Pedro de Arbués

Pedro de Arbués (Epila 1441- Saragosse), dit également Mastrepila, est un inquisiteur espagnol, canonisé en 1867.

Biographie

Pedro de Arbués avait pour père un noble nommé Antonio de Arbués, et le nom de sa mère était Sancia Ruiz. Il avait un frère aîné, Antonio, et cinq sœurs : Juana, Leonor, Isabel, Sancha et Beatriz[1].

Il reçoit une éducation digne de son rang[1], étudie la philosophie, probablement à Huesca, puis à l’Escuela de Artes de Saragosse. Ensuite, il se rend à Bologne, au collège de Saint-Clément réservé aux Espagnols, où il est considéré comme un modèle pour le zèle dans les études et sa piété, et il y obtient ses diplômes en théologie (doctorat le ) et en droit.

De retour en Espagne, sa grande renommée le fait chanoine régulier de la Iglesia Metropolitana à Saragosse où il fait sa profession religieuse en 1474. On le connaît sous le nom de Mastrepila (maître d'Epila)[1].

Vers cette époque, les monarques espagnols Ferdinand et Isabelle avaient obtenu du pape Sixte IV une bulle pontificale (Exigit sincerae devotionis) pour créer un tribunal afin de rechercher les « hérétiques », et particulièrement les Juifs qui, après avoir reçu le baptême plus ou moins de force (les conversos), étaient revenus au judaïsme, ouvertement ou en secret, et que l'on désignait sous le nom de marranes (ce qui signifie « porcs »).

En 1483, Tomás de Torquemada est nommé Grand Inquisiteur de Castille et, le , Arbués est nommé avec Gaspar Juglar inquisiteur provincial pour le royaume d'Aragon mais Juglar meurt en [2], laissant Arbués seul aux commandes. Les autres membre du tribunal aragonais sont les secrétaires Pedro Jordán et Juan de Anchías, Ramón de Mur, l'avocat, et Martín de la Raga[3], l'assesseur[1].

Le biographe du XVIIe siècle, Jerónimo de Blancas (es), ne tarit pas d’éloge au sujet d'Arbués et vante sa grande piété, son humilité et toutes les qualités dont il fait preuve auprès de tous qui l'estimaient en retour[4],[1]. Néanmoins, l'isolement et les menaces régulières[5] font qu'Arbués porte constamment une cotte de mailles sur lui[1].

Assassinat

Martyre d'Arbués, Francesco Cecchini

Le , Arbués est assassiné dans la cathédrale de Saragosse alors qu'il était en prière aux Matines (au milieu de la nuit) et portait un casque en plus de sa cotte de mailles. Il a 44 ans.

Cet acte serait la conséquence du mauvais accueil que l'Inquisition avait reçu en Aragon, où elle était considérée comme une attaque de la Couronne contre les Fueros, c'est-à-dire les lois et les privilèges locaux. En particulier, il semble que certaines des familles les plus puissantes parmi les Juifs convertis de force - comme les Sánchez, les Montesa, les Paternoy et les Santángel - se considéraient comme des cibles de choix de l'Inquisition, et pensant « arrêter les ravages de l'Inquisition »[6], elles furent impliquées dans l'assassinat d'Arbués.

Cet assassinat fut la cause d'un mouvement populaire contre les Juifs, s'il était besoin. Torquemada, dont le pouvoir est étendu à la totalité de l'Espagne, organise en 1491 à Saragosse un gigantesque autodafé auquel sont invités même les grands d'Espagne et au cours duquel sont brûlés vifs des centaines[réf. nécessaire] d'hérétiques, ou présumés tels après avoir subi la torture. Pour les assassins et complices supposés (car les coupables avaient réussi à s'enfuir), ils sont traqués jusqu'en France et à Toulouse[6] ; « neuf d'entre eux sont finalement exécutés en effigies, deux se suicident, treize sont brûlés sur le bûcher, et quatre punis pour complicité », selon le compte de l'historien Jerónimo Zurita.

Relation dans le Libro Verde de Aragon

L'assassinat de San Pedro Arbués est relaté dans le Libro Verde de Aragón[7] conservé à la Biblioteca Colombina de Séville. Y figurent les noms des comploteurs et complices supposés : Gabriel Sánchez, trésorier royal ; Luis de Sonongel ; Mgr. Jaime de Montesa (es), juriste ; Gaspar de Sánta Cruz, marchand ; Juan de Pedro Sánchez ; Garcia de Moros, maire ; Mgr. Francisco de Sánta Fe, conseiller du gouverneur ; Mgr. Alonso Sánchez ; Pedro de Almazon ; Domingo Lanaja, vieux chrétien marié avec la fille de Pedro Almazon qui a avoué judaïser[8].

Les exécutants du meurtre connaissent une fin tragique après avoir été torturés : celui qui donna le coup d'épée, Juan de Esperandeu, fut écartelé puis brûlé ; Mateo Ram subit le même châtiment ; le corps de Juan de Labadía, qui se suicida dans le château de La Aljafería, fut brûlé ; le Français Vidau Durango qui donna le coup de couteau fatal fut également écartelé puis brûlé ; Tristanico, qui avait fui, fut brûlé en effigie[1],[8].

Après l'assassinat d'Arbués, les historiens de l'époque font état de plusieurs miracles : le sang coagulé de la victime se mit à bouillir et les cloches de Velilla[Lequel ?] sonnèrent toute seules.

Vénéré comme saint

Œuvre représentant San Valero, San Vicente Mártir, San Pedro Arbués et Santo Dominguito de Val in Glory par José Luzán Martínez, 1757, musée de Saragosse

Torquemada demanda la béatification en qualité de martyr de Pedro de Arbués qui fut canonisé par le pape Pie IX en 1867. Cette canonisation reste controversée hors de l'Église, mais elle est irréversible. En 2001, l'Américain Garry Wills (en), étudiant le pontificat de Pie IX, écrivit : « En 1867, il canonisa Pierre Arbués, un inquisiteur du XVe siècle célèbre pour ses conversions forcées de Juifs, et déclara dans le document de canonisation que la sagesse divine avait fait en sorte qu'en ces tristes jours, alors que les Juifs aidaient les ennemis de l'Église grâce à leurs livres et à leur argent, ce décret de canonisation avait été promulgué[9] ». Mais les décrets pontificaux sont sans appel. Le rabbin massorti et professeur américain David Dalin disqualifia les critiques de Garry Wills.

De son côté, la Catholic Encyclopedia précise au sujet de Pedro d'Arbués : « Pierre remplissait ses devoirs avec zèle et avec justice. Bien que les ennemis de l'Inquisition l'accusent de cruauté, il est certain que pas une seule sentence de mort ne peut lui être attribuée... Cependant, les Marranes qu'il combattait le haïssaient et ils résolurent d'en finir avec lui. Une nuit, alors qu'il était en prière à genoux devant l'autel de Notre-Dame dans l'église métropolitaine, où il avait coutume de réciter l'office avec les frères de son ordre, ils l'attaquèrent et des assassins qu'ils avaient gagés lui infligèrent plusieurs blessures dont il mourut deux jours après[10] ».

Leonardo Sciascia, dans Morte dell'inquisitore (1967), écrit qu'Arbués et Juan Lopez Cisneros[11] sont « les deux seuls cas d'inquisiteurs qui soient morts assassinés ».

Saint Pedro de Arbués repose dans la chapelle San Pedro de Arbués dans la cathédrale de Saragosse.

Autres inquisiteurs assassinés

Pedro Arbués n'est pas le seul inquisiteur qui ait été assassiné dans un mouvement de résistance à l'Inquisition ; d'autres également[1] :

Notes et références

  1. Monique Combescure Thiry, « Les assassins de l’inquisiteur Pedro Arbués », sur HAL, Pratiques Hagiographiques dans l’Espagne du Moyen Âge et du Siècle d’Or, CNRS-UMR5136-Université Toulouse le Mirail-Toulouse II ,Méridiennes, , p. 235-241
  2. L'historien Henry Ch. Lea (1825-1909) considère que ce serait également les conversos de Lérida qui auraient empoisonné Juglar : Historia de la Inquisición española, Madrid, Fundación Universitaria Española, 1983, t. 1, p. 852
  3. (es) Geo Gran Enciclopedia Aragonesa Online, « Martin de la Raga », sur www.enciclopedia-aragonesa.com (consulté le )
  4. V. Blasco de Lanuza, Historia de la vida, muerte y milagros del Siervo de Dios Pedro Arbués de Epila, Zaragoza, 1624, edición facsimilé, Club de Bibliófilos aragoneses de la Tertulia Latassa del Ateneo de Zaragoza, 1986
  5. Á. Alacalá Galve, Los orígenes de la Inquisición en Aragón, Zaragoza, Diputación General de Aragón, Departamento de Cultura y Educación, 1984, p. 66
  6. Élie Szapiro, Monique Lise Cohen, Pierre Léoutre et Eric Malo, Histoire des communautés juives de Toulouse des origines jusqu’au IIIè millénaire, Books on Demand, (ISBN 978-2-322-02765-1, lire en ligne), p. 51 et suiv.
  7. Le Libro Verde de Aragón est un ouvrage manuscrit du XVIe siècle (au temps de saint Vincent Ferrier) , recueil des généalogies d’importantes familles aragonaises commençant toutes par au moins un ancêtre juif converti au début du XVe siècle, afin de révéler au grand jour la descendance de ces convers et d’éviter aux vieux chrétiens de s’allier à eux. (fr)Monique Combescure Thiry, « Un manuscrit du Libro Verde de Aragón : le Ms 18305 de la Biblioteca Nacional de España », Les Cahiers de Framespa, 16 | 2014, Publicado el 15 junio 2014
  8. M. Combescure Thiry,  M. Á. Motis Dolader, El Libro Verde de Aragón, Zaragoza, Libros Certeza, 2003, p. 201-204
  9. Garry Wills, « The Popes Against the Jews: Before the Holocaust », New York Times, September 23, 2001.
  10. CATHOLIC ENCYCLOPEDIA: St. Peter of Arbues
  11. (en) E. William Monter, Frontiers of Heresy : The Spanish Inquisition from the Basque Lands to Sicily, Cambridge University Press, , 364 p. (ISBN 978-0-521-52259-5, lire en ligne)
  12. Robert I. Moore, The War on Heresy. Faith and Power in Medieval Europe, Londres, Profile Books, 2014, p. 401
  13. « L'Inquisition dans divers pays. », sur www.cosmovisions.com (consulté le )
  14. (en) Henry Charles Lea, A History of the Inquisition of the Middle Ages, Cosimo, Inc., (ISBN 978-1-59605-620-6, lire en ligne), p. 237
  15. (en) Christine Caldwell Ames, « Peter Martyr: The Inquisitor as Saint », Comitatus : A Journal of Medieval and Renaissance Studies, University of California, (lire en ligne, consulté le )
  16. « Beato Antonio Pavoni su santiebeati.it », sur Santiebeati.it (consulté le )

Bibliographie

  • (es) Ángel Alcalà Galve, Los orígenes de la Inquisición en Aragón, Zaragoza : Diputación General de Aragón, 1984
  • (es) Belén Boloqui Larraya, « Al hilo de San Pedro Arbués en su V centenario. Lazos de parentesco entre el inquisidor, los condes de Aranda, el P. Mercedario Juan Gracián y Salaverte y los hermanos Lorenzo y Baltasar Gracián », Libro de Homenaje al Prof. Ángel Sancho Blánquez, Zaragoza, Université de Saragosse, 1985, pp. 103-149.
  • Bartolomé Bennassar, L’Inquisition espagnole, XVe-XIXe siècles, Paris, Hachette, 1979
  • (es) Vincencio Blasco de Lanuza, Historia de la vida, muerte y milagros del Siervo de Dios Pedro Arbués de Epila, primer inquisidor de Aragón, Zaragoza, Juan de Lanaja y Quartanet, 1624.
  • Francisco Fernàndez de Marmanillo, Vida de S. Pedro Arbués Inquisidor apostólico de el Reyno de Aragón, y tribunal de la ciudad de Zaragoza, Logroño, Pascual de Gayangos, 1665
  • Jacqueline Guiral-Hadziiossif, Meurtre dans la cathédrale : Les débuts de l'Inquisition espagnole, Bouchene, coll. "Bibliothèque de la Méditerranée", 2012.
  • Raphaël Jerusalmy, La Rose de Saragosse, Actes Sud Littérature, 192 pp., 2018, (ISBN 9782330098384). Lire en ligne
  • Henry Kamen, traduction par Tanette Prigent et Hélène Delattre, Histoire de l’Inquisition espagnole, Paris : Albin Michel, 1966.
  • (es) Henry Charles Lea, Historia de la Inquisición española, Madrid : Fundación Universitaria Española, 1983.
  • (es) José Alberto de Medrano, Descripcion breve de las fiestas que ha hecho la Ilustrissima Metropolitana Iglesia de Çaragoça, al inclyto Martyr Pedro de Arbues su Canonigo y primer Inquisidor del Reyno de Aragon : por la declaracion de su Martyrio, hecha por la Santidad de nuestro Santissimo Padre Alexandro Septimo, Zaragoza, Diego Dormer, 1662.
  • Joseph Perez, Histoire de l’Espagne, Paris, Fayard, 1996.
  • Manuel Serrano y Sanz, Orígenes de la dominación española en América : estudios históricos, Bailly-Bailliere, 1918- (lire en ligne)
  • (es) « Relacion de las celebres fiestas que en solemnes cultos à San Pedro de Arbues, nuevamente declarado Martir insigne por la Santidad de Alexandro VII, se consagraron en la imperial ciudad de Çaragoça / de don Manuel Iosef de Sesse - Sessé, Manuel José de - Libro - 1664 », sur bdh.bne.es (consulté le )
  • Monique Thiry-Combescure, El Libro Verde de Aragón - Contribution à l’étude du problème juif dans la péninsule Ibérique (XV -XVII siècles), Thèse, Université Toulouse-Le Mirail, 1999
  • Monique Combescure, San Pedro Arbués, l’inquisiteur assassiné, Universidad de Navarra, Iberoamericana. Vervuert, (lire en ligne)
  • Monique Combescure Thiry, « Les assassins de l’inquisiteur Pedro Arbués », sur HAL, Pratiques Hagiographiques dans l’Espagne du Moyen Âge et du Siècle d’Or, Méridiennes, CNRS-UMR5136-Université Toulouse le Mirail-Toulouse II, , p. 235-241
  • Simon Whitechapel, Flesh Inferno: Atrocities of Torquemada and the Spanish Inquisition (Creation Books, 2003). (ISBN 1-84068-105-5)

Liens internes

Liens externes

  • Portail du catholicisme
  • Portail de l'ordre des Prêcheurs
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.