Colonisation grecque
La colonisation grecque est l'essaimage des cités helléniques du pourtour de l’Égée tout autour du bassin méditerranéen. Ce mouvement de population se déroule en plusieurs vagues aux VIIIe et VIIe siècles av. J.-C.. Vaste temps d’urbanisation, cette phase d'expansion marque l'essor d'un véritable trafic maritime hellène en modifiant ainsi les structures du commerce et de l'économie de la Grèce historique. Cette première grande période d'expansion grecque allant de 734 — fondation de Naxos — à 580 — fondation d'Agrigente — ne devait être dépassée par leur ampleur que par les conquêtes d'Alexandre Le Grand. Lors de ces deux siècles de dispersion s'est affirmée une culture grecque commune mettant en relation les différentes régions méditerranéennes[1]. On trouve la trace de colonie au sud de l’Italie (Grande-Grèce), sur les rivages de la mer Noire, à Chypre et au nord-est de l’Afrique (Cyrénaïque, Mauritanie et Tingitane et aux frontière du monde carthaginois) ainsi qu'en Méditerranée occidentale (Gaule), toujours en foyers isolés. Ses fondations concernent presque exclusivement le littoral et rares sont les sites localisés dans l'arrière-pays[2].
Colonisation grecque | |
Localisation des côtes colonisées par les Grecs de l'antiquité | |
Période | VIIIe au IIe siècles av. J.-C. |
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Ethnie | Grecs antiques |
Langue(s) | Grec antique |
Religion | Religion olympienne hellénique |
Villes principales | Milet ; Éphèse ; Phocée ; Athènes ; Corinthe ; Chalcis ; Érétrie ; Mégare… |
Région d'origine | À partir du pourtour de la mer Égée, essaimage de cités sur ceux de la Méditerranée et de la mer Noire (Ligurie, Italie méridionale, Cyrénaïque, Chypre, littoral de l'Asie mineure et du Caucase, Thrace, Scythie mineure, Tauride, golfe Méotide). |
Région actuelle | Dispersion dans les pays de tradition chrétienne (il ne s'agit plus de colonisation ni de cités, mais d'émigration) |
Rois/monarques | Royaumes hellénistiques |
Frontière | Colonnes d'Hercule à l'Ouest, Colchide à l'Est, domaine phénicien et carthaginois au Sud ; Celtes, Romains, Thraces et Scythes au Nord. |
Traits généraux
Désignation
L'usage du terme "colonisation" n'est qu'un palliatif lorsqu'il est employé dans le monde grec. Si l'on n'y prend pas garde, la traduction du verbe apoikein par « coloniser » et du mot apoikia par « colonie » peut induire en erreur. Le terme de colonie et la notion de colonisation ne sont pas entièrement adaptés car elles supposent un ensemble de connotations modernes qui ne sont pas applicables à la Grèce antique[3] ni à la nature du phénomène poliade. D'une part, car les sources désignent à la fois par le terme d'apoikia le départ, l'émigration, la communauté des pionniers et la cité ainsi nouvellement établie[4]. Ici, le chef d’une expédition est l’oïkiste ou œciste (mots où l'on retrouve la racine οἶκος, « habitat »), le colon un apoikos. D'autre part, la colonisation grecque a consisté en une série de migrations diffuses et hétérogènes. La colonie créée n'entretient pas non plus de relations de dépendance avec sa cité-mère, même si elle reconnaît un lien de nature filial avec la communauté qui est à son origine ; l'étymologie du mot "métropole" l'évoque ainsi directement[5].
Enfin, on désigne également par le terme de colonie, l’emporion et la clérouquie. Lieu d'échange, interface entre le monde grec et les mondes barbares, l'emporion est une implantation plus proche de l'avant-poste commercial que de la polis indépendante, sans lien étroit avec la métropole[6]. La clérouquie est bien un phénomène colonial dans la mesure où il implique une émigration mais cette dernière est transitoire, à vocation exclusivement militaire (soit pour protéger un lieu stratégique, soit pour encadrer une communauté prête à se révolter contre la domination athénienne) et sa durée n'est pas déterminée à l'avance. Elle ne fait l'objet de mythe fondateur et n'a pas les caractères d'autonomie d'une polis.
Ses fondations et implantations sont pour le plus souvent agraires avec la délimitation de chôrai. En cela, elles se distingue des contacts et implantations antérieures, en particulier lors de la période archaïque, pour laquelle les archéologues et les historiens utilisent le terme de précolonisation[7].
Précolonisation
On doit aux travaux de l'archéologue britannique Alan Blakeway la notion de précolonisation grecque. Par sa nature et son intensité, cette phase de contact se distingue de celle qui devait lui succéder après le VIIIe siècle. Elle s'inscrit tout d'abord dans un cadre d'initiative privée et non collective comme dans le cas des apoikiaï.
La première attestation d'une fondation et d'une implantation en terre étrangère est littéraire. Il s'agit de la création de Phéacie au sixième chant de l’Odyssée.
Causes générales
La sténochôria
Les sources grecques - Hérodote, Strabon et Pausanias - évoquent la sténochôria comme cause principale de la colonisation. Le mot grec sténochôria vient de « sténochoréo » : « être à l’étroit ». Le terme est aujourd’hui traduit par le « manque » ou la « faim de terres »[8]. L’amélioration globale du climat au milieu du Ier millénaire avant notre ère (plus chaud et plus humide, attesté par la palynologie et la sédimentologie[9]) permet un accroissement démographique sur les rives de la Méditerranée, comme l’attestent les fouilles des nécropoles. Cependant, des études archéologiques menées à Corinthe montrent que des nécropoles ont été installées sur des terres fertiles, ce qui remet en cause le manque de terres cultivables comme cause principale et suppose d’autres raisons à l’émigration grecque : par exemple l’indivisibilité des terres lors de la succession (souvent l’aîné hérite seul du domaine familial tandis les autres enfants n’ont rien et sont alors confrontés à un choix : rester et travailler pour leur aîné, ou partir fonder une nouvelle cité et y obtenir des terres). Enfin l’insuffisance des ressources lors des épisodes climatiques moins favorables comme les années de sécheresse, est aussi l’une des causes possibles de la colonisation. C’est un phénomène qui affecta aussi les Phéniciens et, en Asie, les Austronésiens. Au-delà, l’exiguïté des territoires poliades conduits certains à la pauvreté, à l'endettement, voire à la servitude. Cet horizon est celui d’une crise politique et sociale totale, la stasis.
Les conflits internes, stasis
Par le mot stasis, la langue grecque désigne toute situation conflictuelle larvée risquant d’aboutir à une guerre civile. La colonisation est une façon d’éviter les guerres civiles, le groupe minoritaire partant fonder une nouvelle cité. Il peut s’agir de conflits sociaux entre aristocratie et démos, ou bien politiques soit entre groupes aristocratiques et leurs clientèles respectives (vieille tradition méditerranéenne) soit à l’intérieur du groupe dirigeant, comme à Corinthe (voir Bacchiades). Les colons manifestent souvent le désir de fonder une cité meilleure, voire idéale. Cette décision n’est prise que dans des cas d’extrême gravité.
Les motivations commerciales
Même s’ils n’ont pas de rôle moteur dans la colonisation (au contraire, François Lefèvre dans son Histoire du monde grec antique souligne le rôle moteur du commerce dans la colonisation : il cite notamment l'exemple du contrôle des détroits, celui de Messine par les Chalcidéens - colonie de Rhégion en Italie et Zancle en Sicile, et celui de Bosphore par les Mégariens - colonie de Byzance et de Chalcédoine), les marchands et explorateurs grecs sont les premiers à repérer les régions colonisables pourvues d’eau, de plaines cultivables, de ressources minières ou autres, et sans peuplement sédentaire dense (ou peuplées de « barbares » accueillants). Ils en informent les archontes des cités qu’ils approvisionnent. La réalité des motivations commerciales, politiques ou même religieuses d’une colonisation est assez complexe. Aristote signale que le fondateur de Marseille était un marchand, mais il note qu’il s’agit d’une exception. Les colons avaient plutôt tendance à reproduire le modèle social de la cité grecque archaïque, caractérisé par la domination de la noblesse terrienne[10],[11].
Aux débuts, le volume des échanges entre la colonie et la métropole est souvent insuffisant à lui seul pour faire vivre la colonie et par conséquent, il ne semble pas que la métropole ait eu le monopole de ces échanges. Les colonies grecques fondées pour des raisons purement commerciales sont rares sinon introuvables : Naucratis en Égypte n’est pas une oikeia au sens plein, puisqu’elle dépend de l’empire égyptien puis perse et n’est pas indépendante. Les clérouquies d’Athènes ou les comptoirs de Marseille comme l’Olbia ligure restent aussi des « quartiers outre-mer » de la métropole, et non des cités-filles autonomes.
Les progrès dans la navigation
Les connaissances maritimes s’affermissant, des instructions nautiques plus précises se transmettent dans les diverses lignées de capitaines (kybernètes), des progrès importants sont faits en matière de construction navale : on passe de l’assemblage en mosaïque de planches reliées par des travers irréguliers, comme à Thonis-Hérakléion[12], à une quille à membrures régulières. Cela permet par exemple de charger davantage les navires et rassure les colons, plus enclins à partir puisqu’ils n’ont plus à tout laisser derrière eux.
Conditions et moments de départs
Le départ des colons est toujours un moment de déchirement. Si la colonie était fondée pour éviter à la cité une famine, ou à la suite d'un conflit, il était entendu qu’ils perdaient tout droit au retour. La métropole ne leur apporterait aucune assistance. Le corps civique subissait une véritable amputation : entre un dixième et un quart de la population partait.
La décision et les acteurs
Une colonie ne se fonde pas à titre privé (sauf exceptions), mais résulte d’une décision prise par la cité, bien que celle-ci se mette rarement en avant. Pour la fondation d’une colonie, on présente d’abord un projet à l’assemblée (boulè) qui l’approuve ou le rejette. En cas d’accord, le conseil aristocratique prend en charge le choix des modalités et les mesures concrètes pour désigner qui va partir.
Il faut alors désigner un chef de l’expédition, nommé œciste (ou 'oïkiste), le plus souvent issu du milieu aristocratique. C’est l'œciste qui choisit le nom et le lieu précis du nouvel établissement. Une fois arrivé, il fonde et dote la colonie d’un système défensif. Après sa mort, il fait généralement l’objet d’un culte héroïque.
Dans le cadre de la religion grecque antique où les dieux ne cessent d’intervenir dans les affaires humaines, les cités ont besoin d’une caution divine pour légitimer les décisions humaines : la fondation d’une colonie était risquée et ceux qui restaient n’étaient jamais sûrs d'avoir un jour des nouvelles de ceux qui allaient partir. On prend donc très vite l’habitude d'aller consulter l’oracle d’Apollon à Delphes. En revanche, contrairement à une idée aujourd'hui historiographiquement désuète, ce n'est pas l'oracle qui donnait ou proposait une orientation géographique pour le lieu de fondation de la future colonie.
Les critères de choix
Les critères de choix sont fixés par l’oracle. On observe que généralement celui-ci les détermine en suivant le bon sens, c'est-à-dire en évitant les zones densément peuplées et bien structurées sur le plan politique comme l’Égypte ou la côte syro-palestinienne (Assyriens et Phéniciens), et en conseillant de partir vers le nord-ouest (mer Méditerranée occidentale) ou vers le nord-est (Pont Euxin).
Il décrit également l’endroit où la cité-fille sera établie. Certains éléments se retrouvent dans tous les oracles, qui décrivent tous un site à même de garantir la souveraineté et l’autonomie de la colonie :
- facile d’accès par la mer ;
- aisé à défendre (sur une île proche de la côte, sur un promontoire ou une colline) ;
- entouré d’un terroir riche en terres et en eaux courantes permanentes.
Ces critères appellent quelques commentaires. Tout d’abord, la facilité d’accès par la mer est indispensable compte tenu du caractère thalassocratique de la plupart des cités grecques et du fait qu’au VIIIe siècle av. J.-C., les routes terrestres étaient rares, étroites, malaisées, peu sûres, et ne permettaient pas de déplacer de grandes quantités de denrées. La nécessité d’alléger la pression démographique sur le territoire de la métropole impliquait aussi que le site à coloniser soit faiblement peuplé et que les autochtones y soient favorables ou au moins neutres, or le peuplement autour de la Méditerranée à l’époque rend la disponibilité d’un tel site aléatoire : tant de facteurs favorables sur un site ont le plus souvent déjà attiré des populations. Donc, quand les colons débarquent, ils doivent forcément « séduire » les aborigènes. Est-ce la règle ? Même si les récits de fondation n’évoquent jamais d’affrontements violents à l’origine de la colonie, les fouilles montrent, plus d’une fois lorsque l’on descend au-dessous du niveau grec, un niveau d’incendie indiquant que l’installation de la colonie a peut-être été précédée par un raid de pirates… peut-être venus de la même métropole, surtout si les locaux avaient déjà des échanges avec une thalassocratie concurrente comme celle des Phéniciens.
Les étapes du mouvement
En général, on distingue deux phases du mouvement colonial grec[13] :
- Première phase (775-675) :
- métropoles peu nombreuses (Chalcis, Érétrie, Corinthe, Mégare, Sparte, Rhodes) ;
- quelques fondations isolées ;
- zones concernées réduites (Sicile, golfe de Tarente, détroit de Messine).
- Deuxième phase (625-510) :
- amplification et généralisation de la démarche ;
- installations nombreuses ;
- essor démographique important, particulièrement en Grande Grèce, en Cyrénaïque et autour du Pont Euxin ;
- développement du commerce qui permet un enrichissement exceptionnel.
Plusieurs colonies (Zancle, Syracuse[14], etc.) deviennent elles-mêmes très tôt fondatrices de colonies.
Chronologie
Une chronologie des fondations en Sicile peut être établie grâce à Thucydide :
Colonies ioniennes :
- 738 : Naxos (par Chalcis)
- 730 : Zancle (par Cumes et Chalcis)
- 728 : Léontines et Catane (par Naxos)
- 729 : Himère (par Zancle)
Colonies doriennes :
- 733 : Syracuse (par Corinthe)
- 727 : Megara Hyblaea (par Mégare)
- 688 : Gela (par Rhodes et Crète)
- 663 : Akrai (par Syracuse)
- 643 : Casmènes (id.)
- 627 : Sélinonte (par Mégara-Hybléa)
- 598 : Camarina (par Syracuse)
- 580 : Agrigente (par Gela)
Cependant, les fouilles archéologiques confirment la date de 733 pour Syracuse mais suggèrent une date plus haute pour plusieurs cités. On aurait : Naxos 757, Leontinoi et Catane 752, Mégara-Hybléa 750, Syracuse 733, Sélinonte 650[15].
Rhegion (Reggio de Calabre) aurait été fondée par Chalcis et Zancle dans la seconde moitié du VIIIe siècle, Cyrène (Libye) par Théra vers 631, Massalia (Marseille) par Phocée vers 598. Les rives de la mer Noire sont colonisées par Mégare et Milet au cours du VIe siècle.
Caractères spécifiques des nouveaux établissements
Les relations des colonies avec la Grèce
Les colons emportent tout un bagage affectif et spirituel : on part avec le feu sacré de la métropole, la colonie conserve le même panthéon et souvent la même divinité poliade.
Les liens sont concrétisés par les déplacements de métropole en colonie et vice versa lors des grandes fêtes religieuses.
Sur le plan politique, on conserve généralement les institutions de la métropole, au moins au début. L’évolution ne se fait que dans la longue durée. Au début, les échanges commerciaux sont assez modestes. Peu de temps après, on assiste néanmoins à une véritable explosion. Ainsi, la richesse des gens de Sybaris est légendaire. Il n’y a cependant aucun lien politique entre la colonie et sa métropole : la nouvelle cité est complètement indépendante. Il arrivait qu’une colonie se retrouve opposée au cours d’une guerre à sa métropole : par exemple, le conflit entre Corcyre et sa métropole Corinthe fut à l’origine de la guerre du Péloponnèse.
Les relations avec les peuples barbares
Avec ou sans phase de conflit initiale, généralement brève, les Grecs établissent des échanges réguliers avec les autochtones. Certaines colonies comme Massalia, Neapolis, Syracuse, Héraclée du Pont, Tomis, Tyras ou Olbia du Pont tissent des liens étroits avec les communautés rurales proches (périèques grecs et vassaux autochtones) et leur offrent leur protection en échange d’un tribut en grains[14].
Les relations avec les grands États « barbares » sont plus complexes. Parfois, des facteurs limitent ou ralentissent la colonisation : conquête perse en Thrace, concurrence avec les Étrusques et les Carthaginois en Méditerranée occidentale[14].
Les nouvelles cités
Les nouvelles cités sont organisées suivant un plan rationnel, reflet du souci grec d’organisation ergonomique. Cette science de la ville organise lieux d’habitation, rues et réseaux d’eau (citerne, canalisations, égouts). Des lots de propriétés (klèroi) sont également définis ; lorsque les colonies étaient fondées par des colons émigrants par manque de terre dans leur patrie, la répartition, au contraire de celles des cités-mères en général, se faisait de façon égalitaire et géométrique, se rapprochant du plan romain du cardo et du decumanus.
La cité est organisée suivant divers espaces : le privé (les klèroi), le public (l’agora, l’ekklesiasterion), le sacré (le hiéroôn) et la chôra, territoire divisé en exploitations agricoles hors des murs mais contrôlé par la cité. Suivant l’origine des grecs qui fondent la colonie, il existe des différences notables dans l’aménagement de la cité et de son territoire, mais partout les nécropoles sont placées à l’extérieur de la cité.
Une colonie qui prospère et s’agrandit peut devenir à son tour la métropole d’autres colonies. La situation politique prévalant en Grèce même, avec maintes rivalités, ligues et guerres entre cités, se retrouve dans les zones colonisées, comme en Grande Grèce où une ligue achéenne constituée de Crotone, Métaponte et Sybaris détruisit Siris, cité ionienne du golfe de Tarente, à l’issue d’une bataille qui eut lieu entre 570 et 540 avant notre ère. Les colons Sirisiotes furent vendus comme esclaves. Cette ligue tenta aussi de s’attaquer à Locres, accusée par Crotone d’avoir soutenu Siris, mais Locres vainquit les troupes de Crotone à la bataille de la Sagra au début du VIe siècle av. J.-C. et préserva son existence, sa liberté et ses ressources.
Perceptions nouvelles
La forte identité culturelle et linguistique des colons grecs limite leur imprégnation par les civilisations extérieures, même en Égypte. Sous le pharaon Psammétique Ier, il fallait des interprètes pour discuter avec les habitants de Naucratis. En fait un Grec qui adoptait une autre culture quittait par là même sa propre communauté (oikogeneia). En revanche, la culture des colonies grecques imprègne facilement les structures étatiques « barbares » dont les élites locales deviennent des vecteurs d’hellénisation : des royaumes autochtones comme ceux des Odryses en Thrace, de Bithynie ou du Pont en Anatolie ou encore Bosphorain en Cimmérie (actuelle Crimée) et autour de la Méotide (actuelle mer d’Azov au nord de la mer Noire) se sont profondément hellénisés[14] au point que plus tard, l’Empire romain d'Orient lui-même est devenu grec, et la population vivant sur les côtes de l’ancien Pont-Euxin (actuelle mer Noire) est restée de langue grecque (« Pontiques ») durant deux millénaires et demi, jusqu’au début du XXe siècle.
On note un peu plus de réceptivité des Grecs dans le domaine religieux. Le syncrétisme leur apparaît comme un moyen de se faire accepter sur les nouvelles terres et satisfait leur curiosité intellectuelle comme en témoigne aussi le développement des écoles de philosophie à partir du VIe siècle av. J.-C. La confrontation avec d’autres cultures stimule une réflexion philosophique, mais l’autre ne sert que de déclencheur ou de miroir, il n’est généralement pas un interlocuteur. À l’époque archaïque, le monde grec traditionnel n’est pourtant pas encore imprégné par cette nouvelle pensée philosophique : il faudra attendre l’époque classique.
La colonisation hellénistique
La période hellénistique est marquée par une nouvelle vague de fondations, au point qu'on a parlé d'un âge d'or des cités[14]. Cependant, à la différence de la colonisation archaïque, celle-ci se fait sous l’impulsion des monarchies gréco-macédoniennes. Alexandre le Grand, les Séleucides, les Lagides en particulier multiplient les fondations de villes, qui portent souvent leurs noms ou ceux de leurs proches, telles que Alexandrie et Ptolémaïs en Égypte, Antioche sur l'Oronte, Séleucie de Piérie, Séleucie du Tigre, etc. Elles ne sont pas indépendantes, mais elles ont des institutions autonomes et contribuent à introduire les lois et usages grecs parmi les populations orientales.
La plus lointaine des colonies hellénistiques se trouvait dans l’océan Indien : c’est l’île de Dioscoride (signifiant en koinè île des Dioscures), située au large de la pointe orientale de l’Afrique. Selon Edresi, géographe arabe du XIIe siècle, Alexandre le Grand, incité par Aristote, y aurait installé une colonie ionienne après avoir conquis l’Égypte[16]. La colonie est également citée dans Le Périple de la mer Érythrée datant du Ier siècle.
Notes et références
- Irad Malkin, Un tout petit monde. Les réseaux grecs de l’Antiquité, Les Belles Lettres, 2018
- Georges Vallet, « La colonisation grecque en Occident », Le monde grec colonial d’Italie du Sud et de Sicile, École Française de Rome, 1996, p. 3-17.
- (en) Irad Malkin, ”Postcolonial Concepts and Ancient Greek Colonization”, Modern Language Quarterly 2004, p. 341-364.
- Michel Casevitz, Le Vocabulaire de la colonisation en grec ancien. Étude lexicologique : les familles de κτίζω et de οἰκέω–οἰκἰζω, Paris, 1985, p. 10, note 1
- Christophe Ebarthe, « Émigrer d’Athènes. Clérouques et colons aux temps de la domination athénienne sur l’Égée au ve siècle a.C. », Le monde de l’itinérance : En Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Pessac : Ausonius Éditions, 2009.
- Alain Bresson, L'économie de la Grèce des cités - II, Les espaces de l'échange , A. Collin, 2008.
- Réjane Roure, Karine Lourdin-Casal, « Historiographie du terme précolonisation en Italie et en France », European Review of History-Revue européenne d'Histoire, Taylor & Francis, 2006, 13 (4), p. 607-620.
- Claude Orrieux et Pauline Schmitt-Pantel, Histoire grecque, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2013, 528 p.
- Sté. Géol. de France, Les Climats passés de la Terre, Vuibert, 2006, (ISBN 978-2-7117-5394-9), et Jean-Claude Gall, Paléoécologie : paysages et environnements disparus, Éditions Masson, Paris, 1994
- Moses Finley, Les Premiers Temps de la Grèce, Éditions Maspero, 1973
- Jean Huré, Histoire de la Sicile, PUF, Coll. Que Sais-je?, 1975
- Franck Goddio, David Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Ed. 5 Continents/Le Seuil, Milan/Paris 2006
- (fr) « Les colonies grecques - Les étapes de la colonisation », sur www.cosmovisions.com (consulté le )
- (fr) « La colonisation grecque », sur www.clio.fr (consulté le )
- Jean Huré, Histoire de la Sicile, p. 20.
- « Le Saint-Suaire de Turin et la science », Revue d'histoire de la pharmacie, vol. 31, no 113, , p. 40-43 (lire en ligne).
Bibliographie
Sources primaires
- Strabon, Géographie, Livre II, Germaine Aujac (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1969.
- Thucydide, La Guerre du Péloponnèse [détail des éditions].
- Tite-Live, Histoire romaine, Livre VIII, Raymond Bloch et Charles Guittard (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1987.
Littérature secondaire
- John Boardman, Les Grecs outre-mer : colonisation et commerce archaïques, Michel Bats (trad.), Naples, Centre Jean Bérard, 1995 (1964), 367 p.
- Laurent Capdetrey et Julien Zurbach (dir.), Mobilités grecques. Mouvements, réseaux, contacts en Méditerranée, de l'époque archaïque à l'époque hellénistique, Bordeaux, Ausonius, 2012, 280 p.
- Hervé Duchêne, « Grèce : un monde de migrants », L'Histoire, 417, 2015, p. 68-71.
- Tamar Hodos, « Colonial Engagements in the Global Mediterranean Iron Age", Cambridge Archaeological Journal, 19, 2009, p. 221-241.
- « La colonisation de la Méditerranée », in Jean-Pierre Turbergue (dir.), Archéo l'encyclopédie de l'archéologie. A la recherche des civilisations disparues, volume IV Grèce, Paris, Atlas, 1986, p. 314-317.
- Pauline Schmitt-Pantel, « Les femmes migrantes et la cité », in Jacques Bouineau (dir.), L'avenir se prépare de loin, Paris, Les Belles Lettres, 2018, p. 197-203.
- Marta Sordi, « La grande colonisation grecque en Orient et en Occident », in Ead., Le Monde grec : de la période archaïque à Alexandre, Colette D'Hesse (trad.), Aix-en-Provence, Edisud, 2004, p. 15-21.
- Gocha Tsetskhladze (éd.), Greek Colonisation. An Account of Greek Colonies and Other Settlements Overseas, 2 volumes, Leyde ; Boston, Brill, 2006 et 2008, 584 et 566 p.
- Gocha Tsetskhladze et Franco De Angelis (éd.), The Archaeology of Greek Colonisation. Essays dedicated to Sir John Boardman, Oxford, Oxford University Committee for Archaeology, 1994, p. 47-60.
Voir aussi
Articles connexes
- Clérouquie
- Grande-Grèce
- Histoire de Marseille de sa fondation au Ve siècle
- Psephis de Lumbarda
- Liste(s) des anciennes cités en Thrace et Dacie (en)
- Liste des anciennes cités en Illyrie (en)
- Migrations grecques de l'Âge du Fer (en)
- Colonies de l'Antiquité (en)
- Grecs dans la Gaule pré-romaine (en)
- Grecs dans la Crimée pré-romaine (en)
- Grecs Pontiques
Liens externes
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