Ototoxique
Est dite ototoxique toute substance ou médicament qui, à partir d'une certaine dose peut léser les structures de l'oreille interne (atteinte cochléaire ou vestibulaire) ou du nerf auditif. Ils peuvent provoquer une surdité de perception, des vertiges, des acouphènes et de l'hyperacousie.
Chez les mammifères, l'ototoxicité d'une substance peut varier selon l'espèce. Ainsi l'Homme et le Cobaye commun se montrent également sensibles au Cisplatine[1], mais l'audition de la souris C 57 de laboratoire résiste bien mieux que l'Homme à la gentamicine[1].
Enjeux
Des enjeux importants de santé publique, de prévention et de santé au travail existent, car l'expérimentation animale a prouvé que le bruit pouvait potentialiser les effets de substances chimiques ototoxiques et inversement[2],[3]. Ce risque existe aussi pour les nourrissons[4]
Afin d'améliorer l'épidémiologie des troubles de l'audition[5], il serait donc utile de mieux connaître la liste des agents ototoxiques[6], de leurs interactions (entre eux[7] et avec d'autres polluants ou médicaments), car les « limites réglementaires d'exposition au bruit » ne prennent pas en compte la possibilité d'un cumul de facteurs de risques de ce type, la synergie toxique[8].
De nombreux métiers sont source d'exposition chronique à des solvants organiques qui sont ototoxiques[9], les lésions pouvant être « à la fois cochléaires et rétrocochléaires[9]. »
En France
En 2013, à la demande du ministère chargé du travail, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a lancé une consultation publique[10], en aval des expertises relative aux recommandations de la mention « ototoxique »[11], dans le cadre d'une « expertise scientifique indépendante et collective nécessaire à l’élaboration de valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP[12]) basées sur des critères sanitaires pour les substances chimiques. »
Liste d'ototoxiques
Sont référencés[13],[14],[6] comme ototoxiques certaines substances et médicaments, comme (liste non exhaustive) :
- Solvants (aromatiques notamment)[9] : c'est le cas par exemple du trichloréthylène[15], du benzène[16], du styrène[17],[18],[19], de l'éthylbenzène[20], du toluène[21],[22] ou du xylène...
- Antibiotiques : Dès la fin des années 1940, on a constaté[23] que divers antibiotiques, dont ceux alors habituellement utilisés contre la tuberculose[24] dans certaines circonstances ou chez certains patients. C'est le cas des aminosides/aminoglycosides (parfois dits « AA » ou « aminosides » tels que : streptomycine et dihydrostreptomycine, néomycine, gentamicine, kanamycine, amikacine, sisomicine, tobramycine, netilmicine), érythromycine, vancomycine, en endommageant la cochlée[25] et plus précisément [26] des cellules ciliées ; En cas d'intoxication par ces antibiotiques, l'épithélium neurosensoriel se dégrade en commençant par les cellules ciliées externes (celles du 1er rang d'abord, puis celles du second, puis troisième rang)[23]. En cas d'intoxication plus grave, les cellules ciliées internes de soutien sont également dégradées. La perte d'audition est irréversible, d'abord localisée aux fréquences élevées (8 à 12 kHz) puis s'étendant aux fréquences plus basses si le traitement et l'intoxication se prolongent. Ces antibiotiques tendaient à disparaitre avec l'invention d'une troisième génération de céphalosporines, mais ils restent nécessaires face à certaines antibiorésistances et maladies nosocomiales.
- Certains métaux ou métalloïdes : Selon le modèle animal (Cobaye[27]), le cisplatine[28] et le carboplatine (utilisés en chimiothérapie) peuvent être toxiques pour l'oreille interne.
- Salicylés et autres anti-inflammatoires non stéroïdiens : acide acétylsalicylique (aspirine), diclofenac, ibuprofène, indométacine, kétoprofène, naproxène, piroxicam, phénylbutazone
- Diurétiques : furosémide, acide éthacrinique, bumétanide ;
- Anticancéreux : cisplatine[29], vincristine, moutardes azotées, vinblastine, carboplatine, bléomycine ;
- Antipaludéens : quinine, chloroquine
- Certains antidépresseurs.
Tout ou partie de ces molécules ou éléments ototoxiques peuvent combiner ou ajouter leurs effets à ceux d'une exposition de l'oreille à un niveau sonore excessivement élevé et contribuer à certains problèmes de santé au travail[26].
Notes et références
- (en) Blakley BW, Hochman J, Wellman M, Gooi A. & Hussain AE, « Differences in ototoxicity across species » Journal of otolaryngology-head and neck surgery 2008;37(5):700-3.
- (en) Lataye R. et Campo P, « Combined effects of a simultaneous exposure to noise and toluene on hearing function » Neurotoxicol Teratol. 1997;19(5):373-82.
- (en) Lataye R, Campo P. et Loquet G, « Combined effects of noise and styrene exposure on hearing function in the rat » Hear Res. 2000;139(1-2):86-96.
- Zelenka J, Tomes D. & Jilkova B. « Possibilités d'effets ototoxiques de la néomycine administrée per os dans les dyspepsies du nourrisson. Étude expérimentale et audiométrique » Pediatrie 1966;573-83.
- (en) Morata TC, Lemasters GK « Epidemiologic considerations in the evaluation of occupational hearing loss » Occup Med. 1995;10:641–56.
- Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), autre lien vers le document, « Agents ototoxiques et exposition au bruit »
- (en) Jacobsen P, Hein H, Suadicani P, Parving A, Gyntelbeg F, « Mixed solvent exposure and hearing impairment: an epidemiological study of 3284 men. The Copenhagen male study » Occup Med (Lond) 1993;43:180–4.
- Aran JM, Portmann M, Pialoux P. & Gounelle de Pontanel H. « Synergies entre bruit et médicaments ototoxiques: nouvelles données expérimentales. Discussion [Synergism between noise and ototoxic drugs: new experimental data] » Bull Acad Natl Med. 1990;174(7):939-45. (Fiche Inist/CNRS).
- Demange V, Chouanière D, Loquet G, Perrin P, Johnson AC. & Morata T, « Les effets ototoxiques des solvants: revue de la littérature » Otorhinolaryngol Nova 2001;11:141-50. DOI:10.1159/000063014
- Saisine VLEP 2012-SA-0047 relative aux recommandations de la mention « ototoxique » Expertise en vue de la fixation de valeurs limites d’exposition à des agents chimiques en milieu professionnel Application aux substances déjà expertisées par le CES VLEP du document méthodologique pour prévenir des effets de la coexposition professionnelle au bruit et aux substances chimiques (Document de travail de 58 p. à ne pas citer ni utiliser comme référence). (pdf protégé)
- ANSES, Valeurs limites d'exposition professionnelle, consulté le 20 septembre 2013
- « Substances ototoxiques »
- Marie Christine Subtil, « Les médicaments ototoxiques », (consulté le 22 juin 2013)
- (en) Szulc-Kuberska J, Tronczynska J, Latkowski B, « Otoneurological investigations of chronic trichlorethylene poisoning » Minerva Otorinolaryngol. 1976;26:108–12.
- (en) Pollastrini L, Abramo A, Cristalli G, Baretti F, Greco A, « [Early signs of occupational ototoxicity caused by inhalation of benzene derivative industrial solvents] » Acta Otorhinolaryngol Ital 1994;14:503–12.
- Campo P, Lataye R, Loquet G, Bonnet P (2001) Styrene-induced hearing loss: a membrane insult. Hear Res ;154:170–180
- Johnson AC, Morata TC, Andersson B, Nylén P, Hagerman B, Lindh T, Svensson EB (1998) Hearing loss after exposure to styrene and noise : A pilot study. Biological effects of noise; in Prasher D, Luxon L (éds): , vol 1, pp 280–294.
- Johnson AC, Morata T, Nylén P, Svensson E (2000) Hearing loss in workers exposed to styrene and/or noise: Description of audiologic test battery and preliminary results. Abstracts of the 23th Midwinter Research Meeting of the Association for Research in Otolaryngology, St Petersburg Beach, Fla., février 2000.
- Cappaert NLM, Klis SFL, Muijser H, de Groot JCMJ, Kulig BM, Smoorenburg GF (1999), The ototoxic effects of ethyl benzene in rats. Hear Res 1999;137:91–102.
- Pryor GT, Rebert CS, Dickinson J, Feeney EM (1984), Factors affecting toluene-induced ototoxicity in rats. Neurobehav Toxicol Teratol ; 6:223–238.
- Rebert CS, Sorensen SS, Howd RA, Pryor GT Toluene-induced hearing loss in rats evidenced by the brainstem auditory-evoked response. Neurobehav Toxicol Teratol 1983;5:59–62
- Govaerts PJ, Claez J, Van de Nroe ME (1950), Aminoglycoside-induced ototoxicity- toxicology Letters, 52 (2), pp 227-251
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- Darrouzet, J., & Guilhaume, A. (1976). Ototoxicité cochléaire comparée de trois antibiotiques: kanamycine, gentamicine, tombramycine. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord), 97, 11-12.
- Campo, P. (2001). http://www.inrs.fr/default/dms/inrs/CataloguePapier/DMT/TI-TF-103/tf103.pdf Agents ototoxiques et exposition au bruit]. Documents pour le médecin du travail, 86, 177-182 (PDF, 6p)
- Taudy, M., Syka, J., Popelár, J., & Úlehlová, L. (1992).Carboplatin and Cisplatin Ototoxicity in Guinea Pigs: Les effets ototoxiques du cisplatine et du carboplatine chez le cobaye. International Journal of Audiology, 31(5), 293-299 (PDF, 7 pages)
- Amsallem, P., & Andrieu-Guitrancourt, J. (1985). Étude expérimentale de l'ototoxicité du cisplatinum. In Annales d'oto-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale (Vol. 102, No. 5, pp. 365-372). Elsevier Masson.
- Frisina RD, Wheeler HE, Fossa SD et al. Comprehensive audiometric analysis of hearing impairment and tinnitus after cisplatin-based chemotherapy in survivors of adult-onset cancer, J Clin Oncol, 2016;34:2712-2720
Voir aussi
Articles connexes
- Bruit
- Oreille
- Ouïe (sens de l'audition)
- Audition humaine
- Oreille interne
- Pollution sonore
Bibliographie
- Campo, P. (2001) « Agents ototoxiques et exposition au bruit » Documents pour le médecin du travail, 86, 177-182.
- Ruggieri-Marone, M., & Schochat, E. (2007) « Étude des produits de distorsions acoustiques chez les nouveau-nés traités par ototoxiques » Revue de laryngologie, d'otologie et de rhinologie, 128(1-2), 41-46.
Liens externes
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