Bilinguisme au Cameroun

Le bilinguisme au Cameroun est une prescription des différentes lois fondamentales qu'a connues le pays depuis sa réunification le . En effet, la constitution du Cameroun du promulguée par le président Paul Biya, révision de celle du promulguée par Ahmadou Ahidjo, président de la République unie du Cameroun, dispose clairement : « La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur »[1].

Mais le « vivre ensemble » des Camerounais et la pratique quotidienne de ce bilinguisme dans les services publics et parapublics aboutissent à une situation quasi insurrectionnelle dans la partie anglophone du Cameroun depuis octobre 2016 : c'est le problème dit « anglophone » du Cameroun[2].

Histoire

Connu sous le nom Kamerun, le Cameroun est un protectorat allemand de 1884 à 1916. Pendant cette période, la langue officielle est l'allemand.

Mais la première guerre mondiale commence le . Au Kamerun elle oppose l'Allemagne, d'un côté, à la France et l'Angleterre de l'autre, dès le 05 août 1914[3]. L'Allemagne capitule au Kamerun en 1916, laissant le territoire aux belligérants vainqueurs que sont la France et la Grande-Bretagne.Le traité de Versailles du 28 juin 1919 vient entériner la division du territoire en deux. On parle alors de territoires sous mandat de la SDN (Société des Nations) dont l'administration est confiée à la France(Cameroun oriental) et à l'Angleterre(Cameroun occidental)[4]. Voilà l'origine des deux Cameroun. L'un est francophone et l'autre anglophone.

À l'issue de la deuxième guerre mondiale (1939-1945), l'ONU (Organisation des Nations unies) succède à la SDN et adopte le partage du Kamerun entre la France et le Royaume-Uni. Mais cette fois on parle plutôt de territoires sous tutelle des Nations Unies dont l'administration est confiée à la France (pour la partie francophone) et à l'Angleterre (pour la partie anglophone)[4].

Le Cameroun français devient indépendant en 1960 et le Cameroun britannique en 1961[5]. Animés du désir de se retrouver et de vivre ensemble, les peuples des deux Cameroun décident de réunifier les deux territoires pour former un seul bloc. Ainsi naît la République fédérale du Cameroun en date du [6]. La constitution de 1961 régissant le nouvel état dit concrètement : « Les langues officielles de la République fédérale du Cameroun sont le français et l'anglais[7]. »

Pratique

Pour promouvoir, contrôler et réguler la pratique au quotidien du bilinguisme au Cameroun, la présidence de la République et le Gouvernement procèdent par la publication de lois, décrets, ordonnances et circulaires[8].

L'ordonnance no 72-11 du relative à la publication des lois, ordonnances, décrets et actes réglementaires de la République Unie du Cameroun dispose que la publication des actes législatifs ou réglementaires se fait au journal officiel en anglais et en français[8].

La circulaire no 001/CAB/PM du relative à la pratique du bilinguisme dans l'administration publique et parapublique propose un renforcement du bilinguisme dans ces administrations en neuf points[8] qui sont :

  1. Tout Camerounais a le droit de parler français ou anglais à tout service public ou parapublic et obtenir la réponse dans la langue officielle de son choix.
  2. Tout agent public ou parapublic doit se faire comprendre par son public cible, que celui-ci soit francophone ou anglophone.
  3. Tout service ou document offert au public par les services publics et parapublics doit être disponible dans les deux langues officielles.
  4. Toute note, toute publicité sur les services publics, les biens de l'État et l'usage de ceux-ci doit être rédigé dans les deux langues officielles dans un même support ou sur deux supports distincts placés côte à côte.
  5. Les traités et les accords liant le Cameroun aux autres états, aux personnes particulières ou aux organismes étrangers doivent être en français et en anglais et stipuler clairement que les deux versions font également foi.
  6. Les décisions des juridictions et de la Cour suprême doivent être rendus et rapidement mis à la disposition du public en français et en anglais.
  7. Les villes de Yaoundé et de Douala doivent refléter le caractère bilingue du Cameroun.
  8. Tout usager des moyens de communication publics ou parapublics doit recevoir les services en anglais et en français en même temps.
  9. Les services publics et parapublics doivent contribuer à la promotion du bilinguisme dans les entreprises et organismes placés sous leur tutelle.

Dans la loi no 98/004 du portant sur l'orientation de l'éducation au Cameroun, l'État camerounais "consacre le bilinguisme à tous les niveaux d'enseignement comme facteur d'unité et d'intégration nationale"[8]. La loi No 005 du poursuit le même objectif au niveau de l'enseignement supérieur[8].

Le 23 janvier 2017, par décret no 2017/013 le chef de l'État camerounais, S.E. Monsieur Paul Biya, crée la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme au Cameroun, en abrégé "CNPBM"[9]. La commission a pour rôle de veiller au respect de la constitution camerounaise, d'identifier et porter à la connaissance du président de la République tout ce qui pourrait être une entrave à la paix sociale et à l'unité nationale, protéger et renforcer l'intégration nationale et le "vivre ensemble" des camerounais, car "le Cameroun est un et indivisible. Il le demeurera[10]." Le champ d'action de la CNPBM n'est pas seulement les services publics et parapublics, mais aussi tous les organismes privés recevant les subventions de l'État[9].

Des écoles, collèges et lycées bilingues, privés ou publics, sont créés et fonctionnent sur toute l'étendue du territoire camerounais.

Une semaine du bilinguisme précède la traditionnelle fête de la Jeunesse le 11 février de chaque année, occasion pour les jeunes scolarisés de montrer aux yeux du monde leurs capacités à comprendre, s'exprimer et écrire soit le français pour les anglophones soit l'anglais pour les francophones[11].

Problèmes

Francisation du Cameroun

L'anglais est en nette régression au Cameroun depuis 2005. La ville de Yaoundé, capitale politique du pays, voit son taux de francophones augmenter de 14 % de 2005 à 2010. À Douala, la capitale économique, on s'exprime en français à près de 99 %. La plupart des jeunes Camerounais n'ont plus de langue maternelle que le français[12]. Les textes législatifs ou réglementaires sont de plus en plus publiés en français et pas du tout traduits en anglais[13].

Insurrection

Deux syndicats d'enseignants anglophones dont le TAC (Teachers Association of Cameroon) et le CATTU (Cameroon Teachers Trade Union) lancent un appel à la grève pendant deux jours pour dénoncer la francisation du système éducatif anglophone. Cette manifestation a bel et bien eu lieu et aurait fait un mort côté grévistes[14].

Avant les enseignants, et ce en octobre 2016, les avocats anglophones étaient descendus dans les rues de Bamenda pendant quatre jours pour revendiquer la traduction des lois et des textes juridiques en anglais. Le représentant de BBC Afrique à Bamenda, Frédéric Takang, souligne dans un article paru le que les documents mis en cause sont le code civil et les « actes uniformes » de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), un organisme international dont le Cameroun est l'un des dix-sept membres[13].

La revendication profonde et majeure des anglophones est la sécession, c'est-à-dire le retour du Cameroun à un pays composé de deux États dont l'un francophone et l'autre anglophone comme c'était le cas avant le 20 mai 1972, date de naissance de la République unie du Cameroun et, éventuellement, de la mort de la République fédérale du Cameroun. Camer.be rapporte les propos d'un certain Saïdou Maïdadi : "Dans la situation que nous vivons, les anglophones camerounais sincères et honnêtes sont ceux qui revendiquent de manière officielle et ouverte la sécession. Tout le reste est composé de manipulateurs, d'hypocrites, d'adeptes de la danse des sorciers[15]."

Les représailles

Lors de sa conférence de presse donnée à Yaoundé le , le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, dévoile le chiffre de 82 comme nombre de personnes (leaders anglophones) interpellées parmi lesquelles 21 ont été libérées et 31 en attente de jugement au tribunal militaire de Yaoundé. Les chefs d'accusation sont au nombre de 11 : actes de terrorisme, hostilité contre la patrie, sécession, révolution, insurrection, outrage au président de la République, outrage aux corps constitués et aux fonctionnaires, rébellion en groupe, guerre civile, propagation de fausses nouvelles, apologie de crimes[16].

Internet est coupé dans la zone anglophone du Cameroun (région du Nord-Ouest et région du Sud-Ouest) depuis janvier 2017, une coupure qui aurait déjà coûté près du milliard de perte à l'économie camerounaise[17].

La fin des hostilités

Un communiqué rendu public le du Ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, fait savoir que le président de la République du Cameroun, Paul Biya, a donné instruction à la ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng, d'autoriser le rétablissement d'Internet dans les deux régions anglophones du pays. Il tente d'expliquer la coupure : « Des activités criminelles qui tombent sous le coup de la loi ont été pour beaucoup perpétrées via les réseaux sociaux... » et lance un avertissement : « Le Gouvernement (camerounais) se réserve le droit de prendre les mesures appropriées pour éviter qu'Internet ne soit à nouveau utilisé pour susciter la haine et la discorde entre les Camerounais, et pour créer des troubles à l'ordre public[18]. »

Voir aussi


Articles connexes

Références

  1. CAMTEL, « Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 - Portail du Gouvernement du Cameroun », sur www.spm.gov.cm (consulté le )
  2. « Cameroon-Info.Net :: Cameroun-Info.Net: Le Portail du Cameroun », sur www.cameroon-info.net (consulté le )
  3. zojohis, « LE CAMEROUN ET LA PREMIERE GUERRE MONDIALE », sur histoiretech, (consulté le )
  4. Agence AIC, « Cameroun : les conséquences de la Première Guerre mondiale restent douloureuses - AIC - Agence africaine d'information et de communication », sur agenceaic.net (consulté le )
  5. Événements ayant mené à l'indépendance du Cameroun
  6. (en) « Cameroon », Wikipedia, (lire en ligne, consulté le )
  7. Corpus constitutionnel : recueil universel des constitutions en vigueur, Leyde, Brill Archive, , 14 p. (ISBN 90-04-03887-6, lire en ligne)
  8. Jacques Leclerc, « CAMEROUN », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
  9. « Décret N°2017/013 du 23 janvier 2017 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme », sur www.prc.cm (consulté le )
  10. « Message du chef de l'État à la Nation le 31.12.2016 », sur www.prc.cm (consulté le )
  11. « Cameroun – Fête de la jeunesse : les préparatifs du 11 février s’accélèrent - CAMERPOST », sur www.camerpost.com (consulté le )
  12. Francisation
  13. (en-GB) « Cameroun : les avocats anglophones en grève », BBC Afrique, (lire en ligne, consulté le )
  14. « Au Cameroun, les anglophones dénoncent leur « marginalisation » face aux francophones », sur Les Observateurs de France 24 (consulté le )
  15. « Cameroun, PROBLEME ANGLOPHONE: Position de SAIDOU MAIDADI :: CAMEROON - Camer.be », camer.be, (lire en ligne, consulté le )
  16. « CAMEROUN :: Crise anglophone : La libération des manifestants divise :: CAMEROON - Camer.be », camer.be, (lire en ligne, consulté le )
  17. « Crise anglophone au Cameroun : la coupure d’internet pèse sur la « Silicon Mountain » - JeuneAfrique.com », JeuneAfrique.com, (lire en ligne, consulté le )
  18. « Paul Biya ordonne le rétablissement d’Internet dans les régions anglophones - Investir au Cameroun », sur Investir au Cameroun, Investir au Cameroun (consulté le )
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