 1584, p. 716.
- Pomis 1587, p. fol.238f.
- Aldrovandi 1616, p. 385.
- Valentin 2002, p. 58-59.
- Rodrigo a Castro 1621, p. 163-164.
- Davenne 2004, p. 131.
- Marini 1566.
- Introduction et notes dans Colonna 1994, p. CXII.
- Denis 1965, p. 277.
- Giblin 1991, p. 67.
- Faidutti 1996, p. 348-350.
- (en) Clint Marsh et Varla Ventura, Unicornicopia. Magical Creatures, Weiser Books, , p. 57.
- (en) Linda S. Godfrey, Mythical Creatures, Infobase Publishing, , p. 28.
- Schönberger 1935-1936, p. 214.
- Faidutti 1996, p. 345.
- Faidutti 1996, p. 336-337.
- (en) « Art and ‘junk’ – the Habsburgs and their cabinets of art and curiosities The horn of a unicorn and the Holy Grail: the Habsburg treasure », sur english.habsburger.net (consulté le ).
- Belon 1553, p. 16.
- Belon 1553, p. f°15v.
- Goropius 1569, p. 1037.
- Collinson 1867.
- Mercator 1607, p. 28.
- Bartholin 1645, p. 98-102.
- von Linné 1793, p. 297-298.
- Paul Henri Thiry d'Holbach, « Licorne », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, vol. 9, , p. 486 (lire en ligne).
- Francesca Yvonne Caroutch, Le Mystère de la Licorne : à la recherche du sens perdu, Dervy, , 534 p. (ISBN 978-2-85076-845-3), introduction.
- Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, (1re éd. 1969) [détail des éditions] p. 568-570.
- André Virel, Histoire de notre image p. 202 cité dans Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, (1re éd. 1969) [détail des éditions], p. 569.
- Evelyne Olah, Cheval et Somatothérapies, (lire en ligne)Livre auto-publié dont le résumé est consultable en ligne.
- Christian Mandon, « La licorne », Les origines de l'arbre de mai dans la tradition runique atlante boréenne, sur racines.traditions.free.fr, Racines et traditions en pays d'Europe (consulté le ).
- François Rabelais, Œuvres de François Rabelais, J. Bry Ainé, Librairie-Éditeur,, .
- Manuel des monstres de Donjons et Dragons, voir toutes éditions depuis celui de Gary Gygax et Dave Arneson, Dungeons & Dragons (3-Volume Set) (TSR, 1974).
Voir aussi
Ouvrages de médecine et d'alchimie fondateurs
- Hildegarde de Bingen, Le Livre des subtilités des créatures divines, t. II, Paris, éditions Millon, (ISBN 2-905614-31-5).
- (it) Andrea Marini, Discorso contro la falsa opinione dell'Alicorno, Venise, .
- (it) Andrea Bacci, L'alicorno discorso dell'eccellente medico et filosofo M. Andrea Bacci : nel quale si tratta della natura dell' alicorno et delle sue virtu eccellentissime, G. Marescotti, , 80 p..
- Ambroise Paré, Discours d'Ambroise Paré : À savoir, de la mumie, de la licorne, des venins et de la peste, Paris, (lire en ligne). , voir aussi Ambroise Paré, Voyages et apologie suivis du Discours de la licorne, .
- (it) David Pomis, Dittionario novo hebraïco : molto copioso, dechirato in tre lingue, Venise, .
- Geoffroy Linocier, Histoire des plantes avec leurs pourtraictz, à laquelle sont adjoutées celles des simples, aromatiques, animaux à quatre pieds, oiseaux, serpens et autres bêtes venimeuses, Paris, (lire en ligne).
- (la) Triumph Wagen Antimonii fratris Basilii Valentini, Leipzig, 1604. (en) Traduction anglaise de 1678 sur sacred-texts.com. (fr) Traduction française : Basile Valentin, Le char triomphal de l'Antimoine, Éditions L'Originel, , 159 p. (ISBN 978-2-910677-40-4, lire en ligne).
- (it) Esteban Rodrigo a Castro, De Meteoris Microcosmi, Florence, .
- Laurent Catelan, Histoire de la nature, chasse, vertus, proprietez et usage de la lycorne, .
- Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, traitant des plantes, des minéraux et des animaux, t. II, Paris, (lire en ligne).
Récits de voyage et d'exploration fondateurs
- Pierre Belon, Les Observations de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges, rédigées en trois livres, Paris, G. Corrozet, .
- (nl) Johannes Goropius, Origines Antwerpianæ, Anvers, .
- Gérard Mercator, Atlas Minor : traduction française par M. de la Popelinière, Amsterdam, .
- (la) Thomas Bartholin, De Unicornu Observationes Novæ, Padoue, (lire en ligne).
- (en) Sir Richard Collinson, The Three Voyages of Martin Frobisher in Search of a Passage to Cathaia and India by the North-West, 1576-8, A.D. 1576-8, Londres, Hakluyt Society, , 374 p. (lire en ligne).
Ouvrages de zoologie fondateurs
- (la) Conrad Gesner, Historiæ Animalium de Quadrupedibus Viviparis, Francfort, (lire en ligne).
- (it) Ulysse Aldrovandi, De Quadrupedibus Solipedibus, Bologne, (lire en ligne).
- (la) Michael Bernhard Valentini, Museum Museorum, t. 3, Francfort, , chap. 30.
- (la) Carl von Linné, Systema naturae, Bruxelles, .
Thèses et études
- Auguste Joseph Lutavd, La médecine anecdotique, historique, littéraire, vol. 1, J. Rousset, (présentation en ligne).
- (de) Guido Schönberger, Narwal-Einhorn, Stüdien über einen seltenen Werkstoff, vol. IX, Städel Jahrbuch, 1935-1936.
- (de) Philippe Cordez, Materielle Metonymie. Thomas von Cantimpré und das erste Horn des Einhorns, in Bildwelten des Wissens. Kunsthistorisches Jahrbuch für Bildkritik, 9/1, 2012, p. 85-92.
- Ferdinand Denis, Le monde enchanté : cosmographie et histoire naturelle fantastiques du moyen âge, vol. 111 de Burt Franklin research & source works series, Ayer Publishing, , 376 p. (ISBN 978-0-8337-0833-5, lire en ligne).
- August Buck et Centre d'études supérieures de la Renaissance, Sciences de la Renaissance, vol. 27 de De Pétrarque à Descartes, Vrin, , 308 p. (ISBN 978-2-7116-0680-1, lire en ligne).
- Margaret Freeman, La Chasse à la licorne : prestigieuse tenture française des Cloisters, Lausanne, Edita, , 247 p. (ISBN 978-2-88001-050-8).
- Pierre Malrieu, Le bestiaire insolite : l'animal dans la tradition, le mythe, le rêve, La Duraulié, coll. « Les Fêtes de l'irréel », , 213 p..
- (en) James Giblin (ill. Michael McDermott), The truth about unicorns, HarperCollinsPublishers, , 113 p. (ISBN 978-0-06-022479-0, présentation en ligne).
- Claude Lecouteux, Les monstres dans la pensée médiévale européenne : essai de présentation, vol. 10 de Cultures et civilisations médiévales, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, , 2e éd., 183 p. (ISBN 978-2-84050-021-6).
- Bruno Faidutti, Images et connaissance de la licorne : (Fin du Moyen Âge - XIXe siècle), t. 1, Paris, thèse de doctorat de l'université Paris-XII (Sciences littéraires et humaines), , 378 p. (lire en ligne).
- Louis-Paul Fischer et Véronique Cossu Ferra Fischer, « La licorne et la corne de licorne chez les apothicaires et les médecins », Histoire des sciences médicales, vol. 45, no 3, , p. 265-274 (ISSN 0440-8888, présentation en ligne).
- Patrick Lemoine, Le mystère du placebo, Odile Jacob, , 238 p. (ISBN 978-2-7381-0347-5, lire en ligne).
- Guy de Tervarent, Attributs et symboles dans l'art profane : dictionnaire d'un langage perdu : (1450-1600), Librairie Droz, , 535 p. (ISBN 978-2-600-00507-4, lire en ligne).
- Christine Ferlampin-Acher, Fées, bestes et luitons : croyances et merveilles dans les romans français en prose (XIIIe – XIVe siècles), Presses Paris Sorbonne, , 513 p. (ISBN 978-2-84050-193-0, lire en ligne). .
- Christine Davenne, Modernité du cabinet de curiosités, L'Harmattan, coll. « Histoires et idées des arts », , 299 p. (ISBN 978-2-7475-5860-0, lire en ligne).
Ouvrages de vulgarisation
- Brigitte Rochelandet, Monstres et merveilles de Franche-Comté : fées, fantômes et dragons, Cabedita, coll. « Archives vivantes », , 133 p. (ISBN 978-2-88295-400-8, lire en ligne).
- Édouard Brasey, La Petite Encyclopédie du merveilleux, Paris, Éditions Le Pré aux clercs, , 435 p. (ISBN 978-2-84228-321-6).
Ouvrages de fiction
- Francesco Colonna, Le songe de Poliphile, ou, Hypnérotomachie, vol. 1, Slatkine, (1re éd. 1467), 458 p. (ISBN 978-2-05-101310-9, lire en ligne)Édition annotée
Articles connexes
Liens externes
- Mireille Didrit et Raymond Pujol, « Note de recherche d’Ethnozoologie : Licorne de Mer ou Licorne de Terre : le Narval », Université Paris V - Sorbonne, maîtrise d'anthropologie sociale et culturelle, sur nicus.club.fr, .
- Christian Mandon, « La licorne », Les origines de l'arbre de mai dans la tradition runique atlante boréenne, sur racines.traditions.free.fr, Racines et traditions en pays d'Europe (consulté le ).
- Portail de la mythologie
- Portail des cétacés
- Portail de la fantasy et du fantastique
- Portail de la chimie
- Portail de la médecine