Naïm Kattan

Naïm Kattan, né le à Bagdad (Irak) et mort le à Paris[1], est un écrivain québécois et franco-ontarien d'origine juive irakienne.

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Biographie

Naïm Kattan naît le 26 août 1928 à Bagdad, dans une famille irakienne de confession juive. Il grandit bercé par les récits bibliques de sa mère, qui les lui racontait comme des histoires de famille[2]. À l'école, il apprend l'histoire, la géographie et les mathématiques, en arabe, en français et en anglais[3]. Il s'initie également à l'hébreu, alors que l'éducation religieuse est au cœur de sa formation scolaire et des traditions familiales[3]. Le jeune Naïm récite les prières et les bénédictions du shabbat, assiste aux rituels et accompagne son père à la synagogue[3]. Son école, membre de l'Alliance israélite universelle, organise même des excursions dans les ruines de Babylone, où le futur écrivain a l'occasion de voir les épopées bibliques se matérialiser sous ses yeux. Plus tard, cet héritage religieux marquera profondément son œuvre[3].

L'enfance de Kattan n'est toutefois pas un long idylle. En 1941, il est traumatisé par l'antisémitisme, alors que Bagdad est le théâtre du farhoud, un pogrom contre la population juive locale[4]. Il gardera de vifs souvenirs des coups de feu se rapprochant de son quartier[4]. Cet évènement, qui remet en cause la place des juifs dans la société irakienne, va le hanter toute sa vie[4]. Naïm Kattan se réfugie peu à peu dans l'écriture, tentant de se tailler une place parmi les écrivains musulmans[5]. Il deviendra un collaborateur régulier de la revue Al Majallah, dirigée par l'écrivain irakien Dhounnon Ayyoub[5].

À l'école de l'Alliance israélite universelle, Kattan découvre l'Occident et, surtout, les auteurs et les poètes francophones, notamment André Gide, Paul Valéry, André Malraux, Pierre Emmanuel, Louis Aragon, et Paul Éluard. Par le biais d'articles et de traductions, il se donne pour mission de les faire connaître en Irak[6]. Après ses études à l'université de Bagdad, entre 1945 et 1947, Kattan obtient une bourse du gouvernement français qui lui permet d'étudier la littérature française à la Sorbonne de 1947 à 1951[6].

Le jeune écrivain débarque à Paris, tout juste libérée du joug nazi. Bien que francophile et admiratif d'un Occident qu'il idéalise, Naïm Kattan découvre une culture française « dégradée par le nazisme et les divers fascismes »[7]. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, il est confronté à des remarques antisémites, notamment à l'université[7]. Il côtoie également de près les horreurs de la guerre lorsque des étudiants lui partagent leurs récits de l'occupation allemande[7]. Pour Kattan, cette période en est une de réflexion, voire de désillusion, quant à son idéalisation du monde occidental[7]:

« [...] fréquentant le Centre des étudiants juifs, j'ai ressenti intérieurement les évocations de l'atrocité. Comment des pays de grande culture pouvaient-ils commettre des crimes que les plus ignorants Bédouins n'auraient même pas imaginé ? J'ai dû mettre les prétentions du progrès en question. La sagesse et l'ouverture d'esprit d'un Bédouin illettré pouvaient dépasser celles d'un détenteur de doctorat. »

Durant les années 1950, Naïm Kattan constate une dégradation de la situation des juifs irakiens, qu'on accuse d'être d'allégeance sioniste ou communiste[8]. À l'ambassade d'Irak à Paris, il se voit refuser le renouvellement de son passeport. Il finit par obtenir le statut de réfugié en France[8]. Il hésite toutefois à demander la naturalisation, craignant de devoir faire son service militaire dans les colonies d'Algérie ou d'Indochine[8]. Kattan est dévoué à une autre lutte, celle de l'information, puisqu'il tente, par le biais des journaux, d'alerter les Français quant au sort de la communauté juive en Irak[9].

Il émigre à Montréal en 1954. Il vit en Ontario depuis 1967 ; il y dirige le Service des lettres et de l'édition du Conseil des Arts du Canada pendant une trentaine d'années[10]. Il s'intègre bientôt au milieu culturel québécois et canadien-français ; son rôle au Conseil des arts et ses écrits sont un apport important à la littérature québécoise et à la littérature franco-ontarienne, de même qu'à l'avancement de la langue française au Québec et au Canada[11]. Il est le père de l'écrivain Emmanuel Kattan.

Kattan est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages. Il publie un premier essai en 1970 ; il est intitulé Le réel et le théâtral[12]. Il entretient des échanges et lie des amitiés avec plusieurs intellectuels et écrivains québécois tels André Laurendeau, Jean Éthier-Blais, Jean-Guy Pilon, Nicole Brossard, Gaston Miron, Jacques Godbout et Jacques Allard[13]. Invité par André Laurendeau, il écrit des critiques littéraires dans le quotidien Le Devoir entre les années 1950 et 2015[11],[14].

Thématique et esthétique

Naïm Kattan a écrit plusieurs romans et essais importants qui parlent de l'écrivain qui est un migrant. Le thème du voyage et de l'exil est récurrent et prend une dimension presque religieuse au regard de la tradition juive[15] Il s'interroge ainsi sur l'expérience d'émigration et d'immigration, ce qui le conduit à développer d'importantes considérations transculturelles.

Sa réflexion s'attache au concept de lieu  comme constitutif des relations aux autres et de l'identité. Dans ce cadre, sa pensée nourrie de cosmopolitisme intellectuel s'avère parfois critique, notamment en ce qui concerne l'orientation de la mondialisation[16]. Le droit à l'altérité, au centre de sa fiction, se trouve menacé par la postmodernité néolibérale : l'ouverture aux autres ne doit pas devenir pour autant une soumission aveugle à la différence mais un « dialogue » entre les divers acteurs de la société. Kattan s'interroge sur le rôle de la culture dans la construction des identités collectives et comme base d’un dialogue entre communautés et des nations. Il s'intéresse plus particulièrement sur les transformations culturelles au Québec et ses effets sur son évolution nationale et ses relations avec les autres cultures en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs dans le monde[13].

Son premier roman, Adieu, Babylone (1975), récit largement autobiographique et premier d'une trilogie retraçant son parcours depuis le Moyen-Orient jusqu'en Amérique, décrit la vie de la communauté juive irakienne au cours de la période du coup d'État et de l'indépendance de l'Irak en 1941, à travers l'histoire d'un projet commun d'écriture de jeunes copains musulmans, juifs et chrétiens, projet d'où le jeune juif, francophile, se sent mis à l'écart, à l'instar de sa communauté dans le projet national. La seule solution qui s'offre est l'exil vers l'Occident, plus spécialement vers la France[17].

Œuvre

Romans

  • 1975 - Adieu, Babylone : Mémoires d'un juif d'Irak, Éditions La Presse, Albin Michel, 2003, Hurtubise HMH, 2005.
  • 1977 - Les Fruits arrachés, Hurtubise HMH.
  • 1983 - La Fiancée promise, Hurtubise HMH.
  • 1989 - La Fortune du passager, Hurtubise HMH.
  • 1990 - Le Père, Hurtubise HMH.
  • 1991 - Farida, Hurtubise HMH.
  • 1997 - La Célébration, Hurtubise HMH.
  • 1999 - L'Amour reconnu, L'Hexagone.
  • 1999 - Le Silence des adieux, Hurtubise HMH.
  • 2000 - L'Anniversaire, Québec-Amérique.
  • 2003 - Le Gardien de mon frère, Hurtubise HMH.
  • 2005 - Je regarde les femmes, Hurtubise.
  • 2006 - Châteaux en Espagne, Hurtubise HMH.
  • 2009 - Le Veilleur, Hurtubise HMH.
  • 2011 - Le long retour, Hurtubise HMH.

Nouvelles

  • 1974 - Dans le désert, Leméac.
  • 1976 - La Traversée, Hurtubise HMH.
  • 1979 - Le Rivage, Hurtubise HMH et Gallimard.
  • 1981 - Le Sable de l'île, Hurtubise HMH et Gallimard.
  • 1985 - La Reprise, Hurtubise HMH.
  • 1994 - La Distraction, Hurtubise HMH.

Éditions sous sa direction

  • 1965 - Les Juifs et la communauté française .
  • 1967 - Juifs et Canadiens.

Essais

  • 1970 - Le réel et le théâtral, Prix France-Canada.
  • 1978 - La mémoire et la promesse.
  • 1983 - Le désir et le pouvoir.
  • 1987 - Le repos et l'oubli.
  • 1994 - A.M. Klein.

Biographie

  • 2016 - Carrefours d'une vie, Hurtubise.

Honneurs

Notes et références

  1. « L'écrivain francophile Naïm Kattan meurt à 92 ans », sur Radio-Canada, (consulté le ).
  2. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, (ISBN 978-2-89723-727-1 et 2-89723-727-9, OCLC 960971654, lire en ligne), p. 16
  3. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 17.
  4. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 18.
  5. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 19.
  6. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 20.
  7. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 21.
  8. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 26.
  9. Naïm Kattan, Carrefours d'une vie, p. 27.
  10. Gaétan Gervais et Jean-Pierre Pichette (dir.), Dictionnaire des écrits de l'Ontario français : 1613-1993, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, , 1097 p. (ISBN 978-2-7603-0757-5, lire en ligne), p. 7 et 981.
  11. Jacques Lanctôt, « Naïm Kattan, un immigrant bien de chez nous », Journal de Montréal, (ISSN 0839-5179, lire en ligne, consulté le ).
  12. Danielle Laurin, « Naïm Kattan, les détours d’une vie », Le Devoir, (ISSN 0319-0722, lire en ligne, consulté le ).
  13. Boréal, « Naïm Kattan. Entretiens » (consulté le ).
  14. Le Devoir, « Liste des articles de Naïm Kattan » (consulté le ).
  15. Daniel S. Larangé, « L’esprit nomade : lieux de l’espace et du temps de Gérard de Nerval à Naïm Kattan », dans « Migrations, exils, errances, écritures », Corinne Alexandre-Garner (éd.), Nanterre, Presses de l’Université Ouest Nanterre La Défense, 2012, p. 301-319.
  16. Daniel S. Larangé, « La mondialisation au prix de l’effacement des identités québécoises : démesures postmodernes et fin des grands récits », TransCanadiana 5 (2012), p. 143-161. http://cejsh.icm.edu.pl/cejsh/element/bwmeta1.element.desklight-cb1a6082-cba7-4e39-bebc-d50ea1fb07b4/c/Pages_from_TC5_2012-12.pdf [PDF].
  17. John Hare, « Adieu, Babylone. Roman », dans Gaëtan Gervais et Jean-Pierre Pichette (dir.), Dictionnaire des écrits de l'Ontario français : 1613-1993, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, , p. 7.
  18. www.arllfb.be.

Voir aussi

Bibliographie

Article connexe

Liens externes

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