Enterobacteriaceae

Les Entérobactéries (famille des Enterobacteriaceae) sont des bacilles Gram négatif retrouvés partout dans le sol, dans l’eau, et surtout dans l’intestin (entéro-) de l’homme et des animaux. Elles sont l'une des plus importantes familles de bactéries, autant du point de vue quantitatif (plus d'une quarantaine de genres) que du point de vue qualitatif. Elles sont fréquemment rencontrées en pathologie infectieuse ainsi que dans les bio-industries (fermentation de fromages et produits laitiers, alcools, traitements médicaux supplétifs, production de toxines à usage cosmétique, industrie pharmaceutique pour la fabrication d’agents antiviraux, analyse biologique de prélèvements médicaux humains ou vétérinaires pour isoler en culture les agents pathogènes, un grand nombre d’industries pour effectuer des mesures de niveau de toxicité biologique...).

Enterobacteriaceae
Escherichia coli
grossissement × 15 000
Classification
Règne Bacteria
Embranchement Proteobacteria
Classe Gamma Proteobacteria
Ordre Enterobacteriales

Famille

Enterobacteriaceae
(ex Rahn 1937) Ewing et al. 1980

Définition

On définit classiquement les entérobactéries par 7 critères (mais il faut faire attention, avec les remaniements de familles issues des nouvelles méthodes de la taxonomie, certains genres, ne répondant pas forcément à tous ces critères, font aujourd'hui partie de cette famille). Moyen mnémotechnique (BONIFAN):

  • Bacilles Gram- de dimension moyenne (coccobacille, souvent polymorphe)
  • Oxydase négative.
  • Non exigeants (culture facile)
  • Immobiles ou mobiles par ciliature péritriche (très rares exceptions : Plesiomonas, ciliature polaire)
  • Fermente le glucose en anaérobiose (avec ou sans production de gaz)
  • Aéro-anaérobies (capables de pousser en présence ou en absence de dioxygène)
  • Nitrate réductase + (capables de réduire les nitrates en nitrites)
  • Autres :
    • Non sporulés
    • Certains sont thermodépendants et ne poussent pas à 37 °C tels que Hafnia alvei, Yersinia enterolitica

Les différences entre les nombreux genres et espèces viennent de critères plus précis, comme la fermentation de différents sucres, la production ou non de sulfures, la présence ou l'absence d'enzymes du métabolisme (β-galactosidase, désaminases, décarboxylases), le type de fermentation (voies fermentaires des entérobactéries) (butane-2,3-diol ou acides mixtes). Ces critères permettent de regrouper les différents genres en « groupes », rendant les démarches d'identification plus méthodiques et plus aisées, mais qui ne correspondent pas forcément à des réalités de proximité phylogénétique (puisque ce sont des critères uniquement phénotypiques, comme l'ancienne classification scientifique).

Les milieux de culture spécifiques ou non de la famille des Enterobacteriaceae : deux milieux sont particulièrement utilisés pour la culture et l'isolement des Enterobacteriaceae, la gélose Drigalski et la gélose EMB

  • Gélose Drigalski :
    La gélose Drigalski est un milieu d'isolement sélectif des entérobactéries et autres bactéries Gram négatives. Les bactéries Gram+ sont inhibées par le désoxycholate de sodium et le cristal violet. L'indicateur coloré de pH est le bleu de bromothymol, qui vire du bleu au jaune en cas d'acidification du milieu (dégradation du lactose en acide lactique).
  • Gélose EMB :
    La gélose EMB est un milieu d'isolement destiné aux entérobactéries. L'éosine et le bleu de méthylène servent d'inhibiteur de Gram+ et d'indicateur coloré.

Sur ces milieux cultivent des bactéries le plus souvent oxydase + comme les Vibrionaceae ou les Pseudomonadaceae

D'autres milieux sont utilisés, le plus souvent de façon ciblée comme la gélose SS ou la gélose Hektoen utilisée pour la recherche des Salmonella.

Après la détermination de la famille des entérobactéries, une galerie d'identification est réalisée (voir ci-dessous).

Écologie

Habitat

Elles sont très répandues, certaines ne sont retrouvées que dans l'environnement, en particulier dans les milieux humides. La plupart des genres comportent des espèces pathogènes qui provoquent des troubles dont la gravité varie énormément d'une souche à l'autre. Certaines sont responsables de maladies des végétaux (phytopathogène) et d'autres pour l'animal.

Ce sont des bactéries très ubiquitaires, c'est-à-dire qu'on peut les retrouver dans de nombreux écosystèmes :

  • certaines espèces sont seulement saprophytes : milieux humides surtout, sols, eaux, végétaux, produits alimentaires,
  • d'autres sont phytopathogènes : Erwinia, Pantoea,
  • mais la plupart des espèces sont commensales, isolées dans l'intestin de l'homme et des animaux, d'où le nom d'entérobactéries.

Elles se multiplient généralement aussi bien chez un hôte (commensales : Escherichia coli) que dans l'environnement (saprophytes : Serratia marcescens), bien que certaines espèces soient plus adaptées à l'un ou l'autre de ces habitats.

Les entérobactéries commensales

Elles sont les hôtes de l'homme et des animaux chez lesquels elles résident principalement au niveau de l'intestin. On peut cependant les retrouver dans la cavité buccale, les régions humides de la peau en particulier le périnée, les fosses nasales et les voies génitales féminines dans lesquelles elles peuvent constituer une flore transitaire.

Dans l'intestin, elles représentent une fraction très importante de la flore aérobie de l'intestin qui est elle-même très réduite (de l'ordre de 1 % de la flore totale). Elles se retrouvent en grand nombre au niveau du côlon (du cæcum au rectum), elle contribuent à la dégradation des résidus alimentaires et à la production de gaz intestinaux ; on parle de flore de fermentation.

L'espèce Escherichia coli y joue un rôle prépondérant en raison de sa présence constante et de sa large prédominance sur les autres espèces : elle constituerait 80 % dans la flore aérobie avec une concentration avoisinant les 108 E. coli/g de selles terminales. Cette flore est toutefois très minoritaire par rapport à la flore anaérobie stricte. D'autres espèces ont une présence moins marquée tel que Proteus et Klebsiella ainsi que Citrobacter, Hafnia, Providencia, Enterobacter... à la présence plus irrégulière.

Les germes commensaux de l'intestin ou d'ailleurs peuvent être pathogènes par opportunisme (infections urinaires, surinfection...). Leur pathologie est non spécifique mais tient surtout du « terrain » (le microorganisme, disposant de facteurs de pathogénicité particuliers, est alors capable de dépasser les défenses immunitaires de l'hôte, affaiblies par différents facteurs, et de déclencher l'infection. Les immunodéprimés sont particulièrement concernés puisque leurs défenses sont affaiblies).

La polyrésistance aux antibiotiques qu'ils peuvent présenter provient de plasmides de résistance et pose de délicats problèmes pour le traitement.

Les entérobactéries pathogènes

Comme nous l'avons dit, les espèces pathogènes possèdent une grande variabilité dans leur comportement et leur agressivité chez l'hôte. On distingue alors deux groupes d'entérobactéries pathogènes : Les pathogènes strictes et les pathogènes opportunistes.

Les entérobactéries pathogènes strictes

Leur présence dans l'organisme est anormale quel que soit leur nombre et entraînent souvent une infection dont la gravité dépend de leur point d'entrée. Introduites par un aliment contaminé, elles provoqueront des troubles intestinaux en adhérant sur la muqueuse intestinale puis en traversant la barrière entérocytaire. Les symptômes se caractérisent souvent par des diarrhées importantes suivies d'une déshydratation (grave chez le nourrisson)

Certaines espèces provoquent des pathologies spécifiques :

Ces germes entéropathogènes sont agressifs par eux-mêmes ; leur identification est donc capitale.

Les entérobactéries pathogènes opportunistes

Les entérobactéries opportunistes ne disposent pas d'un pouvoir pathogène suffisant pour déclencher une pathologie chez un hôte sain. Elles sont en revanche susceptibles de déclencher une infection chez un sujet immunodéprimé comme des septicémies surtout en milieu hospitalier (par exemple, Serratia, Klebsiella, etc.) ce qui les a mis sur le même pied que d'autres germes d'hôpitaux tels que le Staphylococcus et le Pyocyanique, infections respiratoires, urinaires, abdominales en particulier iatrogènes en post-opératoire.

Elles peuvent être présentes dans l'intestin et faire partie intégrante de sa flore commensale, c'est ainsi que l'espèce Escherichia coli est responsable d'infection du tractus urinaire (en particulier chez la femme) lors de, par exemple, constipations chroniques.

L'espèce Klebsiella pneumoniae est parfois responsable d'infections respiratoires.

Les entérobactéries saprophytes

Les entérobactéries saprophytes sont présentes dans les sols, les eaux, les végétaux et dans tout type d'environnement humide en général. Elles participent à la dégradation des matières organiques. On compte parmi celles-ci : les Proteus (qui vivent aussi bien en saprophytes qu'en commensaux), les Providencia, Enterobacter, Serratia, Hafnia... qui sont plus adaptés à l'environnement.

Caractères bactériologiques et identification

Tous ces microorganismes ont une morphologie identique : bâtonnets Gram -, de taille et de forme variable. Certains possèdent une capsule. Une définition des entérobactéries repose sur les critères suivants : bacilles Gram négatifs, immobiles ou mobiles par ciliature péritriche, aérobies - anaérobies facultatifs, attaquant le glucose par voie oxydative et/ou fermentaire, dépourvus d'oxydase et réduisant les nitrates en nitrites. Cette définition doit être prise avec relativité, d'une part en raison d'exceptions (réduction nitrates en diazote, ciliature polaire…), d'autre part car c'est une définition à l'ancienne ne reposant pas sur des critères génétiques qui sont, aujourd'hui, les seuls admis.

Les genres et les espèces sont différenciés sur la base de caractères biochimiques (et génétiques) étudiés sur des milieux rassemblés dans la "galerie d'identification" (Fermentation des sucres ; décarboxylation d'acides aminés ; production d'indole, d'acétoine, d'H2S ; désamination de la phényl-alanine ; utilisation du citrate, etc.). Certains caractères biochimiques particuliers permettent de définir des biotypes à l'intérieur d'une espèce, par exemple Salmonella typhi, biotype xylose + et biotype xylose - ; cette distinction peut avoir de l'intérêt sur le plan épidémiologique.

Voici un schéma représentant la galerie traditionnelle aujourd'hui obsolète, avec les résultats pour une Salmonella :

Schéma galerie classique d'Enterobactérie (Salmonella)


L'identification biochimique moderne repose sur des microgaleries comme la galerie API20E, inventée pour cela. Le nombre de caractères testés est largement supérieur à celui des galeries classiques.

Galerie API20E additionnée des réactifs - Souche D' E. coli isolée de l'eau de la Seine


Caractères antigéniques

Toutes les Entérobactéries possèdent un antigène commun appelé ECA (de l'anglais : Enterobacterial Common Antigen) ou « antigène de Kunin » du nom de son découvreur[1] dans les années 1960. Cet antigène a été caractérisé par des travaux ultérieurs[2] qui ont notamment établi sa nature polysaccharidique[3] et le détail de sa structure.

La paroi des Entérobactéries contient aussi un complexe lipopolysaccharidique (LPS) dont la partie lipidique correspond à l'endotoxine, identique chez tous ces germes et responsable d'une certaine pathogénicité vasculaire et immunitaire (vasodilatation, altération de la perméabilité, collapsus circulatoire)[4]. La fraction polysaccharidique est antigénique et correspond à l'antigène O (ou antigène somatique) dont la spécificité varie selon les espèces. Cet antigène résiste à la chaleur et à l'éthanol.

De plus, les espèces mobiles possèdent un antigène H (antigène flagellaire ou flagelline) qui est de nature protéique, thermolabile, sensible à l'éthanol et peut exister sous différentes phases (flagellines de nature différentes).

Enfin, certaines bactéries possèdent un antigène K (antigène de surface) dont la nature n'est pas toujours claire. Cet antigène se comporte comme une enveloppe qui bloque l'agglutinabilité de l'antigène O sous-jacent. C'est en particulier le cas l'Ag Vi de certaines Salmonella.

L'étude des antigènes A, H et K (lorsqu'ils sont présents) permet la détermination de sérovars qui complètent l'identification biochimique. La lysotypie peut dans certains cas fournir des renseignements complémentaires sur le plan épidémiologique.

Antibiotiques - Traitement

Outre la résistance naturelle aux antibiotiques actifs sur les Gram positifs (pénicillines, macrolides), les entérobactéries présentent fréquemment une résistance aux AB à large spectre auxquels elles sont normalement sensibles. Cette résistance est conditionnée par la présence de plasmides (ADN extra-chromosomique) porteurs de caractères de résistances multiples et transférables à d'autres bactéries Gram négatives par conjugaison bactérienne.

En 2016, pour la première fois, chez des animaux d'élevage agricole, une Enterobacteriaceae a été trouvée porteuse d'un gène de résistance au carbapeneme (aux États-Unis). Ce gène étant facilement transmissible, il est à craindre que cette résistance puisse se diffuser[5].

La détermination de la sensibilité par l'antibiogramme est donc indispensable, les souches multirésistantes étant de plus en plus fréquentes.

Bactériophages - Traitement

Il faut mentionner la lutte au moyen de bactériophages spécifiques des bactéries de la famille des Enterobacteriaceae comme Erwinia. La firme OmniLytics a par exemple fait approuver par l'EPA (États-Unis) le produit AgriPhage[6] qui est actif contre la plupart des bactéries nuisibles en agriculture et horticulture, comme cela est mentionné à la page 168 du livre du microbiologiste Dr Alain Dublanchet[7].

Liste de genres

        

Liste des genres

Selon World Register of Marine Species (9 janv. 2011)[9] :

Selon ITIS (9 janv. 2011)[10] :

Notes et références

  1. (en) Kunin CM, « Separation, characterization, and biological significance of a common antigen in Enterobacteriaceae », J Exp Med, vol. 118, no 4, , p. 565-86. (PMID 14067906, PMCID PMC2137670, DOI 10.1084/jem.118.4.565)
  2. (en) Mäkelä PH, Mayer H, « Enterobacterial Common Antigen », Bacteriol Rev, vol. 40, no 3, , p. 591-632. (PMID 62571, PMCID PMC413973)
  3. (en) Männel D, Mayer H, « Isolation and chemical characterization of the Enterobacterial common antigen », Eur J Biochem, vol. 86, no 2, , p. 361-70. (PMID 658050, DOI 10.1111/j.1432-1033.1978.tb12318.x)
  4. http://www.microbes-edu.org/etudiant/entero.html, consulté le 25/04/2020
  5. Resistance to Drug of Last Resort Found in Farm Animals in US The Pig Site d'après Antimicrobial Agents and Chemotherapy, a journal of the American Society for Microbiology, 7 décembre 2016
  6. AgriPhage
  7. Dr Alain Dublanchet Des Virus pour combattre les Infections, Favre, 2009.
  8. Genre nommé d'après Léon Le Minor et dont deux espèces portent le nom d'un de ses élèves : Leminorella grimontii, d'après Patrick Grimont, et Leminorella richardii, d'après Claude Richard.
  9. World Register of Marine Species, consulté le 9 janv. 2011
  10. ITIS, consulté le 9 janv. 2011

Voir aussi

Liens externes

références taxonomiques

Autres liens externes

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