Histoire des Juifs en Turquie

L’histoire des Juifs en Turquie ou, plus précisément, dans le territoire turc actuel, remonte à l'Antiquité. On compte en 2016 15 500 Juifs en Turquie[1]. Leur nombre a depuis baissé, certains ayant quitté la Turquie en raison des purges massives depuis 2016[2].

Costumes de Juifs de Brousse (vilayet de Hudavendighiar), 1873

Une longue histoire

Les Juifs ont habité le territoire de l'actuelle Turquie dès le IVe siècle av. J.-C.[3] : ils sont appelés Mizrahites ou Mizrahim, c'est-à-dire « orientaux », ou Romaniotes, en référence à l'Empire romain où ils vivaient dans l'Antiquité classique et durant la période byzantine. Non loin de Smyrne, en Lydie, se trouvent les ruines de la synagogue de Sardes, une des plus grandes de l'Antiquité[3].

Les Juifs d'Anatolie et de la Péninsule Ibérique musulmane ont joué un rôle important dans la transmission du savoir antique : ainsi, l'empereur Romain Ier Lécapène (870-948) envoie bibliothèques et traducteurs à Hasdaï ibn Shaprut, ministre du calife de Cordoue, Abd al-Rahman III, d'où ce savoir diffusera, par des lettrés comme Gerbert d'Aurillac, à l'Occident chrétien[4],[5],[6]. La plupart de ces traducteurs (en arabe tourdjoumân ou turǧumān[7] (ترجمان qui a donné en français « truchement »[8] et se trouve à l'origine du patronyme Tordjman) étaient juifs, avec des patronymes comme Calonymos, Chryssologos, Margolis, Mellinis, Siffrès…[9].

Au XIVe siècle, la population juive de Constantinople représente 10 % des habitants. En 1453 l'Empire ottoman en fait sa capitale et en 1492 le sultan Bayezid II envoie Kemal Reis sauver 150 000 juifs d'Espagne de l'Inquisition. Ce sont les Séfarades, c'est-à-dire espagnols, qui assimilent progressivement les Romaniotes (lesquels passent ainsi, du Talmud de Jérusalem, à celui de Babylone). À partir du XVe siècle arrivent également des populations ashkénazes c'est-à-dire allemandes (en fait, des Juifs d'Occident), dont fait partie le rabbin Yitzhak Sarfati, ou Isaac Zarfati, patronyme qui signifie français[10].

Au XVIe siècle, les communautés juives de l'Empire ottoman rayonnent sur tout le Levant.

Au XVIe siècle, de nombreux Juifs se réfugient dans l'Empire ottoman à la suite de l'expulsion des Juifs d'Espagne par Isabelle la Catholique. Les pogroms des cosaques sur les marges occidentales de l'Empire russe provoquent aussi des vagues d'immigration ashkénaze dans l'Empire ottoman, notamment vers Salonique et Istanbul.

Ancienne localisation de communautés juives en Anatolie

Sabbataï Tsevi fut considéré par ses partisans, les Sabbatéens, comme le messie mais ces derniers passèrent finalement à l'islam. Leurs descendants sont les Dönme. Au XVIe siècle, Joseph Nassi est le premier gouverneur juif en Turquie comme Seigneur de Tibériade.

La Famille Camondo a pour patriarche Abraham Salomon Camondo, né à Constantinople, au XVIIIe siècle.

Hakham Bachi

Juifs turcs, v. 1900

Il y avait à Constantinople (Istanbul) un Hakham Bachi, en turc ottoman خاخام باشی : Hahambaşı, en hébreu חכם באשי, de חכם hakham ("sage" en hébreu) et de باش baş ("tête" en turc) qui était le chef religieux de tous les juifs de l'Empire, et en outre chaque communauté importante (géographique ou traditionnelle, comme les Juifs Mizrahim d'Égypte et d'Irak, les Romaniotes ou les Séfarades) avait son propre Hakham Bachi particulier. Une exception notable fut la puissante communauté juive de Salonique dont la direction générale était confiée à un groupe de rabbins choisis par les multiples communautés. Cette institution fut cependant abolie à la fin du XIXe siècle et les communautés de Salonique entrèrent dans le cadre classique des Hakham Bachi.

En 1889, Makhlouf Eldaoudi devient Hakham Bachi (chef religieux des communautés séfarades).

Positionnement

Durant le XXe siècle, quelques Juifs turcs comme Emmanuel Carasso rejoignent le mouvement des Jeunes Turcs, mais beaucoup d'autres, craignant les crispations nationalistes et constatant la montée consécutive de l'antisémitisme, préfèrent émigrer et s'installer en France où ils s'implantent principalement à Paris dans les 9e, 10e et 11e arrondissements[11].

Pendant la Seconde Guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie est neutre. Elle refuse de livrer à l'Allemagne les Juifs qui ont trouvé refuge sur son territoire[12], mais elle doit aussi faire face aux pressions exercées par le Royaume-Uni pour empêcher les Juifs d'aller en terre d'Israël, où les Britanniques cherchent à apaiser les Arabes[13].

Le , le Struma, bateau sous pavillon panaméen, affrété par une compagnie grecque et rempli de plus de 750 réfugiés juifs fuyant la Roumanie et la Bulgarie, arrive à Büyükdere près d'Istanbul où seule une femme sur le point d'accoucher, huit passagers ayant déjà des visas britanniques pour la Palestine et 28 enfants sont autorisés à débarquer. Les autres, considérés par le consulat britannique comme « citoyens de pays ennemis »[14] se voient refuser les visas. Le navire n'ayant plus ni chauffage, ni eau courante, est mis en quarantaine ; les associations juives de la ville ravitaillent les passagers. Le la marine turque remorque le Struma (dont les occupants avaient saboté la machine pour l'empêcher de repartir) en mer Noire à deux kilomètres de la côte turque où le sous-marin soviétique SC 213 le torpille le lendemain[15] : en l'absence de secours, l'équipage et tous les passagers sauf un, sont noyés[16].

Groupe de nouveaux immigrants venus de Turquie, arrivant au kibboutz Maabarot, 1943

À la suite de cette tragédie, les autorités autoriseront les réfugiés juifs à rester « en transit » sur le sol turc[17] et la Turquie devint une plaque tournante du sauvetage des Juifs, ce qui n'empêche pas la tragédie du Mefküre de même nature que celle du Struma.

C'est à Istanbul que Joel Brand négocie avec les Allemands dans l'espoir de sauver les Juifs hongrois[18]. À Çesme et à Izmir, Moshé Agami chargé au sein du Mossad de l'émigration, organise, en lien avec les résistants grecs de l'ELAS, les services secrets britanniques et des diplomates grecs, le sauvetage de 3000 juifs grecs[18].

En 1942, le gouvernement turc met en place le Varlık Vergisi, impôt sur la fortune uniquement pour les non-musulmans, qui signifie pour beaucoup d'entre eux, Juifs ou non, la liquidation de leur(s) entreprise(s) et de leurs biens personnels. Et pour ceux qui ne sont pas en mesure de payer, les « insovables », la déportation, en partie à Aşkale, province d'Erzurum.

Depuis 1945

Synagogue pour les émigrés turcs, Beer Sheva (Israël)

En 1948-1949, entre 30 000 à 40 000 Juifs turcs émigrent vers le tout nouvel État d'Israël[19].

En 1951, la synagogue Neve Şalom est construite à Istanbul.

Près de 10 000 Turcs de confession juive auraient quitté le pays depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2002, par crainte de la montée de l'islamisme militant. De nombreux responsables de l'AKP tiennent occasionnellement un discours antisémite, attribuant aux Juifs notamment les difficultés économiques ou les mouvements de protestation contre le président Erdogan.

Personnalités contemporaines

  • Dario Moreno (1921-1968), chanteur, musicien et acteur.
  • Can Bonomo, le représentant de la Turquie à l'Eurovision 2012.
  • Seza Paker, une artiste contemporaine turque.
  • Metin Arditi, écrivain ayant publié la fiction Rachel et les siens (2020).

Galerie

Notes et références

  1. (en) Sergio DellaPergola, « World Jewish Population, 2016 », Berman Jewish Data Bank, (consulté le )
  2. Dorothée Schmid, La Turquie en 100 questions, Texto, , p. 190
  3. (en) « Turkey », sur Jewish Virtual Library
  4. H. Floris Cohen, The Scientific Revolution : A Historiographical Inquiry, chap. « The Emergence of Early Modern Science », University of Chicago Press 1994, p.395
  5. Paul Tannery, Mémoires scientifiques, tome IV: Sciences exactes chez les Byzantins, Jacques Gabay, Paris, (ISBN 978-2-87647-186-3)
  6. Nikolaos G. Svoronos, Iστορια των μησων χρονων, Athènes, 1955 ; Histoire du Moyen Âge, P.U.F. 1956.
  7. Turǧumān : « interprète, traducteur », dér. de tarǧama « traduire » (cf. drogman, targum : traduction de la Bible hébraïque)
  8. « Définition de TRUCHEMENT », sur www.cnrtl.fr (consulté le )
  9. L'étymologie de tourdjoumân pourrait dériver du verbe hittite tarkummai- annoncer, traduire ») : voir (it) M. Forlanini, « Le strade dell'Anatolia del II Millenio a.c. : percorse da mercanti assiri eserciti ittiti e carovane di deportati ma anche vie di diffusione di culti e civiltà », dans Elena Asero, Strade di uomini e di idee, Rome, Aracne (ISBN 9788854885141), p. 47.
  10. Letter of Rabbi Isaac Zarfati, datée de 1454 environ, sur [turkishjews.com].
  11. Les Arméniens, les Grecs et les Juifs originaires de Grèce et de Turquie, à Paris de 1920 à 1936, Cahiers balkaniques
  12. https://www.cercleshoah.org/spip.php?article224
  13. Georges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN 978-2-035-83781-3), p. 562
  14. Déclaration de Harold MacMichael, haut-commissaire britannique pour la Palestine.
  15. Après la chute du rideau de fer, la Russie présenta à Israël des excuses pour cette “tragique erreur”, affirmant que le SC 213 avait pris le Struma pour un navire allemand, mais les organisations sionistes (Yichouv, Lehi, Irgoun) n’ont pas cru à une erreur, car le Struma à la dérive était un très vieux navire (âgé de 75 ans) à la silhouette très reconnaissable, et sa situation était parfaitement connue des Alliés ; de plus, la Kriegsmarine n’avait en mer Noire qu’une vingtaine de Räumboote, une dizaine de Schnellboote et six U-boot de type IIB : absolument rien qui ressemble au Struma : Timothy C. Dowling, Russia at War, ABC-CLIO Publishing, 2014, p. 129.
  16. Le Struma sur le site du Mémorial de Yad Vashem
  17. Charles Enderlin, Par le feu et par le sang. Le combat clandestin pour l'indépendance d'Israël, Albin Michel, 2008, p. 98-100.
  18. Dictionnaire de la Shoah, p. 563.
  19. Dictionnaire de la Shoah, p. 564.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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