Céleste Mogador

Élisabeth-Céleste Venard, épouse de Chabrillan, née le à Paris où elle est morte le , est une prostituée, galante, courtisane, comédienne, danseuse, actrice, autrice, chanteuse, propriétaire et directrice de théâtre, française, connue sous le nom de scène de la « Mogador ». Elle navigue aussi bien dans les hiérarchies sociales que prostitutionnelles[Note 1], de Paris à Melbourne (Australie), du Poinçonnet à Asnières en passant par le Vésinet.

Pour les articles homonymes, voir Céleste et Mogador (homonymie).

Biographie

Le château du Magnet.
Croix commémorative que fit ériger Céleste Mogador au Poinçonnet, après la mort de son époux.

Jeunesse

Élisabeth Céleste Vénard est née à Paris, le 27 décembre 1824 à la maison de santé municipale Dubois. Ses parents habitent alors au 7 de la rue Pont-aux-Choux, dans le quartier du Temple et semblent posséder une chapellerie rue du Puits[1].

À l'âge de 5 ou 6 ans elle semble perdre son père. Sa mère se nomme Anne Victoire Vénard (1797 - 25 février 1874). Elle est la fille de Claude Alexandre Vénard et Marie Anne Victoire Bedo, propriétaires d'une maison garnie[Note 2] et d'une boutique de meubles au n° 8 de la rue de Bercy-Saint-Jean. La tante maternelle de Céleste Vénard se nomme Adèle, et son oncle est inconnu. La relation entre la mère et la fille traduit toute la complexité des relations entre mères et filles au XIXe siècle. Anne Victoire apparait et s'efface en fonction des revers de fortune de sa fille. Sa mère cumule les amants. Elle se met en concubinage avec un dénommé Vincent afin de pouvoir élever sa fille et de continuer à vivre, car "une liaison peut fournir un complément de ressources »[Note 3].

En 1835, Céleste a 11 ans et fait sa première communion. Elle devient apprentie brodeuse chez un certain M. Grange rue du Temple. Dans les rues elle rêve devant les affiches de théâtre.

En 1838, elle est âgée de 14 ans et veut fuir le domicile familial. Vers l’âge de 15 ans, elle quitte son apprentissage chez M. Grange[2]. L’amant de sa mère, Vincent, essaye un soir de la perdre.

De l’état de prostituée à celui de galante : l’archétype d’un parcours d’une fille publique.

À la suite de la tentative d’attouchements, Céleste Vénard fuit et se retrouve quelques jours seule dans la rue. Elle est recueillie par Thérèse une fille publique. Peu de temps après Thérèse et Céleste se font contrôler par deux gardes municipaux. Après leur arrestation Céleste passe par la Conciergerie où le commissaire M. Régnier l’interroge. Thérèse est libérée. Céleste part alors pour la Conciergerie, puis la Prison de Saint-Lazare. Pendant les années 1839 - 1840 Céleste Vénard reste enfermée. Elle rencontre des mendiantes, des prostituées, dont Denise et Maria la Blonde. À Saint-Lazare se côtoient des « filles de douze et de quinze ans et de femmes de trente et quarante ans »[3]. Le désir d’ascension sociale de Céleste vient d’une volonté d’échapper à la précarité. La prostitution devient alors un moyen d’échapper à sa condition première. Lors d’une conversation entre Denise et Céleste, la première semble lui dire :

« C’est une erreur, me dit-elle. Tu n’as vu que la basse classe de ces femmes, les laides ou les sottes. Mais j’en ai connu, moi qui se sont fait une petite fortune, qui ont de beaux appartements, des bijoux, des voitures ; qui ne sont en relations qu’avec des gens de la plus haute société. Si j’étais aussi jolie que toi, j’aurai bien vite fait mon affaire. Tu seras bien avancée de te marier à un ouvrier qui te battra peut-être, ou bien te fera travailler pour deux. Et puis tu es venue ici ; tu auras beau faire, on le saura et on te le reprochera. »[4]

Céleste une fois seule :

« Je me voyais riche, couverte de bijoux, de dentelles. Je regardai dans mon petit morceau de miroir ; j’étais vraiment jolie, et pourtant le costume n’était pas avantageux. »[4]

Cette Denise, mineure, est déjà bien informée sur les conditions pour rentrer dans le monde prostitutionnel :

« J’ai encore 6 mois ; je veux me faire inscrire. Il faut avoir seize ans ; si on ne te réclame pas, tu feras comme moi. Je connais de belles maisons, où l’on nous donnerait beaucoup d’argent. »[5]

À sa sortie de prison Céleste retrouve le foyer familial. À 16 ans elle part retrouver Denise dans une maison de tolérance, peut-être au 6 rue des Moulins. Elle se fait inscrire à la préfecture de Police sous le numéro 3748.  Cette inscription signe pour une femme son entrée « dans le monde clos de la prostitution tolérée »[6]. C’est dans cette maison qu’elle semble perdre sa virginité. Elle rencontre des hommes et des amants - clients dont Alfred de Musset. Ce dernier l’humilie en l’aspergeant d’eau de Seltz lors d’un diner au restaurant Au Rocher de Cancale[7]. Avec Denise Céleste fréquente les bals étudiants de la Grande Chaumière lors des étés 1840 - 1842. Elles semblent fréquenter le Jardin Mabille avant et après sa restauration entre 1842 et jusqu’aux premiers jours de l’automne 1844. Puis, elle semble fréquenter le bal Valentino en 1845. En 1846 - 1847, elle fréquente les bols des Frères Provençaux. En 1849, elle fréquente certains des bals organisés au Jardin d’hiver.

Le sacre de reine Mogador au bal Mabille a lieu le 26 ou 28 septembre 1844 par Brididi, danseur et maitre à danser. Sous le charme et désireux de trouver une concurrente à le Reine Pomaré, de son vrai nom Lise Sergent, Brididi apprend la polka à Céleste, danse nouvelle. Elle doit son surnom à l’actualité récente puisque la France était en guerre avec le Maroc. Celle-ci fait rage à la mi-août 1844. Le prince de Joinville donne l’ordre de bombarder la ville de Mogador -  l’actuelle ville d’ Essaouira. Par la suite, la France a eu autorité sur l’Algérie, et Céleste Vénard devint La galante Mogador accumulant les amants et les richesses.

Galante, courtisane et comtesse.

Adulée, recherchée, courtisée, Céleste Mogador accumule les amants - clients. En raison de la fin de l’été et de la fermeture du Mabille, Mogador cherche une place dans les théâtres. Elle est engagée au théâtre Beaumarchais dans son propre rôle de reine de Mabille. Le succès retombant, vers 1845-1846, elle rencontre Laurent Franconi est devient écuyère à l'Hippodrome, place de l'Étoile.

En 1846-1847, elle pose pour Thomas Couture dans Les Romains de la décadence. La main de Céleste est représentée sur le personnage féminin central dans le tableau.

Elle fréquente toute la bohème romantique de la Monarchie de Juillet. Elle fréquente principalement les Grands - Boulevards, le Palais-Royal et la Place de la Madeleine, hauts lieux des loisirs, des plaisirs et du racolage parisien. Parmi les cafés et restaurants, elle fréquente le Café Anglais, le Café Foy, la Maison Dorée, l’Hôtel du Liban, Chez Tortini, le Ranelagh, Chez Brébant-Vachette…

La fréquentation de maisons de jeux se fait de façon clandestine. Ces maisons furent depuis « le 31 décembre 1836 »[8] officiellement fermées. Bien qu'elles soient interdites, Céleste Mogador les fréquente lors des années 1846-1848, rue Geoffroy Marie. Cela montre le besoin pressant d’argent que le gain offert par la prostitution ne peut combler. On constate que cette fréquentation ne dure qu’environ deux ans et qu’elle permet à Mogador de survivre[Note 4].

Elle adapte sa vie en fonction de ses revers de fortune dans le but de survivre, d’évoluer socialement et d’imiter les bourgeoisies triomphantes. Céleste Mogador passe de l’état de grisette, de fille encartée, de lorette, de soupeuse, de noceuse, et femme galante puis courtisane.

Garder son statut de femme galante n’est pas chose facile. Le parcours théâtral de Céleste Mogador, comtesse de Chabrillan est variant et montre une volonté et un courage infaillible à vouloir s’élever au sommet de la hiérarchie sociale, qui de facto l’élève dans la hiérarchie prostitutionnelle. De son propre rôle de danseuse à Mabille, sur la scène du théâtre Beaumarchais en 1844 – 1845, au statut d’autrice de pièce de théâtre, Céleste Vénard passe par des premiers ou seconds rôles, dont écuyère à l’Hippodrome de 1845 à 1847. Elle devient également propriétaire de son propre théâtre[Note 5], les Folies-Marigny à l’angle de l’avenue des Champs-Élysées et de l’avenue Marigny, dans les années 1862 à 1864, puis, directrice du Théâtre des Nouveautés de 1869 jusqu’au début des années 1870.

Ainsi, grâce cette approche globalisante du parcours de Céleste Mogador on peut déjà distinguer une forte mobilité tant spatiale que sociale. Lorsque l’on s’intéresse aux salles de spectacles fréquentées par Céleste Vénard, on peut dire qu’elle fréquente très majoritairement des salles de spectacles dites populaires[9]. Sur les quarante-sept occurrences concernant les salles de théâtres où l’on joue tragédies, drames et vaudevilles, la base de données montre que Céleste Vénard fréquente majoritairement le Théâtre des Nouveautés, rue du Faubourg-Saint-Martin, n° 60, avec dix-sept occurrences (voir tableau n° 4). Le Théâtre Beaumarchais situé sur le boulevard portant le même nom comptabilise cinq occurrences. Le Théâtre de Belleville, et le Théâtre des Variétés comptabilisent quatre occurrences chacun. Trois occurrences sont dénombrées pour le Théâtre du Palais-Royal, les Folies-Dramatiques et le Théâtre de Cluny. Le Théâtre des Délassements-Comiques et le Théâtre de l’Ambigu comptabilisent deux occurrences. Le Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, les Funambules, la Porte-Saint-Martin et le théâtre Vivienne comptent une occurrence chacun. Céleste Vénard ne fréquente donc pas tous les théâtres parisiens, mais uniquement ceux qu’elle connait. On constate également que la forte présence du Théâtre des Nouveauté correspond à son statut de directrice. Toute la complexité de l’analyse correspond à l’entremêlement des différentes professions issues du monde théâtral (actrice, directrice, autrice, propriétaire) avec la notion de divertissement qu’offre le théâtre au travers des différents spectacles.[Note 6]

Mariage et mimétisme bourgeois

En 1849, Céleste Vénard rencontre un homme qu'elle surnomme Richard lors d'un bal au Jardin d'Hiver. Dans les années 1849 - 1851, Céleste accepte de se marier avec le dénommé Richard à Londres en échange d'une somme de quarante mille francs. Au dernier moment, elle rejette cette union, avorte ses fiançailles et rentre à Paris, tout en gardant l’argent[10].

Elle rencontre vers 1846 - 1847 Gabriel Paul Josselin Lionel de Guigues de Moreton de Chabrillan[Note 7]. Pourtant aristocrate, le jeune viveur est endetté. Il vit à Paris au château du Magnet, situé à Mers-sur-Indre. Réconciliation, ruptures, finalement elle reprend sa vie à Paris. Pourtant, en 1851 elle achète le château du Poinçonnet[11]. Se retrouvant dans l'impossibilité de recouvrir ses dettes, le comte s'échappe comme chercheur d'or en Australie. Céleste tente de récupérer le château par des procès à Paris, Châteauroux et Bourges en réussissant à prouver qu'elle a payé le château elle-même. Vers 1852 - 1853 Lionel revient. Le 9 novembre 1853, Anne-Victoire Vénard, donne son consentement au mariage de sa fille naturelle Élisabeth Céleste Vénard avec Gabriel Paul Josselin Lionel de Guigues de Moreton de Chabrillan déjà ruiné et endetté. Le mariage se déroule le 7 janvier 1854 à Londres avant leur départ pour l’Australie dont Lionel a obtenu un poste de Consul de France à Melbourne[Note 8]. Céleste Mogador devient alors la comtesse de Chabrillan. Elle quitte son état de prostituée pour celui d’épouse, cette sortie lui permet donc de fuir son état social et géographique initiale.

La comtesse de Chabrillan et sa vie australienne

Du 7 janvier 1854 à mi-décembre 1856, Elisabeth Céleste Comtesse de Chabrillan, et son époux Lionel vivent à Melbourne en Australie. Après des débuts difficiles, elle se fait accepter par la bonne société. Céleste s’embourgeoise, apprend l’anglais, travaille son piano et l’histoire de France. Elle organise un gala de charité pour les victimes de la guerre de Crimée. Ils rencontrent Lola Montés et sa danse considérée comme scandaleuse. Lionel se fait spéculateur, c’est la déroute, ils se retrouvent ruinés. Céleste rentre en France en 1856 et s’installe au 11 rue d’Alger à Paris. Lionel fait un aller-retour entre la France et l’Australie entre 1856 et 1858 puisqu’il meurt le 29 décembre 1858 à Melbourne.  

Céleste Mogador avait entre temps fait publier en France, en 1854, avec l'aide de Maitre Desmarest son avocat et d'Emile de Girardin, un volume de mémoire "Adieu au monde. Mémoires de Céleste Mogador" qui est rapidement censuré[Note 9]. Ses mémoires connaitront ensuite plusieurs rééditions, en 1858 et en 1874.

La veuve Madame Lionel de Chabrillan

À partir du 29 décembre 1858, Céleste de Chabrillan se retrouve veuve.

Jusqu'en 1860 elle écrit des articles de presse et des romans feuilletons pour La Presse, La Gazette des Plaisirs, La Causerie dramatique.

En 1860, elle remplace une amie lors d'une représentation à Rouen. Lors d'une représentation elle subit une mésaventure avec un cheval sur scène. Geneval le directeur lui dit "qu'elle n'est pas une vraie artiste". Pour la comtesse c'est l'insulte suprême. Elle part[Note 10].

Du 29 août 1861 au 20 septembre 1861, Elisabeth Céleste Vénard veuve de M. Gabriel Josselin Lionel de Guigues comte de Moreton de Charbillan vend sa maison du Poinçonnet[Note 11].

Le 20 janvier 1862, à l'angle de l'avenue des Champs-Elysées et de l'avenue Marigny, Céleste devient directrice et propriétaire du théâtre des Folie-Marigny, après « privilège accordé d’une direction de théâtre pour concert vocal dans l’intérieur de la salle et instrumental à l’extérieur, comédies et vaudevilles en un, deux, ou trois actes, avec intermèdes de chant et de danse & aussi d’opérette »[Note 12]. Elle fait faillite et revend le tout vers 1864-1865.

En 1865-1866, elle achète un terrain rocailleux payable sur 5 ans puis fait construire une maison payable en 2 ans au Vésinet qu'elle baptise "le Chalet Lionel". Elle reçoit et se lie avec Georges Bizet, l'un de ses voisins. Elle doit l'hypothèquer en 1871-1872. De Nauroy rachète le terrain et la maison pour créer "L'orphelinat des Alsaciens Lorrains" pour protéger les jeunes filles. L'inauguration à lieu en décembre 1875. La chapelle est inaugurée le 22 août 1877.

Du 28 novembre 1868 au 19 avril elle devient la directrice du théâtre des Nouveautés situé au 60 rue du Faubourg Saint-Martin.

Le 15 septembre 1870, Céleste devient le n° 9472 dans l'Association des Sœurs de France, infirmières soignant les blessés lors du Siège de Paris.

Entre 1877 et 1880, Céleste achète ; au 5 rue du Marché ; une maison au Vésinet pour 5 500 francs avec de nombreux travaux. Elle le surnomme "le chalet aux Fleurs" et 'essaye à la photographie.

Dans le même temps, elle s'installe à Paris, passage de l'Opéra et tient une boutique mystérieuse.

« En attendant que sa maison fût mise en état, elle continua d’habiter au 17, passage de l’Opéra où elle avait élu domicile à une date qu’il ne nous a pas été possible de déterminer. Peut-être se disait-elle que l’ombre discrète de ce lieu assez singulier la préparerait à la vie paisible du Vésinet. Quoi qu’il en soit, le choix du passage de l’Opéra est tout à fait, semble-t-il, en harmonie avec son passé.

« Le passage de l’Opéra, dit Montorgueil, fut ouvert en 1823 pour faire communiquer le boulevard et le théâtre. Il servait à gagner les coulisses. C’était le chemin des bouquetières et des messagers galants. L’Opéra disparu, ce passage est devenu une énigme et une impasse. On y venait avec des intentions pour des affaires de cœur. L’Opéra fut détruit par l’incendie dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873. Ce fut le glas du passage. Il s’abandonna, résigné, à des commerces sans ambitions, confidentiels, à des cabinets de lecture. Des boutiques vacantes dépolirent leurs vitres et en firent des rez-de-chaussée. Une ancienne gloire de Mabille, plus que septuagénaire, occupait l’un d’eux. Elle en avait fait un logis qui tenait à la fois de l’agence théâtrale et du cabinet de massage. Les murs étaient ornés d’images et de dédicaces du temps où la Mogador n’était pas encore devenue Comtesse de Chabrillan. »

La destinée du Passage de l’Opéra paraît donc avoir été aussi aventureuse que celle de Céleste. Jusqu’à sa démolition, le passage est resté un carrefour de négociations amoureuses. C’est dans la pénombre du café Costa qu’en 1919 les « dadaïstes », séduits par l’air équivoque du lieu, tinrent leurs assises. Une certaine boutique de mouchoirs dissimulait un commerce et une spécialité particulièrement florissante en dépit de l’âge de la marchande. Et Céleste, que vendait-elle ? devait encore se demander Jules Chancel:

«  Une minuscule boutique au fond du passage de l’Opéra, écrivait-il après avoir rendu visite à Céleste, une boutique dans laquelle on ne vend rien : tel est le gîte actuel de la célèbre Mogador, ou plutôt de très noble et honnête dame Lionel de Moreton, comtesse de Chabrillan... Un après-midi, je frappai aux carreaux et à ce signal d’habitué, la vieille dame entrouvrit sa porte, croyant avoir affaire à un voisin de ce passage qu’elle habite depuis si longtemps, changeant d’étage, suivant l’état de ses finances... Je pénétrais dans une curieuse petite pièce tendue d’étoffes algériennes, tenant à la fois de l’agence théâtrale de province et du cabinet de massage plus ou moins suédois.»

Aujourd’hui encore, Jules Chancel se souvient d’une vieille dame prétentieuse et insupportable, bas-bleu aigri, acariâtre, qui rendait l’humanité entière responsable de ses déboires amoureux, artistiques, littéraires et financiers. Il est peu probable que le seul appât des 56 ans de Céleste ait pu suffire à achalander une de ces « boutiques de galanteries » chères aux lorettes de sa jeunesse, mais alors, quel pouvait être exactement son emploi dans ce magasin mystérieux ?

Henri Duvernois évoque dans ses Souvenirs le cabinet de lecture, qu’il situe par erreur Passage des Panoramas, car il s’agit certainement de celui du Passage de l’Opéra : « En face de ce cabinet, dit-il, une boutique m’intriguait, toujours close, sans enseigne, les rideaux fermés. On croyait à la présence en ce lieu, d’une diseuse de bonne aventure. C’était le logis d’une des gloires chorégraphiques de Mabille : Céleste Mogador. Cette octogénaire de haute taille avait encore des yeux superbes, des yeux de feu et de flammes dans un visage dévasté.»

La clef de cette énigme est-elle fournie par Eugène Rey, le libraire de la rue Drouot, qui vers 1884 était commis de la librairie Flammarion, située au coin du boulevard et du passage de l’Opéra ? Il a bien voulu évoquer pour nous ses souvenirs :

« Au-dessus de la librairie, nous écrit-il, se trouvait le bureau de rédaction de l’Evénement, dont le directeur était Magnier, plus tard sénateur. Le passage de l’Opéra se composait de deux galeries, celle du Baromètre et celle de l’Horloge. Elles étaient occupées au rez-de-chaussée par des boutiques de diverses professions, pâtissiers, coiffeurs, armuriers, magasins de jouets, etc. C’est ainsi que dans la Galerie de l’Horloge se trouvait une de ces boutiques spacieuses, à laquelle sa devanture peinte en noir donnait un aspect plutôt sévère. Cette boutique était un cabinet de lecture plus spécialement consacré aux journaux et aux revues. On consommait sur place. La clientèle était fidèle et nombreuse. La propriétaire et directrice de cette officine était la comtesse de Chabrillan... Plus d’un parmi les abonnés de son cabinet de lecture revivait sa jeunesse à la vue de cette encore jolie vieille femme, toujours de noir vêtue et dont la chevelure complètement blanche donnait à sa personne une indéniable distinction. »

Si réellement, Mogador tenait un cabinet de lecture, on est surpris de constater le soin qu'elle a pris à le dissimuler[12].

À partir des années 1890, Céleste veuve Chabrillan fréquente les cafés-concerts.

Elle passe la fin de ses jours à l'asile de la Providence, 77 rue des Martyrs à Paris 18e. Elle y meurt le [13],[14].

Elle est inhumée au cimetière communal du Pré-Saint-Gervais. Ses restes ont été transférés au cimetière du Poinçonnet en 1993[15].


Amis, amants, clients

Céleste Vénard fréquente autant anonymes que de grands noms dans la société française du XIXe siècle. Ainsi, aux côtés des ducs, des comtes, des barons, des princes, des ouvriers, des comédiens, musiciens, des prostituées, des galantes et des maquerelles anonymes, se côtoient dans son réseau social : Alphonse Royer, Hermann Cohen, Lagie, Perdilini, Bettini, Thomas Couture, Eugénie Doche dite Plunkett, Julie Pilloy dite Alice Ozy, Rose Pompon, Théodore Faullain comte de Banville, Adèle Page, Zaïre-Nathalie dite Mademoiselle Nathalie, Philoxène Boyer, Jules Pierre Théophile Gautier, Gustave Flaubert, Henri Murger, Monsieur et Madame Edouard Suard, Frederick Lemaître, Elisabeth Rachel Felix dite la Grande Rachel, Alexandre Dumas père, Alexandre Dumas fils, Guillaume Victor Emile Augier, Victor Louis Nestor Roqueplan, Jules Favre, le Prince Napoléon Jérôme Bonaparte, Michel Lévy, Paul Nadar, Emile de Girardin, Charles Augustin Sainte Beuve, le marquis Edouard de Naurois, Marie-Anne Detourbay, comtesse de Loynes, dite Jeanne de Tourbey, Victor Cochinat, Léon Péragallo, Jules Janin, Théodore Barrière, Gustave Dardoize dit Gustave Harmant, Augustine Duvergner, Céline Chaumont, Victoire Elisa Macé, dite Marguerite Macé-Montrouge, Jean-Pierre Hesnard dit Montrouge, Maître Léon Gambetta, Louis-René Delmas de Pont-Jest, Hollacher ou Edouard Harladier, Gabriel Ranvier, Thérèsa, Georges Bizet, Jean Hippolyte Auguste Delaunay de Villemessant, Gustave Flourens, Henri Larochelle, Pierre Henry Victor Berdalle de Lapommeraye dit Henri de la Pommeraye, Madame Ambroise de Nar-Bey, princesse de Lusignan, René Luguet, Georges de Montorgueil, Jules Chancel, Charles Hipolyte Chincholle, Jules Claretie, François Coppée, Henry de Rochefort, Nancy Vernet,  Maurice Artus, René Marie Henri comte de Farcy, Jacques de Farcy.

Hommage

Dans ton rapide essor,
Je te suis Mogador,
Partage mon destin,
Fille des cieux… et du quartier Latin.
En te faisant si belle d’élégance,
Ton père eût dû songer en même temps
À te doter d’un contrat d’assurance
Contre la grêle… et d’autres accidents.

 Gustave Nadaud[Note 13], Les Reines de Mabille

Si le Bon Dieu l'avait voulu
J'aurais connu la Messaline
Agnès, Odette et Mélusine
Et je ne t'aurais pas connue
J'aurais connu la Pompadour
Noémi, Sarah, Rébecca
La fille du Royal Tambour
Et la Mogador et Clara

 Paul Fort[Note 14], Si le bon Dieu l'avait voulu, extrait (deuxième strophe)

Notes et références

Notes

  1. Corbin, Alain, Les Filles de noce, Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Flammarion, Paris, 2015 (1982). Gonzalez-Quijano, Lola, Filles publiques et femmes galantes : des sexualités légitimes et illégitimes à l'intérieur des espaces sociaux et géographiques parisiens (1851 - 1914), thèse de doctorat d'histoire contemporaine, sous la direction de Renata Ago et Maurizio Gribaudi, EHESS et Università degli Studi di Napoli, 2012. Houbre, Gabrielle, "Le XIXe siècle", dans Une histoire des sexualités, sous la direction de Steinberg, Sylvie, Presse Universitaire de France, Paris, 2015
  2. Faure, Alain ; Levy-Vroelant, Claire, Une chambre en ville. Hôtels meublés et garnis de Paris, 1860 - 1900, Créaphis, Grâne, 2007. Perrot, Michelle, "Hôtels meublés, chambres garnies",Histoire de chambres, Editions du Seuil, Paris, 2009, p. 272 - 279
  3. Perrot, Michelle, "En marge : célibataires et solitaires", dans Philippe Ariès et Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée. De la Révolution à la Grande Guerre, t. 4, Seuil, Paris, 1897, p. 287 - 305
  4. Samori, Sébastien, La courtisanerie au travers des trajectoires d'Elisabeth Céleste Vénard, comtesse de Chabrillan, surnommée la Mogador, 1824 - 1909, Mémoire de master en histoire contemporaine, sous la direction de Sauget Stéphanie, Université de Tours, soutenu le 26 juin 2019, p. 59
  5. Archives Nationales : F211154 : « Petit théâtre féérique des Champs-Élysées, puis Folies-Marigny, 1861-1873. Demande de transformation en café-concert par la comtesse Lionel de Chabrillan, anciennement connu sous le nom de Céleste Mogador, transmise par le préfet de police (septembre 1862).
  6. Samori, Sébastien, La courtisanerie au travers des trajectoires d'Elisabeth Céleste Vénard, comtesse de Chabrillan, surnommée la Mogador, 1824 - 1909, Mémoire de Master en histoire contemporaine, sous la direction de Stéphanie Sauget, Université de Tours, soutenu le 26 juin 2019, p. 60 - 66
  7. Lionel de Moreton Chabrillan : Paul Josselin Lionel Guigues de Moreton de Chabrillan est né le et mort le .
  8. Archives Nationales : MC/RE/XCVII/15 : répertoire chronologique pour la période du 23 avril au 31 décembre 1853. Notaire : Jean-Baptiste Thiac
  9. L'ouvrage Adieu au monde. Mémoires de Céleste Mogador est saisi et réimprimé en 1858.
  10. Martin-Fugier, Anne, Comédiennes : les actrices en France au XIXe siècle,Editions Complexe, Paris, 2008 (2001)
  11. Archives départementales de l’Indre : Série Q : hypothèque ⇒ 4 Q 1718 : hypothèques, vol.487, n° 42, n°77, vente par mme de Chabrillan à M. Jallerat.
  12. Archives nationales de paris : Théâtre XIXe : F / 21 / 1154 : Petit théâtre féerique des Champs-Elysées, puis Folies-Marigny 1861-1873. « Demande de transformation en café-concert par la comtesse Lionel de Chabrillon, anciennement connue sous le nom de Céleste Mogador, transmise par le préfet de police (septembre 1862)
  13. Gustave Nadaud (1820-1893) est un chansonnier français.
  14. Ce texte de Paul Fort a été mis en musique par Georges Brassens en 1961.

Références

  1. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoire de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 2 - 3
  2. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 100 à 117
  3. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 183
  4. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 174 - 175
  5. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 172
  6. Alain Corbin, Les Filles de noce, Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2015 (1982), p. 67
  7. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 1, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 232 - 239
  8. Anne Martin-Fugier, La vie élégante ou la formation du Tout-Paris, 1815 - 1848, Paris, Fayard, , p. 329
  9. Jean-Claude Yon, Une histoire du théâtre à Paris, de la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier,
  10. Céleste Mogador, Adieu au monde, Mémoires de Céleste Mogador, t. 3, Paris, Librairie Nouvelle, (lire en ligne), p. 173 - 202
  11. Archives Départementales de l'Indre. Série E : archives civiles. 2 E 10604 : Me. Hamouy notaire à Châteauroux. Achat de la maison du Poiçonnet par Elisabeth Céleste Vénard à Berton Laurent. Non consultable.
  12. Françoise Moser, Vie et aventures de Céleste Mogador, Paris, Albin Michel, , p. 307 - 310
  13. Michel Pauliex, L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, vol. LXI, no 1253, , [lire en ligne] sur le site de la Société d'histoire du Vésinet.
  14. « 1909 décès », sur Paris Archives (consulté le )
  15. PRÉ-SAINT-GERVAIS (le) (93) : cimetière

Publications

Ouvrages

  • Adieux au monde. Mémoires de Céleste Mogador, 1854 fac-similé téléchargeable sur Google Livres
  • Les Voleurs d'or, 1857.
  • Sapho, 1858.
  • Miss Powel, 1859.
  • Est-il fou?, 1860.
  • Un miracle à Vichy, 1861.
  • Les Mémoires d'une honnête fille, 1865.
  • Les Deux Sœurs, 1876.
  • Un deuil au bout du monde, 1877.
  • Les Forçats de l'Amour, 1881.
  • Marie Baude, 1883.
  • Un drame sur le Tage, 1885.


Pièces de théâtre

  • En Australie, comédie, 1862.
  • Les Voleurs d'or, drame en cinq actes, 1866.
  • Les Crimes de la mer, drame en cinq actes, 1869.
  • Un Homme compromis, vaudeville en un acte, 1869
  • Un Pierrot en cage,
  • Les Revers de l'Amour, comédie en cinq actes, 1870.
  • L'Américaine, comédie en cinq actes, 1870.
  • Pierre Pascal, drame en cinq actes, 1885.


Chansons

  • Battez, Battez, tambours, sur une musique de André-Marie Oray, parole de Madame la comtesse de Chabrillan, 1860.
  • L'Amour c'est des bêtises, sur une musique de Georges Louis Rose, parole chantées par Madame la comtesse de Chabrillan, 1865.
  • Les Adieux aux rivages, musique de Laurent Alfred, parole de Madame la comtesse de Chabrillan, chanté par M. Péron, au théâtre de Belleville.
  • Nédel, opérette en un acte, musique Le Bailly, auteur compositeur Boullard Marius, parole de la comtesse de Chabrillan, représentée pour la première fois au Théâtre des Champs Elysées le 23 mai 1863.
  • Un Pierrot en cage, opérette en un acte, sur une musique de Kriesel, parole et interprétation par Madame Lionel de Chabrillan, représenté au Théâtre des Nouveauté le 28 novembre 1869.


Pour approfondir

Bibliographie

  • Laure Adler, Les maisons closes, 1830 - 1930, Hachette Littérature, Paris, 1990
  • Mireille Dottin-Orsini, Daniel Grojnowski, Un Jolie Monde. Romans de la prostitution, Robert Laffont, Bouqins, Paris, 2008.
  • Gabrielle Houbre, Le livre des courtisanes, Archives secrètes de la police des mœurs, 1861 - 1876, Tallandier, Paris, 2006.
  • Alexandra Lapierre, La Lionne du boulevard, Groupe Robert Laffont, , 422 p. (ISBN 9782221120187, lire en ligne).
  • Pierre-Robert Leclercq, Céleste Mogador. Une reine de Paris, Éditions de la Table Ronde, 1996 (ISBN 9782710307150).
  • Françoise Moser, Vie et aventures de Céleste Mogador, Albin Michel, Paris, 1935
  • David Price, Cancan!, éd. Cygnus Arts, 1998, 272 p. (ISBN 9781900541503).
  • Union Indre, no 65, 2e trimestre 2009.

Liens externes

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