Français de Suisse

Le français de Suisse (parfois appelé suisse romand)[2] est une variété du français parlée en Suisse romande, la partie francophone de la Suisse. La Suisse romande compte sept cantons dont quatre unilingues francophones (Vaud, Genève, Neuchâtel et Jura) et trois bilingues français-allemand (Valais et Fribourg qui ont une population majoritairement francophone et Berne qui a une majorité germanophone)[3]. En 2019, le français est parlé par 1,6 million de personnes en tant que langue principale en Suisse (22,8 % de la population du pays)[4]. La Constitution fédérale précise à son article 4 que le français est une des quatre langues officielles de la Suisse avec l'allemand, l'italien et le romanche[5]. Selon un recensement de 1990, 33 % de la population suisse parle français quotidiennement[6] (72 % le suisse-allemand[7]).

français de Suisse
Suisse romand
Pays Suisse
Région Suisse romande
Nombre de locuteurs 1 800 000
Classification par famille
Codes de langue
IETF fr-CH
La répartition des langues en Suisse.
La Suisse romande fait partie du domaine linguistique de l'arpitan[1], à l'exception du canton du Jura (domaine d'Oïl).

De façon générale

Le français de Suisse se différencie quelque peu du français de France ou du français de Belgique.

Il se caractérise par quelques termes issus de l’arpitan ou francoprovençal, par des mots tels que septante, huitante ou nonante, ainsi que localement par des mots et expressions issues de langues germaniques tels que moutre, fatre, witz, ou poutzer. Ce phénomène d’emprunt est dû à l’influence de la communauté alémanique (germanophone) qui est largement majoritaire (62,8 % de la population du pays en 2016[8]). Il est important de préciser que certains traits particuliers à la Suisse, tels que le système fédéral, l’armée obligatoire ou encore le bilinguisme de certaines régions, favorisent grandement les phénomènes d'acculturation en tout genre, et particulièrement sur le plan linguistique. À noter que le suisse-allemand emprunte également certains mots et expressions au français, comme l’expression alémanique « das Savoir-vivre » qui s’utilise dans le sens de « bon-vivant », ainsi que les mots « merci » et « adieu », ce dernier s'utilisant, comme en Suisse romande, dans un cadre familier pour dire « au revoir » ou « bonjour »[réf. nécessaire].

Le français local de Suisse romande ressemble à celui des régions limitrophes, notamment à celui de la Savoie voisine, qui fait également partie de l’aire linguistique arpitane[9].

Usages lexicaux

Nombres

Les nombres 70 et 90 sont respectivement exprimés par « septante » et « nonante », tout comme en Belgique et en République démocratique du Congo. Le nombre 80 est dit « huitante » dans les cantons de Vaud, du Valais et de Fribourg, et « quatre-vingts » dans les autres cantons francophones, à savoir ceux de Genève, de Neuchâtel, de Berne et du Jura[10].

Comme en Belgique et contrairement à l’usage standard français, le mot « vingt » est généralement prononcé /vɛ̃t/, avec /t/ final, même en isolation[11].

Repas

Le français de Suisse a conservé les noms traditionnels des repas de la journée, à savoir dans l'ordre : le déjeuner (le matin), le dîner (à midi) et le souper (le soir)[12]. Il partage ce schéma avec le français de Belgique, le français canadien, le français haïtien et le français de République démocratique du Congo. À noter qu'il reste encore des locuteurs en France qui utilisent ce schéma[12]. Cependant, l'usage standard français est aujourd'hui : petit déjeuner, déjeuner, dîner[13].

Germanismes

Du fait de la proximité géographique et de la cohabitation linguistique en Suisse, le français de Suisse a emprunté un certain nombre de mots à l’allemand. Quelques exemples lexicaux issus de l’allemand sont « poutzer » (« nettoyer »), de putzen, et « witz », mot allemand pour « blague ».

On trouve par exemple dans un éditorial de juin 2020 : « le National a remis le projet de loi sur le CO2 du Conseil fédéral sur le métier après l’avoir « schubladisé » une première fois en 2018 », du verbe familier et régional schubladisieren qui signifie littéralement « mettre au tiroir », mettre de côté de manière prolongée[14].

On peut aussi trouver des calques grammaticaux, comme la tournure « qu’est-ce que c’est pour un(e) … ? », calque de l'allemand was ist das für ein …?, qui se traduirait en français standard par « qu’est-ce que c’est comme … ? » ou « quel genre de … est-ce ? ».

Si tout va bien, on dira que « c'est en ordre », emprunt de l'allemand in Ordnung. Enfin, pour se dire au revoir, il arrive qu'on dise « tout de bon », tiré de l'allemand Alles Gute.

Pronom « y »

Dans le langage informel et dans la région genevoise, le pronom « le/la » en tant que complément d’objet direct est très souvent remplacé par « y ».

Exemples :

  • « Où veux-tu que j’y pose ?

– Poses-y sur la table. »

  • « Si t’y fais, fais-y comme y faut ! »[15]

Ce fait linguistique découlant de l'arpitan se retrouve en France dans une partie de la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme dans les deux départements de Savoie[16] ou dans le parler lyonnais.

Vitesse d'articulation

Les locuteurs francophones de Suisse romande sont souvent associés à un débit de parole lent. Selon cette idée reçue, il est courant de penser que, par exemple, les Vaudois articulent plus lentement que les Parisiens[17]. Afin de confirmer ou d’infirmer ce stéréotype, des chercheurs en linguistique se sont penchés sur ce sujet en abordant notamment la vitesse d’articulation ; c’est-à-dire « la vitesse à laquelle un locuteur articule un énoncé »[18]. Il est important de spécifier également qu’une distinction doit être faite entre le débit et la vitesse d’articulation : le débit inclut les pauses effectuées par le locuteur, alors que la vitesse d’articulation ne tient compte que du temps d’articulation d’un énoncé prononcé, sans les pauses[19].

Plusieurs études se sont intéressées à la vitesse d’articulation de différentes régions francophones telles que la Suisse romande et la région parisienne notamment. Une première étude[20] a pris en compte plusieurs facteurs pour évaluer le potentiel débit lent des Suisses romands par rapport aux Français de la région parisienne. Pour ce faire, les chercheuses ont comparé le débit de la parole, la vitesse d’articulation et la durée des pauses lors d’une lecture d’un texte de locuteurs provenant de deux villes de Suisse romande et de Brunoy (proche de Paris). Leur étude a montré qu’il n’y a pas de différence importante entre les locuteurs suisses romands et ceux de Brunoy concernant le débit et les pauses. Cependant, les résultats ont souligné une différence entre les trois régions quant à la vitesse d’articulation : les participants de Brunoy articulent plus vite que les participants suisses (255 syll/min pour Brunoy, 236 syll/min pour Neuchâtel et 249 syll/min pour Nyon). Aussi, des études postérieures[21],[22],[23] se sont penchées exclusivement sur la vitesse d’articulation de ces différentes régions francophones et leurs résultats confirment l’idée reçue selon laquelle les Parisiens parlent plus vite que les Suisses. En effet, l’étude la plus récente parmi celles citées[24], démontre des résultats marquants, tout en considérant un nombre important de régions en comparaison avec les autres études (sept régions au total, de trois pays francophones différents, à savoir celles de Paris, de Lyon, de Tournai, de Liège, de Genève, de Neuchâtel et de Nyon). Aucune différence à l’intérieur du même pays n'est clairement notable. En revanche, les locuteurs belges et français partagent une vitesse d’articulation similaire (<195 millisecondes par syllabe) et articulent plus rapidement que les locuteurs suisses, qui eux, ont une vitesse d’articulation plus lente (>195 millisecondes par syllabe). Toutefois, il faut également considérer le fait que certaines études ont montré des résultats qui allaient à l’encontre du stéréotype des Romands qui parlent lentement. Par exemple, une étude[25] montre que les locuteurs de Martigny (en Suisse) ont une vitesse d’articulation similaire à celle des Parisiens (194 millisecondes par syllabe pour Martigny et 185 millisecondes par syllabe pour les Parisiens).

Après examen des différentes études, le stéréotype des Suisses qui articulent plus lentement que les Parisiens est confirmé, à quelques exceptions près. La vitesse d’articulation des Suisses est donc généralement plus lente que celle de leurs pays voisins. Cependant, les échantillons de certaines études étant réduits[26],[27], cela ne permet pas de confirmer la lenteur articulatoire des Suisses romands de manière sûre. En plus des différences entre les variantes du français, des études montrent que la vitesse d’articulation est influencée par les facteurs de l’âge et du sexe, notamment. Il semblerait que les jeunes articulent plus rapidement que les plus âgés, de même que les hommes articulent plus rapidement que les femmes[28],[29],[30],[31],[32]. Ainsi, l’âge et le sexe permettent de montrer les différences de vitesse d’articulation entre les pays mais également de souligner une différence au sein même du pays.

Usages typographiques

Les espaces

L’usage typographique suisse, quelle que soit la langue, suit certaines règles propres qui diffèrent des normes françaises, comme celle de l’Imprimerie nationale utilisée par Wikipédia en français. Une espace fine insécable précède les signes de ponctuation double tels que le point d’exclamation, le point d’interrogation, le deux-points et le point-virgule. C’est aussi le cas pour les guillemets  » et ‹  ›) et le signe du pour cent (%).

Quand l’espace fine insécable n’est pas disponible, on préfère généralement ne pas mettre d’espace du tout[33].

Pour les citations de deuxième niveau, on utilise souvent les guillemets simples à chevrons (‹  ›).

Exemple et comparaison :

Norme suisse : «Quoi? Elle a dit: Ma mère est brésilienne; mon père chinois. C’est cosmopolite
Norme préférée par l’Imprimerie nationale de France : « Quoi ? Elle a dit : « Ma mère est brésilienne ; mon père chinois. » C’est cosmopolite ! »[34]
Usage dans la presse française : « Quoi ? Elle a dit : Ma mère est brésilienne ; mon père chinois. C’est cosmopolite ! »
Norme canadienne : « Quoi? Elle a dit : Ma mère est brésilienne; mon père chinois. C’est cosmopolite! »[35],[36]

L'écriture des nombres

La norme officielle prônée par le Guide du typographe consiste à utiliser une espace insécable comme séparateur de milliers[37] ; c'est aussi ce que la Chancellerie fédérale prône pour les textes officiels[38]. Ceci rejoint la norme des autres pays francophones.

Cependant, on trouve aussi l'apostrophe[39], ce qui est une manière de faire propre à la Suisse.

  • Norme officielle : 100 000
  • Autre usage : 100'000

Le séparateur décimal est la virgule[38].

Notes et références

  1. Voir la carte de Suisse indiquant les régions romandes où la l'arpitan est traditionnellement parlé sur ethnologue.com
  2. André Thibault, Dictionnaire suisse romand : particularités lexicales du français contemporain, Carouge (GE), ZOE, , 885 p. (ISBN 978-2-88182-870-6).
  3. Office fédéral de la statistique, « Langues principales selon les cantons », (consulté le ).
  4. Office fédéral de la statistique, « Langues », (consulté le ).
  5. Conseil fédéral, « Article 4 de la Constitution fédérale suisse », sur admin.ch (consulté le ).
  6. (en) Fiche langue[fra]dans la base de données linguistique Ethnologue..
  7. (en) Fiche langue[gsw]dans la base de données linguistique Ethnologue..
  8. Office fédéral de la statistique=, « Langues », (consulté le ).
  9. « L'aire de diffusion de l'arpitan, en France, en Italie et en Suisse », sur notrehistoire.ch (consulté le ).
  10. Mathieu Avanzi, « Comment dit-on 80 en Belgique et en Suisse ? », sur lefrançaisdenosrégions.com, Université de Neuchâtel, (consulté le ).
  11. Mathieu Avanzi, « VingT et moinS », sur lefrançaisdenosrégions.com, Université de Neuchâtel, (consulté le ).
  12. André Thibault, « Le midi, vous déjeunez ou vous dînez ? », sur francaisdenosregions.com, .
  13. Mathieu Avanzi, « Déjeuner ou dîner », sur francaisdenosregions.com, .
  14. Philippe Bach, « Rapport de force climatique », Courrier, , p. 1.
  15. « Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie. » (consulté le ).
  16. Mathieu Avanzi, « Le « y » dit savoyard : laissez-moi vous y expliquer ! », sur lefrançaisdenosrégions.com, Université de Neuchâtel, (consulté le ).
  17. Philippe Vandel, « Pourquoi les Suisses parlent-ils lentement ? », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
  18. Mathieu Avanzi, Sandra Schwab, Pauline Dubosson et Jean-Philippe Goldman, La variation prosodique régionale en français : Chapitre 5 : La prosodie de quelques variétés de français parlées en Suisse romande, De Boeck Supérieur, (ISBN 9782801116951, lire en ligne), p. 89-118.
  19. La vitesse d’articulation peut s’exprimer en syllabes par seconde (syll/s), en syllabes par minute (syll/min) ou encore en millisecondes par syllabe (ms/syll).
  20. Sandra Schwab et Isabelle Racine, « Le débit lent des Suisses romands : mythe ou réalité ? », Journal of French Language Studies, vol. 23, no 2, , p. 281-295 (lire en ligne).
  21. Sandra Schwab, Pauline Dubosson et Mathieu Avanzi, « Étude de l'influence de la variété dialectale sur la vitesse d'articulation en français », JEP, vol. 1, , p. 521-528 (lire en ligne).
  22. Mathieu Avanzi, Sandra Schwab, Pauline Dubosson et Jean-Philippe Goldman, La variation prosodique régionale en français : Chapitre 5 : La prosodie de quelques variétés de français parlées en Suisse romande, De Boeck Supérieur, (ISBN 9782801116951, lire en ligne), p. 89-118.
  23. (en) Sandra Schwab et Mathieu Avanzi, « Regional variation and articulation rate in French », Journal of Phonetics, vol. 48, , p. 96-105 (lire en ligne).
  24. (en) Sandra Schwab et Mathieu Avanzi, « Regional variation and articulation rate in French », Journal of Phonetics, vol. 48, , p. 96-105 (lire en ligne).
  25. Mathieu Avanzi, Sandra Schwab, Pauline Dubosson et Jean-Philippe Goldman, La variation prosodique régionale en français : Chapitre 5 : La prosodie de quelques variétés de français parlées en Suisse romande, De Boeck Supérieur, (ISBN 9782801116951, lire en ligne), p. 89-118.
  26. Sandra Schwab et Isabelle Racine, « Le débit lent des Suisses romands : mythe ou réalité ? », Journal of French Language Studies, vol. 23, no 2, , p. 281-295 (lire en ligne).
  27. Sandra Schwab, Pauline Dubosson et Mathieu Avanzi, « Etude de l'influence de la variété dialectale sur la vitesse d'articulation en français », JEP, vol. 1, , p. 521-528 (lire en ligne).
  28. (en) Ewa Jacewicz, Robert A. Fox, Caitlin O'Neill et Joseph Salmons, « Articulation rate across dialect, age, and gender », Language variation and change, vol. 21, no 2, , p. 233-256 (lire en ligne).
  29. (en) Hugo Quené, « Multilevel modeling of between-speaker and within-speaker variation in spontaneous speech tempo », Journal of the Acoustical Society of America, vol. 123, no 2, , p. 1104-1113 (lire en ligne).
  30. Sandra Schwab et Isabelle Racine, « Le débit lent des Suisses romands : mythe ou réalité ? », Journal of French Language Studies, vol. 23, no 2, , p. 281-295 (lire en ligne).
  31. (en) Bruce L.Smith, Jan Wasowicz et Judy Preston, « Temporal characteristics of the speech of normal elderly adults », Journal of Speech and Hearing Research, vol. 30, no 4, , p. 522-529 (lire en ligne).
  32. (en) Jo Verhoeven, Guy De Pauw et Hanne Kloots, « Speech Rate in a Pluricentric Language: A Comparison Between Dutch in Belgium and the Netherlands », Language and Speech, vol. 47, no 3, , p. 297-308 (lire en ligne).
  33. « Tableau récapitulatif des espaces », sur typoguide.ch (consulté le )
  34. Dans le Lexique, p. 51, on trouve aussi cette règle : «  Si les deux citations se terminent ensemble, on ne composera qu’un guillemet fermant : [exemple].  »
  35. Office québécois de la langue française, « Espacement avant et après les principaux signes de ponctuation et autres signes ou symboles », sur Banque de dépannage linguistique, (consulté le )
  36. « La ponctuation – 6.13 Tableau des espacements », sur btb.termiumplus.gc.ca, Termium Plus : la banque de données terminologique et linguistique du gouvernement du Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, (consulté le )
  37. Groupe de Lausanne de l'Association suisse des typographes, Guide du typographe, Lausanne, Heliographia, , 260 p. [détail des éditions], p. 56.
  38. Chancellerie fédérale, « Instructions de la Chancellerie fédérale sur la présentation des textes officiels en français », sur bk.admin.ch, (consulté le ).
  39. « Typographies allemande, française et suisse – Petite étude comparative », sur uebersetzung-morlot.de, Morlot Übersetzungen, (consulté le ).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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