Italo-celtique

En linguistique historique, l’italo-celtique désigne un regroupement des branches italique et celtique de la famille des langues indo-européennes sur la base des caractéristiques partagées par ces deux seules branches et aucune autre. Elles sont généralement considérées comme étant des innovations, probablement développées après l'éclatement du proto-indo-européen. Il est aussi possible que certaines de ces innovations n'en soient pas ; il est alors probable que « ces deux branches » aient simplement conservé en commun des traits archaïques.

Il y a controverse à propos de la cause réelle de ces similitudes : elles peuvent soit indiquer une parenté généalogique particulière de ces deux branches, soit provenir de l'échange de traits linguistiques du fait de leur voisinage historique. Ce qui est communément accepté est que les caractéristiques partagées peuvent être considérées comme des « formes italo-celtiques ».

Interprétations

L'interprétation traditionnelle de ces données est que ces deux sous-groupes indo-européens sont d'une parenté plus proche l'un à l'autre qu'ils ne le sont par rapport à leurs cogénères indo-européens. Ainsi descendraient-ils d'un ancêtre commun, un phylum proto-italo-celtique qui peut être partiellement reconstruit par la méthode comparative. Cette hypothèse a été généralement abandonnée à la suite d'un réexamen réalisé par Calvert Watkins (en) en 1966[1]. Cependant certains chercheurs tels que Frederik Kortlandt ont continué de s'intéresser à cette théorie[2]. En 2002, un article de Ringe, Warnow et Taylor employant des méthodes informatiques en plus de la traditionnelle méthodologie de regroupement linguistique a plaidé en faveur de l'existence d'un sous-groupe italo-celtique[3]. En 2007, Kortlandt a tenté une reconstruction d'un proto-italo-celtique[4].

L'autre possibilité la plus courante, c'est qu'un contact linguistique, en raison d'une proximité aréale ou bien d'une zone de chevauchement, du celtique commun et de l'italique commun pendant une période prolongée aurait favorisé le développement parallèle de ce qui était déjà des langues bien distinctes. Selon Calvert Watkins, « le que partagent l'italique et le celtique est dû au contact précoce, plutôt qu'à une unité primordiale ». La période présumée de contact pourrait alors se situer plus tard, se poursuivant peut-être au cours du Ier millénaire av. J.C.

Si toutefois certaines des formes italo-celtiques sont vraiment des archaïsmes, des éléments du proto-indo-européen perdus dans toutes les autres branches, il n'est pas nécessaire de faire appel à une parenté particulière pour les expliquer. En termes cladistiques, ils correspondent à des symplésiomorphies, qui indiquent bien le rattachement à un groupe (indo-européen, en l'occurrence) mais ne permet pas de démontrer des rapprochements plus étroits au sein même de celui-ci. L'italique et plus particulièrement le celtique partagent certains de leurs archaïsmes avec les langues anatoliennes (telles que le hittite) et les langues tokhariennes[5].

Formes italo-celtiques

Les principaux traits caractéristiques italo-celtiques sont :

  1. le génitif singulier en ī de la déclinaison thématique ; par exemple en latin : dominus « maître », génitif domini. On trouve cependant des traces du génitif proto-indo-européen *-osio en italique (Popliosio Valesiosio sur la Lapis Satricanus) comme en celtique (lépontique et celtibère), ce qui pourrait indiquer que l'expansion du génitif en a eu lieu séparément dans les deux groupes (ou s'est produit par diffusion aréale). Le génitif en ī a été comparé à la formation en Cvi du sanskrit, mais il s'agit probablement là aussi d'un développement tardif. Le phénomène peut s'apparenter aux féminins en ī et à la mutation en i du louvite.
  2. le subjonctif en ā, dérivé d'un ancien optatif. On ne connaît pas d'optatif semblable dans les autres branches de l'indo-européen, mais il peut s'apparenter aux prétérits en ā du balto-slave et du tokharien, ainsi qu'au suffixe verbal -ahh du hittite.
  3. la fusion de l'aoriste et du parfait. Dans les deux groupes, il s'agit d'une évolution relativement tardive des proto-langues, datant peut-être de l'époque de leur contact.
  4. l'assimilation régressive de la séquence *p...*kʷ en *kʷ...*kʷ[6], antérieure à la disparition du *p en celtique.
PIE *penkʷe « cinq » → latin quinque, vieil irlandais cóic, breton pemp
PIE *perkʷu- « chêne » → lat. quercus, mais les Hercuniates, la forêt Hercynienne, etc., gaulois *ercu- « chêne »[7],[Note 1].
PIE *pekʷ- « cuire » → lat. coquere, bret. pobiñ (< celtique commun *kʷokʷ-o-).

Sur le plan lexical, on constate des ressemblances telles que les mots pour certains métaux (argent, plomb), semblables en italique et en celtique et sans correspondance dans les autres langues indo-européennes :

  • lat. argentum : irl. airgead, gallois arian
  • lat. plumbum (< *pleudʰom) : m. irl. lúaide (< *φloud-io-)

En ce qui concerne l'étain, le latin stannum est selon Pline d'origine gauloise, comparable à l'irlandais stán, gallois ystaen ; ces mots sont à rapprocher du gallois taen « saupoudrer, humecter », breton ster « ruisseau ». La recherche d'autres formes italo-celtiques se poursuit toujours aujourd'hui[8].

Le passif en -r que partagent l'italique et le celtique était autrefois considérée comme une innovation caractéristique, mais des éléments comparables ont été retrouvés depuis en hittite, en tokharien et peut-être en phrygien. Il s'agit donc là de la continuation commune d'un trait archaïque.

Exemple de comparaison : les adjectifs numéraux

langues italiques langues celtiques
ombrien osque latin langues romanes gaulois langues brittoniques langues gaéliques
portugais galicien espagnol catalan occitan français italien roumain sarde corse romanche dalmate cambrien breton cornique gallois vieil irlandais irlandais écossais mannois
unsuinusunusumununoununununounuunuuninjoinoino-yan / ainaunanonanunóenaonaonun
tufdusduo / duaedois / duasdousdosdos/duesdosdeuxduedoiduos / duasduidusdóiduo- / dui-tyan / taenadaou / divdeu / dywdau / dwydaudhàjees
triftrístres / triatrêstrestrestrestrestroistretreitrestrètraistratri- / tidresteddera / tetherietri / teirtry / teyrtri / tairtrí / teoirtrítrìthree
peturpetoraquattuorquatrocatrocuatroquatrequatrequatrequattropatrubàtoroquatruquatterquatropetuar / petru-meddera / pederapevar / pederpeswar / pederpedwar / pedaircethair / cetheoirceathairceithirkiare
pumpepompequinquecincocincocincocinccinccinqcinquecincichimbecinquetschintgčencpempe / pimpepimp / mimphpemppymppumpcóiccúigcòigqueig
sehssehssexseisseisseississièissixseişasesesséisissisuexssethera / haatac'hwec'hwheghchwechsiashey
seftemseftenseptemsetesetesietesetsètseptsetteșaptesetesettesetsiapto / saptosextanlethera / slaataseizhseythsaithsechtseachtseachdshiaght
uhtouhtooctooitooitoochovuituèchhuitottooptotoottuotguapto / vaptooxtu / octuhovera / seckeraeizhethwythochtochtochdhoght
nuvimnuvennovemnovenovenuevenounòuneufnovenouă / devet*noenove, novinovnunauandovera / hornanavnawnawnoínaoinaoinuy
desemdekendecemdezdezdiezdeudètzdixdiecizecedeghedécedieschdicdecandick / decdekdekdegdeichdeichdeichjeih
 ? ?centumcemcencientocentcentcentcentosută[9]chentucentutschientciantcanto- / conto- ?kantcanscantcétcéadceudkeead

* Istro-roumain

Annexes

Notes

  1. En réalité, cet exemple semble contredire cette thèse puisque *p...*kʷ > *kʷ...*kʷ est postérieur au passage > ku, c'est-à-dire *perkʷu- > *perku- > *hercu- et non pas *perkʷu- > **kʷerkʷu- > **perpu- in Xavier Delamarre, op. cit.

Référence

  1. Watkins, Calvert, Italo-Celtic Revisited. In: (en) Henrik Birnbaum, Puhvel, Jaan eds., Ancient Indo-European dialects, Berkeley, University of California Press, , 29–50 p. (OCLC 716409)
  2. Kortlandt, Frederik H .H., « More Evidence for Italo-Celtic »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) (consulté le ), in Ériu 32 (1981): 1-22.
  3. (en) Donald Ringe, « Indo-European and Computational Cladistics », Transactions of the Philological Society, Oxford, Blackwell Publishing, vol. 100, no 1, , p. 59–129 (ISSN 0079-1636, OCLC 195112762, DOI 10.1111/1467-968X.00091)
  4. F. Kortlandt, Italo-Celtic Origins, 2007.
  5. Nils M. Holmer, « A Celtic-Hittite Correspondence »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) (consulté le ), in Ériu 21 (1969): 23-24.
  6. Andrew L. Sihler, New Comparative Grammar of Greek and Latin, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 145, §141.
  7. Xavier Delamarre, La langue gauloise : Une approche linguistique du vieux celtique continental, éditions Errance, Paris, 2003, pp. 164 - 165.
  8. M. Weiss, « Italo-Celtica : Linguistic and Cultural Points of Contact between Italic and Celtic ».
  9. Emprunté au vieux slave.

Autres publications

  • Jay Jasanoff, « An Italo-Celtic isogloss : the 3 pl. mediopassive in *-ntro », dans Festschrift for Eric P. Hamp., sous la dir. de Douglas Q. Adams, coll. « Journal of Indo-European Studies », Washington D.C., 1997, p. 146-161.
  • Winfred P. Lehmann, « Frozen Residues and Relative Dating », dans Varia on the Indo-European Past : Papers in Memory of Marija Gimbutas, sous la dir. de Miriam Robbins Dexter et Edgar C. Polomé, Washington D.C., Institute for the Study of Man, 1997, p. 223–46
  • Winfred P. Lehmann, « « Early Celtic among the Indo-European dialects »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) », Zeitschrift für celtische Philologie, 1997, vol. 49-50, n⁰ 1, p. 440-454.
  • Karl Horst Schmidt, « Contributions from New Data to the Reconstruction of the Proto-Language », dans Reconstructing Languages and Cultures, sous la direction d'Edgar Polomé et Werner Winter, Berlin-New York, Mouton de Gruyter, 1992, p. 35–62.
  • Frederik Kortlandt, Italo-Celtic Origins and Prehistoric Development of the Irish Language, Leyde, Rodopi, coll. « Leiden Studies in Indo-European n⁰ 14 », 2007, (ISBN 978-90-420-2177-8).
  • Michael Weiss, « Italo-Celtica : Linguistic and Cultural Points of Contact between Italic and Celtic », dans Proceedings of the 23rd Annual UCLA Indo-European Conference, Hempen Verlag, 2012.

Voir aussi

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