Gilles-Lambert Godecharle

Gilles-Lambert Godecharle, est un sculpteur né à Bruxelles le et y décédé le . Il a produit une œuvre d'un classicisme impeccable mais non dépourvue de vie, de grâce et de mouvement.

Portrait de la femme de l'artiste (Musées royaux des beaux-arts de Belgique)

Jeunesse

Il grandit au sein d'une famille d'artistes. Sa mère s'appelle Isabelle Delsart et son père, Jacques-Antoine Godecharle, est maître de chapelle à l'église Saint-Nicolas de Bruxelles et basse chantante de la chapelle de Charles de Lorraine. Ses frères, Eugène, Joseph, Lambert et Louis sont musiciens, Louis est en même temps maître de dessin. Tout jeune, il aurait reçu à Bruxelles quelques leçons de dessin chez le graveur Jean Dansaert, de la Corporation des Quatre Couronnés, et ceci aurait décidé de sa vocation[1].

Apprentissage

Son premier maître est Laurent Delvaux qui, à Nivelles, est alors au faîte de son talent. Il n'a pas tout à fait dix-neuf ans quand il termine en 1769 la copie réduite, finie avec un soin extrême, en marbre, d'un lion sculpté par Delvaux d'après l'antique : c'est sa plus ancienne œuvre connue. Godecharle travaille encore chez Delvaux en 1771. À cette date et sur la recommandation de son maître, il obtient du prince Charles de Lorraine une pension annuelle de 300 florins du Brabant[1].

Paris

Le , Godecharle travaille à Paris chez Tassaert[2], sculpteur du roi en qui il a trouvé « un habile homme et un Flamand ». Grâce à la protection de l'ambassadeur d'Autriche en France, de Mercy-Argenteau, Godecharle entre en 1772 à l'École académique sous la protection de Pigalle. Le , il demande au secrétaire d'État à Bruxelles de permettre à son père de toucher pour lui sa pension et, le , une ordonnance de paiement de la moitié de sa pension (150 florins) est délivrée par la cour de Bruxelles : manifestement, il veut prolonger son apprentissage parisien et obtenir un prix de l'Académie, bien que Bruxelles souhaite qu'il quitte Paris pour se rendre à Rome. Grâce aux recommandations conjointes de Mercy-Argenteau, Tassaert et Brenet, peintre du roi qui, tous témoignent de son assiduité à l'étude et de sa conduite irréprochable, il bénéficie d'un sursis et la moitié de sa pension lui est envoyée le [1].

Berlin

Son maître Tassaert est nommé, grâce à d'Alembert, sculpteur de la cour de Prusse[3]. Le contrat stipule qu'il doit emmener avec lui quatre compagnons et un mouleur italien[4]. Godecharle est du nombre[5] et, en , arrive à Berlin où il se perfectionne jusqu'en 1777. On sait que Tassaert et Godecharle ont fait à Berlin des bustes parfaits, d'après nature[6].

Londres

Le , Godecharle est à Londres et écrit à son frère. Il le remercie d'avoir entamé les démarches auprès du gouvernement de Bruxelles, pour obtenir un subside qui lui permettra d'aller à Rome ; il lui demande de lui procurer une lettre de recommandation pour Rome ; il exprime sa gratitude envers les autorités bruxelloises, d'avoir été pressenti pour décorer le Parc de Bruxelles ; enfin, il pose sa candidature au poste de sculpteur de la cour de Charles de Lorraine, en remplacement de son premier maître, Laurent Delvaux, dont il a appris le décès deux jours plus tôt[7]. Les démarches de son frère aboutissent et une somme de 50 ducats lui est envoyée[8].

Rome

Une pension annuelle de 300 florins est accordée à Godecharle pour couvrir les frais de son apprentissage romain parmi les "maestri" du Capitole[9]. Mais dès le , une somme de 50 ducats lui est envoyée pour payer le voyage « qu'il va entreprendre de Rome à Bruxelles »[10]. Il était question, en 1779, d'orner le Parc de Bruxelles d'un monument qui serait en même temps une fontaine : c'est pour cette importante entreprise que Godecharle est rappelé à Bruxelles[11].

Œuvre monumentale

Chargé d'un bon bagage, il revient dans sa patrie qui, sous un régime autrichien éclairé, favorise les talents. Il est nommé sculpteur de la cour des gouverneurs autrichiens[9] et, comme beaucoup d'artistes de l'époque autrichienne, il adhère à la franc-maçonnerie.

Le décès en de Charles de Lorraine n'affecte pas la carrière de Godecharle, sa pension avait été continuée jusqu'en 1781 et, en mars de cette même année, il est pressenti pour participer à l'ornementation extérieure du nouvel hôtel de la Chambre des Comptes, travail d'ordre assez secondaire payé cependant 1 175 florins Brabant[12]. Un ouvrage plus important va lui permettre de déployer ses qualités exceptionnelles de composition et d'invention. Le avait été posée la première pierre du palais destiné au Chancelier et au Conseil souverain de Brabant - actuellement palais de la Nation - et Godecharle est chargé de sculpter le fronton de la façade d'une allégorie claire de la Justice récompensant la Vertu, protégeant la Faiblesse et chassant les Vices. Il a trente ans et déjà il atteint l'apogée de son talent.

Fronton du Palais de la Nation

Les nouveaux gouverneurs des Pays-Bas autrichiens, Marie-Christine et Albert de Saxe-Teschen apprécient son talent et lui adressent plusieurs commandes. La première pierre du palais - l'actuel château de Laeken -, érigé sur le domaine qu'ils ont acquis près de Laeken, est posée le [13] et Godecharle doit faire la décoration sculptée du château, c'est-à-dire le fronton, les bas-reliefs placés à la base de la coupole dans la salle du dôme ou rotonde[14], une suite de six bas-reliefs dans une salle de l'aile gauche[15], une ou deux figures isolées et les deux sphinx placés à la base du perron. Au fronton, il représente le Temps assis et présidant à la succession des Heures[16], la présence du vieillard Saturne symbolisant la fuite du temps. Non loin de là, toujours à Laeken, il plaça des statues dans la villa du vicomte Edouard de Walckiers dit "le Magnifique".

En 1786-1787, Godecharle travaille avec Ollivier et Janssens au décor de l'église Saint-Jacques-sur-Coudenberg, il y sculpte les statues de L'Église et de La synagogue ainsi que trois bas-reliefs L'adoration des bergers, La Cène et La mise au tombeau. Il ne paraît pas que Godecharle ait joué un rôle quelconque durant la période révolutionnaire brabançonne, liégeoise ni française, comme le fit le Français Jean-Antoine Houdon, dont la loge maçonnique avait soutenu la Révolution américaine. L'une des rares mentions que l'on trouve de lui, à cette époque, date de 1793.

Sous le Premier Empire, Godecharle doit être allé souvent à Paris où il fait beaucoup de copies d'œuvres françaises, qu'il utilise pour des décors de jardin, e.a. au château de Wespelaar où furent placés, de 1791 à 1822, trente-sept bustes d'hommes célèbres, ainsi qu'un nombre considérable de statues et de groupes dispersés dans les jardins[17] ; aux jardins botaniques de Gand et Leyde, à Loppem, à Laeken, à Haarlem, etc. Tout en travaillant et en produisant beaucoup, il est professeur à l'Académie des beaux-arts et a quelques élèves particuliers.

D'autre part, Napoléon fait remettre à neuf le château de Laeken, laissé à l'abandon depuis 1794[18] et qui avait été "promu à la vente au détail" par les acquéreurs spéculateurs. Au-dessus du fronton, Godecharle place trois statues allégoriques classiques, dont la statue de Pallas[19]. Au goût du temps, cette statue classique n'est cependant pas sévère et n'a pas de froideur.

Sous le gouvernement de Guillaume Ier de Hollande, Godecharle a le titre de sculpteur du roi, est membre de l'Institut des Pays-Bas et fait le buste officiel du roi. En 1815, sous la Restauration de la monarchie, le sculpteur François Rude et son compatriote le peintre David se réfugient à Bruxelles, et avec les jeunes sculpteurs malinois Royer et Van Geel ils accaparent les commandes du roi des Pays-Bas. En 1817, au moment où on commence la reconstruction du théâtre de la Monnaie, il fait un projet de bas-relief pour le fronton, mais sa composition n'a plus l'aisance ni la liberté caractérisant l'ordonnance d'œuvres plus anciennes et la décoration sera réalisée par d'autres artistes. En 1826, l'âge et les infirmités ne lui permettent plus de satisfaire au niveau de compétence requis en tant que professeur d'Académie. Le vieil artiste se survit et peut-être sent-il l'amertume de cette fin obscure[20].

Petite sculpture

Godecharle figure en 1803 parmi les membres fondateurs de la Société de peinture, sculpture et architecture de Bruxelles. Il peut ainsi se mettre à l'ouvrage et produire une œuvre abondante, qui procure également à sa famille une importante fortune matérielle.

Ce sont des sculptures de petit format, telles que des bustes, statuettes, figurines demandés par une clientèle lettrée, désireuse de passer à la postérité ou d'avoir en bibliothèque, dans le parc ou le jardin d'agrément, la présence de ses écrivains favoris (Virgile, Platon, Milton ou Voltaire), ou des grands hommes dont elle admire les exploits (Frédéric II, Bonaparte, etc.)

Par une sorte de coquetterie, avant de déposer son ciseau, il fait de lui-même un portrait d'une sincérité émouvante, signé et daté de 1822. Ce buste est conservé aux musées royaux des beaux-arts de Belgique[21].

Buste de Sénèque (1905), Marbre, Mougins, © (MACM) Musée d'art classique de Mougins

Godecharle dans les collections publiques

  • Charité avec deux enfants, 1795, pierre, 164cm, Palais du Meir à Anvers
  • Version avec variantes de la sculpture d'Anvers, e.a. quatre enfants au lieu de deux, pierre de France, Musées royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles
  • Allégorie de la Charité avec deux enfants, réduction à 50,5 cm de la sculpture d'Anvers, vers 1795, terre cuite acquise en 2013 par le musée du Louvre[9].
  • L'Éternité, bas-relief en pierre tendre dans l'église Saint-Jacques-sur-Coudenberg, décorant le monument funéraire en marbre noir et blanc du dessinateur M.F.Jacobs († 1812), surmonté d'un excellent médaillon du défunt ; auprès du médaillon, un sablier et une torche renversée[22]
  • Buste d'Angélique d'Hannetaire, Musée de la ville de Bruxelles
  • Buste en bronze, autoportrait, réalisé en 1822, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles
  • Buste engainé en terre cuite de Priape, 1788, 45cm, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles
  • Les musées royaux des beaux-arts de Bruxelles abritent les œuvres provenant du parc de Wespelaar et sculptées dans la pierre de France : ce sont les bustes de Carl von Linné, Christoph-Martin Wieland, Cicéron, Démosthène, Voltaire, Frédéric II roi de Prusse, Friedrich Schiller, George Washington, Buffon, Guillaume le Taciturne, Henri IV roi de France, Johan van Oldenbarnevelt, John Milton, Homère, Horace, Bossuet, Jean de la Bruyère, Jean de la Fontaine, Jean Racine, Jean-Baptiste Molière, Jean-Jacques Rousseau, Lamoral comte d'Egmont, Le Tasse, Marc-Aurèle, Montaigne, Napoléon Bonaparte, Nicolas Boileau, Pierre Bayle, Pierre Corneille, Platon, Plutarque, Pythagore, Sénèque, Socrate et Virgile ; les statues de Vulcain, Hercule, Hermaphrodite, "L'Amour et Psyché" ; les groupes "Le Temps instruisant la jeunesse", "Pan poursuivant Syrinx" et "Bélisaire et son guide".

Famille et legs Godecharle

Godecharle s'est marié le , il ne faisait que régulariser une situation établie depuis de nombreuses années. Sa femme Jeanne-Catherine Offhuys, née à Bruxelles le , était la fille d'un poissonnier. L'acte de mariage contient une déclaration par laquelle les nouveaux époux reconnaissent pour leurs enfants légitimes

  • Louis Offhuys, fils de Jeanne, né à Bruxelles le 1er nivose an VI (), adopté le 24 messidor an X () par ledit Godecharle
  • Napoléon-Jean-Théodore-Narcisse-Démosthène-Théophile-Horace-Pline-Aimé Godecharle, né à Bruxelles le 28 germinal an XI ()
  • Godecharle et sa femme ont eu un troisième fils, Gustave, né après leur mariage. Quand Gustave déclare le décès de son père, il est âgé de 23 ans et écrivain de profession.

Napoléon Godecharle, dernier fils survivant, meurt célibataire en 1875, léguant au Musée de Bruxelles le portrait de son père par Verhulst, la statue de La Frileuse d'après Houdon, le portrait en buste de sa mère, un Priape en terre cuite, un petit buste en bronze représentant Godecharle lui-même. Il institue l'État belge son légataire universel, à charge de fonder des bourses[23] destinées à des artistes statuaires, peintres d'histoire et architectes. Il fait un don de 25 000 francs à la ville de Bruxelles, à charge pour elle d'ériger un monument en mémoire de son père[24].

Notes et références

  1. Devigne 1928, p. 34-36
  2. Jean--Pierre-Antoine Tassaert, né à Anvers en 1727, mort à Berlin en 1788, avait été lui-même l'élève d'un maître d'origine flamande, Michel-Ange Slodtz. Il avait été agréé à l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1769, peu de temps avant que Godecharle n'entrât chez lui et peu de temps avant d'avoir été nommé sculpteur de la cour de Prusse.
  3. Il signe à Berlin son engagement le .
  4. Les Italiens excellaient dans les travaux de moulage.
  5. Ses protecteurs à Bruxelles étaient évidemment avertis de son départ, et il semble qu'on trouve encore la preuve de leur bon vouloir à son endroit dans le fait que sa pension entière, soit 300 florins lui fut payée en une fois pour faire ses préparatifs de voyage.
  6. Devigne 1928, p. 36-38
  7. D'après le journal du Prince Charles de Lorraine, Delvaux a été remplacé par Ollivier en qualité de sculpteur de la Cour le 19 février 1778, donc cinq jours avant sa mort | Référence|Georges Willame|1914.
  8. Devigne 1928, p. 38-39
  9. Guilhem Scherf, Les vertus de la bienfaisance, in Grande Galerie - Le Journal du Louvre, sept./oct./novembre 2013, no 25.
  10. Archives générales du Royaume, Gastos secretos, no 691, fol.158.
  11. Devigne 1928, p. 39/40/79
  12. Deux trophées, des armoiries coiffées d'une croix dorée au-dessus de la porte d'entrée, table de marbre avec inscription en lettres de bronze doré.
  13. La construction sera achevée en 1784, la décoration durera plusieurs années.
  14. Ils représentent les Mois en douze tableaux sculptés
  15. L'Amour et Psyché, Cérès, Diane, Bacchus, Silène, Vertumne et Pomone, Jupiter et Mercure chez Philémon et Baucis
  16. Celles-ci sont de toutes jeunes femmes au visage frais, la gorge nue, mutines et gaies qui, d'un angle à l'autre du fronton, mêlent leurs gestes harmonieux ; au fond, à peine visible, le char d'Apollon s'élance dans les cieux, précédé par l'Aurore.
  17. La plupart de ces sculptures ont été acquises en 1899 par le Gouvernement belge.
  18. Quand les Pays-Bas autrichiens passent sous régime français.
  19. Visible à Bruxelles, aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, pierre de France, 1810.
  20. Devigne 1928, p. 43-52/54/93/98/103
  21. Devigne 1928, p. 52
  22. Devigne 1928, p. 110
  23. Prix Godecharle
  24. Devigne 1928, p. 52-53/102-103

Voir aussi

Bibliographie

  • Marguerite Devigne, Laurent Delvaux et ses élèves, Bruxelles-Paris, G. Van Oest, , 122 p.
  • Georges Willame, Laurent Delvaux 1696-1778, Bruxelles, G.Van Oest, , 97 p.
  • Alain Jacobs, Laurent Delvaux 1696-1778, Paris, Arthena, , 82-87 p. (ISBN 2-903239-24-X)

Articles connexes

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